Vous êtes sur la page 1sur 24

Annales de Géographie

Le désert du Namib central


Monsieur Yannick Lageat

Citer ce document / Cite this document :

Lageat Yannick. Le désert du Namib central . In: Annales de Géographie, t. 103, n°578, 1994. pp. 339-360;

doi : https://doi.org/10.3406/geo.1994.21661

https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1994_num_103_578_21661

Fichier pdf généré le 24/02/2020


Abstract
The middle Namib desert. On both sides of the Kuiseb Valley, the Namib coastal desert, which is
less known than the chiloperuvian desert, shows a strong contrast between the southern erg which
is made up of three dune systems (barchan, linear and star dunes), the age of which, while
increasing eastwards, is regarded as Pleistocene, and a northern reg the coarse débris of which
suffer active salt weathering and eolian corrasion. This desert, which could be the oldest in the
world, presents a great number of typical processes, formations and forms under a « humid » and
non- pluvial climate which is more dependent of the structure of the maritime Trades than of the
Benguela cold current.

Résumé
Moins connu que le désert chilopéruvien, le désert « humide » littoral du Namib central montre, de
part et d'autre de la vallée du Kuiseb, un étonnant contraste entre un erg qui, au sud, a été nourri
par les apports alluviaux du fleuve Orange dont la redistribution progressive au cours du
Pleistocene a construit des chaînes barkhaniques, linéaires et ghourdiques, et un reg dont les
éléments grossiers, concentrés par vannage, subissent tout à la fois les effets de Vhaloclastisme
et de la corrasion éolienne. C'est dire combien ce désert, présenté comme le plus ancien du
monde, connaît une activité morphogénique suffisamment efficace pour produire de remarquables
exemples de processus, de formations et de formes sous un climat, à la fois « humide » et non
pluvieux, qui semble plus commandé par la structure de l'alizé que par le courant froid de
Benguela.
Le désert du Namib central

Université Biaise Pascal et U.R.A. 1562 du C.N.R.S., Yannick


Clermont-Ferrand
LAGEAT IL
A la mémoire des Professeurs G. Beaudet et R. Coque

Résumé. — Moins connu que le désert chilopéruvien, le désert « humide »


littoral du Namib central montre, de part et d'autre de la vallée du Kuiseb,
un étonnant contraste entre un erg qui, au sud, a été nourri par les apports
alluviaux du fleuve Orange dont la redistribution progressive au cours du
Pleistocene a construit des chaînes barkhaniques, linéaires et ghourdiques, et
un reg dont les éléments grossiers, concentrés par vannage, subissent tout à
la fois les effets de Vhaloclastisme et de la corrasion éolienne. C'est dire
combien ce désert, présenté comme le plus ancien du monde, connaît une
activité morphogénique suffisamment efficace pour produire de remarquables
exemples de processus, de formations et de formes sous un climat, à la fois
« humide » et non pluvieux, qui semble plus commandé par la structure de
l'alizé que par le courant froid de Benguela.

Abstract. — The middle Namib desert. On both sides of the Kuiseb Valley,
the Namib coastal desert, which is less known than the chiloperuvian desert,
shows a strong contrast between the southern erg which is made up of three
dune systems (barchan, linear and star dunes), the age of which, while
increasing eastwards, is regarded as Pleistocene, and a northern reg the
coarse débris of which suffer active salt weathering and eolian corrasion.
This desert, which could be the oldest in the world, presents a great number
of typical processes, formations and forms under a « humid » and non-
pluvial climate which is more dependent of the structure of the maritime
Trades than of the Benguela cold current.

L'Afrique australe possède sur sa façade occidentale une frange


littorale aride qui couvre quelque 270 000 km2 et s'étire sur près de
2 000 km de longueur entre l'Olifants River dans la province sud-

Ann. Géo., n° 578, 1994, pages 339-360, © Armand Colin


340 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

africaine du Cap (32 °S) et la Carunjamba en Angola (15 °S). Sur 1 280
km règne en Namibie une hyper-aridité entre deux fleuves allogènes
pérennes : la Cunene au nord et l'Orange au sud définissent les
frontières de ce pays qui ne connaît aucun écoulement permanent
(fig. 1). Cette région climatique est d'autant mieux individualisée que la
présence du « Grand Escarpement », parallèle à la côte, en limite
l'extension vers l'intérieur. Le « piémont » atlantique, assimilable à un
vaste plan incliné, se relève sans ressaut marqué jusqu'à plus de 1 000
m au pied de cette barrière orographique qui ne concède guère au
désert littoral que 132 km de largeur moyenne (fig. 2). Toutefois, au-
delà de sa réelle unité géographique, le Namib offre un saisissant
contraste entre un désert sableux au sud et un désert rocheux au nord,
contraste que révèle l'image satellitaire de part et d'autre de la vallée
du Kuiseb (photo 1).

I. Les contraintes climatiques

L'existence du désert côtier du Namib (terme khoi, ou hottentot,


exprimant l'aridité), longé par le courant de Benguela, est
traditionnellement associée à la présence d'eaux fraîches : à leur contact, l'air,
refroidi à sa base, acquiert une grande stabilité au-dessous d'une forte
inversion thermique qui, située à une altitude de 500 à 1 000 m, interdit
tout développement vertical des nuages qui en restent au type strati-
forme (fig. 3). La dérive marine vers les basses latitudes
s'ac ompagnerait d'un réchauffement progressif s'il n'y avait de continuelles remontées
d'eaux profondes le long du rivage sur une largeur de 100 miles
nautiques (185 km) entre les 34e et 15e degrés de latitude Sud.
Le vent soufflant, en effet, parallèlement à la côte qui se trouve à
sa droite, les eaux superficielles sont entraînées vers le large en direction
du nord-ouest en vertu de la loi de V.W. Ekman, et cette divergence
est compensée par un upwelling des eaux immédiatement inférieures
sur une épaisseur de 200 à 300 m. C'est ce processus qui est responsable
de l'anomalie thermique négative affectant ce littoral puisque, devant
Walvis Bay par 23 °S, c'est-à-dire sous le Tropique du Capricorne, le
maximum thermique annuel n'est que de 18 °5 C en janvier-février,
tandis que le minimum, qui se place en septembre, n'excède pas 12° C
(fig. 4 et 5). En fait, selon P.G.W. Jones et N.D. Bang (1971), cités par
A. Guilcher (1982), plus que par un flux continu, l'upwelling serait
engendré par une série de pulsations de l'alizé qui provoqueraient des
remontées spasmodiques dont la résultante constituerait le courant dit
de Benguela.
Le « pompage » d'Ekman produit des remontées, à une vitesse
d'environ 2 m/jour, d'eaux enrichies en oxygène qui nourrissent le
LE DESERT DU NAMIB CENTRAL 341

Fig. 1 — CROQUIS DE LOCALISATION DU DÉSERT LITTORAL


1. Cours d'eau pérennes; 2. Courants océaniques; 3. Limite interne du désert; 4.
Principales accumulations dunaires.
MAIN FEATURES OF THE COASTAL DESERT.
1. Perennial streams; 2. Oceanic currents; 3. Eastern edge of the desert; 4. Main dune
fields.

phytoplancton, premier maillon de la chaîne alimentaire. Dans un passé


récent, les pêcheries ont procuré jusqu'au quart des recettes
d'exportation de la Namibie, un pic ayant été atteint en 1968, la quasi-totalité
des prises étant constituée par des poissons pélagiques, essentiellement
des sardines. Mais, à partir de 1969, les eaux namibiennes, réputées
pour être les plus poissonneuses du monde, ont commencé à s'appau-
342 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

?lwpniund++++JV++VvtJ. + + + + + + + + +++ + +
+\+ + +

Fig. 2 — LE NAMIB CENTRAL.


1. Affleurements rocheux; 2. Erg — a) à dunes barkhaniques ; b) à dunes linéaires; c) à
dunes pyramidales ; 3. Isohyetes annuelles en mm.
CENTRAL NAMIB DESERT.
1. Rock outcrops; 2. Erg — a) with barchan dunes; b) with linear dunes; c) with
pyramidal dunes ; 3. Annual isohyets (mm).

vrir ; c'est leur surexploitation qui explique ce déclin et non pas un


phénomène « El Nino », c'est-à-dire d'accidentelles incursions chaudes
du courant NW-SE, dit « d'Angola » (quoi qu'il puisse s'en produire) :
avec la mise en service d'usines flottantes appartenant essentiellement
aux pays de l'Est, au Japon et à l'Espagne, les prises de sardines ont
diminué de 90% entre 1975 et 1984 en dépit de l'extension de la
limite des eaux territoriales à 200 miles nautiques en 1979.
LE DÉSERT DU NAMIB CENTRAL 343

Photo 1 — IMAGE SATELLITAIRE DU NAMIB CENTRAL (345 x 170 km)


SATELLITE PICTURE OF CENTRAL NAMIB
(345 x 170 km) (Landsat 2, n° 2228708131, avril/april 1981)

Si l'effet stabilisant des eaux froides ne fait guère de doute, au


moins sur les très basses couches, M. Leroux (1982, 1983 et 1989) a
fait justement remarquer que les îles du Cap-Vert, d'Ascension et de
Sainte-Hélène, à l'écart des courants froids, étaient moins arrosées à
latitude égale que le littoral du continent africain. Aussi insiste-t-il sur
l'importance qu'il juge décisive d'un facteur « structural », l'inversion de
l'alizé maritime (1973). Sur la façade orientale de l'anticyclone de
Sainte-Hélène, et donc le long du rivage occidental de l'Afrique australe,
ce flux est caractérisé par une stratification très marquée : sa couche
inférieure, fraîche et humide, constituée d'air polaire « récent » dont la
pénétration est limitée aux basses terres côtières par le Grand
Escarpement, est surmontée par l'alizé originaire de l'océan Indien. La
subsidence de ce dernier, ainsi réchauffé et asséché par sa continen-
talisation, bloque le « potentiel précipitable » de l'air atlantique : le
rapport de mélange serait à Walvis Bay de 10 à 12 g/kg dans la couche
inférieure, contre 4 g/kg au sommet de l'inversion (in Leroux, 1983).
Ce déficit de saturation est tel que l'évaporation provoque la disparition
rapide du sommet des stratus, ainsi étalés en « mer de nuages » sous
l'inversion.
Toute ascendance étant bloquée, l'humidité permanente de l'air n'est
que « condensable » à cause de cette stratification aérologique, le désert
r

344 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

mètres
1000-
MM — " ***

800- i k
she de

360m
600; \ atus y
\
\ COU
str
400-

200-

14° 16° 18° 20° 22°


24°C

Fig.AU-DESSUS
3 — STRATIFICATION
DE WALVISMOYENNE
BAY (d'après
DE L'ALIZÉ
Taljaard,MARITIME
1979)
AVERAGE STRATIFICATION PATTERN OF OCEANIC TRADE-WINDS ABOVE WALVIS BAY
(after Taljaard, 1979)

étant « humide », mais « non-pluvieux ». Les éventuelles précipitations


ne peuvent provenir que de la pénétration de dépressions hivernales
d'origine tempérée au sud (exemple d'Alexander Bay en Afrique du Sud
par 28 °S) ou d'effluves estivales de la mousson au nord (exemple de
Namibe, ex-Moçâmedes, en Angola par 15 ''S)1. Mais, comme l'a
souligné M. Leroux (1982), « ces conditions n'intéressent en fait que les
très basses couches et (...) sont susceptibles de modifications parfois
très rapides lors de la pénétration sur le continent » (p. 489),
modifications qu'illustre la figure 6 à la latitude de Swakopmund.
L'origine de l'alizé maritime et la présence permanente d'eaux froides
le long du rivage atlantique expliquent les basses températures de l'air
insolites à ces latitudes : la moyenne annuelle de 15,2 °C à Swakopmund
est inférieure à celle de la station sud-africaine de Pietersburg (17,1 °C)
à 1 283 m d'altitude par 23 °26 S et a fortiori à celle du port brésilien

1. Les données produites par M. Leroux (1989) illustrent le contraste entre ces deux
stations :
J F M A M J J A S O N D Année
Namibe 7 10 17 11 0 0 0 0 0 1 2 2 50 mm
Alexander-Bay 1 1 6 4 7 4 8 4 3 2 2 2 44 mm
LE DÉSERT DU NAMIB CENTRAL 345

15*C 20*C 25*C


\ /

JUILLET A Benguela
JANVIER
A
/ -15*S
Namlbe

' i
< i Cap Frio
) J f\ . J
/ -20*S
/
t
//)( - Walvis Bay

<
/(//f (\(,'t\1
J1f « -25*S
Lûderitz
\\i
I /' \
Port Nolloth
\ • 30'S
v\\ \ *
- Le Cap
( \
fA\ \
\
35#S
10*C iS*C 20*C

Fig. 4 — TEMPÉRATURE DES EAUX DE L'ATLANTIQUE SUD


AU VOISINAGE DE LA CÔTE ET A 200 KM AU LARGE (d'après Hôflich, 1972)
SOUTH ATLANTIC WATER TEMPERATURE
ALONG THE COAST AND 200 KM OFFSHORE (after Hôflich, 1972)

de Santos (23,9 °C) à pareille latitude. « Les échanges thermiques océan-


atmosphère donnent à la couche d'air au contact des caractères
thermiques de type océanique marqués par la pondération et un rythme
annuel original qui reproduit, plus ou moins fidèlement, celui de
l'océan » (Leroux, 1982, p. 489).
A la faveur du déplacement du maximum sud-atlantique dont la
translation latitudinale est d'environ 4°, Swakopmund, située à
l'extrémité méridionale du domaine des pluies estivales, reçoit, de novembre
à mars, 19 mm de pluies de très faible intensité en 51 jours (soit
0,4 mm par chute !). La notion de moyenne est évidemment dépourvue
de signification en raison de l'énorme variabilité interannuelle, de 0 à...
148 mm, la station ayant pu n'enregistrer aucune chute pendant quinze
années consécutives (tableau I).
346 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

Distribution horizontale des températures


18* 17* 16# 15* 14* 13*12' 11'
Anomalie de température
-V -V -3* -4*-5*-6*-7#
18 N N N N N N a

-300

Fig. 5 — COUPE SCHÉMATIQUE AU TRAVERS DE L'OCÉAN ATLANTIQUE ORIENTAL


A LA LATITUDE DE WALVIS BAY (d'après Hidaka, 1972)
SCHEMATIC SECTION THROUGH EASTERN ATLANTIC OCEAN
AT THE LATITUDE OF WALVIS BAY (after Hidaka, 1972)

II arrive en réalité plus d'eau au sol que dans les pluviomètres


officiels. Quoiqu'on ne puisse parler de « précipitations occultes », on
ne saurait, en effet, tenir pour négligeable le rôle biologique des
« humidités de contrebande » selon l'expression de Th. Monod (1973)
qui précise : « Pluviométrie ou pas, statistique ou pas, (...) qui aura vu,
au matin, les regs du Namib au nord de Swakopmund couverts d'un
tapis de lichens orangés et turgescents (...) n'en doutera pas » (p. 183).
C'est, en effet, l'équivalent de 40 à 50 mm de pluie qui est apporté
bon an mal an (150 jours en moyenne) par les rosées et surtout les
brouillards dont la fréquence explique la faiblesse de l'amplitude
thermique annuelle : 4,7° C, soit deux fois moins qu'à Brest (10,2° C).
Quelques chiffres permettent d'apprécier l'importance de ces apports
« clandestins » : entre février 1967 et août 1974, à Swakopmund, W.A.
Nieman et al. (1978) ont calculé que la moyenne annuelle des
précipitations « réelles » se limitait à 12,9 mm avec un coefficient de
LE DESERT DU NAMIB CENTRAL 347

•100%

\ Humidité relative
40'- Précipitations /
moyennes /
annuelles / 60mm t

30* -

40mm- ■50%
Température
20* - moyenne \ -—

/
20mm -
"•■

() 40 80 120km

Fig. 6 — MODIFICATION DU CLIMAT DU NAMIB CENTRAL


EN FONCTION DE LA DISTANCE A LA CÔTE
(d'après les données de L. Lancaster et al., 1984)
MODIFICATION TREND OF CLIMATE IN CENTRAL NAMIB
ACCORDING TO DISTANCE FROM THE COAST
(based on L. Lancaster et al., 1984)

variabilité supérieur à 200 pendant plusieurs mois de l'année, alors que


les « précipitations occultes » s'élevaient à 40,4 mm, le caractère régulier
de leur distribution étant souligné par la remarquable concordance
entre la moyenne et la médiane pour- pratiquement chaque mois de
l'année.
La fréquence des brouillards et l'abondance des rosées, surtout en
été, expliquent qu'une maigre végétation puisse s'installer en l'absence
même de précipitations effectives. Les lichens sont néanmoins les rares
organismes végétaux capables de se contenter de cette humectation
matinale car ils peuvent ensuite se dessécher presque complètement
pendant un ou plusieurs jours et se recharger ensuite en eau à la
rosée suivante. L'humidité relative est donc constamment élevée : à
348 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

TABLEAU 1. — Swakopmund (22°67'S, 14°52'E),


station-type du désert littoral

1 2 3 4
Janvier 17,0 16,5 4 1,1
Février 17,3 17,1 6 2,2
Mars 17,4 15,8 10 3,4
Avril 15,5 14,2 22 1,0
Mai 15,9 13,1 18 1,9
Juin 14,7 12,8 17 0,3
Juillet 13,6 13,0 20 0,3
Août 12,7 12,4 19 0,4
Septembre 13,4 12,6 10 0,7
Octobre 14,5 13,5 9 1,9
Novembre 14,8 14,4 7 0,1
Décembre 16,4 15,9 7 5,2
Année 15,2 14,3 149 18,5
1. Température de l'air en°C
2. Température de l'eau en°C
3. Nombre de jours de brouillards
4. Précipitations en mm

Walvis Bay (22 °57'S), où elle est en moyenne dans l'année de 81 %,


les plus fortes valeurs sont mesurées à la fin de la nuit, entre 3 et 9 h
du matin (87 %). Th. Monod (1973) a su évoquer la maussaderie
climatique de ce « désert humide » : « Le jour commence et finit dans
l'ouate, graduellement. Vers 9 h, le brouillard va s'évaporer au sol et
la visibilité s'améliore. En fin d'après-midi, on se retrouvera dans un
univers opaque et feutré où (...) c'est plus par l'ouïe que par la vue
que l'on prendra contact avec le monde extérieur» (p. 183). Ainsi, à
Walvis Bay, le nombre d'heures d'ensoleillement par jour ne serait que
de 7,2 au cours d'une année moyenne, les valeurs extrêmes étant de
8,1 en mai et de 6,3 en septembre1.
Des vents d'est peuvent momentanément éclaircir le ciel et
s'accompagner de fortes chaleurs (parfois supérieures à 40 °C) : ces bergwinds,
qui peuvent souffler en rafales une cinquantaine de jours par an en

1. S. Daveau (1972), qui a étudié la pénétration de l'extrême aridité namibienne au


long de la côte angolaise, a souligné à Namibe (ex-Moçâmedes) les fortes variations de
l'ensoleillement au cours de la journée : 4 dixièmes à 9 h ; 5,7 à 15 h et 3,8 à 21 h.
LE DÉSERT DU NAMIB CENTRAL 349

moyenne d'avril à septembre, sont liés à une baisse de pression sur le


littoral atlantique à l'approche d'une perturbation du Front Polaire
(Donque, 1970). Leur trajectoire étant perpendiculaire à l'orientation
du Grand Escarpement, leur descente provoque une compression adia-
batique qui les échauffe et les assèche.
Aussi le déficit pluviométrique peut-il s'expliquer par l'interaction
de facteurs d'échelle différente :
— à l'échelle planétaire, la présence de la cellule anticyclonique de
Sainte-Hélène sur l'Atlantique Sud ;
— à l'échelle régionale, le fonctionnement de l'upwelling côtier ;
— à l'échelle locale, l'effet de foehn.
Il apparaît donc quelque peu imprudent d'expliquer l'aridité du
Namib par l'existence du courant de Benguela, et ainsi de la dater.
Découvrant la grande richesse en endémiques de la faune nocturne des
dunes vives du Namib, en particulier des coccinelles de la famille des
Tenebrionidae, Ch. Koch (1962) l expliquait ces spécialisations très
poussées par l'ancienneté de l'aridification qu'il faisait remonter au
Crétacé2. Le Namib fut dès lors considéré comme « le plus vieux
désert du monde », et J.D. Ward et al. (1983) confirment que, depuis
80 Ma, la sécheresse n'a guère cessé de régner sur l'ouest de l'Afrique
australe. Or, ce n'est qu'à partir de l'Oligocène moyen que, selon W.G
Siesser (1978), des indices à la fois sédimentologiques, paléontologiques
et géochimiques indiquent, sur le site D.S.D.P. 362 qui est sous
l'influence directe du courant de Benguela, des remontées d'eaux
fraîches le long de la côte occidentale de la Namibie. Que veut-on
dater précisément ? s'interrogeait justement E.M. van Zinderen Bakker
(1984) : l'adaptation des êtres vivants ? l'aridification du climat ? ou
l'édification de l'erg du Namib ? Cette dernière, qui se placerait au
cours du Pleistocene, ne serait pas plus dépendante de la genèse du
courant froid qu'une accumulation sableuse antérieure (le « Namib
Sandstone ») qui, malgré son caractère azoïque, est présumée d'âge
paléogène et qui daterait relativement l'élaboration de la « plateforme
du Namib » au pied du « Grand Escarpement » (Ward, 1987).

1. La station de recherche de Gobabeb, connue sous le nom de Desert Ecological


Research Unit (D.E.R.U.), fut fondée en 1962 à l'instigation de cet entomologiste autrichien
du Transvaal Museum qui la dirigea jusqu'à sa mort en 1970.
2. On dénombre au moins 22 espèces de scarabées ténébrionides au Namib, alors que
le Sahara ne compterait que deux genres indigènes. Quant à la flore, elle réunit bon nombre
d'endémiques dont le plus célèbre est sans conteste Welwitschia mirabilis, décrit pour la
première fois en 1859, qui est un gymnosperme étalant sur le sol caillouteux deux longues
feuilles rubanées et coriaces.
350 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

//. Le piémont rocheux

Au nord du Kuiseb s'étend une plaine désertique, possédant une


pente occidentale de 0,23 %, dans laquelle se disséminent des reliefs
résiduels de résistance correspondant généralement à des intrusions
granitiques : taillée dans les métamorphites précambriennes, cette
surface d'aplanissement a un aspect caillouteux caractéristique qui permet
d'emblée de soupçonner la responsabilité du vent dans la concentration
relative en surface des éléments grossiers par vannage des matrices
fines. Il s'agit d'un véritable reg en dehors de quelques constructions
élémentaires du type nebka que fixe une maigre végétation halophile :
à de modestes touffes de graminées vivaces qui constituent des pièges
à sable s'accrochent des flèches dunaires dont les dimensions sont
proportionnelles à celles de l'abri sous lequel elles s'allongent dans la
direction des vents efficaces.
Dans une région qui ne dispose pas d'informations de longue durée,
des marques de corrasion éolienne permettent de définir cette direction.
L'usure des surfaces des roches cohérentes par le vent chargé de
matériaux abrasifs est, en effet, capable de façonner des facettes dans
certains types de roches. Si les galets de quartz ne sont affectés par
aucune éolisation, et si les galets schisteux sont impuissants à conserver
les marques de la corrasion, les meilleurs exemples de ventifacts sont
fournis par les dolérites1. Les surfaces affectées par la corrasion offrent
un lustre remarquable et montrent des facettes concaves dont
l'orientation indique la direction du vent dominant (photo 2). C'est la méthode
utilisée par MJ. Selby (1977) qui, à partir de mesures portant sur cent
échantillons répartis dans six sites différents, a montré la primauté des
vents du NE dans le transport des sables abrasifs puisque 93 % des
facettes sont imputables à leur action. L'importance de cette orientation
qui, en position interne, s'explique par la vigueur des « bergwinds » en
hiver, se trouve confirmée par l'étalement de minces nappes de sable
sur les versants au vent des principaux reliefs résiduels où elles sont
susceptibles de grimper très haut, jusqu'à 90 m et sur une pente de
18° de l'inselberg d'alaskite de Rôssing, par exemple, où ce phénomène
d'aspersion est le plus visible.
Les roches cohérentes qui parsèment la plaine rocheuse conduisent
à s'interroger sur l'efficacité des différents processus de fragmentation.
Le rôle de la gélifraction étant exclu, les extrêmes absolus étant à
Swakopmund de 37,5 °C et de 3,4 °C, les premières observations réunies
par A.F. Calvert (1916) attribuaient à la thermoclastie une grande

1. Il ne s'agit pas nécessairement de dreikanters puisque ces blocs éolisés montrent un


nombre variable de facettes convergentes se recoupant selon des arêtes vives. Aussi utilisons-
nous le vocable de « ventifact » qui ne préjuge pas de la forme des éléments rocheux mais
ne laisse aucun doute sur l'agent de leur façonnement (quoique le Vocabulaire de la
Géomorphologie du C.I.L.F. en ait curieusement fait un terme d'origine anglaise...).
LE DÉSERT DU NAMIB CENTRAL 351

Photo 2 — VENT1FACTS DOLÉRITIQUES


DOLERITIC VENTIFACTS (Y. Lageat)

efficacité : « des masses énormes de sable sont libérées par de violentes


et soudaines variations thermiques affectant des granites, des gneiss et
d'autres roches. On dit que lors d'une nuit froide, succédant à une
chaude journée, l'éclatement des roches sonne comme le crépitement
d'une mousqueterie » (in Goudie, 1972). D'autres chercheurs ont
postérieurement privilégié ce processus en réexaminant les modalités de
son fonctionnement : c'est le cas de E. Kaiser (1926) qui insiste sur
l'effet de refroidissement provoqué par une averse sur des roches
fortement échauffées (Kernspriinge). Une profonde révision du rôle de
la thermoclastie a suivi les travaux expérimentaux menés au cours des
années trente mais, en fait, aucun protocole n'a permis jusqu'ici de
reproduire in vitro les forces de tension affectant des volumes rocheux.
Si ce processus, invoqué par M. Derruau (1963) dans le Sahara
occidental où « dilatations et contractions développent dans la roche des
tensions qui peuvent aboutir à l'éclatement », a récemment été réhabilité
par A. Mietton (1988) en domaine tropical à saisons contrastées, il n'en
demeure pas moins que les amplitudes thermiques diurnes sont
singulièrement modestes au Namib en raison de son atmosphère
poisseuse ; des températures élevées sont certes enregistrées à l'occasion
des « bergwinds » qui éclaircissent momentanément le ciel, mais les
brusques coups de chaleur liés à ces effets de fœhn aggravent la
352 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

sécheresse et, de ce fait, ne sont jamais accompagnés d'averses


susceptibles de provoquer un choc thermique sur les roches échauffées.
Désert extrême si l'on ne tient compte que des précipitations sous
forme de pluies, le Namib n'est par contre qu'un désert atténué sur le
plan thermique. Le gel étant inconnu et le rôle de la thermoclastie
n'ayant pas été démontré, le seul processus de fragmentation que l'on
puisse raisonnablement invoquer est l'haloclastisme, le Salzsprengung
(littéralement, l'« éclatement par le sel »), phénomène décrit par
H. Mortensen (1933) dans le désert chilo-péruvien qui possède la même
atmosphère climatique. Les brouillards restent fréquents jusqu'à une
distance de 110 km de l'océan Atlantique, même si le montant des
apports diminue naturellement vers l'intérieur des terres : il ne serait
que de quelque 20 mm à une quarantaine de kilomètres du littoral
(Goudie, 1972), quoique, à la station de Vogelfedersberg, dôme
granitique du Namib central, culminant à 500 m et situé à 50 km de la
mer, les brouillards apporteraient bon an mal an l'équivalent de 183 mm
de précipitations, alors qu'on n'en totalise en réalité que 23 mm
(Lancaster et ai, 1984).
Quelques mesures, même si elles doivent être prises avec quelque
prudence, suggèrent une forte teneur en sels de ces brouillards :
— quatre analyses de précipitations « occultes » recueillies à Walvis
Bay, à Rooibank (2) et à Gobabed ont montré que la quantité totale
de sels dissous s'élevait respectivement à 9 860, 1 260, 795 et 1 775
mg/1 (Koch, in Goudie, 1972) ;
— à Swakopmund, les apports annuels de sels ont été évalués à
120 kg/ha (chiffre qui se compare favorablement à ceux qui ont été
mesurés sur le littoral israélien) et, à 50 km du littoral, le saupoudrage
représente encore la moitié de ce total (Eriksson, 1958) ;
— comme l'a souligné P. Birot (1981), « la situation la plus favorable
à l'haloclastisme se trouve dans les déserts océaniques où une nappe
de stratus matinaux pénètre jusqu'à plusieurs dizaines de km à
l'intérieur des terres. Les brouillards sont très riches en poussières salines :
244 mg de Cl par litre d'eau sur la côte du Namib ; 20 g de NaCl se
précipitent par an et par mètre carré sur une largeur de 50 km »
(p. 82).
G. Beaudet et P. Michel (1978) ont confirmé la grande efficacité de
l'haloclastisme jusqu'à 400-500 m d'altitude, limite qui « correspond à
peu près au " plafond " du désert brumeux et à l'inversion thermique,
du moins pendant l'hiver austral » (p. 64). Selon ces mêmes auteurs,
les roches les plus sensibles à son action sont les schistes et les quartz
filoniens, « littéralement pulvérisés en esquilles, en sables et en limons »
(p. 80), alors que les basaltes et gabbros y sont rebelles. Les granites
semblent occuper une position intermédiaire dans l'échelle de résistance
à ce processus de fragmentation quoique leurs affleurements soient
taraudés de microformes de désagrégation (« nids d'abeille » et taffonis).
LE DÉSERT DU NAMIB CENTRAL 353

Photo 3 — PLAGE SOULEVÉE DE ROOIKOP A GALETS


FRAGMENTÉS PAR L'HALOCLASTISME
ROOIKOP RAISED BEACH FEATURING SALT-SHATTERED PEBBLES (Y. Lageat)

Le sulfate est le principal constituant des solides dissous, et on sait


grâce aux travaux expérimentaux qu'il constitue le sel le plus efficace,
sous forme de sulfate de sodium et de sulfate de magnésium. Le
protocole établi par P. Birot (1954), à savoir l'application fréquente
d'une mince pellicule d'eau riche en sels suivie d'une rapide evaporation,
coïncide remarquablement avec les conditions naturelles, l'hydratation
ultérieure, c'est-à-dire l'absorption des molécules d'eau par les cristaux,
provoquant leur gonflement qui développe des pressions élevées,
comprises entre 240 et 300 kg/cm2.
La confirmation de l'importance de ces apports est fournie par la
grande extension des surfaces carapaçonnées par des croûtes gypseuses
qui sont indépendantes de leurs supports quelle qu'en soit la nature.
L'explication réside dans un saupoudrage éolien de poussières salines,
suivi de phénomènes de dissolution et de recristallisation qui peuvent
épigéniser les abondants encroûtements calcaires hérités de périodes
de semi-aridité. Une terrasse marine reposant à + 17 m à Rooikop sur
une éolianite en fournit un remarquable exemple (photo 3). Cette
terrasse est aujourd'hui surmontée d'édifices dunaires linéaires qui
marquent l'extrême — et récente — avancée du désert sableux.
354 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

///. L'erg du Namib

Une des preuves les moins contestables de l'importance des


variations climatiques quaternaires en Afrique méridionale est l'extension
considérable de vastes champs de dunes « vêtues » sous des climats
qui ne se prêtent plus à la mobilisation des sables. Une seule exception :
l'erg vif du Namib qui, couvrant 34 000 km2 et large de 50 à 150 km,
s'étend sur près de 300 km entre les latitudes de Lùderitz et de Walvis
Bay (soit entre le 27 °S et le 24 °30'S).
On parle souvent à son propos de « sand sea », alors que cette
expression désigne en fait un ensemble inorganisé dont l'orientation
varie à chaque tempête. Au contraire, ce qui frappe ici, c'est le caractère
structuré de cet édifice sableux que met en évidence l'image satellitaire.
Cette dernière permet de distinguer trois bandes parallèles d'inégale
largeur l (figure 2) :
— à l'ouest, sur une profondeur de 5 à 30 km le long de la côte
atlantique, un système serré de dunes barkhaniques présentant une
direction dominante SW-NE de leur axe transversal et atteignant une
hauteur maximale de 65 m ;
— au centre, jusqu'à 90 km du littoral, un dispositif linéaire large
d'une soixantaine de kilomètres de cordons longitudinaux (silks) orientés
principalement N9 °W : leur largeur est comprise entre 600 et 900 m,
leur hauteur se tient entre 50 et 150 m, et leur espacement est de
1 500 à 2 500 m, les couloirs interdunaires n'étant occupés que par de
petites barkhanes lorsqu'ils ne sont pas dépourvus de sable ;
— à l'est, à une distance de l'océan pouvant par endroits atteindre
150 km, un système réticulé, d'une quarantaine de km de largeur
maximale, dominée par des dunes pyramidales qui comptent parmi les
plus hautes du monde : jusqu'à 250 à 275 m, selon F. Jaeger (1939),
« ce qui est, même sahariennement parlant, énorme et exigerait
vérification » (Monod, 1973, p. 183) ; cette vérification a été effectuée par
N. Lancaster (1989) qui leur attribue une hauteur comprise entre 200
à 350 m autour du Sossus Vlei2.
La compréhension de ce dispositif méridien passe par l'examen du
contexte aérodynamique, étant entendu que l'étude statistique des vents
pour chacune des seize directions du compas permet de calculer le
vecteur résultant ; encore convient-il de ne pas seulement considérer la

1. Le grand saharien qu'était R. Capot-Rey (1970) avait très tôt perçu le grand parti
qui pouvait être tiré de la télédétection, écrivant que, « lorsque les dunes se groupent, elles
présentent des formes complexes au milieu desquelles le voyageur sur son chameau n'aperçoit
que désordre et chaos », et qu'on « a même souvent de la peine à reconnaître sur les photos
d'avion un relief organisé ». Aussi conseillait-il l'utilisation « d'échelles plus petites, le
1/500 000 par exemple, ou des photos prises de satellites, pour reconnaître certains dispositifs
qui caractérisent le relief d'une contrée » (pp. 5-6).
2. Selon M. Mainguet et M.-C. Chemin (1984), les plus hauts édifices sahariens
n'excéderaient pas, en effet, 350 m, ce chiffre étant probablement dépassé dans les déserts
chinois et le Lut iranien.
LE DESERT DU NAMIB CENTRAL 355

fréquence des vents dans ces différentes directions mais d'envisager


leur capacité de transport en fonction de leur puissance. Les roses de
vent des stations intérieures situées au nord du Kuiseb permettent de
calculer une résultante SW, alors qu'au sud de ce cours d'eau,
l'orientation est prioritairement NNW et NNE.
— L'axe de symétrie des chaînes barkhaniques occidentales est
orienté perpendiculairement à de forts vents monodirectionnels du SW
et la comparaison des photographies aériennes sur une période de
quarante ans montre l'ampleur de leur migration vers le nord-est qui
a pu atteindre plusieurs centaines de mètres ;
— cette primauté des vents de secteur sud s'atténue dans la partie
centrale où les dunes linéaires obéissent à un régime bimodal de vents
de moindre énergie dont l'écart directionnel est nécessairement inférieur
à 180°: 60 à 80% des flux sont de secteur SSW, 15 à 20% du NE,
l'allongement se faisant automatiquement dans le sens de la résultante
des vents ' ;
— quant aux dunes pyramidales orientales de type ghourdique, qui
occupent près de 10 % de la surface de l'erg, la divergence de leurs
branches est la réponse à un régime anémométrique sans direction
dominante.
« Pour comprendre la genèse de l'erg du Namib, il est nécessaire
que des études sédimentologiques précisent d'abord l'origine de ses
sables », écrivaient G. Beaudet et P. Michel (1978). En fondant son
argumentation sur un large échantillonnage, M. Mainguet (1976) rejette
l'hypothèse selon laquelle ces vastes accumulations dunaires
résulteraient du simple remaniement sur place d'accumulations dunaires. On
ne peut pas plus y souscrire dans le cas du Namib quoique la basse
surface sur laquelle s'est construit l'erg, la « plateforme du Namib »,
représente une topographie à contre-pente par rapport au transport
dominant du sable2. Le calcul des résultantes permet de situer la
source essentielle du matériel au sud-ouest (fig. 7, in Lancaster, 1985),
et la plupart des auteurs s'accordent à penser qu'il dérive des alluvions
apportées à la mer par le fleuve Orange et prises en charge par la
dérive littorale, l'édification de l'erg ayant été probablement favorisée
par les régressions eustatiques et le renforcement des vents durant les

1. Si H. Besler (1980) distingue quinze variétés de dunes linéaires, elle reconnaît, à la


suite de M. Mainguet (1976), qu'elles se sont toutes constituées à partir d'un « module
initial », le sif qui est une dune allongée à crête aiguë. Les silks, qui sont des cordons
sableux dûs à la juxtaposition de sifs selon une direction unique, doivent être soigneusement
distingués, selon M. Mainguet (Ibid.), des dunes longitudinales, de type sandridges, dont l'axe
est conforme à la direction d'un vent dominant.
2. Le dépouillement de l'abondante bibliographie souligne l'homogénéité typique du
matériel éolien mobilisé. Six échantillons prélevés au voisinage de Rooibank permettent d'en
préciser les traits essentiels : une primauté du quartz qui constitue 90 % des constituants
minéraux ; la finesse des grains dont les calibres ne dépassent pas 800 \im ; un triage très
poussé puisque 75 % du poids total de chaque échantillon analysé ont été retenus sur les
tamis de 200 à 315 p.m. Aussi les courbes cumulatives qui montrent une très longue section
verticale appartiennent-elles à la famille caractéristique des dépôts très homométriques.
356 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

24»S

Fig. 7 — DÉBIT SOLIDE DES VENTS (masse de sable traversant une section verticale de
1 m de largeur et de hauteur illimitée) EN t/m/an (d'après N. Lancaster, 1985)
AEOLIAN SEDIMENT YIELD (t/m/year) (after N. Lancaster, 1985)

maxima glaciaires. La couleur des grains de quartz est, en l'occurrence,


riche d'enseignements puisque, de rouge à l'est, elle passe à l'orange
au centre, alors qu'elle est beaucoup plus pâle dans la bande côtière.
En l'absence de toute lithochromie, cette couleur est attribuée à une
pellicule d'oxyde de fer et, en principe, une dune est d'autant plus
ancienne que son sable témoigne d'une oxydation plus poussée et qu'il
est de teinte plus foncée. La provenance du sable se trouve ainsi
confirmée, si les minéraux lourds laissaient sur ce point la moindre
ambiguité (Lancaster et Oilier, 1983).
Cet erg représente une construction complexe dont l'histoire s'éta-
LE DÉSERT DU NAMIB CENTRAL 357

lerait sur l'ensemble du Pleistocene comme en témoignent les


vicissitudes du drainage : le cours d'un certain nombre de rivières
intermittentes a été tronqué par la migration vers le nord des dunes
linéaires. C'est le cas du Tsondab qui se perd aujourd'hui dans une
dépression fermée, le Tsondab Vlei, distant de 90 km du littoral et
dans laquelle se sont déposés 12 m de sédiments fins : le long de ce
cours d'eau, qui aurait pu atteindre l'Océan atlantique vers 200 000
B.P., des dépôts fluviaux sont observables à l'ouest du terminus actuel.
Ainsi, à 50 km de ce dernier, M.K. Seely et B.H. Sandelowski (1974)
ont obtenu sur des coquilles de mollusques d'eaux douces deux datations
à 14C qui indiquent la position de la playa terminale vers 14 000 B.P. :
la vallée a été postérieurement bloquée par l'avancée de cinq ou six
dunes d'une centaine de mètres de hauteur et la playa a reculé jusqu'à
sa position actuelle pendant l'Holocène. De la même façon, c'est dans
le Sossus Vlei au centre du désert sableux que se perdent les eaux
d'un cours d'eau temporaire qui traverse l'erg sur 80 km avant d'être
barré par des dunes qui s'élèvent quelque 300 m au-dessus de son lit.
Le débit de ces oueds est évidemment fonction de la taille de leurs
bassins-versants par ailleurs homogènes sur le plan climatique. Aussi
le problème ne se pose-t-il pas dans les mêmes termes pour le Tsondab
dont la superficie du bassin-versant est près de trois fois moins vaste
(5 780 contre 16 896 km2) que celle du Kuiseb qui matérialise le contact
entre le désert sableux et le désert rocheux. Il est certes possible que
la limite septentrionale du champ dunaire ne coïncide que fortuitement
avec cet organisme temporaire, mais il semble que sa progression soit
contrariée à la fois par le rôle de blocage exercé par les vents du NE
qui balaient la plaine rocheuse et par la répétitivité des crues du
Kuiseb qui emportent le sable à mesure qu'il en obstrue le lit (photo
4). Toutefois, l'écoulement, annuel dans son cours moyen, n'atteint que
rarement l'océan Atlantique — environ une fois tous les huit ans
(quinze fois de 1837 à 1963) selon H. Spreitzer (1963) — , ce qui
explique la déviation — de l'ordre de la trentaine de kilomètres en
direction du nord-ouest — de l'embouchure du Kuiseb qui, dans sa
section inférieure, loin de bloquer l'avancée des dunes, ne peut qu'en
suivre la progression qui se fait à une vitesse maximale de 2 m/an,
selon les mesures effectuées par J.D. Ward (comm. orale). Si les travaux
de pompage effectués à Rooibank depuis 1951 rendent désormais plus
difficile encore l'accès à la mer, il se réalisa néanmoins en mars 1976
quand, en l'espace de 36 heures, Walvis Bay reçut 66 mm de
précipitation, soit l'équivalent de quatre années moyennes ; le phénomène se
renouvela en avril 1988 quand nous visitâmes la région et lorsque, en
une nuit, 104 mm furent recueillis dans le pluviomètre d'une ferme au
pied du Grand Escarpement (Ward, in litteris, 20 avril 1989).
C'est l'occasion de souligner, à propos du caractère spasmodique de
l'écoulement, que, pour les organismes des régions arides, de telles
358 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

Photo 4 — VALLÉE DU KUISEB A LA LIMITE SEPTENTRIONALE DE L'ERG


KUISEB VALLEY, ON NORTHERN EDGE OF REG (Y. Lageat)

crues, qui peuvent prendre la forme d'écoulements boueux, représentent


le seul mode d'activité lors de pluies suffisamment abondantes et
durables. On retiendra l'exemple du Swakop qui, à l'occasion d'une
averse séculaire ayant totalisé 153 mm en 1934, soit près de dix fois
le total annuel enregistré à Swakopmund, apporta à l'océan 35 millions
de m3 de sédiments responsables d'une avancée de la côte de l'ordre
du kilomètre (in Goudie, 1972) : il fallut attendre une décennie pour
que la ligne de rivage retrouvât sa position antérieure.
L'évolution des régions hyperarides est de toute évidence
commandée par de tels excès ; elle ne s'inscrit nullement dans les moyennes
qui suggèrent fallacieusement son assoupissement. Dans le
prolongement d'une hyperaridité qui a persisté tout au long du Pleistocene,
comme en témoigne l'uniformité des palynofaciès tout au long de deux
séquences de sédiments marins (Caratini et Tissot, 1983 ; Van Zinderen
Bakker, 1984), le désert du Namib demeure, sur le plan morphogénique,
un milieu vivant.

Nos remerciements s'adressent à A. Godard, Professeur à l'Université de Paris I,


qui, en tant que directeur de l'URA 141, nous a permis en avril-mai 1988 de
participer à un stimulant voyage d'études en Afrique australe à la suite d'un
colloque international qui se tint à Umtata, à J.D. Ward du Geological Survey
du Sud-Ouest africain qui nous a introduit à la géomorphologie du Namib, à
LE DESERT DU NAMIB CENTRAL 359

C.R. Twidale, Professeur à l'Université d'Adélaïde, qui fut notre compagnon sur
le terrain et qui nous a fait bénéficier de sa riche expérience. Ils vont également
à M. Leroux, Professeur à l'Université de Lyon III, qui a bien voulu nous faire
part des critiques que la lecture d'une ébauche de cet article lui a inspirées, et
à Mme M. Mainguet, Professeur à l'Université de Reims, pour ses remarques
judicieuses qui ont permis d'améliorer une deuxième mouture.

Références

Beaudet G. et Michel P., Recherches géomorphologiques en Namibie centrale.


Recherches géographiques à Strasbourg, Association Géographique d'Alsace, 1978,
139 p.
Besler H., The development of the Namib dune field according to sedimentological
and geomorphological evidence, p. 445-453, in J.C. Vogel éd., Late Cainozoic
palaeoclimates of the Southern Hemisphere, A.A. Belkama, Rotterdam-Boston, 1984,
520 p.
Birot P., Désagrégation des roches cristallines sous l'action des sels. C.R. Acad. Sci.,
t. 238, 1954, p. 1 145-1 146.
Birot P., Les processus d'érosion à la surface des continents. Masson & Cie, Paris, 1981,
607 p.
Capot-Rey R., Remarques sur les ergs du Sahara. Ann. de Géogr., n°431, 1970, p. 2-
19.
Caratini C. et Tissot C, Persistance de l'aridité en Namibie au cours du Pleistocene
d'après l'étude palynologique de la Ride de Davis (D.S.D.P., Log 40, site 362).
Trav. et Doc. de Géogr. tropicale, n°49, 1983, p. 135-146.
Daveau S., Contribution à l'étude climatique du désert côtier d'Angola. Etudes de
géographie tropicale offertes à Pierre Gourou, Mouton, Paris-La Haye, 1972, p. 263-
278.
Derruau M., Quelques analyses granulométriques de limons du Sahara occidental.
Travaux de l'Institut de Recherches Sahariennes, t. XXII, 1963, p. 155-162.
Donque G., Types de temps hivernaux sur l'Afrique du Sud. Madagascar, Revue de
Géographie, n° 16, 1970, p. 83-104.
Eriksson E., The chemical climate and saline soils in the arid zones. U.N.E.S.C.O.,
Arid Zone Research, vol. 10, Reviews of Research, 1958, p. 147-180.
Gamble F.M., Rainfall in the Namib Desert Park. Madoqua, vol. 12, n° 3, 1980, p. 175-
180.
Goudie A., Climate, weathering, crust formation, and fluvial features of the Central
Namib Desert, near Gobabed, South West Africa. Madoqua, vol. 1, n° 54-62, 1972,
p. 15-28.
Guilcher A., Problèmes climatico-océanographiques du désert côtier d'Angola,
particulièrement à la Baie des Tigres (16°35'S). Norois, n°116, 1982, p. 507-517.
Jones P.G.W. et Bang N.D., The Southern Benguela current region in February 1966.
Deep Sea Research, vol. 18, 1971, p. 193-224.
Hidaka K., Physical oceanography of upwelling. Geoforum, n° 11, 1972, p. 9-21.
Hôflich O., Die meteorologischen Wirkungen kalter Auftribswassergebiete. Geoforum,
n°ll, 1972, p. 35-46.
Jaeger F., Die Trockenseen der Erde. Petermanns Mitteilungen, Ergânzunsheft 236,
1939, 156 p.
Kaiser E., Die Diamantenwùste Sûdwestafrikas. Dietrich Riemer, Berlin, 2 vol., 1926,
345 p.
360 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

Koch C, The Tenebrionidae of Southern Africa : comprehensive notes on the tenebrionid


fauna of the Namib Desert. Annals of the Transvaal Museum, vol.24, 1962, p. 61-
106.
Lancaster N., Spatial variations in linear dunes morphology and sediments in the
Namib Sand Sea. Palaeoecology of Africa, vol. 15, 1982, p. 173-182.
Lancaster N., Winds and sand movements in the Namib sand sea. Earth Surface
Processes and Landforms, t. 10, 1985, p. 607-619.
Lancaster N., Star dunes. Progress in Physical Geography, vol. 13, n° 1, 1989, p. 67-91.
Lancaster J., Lancaster N. et Seely M.K., Climate of the central Namib Desert.
Madoqua, vol. 14, n° 1, 1984, p. 5-61.
Lancaster N. et Oilier CD., Sources of sand for the Namib sand sea. Z. Geomorph.,
Suppl.-Bd. 45, 1983, p. 71-83.
Leroux M., Les alizés. Bull. Assoc. Géogr. Franc., n°410, 1973, p. 627-634.
Leroux M., Températures marines et précipitations sur les littoraux de l'Afrique
tropicale. Norois, n°116, 1982, p. 479-497.
Leroux M., Le climat de l'Afrique tropicale. Paris-Genève, H. Champion éd., 1983, 1. 1 :
633 p. + 350 fig., t. II : atlas de 250 cartes.
Leroux M., La circulation tropicale et ses conséquences climatiques. Cahiers d'Outre-
Mer, t. 42, n° 165, 1989, p. 5-28.
Leroux M., Interprétation météorologique des changements climatiques observés en
Afrique depuis 18 000 ans. A paraître dans Géo-Eco-Trop.
McKee E.D. éd., A study of global sand seas. Geol. Surv. Prof. Paper, n° 1 052,
Washington, 1979, 429 p.
Mainguet M., Propositions pour une nouvelle classification des édifices sableux éoliens
d'après les images des satellites Landsat I, Gemini, Noaa 3. Z. Geomorph., Bd 20,
H. 3, 1976, p. 275-296.
Mainguet M. et Chemin M.-Ch., Les dunes pyramidales du Grand Erg oriental. Trav.
Inst. Géogr. Reims, n° 59-60, 1984, p. 49-60.
Mietton M., Dynamique de l'interface lithosphère-atmosphère au Burkina Faso. L'érosion
en zone de savane. Thèse d'Etat, Univ. de Grenoble I, 1988, 511p. + 227 p.
d'annexés.
Monod Th., Les déserts. Horizons de France, Paris, 1973, 247 p.
Mortensen H., Die « Salzsprengung » und ihre Bedeutung fur die regionalklimatische
Gliederung der Wùsten. Petermanns Mitteilungen, 1933, p. 130-135.
Nieman W.A. et ai, A note on precipitation at Swakopmund. Madoqua, vol. 11, n° 1,
1978, p. 69-73.
Seely M.K. et Sandelowsky B.H., Dating the regression of a river's end point. S. Afr.
Archaeol. Bull., Goodwin Series 2, 1974, p. 61-64.
Selby M.J., Paleowind direction in the Central Namib Desert as indicated by ventifacts.
Madoqua, vol. 10, n° 3, 1977, p. 195-198.
Siesser W.G., Age of phosphorite on the South African continental margin. Mar. Geol.,
vol. 26, n° 1, p. 17-28.
Smith R.L., Les remontées d'eau profonde, source de vie des océans. La Recherche,
vol. 9, n°93, 1978, p. 855-863.
Spreitzer H., Die Zentrale Namib. Mitteilungen der Ôsterreichischen Geographischen
Gesellschaft, Bd 105, H. III, 1963, p. 340-356.
Taljaard J.J., Low level atmospheric circulation over the Namib. S. Afr. Newsletter,
Weather Bureau, n°361, 1979, 65 p.
Van Zinderen Bakker E.M., Aridity along the Namibian coast. Palaeozcology of Africa,
vol. 16, 1984, p. 149-160.
Ward J.D., The Cenozoic succession in the Kuiseb Valley, central Namib desert. Geol.
Survey, South West Africa/Namibia, Memoir 9, 1987, 124 p.
Ward J.D., Seely M.K. et Lancaster N., On the antiquity of the Namib. S. Afr. J. ScL,
vol. 79, 1983, p. 175-183.

Vous aimerez peut-être aussi