Vous êtes sur la page 1sur 9

Marchal M2 S3

Elric Études cinématographiques

Séminaire de Laboratoire
Arts et Enjeux Contemporains

Briser le 4ème mur dans les séries TV

L'expression « quatrième mur » nous vient de Denis Diderot dans Discours sur la Poésie
Dramatique (1758), dans cet ouvrage, le philosophe explique qu'au théâtre, en plus des trois murs
du décor, il existe un quatrième mur virtuel entre les acteurs et les spectateurs, il se situe entre le
plateau et la salle. La présence de ce mur permet au spectateur de théâtre de créer une frontière
entre lui et la fiction. La pièce se joue devant lui mais, il ne peut pas intervenir dedans car cette
frontière existe. Le quatrième mur participe à la construction, entre le spectateur et l’œuvre, d'un
« contrat narratif » tel que définit par Gabrielle Gourdeau 1, contrat qui comporte une clause
spécifiant l'existence d'un mur infranchissable entre la pièce et le spectateur. L'action de briser ce
quatrième mur signifie donc qu'un personnage de la pièce qui se joue va directement s'adresser aux
spectateurs et ainsi rompre le contrat narratif. Malgré la rupture du contrat narratif, briser le
quatrième mur peut avoir certains avantage, comme celui d'impliquer le spectateur dans l’œuvre en,
en faisant un acteur de la dite l’œuvre. Pour le dramaturge Bertolt Brecht, le quatrième mur est un
escamotage de la réalité qui entrave la participation affective du public et le briser permet de
prendre en compte une réalité qui est que la pièce est jouée devant un public et que ce dernier n'est
pas « derrière un trou de serrure » mais dans une salle de théâtre 2. Bien que la théorisation de ce
quatrième mur date du XVIIIème siècle avec Diderot, et que son utilisation soit devenue très
populaire chez des dramaturges du théâtre de l'absurde tel que Brecht ou Ionesco, on retrouve des
pièces brisant ce quatrième mur dès le théâtre antique comme La Marmite de Plaute (254 avant J-
C). Au cinéma, et par extension dans la série TV, le quatrième mur serait l'objectif de la caméra. Si
le regard caméra était habituel dans le cinéma des premiers temps, il est rapidement devenu prohibé
avec l’institutionnalisation du cinéma. Il faudra attendre des films de l'ère dite moderne et leur
volonté de s'affranchir des règles établies par l'ère dite classique du cinéma pour que des regards
caméra se fassent de nouveau. Nous pouvons citer l'un des exemples les plus fameux qui est présent
dans Un Été avec Monika d'Ingmar Bergman (1953) ou alors que le personnage éponyme s'apprête
à tromper son mari, elle adresse un regard à la caméra et donc au spectateur. À la télévision, la
1 Gourdeau, Gabrielle, Analyse du Discours Narratif, Boucherville, Gaëtan Morin éditeur, 1993
2 Brecht, Bertolt, L'Achat du Cuivre, 1939-40, Écrits sur le théâtre, I, L’Arche, 1972, pp. 551-557
rupture du quatrième mur se fait depuis les années 30 avec la série The Jack Benny Program (1932
– 1955) mais c'est dans les années 90 que cela va devenir un trope d'un certains genre de série : la
série adolescente, genre dans lequel nous suivons des personnages adolescents grandir au fil des
saisons. Nous pouvons citer entre autres : Parker Lewis ne Perd Jamais (1990 – 1993), Le Prince
de Bel-Air (1990 – 1996) ou encore Sauvé par le Gong (1989 – 1993). La série adolescente étant le
genre d'une des série qui va nous intéresser ici : Malcolm (2000 – 2006). Nous allons donc nous
pencher ici sur l'affranchissement du quatrième mur dans 4 séries. Dans un premier temps, nous
verrons comment deux séries comiques brisent le quatrième mur, ces séries étant Malcolm et
Fleabag (2016 – 2019). Puis, dans un second temps, nous étudierons la rupture du quatrième mur
dans deux séries fantastiques ayants la particularité d'être créé (ou en partie créé) par des cinéastes
ayants précédemment eu un parcours sur le grand écran, ces séries étant ; Twin Peaks (1990 – 2017)
crée par David Lynch et Mark Frost, et L’Hôpital et ses Fantômes (1994 – 2022) crée par Lars Von
Trier.

Commençons par étudier la rupture du quatrième mur dans Malcolm et Fleabag.

Malcolm (Malcolm in the Middle) est une série comique américaine de sept saisons crée par
Linwood Boomer et diffusée sur la chaîne FOX de 2000 à 2006. En France, la série a été
originellement diffusée sur Série Club puis sur les chaînes du groupe M6, sur lesquelles elle est
régulièrement rediffusée depuis son arrêt. Nous retrouvons au casting, Bryan Cranston, Jane
Kaczmarek, Frankie Muniz, Justin Berfield, Erik Per Sullivan et Christopher Kennedy Masterson.
Elle nous présente le quotidien d'une famille de la classe moyenne américaine, le personnage
principal étant Malcolm, interprété par Frankie Muniz, troisième frère d'une fratrie de cinq frères.
Lors de l'épisode pilote, nous apprenons que Malcolm est un enfant surdoué et qu'il doit intégrer
une classe spéciale pour les élèves de son niveau. Malcolm est le narrateur de la série et s'adresse
régulièrement au spectateur en brisant le quatrième mur. Pour cela, il se tourne vers la caméra et
parle à cette dernière. Durant ces cours passages qui se situent généralement en début d'épisodes ou
après la coupure publicitaire, Malcolm donne du contexte sur sa famille ou encore des explications
ce qu'il a pu se passer entre deux épisodes par exemple s'il a trouvé un travail ou si un de ses frères
a une petite amie. Ces petits passages permettent aux spectateurs de connaître directement la
situation de la famille et quel sera le statu quo de l'épisode. Pour ceux situés après la coupure pub,
ils permettent aux spectateurs de se remettre dans le contexte de l'épisode après la coupure ou pour
ceux qui auraient rater le début de l'épisode de comprendre ce contexte. Il est important de noter
que lors de ces passages l'action ne se coupe pas pour les autres personnages bien qu'ils n'ont pas
conscience que Malcolm parle à la caméra. Le fait que Malcolm brise le quatrième mur en
s'adressant aux spectateurs permet de créer une proximité entre le public et la cellule familiale
présentée dans la famille. En s'adressant à nous, le personnage nous intègre presque à sa famille, les
passages où il nous parle étant souvent au cœur même de leur maison, durant des scènes de vie
quotidienne comme des repas. Dans la narration, le fait que ce soit Malcolm qui s'adresse au
spectateur peut s'expliquer par l'intelligence de ce dernier. Le fait qu'il nous vois, nous spectateur, et
nous parle pourrait être un prolongement de son « génie ». Malcolm est tellement intelligent qu'il
parvient à comprendre qu'il est dans une fiction et à voir les mécanismes de cette dernière comme la
caméra ou même le spectateur derrière son écran.

Fleabag est une série anglaise crée par l'interprète du personnage éponyme, Phoebe Waller-Bridge
pour la chaîne BBC Three, diffusée entre 2016 et 2019, en France et dans le reste du monde elle a
été diffusée via la plate forme Amazon Vidéo. Hormis Phoebe Waller-Bridge, nous retrouvons au
casting des proches de Fleabag Sian Clifford, Brett Gelman, Bill Paterson, Olivia Colman, puis dans
la saison deux Andrew Scott, personnage qui prendra une place importante durant cette saison.
La série nous raconte le quotidien de Fleabag, une trentenaire propriétaire d'un café londonien qui
doit faire face au deuil de son amie récemment décédée. Nous la suivrons dans ses différentes
frasques familiales et amoureuses tout au long des deux saisons. À l'instar de Malcolm, seul le
personnage principal brise le quatrième mur tout au long de la série et les autres personnages ne
semblent pas remarquer que Fleabag s'adresse aux spectateurs à l'exception d'un sur lequel nous
reviendrons plus tard. Sauf que, contrairement à Malcolm, dans Fleabag nous ne suivons pas une
famille entière, mais uniquement un personnage. Si nous sommes amenés à voir les membres de la
famille de Fleabag au cours de la série, ils n'en sont jamais les protagonistes et nous restons tout le
temps du point de vue de Fleabag. Là où dans Malcolm, il arrivait que l'on suive un autre membre
de la famille durant l'épisode (une partie complète des épisodes est même dédiée aux aventures de
Francis l’aîné de la fratrie envoyé en école militaire avant que celle-ci ne débute). Durant ces
passages où Fleabag nous parle elle nous donne le fond de sa pensée sur ce qui est en train de se
passer. Ces passages ne sont pas de simples mises en contexte sur l'épisode mais, servent au
développement du personnage principal. Ainsi, ils viennent créer une proximité entre le spectateur
et Fleabag, nous somme comme ses confidents ou encore, nous pouvons croire que nous sommes
directement dans sa tête. La série ayant un ton oscillant entre le drame et la comédie les émotions
du spectateur sont souvent induites par celles de Fleabag qui, de par sa rupture du quatrième mur,
nous dit ce qu'elle ressent directement nous somme donc amené à être en empathie envers elle. Les
moments où Fleabag brise le quatrième mur sont à son image, ils témoignent de sa dérision et son
ton cynique désabusé.
Comme évoqué précédemment, à un moment de la série, un personnage remarquera que Fleabag
s'adresse aux spectateurs. Ce personnage, c'est celui interprété par Andrew Scott qui n'est pas
nommé (comme pour beaucoup de personnages de la série). Il est crédité sous le nom du « prêtre »
puisque c'est le métier qu'il a dans la série. Fleabag va développer des sentiments pour ce prêtre et
entre eux va se créer une profonde alchimie. Cette alchimie est si profonde donc qu'à un moment de
la série, alors que Fleabag s'adresse à nous, le prêtre va lui demander à qui elle parle et ce qu'elle
fait. Fleabag alors en panique car elle ne comprend pas que le prêtre puisse l'entendre lorsqu'elle
parle aux spectateurs, adresse un regard de gêne à la caméra c'est alors que le prêtre lui même se
retournera vers la caméra lui aussi. Bien que contrairement à Fleabag le prêtre ne nous voit pas, il la
voit, elle « disparaître » (pour reprendre les termes du prêtre lui-même). Comme la série est du
point de vue de Fleabag tout du long, il est impossible pour le prêtre de nous voir, mais la profonde
connexion qu'il a avec Fleabag lui permet de voir qu'elle s'adresse à quelqu'un d'autre que lui. Le
fait que le prêtre comprenne que Fleabag parle à quelqu'un d'autre que lui nous en dit long à nous
spectateur sur les rapports que les deux personnages entretiennent. Partons du principe que nous
somme dans la tête de Fleabag, si le prêtre voit qu'elle nous parle (sans nous voir pour autant) c'est
qu'il voit indirectement ce qu'il y a dans la tête de Fleabag. La scène où le prêtre remarque cette
absence de l'héroïne n'est donc pas un simple ressort comique, mais, à l'image de toutes les scènes
de rupture du quatrième mur, un élément de développer la relation entre les personnages par la mise
en scène.

Analysons maintenant la rupture du quatrième mur dans les séries Twin Peaks et L’Hôpital et ses
Fantômes.

Twin Peaks est une série américaine créée par David Lynch et Mark Frost en 1990. Originellement
composée de deux saisons diffusées sur ABC entre 1990 et 1991, elle sera complétée par un long-
métrage en 1992 nommé Twin Peaks : Fire Walk With Me3 sous la seule supervision de Lynch ainsi
que d'une troisième saison en 2017, toujours sous la supervision de Lynch avec un retour de Mark
Frost. Cette troisième saison intitulée Twin Peaks : The Return a été diffusée sur la chaîne
Showtime. En France, la série a été diffusée sur la chaîne La Cinq pour ses deux premières saisons,
la saison 3 a été, elle, diffusée sur Canal + après un passage par le festival de Cannes. Au casting,
nous retrouvons, entre autre, Kyle Maclachlan, Michael Ontkean, Sherilyn Fenn, Sheryl Lee ainsi
que Catherine E. Coulson et David Lynch qui interprètent les personnages qui vont nous intéresser
ici.
La série nous raconte initialement l'enquête de l'agent spécial Dale Cooper sur le meurtre de
3 En 2014, un autre film est sortit intitulé Twin Peaks : The Missing Pieces, il s'agit d'un montage fait par David Lynch
à partir des scènes coupées du film de 1992.
l'adolescente Laura Palmer, retrouvée enveloppée dans du plastique sur la plage de la ville de Twin
Peaks. Au fur et à mesure de l'enquête, nous découvrons que sous ses airs de ville sans histoire Twin
Peaks et ses habitants cachent bien des mystères. À l'origine, « simple » série policière l'intrigue
tendra vite vers le registre du fantastique.
Dans la série d'origine (les deux premières saisons) aucuns personnages ne brise le quatrième mur,
sauf que, à l'occasion d'une rediffusion des deux saisons en 1993 sur la chaîne Bravo, David Lynch
réalise une série de courtes introductions à chaque épisodes. Dans ces introductions, nous
retrouvons le personnage interprété par Catherine E. Coulson, Margaret Lanterman plus connue
sous le surnom de « La Femme à la Bûche ». Le dispositif est le même pour chaque introductions,
la femme est assise dans un salon en tenant sa bûche, elle regarde la caméra et s'adresse au
spectateur, elle donne des indications étranges et cryptiques sur l'intrigue de l'épisode qu'elle
introduit. Ces scènes viennent prendre à contre-pied le spectateur. En effet, ce que l'on pourrait
attendre de ces petites capsules introductives serait, par exemple, un résumé de l'épisode précédent,
comme dans Malcolm, un état des lieux de la situation dans laquelle sont les personnages au
moment où nous reprenons la série, des explications sur ce qu'il se passe pour les spectateurs ayant
du mal à comprendre l'intrigue à tiroir de la série, etc. Cependant ces introductions font tout
l'inverse, elles épaississent le mystère qui entoure l'intrigue de la série. Ces capsules plongent
toutefois le spectateur dans l'univers de la série, car y voir un personnage de la série dans son
environnement (en l’occurrence, la femme à la bûche est dans sa cabane) qui s'adresse directement
à nous, donne à penser que nous somme dans la série, nous sommes pris en compte. Comme le dit
Camille Baurin, dans un article consacré au personnage, avec ces introductions, la femme à la bûche
« sert alors à relier les différents mondes : la ville et ses environs fantastiques, mais aussi notre
réalité et la fiction »4. Néanmoins, comme dit précédemment, dans la série d'origine aucun
personnage ne brise le quatrième mur et voir un personnage s'adresser directement à nous,
spectateur, en introduction peut nous faire poser une question : ces introductions, ne créent-elles pas
un décalage avec le reste de la série ? La réponse est non, car Lynch a eu l'intelligence d'utiliser
pour ces capsules le personnages idéal. Revenons quelque peu sur ce qu'est le personnage de la
femme à la bûche. Dans la série, c'est un personnage très secondaire qui apparaît peu et lorsqu'il
apparaît, il fait en quelques sortes office d'oracle qui donne des indications précieuses aux
personnages. Elle semble à la frontière entre le monde réel et le monde mystique de la série tant elle
en sait sur les forces supérieures qui entourent l'univers de la série. Toujours pour Camille Baurin,
elle « correspond à l'archétype défini par Clarissa Pinkola de ''celle qui sait, la vieille la qui sabe, la
femme sauvage'' et s'inscrit par là dans la tradition des sorcières de contes de fées »5. Ainsi par le
choix de ce personnage pour introduire à sa façon les épisodes de Twin Peaks, Lynch a pu insérer le
4 Septième Obsession, Hors série n°6 Twin Peaks, 2021, Paris, page 26 - 27
5 Ibid
spectateur au sein de la fiction ainsi qu'étendre l'aura de mystère qui entoure sa série sans pour
autant ne créer de trop grands décalages ni sortir des carcans instaurés jusqu'ici.
Comme dit plus tôt, dans la série d'origine aucun personnage ne brise le quatrième mur (si l'on
omet les introductions que l'on vient d'étudier donc), cependant dans la troisième saison il y a une
scène qui peut porter à confusion. Dans le quatorzième épisode de cette saison, il y a une scène où
le personnage de Gordon Cole, directeur du FBI, interprété par David Lynch lui-même raconte un
rêve qu'il a fait à ses collègues. Dans ce rêve, il y rencontrait Monica Bellucci dans un café à Paris
et ils avaient une étrange discussion. Ce rêve nous est montré à l'écran comme un flash-back. Ce
qu'il y a d'étrange premièrement et qui vient un peu rompre les frontières de la fiction, c'est le
personnage de Monica Bellucci, car sa particularité, c'est qu'elle ne joue pas un personnage
justement, elle se joue elle-même ou plutôt une version rêvée (au sens littéral du terme) d'elle-
même. La présence de Monica Bellucci actrice à l'écran nous informe que dans la diégèse de la série
elle existe et elle est vraisemblablement la même que la Monica Bellucci de notre réalité. C'est une
incursion du réel dans la fiction assez brutale puisque, jusqu'ici, à l'exception de la citation d'un film
avec Marlon Brando jamais le réel n'avait été cité dans Twin Peaks (la série comportait même ses
propres fictions dans la fiction avec la fausse série Invitation à l'Amour que les personnages
regardent). Mais la présence de Monica Bellucci en soit n'est pas une rupture du quatrième mur, ce
sont plutôt ses actes qui vont constituer cette rupture. Durant cette scène, alors qu'elle est censée
s'adresser au personnage de Gordon Cole, Lynch place sa caméra de sorte que Monica Bellucci la
regarde lorsqu'elle parle. Cette scène nous donne donc l'impression que plus qu'à Gordon Cole, c'est
à nous, spectateur que Monica Bellucci s'adresse. Il faut ensuite se pencher sur ce qu'elle dit
lorsqu'elle regarde la caméra, avant que cette dernière ne la cadre de face Monica Bellucci dit :
« Nous sommes comme des rêveurs qui rêvons, et nous vivons dans un rêve. », puis lorsqu'elle est
face caméra : « Mais, qui est le rêveur ? ». Ces phrases, prononcées par Bellucci au travers d'un
rêve du personnage interprété par David Lynch, viennent questionner la réalité de ce que l'on
regarde. La question que pose cette scène est : tout ce que nous voyons depuis le début n'est-il qu'un
rêve ? Cette question est d'autant plus légitime, car le rêve est une thématique qui est au centre de
l’œuvre de Lynch, nous pouvons citer, entre autres, son film Mulholland Drive (2001) qui nous
présentait deux histoires, la première étant le rêve d'un personnage de la seconde. La saison trois de
Twin Peaks nous présente d'ailleurs nombre de séquences étranges qui n'auront aucune explication
au cours de la saison, si ce n'est celles que le spectateur se trouvera. Avec cette scène, Lynch pousse
le spectateur à réfléchir sur les images qu'il regarde et à questionner leur réalité, ce n'est d'ailleurs
pas anodin si durant cette scène nous somme mis à sa place, car c'est au personnage qu'il incarne
que Monica Bellucci est censée s'adresser. En nous mettant directement à sa place (ou à celle de son
personnage), Lynch dialogue avec nous, et nous dit que ce n'est pas lui qui nous fournira les
explications, mais que c'est à nous de les trouver. D'ailleurs après le regard-caméra de Bellucci nous
avons le contre-champs avec un regard caméra d'un Lynch silencieux et perplexe. Ce regard-caméra
appuie encore une fois ce que la scène essaie de faire : nous faire nous questionner sur ce que l'on
regarde.

L'Hôpital et ses Fantômes (Riget) est une série danoise créée en 1994 par Lars Von Trier, elle est
originellement diffusée sur la chaîne DR1 entre 1994 et 1997 avant de reprendre en 2022 pour une
troisième saison, nommée L'Hôpital et ses Fantômes : Exodus (Riget : Exodus) toujours sur la
même chaîne. En France les deux premières saisons ont été découpées différemment du montage
Danois et ont été diffusées sur Arte, quand à la troisième saison après un passage dans plusieurs
festivals, dont Cannes, elle a été diffusée sur Canal + en 2023. Au casting, nous retrouvons
principalement Ernst-Hugo Järegård, Udo Kier, Kirsten Rolffes, Willem Dafoe ainsi que Lars Von
Trier lui-même. La série nous raconte le quotidien de l'hôpital « Le Royaume » situé à Copenhague
et battit sur d'anciens marais supposés hantés, nous suivons ainsi le personnel hospitalier confronté
à une série d'événements surnaturels.
À l'instar de Twin Peaks, dans la série en elle-même, il n'y a aucun personnage qui brise le
quatrième mur. Toutefois, à la fin de chaque épisodes, nous avons en guise de générique de fin Lars
Von Trier lui-même qui s'adresse au spectateur en le remerciant d'avoir regardé l'épisode et essaie de
lui donner envie de revenir regarder le prochain épisode (par exemple à la fin du premier épisode, il
dit « les choses vont considérablement se réchauffer dans le prochain épisode »). Avec ces petites
conclusions Lars Von Trier, trahis la fiction et remets le spectateur à sa place de spectateur. Il donne
à son œuvre un côté théâtrale, car durant ces capsules, il est face à un rideau rouge rappelant les
rideaux que l'on retrouve sur les planches de théâtre. Il est comme un metteur en scène qui vient
saluer son public après une représentation. En plus des remerciements aux spectateurs et de
l'aguichage pour l'épisode de la semaine suivante, Lars Von Trier donne des informations sur
l'univers de sa série, il dit notamment ceci : « […] le dieu de la vraie vie a créé l'artiste le plus
inventif qui n'est qu'une fourmi à ses pieds ». La question de Dieu est primordiale dans cette série
qui parle de fantômes, du diable et autres forces mystique, mais la question de l'artiste est, elle,
primordiale dans l’œuvre de Lars Von Trier. Nous pouvons citer le film The House That Jack Built
(2018) dans lequel il questionnait déjà son statut d'artiste par le prisme d'une histoire de tueur en
série. Dans ces capsules de conclusions, Lars Von Trier se met en scène en tant qu'artiste (il nous
remercie d'avoir regarder sa série), donc à travers ces passages, il questionne sa propre condition et
ses nombreuses références à Dieu rajoutent un aspect divin à cette réflexion, l'artiste est-il un dieu
pour ses personnages ou pour le spectateur de ses œuvres ? La réflexion sera poussée dans la
troisième saison de la série. Dans cette saison reprenant 25 ans après la saison 2, nous avons
toujours le droit à ces capsules avec Lars Von Trier en guise de générique de fin. Néanmoins,
désormais, le réalisateur danois est derrière le rideau, il explique en début de saison qu'à cause de sa
maladie (la maladie de Parkinson) il ne peut plus se montrer à nous spectateur. Dans cette ultime
saison, c'est presque un rapport intime qu'installe Lars Von Trier avec son spectateur, car ce sont des
événements de sa vie privée qui sont donnés à voir au spectateur. Mais pourtant, nous verrons tout
de même le cinéaste à l'écran puisque dans cette saison où les fantômes sortent des enfers pour
partir en exode dans le monde des vivants, il interprète leur guide et maître : le diable en personne.
En se donnant ce rôle, Lars Von Trier répond aux interrogations qu'il émettait aux spectateurs quant
à sa condition d'artiste lors des deux premières saisons. Pour lui, l'artiste n'est pas un dieu, il est un
diable qui tourmente ses personnages pour le plaisir des spectateurs.

En conclusion, nous pouvons dire que ces quatre séries font un usage très différent de la rupture
du quatrième mur, mais dans tous les cas une relation intersubjective se créer entre l’œuvre, l'artiste
et le spectateur. Dans Malcolm, cette rupture sert à impliquer au maximum le spectateur dans
l'histoire et à l'intégrer à la famille que nous suivons. De même dans Fleabag, ou les nombreuses
scènes où le personnage éponyme brise le quatrième mur sont autant d’interactions avec elle si bien
que nous finissons par nous sentir très vite proches d'elle. Dans Twin Peaks, les introductions de la
femme à la bûche nous intègrent dans la fiction tout en épaississant l'atmosphère mystérieuse de
cette dernière. Et lors d'une scène de la troisième saison, Lynch se sert de cette technique pour
dialoguer indirectement avec le spectateur et l'amener à se questionner sur ce qu'il regarde. Et enfin,
dans l'Hôpital et ses Fantômes, Lars Von Trier retourne aux origines théâtrales de la rupture du
quatrième mur en s'affichant devant (ou derrière) des rideaux lors des génériques de fin de ses
épisodes et se sert de ces capsules pour dialoguer avec son spectateur sur sa condition d'homme et
d'artiste. Au-delà de la rupture du quatrième mur c'est une autre technique dont certaines séries se
servent pour dialoguer avec le spectateur que nous pourrions étudier : la voix off. En effet, nombre
de séries célèbres (Desperate Housewives, Tout le Monde Détestent Chris, etc) se servent de cette
technique de mise en scène pour créer une relation intersubjective avec leurs spectateurs.
Bibliographie :
– Gourdeau, Gabrielle, Analyse du Discours Narratif, Boucherville, Gaëtan Morin éditeur,
1993
– Brecht, Bertolt, L'Achat du Cuivre, 1939-40, Écrits sur le théâtre, I, L’Arche, 1972, pp. 551-
557
– Septième Obsession, Hors série n°6 Twin Peaks, 2021, Paris, page 26 – 27

Filmographie :
- Twin Peaks, David Lynch, Mark Frost, 1990-1991
- L'Hôpital et ses Fantômes (Riget), Lars Von Trier, 1994-1997
- Malcolm (Malcolm in the Middle), Linwood Boomer, 2000-2006
- Fleabag, Phoebe Waller-Bridge, 2016-2019
- Twin Peaks : The Return, David Lynch, Mark Frost, 2017
- L'Hôpital et ses Fantômes : Exodus (Riget : Exodus), Lars Von Trier, 2022

Vous aimerez peut-être aussi