Vous êtes sur la page 1sur 14

Année universitaire 2015 - 2016

Katell Borvon M2 pro Mise en scène / dramaturgie


Rhym Amich Universtié Paris 10 Nanterre

Étude de Macheth de Shakespeare mis en scène par Matthias


Langhoff

Séminaire de Marielle Silhouette :Étude comparée des adaptations et des mises


e
en scène de Shakespeare en France et en Allemagne au XX siècle
Introduction

Né le 9 mai 1941 à Zurich pendant l’exil de ses parents Allemands, la guerre constitue pour
Matthias Langhoff un environnement latent. N’ayant pas participé ou assisté aux combats et
destructions, il grandit dans un Berlin d’après guerre dont les habitants et les bâtis portent les
stigmates de la violence, vivent sous occupation soviétique, voient la construction du mur de
Berlin. La guerre passée ; la violence présente de la « guerre froide » ; la promesse des
guerres futures dans une Europe déchirée : tel est le contexte réel dans lequel se forme un
homme qui deviendra, pas tout à fait par hasard, un homme de théâtre.
Habitué depuis son plus jeune âge aux représentations du Deutsches Theater de Berlin dont
son père est directeur, acteur et metteur en scène, il fréquente également les répétitions d’un
Berthold Brecht revenu d’exil en R.D.A. Mais la guerre ne restera pas pour M. Langhoff un
pur concept ; les traces qu’elle laisse sont l’objet d’un vécu réel, dès la prime enfance où se
joue la construction des catégories de perception du réel qui présidera au regard de l’adulte
sur son monde. Il entre en 1961 au Berliner Ensemble comme assistant. C’est là qu’il
rencontre Manfred Karge, avec qui il monte ses premiers spectacles (Le petit Mahagonny,
L’achat du cuivre, Le commerce du pain…). Même si B. Brecht était mort depuis 4 ans, ses
méthodes de travail rigoureuses et l’ambiance de l’institution perdurait et allaient durablement
influencer M. Langhoff : « Au B.E., il n’existait ni cloisonnement ni hiérarchie entre
assistanat, dramaturgie, jeu d’acteur, administration, etc. Ce n’est pas par hasard si Brecht
l’avait appelé ensemble, et non pas troupe. Cela se ressentait jusque dans le travail sur le
plateau » 1. M. Langhoff et M. Karge quittent le Berliner et collaborent ensemble durant une
vingtaine d’années, jusqu’au début des années 80. M. Langhoff choisissant de rester travailler
en Suisse et en France. De lui, B. Dort a dit : « C’est le metteur en scène le plus brechtien que
je connaisse. » Shakespeare est l’auteur qui a accompagné M. Langhoff tout au long de sa
carrière. Nous allons ici étudier sa mise en scène de Macbeth. M. Langhoff choisi la
traduction J.M. Déprats qui lui semble la mieux rythmée. C’est en trois points que nous allons
étudier cette mise en scène. Nous analyserons dans un premier temps son travail sur l’espace
puis nous étudierons le point de vue fondamental qui a orienté sa mise en scène : Macbeth,
c’est la guerre. Enfin nous nous intéresserons à son travail sur le traitement du texte et
l’interprétation des comédiens.

1
Matthias Langhoff, Introduction et entretien par Odette Aslan, Actes Sud-Papier.

2
L’espace :
« Je pense au décor avant de penser à la mise en scène »

Le décor de M. Langhoff n’est pas figuratif. Ce sont des éléments hétérogènes,


appartenant à différentes époques qui le constituent. Le théâtre est mis à nu : aucun
pendrillons, aucune frises. Les sources lumineuses ne nous sont pas dissimulées. La lumière
qui éclaire le plateau n'est donc pas transcendante mais perçue par le spectateur comme l'un
des éléments de la représentation. Il multiplie les espaces de jeu. Les coulisses d’où nous
parviennent des lumières et des sons sont utilisées comme un hors champ signifiant. L’espace
scénique déborde dans la salle. Le spectre de Banquo se promène entre la scène et les
premiers fauteuils. La passerelle, au dessus du plateau, est également utilisée. Sur cette
passerelle se joue la fuite de Malcolm et Donalbain, au 1 er acte. Se jouera là la grande scène 3
de l’acte IV entre Malcom et Macduff. Cette mise à nu de l’espace scénique affirme le théâtre
comme lieu de fabrication et rompt avec l’idée d’un espace dramatique illusionniste qui
chercherait à reproduire précisément les différents lieux de Macbeth. Cette multiplication des
espaces de jeu permet de souligner l’aspect fragmentaire de l’œuvre et difracte l’action. Elle
permet également de multiplier les plans.
Le décor n’a donc rien de figuratif. Le sol est composé d’un plancher de bois en pente.
Ce plancher est monté sur vérins. Un mécanisme permet de rendre les planches de bois tantôt
souples (elles s’enfoncent, fléchissent de plusieurs dizaines de centimètres sous les pas des
comédiens) et tantôt raides. Certaines des planches de bois ne sont pas assemblées et, une fois
soulevées, peuvent se transformer en fosses. C’est ainsi que scène 3 Acte I, on peut voir les
sorcières disparaître véritablement sous terre, ainsi que le dit Banquo à Macbeth : « La terre a
des bulles comme l’eau, et celles-ci, en étaient. » Ce jeu scénique permettant d’incarner très
concrètement la formulation de Banquo. D’autre part, deux séries de traits blancs discontinus
partagent ce plancher en deux parties. Des traits blancs qui évoquent les lignes de
signalisation que l’on trouve sur les autoroutes. En fond de scène des éléments de décors
laissent envisager qu’il y a là un chantier (plots et barrières oranges et blancs, braséro). En
arrière scène, il y a également un large fossé qui deviendra charnier à partir de l’acte II. Au
centre du plateau, une petite fosse rectangulaire. Il y a une tour à cour et une tour à jardin (il y
a un escalier menant vers la tour de jardin). Ce sont là les éléments fixes du décor. De vieux
fauteuils rouges de cinéma, une grande table, une coiffeuse 19 e, des chaises viendront
s’ajouter au fur et à mesure de la représentation. L’hétérogénéité de ces éléments

3
scénographiques est remarquable dans le travail de M. Langhoff. Ici se côtoient des époques.
On peut même parler de chocs des époques. Sur un bout d’autoroute en chantier se tiennent de
vieux fauteuils de cinéma et c’est un comédien costumé d’une armure romaine qui s’y tient
assis. Le regard du spectateur recomposera cet espace pour lui donner son unité et son sens.
Un espace qui met en perspective différentes périodes historiques dans leur violences
politiques et dans leurs guerres. Ainsi, le dit M. Langhoff:

«On croit parfois que je fais des anachronismes insolents. En vérité, comme Brecht qui situe son
prologue d’Antigone à Berlin en 1945, je mêle deux temporalités dans un spectacle avec aussi, parfois,
des clins d’oeil à d’autres périodes. Le theâtre vit toujours entre l’histoire et le moment actuel. C’est cette
tension qui m’interesse. »2

D’autre part ce décor est conçu par le metteur en scène comme une machine, « une
machine à jouer ». On retrouve ici l’influence de V. Meyerhold qui inspire considérablement
M. Langhoff. Le décor permet bien souvent au comédien de trouver le concret d’une situation
lui permettant de se délester de tout sentiment. C’est bel et bien dans son corps qu’il devra
trouver son inspiration. Scène 1 de l’acte IV, Macbeth se rend chez les sorcières et les
interroge. Dans cette scène, les éléments se déchaînent, les sorcières créent des apparition

2
Matthias Langhoff, Introduction et entretien par Odette Aslan, Actes Sud-Papier.

4
effrayantes, Macbeth se trouve alors dans un état de grande fébrilité. Grâce à ce décor, à cette
machine à jouer, M. Langhoff concrétise cette fébrilité, ce désarroi : les lattes de bois du
plancher s’affaisse à chacun des pas de Macbeth. Ainsi, le comédien, parcourant le plateau,
s’adressant tantôt aux sorcières, tantôt aux apparitions se trouve contraint dans son corps,
empêché dans sa course, en état de chute permanent. Nous assistons ainsi au spectacle d’un
homme vacillant, saoul qui ne peut arrêter sa course sur ce sol blessé. Cette image implacable
joue pour le comédien. Et c’est le plateau lui même, dans sa mobilité, qui donnera au
comédien son vacillement.

« Faire exister le théâtre comme un lieu politique »

« Je ne choisis jamais une pièce pour ses vertus scéniques mais pour ce qu’elle nous dit dans les
circonstances présentes. Shakespeare et les mythes grecs me permettent d’aller le plus loin dans cette
direction. De faire exister le théâtre comme un lieu politique. » 3

En décembre 1989, lorsque M. Langhoff entame les répétitions de Macbeth, le contexte


politique européen est cuisant. Ce contexte a des échos intimes pour M. Langhoff, si l’on
pense à la chute du mur de Berlin, un mois auparavant, le 9 novembre 1989. C’est aussi le
régime dictatorial roumain de N. Ceauscu qui s’effondre en décembre 1989. « L’histoire
détruit et construit un texte de théâtre » dira-t-il lors d’une lecture à la table. C’est au récit
global de l’œuvre que va s’intéresser M. Langhoff, au récit d’un monde décimé par la guerre.
Et c’est ainsi que M. Langhoff synthétise son point de vue sur l’œuvre :

« Faire Macbeth, regarder Macbeth au théâtre c’est regarder ce qu’est une guerre. Côtoyer des cadavres
sur la scène, cela fait partie de notre vie, de notre peur » 4

Il situe la première scène, la scène des sorcières sur un champ de bataille. L’avant scène est
recouverte de cadavres et les sorcières les dépouillent. L’une d’elle prélève même les organes
des soldats. Ici les sorcières ne sont pas représentées comme trois femmes fatales, comme il
n’est pas rare de le voir, mais comme trois pillardes profitant de la guerre. Cette image
puissante accompagnée d’une bande son où l’on entend des vrombissements d’avions donne
immédiatement le ton du spectacle. La scène suivante, le roi Ducan costumé d’une cuirasse
romaine écoute avec ravissement le récit guerrier du capitaine. Le décalage entre le plaisir du
roi et l’abominable champ de bataille que nous avons sous les yeux est frappant. Odette Aslan

3
Matthias Langhoff, Introduction et entretien par Odette Aslan, Actes Sud-Papier.
4
Matthias Langhoff cité par Odette Aslan dans Langhoff, Les voie de la création théâtrale, CNRS Editions

5
note : « Tandis que le roi se félicite d’une victoire militaire, Langhoff en montre les
conséquences : désastres et ruines. » .5 Ici la guerre ne va pas de soi. La guerre de Macbeth se
couple dans la mise en scène de M.Langhoff avec les grandes guerres du 20 e siècle. Cela
apparaît très nettement dans le travail sur les costumes. En effet les costumes du Ier acte sont
moyenâgeux. Banquo est vêtu d’une armure de chevaler, ainsi que Macbeth pour sa première
apparition. Ducan semble davantage appartenir à l’empire romain mais l’ensemble de toute sa
suite porte des costumes historiques. A partir du IIe acte, les costumes se modernisent,
notamment celui de Lady Macbeth qui porte une robe dont la coupe évoque les années 1950.
La représentation avançant, nous quittons les guerres féodales du régime de Ducan pour entrer
dans la tyrannie de Macbeth, se faisant, les costumes militaires se modernisent. Le costume de
Macbeth au Ve acte évoque l’uniforme de Staline. Les capelines d’Angus et de Lennox ne
sont pas sans rappeler celles portées par l’armée hitlérienne. Au IVe acte, le jeune Macduff
porte un uniforme qui évoque celui des jeunesses hitlériennes. Au Ve acte, les costumes sont
donc contemporains et nous renvoient aux uniformes des armées russes ou allemandes. Car ce
point de vue que M.Langhoff adopte sur Macbeth : « regarder Macbeth, c’est regarder la
guerre », est enrichi par un second axe de réflexion. Cet axe est très bien examiné par Odette
Aslan :

« Avec Macbeth, son second axe de réflexion est la responsabilité d’un homme concentrant tous les
pouvoirs dans un régime totalitaire, autrefois en Écosse, plus récemment dans les pays de l’est, en
Amérique latine ou en Afrique, et les conflits, les conspirations engendrés pour conquérir ou conserver ce
pouvoir » 6

A partir de l’œuvre de Shakespeare, M.Langhoff tisse des perspectives sur les grands conflits
mondiaux du 20e siècle. Ce n’est pas là une actualisation mais une mise en tension entre
l’œuvre Shakespearienne et notre époque. Il me semble intéressant de citer ici B.Dort,
évoquant le travail de Brecht sur Coriolan :

« Shakespeare prend de plus en plus d’importance pour Brecht. Son travail sur Coriolan le montre bien : il
s’agit moins de plier Shakespeare aux règles du théâtre épique que de se servir de Shakespeare pour
dépasser ce théâtre épique et accéder à un théâtre véritablement historique, c’est à dire à la fois descriptif
et critique – à ce que Brecht appelait les dernières années de sa vie, un « théâtre dialectique ». 7

5
Odette Aslan, Langhoff, Les voie de la création théâtrale, CNRS Editions
6
Odette Aslan, Langhoff, Les voie de la création théâtrale, CNRS Editions
7
Bernard Dort, Théâtres, Point

6
Avec cette mise en scène M.Langhoff, le spectateur se trouve face à des images de guerres
terrifiantes. Il diversifie les méthodes d’assassinat. Celui de lady Macduff et de son enfant
relève des méthodes sadiques de la gestapo. Macbeth, qui dans le texte de Shakespeare n’est
pas présent lors du meurtre, est ici présent, costumé d’un déguisement de père-noël, tout
comme les 4 autres assassins. Cette incursion des père-noëls prête à sourire, dans un premier
temps mais très vite nous nous figeons. Ne se méfiant pas de ces bons bonhommes de noël,
Lady macduff les laisse donc entrer, le jeune Macduff s’installe bien tranquillement sur les
genoux de l’un d’entre eux, attiré par un cadeau. Et c’est en silence, sans cri, mais en
fredonnant une petite chanson de noël que le père-noël étrangle le jeune Macduff. Un autre
jette dans une fosse le landau dans lequel dort le bébé de Lady Macduff. La tranquillité
apparente dans laquelle s’exécutent les meurtres décuple l’effroi de cette scène. Il semble
qu’ici M. Langhoff crée un « foyer de peur » et fasse de cette scène l’un des moment édifiant
du spectacle. C’est Heiner Müller qui énonce ce concept de foyer de peur :

"Fondamentalement, il s'agit de trouver le foyer de peur d'une histoire, d'une situation et des personnages,
et de la transmettre aussi au public comme foyer de peur. C'est seulement s'il est un foyer de peur qu'il
peut devenir un foyer de force." 8

8
Heiner Müller, Erreurs choisies, L’Arche

7
L’assassinat de Banquo qui est antérieur à celui de Lady Macduff est beaucoup plus
grotesque. La mise en scène même du meurtre de Banquo est, à dessein, faîte de bric et de
broc. C’est un vieux plafonnier qui, maladroitement balancé de droite à gauche, signifie le
vent dans les dernières lueurs du couchant. Au moment de l’assassinat de Banquo la lumière
s’éteint et c’est dans une obscurité totale que les meurtriers le tue. C’est sans doute cette
obscurité qui explique le fait qu’ils aient laissé Fléance s’échapper. La diversité de traitement
des meurtres est signifiante. Macbeth entame sa carrière d’assassin avec un certain
amateurisme, penaud et inquiet face à ses meurtres. Devenu tyran absolu, c’est avec
professionnalisme et plaisir qu’il exécute les meurtres de sa maturité. « Nous sommes encore
jeune dans le crime » dit Macbeth à sa femme scène 4, Acte III. M. Langhoff illustre très
concrètement cette réplique en nous présentant Scène 2 de l’acte IV, un Macbeth devenu
mature, maîtrisant ses crimes, y assistant lui même et y prenant du plaisir.

8
Le traitement du texte et l’interprétation des comédiens

Ne pas interpréter le texte, « le prendre au pied de la lettre ».


« Le texte compte beaucoup pour moi. Je le prends au pied de la lettre. Je ne veux ni l’expliquer ni
l’interpréter mais en conserver toutes les possibilités, laisser les significations ouvertes, pour les
spectateurs comme pour les acteurs. Le texte construit une idée, qu’on partage ou à laquelle on résiste. Le
metteur en scène a besoin d’un texte qui soit plus fort que lui. » 9

« Prendre le texte au pied de la lettre », c’est chercher son concret avec les comédiens,
c’est chercher des actions qui l’illustre. Ne pas interpréter le texte, c’est combattre un jeu
psychologique. C’est proposer au comédien une action physique au lieu d’une motivation
psychologique. L’interprétation d’Agnès Dewitte de Lady Macbeth est remarquable dans cette
perspective. Elle ne fait pas de Lady Macbeth, du moins au IIe acte, une hystérique survoltée.
Dans le texte, le personnage met un plan en œuvre, prenant au pied de la lettre les prédictions
des sorcières. C’est avec entrain qu’elle bâti ses projets de crimes. Agnès Dewite ne surjoue
pas la perversité ou la cruauté mais nous présente une Lady Macbeth calme, simplement
excitée et impatiente du prochain coup qui l’attend. Et cette simplicité dans l’interprétation,
cette évidence dans la joie accentue les enjeux du texte. Tuer ou prévoir de tuer ne relève pas
nécessairement de la folie chez Shakespeare mais de l’état d’un rapport de force. Lady
Macbeth n’est pas nécessairement atteinte d’hystérie, si l’on se met à l’écoute du texte, sans
chercher à le sur-interpréter, on peut découvrir que ce personnage a intégré les stratégies de
pouvoir dans un état féodal en guerre et en crise. Pour interpréter ces enjeux, il faut être à
l’écoute du texte. Mais c’est aussi en refusant de travailler à partir de motivations
psychologiques qu’il est possible de révéler ainsi le personnage. À l’acte II, alors que son
mari commet le meurtre de Ducan et qu’elle l’attend, nous la retrouvons vêtue d’une longue
chemise de nuit, affublée d’une charlotte sur la tête, s’agaçant de ne pas avoir réussit à tuer
elle-même Ducan («S’il n’avait pas ressemblé à mon père dans son sommeil, je l’aurais
fait »). Ce costume casse d’emblée le présupposé d’une Lady Macbeth femme/fatale.
(Présupposé qu’il est par ailleurs difficile de trouver dans le texte.) Ce costume la ridiculise,
lui donnant des airs de mégère ou de marchande de poisson. Lorsqu’elle s’empare des
poignards et qu’elle se décide à les mettre dans les mains des gardes, elle relève son
imposante chemise de nuit et se rend en grandes enjambées dans la chambre des gardes. En
plein cœur du crime, nous ne pouvons que sourire face à cette grande bonne femme très

9
Matthias Langhoff, Introduction et entretien par Odette Aslan, Actes Sud-Papier.

9
affairée. Lorsqu’elle revient d’avoir placé les poignards dans les mains des gardes, elle se
trouve dans une énergie gaillarde qui contraste fortement avec l’acte qu’elle vient de
commettre. Cette étrangeté donnant d’autant plus de violence à ce qu’elle vient de faire.

Une scène plus tard, alors que Macduff vient lui annoncer la mort de Duncan, elle l’invective
car il ne répond pas immédiatement à sa première question : « Que se passe-t-il » ? La voix
rauque, la charlotte de travers sur la tête, elle enjoint Macduff de parler en lui lançant de
grands coups sur l’épaule.

Chercher les situations de jeu concrètes

M. Langhoff ne cherche pas à expliquer le texte, les motivations des personnages. Pour
lui « Une idée, un concept, une théorie, ce n’est pas du matériau pour jouer. » Il cherche les
situations, la vie qui existe dans le texte. Il « lance les acteurs dans les situations et le texte
vient comme une conséquence. De la tête, l’idée descend dans le corps, le traverse, et de la
parole sort. » 10 C’est ainsi qu’après avoir assassiné Ducan, Macbeth fait le récit du meurtre à
sa femme, attablé, se préparant des tartines et un café. Ces actions concrètes déchargent le
comédien d’un état de jeu trop émotionnel et créent un contre point pour le spectateur.

10
Matthias Langhoff, Introduction et entretien par Odette Aslan, Actes Sud-Papier.

10
Macbeth vient de tuer le roi, pour autant, il n’oublie pas de manger. Cette action raconte
énormément sur le personnage sans que le comédien ait besoin de l’incarner
psychologiquement ou émotionnellement. À propos de ce passage, Odette Aslan dit ceci :

« Ceci peut sembler un peu forcé. Or le mois qui suivit la première du spectacle, on exécuta à San-
Francisco un condamné à mort qui avait tué deux jeunes gens de seize ans et consommé ensuite
tranquillement les hamburgers que ses victimes avaient entamés. » 11

Nous relevons un autre passage dans la mise en scène, très significatif de ce travail sur la
mise en situation qui donne au texte tout son concret et qui aide l’acteur à ne pas se perdre
dans une musique. Il s’agit de la scène 1 de l’acte V, où un médecin et une dame de
compagnie s’entretiennent de l’état de santé de Lady Macbeth, avant l’entrée de celle-ci.
Lorsque Lady Macbeth entre, somnolente, elle tient d’étrange propos pour les deux
protagonistes et se lamente sur ses mains à jamais tâchées. Ici le médecin semble tout droit
sorti d’un asile du 19e siècle, un chapeau noir haut de forme sur la tête et un immense tablier
blanc, lui couvrant le corps. Entre le médecin et la dame de compagnie, c’est à une séance
médicale que nous assistons, avant l’entrée de Lady Macbeth. Puis quand celle-ci apparaît, le
médecin s’affaire derrière elle, épiant chacun de ses mouvement, à l’écoute de chacune de ses
paroles et lorsqu’elle entame sa réplique sur la tache, il se saisi d’un crayon et d’un bloc notes.
Agnès Dewite interprète donc cette illustre réplique comme si elle dictait une lettre et le
médecin, tout en prenant notes, répète ce qu’elle vient de dire. Cette action concrète permet à
la comédienne de ne pas se mettre dans un état émotionnel tel qu’il noierait le sens même de
la réplique. Grâce à ce dispositif, le texte échappe à l’abstraction et la situation de la scène
nous parvient avec une grande netteté. De même, la scène 5 de l’acte I, scène au Lady
Macbeth reçoit la lettre de son époux, M. Langhoff déjoue la situation. Au lieu de laisser Lady
Macbeth seule face à son courrier, elle reçoit un coup de téléphone et c’est Macbeth, en haut
sur la passerelle qui dit le texte. Il est étonnant de voir à quel point, le metteur en scène et ses
comédiens cherchent des situations concrètes à tous ces passages de l’œuvre qui sont
aujourd’hui canonisés. Dans cette mise en scène, aucun moment n’est traité comme un
« grand moment », au contraire. Ici, « c’est la situation qui est primordiale » 12. Craignant
absolument l’abstraction et une diction mélodieuse, M. Langhoff propose à ses comédiens des
situations concrètes qui les mettent en jeu physiquement.

« Montrer son personnage », une distanciation


11
Odette Aslan, Langhoff, Les voie de la création théâtrale, CNRS Editions
12
Matthias Langhoff, Introduction et entretien par Odette Aslan, Actes Sud-Papier.

11
Ici, l’acteur n’incarne pas le personnage mais il le montre, il affirme sa prestation. M.
Langhoff cherche à déjouer la syntaxe, la motivation psychologique, il fait citer les phrases.
Lorsque scène 1 Acte III, Macbeth se trouve seul après le départ de Banquo et qu’il se décide
à le faire exécuter, Olivier Perrier (l’interprète de Macbeth) joue ce passage comme s’il
évoquait un souvenir, avec la tranquillité de l’évocation du souvenir, car ce que l’on dit
appartient au passé. Ce n’est donc pas un état émotionnel ni des motivations psychologiques
qui guident son interprétation. Ici nous retrouvons la filiation avec Brecht qui proposait aux
comédiens de citer leurs répliques « comme si (l’acteur) répétait de mémoire, à la lumière du
déroulement ultérieur, ceux de ses propos qui étaient importants à cet instant. » 13
.
L’interprétation de Gilles Privat (Banquo, Le Portier, Siward) est particulièrement
représentative de ce mode de jeu. Ainsi le spectateur n’est pas noyé dans des états de jeux
débordant qui ne lui laisse aucune place pour créer sa propre interprétation.
C’est aussi grâce à un travail sur les costumes, les coiffures et les maquillages que M.
Langhoff aide ses comédiens à trouver la juste distance avec leur personnage. Ici nous
retrouvons Brecht qui dans le Petit Organon défini ainsi l’effet de distanciation :

« Une reproduction qui distancie est une reproduction qui, certes, fait reconnaître l’objet, mais qui le fait
en même temps paraître étranger. Les théâtres antique et médiéval distanciaient leurs personnages avec
des masques humains et animaux » 14

M. Langhoff, inspiré de peintres comme J. Bosch et Goya costume ses comédiens dans une
esthétique à la fois baroque et grotesque. Leurs costumes, extrêmement signifiants jouent en
partie pour eux. Costumes, maquillage et coiffure prennent en charge une grande partie du
point de vue du personnage. À ce propos, voici ce que dit M. Langhoff de son travail :

« Le fait de répéter tout de suite avec un vêtement qui donne une idée de personnage ou qui y réponde est
pour beaucoup dans la création qui s’ébauche. On y ajoutera plus tard les coiffures et les maquillages
souvent outrés auxquels je tiens beaucoup, je ne veux pas que les acteurs aient l’air vrai : ils doivent
afficher la fiction. » 15

Cette monstration des personnages grâce aux costumes, aux maquillages et aux coiffures
participe à une exigence de mise à distance du comédien vis à vis de son interprétation et « de
montrer le réel d’une manière non réaliste » 16

13
Bertolt Brecht, Petit organon pour le théâtre, L’Arche
14
Bertolt Brecht, Petit organon pour le théâtre, L’Arche
15
Matthias Langhoff, Introduction et entretien par Odette Aslan, Actes Sud-Papier.
16
Odette Aslan, Langhoff, Les voie de la création théâtrale, CNRS Editions

12
Conclusion

C’est un « grand théâtre historique » 17 qui nous est représenté avec cette mise en scène
de Macbeth.

« Pour représenter Shakespeare il faut le jouer non du point de vue du protagoniste, mais en se plaçant en
quelque sorte du côté de ce monde nouveau, du point de vue de l’histoire » 18

C’est ainsi que B. Dort, dans son article Brecht devant Shakespeare, synthétise l’une des
grandes réflexions de Brecht sur le théâtre de Shakespeare. On le voit, avec cette mise en
scène de Macbeth, M. Langhoff, reprend les grands principes brechtiens. Dans son esthétique,
dans la forme même de la représentation, il crée sa propre singularité et s’éloigne de Brecht.
Mais le point de vue qu’il développe sur Macbeth, cette tension qu’il crée tout au long de la
représentation entre l’œuvre de Shakespeare et nous, et notre monde rejoint le travail de
Brecht. Dans son Avant propos à Macbeth, Brecht note ceci :

17
Bernard Dort, Théâtres, Point
18
Bernard Dort, Théâtres, Point

13
« Le mal de notre littérature dramatique, c’est la formidable différence qui existe entre l’intelligence et la
sagesse. Là où les auteurs allemands se mirent à penser, Hebbel, par exemple ou auparavant déjà Shiller,
ils commencèrent à construire. Shakespeare, lui, n’a pas besoin de penser. Il n’a pas non plus besoin de
construire. Chez lui, c’est le spectateur qui construit. Shakespeare ne modifie pas au second acte le cours
d’une destinée humaine pour rendre un cinquième acte possible. Tout chez lui se termine naturellement.
Dans l’incohérence des actes du théâtre shakespearien, on reconnaît l’incohérence d’une destinée
humaine (…) Il n’est rien de plus sot que de représenter Shakespeare de manière qu’il soit clair. Il est par
nature obscur. Il est la matière, le donné immédiat. » 19

M. Langhoff met en scène les contradictions du monde Shakespearien. Très concrètement, en


faisant jouer plusieurs personnages à ses comédiens et en laissant une trace de chaque
personnage, dans le costume notamment. Judith Henry qui interprète le jeune Macduff porte
un cartable. Elle interprète également une sorcière. Sa sorcière garde sur le dos le cartable du
jeune Macduff. Les comédiens seraient ainsi, tels des palimpsestes, porteurs de plusieurs
fragments de la fable, de plusieurs points de vue. Lorsque Agnès Dewite interprète Lady
Macbeth, une sorcière et Lady Macduff, les trois personnages s’en trouvent relativisés les uns
face aux autres. Cette multiplication d’interprétation permet à M. Langhoff de créer des points
de vue sur les personnages et de maintenir vives et tangibles les contradictions.

19
Bertolt Brecht, Avant propos à Macbeth in Bernard Dort, Théâtres, Point

14

Vous aimerez peut-être aussi