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LE NOUVEAU ROMAN
Après 1945, les conformismes esthétiques sont balayés. La nécessité de la reconstruction favorise
la création de nouveaux dispositifs symboliques, esthétiques, cinématographiques et
romanesques. L’adjectif nouveau est utilisé pour désigner ce qui se construit contre la tradition,
au cinéma, au théâtre, en poésie ou dans le roman... : Nouvelle Vague (Jean-Luc Godard,
François Truffaut...), Nouveau Théâtre (Eugène Ionesco, Samuel Beckett...), Nouvelle Poésie
(Yves Bonnefoy...) et Nouveau Roman ...
1) Qui sont les nouveaux romanciers ?
Alain Robbe-Grillet : Les Gommes (1953), Le Voyeur (1955), La Jalousie (1957)... - Nathalie
Sarraute : Tropisme (1939), Le Planétarium (1959), Les Fruits d’or (1963).... - Claude Simon,
prix Nobel de littérature (1985), Le Vent (1957), La Route des Flandres (1960), Histoire (1967)...
- Samuel Beckett, Prix Nobel de Littérature en 1969, Molloy (1951), Malone meurt (1951),
L’Innommable (1953)...,. - Claude Ollier, La Mise en scène (1958), Le Maintien de l’ordre
(1961)... - Robert Pinget, L’Inquisitoire (1962)... - Marguerite Duras, prix Goncourt (1984),
Un barrage contre le Pacifique (1950), Le Vice-Consul (1966), - Michel Butor, Passage de
Milan (1954), La Modification (1957)...
2) Les écrivains du Nouveau Roman partagent le même refus des codes de l’écriture réaliste
de la littérature romanesque du XIXe siècle. Ils s’accordent sur la nécessité de renouveler
l’écriture du roman en associant la réflexion critique à la pratique du roman.
Textes critiques : - L’Ère du soupçon de Nathalie Sarraute (1956), Essais sur le roman de M.
Butor (1969) et Pour un Nouveau Roman (1963) d’Alain Robbe-Grillet.
- Nathalie Sarraute, L’ère du soupçon (1956). Les articles publiés entre 1947 et 1956 réunis
dans ce volume se caractérisent par leur refus de la psychologie, de l’absurde (Sartre, Camus), du
personnage, des procédés du réalisme et annoncent la nécessité de « découvrir de la nouveauté ».
- Alain Robbe-Grillet : Pour un Nouveau Roman, (1963) : ce texte théorique rassemble des
articles publiés depuis 1956. Extraits de la table des matières : « Une voie pour le roman futur /
Sur quelques notions périmées : le personnage, l’histoire, l’engagement (contre Sartre), La forme
et le contenu / Nouveau roman, homme nouveau / Du réalisme à la réalité ».
- Sur quelques notions périmées : « Mais nous sommes tellement habitués à entendre parler de
« personnage », d’« atmosphère », de « forme » et de « contenu », de « message », du « talent de
conteur » des « vrais romanciers », qu’il nous faut un effort pour nous dégager de cette toile
d’araignée et pour comprendre qu’elle représente une idée sur le roman (idée toute faite, que
chacun admet sans discussion, donc idée morte), et point du tout cette prétendue « nature » du
roman en quoi l’on voudrait nous faire croire ». Pour un Nouveau Roman, Les Éditions de
Minuit, 1963, p. 25.
Les textes du NR rompent avec la structure narrative classique. Ils mettent en cause le
personnage, la narration d’une histoire, la linéarité du récit, la chronologie des événements. Ils
échappent ainsi à la production d’une illusion réaliste (anti-représentation). Ils bouleversent nos
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habitudes de lecture en brouillant les repères de temps et d’espace. Le texte renvoie constamment
à lui-même dans un jeu permanent de reprises, de coupures, de répétition de mots, de séquences,
de scènes, (auto-représentation). Le roman n’est plus « l’écriture d’une aventure » mais
« l’aventure d’une écriture », J. Ricardou, Pour une théorie du Nouveau Roman, (1971). Le NR
offrent une expérience limite de narration où la description devient le mode d’énonciation
privilégié du texte (focalisation externe).
3) Le primat de la description sur la narration : textes commentés
- La description d’un quartier de tomate dans La Jalousie, de Alain Robbe-Grillet, (1953)
« Un quartier de tomate en vérité sans défaut, découpé à la machine dans un fruit d'une
symétrie parfaite. La chair périphérique, compacte et homogène, d'un beau rouge de chimie, est
régulièrement épaisse entre une bande de peau luisante et la loge où sont rangés les pépins,
jaunes, bien calibrés, maintenus en place par une mince couche de gelée verdâtre le long d'un
renflement du cœur. Celui-ci, d'un rose atténué légèrement granuleux, débute, du côté de la
dépression inférieure, par un faisceau de veines blanches, dont l'une se prolonge jusque vers les
pépins — d'une façon un peu incertaine. Tout en haut, un accident à peine visible s'est produit :
un coin de pelure, décollé de la chair sur un millimètre ou deux, se soulève imperceptiblement ».
- La description de la tomate ne sert pas l’action. Elle suit un mouvement qui s’attache à décrire
l’objet le plus minutieusement possible. Elle est si précise que l’on peut difficilement avoir une
image d’ensemble de la tomate. Le référent « tomate » se perd dans l’abondance des détails.
Cette hyper-représentation transgresse les règles du réalisme classique. Le quartier de tomate
n’est plus la représentation du fruit mais son simulacre textuel.
- La description, origine du récit et de la fiction :
- Claude Simon, Leçon de choses, (1985).
« Les langues pendantes du papier décollé laissent apparaître le plâtre humide et gris qui
s’effrite, tombe par plaques dont les débris sont éparpillés sur le carrelage devant la plinthe
marron, la tranche supérieure de celle-ci recouverte d’une impalpable poussière blanchâtre.
Immédiatement au-dessus de la plinthe court un galon (ou bandeau ?) dans des tons ocre-vert et
rougeâtres (vermillon passé) où se répète le même motif (frise ?) de feuilles d’acanthe dessinant
une succession de vagues involutées. [...]
La description (la composition) peut se continuer (ou être complétée) à peu près
indéfiniment selon la minutie apportée à son exécution, l’entraînement des métaphores proposées,
l’addition d’autres objets visibles dans leur entier ou fragmentés par l’usure, le temps, un choc
(soit qu’ils n’apparaissent qu’en partie dans le cadre du tableau), sans compter les diverses
hypothèses que peut susciter le spectacle. Ainsi il n’a pas été dit si (peut-être par une porte
ouverte sur un corridor ou une autre pièce) une seconde ampoule plus forte n’éclaire pas la scène,
ce qui expliquerait la présence d’ombres portées très opaques (presque noires) qui s’allongent sur
le carrelage à partir des objets visibles (décrits) ou invisibles — et peut-être aussi celle,
échassière et distendue, d’un personnage qui se tient debout dans l’encadrement de la porte. Il n’a
pas non plus été fait mention des bruits ou du silence, ni des odeurs (poudre, sang, rat crevé, ou
simplement cette senteur subtile, moribonde et rance de la poussière) qui règnent ou sont
perceptibles dans le local, etc., etc. »
- Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New York, (1970).
« La surface du bois, tout autour, est recouverte d’un vernis brunâtre où de petites lignes
plus claires qui sont l’image peinte en faux semblants de veines théoriques appartenant à une
autre essence, jugée plus décorative, constituent des réseaux parallèles ou à peine divergents de
courbes sinueuses contournant des nodosités plus sombres, aux formes rondes ou ovales et
quelques fois même triangulaires, ensemble de signes changeants dans lesquels j’ai depuis
longtemps repéré des figures humaines : une jeune femme allongée sur le côté.. .» .
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Plan du 2ème cours
GEORGES PEREC
1) Biographie
Perec est né Le 7 mars 1936 dans une famille d’immigrants d’origine polonaise. Il perd ses
parents pendant la seconde guerre mondiale et est recueilli par sa tante paternelle. De retour à
Paris, il entreprend des études de sociologie et travaille comme documentaliste.
Au cours des années soixante, il collabore à diverses revues : Les Lettres nouvelles, La Nouvelle
revue française, Clarté... Il crée chaque semaine les mots croisés du magazine Le Point de 1976 à
1982. Il meurt en 1982.
2) « Le rejet du nouveau roman »
Perec s’inscrit dans le mouvement moderne de remise en cause de la littérature romanesque initié
par Le Nouveau Roman. Mais, Pour Perec le NR est trop formaliste et trop réactionnaire : « Ni la
littérature en général, (...) ni le « Nouveau Roman » ne sont parvenus, ni ne parviendront jamais à
décrire le monde réel, à cerner, à définir, à explorer cette réalité, dont tout œuvre véritable se doit
de rendre compte ». Georges Perec, L. G., Éditions du Seuil, 1992, p. 44. Comment explorer la
réalité ?
3) Les expériences urbaines de Perec
« L’intérêt était d’observer de très près ce que l’on voit dans une rue, dans une scène de rue. La
plupart du temps, on ne prête pas attention à ce que j’appelle la quotidienneté... ». Ces
expériences sont multiples : Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Carrefour Mabillon,
Lieux, autant d’exercices d’écriture appliqués à un quartier, un carrefour, une rue. En 1974, il
choisit la place Saint-Sulpice pour se lancer dans sa Tentative d’épuisement d’un lieu parisien
(1975). Georges Perec s’attache à rendre compte de ce qu’il nomme « l’infra-ordinaire ».
Comment ? Inventaires, listes, énumérations constitueront les formes de recensement de « l’infra-
ordinaire ».
4) L’écriture autobiographique
Elle est très présente dans l’œuvre de Perec. Elle se conjugue à son souci d’inventaire. : Je me
souviens (1978) fait le catalogue de ce que sa mémoire garde de l’actualité. L’écriture est le lieu
de remémoration des choses et des êtres. Dans W ou les souvenir d’enfance (1975), Perec évoque
son drame familial. Dans Récits d’Ellis Island, (1980) il parle de la diaspora juive new yorkaise.
Nécessité de conjurer par l’écriture un vide biographique et la perte inéluctable du réel. L’écriture
manifeste pour Perec « la volonté d’« essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire
survivre quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque
part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes ». Espèces d’espaces, Galilée, 1974.
5) L’influence de l’Oulipo.
L’Oulipo, L’Ouvroir de Littérature Potentielle, fut fondé en 1960 par Raymond Queneau et
François le Lionnais. Il réunit des écrivains et des mathématiciens. L’oulipo définit une pratique
de la littérature qui repose sur l’utilisation de contraintes littéraires (poèmes à forme fixe...) et
mathématiques (algèbre, topologie...) comme bases de nouvelles structures essentiellement
poétiques et romanesques.
- La Disparition (1969) : un récit qui fait disparaître tous les mots qui comportent la lettre E.
C’est un texte lipogrammatique.
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- Les Revenentes, (1972) élimine toutes les autres voyelles au profit du E, seule voyelle admise.
6) Le retour du romanesque
Les Choses (1965) : roman sociologique sur le rapport des individus aux objets de la société de
consommation, l’avoir pour être (cf programme du TD).
La Vie Mode d’Emploi, (1978) : il s’agit de raconter la vie d’un immeuble parisien dont la façade
a été enlevée, situé au numéro 11, de la rue (imaginaire) Simon-Crubellier dans le 17e
arrondissement de Paris. « C'est une maison dont on a enlevé la façade et on décrit ce qui se passe
dans chaque pièce, chaque pièce fait l'objet d'un chapitre, on raconte, on décrit les objets qui sont
dans ces pièces et en même temps on raconte, on fait revivre la vie des gens qui ont vécu jadis et
qui vivent encore dans cette maison ». La Vie Mode d’Emploi retrace en 99 chapitres les vies,
simples, aventureuses, fascinantes ou banales, des locataires de cet immeuble parisien.
Comment raconter la vie d’un immeuble parisien ?
Influence du dessin de Saül Steinberg paru dans The Art of Living (Londres, Hamish Hamilton,
1952) sur le projet perecquien. Perec va également utiliser des modèles mathématiques : le carré
bi-latin orthogonal d’ordre dix et La polygraphie du cavalier qui caractérise le mouvement d’un
cavalier sur toutes les cases d’un échiquier, sans jamais repasser deux fois par la même case.
Comme la polygraphie du cavalier s’effectue généralement sur un échiquier de 64 cases, Perec
l’adapte au dimension d’un casier de 100 cases afin de faire coïncider la polygraphie du cavalier
et le carré bi-latin orthogonal d’ordre 10. Chaque case va devenir une pièce de l’immeuble et un
chapitre du livre. Seule une case sera omise car il y a toujours une erreur dans un système. Il n’ y
aura donc que 99 chapitres dans le roman.
Sous le titre du livre est inscrit « romans » au pluriel. Que signifie ce pluriel ? Il exprime une
tentative de sortir du cadre étroit du genre « roman ». Ce qui caractérise La VME, c’est
l’abondance des récits, des personnages, des histoires racontées. Le « romans » est un hyper-
roman (hypertexte). Un hypertexte, c’est un texte constitué en réseaux dans lequel le lecteur est
libre de naviguer de façon non linéaire. Ce qui caractérise La VME ce sont ses cours chapitres, la
discontinuité de l’intrigue, l’importance des descriptions, la pluralité des histoires, la
superposition des époques, les nombreuses annexes. En s’ouvrant par une réflexion sur le puzzle,
en proposant en annexe la liste des personnages, des histoires racontées..., le roman permet
plusieurs parcours de lecture.
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Plan du 3ème cours
LE ROMAN CONTEMPORAIN (1980 – 2015)
1/ L’après Nouveau Roman : les autres générations des écrivains des Éditions de Minuit.
Jean Echenoz, Jean-Philippe Toussaint, Eric Chevillard... revisitent les formes traditionnelles du
roman et les œuvres du passé : roman policier, roman d’aventure, roman d’espionnage dans une
écriture au second degré. L’écriture minimaliste de Jean-Philippe Toussaint (La salle de bains
(1985), L’Appareil photo (1989), La Télévision (1997) - le maximalisme de la fiction de Jean
Echenoz (Le Méridien de Greenwich (1979), Cheerokee, (1983), les Grandes blondes (1995), Au
Piano (2003)...
- Le renouvellement du genre
Alain Robbe-Grillet : Romanesques (Le Miroir qui revient, (1985), Angélique ou l’enchantement,
(1988), Les Derniers jours de Corinthe, (1994). « Peut-on nommer cela, comme on parle du
Nouveau Roman, une Nouvelle Autobiographie (...) ? Ou bien, de façon plus précise (...) une
« autobiographie consciente », c’est à dire consciente de sa propre impossibilité constitutive, des
fictions qui nécessairement la traversent, des manques et apories qui la minent, des passages qui
en cassent le mouvement... ».
- Les fictions biographiques réinventent les histoires de personnages réels ou historiques. Ces
fictions manifestent un autre regard sur l’Histoire et la politique : Pierre Michon, Vies
minuscules, (1984) met en scène des figures inconnues. Patrick Deville, Pura Vida, (2004)
retrace la vie de William Walker et celles des mercenaires et révolutionnaires d’Amérique
centrale.
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4/ L’autofiction : essai de définition
« Autobiographie ? non, c’est un privilège réservé aux importants de ce monde, au soir de leur
vie, et dans un beau style. Fiction, d’événements et de faits strictement réels ; si l’on veut,
autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure du langage, hors sagesse et hors
syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau ». Serge Doubrovsky, Fils, (1977).
- L’autofiction manifeste un retour du sujet dans la littérature sous des formes diverses : mise en
fiction de soi (Un joueur, Philippe Sollers, 1984), dévoilement de son intimité (Annie Ernaux, La
Place, 1984), Hervé Guibert, (Le Protocole compassionnel, 1991), Christine Angot, (L’Inceste,
1999), retour vers ses origines : Pierre Bergounioux (La Maison rose, 1984).