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MEMOIRE OU IMAGINAIRE : LES ENFANTS CONTRE LE FASCISME

SELON GUILLERMO DEL TORO

Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UFR 04 Article de Recherche au sein du cours d’Analyse de Films


de M. José MOURE- Master 1 Cinéma Recherche Année Universitaire 2011-2012

Laura REMBAULT RIBEIRO


n°10821367
MEMOIRE OU IMAGINAIRE : LES ENFANTS CONTRE LE FASCISME
SELON GUILLERMO DEL TORO

Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UFR 04 Article de Recherche au sein du cours d’Analyse de Films


de M. José MOURE- Master 1 Cinéma Recherche Année Universitaire 2011-2012

Laura REMBAULT RIBEIRO


n°10821367
laura.rembault@wanadoo.fr / 067996456
« Il y a des gens qui collectionnent les papillons, moi je collectionne les images. Une fois une image
filmée, je la coche en me disant « OK ! Celle-ci, je l’ai ». Au départ je désirais devenir peintre mais je
n’avais pas le talent graphique nécessaire en tant qu’illustrateur. Donc, faire des films revient en
quelque sorte à peindre.»

Guillermo del Toro


INTRODUCTION
C’est dans les années 90 que les nouveaux réalisateurs mexicains sont venus s’immiscer dans le
paysage cinématographique mondial. Cette « Nouvelle Vague » représentée par le trio : Alfonso
Cuaron, Alejandro Gonzales Inarritu et Guillermo del Toro. Trois réalisateurs qui n’ont pas peur
d’affirmer leur point de vue et leur vision du monde. Connus pour avoir réalisé des blockbusters
comme Blade II en 2002, Harry Potter et Le Prisonnier d’Azcaban (Cuaron) et pour del Toro Hellboy I
en 2004, Hellboy II et les Légions d’or maudites en 2008. Mais ils excellent aussi dans des films plus
intimistes à plus petits budgets comme Y tu Mama tambien de Cuaron (2001), et pour Inarritu 21
Grammes (2003), Babel (2006) ou encore Biutiful en (2010). Ils ont su par leur émergence dans ce
nouveau cinéma ébranler Hollywood grâce au soutien non négligeable de producteurs passionnés :
les frères Almodovar (Augustin et Pedro), Francis Ford Coppola et Martin Scorsese pour ne citer
qu’eux. L’industrie les a accueillis certes pour leurs recettes, mais aussi parce qu’ils ont su se faire
aimer du public et des spectateurs par leur esthétique particulière et personnelle, sans omettre leurs
castings alléchants et « bankable » (Brad Pitt, Benicio del Toro, Ron Perlman, Gaël Garcia Bernal, Cate
Blanchett, Javier Bardem…). Ils savent se démarquer parmi les autres productions que cela soit sur un
film de super héros ou un projet plus social ou engagé sur lequel la caméra pose son regard.
Grossissant et mettant en valeur « ceux » que l’on ne voit pas, « les invisibles » : enfants, victimes, ou
personnage sortant de la « normalité ».

Le trio représentant la Nouvelle Vague : (de gauche à droite) Alfonso Cuaron, Alejandro Gonzales Inarritu et Guillermo
del Toro

5
Ce qui nous intéresse dans la production de cette nouvelle vague touche plus à l’histoire avec un
« grand H », au travail de mémoire qui est si cher à Guillermo del Toro et sa façon si particulière de
mêler réalité et fantasmagorie. En effet, dans la galaxie des « visionnaires marginaux », inclassables
et indéfinissables, quelque part entre Peter Jackson et Tim Burton, le « gros » mexicain se fait sa
place. Avec sa particularité d’alterner films grand public (Blade II, et les deux Hellboy) et films
hispanophones qui intéressent un public plus restreint L’Echine du Diable en 2001 et Le Labyrinthe de
Pan en 2006, dytique sur la guerre civile espagnole. Del Toro avec ces deux films concrétise le désir
de raconter une fable sur la possible rencontre entre un monde concret et un monde purement
imaginaire, mis en perspective sous un angle angoissant et monstrueux. Quand on étudie le cinéma
de del Toro, on se rend compte qu’il y a un lien entre ses thèmes fétiches et le cinéma fantastique
espagnol tels que : la peur et l’acceptation de la mort, les figures tragiques et monstrueuses, la
monstruosité, la notion de sacrifice de soi, l’omniprésence oppressante de la figure paternelle, la
perte de l’innocence, le choix et les conséquences.

Ces thématiques sont au cœur de L’Echine du Diable et du Labyrinthe de Pan, et nous étudierons
l’interaction qui existe entre ces deux mondes, le travail de mémoire très présent mais surtout nous
analyserons la violence de cette mythologie qui se révèle être le reflet de la cruauté de la guerre. Il
faut découvrir ces contes noirs, fascinants et émouvants, qui militent avec talent pour la puissance
cathartique des fables. Là se cache le talent de Guillermo del Toro, dans la manière de raconter une
histoire, tous les choix artistiques sont pesés et justifiés, et les références cinématographiques ou
picturales abondent, sans surcharger le film pour autant. Peut-on considérer que Guillermo del Toro
crée un cinéma fantastique comme exorcisme de la peur et traite « le Mal » par la terreur (nous
sommes bien loin des ogres et monstres des contes de fées classiques) et la transformation de
l’image de la violence ? Comment arrive-t-il à imager si précisément le fléau de la « bête
immonde dont le ventre est encore fécond 1 » ?

1
Bertolt Brecht dans La Résistible ascension d’Arturo Ui (1941)

6
I - UNE LUTTE CONTRE L’OUBLI

A/ Vision de la Guerre d’Espagne par del Toro : un diptyque historique

Rappelons rapidement la relation particulière qu’entretient l’Espagne avec son histoire récente. La
Guerre d’Espagne souvent désignée aussi sous le nom de Guerre Civile Espagnole, se déroula de
juillet 1936 à avril 1939. Le conflit opposa les Nationalistes aux Républicains. La guerre s’acheva par
la défaite de ces derniers et l’établissement de la dictature de Francisco Franco qui conserva le
pouvoir absolu jusqu’en 1975, date de sa mort. Mais soyons précis, après la victoire des Républicains
aux élections en 1936, les militaires espagnols firent un coup d’état qui engendra une atroce guerre
civile où Franco pris le pouvoir entrainant un régime de dictature durable 2. Tel est le cadre des films,
L’Echine du Diable et Le Labyrinthe de Pan.

Pendant la période du franquisme : l’histoire était un sujet tabou. Car Franco, le « caudillo 3 » avait
non seulement imposé sa vision propre des événements, mais fait réécrire l’Histoire de l’Espagne. Ce
qui engendra par conséquent une sévère censure sur de nombreux sujets, entre autre sur l’histoire
récente. Pietsie Feensta explique qu’a la mort du dictateur espagnol, l’histoire à enfin pu refaire
surface notamment par le cinéma : « (…) Depuis 1976, différentes notions de l’histoire reviennent à la
surface : la guerre civile, le personnage de Franco ou les interdits de la dictature, brisant ainsi les
tabous du passé. (…) le cinéma apporte des images qui nous permettent de penser l’histoire, en
posant des questions de mémoire 4». Ce qui nous intéresse dans l’œuvre de Guillermo del Toro c’est
sa vision transnationale de ce conflit en tant que mexicain ayant grandit avec l’Histoire espagnole.
Cette guerre est connue pour ses implications internationales, cette dernière a souvent été
considérée comme le prélude et le terrain d’essai de la Seconde Guerre Mondiale. Hitler et Mussolini
soutinrent les actions de Franco, en envoyant entre autre des soutiens militaires, des armes et des
bombes. C’est là que réapparait le cinéma et son pouvoir de mémoire, en effet, il se fait mémoire
quand il analyse le passé sur grand écran. Comme le dit Feensta : « Le cinéma pense la mémoire,
nous la donne à voir et, ainsi, la théâtralise. Nous sommes témoins, devant ces images, d’un passé
espagnol complexe. Le point de départ de toutes les analyses est historique et esthétique, mélangeant
à la fois fiction et documentaire. 5» Nous nous focalisons sur la remémoration, mais surtout la
remémoration du conflit espagnol dans d’autres pays, ici le Mexique.

2
Portant même son nom.
3
Leader politique, militaire et/ou idéologique en Espagne ou Amérique Latine.
4
P14-15 in Mémoire du cinéma espagnole (1975-2007)
5
Ibid

7
Arrivée de Carlo à l’orphelinat : découverte de la bombe et de son fameux « tic tac »

Del Toro, avec L’Echine du Diable et Le Labyrinthe de Pan, prend à cœur son devoir de mémoire. En
effet, au-delà du cadre de la guerre civile qu’il prend comme décors, il enclenche une mécanique du
souvenir pour mieux prévenir…l’obus planté dans la cour de l’orphelinat ne serait-il pas un écho aux
bombes de Guernica 6 ? Sans la destruction bien sûr, mais qui rappelle que la guerre sera toujours
présente, marquante. Cette bombe qui « tic tac » sans jamais exploser, qui fascine à la fois les
orphelins de del Toro et leur rappel la menace qui les guette. La montagne de chaussures dans le
Labyrinthe de Pan, elle aussi est symbolique et amène à se souvenir. Quand Ofélia rentre dans l’antre
du Pale Man à la gauche de ce dernier se trouve un énorme tas de chaussures d’enfants, l’image
n’est pas explicite, c’est par l’implicite que le réalisateur fait son travail de mémoire sur le spectateur.
Chaussures qui marquent un souvenir immonde et fort de sens : les Alliés découvrant les camps de la
mort et les piles de vêtements, chaussures et effets entassés des victimes tués par les nazis.
Effroyable découverte des charniers, effroi qu’on retrouve dans le regard d’Ofélia quand elle pénètre
dans l’antre et fait le rapprochement entre les fresques des « exploits » du Pale Man et les
chaussures entassées. Sans oublier, le rouge sang des aliments et autres denrées posées sur la table
du monstre. Festin qui rappel étrangement la table richement agrémentée de Vidal.

Ofélia dans l’antre du Pale Man et succombant à l’interdit de Pan : « Ne manges rien, ne touches rien »

Le pouvoir procure de quoi se nourrir, il suffit de faire couler le sang pour faire taire sa faim, tandis
que le reste de la population meurt de faim et se plie à un rationnement instauré par le capitaine

6
Les bombardements de Guernica : fut un événement majeur et hautement symbolique de la guerre
d’Espagne, action qui permis d’internationaliser la médiatisation du conflit (26 avril 1937)

8
(métaphore complètement assumée par le réalisateur). La, se trouve la force de Guillermo del Toro,
la force du cinéma, se remémorer via une fable, un conte noir. Redécouvrir les horreurs, par le
regard de l’enfant.

Comme disait Jean Eustache, « Le cinéma se fait 7». Se faisant, le cinéma se créé en nous faisant
appréhender la vie des gens, des paysages, de la lumière, des sentiments et il nous mettra en
présence de gens que nous aimerons découvrir. Le cinéma narrateur et montreur universel nous
embarque dans des torrents d’émotions, de rêves, d’interrogations et de face à face avec de
nouveaux protagonistes ou personnages. C’est ce cinéma et les films que réalise Guillermo del Toro
qui interpellent et fascinent de plus en plus de jeunes, pas forcément cinéphiles, et de moins en
moins politiquement reliés ou connaisseurs de l’histoire de l’Espagne.

B/ Absence de père et incarnation du Fascisme : symbolisme du pouvoir


dictatorial de Vidal

Jacinto (Eduardo Noriega) : le prince sans royaume, « méchant » cupide et sans cœur de l’Echine du Diable

« Quelle solitude que celle du prince sans royaume, de l’homme sans chaleur… », L’Echine du Diable
de del Toro révélait et décrivait par cette phrase la nature de son personnage, son « monstre » :
Jacinto surnommé « le prince sans royaume » par Carmen la directrice de l’orphelinat. Ces mots
pourraient s’appliquer au personnage de Vidal. En effets, cette citation est révélatrice du contenu
thématique du Labyrinthe de Pan. D’après le cinéaste mexicain, le seul royaume qui ait de la valeur,
le plus beau, le plus extraordinaire et le plus magnifique se situe loin de toutes les considérations
matérialistes et très loin de tout réalisme.

Ce royaume se trouve au royaume des fées, dans la tête, dans l’imaginaire onirique et
fantasmagorique de tous les rêveurs du monde. Inaccessible pour des personnes telles que le
subordonné Jacinto et le capitaine Vidal. Il fait exister cette idée en confrontant un homme ivre de

7
In Le Cinéma Espagnol des années 90 par Pilar Martinez.

9
pouvoir « sans chaleur », sans imaginaire et par conséquent « sans royaume » et une petite fille
débordant d’imagination princesse du Royaume des Abîmes.

Del Toro nous donne à voir et à entendre, mais surtout à ressentir. Il nous livre à la fois une
déclaration d’amour dédiée au fantastique tout en échafaudant une réflexion désespérée sur le
monde dans lequel nous vivons le réel.

Vidal, plus que Jacinto (beaucoup moins subtile que le capitaine même s’il existe des similitudes
entre les deux personnages) est le personnage qui incarne le Fascisme, il est le symbole même du
pouvoir, de l’obéissance aux ordres. Tout d’abord, avant d’approfondir notre analyse de Vidal il faut
comparer ces deux personnages : deux hommes, tous deux livrés à eux-mêmes dès leur plus jeune
âge (tout comme les héros de L’Echine du Diable et Le Labyrinthe de Pan), aucun des deux n’a de
famille, ils ont perdus leur père très jeunes et sont tous deux redoutés et séduisants auprès de la
gente féminine. Les similitudes s’arrêtent là pour ce qui est de leur « passé commun ». Vidal, lui, a
« réussi » sa vie, il est haut gradé dans l’armée, dirige ses hommes d’une main de fer et est sans
merci. Il essaye de ressembler au père qu’il n’a pas connu, le soldat mort au combat qui brisa sa
montre avant de mourir, pour que son héritier se souvienne de « la seule et unique façon de mourir
comme un homme », phrase qu’il répétera à ses hommes lors de l’assaut dans la forêt.

La fameuse montre brisée qui rythme la vie de Vidal

C’est une machine représentant le fascisme dans ce qu’il y a de plus violent et ignoble : la froide
obéissance aux ordre, son obsession du temps (ses premiers mots seront « Vous êtes en retard de

10
quinze minutes ») représenté par sa montre fétiche qu’il ne cesse de regarder pendant tout le film ou
qu’il remonte, il est le rouage d’une mécanique qui ne connait pas la pitié et qui n’a, à l’évidence
,aucune conscience : il préfère sauver son fils que sa femme, le bébé sera sa deuxième obsession au
milieu du Labyrinthe de Pan.

Interrogatoire du Bègue par Vidal

C’est un maniaque psychopathe qui répète machinalement les mêmes phrases aux personnes qu’il
torture (le Bègue, les braconniers et Mercedes) : « tu vas nous dire toute la vérité. C'est pour te tirer
les vers du nez qu'on a apporté quelques outils. C'est un truc qu'on apprend chez nous. Au début je ne
te ferai pas confiance, mais dès que je te ferai tâter de ça [il lui montre un marteau], tu commenceras
à me dire quelques petites choses. Et quand on passera à ça [une pince], il s'établira entre nous des
relations... comment te dire... très intimes, comme deux frères. Tu verras. Et quand on en arrivera à

ça [un pic à glace], je pourrai croire tout ce que tu me diras. » Doublé d’un sadisme qui rend ces
scènes insoutenables : cassage de nez à coups de bouteille de verre, cassage de bras au marteau, etc.
Les victimes en deviennent à peine reconnaissables, on n’est pas loin des peintures de Francis Bacon
en fin d’interrogatoire. Guillermo del Toro filme la chair tuméfiée et sanguinolente de manière
organique laissant achever ses personnages par le médecin Ferrero : la douleur suinte de l’écran, on
la ressent, la peur de Vidal est vraie et prend le spectateur aux tripes. Génial Sergi Lopez !

Pour Vidal, il n’y a qu’une seule voie la sienne, il ne supporte pas l’idée d’un autre choix, sa réaction
est moqueuse lorsque le docteur Ferrero (Alex Angulo) insinue que le bébé pourrait être une fille. Il
sera même surpris quand celui-ci choisit de ne pas suivre ses ordres quitte à mourir : « J'aurais pu,
c'est vrai, mais je ne l'ai pas fait. Voyez-vous, pour pouvoir obéir comme ça, sans poser de questions...
Il faut faire partie des gens comme vous, capitaine. »

11
Capitaine Vidal se recousant la joue (à gauche), et ordonnant à ses hommes de tuer Mercedes

Le docteur ainsi que Mercedes à leurs façons lutte contre Vidal et par conséquent la menace qu’il
incarne : le Fascisme. Cette dernière arrivera même à le blesser et le défigurer grâce au couteau de
cuisine qu’elle dissimule sur elle, bonne à tout faire elle choisit de se défaire de ses liens au lieu de se
résoudre à son triste sort.

Le personnage qu’incarne Lopez est symbolisé dans le monde de Ofélia en ogre (le Pale Man) qui est
assit devant cette table pleine de victuailles. Cette mise en scène est représentative du piège qu’a
tendu Vidal aux républicains en entassant dans la réserve l’approvisionnement. Autre symbole, les
enfants victimes de l’ogre renvoient aux enfants du pays morts dans cette guerre civile par la main de
leur propre père représentant l’autorité mais aussi la mort de l’innocence face à l’horreur du
fascisme. Vidal, c’est la fatalité, prisonnier qu’il est de l’image de son père que lui renvoie son miroir.
Fatalité qu’il veut infliger à son propre fils et que Mercedes empêchera en ces mots : « VIDAL : Vous
direz à mon fils... Dites-lui à quelle heure est mort son père. Dites lui que je...

MERCEDES : Non. Il ne saura rien de toi, pas même ton nom ».

12
C/ Dualité entre le Bien et le Mal : les choix pour une identité

Comme dans tout conte, Guillermo del Toro met en place une certaine dualité entre le Bien et le Mal.
En effet, le pôle du Bien c’est l’idée utopiste du Faune Pan de rétablir un équilibre, un monde où les
créatures, les animaux et les hommes pourraient vivre en paix. Face à cette conception du Bien,
représentée par l’imaginaire ; la partie réaliste du film montre et illustre le Mal dans toute sa
méchanceté et cruauté, dans toute son horreur.

Del Toro est mexicain et non espagnol, mais malgré tout il reste très proche de la culture espagnole,
cette dernière qu’il représente avec la Guerre d’Espagne comme décors du mal absolu (ce dernier
aura pour figure le nazisme dans le dytique Hellboy). Comme nous l’avons dit auparavant Le
Labyrinthe de Pan tout comme L’Echine du Diable sont des films qui réunissent le conte et la réalité
mais surtout qui mettent en exergue ce désir de bien qui hante les humains. Désir inaccessible et
contredit par les cruautés et horreurs qui jalonnent l’Histoire humaine. Si ces deux films, ne laissent
guère d’illusion sur le bonheur humain : en effet, (les deux fins en sont les témoins) on peut espérer
en la reconstruction des personnages dans le monde imaginaire pour Ofélia et une recherche de vie
nouvelle et différente pour les enfants quittant l’orphelinat.

Vidal réprimandant Ofélia d’avoir crut pouvoir sauver sa mère avec une mandragore

13
« Le Fascisme est une affaire d’homme. Ofélia est le contraire ultime du capitaine franquiste : elle
incarne la pureté et la vérité. Après la naissance de mes enfants, j’ai réalisé à quel point ils sont forts
et infiniment plus courageux que les adultes. Surtout les filles 8. »

Il est évident qu’au personnage de Vidal s’oppose celui d’Ofélia, à Jacinto s’opposent les orphelins :
ce contraste est représenté par la dualité omniprésente, l’enfant face à l’adulte, la femme face à
l’homme, les couleurs chaudes opposées aux couleurs froides, la réalité à l’imaginaire, le choix de la
destinée face à la fatalité. Ofélia (et Carlos) c’est l’innocence perdue face à la folie humaine comme
cette petite princesse qui s’est brûlée les yeux au contact de la surface. Elle défie Vidal tout le long du
film : elle lui tend la main gauche pour lui dire bonjour, elle est contente de s’être salie et d’avoir
souillé sa robe pour le souper, elle se réjouit de le décevoir. Lui qui est droit et carré, qui trouve que
les livres nuise à Ofélia, (tel un censeur) ne laisse aucune place à l’imaginaire, il n’existe rien d’autre
que leur monde, pas de place pour ses fantaisies de mandragores et autres fées.

Elle défie son beau-père comme elle défie le temps, elle arrive en retard au diner, elle sort de l’antre
du Pale Man après que le temps du sablier soit écoulé, mais elle se fabrique une autre porte de sortie
quand celle-ci se referme, comme s’il y avait toujours un autre choix possible avec un peu
d’imagination. Et c’est bien ça tout le propos du film, existe-t-il des moyens de se soustraire à la
fatalité ? Au temps qui passe ? À Vidal ? Au Fascisme ?

8
Propos de Guillermo del Toro lors d’une interview promotionnelle du Labyrinthe de Pan

14
II - LES POUVOIRS DE L’IMAGINAIRE ET DU FANTASTIQUE : DECODAGE
ET COMPREHENSION DU MONDE

A/ Des contes initiatiques à la manière de Lewis Caroll et James Matthew


Barrie

Quel rapport y a-t-il entre le monde des contes (l’inconscient et l’imaginaire) et celui de l’Histoire qui
se charge de montrer la cruauté humaine (conscient et réalité) ? Telle pourrait commencer notre
étude sur Guillermo del Toro. Les deux univers semblent parfaitement différents (si on occulte le fait
que les histoires s’inspirent de faits réels), d’autant plus que les contes semblent (au premier abord)
destinés aux enfants, tandis que les histoires de cruautés « réalistes » aux grands enfants, adultes
avertis. N’oublions pas que les contes ont leur part d’horreur et de cruauté 9 (les ogres et sorcières
mangeurs d’enfants du Petit Poucet 10 et Hänsel & Gretel 11) mais leur univers narratif n’est pas le
même que celui des histoires réalistes à cause de leur morale aussi présente dans les fables.

Le pari de Guillermo del Toro c’est justement de réunir ces deux univers dans un même film, pour un
même public. Composition récurrente de ses productions. Les deux univers il les met en parallèle
certes par un montage alterné soigné et un découpage réfléchit pour une compréhension optimale
de son récit. Les deux mondes cohabitent tout en ne cessant pas de se répondre. Figure récurrente
des histoires fantastiques, que ça soit les contes comme Peter Pan ou Alice au Pays des Merveilles où
les héros évoluent dans un univers parallèle appelé « Neverland » ou « Wonderland », peu importe le
nom, la structure est la même, mais aussi elle est présente dans des histoires moins enfantines
comme La Machine à explorer le temps de H.G.Wells (1895) ou les Éloïs et Morlocks « cohabitent »,
les uns sur la terre ferme, les autres en sous terrain. Au-delà des aspects techniques, le lien qui
assure ces passages presque naturels d’un univers à l’autre c’est évidemment ses personnages
principaux (Carlos et Ofélia) qui sont à la jonction, au croisement des deux mondes : pour Ofélia, elle
doit tenir tête à son beau-père tyrannique tout en étant l’héroïne du conte, tandis que Carlos est une
sorte d’intermédiaire entre Santi et le monde des vivants, lui seul a une vue omnisciente de ce qui se
passe, tout comme Ofélia. Si on suit cette logique, on peut voir le personnage de Vidal à une
métaphore du lapin obsédé du temps d’Alice et l’immense crapaud au ver à soie fumeur, Ofélia
s’enfonce dans un arbre pour le trouver et lui voler la clé tandis que Alice tombe dans un terrier, il y a

9
D’après Bruno Bettelheim
10
De Charles Perrault paru dans Les Contes de ma Mère l’Oye en 1697.
11 er
Figurant dans le 1 volume des Contes de l’enfance du foyer rapporté par les frères Grimm (1812)

15
le même rapport aux profondeurs, sorte de passage entre deux mondes : elles passent de l’autre
côté du miroir (objet qui a son importance dans l’œuvre du réalisateur). Elles sont toutes deux férues
de littérature.

Ofélia découvrant l’arbre mort qui sert de refuge au crapaud géant

« Croire à ses rêves c’est les faire exister, ce à quoi se livrent les enfants de façon naturelle », telle
pourrait être les mots de Lewis Carroll 12 ou J.M.Barrie 13.

Il est juste de comparer la petite Ofélia à la célèbre héroïne d’Alice au Pays des Merveilles, tout
comme les enfants de l’Echine du Diable ressemblent étrangement à la Tribu des Enfants Perdus de
Peter Pan, ils ne luttent pas contre des pirates mais c’est tout comme, voire pire. Que ça soit Alice ou
Ofélia, ces héroïnes subissent un certain rite initiatique marqué par une quête pleine d’épreuves et
d’obstacles. Rite initiatique sous le signe du « passage » pour Ofélia, passer de l’enfance à
l’adolescence, de l’insouciance au prise de responsabilité…elle doit vaincre ses peurs pour faire
triompher le bien.

B/ Des monstres humains dans l’horreur de la guerre

A travers ces deux films, del Toro parvient à traduire de manière cohérente et aboutie les différents
motifs et thématiques qui composent son cinéma. Del Toro adopte comme genre général le
fantastique (film de monstre et fantômes pour ces deux films) bien que son œuvre témoigne de
codes divers, en particulier un décor de film de guerre, menace et horreur principale de ces deux
films. Avec l’Echine du Diable, del Toro s’intéresse à la figure du spectre qu’il traite en deux temps :
tout d’abord, à travers le revenant placé au centre de son récit, mais aussi parallèlement il traite ce
même fantôme en l’étendant aux autres personnages ainsi qu’au conflit enfoui en soit. Démarche
que l’on retrouve dans le Labyrinthe de Pan.

12
(1832-1898) auteur de Alice au Pays des Merveilles publié en 1865
13
(1860-1937) auteur de Peter Pan publié en 1911

16
Le réalisateur décide de nous montrer l’Espagne figée dans le temps, quasiment stagnante, au même
titre que l’obus qui s’est écrasé dans la cour de l’orphelinat de L’Echine du Diable sans jamais
exploser. Comme une Epée de Damoclès, la bombe symbolise une guerre qui ne s’est jamais
réellement terminée pour le pays, pour l’Espagne. Amour et fascination du réalisateur pour les
éléments arrêtés dans le temps qu’il traduit à sa façon, avec sa patte : par des films d’horreur
atmosphérique où l’enfant doit s’adapter et faire face aux horreurs de la vie, de ses rêves.

Les personnages de del Toro, sont hantés ou incomplets. Expliquons-nous, par « hantés » et
« incomplets » nous comprenons qu’ils on perdu quelque chose ou quelqu’un : en effets, les enfants
de l’orphelinat dans l’Echine du Diable sont orphelins (ils ont perdu leurs parents, leur famille) tout
comme Ofelia dans Le Labyrinthe de Pan (son père résistant est mort et elle assiste à la mort de sa
mère en couche). Ils sont livrés à eux-mêmes. Au-delà de ça on remarquera que Jacinto (interprété
par Eduardo Noriega, le vrai méchant de L’Echine du Diable) a perdu son enfance dans cet orphelinat,
il n’a connu que cette « prison » rien d’autre. Casares (Federico Luppi) l’étrange médecin, professeur
de science est hanté lui, par l’amour qu’il voue à Carmen la directrice (Marisa Paredes) et bien sûr, la
propre mort, l’assassinat de Santi (Junio Valverde) esprit revanchard. Bien sûr ils sont hantés par
leurs expériences et histoires personnelles mais il ne faut pas oublier que le fantôme qui hante ces
derniers, les vivants, c’est le fantôme métaphorique qu’est la guerre, elle-même qui détruit à la fois
ce qui leur est de plus cher, mais surtout qui détruit passé et futur.

Les films de del Toro présentent souvent un monstre coincé entre la vie et la mort, le réel et
l’imaginaire : bien sûr, Santi dans L’Echine du Diable, et les différents monstres que rencontre Ofelia
(le faune Pan, la grenouille titanesque, et le Pale Man) mais cette thématique est aussi présente dans
le personnage de Hellboy (Hellboy I et Hellboy II). Ils sont alors figés dans le temps ou « prisonniers »
d’un univers qui n’est pas le leur.

Des monstres bienveillants : Pan et Ofélia (à gauche) et Carlos et Santi (à droite)

17
Santi est en quête de vengeance, tandis que Pan lui est à la recherche de la princesse (Ofelia) de son
univers fantasmagorique. Leurs motivations sont différentes mais ils sont à la recherche de quelque
chose qu’ils ont non seulement perdu mais qu’ils doivent retrouver pour vivre (mourir dans le cas de
Santi) en paix : pour que tout enfin rentre dans l’ordre. Del Toro s’amuse à briser une des grandes
règles du film de genre et plus spécifiquement d’horreur en révélant très tôt le « monstre » à l’écran.
En effet, on se retrouve très vite face au spectre de Santi, en même temps que le héros Carlos
(Fernando Tielve). A partir de ce moment le cinéaste le fait apparaitre à l’écran le plus possible. Il
nous présente Santi pour la première fois comme un monstre effrayant avant de nous dévoiler que
ce soit disant fantôme n’est pas le véritable monstre du film, il n’est juste qu’une victime. Les
monstres et créatures de Guillermo del Toro son présentés comme inquiétants et terrifiants mais
très rapidement il en fait des créatures oniriques et surnaturelles pas si « dangereuses » qu’elles n’y
paraissent. Le Mal à combattre ne vient pas d’elles, elles permettent aux héros (ici Carlos et Ofelia)
de voir que la menace est humaine à grande et petite échelle : la guerre certes, mais surtout ses
partisans qui font souvent partie de leur entourage proche (Jacinto et Vidal). Il ne faut pas craindre la
créature dans les films de del Toro. A l’instar du Labyrinthe de Pan, comme nous l’avons énoncé
plutôt le Mal est incarné par un être humain à l’apparence séduisante (ils séduisent les femmes qui
les entourent : les deux Carmen 14) comme peut être le Malin, le Mal.

Les personnages du réalisateur mexicain, sont


condamnés à voir leur histoire se répéter
inlassablement (comme un cycle) et il construit
ainsi son récit, ainsi que par conséquent son
intrigue de manière symétrique tant dans l’Echine
du Diable que dans Le Labyrinthe de Pan : le début
et la fin se répondent comme un écho (gros plan
de Ofélia en train de mourir qui est la première et
la dernière image du film, mais aussi Casares (comme Vidal) dans l’Echine se reflétant deux fois dans
le miroir de façons différentes, deux personnes sont tombées dans le bassin etc.). On se demande
même si le cinéaste ne s’amuse pas à faire différentes relectures de ses films, de ses histoires ? Des
détails qui à la fois font partie de la signature et du style du cinéaste comme le sépia ambré qui hante
sa filmographie depuis ses débuts. Qui vient également recouvrir L’Echine du Diable : l’image du

14
Dans les deux films, on retrouve deux personnages qui portent le même nom : Carmen la directrice de
l’orphelinat dans l’Echine et la mère d’Ofelia dans Le Labyrinthe, (la guerre leur à toutes deux prise leur grand
amour, tous deux résistants) .

18
fœtus baignant dans son bocal de la même couleur, lui aussi à jamais figé dans le temps, comme le
sera Ofelia dans ses rêves de princesse dorés.

Le Labyrinthe de Pan : la princesse à enfin rejoint son royaume…

C/ Une esthétique poétique truffée de références

Avec son cinéma Guillermo del Toro met en place une sorte de jeu référenciel, symbolique et
mythologique. En effet, ne serait-ce que le Pan (le faune) « prisonnier » du temps et de son
labyrinthe n’est pas sans rappeler le Minotaure et le dieu grec de la Nature. Et le Pale Man, ne serait-
il pas une métaphore du Croque-mitaine, du Bogey Man ? Ou juste le cousin de Jupiter qui dévora
ses enfants ?

1-Saturne dévorant un de ses fils de


Pierre Paul Rubens (1637)

2-Détails de la peinture de Rubens

3-Saturne dévorant un de ses fils par


Francisco Goya (peint entre 1819 et
1923)
1 2 3

Del Toro ne se contente pas de mettre en scène une histoire et des personnages, il va plus loin. Il
creuse ses personnages, ce qui l’intéresse c’est d’approfondir au maximum tous les aspects de ses
films. A l’instar de cinéastes majeurs du cinéma fantastique contemporain (auxquels il voue une
admiration sans limite) tels Steven Spielberg, Peter Jackson, Ridley Scott ou encore James Cameron,

19
del Toro se joue des genres. Ce qui lui permet de les réactualiser tout en gardant des éléments
classiques, ce qui engendre une approche réflexive pertinente et permanente dans son travail. Il
propose alors avec son cinéma une relecture moderne (voire post moderne avec Hellboy) de l’univers
merveilleux tout en y ajoutant une dimension fantastique. Qui engendre clairement une porosité et
une ambivalence de la frontière des genres. Nous parlions de mythologie et de références. Del Toro
puise son style tout d’abord dans l’imagerie enfantine. Plus précisément, dans les illustrations de
conte pour enfants : ses créatures sortent tout droit des rêves de d’Arthur Rackham 15. En effet, Pan
le faune mi arbre, mi bouc n’est pas sans rappeler les hommes arbres de l’illustrateur anglais. Si nous
poussons la comparaison plus loin, on remarquera que les créatures mi fées mi insectes de del Toro
sont toute aussi présentes dans l’univers de Rackham que dans les peintures de Jérome Bosch 16.
Mais surtout, quand on parle de Faune et de fantastique, nous vient en tête les peintures de Carlos
Schwabe 17, dont les tonalités bleutées et ocres tiennent une grande importance dans l’œuvre du
cinéaste mexicain, que l’on retrouve bien sûr dans l’Echine du Diable et le Labyrinthe de Pan.

1 2

3 4
1-The Faun de Carlos Schwabe (1923), 2- Illustration pour Alice, de Arthur Rackham (1907),
3-La Peste de Arnold Bocklin (1898), 4-Détail du Jugement Dernier de Bosch (env. 1482)

15
(1867-1939) célébrement connu pour ses illustrations de Alice au Pays des Merveilles et Peter Pan
16
(1453-1516)
17
(1866-1926) peintre germanique précurseur de l’Art Nouveu.

20
La séquence de fin de ce dernier, n’est pas sans rappeler les peintures dorées de Klimt, en effet,
Ofélia porte une robe rouge ainsi qu’un long manteau doré assortis au roi et à la reine. Tenue et style
vestimentaire que l’on retrouve dans Hellboy II. Le spectre de Santi parait plus sortir du tableau La
Peste d’Arnold Bocklin : le même teint verdâtre, le même visage creusé. On le savait soigneux et
maniaque pour ce qui était de la composition de son cadre et l’esthétique de son image, tout doit
être parfait comme les références picturales dont il s’inspire : « je suis obsédé par la composition, le
cadre qui, dans mes films, doit ressembler à une illustration, à une peinture, à un comic-book.(…) Et
j’aime par ailleurs penser qu’on pourrait isoler chaque image de L’Echine du Diable et en tirer une
toile, l’illustration d’un conte pervers 18» comme les fresques de l’antre du Pale Man dans le
Labyrinthe de Pan ?

Outre son goût prononcé pour l’art graphique, on retrouve dans ces deux films de nombreuses
références littéraires et cinéphiliques. Il est évident que « Ofélia » (nous ne parlons que du prénom)
est une référence à la tragédie de William Shakespeare, Hamlet 19. En effet, Hamlet dans la pièce est
fou amoureux de Ophélie la fille de Polonius. Mais aussi comment ne pas parler des nombreuses
références au Comte de Monte Cristo dont les orphelins de L’Echine du Diable n’arrêtent pas de se
rappeler l’histoire. Rien n’est laissé au hasard, les références nourrissent les enfants guerriers de
Guillermo del Toro.

Un des plans de grand espace de L’Echine du Diable aux couleurs mordorées

18
Interview consacré à Mad Movies lors de la sortie en France de L’Echine du Diable en mai 2002
19
Publié en 1603.

21
Visuellement et esthétiquement, quand on voit L’Echine du Diable on pense tout de suite au désert
des westerns : jaunes, ocres, sec, luisant sous une chaleur qu’on devine intolérable. Lui-même avoue
s’être inspiré de John Ford et de ses grands espaces : « (…) le western que nous avons littéralement
cité c’est le plan de fin de La Prisonnière du Désert (John Ford 1956) lorsque le ‘fantomatique’ John
Wayne s’éloigne dans le désert et que la caméra est sous une arche en contre-jour. Nous avons
cité ce plan avec les silhouettes de Federico Luppi et de l’enfant (…) je donne une autre tournure qui
éloigne la scène de la citation pure et simple 20 ». Ces ocres, ces couleurs « terre » on les retrouve
aussi dans le western situé au Mexique : Vera Cruz de Robert Aldrich (1954), qui lui aussi a été une
grande source d’inspiration pour le cinéaste et son chef opérateur Guillermo Navarro : « (…) nous
cherchions à évoquer ce sentiment de vieille photographie, ce qui nous a mené, pour les extérieurs, à
nous reporter sur des couleurs généralement utilisées dans le western, et pour les intérieurs , à nous
penchez plutôt sur les films de Bava. 21 » Esthétique qui ne s’applique pas de la même façon dans le
Labyrinthe de Pan : on quitte le « désert » pour la forêt et les montagnes, le jaune laisse sa place au
vert et au bleu qui caractérisent essentiellement le monde réel. Quand aux orangées, del Toro les
utilise ici pour le monde fantastique. Au fur et à mesure de l’histoire les couleurs chaudes prennent
le dessus sur les couleurs froides, comme si l’onirique contaminait le monde réel.

Un

Un des plans de fin du Labyrinthe ou le jaune de l’imaginaire envahit le bleu de la réalité et le rouge de la mort, de la
souffrance ressort

20
Ibid.
21
ibid.

22
Le rouge quand à lui a un rôle spécial, certes il est présent à chaque blessure et mutilation des
républicains, dans l’accouchement de la mère, mais il prend tout son sens dans la scène de fin. En
effet, Ofélia venant de se faire tirer dessus par son beau-père porte ses mains à sa blessure et les
regardent maculées de sang : mise en scène très théâtrale, effroi sur joué quand la petite prend
conscience qu’elle va mourir. Elle quitte alors le monde réel, son sang gouttant sur la pierre du
labyrinthe et « ressuscite » dans le monde doré et princier que Pan lui avait décrit. Lors de ce plan,
où la petite est de pied, que l’on découvre ses vêtements aux couleurs chatoyantes, mais surtout ses
chaussures rouges vernies…Le Magicien d’Oz n’est pas loin ! Au niveau de la mise en scène, le
réalisateur mexicain pense et réfléchit les moindres détails. En effet, il donne une importance
majeure à l’imaginaire, il le met même au cœur de son récit, ce qui lui permet d’ouvrir le film à
l’horizon fantastique. Ce dernier devient un lieu de création, un exutoire, une force positive, un
refuge face à la violence du monde adulte.

23
CONCLUSION

L’enfant est bien entendu le vecteur idéal de l’émotion cinématographique 22 François Truffaut l’avait
compris, Clara Dupond le signalait dans sa critique du Labyrinthe de Pan : « Comment filmer un passé
qui ne passe pas ? En préférant l’émotion à la réflexion. Le cinéma espagnol a su faire de son
handicap une aubaine artistique. (…) le Labyrinthe de Pan apparait à la fois comme un film codé et
incroyablement frontal. 23». Les films inclassables de Guillermo del Toro sont de magnifiques objets
d’art cinématographique 24. C’est sans doute ce qui distingue l’émotion (magique) qu’ils suscitent de
celle que peut susciter la commémoration d’enfants martyrs bien réels. Lorsque la figure de l’enfant
est réelle, c’est la réflexion qui doit primer sur l’émotion, sans quoi l’Histoire serait réduite à un
spectacle, un objet vidé du sens que lui donne son contexte. La tentation n’est pas nouvelle ; Tzetan
Todorv a dénoncé « les abus de la mémoire 25». Pierre Nora sa « tyrannie 26» et selon Paul Ricoeur :
« La limite pour l’historien, comme pour le cinéaste, (…) est dans la part intransmissible d’une
expérience extrême. Mais (…) qui dit intransmissible ne dit pas indicible. 27»

Carlos et Ofélia

Del Toro est un surdoué du fantastique et prouve avec ces deux films qu’il est un très grand cinéaste.
Du cinéma imaginatif, engagé, transcendant les genres habituels du fantastique et de la terreur.

22
Cf. VALLET F., L’Image de l’enfant au cinéma
23
DUPOND C., Le Cinéma espagnol exorcise ses démons franquistes, Marianne 11/11/2006
24
D’après un critique : « A l’époque (Saura, Erice…), les cinéastes espagnols étaient obligés d’avoir recours à
l’allégorie fantastique pour évoquer la réalité sociale et politique. Aujoourd’hui del Toro le fait par le choix. Et
c’est encore plus fort » Charlie Hebdo, 29/05/2002
25
TODOROV T, Les abus de la mémoire
26
NORA P, Lieux de Mémoires, (cité par Ricoeur)
27
RICOEUR P, La Mémoire, L’histoire, l’oublie

24
Ses films déploient leur imaginaire tout en nous enracinant dans le réel et l’Histoire sans aucunes
facilités. Le déroulé de ses scénarios, sa mise en scène lui permettent de faire des films qui ont une
âme malgré quelques fois leur pessimisme et leur noirceur. Si certains considèrent, que le
« background » historique (l’Espagne des années 40) et la féerie engendrée par Ofélia sont
anachronique ou que Santi le revenant n’est qu’un fantôme, on peut considérer qu’ils n’ont là qu’une
vision réductrice et bien éloignée du monde de del Toro et de ses obsessions face aux douleurs de
l’enfance et à sa capacité de résilience face à la violence et à la terreur.

Les enfants de del Toro sont en quelque sorte des résistants qui puisent et utilisent leur force
intérieure dans le rêve, les constructions imaginaires et la transfiguration du réel. Y a-t-il une autre
façon de survivre et de continuer à exister ?

25
CORPUS FILMIQUE

L’Echine du Diable de Guillermo del Toro 2001

Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro 2006

FILMOGRAPHIE SECONDAIRE

Los Olvidados de Luis Bunuel 1950

Les Diaboliques de Henri Georges Cluzot 1955

La Nuit du Chasseur de Charles Laughton 1955

La Prisonnière du Désert de John Ford 1956

Opération Peur de Mario Bava 1966

Au revoir les enfants de Louis Malle 1987

Cronos de Guillermo del Toro 1993

La Petite Princesse de Alfonso Cuaron 1995

Mimic de Guillermo del Toro 1997

Y tu mamà tambien de Alfonso Cuaron 2001

Hellboy I de Guillermo del Toro 2004

L’Orphelinat de Juan Antonio Bayona 2007

Hellboy II and The Golden Army de Guillermo del Toro 2008

Biutiful de Alejandro Gonzales Inarritu 2010

Balada Triste de Trompeta de Alex de la Iglesia 2011

26
BIBLIOGRAPHIE

SEGUIN J-C. Histoire du cinéma espagnol, Armand Colin Cinéma, France (2005)

SORIANO D. Temps, mémoire et représentions : l’avant scène du cinéma espagnol, Voix off
n°7, CRINI Université de Nantes (2005)

SORIANO D. Le cinéma espagnol des années 90, Voix off n°4, CRINI Université de Nantes
(2003)

FEENSTRA P. Mémoire du cinéma espagnol (1975-2007), Ciné Action n°130, Corlet


Publications (2009)

RODRIGUEZ M-S. Le Fantastique dans le cinéma espagnol contemporain, Presses Sorbonne


Nouvelle, Nancy (2001)

WOOD J. The Faber Book of Mexican Cinema, Faber & Faber, London (2006)

EARLES S. The Golden Labyrinth: the unique films of Guillermo del Toro, Noir Publishing, UK
(2009)

JONES T. Studiying Pan’s Labyrinth, Auteur The Old Surgery, Pologne (2010)

BETTELHEIM B. Psychanalyse des contes de fées, Pluriel et Robert Laffont, Paris (1976)

BRECHT B., La Résistible Ascension de Arturo Ui, Editions de L’Arche, Normandie (2000)

MONTALBAN C-V. Moi, Franco, Ed. Seuil, France, (1997)

VALLET F., L’Image de l’enfant au cinéma, Ed. du Cerf, Paris (1991)

TODOROV T, Les abus de la mémoire, Arléa, Paris (1995)

RICOEUR P, La Mémoire, L’histoire, l’oublie, Editions du Seuil, Paris (2000)

SOURCES INTERNET

Beyond Hollywood.com, article: Del Toro, Cuaron et Inarritu partners up with Universal:
http://www.beyondhollywood.com/del-toro-cuaron-and-inarritu-partners-up-with-
universal/

Excessif.com, article : Dossier Le Labyrinthe de Pan :


http://www.excessif.com/cinema/actu-cinema/dossiers/dossier-le-labyrinthe-de-pan-
4981983-760.html

27
FICHE TECHNIQUE : L’Echine du Diable

Titre original : El Espinazo del Diablo

Réalisation : Guillermo del Toro

Scénario : Guillermo del Toro, Antonio


Trashorras et David Muñoz

Production : Pedro Almodóvar, Guillermo del


Toro, Rosa Bosch, Michel Ruben, Agustín
Almodóvar, Bertha Navarro et Alfonso Cuarón

Musique : Javier Navarrete

Photographie : Guillermo Navarro

Décors : Pablo Perona Navarro et María del Pilar


Revuelta

Pays d'origine : Espagne, Mexique

Format : Couleurs - 1,85:1 - Dolby Digital - 35 mm

Durée : 106 minutes

Dates de sortie :20 avril 2001

Synopsis : En Espagne, durant la guerre civile, le jeune Carlos est recueilli par Casares et Carmen, un
couple âgé propriétaire d'un orphelinat en plein désert. Le timide gamin devient aussitôt le souffre-
douleur de Jaime, qui exerce un certain ascendant sur tous les autres enfants. Mais quelque chose de
pire encore effraie le nouveau venu: les apparitions spectrales d'un petit garçon qui semble vouloir
communiquer avec lui. Carlos découvre qu'il s'agit du fantôme d'un ancien camarade de Jaime, mort
dans des circonstances violentes et mystérieuses. Jacinto, le jeune homme à tout faire de
l'orphelinat, ne serait pas étranger à ce drame. Il en provoquera d'ailleurs un autre, plus terrible
encore, en voulant s'emparer de la réserve d'or que des Républicains ont confiée à Carmen.

Distribution :

Eduardo Noriega: Jacinto Irene Visedo : Conchita


Marisa Paredes : Carmen José Manuel Lorenzo : Marcelo
Federico Luppi : Casares Francisco Maestre : Puerco
Fernando Tielve : Carlos Junio Valverde : Santi
Íñigo Garcés : Jaime

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FICHE TECHNIQUE : Le Labyrinthe de Pan

Titre original : El laberinto del fauno


Réalisation/Scènario : Guillermo del Toro

Production : Álvaro Augustín, Alfonso Cuarón, Bertha


Navarro, Guillermo del Toro et Frida Torresblanco

Décors : Eugenio Caballero

Photographie : Guillermo Navarro

Montage : Bernat Vilaplana

Musique : Javier Navarrete

Pays d'origine : Espagne, Mexique

Formats : Couleurs - 1,85:1 - Son Dolby Digital -


35 mm

Durée : 112 minutes

Date de sortie : Festival de Cannes : 27 mai 2006

Synopsis : Espagne, 1944. Fin de la guerre civile.

Carmen, récemment remariée, s'installe avec sa fille Ofélia chez son nouvel époux, le très autoritaire
Vidal, capitaine de l’armée franquiste.
Alors que la jeune fille se fait difficilement à sa nouvelle vie, elle découvre près de la grande maison
familiale un mystérieux labyrinthe. Pan, le gardien des lieux, une étrange créature magique et
démoniaque, va lui révéler qu'elle n'est autre que la princesse disparue d'un royaume enchanté.
Afin de découvrir la vérité, Ofélia devra accomplir trois dangereuses épreuves, que rien ne l'a préparé
à affronter…

Distribution :

Ivana Baquero : Ofelia Álex Angulo : Dr Ferreiro


Doug Jones : Pan le faune / Pale Man Roger Casamajor : Pedro
Sergi López : le capitaine Vidal César Vea : Serrano
Maribel Verdú : Mercedes
Ariadna Gil : Carmen

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Sommaire
INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 5
I - UNE LUTTE CONTRE L’OUBLI ............................................................................................................... 7
A/ Vision de la Guerre d’Espagne par del Toro : un dytique historique.............................................. 7
B/ Absence de père et incarnation du Fascisme : symbolisme du pouvoir dictatorial de Vidal ......... 9
C/ dualité cathartique (entre le Bien et le mal) : des choix pour une identité ................................. 13
II - LES POUVOIRS DE L’IMAGINAIRE ET DU FANTASTIQUE : DECODAGE ET COMPREHENSION DU
MONDE .................................................................................................................................................. 15
A/ Des contes initiatiques à la manière de Lewis Caroll et James Matthew Barrie .......................... 15
B/ Des monstres humains dans l’horreur de la guerre ..................................................................... 16
C/ Une esthétique poétique truffée de références........................................................................... 19
CONCLUSION ......................................................................................................................................... 24

CORPUS FILMIQUE ................................................................................................................................ 26


FILMOGRAPHIE SECONDAIRE ................................................................................................................ 26
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... 27
SOURCES INTERNET ............................................................................................................................... 27
FICHE TECHNIQUE : L’Echine du Diable ................................................................................................. 28
FICHE TECHNIQUE : Le Labyrinthe de Pan ............................................................................................. 29

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