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7 – La grande évasion
Le « ministère des évasions »
10 janvier
Deux pilotes belges au chômage
Bruxelles – Le lieutenant-pilote Léon Divoy a la rage au ventre. En juillet 40, il s’était replié
à Tours avec son escadrille lorsqu’on l’a envoyé en reconnaissance vers le nord pour voir où
étaient les têtes de colonnes allemandes. Hélas, son Fairey Fox avait été descendu par les tirs
de la redoutable Flak légère boche. Il s’était posé en catastrophe, avait échappé à la capture et
tenté de rejoindre les lignes amies, mais en vain ! Il s’était déjà estimé chanceux de pouvoir
rentrer en Belgique en profitant de la confusion de ces journées terribles. Mais il s’était juré
de tout faire pour reprendre le combat.
Depuis lors, écoutant chaque soir ou presque la BBC, Léon a vibré au récit des exploits des
pilotes belges qui se battaient au sein de la RAF et de l’Armée de l’Air, sur tous les fronts, et
même sous les couleurs belges ! Il a pris contact avec quelques compagnons d’armes, mais
aucun n’a voulu faire quelque chose. Mais il y a quelques jours, il a appris que son ancien
camarade de promotion, Michel Donnet, fait prisonnier à l’issue de la Campagne des 18 jours,
avait été libéré peu avant Noël. Avec lui, il pourra tenter le coup !
Dans une maison appartenant à la famille Donnet, les retrouvailles sont chaleureuses et on
parle bien sûr de la guerre et des combats qui se poursuivent : « Léon, il faut faire quelque
chose, on ne peut pas rester les bras ballants ! » s’exclame Michel Donnet.
– Je suis d’accord. J’y ai déjà pensé. Il faut qu’on rejoigne nos camarades. Mais le problème,
c’est comment ! Par bateau, la Manche est bouclée. Par l’Espagne, Franco est plutôt
favorable aux Allemands… Ah, si on avait un avion !…
– Ecoute, on va y réfléchir sérieusement et dès que l’un de nous a une idée, on se prévient.
11 au 17 janvier
18 janvier
D.G.P.I.
Alger – Un décret en forme de RAP paru au Journal Officiel porte création d’un organisme
interministériel ad hoc, la Délégation générale aux Prisonniers et Internés (DGPI).
La nouvelle structure est chargée, aux termes du texte, de recueillir et de centraliser toutes les
informations concernant les captifs, d’adoucir leur sort autant que faire se peut, par l’envoi de
colis de ravitaillement, en particulier, et par l’aide à l’organisation dans les camps et prisons
d’activités culturelles ou sportives, et de veiller sur leurs familles. Elle a vocation à œuvrer en
permanence en collaboration avec le Comité international de la Croix rouge, responsable de
l’application des conventions de Genève, et notamment avec la délégation du CICR à Alger.
Le décret ne précise pas, il va de soi, que les fonctionnaires civils et les militaires qui seront
affectés à la Délégation générale appartiendront à deux cadres différents. Le cadre A, placé
sous l’autorité du Délégué général, se consacrera aux tâches annoncées officiellement par le
décret. Le cadre B, lui, qui n’apparaîtra jamais en tant que tel, aura pour mission d’organiser
l’évasion – éventuellement le rapatriement en Métropole sous prétexte sanitaire, s’il est
concevable de l’envisager – puis le transfert à travers la Méditerranée des officiers, sous-
officiers et spécialistes dont la présence en Afrique du Nord est jugée nécessaire ou, au moins,
opportune.
Afin d’éviter toute querelle d’attributions, la DGPI est intégrée ab initio aux services de la
Présidence du Conseil. Elle sera vite surnommée « le ministère des évasions »…
Le même jour – ce n’est pas une coïncidence – un autre décret ouvre la possibilité d’attribuer
à nouveau la Médaille des Évadés, dans des conditions proches de celles qui prévalaient
pendant le premier conflit mondial (voir Appendice).
19 janvier
20 janvier
D.G.P.I.
Alger – Le général Louis Robert de Saint-Vincent, qui s’est illustré lors de la bataille des
Alpes sous les ordres du général Olry, est nommé Délégué général aux Prisonniers et Internés.
Polytechnicien et artilleur, il apparaît déjà, dans les “milieux autorisés”, comme l’un des
futurs “grands chefs” de l’Armée. Il est surtout considéré comme un organisateur de premier
plan – ce qui justifie sa nomination à la direction d’un organisme où tout est à créer.
21 janvier
L’affaire du général boiteux
Alger – De Gaulle, ministre de la Guerre, fait venir d’urgence de Corse à Alger le général
Giraud. Outre ses réelles qualités militaires, les conditions rocambolesques de son évasion,
même si le récit livré au public est truffé de contre-vérités, font du personnage un héros idéal
pour la propagande et bientôt les aventures du général évadé sont reprises par tous les
journaux alliés. Pour la presse américaine, c’est bien sûr un excellent sujet d’article, mais on
évite de peu une grave difficulté. Le général Giraud a bien retrouvé son uniforme, son képi
étoilé et sa culotte de cheval, mais il refuse de se faire photographier sans sa moustache !
C’est un costumier du théâtre d’Alger qui sauve la situation grâce à un magnifique postiche
fait sur mesure…
22 janvier
D.G.P.I.
Alger – Une simple lettre de Paul Reynaud à Vincent Auriol, à Georges Mandel et au général
de Gaulle 1, qui ne sera publiée nulle part, fixe la composition de l’état-major du général de
Saint-Vincent à la direction de la Délégation générale aux Prisonniers et Internés (DGPI).
- Adjoint au délégué général : général de brigade Laffargue 2
- Affaires internationales : capitaine Pierre Bertaux (universitaire, spécialiste de l’Allemagne,
détaché aux Affaires étrangères depuis octobre 1940)
- Affaires financières, soldes et allocations aux familles : capitaine Hervé Alphand (inspecteur
des Finances)
- Affaires juridiques : lieutenant André Lavagne (maître des requêtes au Conseil d’État)
- Affaires médicales et sanitaires : commandant Paul Lebon (professeur de médecine à la
Faculté d’Alger)
- Affaires culturelles, Université des camps et sports : sous-lieutenant Suzy Borel (attachée
d’ambassade, sous-directrice au service des Œuvres des Affaires étrangères)
- Liaisons avec la Défense : colonel Bonnet (ancien de l’armée des Alpes)
- Liaisons avec l’Intérieur : commandant André Achiary (commissaire à la DST)
- Cadre B : lieutenant-colonel Charles Luizet (officier des Affaires indigènes, ancien
administrateur français de la zone internationale de Tanger).
Officieusement, en raison de la séparation des églises et de l’État depuis 1905, mais
concrètement, en raison des besoins spirituels des détenus, trois “chargés d’aumônerie” ont
été intégrés à la Délégation : le RP Teilhard de Chardin sj (tout juste revenu des États-Unis
malgré les réticences du Vatican, qui préférait le savoir éloigné de l’Eglise de France où son
influence est jugée « délétère » par le Saint-Office), le pasteur Jousselin et le rabbin Lévi-
Oiknine 3.
27 janvier
Deux pilotes belges au chômage
Overijse (environs de Bruxelles) – Par une froide soirée d’hiver, Donnet et Divoy font une
première reconnaissance. Mais une mauvaise surprise les attend. Le hangar où se trouve le
SV.4 est juste derrière le terrain d’Hoeilaart, occupé par la Luftwaffe, et il n’est qu’à 300
mètres du château du baron d’Huart, lui aussi occupé par les Allemands. Ils s’approchent
quand même, discrètement, et constatent que le hangar est cadenassé. Ce n’est que partie
remise.
1
Le président du Conseil en fera lecture au président Albert Lebrun, avant le Conseil des ministres.
2
Les initiés ne manquent pas de noter que le général Laffargue a été, à Saint-Cyr, le camarade de promotion du
général de Gaulle.
3
Le pasteur Jean Jousselin dirigeait, avec le titre de Commissaire national délégué, le mouvement des Éclaireurs
unionistes (d’inspiration protestante) en AFN et dans l’Empire. Le rabbin Samuel Lévi-Oiknine, de rite séfarade
mais diplômé de la faculté de théologie de Strasbourg, était le second du grand rabbin de Marrakech.
Appendice
Le décret-loi du 18 janvier 1941
Les paragraphes de ce décret concernant les organisateurs d’évasions, masqués lors de la
parution, ont été republiés après la guerre.
le président du Conseil
PAUL REYNAUD
le ministre de la Défense nationale
CHARLES DE GAULLE
le garde des sceaux, ministre de la Justice
ALBERT SEROL
le ministre des Affaires étrangères
LEON BLUM
le ministre de l’Intérieur
GEORGES MANDEL