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Février 1941

9 – Préparer l’avenir
Lancement des Brigades du Rail
4 février 1941
L’Afrique du Nord sur de bons rails… et sur la bonne route
Alger – Le Club Caquot travaille depuis deux semaines sur le projet Trans-Maghreb. A la
surprise, peut-être, de ses membres, les trois hommes politiques qu’on a voulu leur adjoindre
ont montré des compétences utiles qui faciliteront la mise en œuvre du projet (ne serait-ce
qu’en évitant les chausse-trappes parlementaires). Il s’agit d’Albert Bedouce, candidat SFIO
malheureux à la Présidence en 1939 ; Alexis Jaubert, député radical, ministre des Travaux
Publics dans le quatrième gouvernement Chautemps quelques années plus tôt, et André
Beauguitte, député de la Meuse (ARGRI) après avoir passé sept ans dans divers cabinet
ministériels (Intérieur, Travail et Colonies) et avoir été sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur
dans le deuxième gouvernement Sarraut.
La commission Rail-Route ainsi formée présente aujourd’hui le rapport de faisabilité du
Trans-Maghreb devant les ministres des Travaux Publics, de la France d’Outre-Mer, mais
aussi de la Guerre et de l’Intérieur, sans compter le chef de cabinet du Président du Conseil,
Dominique Leca. Le point le plus important du rapport, présenté par Caquot lui-même,
concerne sans doute les gros besoins en personnel du projet, alors que l’agriculture et la trop
petite industrie d’AFN manquent désespérément de bras.
Pour recruter suffisamment d’ouvriers sans en priver d’autres secteurs d’intérêt militaire plus
immédiat, comme l’aménagement des ports et aérodromes, la commission propose de faire
appel à des volontaires étrangers en organisant des tournées dans les pays neutres pour
recruter des travailleurs volontaires, si possible des hommes possédant une expérience dans
les domaines ferroviaire et/ou routier. L’engagement se ferait pour une durée de 18 à 24 mois
et le logement serait organisé dans des sortes de villages de pionniers construits au fur et à
mesure de la progression des travaux. Ces villages seraient ensuite mis à la disposition des
populations locales. Tout ressortissant d’un pays qui serait, au cours du contrat, entraîné dans
le conflit en cours (sous-entendu : du côté des Alliés), verrait son contrat abrogé et renvoyé
dans les plus brefs délais dans son pays d’origine (sauf option contraire du pays en question).
La proposition reçoit l’assentiment général. Ces “régiments” de travailleurs seront surnommés
par la presse du monde entier (pour les encourager ou pour les ridiculiser) les Brigades
Internationales du Rail – le nom leur restera.
– Il serait intéressant, intervient Leca, d’obtenir pour cette opération de recrutement l’accord
de l’Organisation Internationale du Travail [OIT]. Son président est un Américain qui devrait
nous être favorable, d’autant plus que Tixier le connaît bien1 : nous ne prétendons pas
embaucher des ouvriers pour faire tourner des usines d’armement ! Je sais bien que cette
pauvre Société des Nations est devenue une coquille vide [l’OIT était une branche de la SDN],
mais tout de même, vis-à-vis des neutres, son blanc-seing serait un gage de notre bonne foi…
– Je sais que le siège de l’OIT a été transféré à Montréal l’été dernier, commente Frossard,
mais même à distance, il est regrettable de ne pas pouvoir compter sur l’appui du Secrétaire
Général de la SDN, Joseph Avenol, alors qu’il est Français !
– Justement, ricane Mandel. Nous pourrions en profiter pour avoir quelques explications avec
Monsieur Avenol sur la qualité de son patriotisme… N’est-ce pas, mon Général ?
– Ce ne sera pas trop tôt, émet De Gaulle, bougon.
1
Adrien Tixier (SFIO), après avoir occupé depuis les années 1920 plusieurs fonctions importantes au sein de
l’OIT, a été rappelé à Alger en septembre 1940 pour coordonner l’action des différents ministères concernés par
le domaine social.
Satisfait par ces premières réactions, Caquot reprend la parole : « Nous avons aussi envisagé
d’autres sources de main d’œuvre dont l’utilisation ne devrait pas gêner notre effort de
guerre. Nous recommandons la mise en place d’une sorte de tournée de servitude parmi les
troupes, hélas encore nombreuses, en instance de réarmement et de réorganisation au sein de
grandes unités reconstituées. Ces hommes échapperont ainsi à une oisiveté des plus nuisibles
à leur moral. Nous avions aussi pensé aux Bataillons d’Afrique, mais ceux-ci ont été, en
pratique, supprimés par les décisions prises par le ministre de la Guerre il y a quelques
semaines. En revanche, il y a d’autres sources de main d’œuvre disponibles.
D’abord, les prisonniers de guerre italiens, qui ne sont pas tous occupés dans l’agriculture.
Ils pourraient être occupés à des travaux annexes, par exemple la construction des villages de
travailleurs, ce qui ne devrait pas poser de problème vis-à-vis des Conventions de Genève.
Ensuite, les jeunes Belges qui ont été Déménagés de justesse en 1940, mais qui ne sont pas
encore d’âge à être incorporés dans l’armée belge. Nous pourrions trouver sans trop de mal
un accord avec nos alliés sur leur participation aux travaux.
Enfin, pourquoi ne pas proposer à tous les prisonniers civils de droit commun de participer
aux travaux du Trans-Maghreb, sous promesse que chaque jour travaillé équivaudrait à deux
jours sous les verrous ? »
Cette fois, les propos de Caquot déclenchent une vague d’exclamations diverses. Sentant
monter une polémique stérile, Mandel remercie les membres de la commission Rail-Route en
promettant qu’une suite sera donnée dans les plus brefs délais à leurs propositions et lève la
séance.

8 février
Les premières conclusions de Concorde
Oxford – La commission Concorde reçoit deux rapports préliminaires : “Usage de l’uranium
pour une bombe” et “Usage de l’uranium comme source d’énergie”.
Le premier rapport conclut qu’une bombe est faisable et la décrit dans ses détails techniques,
donnant des propositions spécifiques pour son développement, y compris des estimations de
coût. Une bombe contiendra environ 12 kg de matériau actif, ce qui sera équivalent à 1 800
tonnes de TNT, et son explosion relâchera de grandes quantités de substances radioactives,
qui rendront les lieux près du point d’explosion dangereux pour les humains pendant une
longue période. Il estime qu’une usine produisant 1 kg d’uranium 235 par jour coûtera 5
millions de livres et demandera une grande quantité de travailleurs qualifiés, dont les Alliés
ont aussi besoin pour le reste de leur effort de guerre. Il suggère que les Allemands peuvent
continuer à travailler sur la bombe et recommande donc que le travail soit entrepris avec une
haute priorité en collaboration avec les Américains, bien que ces derniers semblent se
concentrer sur les usages futurs de l’uranium pour la production d’énergie et la propulsion
navale.
Le second rapport, rédigé notamment sous l’impulsion de Frédéric Joliot-Curie et Mark
Oliphant, conclut que la fission contrôlée de l’uranium pourrait être utilisée pour produire de
l’énergie sous forme de chaleur utilisable dans des machines, ainsi que pour produire de
grandes quantités de radio-isotopes, qui pourraient être utilisés comme substituts pour le
radium. Il fait référence à l’utilisation de l’eau lourde, ou éventuellement du graphite, comme
modérateur pour les neutrons rapides. Il conclut qu’en temps de paix, une “chaudière à
uranium” (un réacteur nucléaire) possède des perspectives considérables, mais que sa
réalisation ne vaut pas la peine d’être considérée pendant la guerre actuelle.
La commission décide de transmettre immédiatement ces résultats au Comité Uranium
américain. Son message mentionne la possibilité que le plutonium soit plus approprié que
l’uranium 235 pour les usages prévus et indique que la recherche en ce sens continue. Par
ailleurs, Hans von Halban et Lew Kowarski sont envoyés aux États-Unis, où la production
d’eau lourde à grande échelle est envisagée.

28 février
L’espace dans le désert
Hammaguir – C’est dans cette bourgade perdue en plein Sahara que se pose un Stinson,
humble mais robuste biplan américain, qui transporte, outre son pilote, l’aviateur et technicien
André Jacob, deux autres hommes passionnés par le vol à très haute vitesse : le commandant
Jean-Jacques Barré et l’ingénieur René Leduc. « C’est peut être difficile à imaginer,
s’exclame Barré, la barbe frémissant d’excitation, mais dans quelques mois, mes fusées
jailliront dans ce ciel. Et dans quelques années, cet endroit perdu deviendra le premier port
spatial français ! »

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