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La thérapie des schémas. Principes et outils pratiques, par B. Pascal, 2015,
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280 pages.
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La relaxation. Nouvelles approches, nouvelles pratiques, par D. Servant, 2e édition,
2015, 224 pages.
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L’EMDR. Préserver la santé et prendre en charge la maladie, par C. Tarquinio,
NO
P. Tarquinio, 2015, 320 pages.
La psychothérapie : approches comparées par la pratique, par C.-E. Rengade,
M. Marie-Cardine, 2014, 248 pages.
DO
Applications en thérapie familiale systémique, par T. Albernhe, K. Albernhe,
2e édition, 2013, 248 pages.
Cas cliniques en thérapies comportementales et cognitives, par J. Palazzolo,
3e édition, 2012, 288 pages.
Gestion du stress et de l’anxiété, par D. Servant, 3e édition, 2012, 248 pages.
Pratiques en psychothérapie
Conseiller éditorial : Dominique Servant
Ayman MURAD
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Avec la collaboration de
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Aurélie Fritsch
Marie Haegelé
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Ce logo a pour objet d’alerter le lecteur sur la menace que représente
pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine
universitaire, le développement massif du « photocopillage ». Cette
pratique qui s’est généralisée, notamment dans les établissements
d’enseignement, provoque une baisse brutale des achats de livres,
au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des
œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui
menacée.
Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans
autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les
demandes d’autorisation de photocopier doivent être adressées à
l’éditeur ou au Centre français d’exploitation du droit de copie :
20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70.
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Abréviations
ACT thérapie d’acceptation et d’engagement (acceptance and commitment
therapy)
AF analyse fonctionnelle
CIM-10 Classification internationale des maladies (10e édition)
CLIS classe pour l’inclusion scolaire
CRA centre de ressources autisme
DI déficience intellectuelle
DSM Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
ECG électrocardiogramme
EFI évaluation des compétences fonctionnelles pour l’intervention
ESAT établissement ou service d’aide par le travail
IMP institut médicopédagogique
IMPRO institut médicoprofessionnel
MAS maison d’accueil spécialisée T
MDPH maison départementale des personnes handicapées
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QI quotient intellectuel
RM retard mental
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tal sans autisme est devenue le « parent pauvre » des discours scientifiques
et médiatiques, alors que des aménagements et accompagnements proches
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porteurs de handicap et nous leur donnons (du moins, c’est notre espoir !)
l’envie de se former aux TCC en général et aux particularités du handicap
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autistique et mental.
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fois plus élevée que dans la population générale. Il serait alors dommage de
les priver d’une psychothérapie qui a prouvé son efficacité dans la popula
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tion générale. Ainsi, utiliser les TCC pour aider ces personnes à surmonter
leur souffrance est un enjeu majeur de santé publique, mais c’est surtout
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cité des personnes porteuses de retard mental moyen d’établir des liens
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cents ayant un handicap mental, isolé ou avec un TSA associé, sont deux
populations souvent privées de psychothérapie en raison de difficultés tech
niques. Ce livre tente donc de donner quelques clés pour surmonter ces diffi
cultés. Les professionnels de la santé, et encore plus ceux du secteur médico
social prenant en charge des sujets autistes accompagnent en même temps
des personnes porteuses de handicap mental isolé (souvent dans les mêmes
lieux de vie et dans les mêmes groupes). Dans les familles où deux enfants
ou plus ont un handicap mental, on constate souvent des signes d’autisme
plus ou moins évidents, variables d’un enfant à l’autre. Nous espérons alors
qu’un ouvrage qui parle à la fois du handicap mental et de l’autisme sera
d’une certaine aide pour ces professionnels et pour ces familles. D’un point
de vue scientifique, le comportementalisme nous apprend que les lois qui
régulent nos comportements sont les mêmes, que nous soyons normaux (au
sens statistique), autistes ou avec un handicap mental. Les connaissances
précises sur chacun de ces deux syndromes viennent ensuite nous aider à
comprendre la singularité du sujet, le but de chaque intervention comporte
mentaliste étant de comprendre la situation particulière de l’individu pour
l’aider, dans la mesure du possible, à réguler ses propres comportements.
XVIII
Questions de terminologie
Dans cet ouvrage, nous utilisons indifféremment, et intentionnellement,
les termes tels qu’« autiste », « personne autiste », « patient porteur de TSA
ou de retard mental », etc. En effet, les débats autour de ces termes nous
paraissent stériles, d’autant plus que la terminologie change en perma
nence. Le plus important pour nous est que le sujet ayant un handicap
soit considéré comme un être humain à part entière, digne de respect et
méritant de s’épanouir dans la vie.
Par ailleurs, les termes de « retard mental », répandu en France et utilisé
dans la 10e édition de la Classification internationale des maladies (CIM-
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10), de « déficience intellectuelle » utilisée dans les milieux professionnels
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et de « handicap intellectuel » utilisé dans le DSM-5 renvoient à la même
réalité. Quant au syndrome d’Asperger, il n’existe plus dans le DSM-5 mais
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nous utilisons encore ce terme parce qu’il est très connu et qu’il correspond
à une réalité clinique.
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leur valeur neutre. Il va de soi que le thérapeute peut être une femme ou
un homme (en réalité le plus souvent une femme) et que ce qui est valable
DO
Le handicap et sa « situation »
Le présent ouvrage étant basé sur les sciences du comportement, il y sera
toujours question d’apprentissage. C’est une vision active et optimiste des
interactions entre l’être humain et son environnement. Ainsi, il nous sem
ble fondamental que le handicap ne soit pas réduit à une « situation de
handicap », car cela risque d’enfermer la personne et ses aidants dans une
XIX
A. Fritsch
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et leurs envies de manière efficace. Ces difficultés sont liées aux spécificités
neurodéveloppementales qui entravent le développement d’un langage
fonctionnel au cours de l’enfance et qui empêchent ces sujets de percevoir
les autres personnes comme pouvant interagir avec eux et réagir à un code
commun. Se met en place alors une multitude d’anomalies, dont chacune
aggrave les autres : déficit du langage, déficit de la réciprocité sociale, inca
pacité d’imiter dans le but de communiquer, etc.
Ce déficit de la communication chez le sujet autiste diminue sa capacité
à satisfaire ses besoins et contribue à l’apparition de troubles du compor
tement. Cependant, notre expérience sur le terrain avec les personnes
ayant un TSA avec handicap mental nous a montré que ces dernières sont
capables d’apprentissage tout au long de leur vie et qu’elles développent
même spontanément un certain nombre de stratégies compensatoires pour
surmonter leurs difficultés.
Parfois, ces compétences ne sont pas repérées par les équipes d’accompa
gnement, peut-être parce que la formation ou les missions qu’on assigne
traditionnellement aux professionnels ne s’inscrivent pas toujours dans une
logique d’apprentissage ; on parle spécifiquement de « maintien des acquis »
XX
plutôt que d’apprendre et d’évoluer. C’est un aspect que nous relevons sur
tout dans des institutions accueillant des personnes adultes (et encore plus
si celles-ci sont âgées), et dans lesquelles l’accompagnement est centré sur
le confort sensoriel, la vertu rassurante des routines et la satisfaction des
besoins de base. Ces pratiques reposent également sur les représentations
que les professionnels ont des compétences et des possibilités d’apprentis
sage de cette population.
Parfois, même les parents du jeune adulte autiste ou ayant un handicap
mental se sont faits à l’idée qu’il ne pourra plus évoluer ni acquérir de nou
velles compétences, contents qu’ils sont que leur enfant, après une enfance
et une adolescence tourmentées, ait enfin trouvé un mode de vie routinier,
une institution adaptée et bienveillante. Ils ont alors peur de « remuer »
cette sérénité retrouvée ; ils peuvent être réticents à l’idée que leur enfant
puisse changer ses routines, enrichir son répertoire comportemental, suivre
une thérapie.
Notre expérience nous a amenés à questionner ces attitudes, bienveil
lantes et compréhensibles de la part des parents et des professionnels.
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Notre expérience nous a montré, quasiment dans tous les cas, que même
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les sujets autistes n’ayant jamais bénéficié d’interventions éducatives spéci
fiques sont capables d’acquérir des apprentissages fondés sur l’observation
PR
langage commun pour parler des troubles autistiques. Cependant, ces cri-
tères, offrant peu de détails et étant difficilement quantifiables, restent diffi-
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chez un « vrai » être humain, offre autant de tableaux cliniques que d’indi-
vidus. Le clinicien aura donc le souci de décrire les difficultés et compé-
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tences particulières du sujet qui fait appel à lui. Dans la pratique clinique,
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sonnes (pincer, tirer les cheveux, donner des coups, etc.), d’automutilation
(se gratter jusqu’au sang, se taper la tête contre le mur ou le sol, etc.), de
comportements sexuels inappropriés (attouchement, nudité, masturbation
en public), de destruction d’objets ou de troubles touchant à la sphère diges-
tive (pica, hypersélectivité des aliments, vomissements provoqués, jeux
avec le vomi ou avec les selles, etc.). Le thérapeute peut être sollicité pour
tous ces troubles du comportement, pour lesquels la conceptualisation puis
les interventions en TCC apportent généralement une aide intéressante.
parler et arrivent souvent à s’en approcher. Ces anomalies sont donc géné-
ralement moins massives chez l’adulte que chez l’enfant.
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Le jeune adulte autiste qui vit chez ses parents préfère généralement
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rester seul, devant son ordinateur ou absorbé dans ses livres. Il peut avoir
des amis, mais en petit nombre, les interactions entre amis se limitant
DO
souvent au partage des intérêts restreints. Dans les services de soins et les
lieux de vie, les personnes autistes adultes ont peu d’interactions entre
elles, alors qu’elles cherchent plus souvent le contact avec le personnel
(généralement pour un but concret d’obtenir de l’aide ou de transmettre
une information). Les professionnels qui animent des groupes d’entraî-
nement aux habiletés sociales constatent cependant souvent, à l’issue
de la thérapie, que beaucoup de personnes autistes finissent par trouver
(ou retrouver) du plaisir dans les interactions sociales, et qu’elles arrivent
même à tisser des liens d’amitié entre elles ou avec des personnes non
autistes. En effet, dans beaucoup de cas, le sujet autiste semble avoir eu
envie de communiquer avec les autres et d’avoir des amis, mais, comme
il ne maîtrisait pas la façon de faire et que, souvent, sa façon maladroite
d’entrer en contact avait créé des expériences répétées d’échec (souvent
au collège et au lycée), il a abandonné ses tentatives et s’est détourné des
interactions sociales.
Les sujets ayant ce profil peuvent avoir des stéréotypies gestuelles, en
général plus subtiles que chez les sujets ayant un retard mental en plus
de leur autisme, et qu’ils essaient de cacher car ils comprennent que ces
Trouble du spectre autistique 7
phénomènes sont mal vus en société. Les intérêts restreints, eux, portent
souvent sur des thèmes culturels ou scientifiques (l’histoire de l’Égypte, le
piano, les jeux vidéo, etc.).
reste limité. Il sait exprimer ses besoins, demander de l’aide, exprimer des
NO
Quand il était enfant, il avait appris à saluer, à dire bonjour aux personnes qu’il
rencontre et à leur serrer la main. Ses accompagnants ont remarqué que D. le
fait souvent sans tenir compte du contexte : il peut par exemple dire bonjour à la
même personne plusieurs fois par jour, ou tendre la main pour saluer quelqu’un
alors que celui-ci a manifestement les deux bras chargés. Cette manière rigide
d’interagir avec les autres s’est cependant améliorée avec le temps, surtout à la
suite de l’entraînement aux habiletés sociales, qui a été proposé par une équipe
thérapeutique et repris par les parents.
2. Autisme avec retard mental moyen
Bruno est un jeune homme qui vit chez ses parents. À l’âge de 4 ans, Il avait
reçu le diagnostic de trouble du spectre de l’autisme. Après deux années pas-
sées en maternelle, Bruno a été orienté vers les établissements d’éducation
spécialisée (IMP puis IMPRO). Arrivé à l’âge adulte, Bruno n’a pas pu trouver
de voie professionnelle adaptée à ses besoins et il a été pris en charge par
un centre d’accueil de jour qui lui proposait, plusieurs fois par semaine, des
activités occupationnelles.
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Les bilans fonctionnels et psychologiques montrent chez lui un handicap intel-
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lectuel moyen associé à l’autisme.
Bruno parle beaucoup, tout le temps, interpelle en permanence les autres,
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surtout les adultes plus âgés que lui ; il leur pose des questions incessantes,
toujours les mêmes, même quand il obtient une réponse. Pendant qu’il pose ses
questions, il ne semble pas anxieux ou en souffrance, il montre au contraire de
T
l’intérêt, il pose des questions souvent sur la vie de son interlocuteur, mais, sans
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attendre la réponse, il se met à lui délivrer des informations sur ce qu’il vient de
faire dans la journée. Ces comportements sont diversement accueillis : ils sus-
citent l’amusement, l’agacement, l’étonnement. Ils sont le moyen qui permet à
DO
Bruno d’entrer en contact avec les gens, mais les parents et les professionnels se
rendent compte que ce moyen n’est pas efficace : il permet un premier bavar-
dage mais finit par détourner les gens et cela n’assure pas à Bruno la possibilité
d’établir des relations stables et valorisantes.
3. Autisme aves retard mental profond
Tania est une femme de 31 ans vivant dans une maison d’accueil spécialisée. Elle
est porteuse d’un autisme avec retard mental profond. Elle ne parle presque
pas, son langage étant limité à quelques mots. Si on la laisse seule, elle passe son
temps assise en tailleur, à se balancer en avant et en arrière. Elle émet régulière-
ment des sons inarticulés, dont le personnel ne comprend pas le sens. Certains
accompagnants pensent deviner le sens de certains « mots » particuliers qu’elle
produit, par exemple pour signaler qu’elle veut manger ou qu’elle est fatiguée.
Il est difficile d’accrocher son regard : le contact visuel reste furtif. Tania ne
cherche pas spontanément le contact avec les autres. Cependant, lorsque les
éducateurs lui proposent des activités adaptées, elle les fait et semble apaisée.
Elle peut ainsi s’occuper pendant quelques minutes à encastrer des objets en
plastique ou en bois ; le personnel pose parfois devant elle un bac rempli de
Trouble du spectre autistique 9
sable (ou de semoule), elle y plonge alors les mains et semble prendre du plaisir
à manipuler le sable, à le transvaser d’une main à l’autre.
Tania pose de temps en temps problème parce qu’elle crie sans raison appa-
rente. Quand elle pousse des hurlements déchirants, elle semble souffrir, mais
le personnel peine à savoir ce qu’elle a. Une fois, on a pu suspecter une rage de
dents et, après des soins dentaires sous anesthésie générale, Tania fut débarras-
sée de ses caries et était de nouveau paisible.
À certains moments de la journée, elle régurgite et se met à mâchouiller son
vomi. Il lui arrive même de sortir le vomi pour le manipuler avec les mains,
comme si elle cherchait des sensations tactiles particulières. Le personnel a
appris, dans ces moments-là, à lui proposer les jeux avec le sable, ce qui permet
de remplacer le vomi.
drome d’Asperger, nous semble utile aussi dans les autres formes de TSA,
pourvu que l’on tienne compte des difficultés cognitives qui s’y ajoutent
du fait du retard mental ou du retard de langage. Voici une version de ce
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modèle, que nous avons un peu modifié et adapté à notre population : les
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mémoire de travail (ce qui provoque des difficultés pour s’organiser, pour
planifier un travail en vue de réaliser un objectif) et par une diminution
de la flexibilité mentale (passer d’une tâche à l’autre, changer de stratégie
pour arriver à résoudre un problème, etc.) ;
– le traitement préférentiel des stimuli de façon fragmentée en insistant
sur les détails, plutôt que comme un tout intégré et significatif. Par exem-
ple, une personne qui a les bras croisés est forcément perçue comme étant
très en colère car le sujet autiste n’analyse pas la situation de façon globale
(posture, mimique, contexte, etc.). La performance dans le traitement de
l’information centré sur les détails peut, en revanche, être supérieure à la
moyenne.
dantes, d’où la nécessité de les repérer pour y remédier. Elles peuvent être
NO
Le profil précis des particularités sensorielles est très variable d’un sujet à
l’autre, et son taux de prévalence va de 30 à 100 % des sujets autistes, cette
grosse différence s’expliquant par des différences méthodologiques entre les
études [Degenne-Richard et al., 2014]
Dans les troubles du développement, les particularités sensorielles ont
été surtout décrites et étudiées chez l’enfant. Elles apparaissent très pré
cocement chez le bébé. Nous avons très peu de données sur l’évolution de
ces particularités à travers les âges ou sur la prévalence à l’âge adulte. Il n’est
pas clair, de plus, si ces particularités sensorielles diminuent ou augmentent
avec l’âge ; il est possible que tous les profils existent. Les témoignages des
personnes ayant un autisme sans retard mental vont dans le sens d’une
persistance de ces particularités à l’âge adulte.
La recherche de certains stimuli sensoriels prend parfois la forme de
conduites addictives, le sujet autiste allant jusqu’à s’automutiler pour obte-
nir certaines sensations : se frotter la peau jusqu’au sang, s’exposer à des
lumières brillantes jusqu’à provoquer des lésions rétiniennes, etc.
Selon le DSM-5, les particularités sensorielles font partie des critères
diagnostiques de l’autisme ; elles ne sont cependant pas spécifiques de
Trouble du spectre autistique 11
autistes.
Ainsi, l’hypo- ou l’hypersensibilité peut concerner :
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laire). Un autre avait un problème avec certaines textures d’étoffes, qui lui
NO
faisaient mal aux yeux quand il les touchait. Un autre exemple sera cité plus
loin dans l’histoire de Samuel.
DO
Comorbidité
Les personnes ayant un TSA présentent souvent des troubles comorbides,
c’est-à-dire des troubles psychiques qui s’ajoutent au handicap de l’autisme.
Le DSM-5 rappelle qu’environ 70 % des individus ayant un TSA ont un
trouble mental comorbide et que 40 % ont deux comorbidités psychia-
triques ou plus. Il s’agit donc de symptômes psychiatriques qui n’appartien-
nent pas aux critères diagnostiques du trouble. Ainsi, les personnes autistes
peuvent avoir un déficit de l’attention/hyperactivité, un trouble anxieux,
un trouble dépressif.
Les comorbidités psychiatriques dans l’autisme se manifestent souvent
d’une façon particulière, différente de ce que l’on voit dans la popula-
tion générale. La dépression, par exemple, peut se manifester par des
troubles du sommeil ou par des comportements agressifs, alors que la
tristesse, les idées suicidaires et la perte d’espoir sont absentes ou impos-
sibles à mettre en évidence en l’absence de langage fonctionnel [Murad
et al., 2014].
Trouble du spectre autistique 13
sent : scolarité dans des classes spéciales ou dans des établissements d’édu-
NO
cation spéciale.
Chez les adolescents au niveau intellectuel normal ou peu altéré, une prise
DO
dernière partie de cet ouvrage des exemples cliniques qui illustrent ce type
de situations.
Les études longitudinales montrent que les principaux symptômes de
l’autisme diminuent en arrivant à l’âge adulte [Howlin et al., 2004]. C’est la
communication qui s’améliore le plus, suivie par les interactions sociales.
Les intérêts et activités répétitifs et stéréotypés semblent persister.
Seulement 10 à 25 % des adultes ayant un trouble du spectre autistique
semblent capables de mener une vie autonome ou aidée et supervisée,
de suivre une formation, d’exercer une activité professionnelle ou de faire
partie d’un réseau social. Les facteurs de bon pronostic les mieux confirmés
sont un quotient intellectuel (QI) supérieur à 70, la présence d’un langage
fonctionnel à l’âge de 5 ans et l’absence de comorbidité psychiatrique
[APA, 2013].
Il semble que l’amélioration sensible des possibilités éducatives pour
les enfants atteints d’autisme au cours des trois dernières décennies n’ait
pas nécessairement abouti à des améliorations significatives en termes
d’adaptation à l’âge adulte [Howlin et al., 2004]. Cependant, les méthodes
T
d’accompagnement ne cessent de progresser et de gagner en efficacité, et
IN
les protocoles intensifs inspirés par différentes interventions basées sur les
sciences du comportement donnent des résultats prometteurs.
PR
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NO
DO
2 Retard mental
Le retard mental est un syndrome clinique dont l’identification, la descrip-
tion et la mesure sont bien antérieures à celles de l’autisme. Bien connaître
les difficultés de ces personnes est la première étape pour leur offrir des
accompagnements et thérapies adaptés.
escomptées à son âge dans son milieu culturel) concernant au moins deux
des secteurs suivants : communication, autonomie, vie domestique, apti-
PR
le critère A.
La prévalence du retard mental est de 1 % d’après le DSM-5. L’âge de
DO
dépistage est en général précoce si le retard mental est important, alors qu’il
peut ne se faire que tardivement, pendant les premières années de l’école,
si le retard mental est léger.
Le DSM-5 insiste sur le risque suicidaire dans la population des patients
ayant un retard mental, et donc sur la nécessité de rechercher les pensées
suicidaires pendant les processus d’évaluation. Il rappelle aussi, comme le
fait la CIM-10, que les troubles mentaux sont trois à quatre fois plus fré-
quents au sein de cette population que dans la population générale. Le rôle
des tiers informants est essentiel pour mettre en évidence des symptômes
tels que l’irritabilité, la dérégulation de l’humeur, les conduites agressives,
les problèmes de l’alimentation, les troubles du sommeil, et pour évaluer le
fonctionnement adaptatif dans les différents contextes de vie.
Chez cette population, les troubles mentaux et neurodéveloppementaux
les plus fréquemment associés sont le déficit de l’attention/hyperactivité,
le trouble bipolaire, la dépression, les troubles anxieux, le trouble du spec-
tre de l’autisme, les mouvements stéréotypés, les troubles du contrôle des
impulsions et le trouble neurocognitif majeur (ce dernier terme est utilisé
par le DSM-5 pour désigner les différents types de démence).
Retard mental 17
pas d’autres opérations ; d’autres ont besoin de calculer sur les doigts, même
pour les additions simples. Ils sont souvent scolarisés dans des classes adap-
T
eux, après une enfance difficile et des apprentissages très lents, parviennent
à avoir un comportement social adapté, qui permet d’avoir des amis et
DO
« tierce personne »). La dépendance est telle que, dans la plupart des cas,
les personnes, surtout quand leurs parents sont décédés ou ne sont plus en
capacité de s’occuper d’eux au quotidien, ont besoin de vivre en institution.
Leur langage est rudimentaire, se limitant à quelques mots ou même à des
sons inarticulés ; parfois, des phrases stéréotypées sont possibles. Dans ce
profil, les troubles neurologiques, tels que l’épilepsie, sont fréquents ; la
motricité est généralement réduite, la personne ne pouvant effectuer les
gestes simples et ayant des difficultés importantes de coordination motrice ;
le contrôle sphinctérien peut être atteint. La vie sociale est très réduite,
voire absente, le sujet ne peut prendre l’initiative des interactions sociales
autrement que pour réclamer des besoins très concrets et ne comprend pas
les notions de conversation ou d’amitié.
Du point de vue de la TCC, deux types de difficultés revêtent une impor-
tance particulière dans cette population : les anomalies cognitives et les dif-
ficultés affectives, les dernières découlant, en grande partie, des premières.
Ces anomalies sont intéressantes à repérer surtout chez les personnes ayant
un handicap mental léger car, lorsque le handicap est plus sévère, elles sont
T
noyées dans l’ensemble des difficultés.
IN
Sur le plan cognitif, les principales anomalies retrouvées sont [Pulsifer,
1996] :
PR
tion) ;
NO
spatial.
Les problèmes affectifs et comportementaux sont nombreux. Les sujets
porteurs de DI ont souvent une faible estime d’eux, problème que l’on
pourrait attribuer à toutes les mauvaises expériences (mise à l’écart, moque-
ries, échecs) qu’ils ont souvent subies depuis leur enfance. Ils sont capables
de s’attacher aux autres mais cet attachement reste peu nuancé, se faisant
en tout ou rien. Ils ont des difficultés à comprendre les situations sociales et
expriment souvent un jugement moral qui correspond à l’âge de dévelop-
pement, donc plutôt rigide, ainsi que des difficultés pour tolérer l’attente
et la frustration.
Sandrine sait de façon naturelle aborder les gens, initier une conversation sur
des sujets courants. Elle regarde ses interlocuteurs dans les yeux et utilise les
gestes habituels qui accompagnent le discours, elle sait garder une bonne dis-
tance interpersonnelle et peut évaluer ce que son interlocuteur attend d’elle.
Le tout reste cependant empreint d’une certaine naïveté et d’un manque de
nuance, rappelant ce que l’on peut voir chez un grand enfant.
Son vocabulaire est limité, elle ne comprend pas les mots complexes ou les
termes administratifs, ni des concepts trop abstraits.
Elle comprend bien les émotions que les autres expriment et, dans la plupart
des cas, peut imaginer ce que ses actes et paroles entraînent chez les autres ;
elle arrive alors à ajuster ses propres comportements. Par exemple, si elle voit
qu’une de ses collègues de travail est en difficulté pour mettre des objets dans
son sac, elle lui pose des questions et lui offre de l’aide ; et si elle voit que cette
offre d’aide agace la collègue elle se sent déçue : « je veux l’aider mais elle ne
veut pas ». Elle arrive cependant à laisser l’autre tranquille et peut parler de sa
déception aux éducateurs qui l’accompagnent au foyer.
T
Différencier autisme et retard mental
IN
Le retard mental et l’autisme sont deux syndromes distincts, bien que sou-
PR
vent associés. Cinquante pour cent environ des personnes porteuses d’un
TSA ont aussi un retard mental et 20 % de celles ayant un retard mental
T
ont en même temps un TSA. Plus le RM est sévère, plus il est probable
NO
rappeler que le souci de scientificité ne signifie pas que la TCC peut appor-
ter une solution à tous les problèmes ; le thérapeute comportementaliste
travaille en collaboration avec les autres professionnels et dans le respect
du cadre d’intervention et de l’intérêt du patient. Il peut encourager son
patient à accepter un traitement médicamenteux lorsque celui-ci semble
nécessaire, en même temps ou à la place de la TCC. Parfois, face à des symp-
tômes difficiles à diminuer, il peut décider avec son patient d’accepter ces
symptômes et d’apprendre à vivre avec.
Les origines scientifiques et expérimentales de la TCC sont solides. Les
expériences sur l’analyse du comportement sont adaptées à la recherche
en laboratoire et donnent des résultats validés scientifiquement, et d’une
grande valeur. Néanmoins, l’application de ces données scientifiques dans
les contextes cliniques nous confronte à la complexité de la « vraie » vie :
les stimuli sont toujours nombreux et d’une grande diversité, et beaucoup
en sont internes (sensations physiologiques ou événements cognitifs)
et ne se prêtent pas facilement à l’observation ; les séquences compor-
tementales (stimulus, réponse, conséquence) s’enchaînent rapidement,
échappant aux grilles que le thérapeute demande de remplir à son patient ;
public, que la TCC cherche à « dresser » les patients, à les faire entrer dans
les normes sociales ou qu’elle leur impose des objectifs thérapeutiques qui
ne sont pas les leurs. En réalité, rien n’est plus loin de l’esprit de la TCC que
ce type de croyances. La conceptualisation, base de toute thérapie compor-
tementale et cognitive, tient toujours compte de la relation thérapeutique
et de la motivation du patient, et l’empathie est une qualité sur laquelle
toutes les formations en TCC insistent. Quand la TCC parle de normalité, il
ne s’agit pas d’un jugement moral ni d’un objectif thérapeutique à attein-
dre, mais d’un repère statistique qui permet au patient et à son entourage
de mieux comprendre leur propre fonctionnement par rapport à celui de la
société. Le but de la TCC est en quelque sorte de rendre le sujet l’artisan de
son propre comportement.
Nous voyons ainsi que le terme « comportementales et cognitives »,
consacré par l’usage, est un peu réducteur ; comme on le verra tout au
long de ce livre, la TCC prend en compte de nombreux autres paramètres,
non seulement les comportements observables et les cognitions. Comme
le lecteur l’aura remarqué, nous aimons dire « la » TCC, au singulier, car
T
malgré l’immense richesse des TCC, l’esprit et le savoir-faire qu’impliquent
IN
ces thérapies font leur unité.
PR
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des apprentissages chez son patient, c’est-à-dire les liens entre les différents
NO
schéma, par exemple, peut favoriser la croyance, dans l’esprit du patient, qu’il
est une personne faible et qu’il ne peut pas s’en sortir). La conceptualisation
T
étudiera aussi la difficulté générale de DM pour gérer son anxiété (même avant
NO
T
IN
Conceptualisation
NO
nous intéresse ici, une grande partie de ce travail sera faite avec les tiers qui
PR
tiquer) à la fois :
NO
Éléments historiques
On définit souvent la TCC comme une thérapie de l’« ici et maintenant ».
Il est vrai que l’objet principal en sera toujours la souffrance actuelle du
patient. Le thérapeute s’intéressera aux facteurs actuels qui régissent le
comportement, et très peu au passé. Cette approche classique de la TCC
peut être suffisante et très utile dans les troubles simples au sein de la
population générale (tels qu’une phobie spécifique sans autre problème)
mais, dès qu’il s’agit d’un problème complexe (trouble de la personnalité,
handicap psychique, comorbidité, etc.), le thérapeute aura besoin, comme
32 Thérapies comportementales et cognitives
Observations structurées
Les observations structurées sont une étape fondamentale de la TCC.
Elles permettent de bien définir le problème à traiter et de préparer
l’analyse topographique. Elles peuvent être faites par le patient quand
son niveau intellectuel le permet. Dans le domaine du handicap mental,
ce sont le plus souvent les aidants (famille, éducateurs, etc.) qui feront
les observations.
Nous qualifions ces observations de « structurées » parce qu’elles se font
à l’aide d’outils, généralement de tableaux, que le thérapeute met au point
avec le patient et/ou son entourage, pour enregistrer des informations spé-
T
cifiques. Ces informations doivent être factuelles, ce qui signifie qu’il faut y
IN
éviter toute interprétation ou hypothèse sur la causalité. Ainsi, dire que telle
personne semble fatiguée ou démotivée n’est pas une information factuelle
PR
et objective. Dire que tel jour elle est restée plus longtemps que d’habitude
dans son lit est une information factuelle. Décrire et quantifier sont les deux
T
sonnel : des gestes agressifs envers le personnel et les autres résidents, un jet
d’objets par terre et des crises de larmes. Le thérapeute a proposé au personnel
PR
de remplir cette grille pour vérifier les liens entre ces trois comportements
problématiques et des facteurs de l’environnement évoqués par le personnel.
T
Les cognitions, telles que définies en TCC, sont les pensées, les discours
NO
déjà, dès ses premières rencontres avec le patient, les repérer et y travailler.
Une telle intervention serait même plus intéressante en début de thérapie,
quand les schémas sont intensément, et plus fréquemment, activés par la
détresse émotionnelle du patient ; celui-ci pourrait ainsi plus facilement y
accéder et les rapporter à son thérapeute.
On peut alors s’interroger sur l’intérêt, voire sur la faisabilité, d’étudier
les schémas et les cognitions chez des personnes ayant un syndrome autis-
tique avec un retard mental. Comment accéder à leur pensée ? Nous verrons
grâce aux exemples cliniques qui suivront que le thérapeute en TCC a tout
intérêt à prendre en compte ces phénomènes cognitifs, même quand le
patient ne peut pas les verbaliser :
• avant de se pencher sur les schémas cognitifs il est important de connaître
le fonctionnement cognitif du sujet : c’est l’autre sens du mot « cognitif »
utilisé en psychologie et en médecine, qui se réfère à des capacités telles que
la compréhension, la mémoire, le jugement et le raisonnement. Ce point a
été abordé dans les chapitres cliniques sur le TSA et la DI ;
• ensuite, le patient, même avec un langage limité, peut souvent expri-
T
mer ce qu’il ressent, le thérapeute fera alors des hypothèses sur les cog-
IN
nitions du sujet, en gardant à l’esprit que ce ne sont que des hypothèses,
qu’il faudra vérifier et modifier avec le temps pour ne pas enfermer
PR
Cas clinique
« Christelle déteste être félicitée »
Christelle est une femme de 50 ans, porteuse d’un TSA avec une DI légère et
une symptomatologie anxieuse et obsessionnelle (très présente, mais ne rem-
plissant pas les critères d’une anxiété généralisée ni ceux d’un trouble obses-
sionnel compulsif). La symptomatologie anxieuse prenait en général la forme de
questions que Christelle adressait aux soignants concernant le déroulement de
la journée, ce qu’elle aurait le droit de faire et de ne pas faire, l’heure à laquelle
elle pourrait prendre sa douche. Les questions étaient répétitives et les réponses
apportées par les soignants n’entraînaient qu’un apaisement passager. Le trai-
tement psychotrope n’avait eu qu’un léger effet sur l’anxiété.
Christelle, en plus, se méfiait des demandes formulées par les soignants ; ses
schémas de pensée tournaient autour de cette croyance : « si on me félicite pour
mes progrès, on m’en exigera davantage, et on finira par m’obliger à retravailler
dans un ESAT, alors que je n’en suis pas capable ». Ainsi, elle déteste être féli-
citée. Les thérapeutes se sont ainsi trouvés privés de ce renforçateur naturel, si
fréquemment utilisé et apprécié par les thérapeutes et par les patients, à savoir
T
les félicitations et les encouragements. Ils ont alors eu recours au renforcement
IN
implicite. L’équipe a établi une liste des activités que Christelle appréciait, telles
que se promener, lire un texte en anglais avec un des éducateurs, recevoir un
PR
massage sur le dos, etc. Ils ont aussi défini avec elle les comportements souhai-
tés : ils ont préparé avec la patiente un classeur contenant les réponses à ses
T
principales questions. Quand elle posait une question, elle devait aller vérifier
elle-même la réponse dans le classeur.
NO
thérapie à dominante cognitive. Chez ces personnes, une thérapie qui met
en avant la pensée et stimule la réflexion risque d’aggraver les troubles du
patient : l’anxieux se perdra encore plus dans ses ruminations anxieuses
et l’obsessionnel, celui qui pose tout le temps les mêmes questions, posera
encore plus de questions.
Bien sûr, dans une DI sévère, les capacités cognitives étant fortement
touchées, une TCC ne peut pas viser le contenu de la pensée du patient.
Elle s’adressera aux contingences de l’environnement, aux conditions de
vie, aux approches corporelles et sensorielles. La thérapie cognitive garde
cependant tout son intérêt dans les interventions qui visent la pensée et
les comportements des aidants familiaux et professionnels. On peut donc
dire que, même chez les personnes ayant une DI sévère, une restructuration
cognitive peut être proposée, qui aura néanmoins lieu dans l’esprit des thé-
rapeutes et des accompagnants, et qui aura dans beaucoup de cas des consé-
quences concrètes sur le bien-être du patient.
D’aucuns vivent mal l’idée que la psychothérapie puisse aussi s’appliquer
aux accompagnants, comme s’il s’agissait de juger le personnel et les parents.
T
Dans notre expérience, quand nous avons commencé à intervenir auprès
IN
de personnes porteuses de TSA avec DI, nous avons nous-mêmes vécu une
grande « restructuration cognitive » : l’idée prévalente en médecine et dans
PR
les établissements d’accueil (parfois aussi dans l’esprit des parents) était que
ces sujets, étant fortement handicapés, ne pouvaient plus évoluer, surtout
T
après avoir passé l’âge de l’adolescence. Notre expérience nous a vite mon-
NO
tré que tout être humain est capable d’apprendre, d’évoluer et de prendre
plaisir à le faire. La TCC préconise aux thérapeutes d’appliquer à eux-mêmes
DO
Émotions
Bien que le terme « thérapies comportementales et cognitives » mette en
avant les comportements et les cognitions, les TCC se sont toujours intéres-
sées aux émotions : comment les repérer, nommer, distinguer, comment
en évaluer l’intensité, etc. La thérapie cognitive se propose d’agir sur les
émotions par le biais des cognitions. Plus récemment, les thérapies dites de
la « troisième vague » tentent d’agir directement sur les émotions, non pour
les modifier mais pour changer le rapport que l’individu entretient avec
elles. Ici, il s’agira donc plutôt de repérer les émotions pour les accepter,
pour les considérer comme des phénomènes normaux et pour les regarder
sans jugement.
Généralités sur la TCC 39
Comportements épanouissants
Nous nommons ici « comportement épanouissant » tout comportement (au
sens large utilisé dans le présent ouvrage, c’est-à-dire les actions, paroles, émo-
tions, sensations corporelles, pensées, etc.) :
• faisable dans l’immédiat ;
• produisant un sentiment agréable ;
• utile à long terme (pour le bien-être, les apprentissages, l’estime de soi, la
santé, etc.). T
Les comportements épanouissants, s’ils ne sont pas suivis de renforcement, ris-
IN
quent de s’éteindre. Le thérapeute doit donc les repérer et en faire l’analyse
fonctionnelle dans le but d’augmenter leur fréquence et leur diversité.
PR
Motivation
La TCC est une thérapie de l’action et du changement, elle est donc forcé-
ment un peu difficile. Elle demande un certain effort de la part du patient
(et du thérapeute).
Pour lui donner ses chances de réussir, il faut que patient et thérapeute
travaillent ensemble et qu’ils aient les mêmes objectifs. Parfois, mais rare-
ment, c’est le cas, et la thérapie est alors une réussite, voire un plaisir pour
les deux, mais, dans la plupart des cas, le travail thérapeutique s’achoppe à
des problèmes, dont la motivation du patient. Il est alors important que le
thérapeute adopte une « attitude de TCC », c’est-à-dire une posture scien-
T
tifique, ne portant de jugement ni sur le patient ni sur soi. Il regardera le
manque de motivation comme un problème à résoudre ; la conceptualisa-
IN
aux séances de thérapie, ne réalise pas les tâches prescrites ou ne prend pas
le traitement prescrit en même temps que la TCC, etc. Les interventions
DO
Cas clinique
Passer de l’artificiel au naturel
Michel est un jeune homme porteur d’un handicap mental moyen avec autisme.
Il a un langage peu fonctionnel et beaucoup de difficulté à gérer sa colère. Les
éducateurs du foyer dans lequel il vit depuis quelques mois ont demandé de
l’aide aux thérapeutes parce que Michel ne supportait pas la moindre frus-
tration. Si un résident ou un membre du personnel lui refusait quelque chose,
Michel se tendait, se mettait à crier et finissait par frapper son interlocuteur.
Pendant les promenades, il lui est arrivé plusieurs fois, dans des accès de colère,
de pousser les autres violemment, ou de quitter le groupe en traversant la route
sans faire attention à la circulation. Le personnel a fini par ne plus l’emmener
aux promenades, alors que celles-ci étaient parmi les moments qu’il préférait
dans son quotidien.
Généralités sur la TCC 43
s’épanouir que s’il exerce un certain contrôle sur son environnement et s’il
obtient des récompenses diverses comme résultats de ses actions.
L’exemple que nous évoquons souvent est de se demander pourquoi nous
venons travailler tous les jours ; pourquoi, les jours ouvrés, il y a beau-
coup plus de probabilité pour chacun d’entre nous de venir au travail que
de rester chez lui, même si à la maison, c’est plus confortable, que nous
pouvons passer le temps plus agréablement à lire ou à bricoler et qu’il fait
froid dehors. Les personnes n’ayant pas de handicap mental peuvent se
projeter dans les conséquences lointaines et symboliques de leurs actions.
Venir au travail régulièrement nous permet de toucher notre salaire, d’avoir
un statut social, d’obtenir le plaisir des contacts sociaux avec les collègues
et avec les patients, d’apprendre de nouvelles choses, de ne pas être mal vus
en ne venant pas au travail, etc., une foule de motivations dont nous ne
nous rendons pas toujours compte, et dont la plupart sont soit des motiva-
tions à long terme, soit des motivations symboliques. Les sujets porteurs de
handicap mental ou autistique ne peuvent pas se projeter dans ce type de
motivateurs ; ils n’ont pas la capacité de faire eux-mêmes le lien entre une
44 Thérapies comportementales et cognitives
Alliance thérapeutique
T
dont nous parlons ; l’alliance avec les aidants familiaux est le socle sur
lequel se construisent tous les autres apprentissages.
T
exemples sur les problèmes de l’alliance de travail, entre les parents et les
thérapeutes comme entre les parents et les équipes éducatives.
DO
4 Particularités de la TCC
dans l’autisme
et le handicap mental
Particularités de la conceptualisation/analyse
fonctionnelle dans l’autisme et le handicap mental
• Bien connaître son patient :
– son répertoire comportemental ;
– ses capacités de compréhension et de communication ;
– son niveau d’autonomie ;
– ses particularités sensorielles. T
• Évaluer et valoriser les forces du patient.
IN
• Évaluer et valoriser les ressources de l’entourage.
• Faire la part des points de vue des contingences (rechercher la fonction du
PR
eux et s’assurer que la thérapie proposée est en harmonie avec leurs valeurs.
• Ne pas éteindre un comportement avant d’apprendre au sujet un compor-
tement plus adapté remplissant la même fonction (sauf cas de comportements
dangereux).
• Chercher la motivation au changement du point de vue du patient.
classeur d’images, etc.) ont une grande importance ; nous en parlerons dans
le sous-chapitre suivant. Restent tous les comportements de la vie quoti-
dienne, ce que le sujet sait ou ne sait pas faire, tout seul, sur incitation ou
avec aide : s’habiller, parler, manger, dessiner, s’isoler, jouer, etc.
C’est ce qu’on appelle le répertoire comportemental. Plus le répertoire
comportemental d’un sujet est riche, plus il est capable de faire face aux
exigences de la vie ; et plus le répertoire est pauvre, plus la souffrance aura
de chance de surgir. Pour connaître le répertoire comportemental habituel
d’une personne, on peut l’observer, l’interroger, questionner ses aidants
familiaux et professionnels, répertorier ce qu’elle fait de ses journées dans
les différents contextes de vie. Ces observations in vivo suffisent la plupart
du temps pour se faire une première idée du répertoire comportemental et
commencer la conceptualisation et les interventions thérapeutiques. Si l’on
souhaite aller plus loin, surtout dans la perspective d’un projet de vie (amé-
nager l’environnement de vie, planifier des apprentissages sur une longue
durée, envisager une insertion ou une réinsertion professionnelle, etc.),
il peut être intéressant de faire appel à certains outils structurés, tels que
T
l’évaluation des compétences fonctionnelles pour l’intervention [Willaye,
IN
2005], l’échelle d’évaluation du comportement socioadaptatif de Vineland
ou le profil psychoéducatif pour adolescents et adultes (AAPEP).
PR
facile pour le thérapeute de faire cet effort de décentration et de voir les événe-
ments avec les yeux de son patient. Ce changement de point de vue devient
malaisé pour le thérapeute quand son patient a un TSA ou un RM. L’univers
mental et sensoriel si particulier de ces sujets fait que ce qui est agréable ou
désagréable pour eux n’est pas forcément semblable à ce qui l’est pour nous.
En même temps, et encore plus que d’autres, les personnes porteuses d’un
TSA et/ou d’un retard mental dépendent de leur entourage pour une grande
partie de leurs activités et besoins au quotidien. Il est alors primordial de
faire l’AF aussi du point de vue de l’entourage familial et professionnel, le
comportement de l’entourage étant alors un facteur déterminant dans le
déclenchement et le maintien de celui des patients. Il est indispensable que
le thérapeute tienne compte de cette réalité et qu’il y rende attentifs les
aidants familiaux et professionnels.
Cas clinique
Le point de vue des contingences
Sandra est une jeune femme de 29 ans, porteuse d’un autisme infantile avec
retard mental sévère. Elle vit dans un établissement spécialisé. Elle ne dit que
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 49
ce qui est nécessaire pour respecter les règles d’hygiène, sans lui donner le bain
chaud qu’elle apprécie ;
T
• donner le bain chaud, très apprécié par Sandra (donc un des renforçateurs les
NO
plus puissants dans sa vie), ainsi que d’autres renforçateurs, de façon régulière,
à des moments de la journée où elle est calme et propre ; c’est ce qu’on appelle
le renforcement non contingent ; on coupe ainsi le lien entre le comportement
DO
• suit celui de la photo : le sujet fait le lien entre l’objet concret et la photo
qui le représente (mais pas avec un dessin) ;
• niveau de l’image : le sujet fait le lien entre l’objet et une image ou un dessin ;
• niveau du pictogramme : le sujet peut faire le lien entre l’objet et sa repré-
sentation schématique ;
• niveau des lettres et des chiffres : le sujet fait le lien entre l’objet (ou
une action précise) et un mot écrit ; par exemple, il comprend que le mot
« stop » ou « non » signifie qu’il faut arrêter l’action en cours, etc.
Pour chaque niveau, il existe différents sous-niveaux de complexité. Dans
le cas d’une photo, par exemple, on peut jouer sur l’angle de prise de vue, le
nombre de détails présents, la saillance de l’objet, en favorisant le fait que
l’objet se détache bien d’un fond blanc et qu’il n’y a qu’une information
présente sur le support.
Perception et communication
Il arrive que les aidants familiaux et professionnels, désireux d’aider le
sujet autiste, et ayant compris la nécessité de soutenir la communication,
52 Thérapies comportementales et cognitives
guettent l’arrivée des camions qui livrent les repas, l’arrivée de l’éducateur
qui accompagne la sortie pour aller voir les chevaux, la présence dans le
T
champ visuel du sac utilisé lors des retours en famille, etc. Ces personnes
NO
Système proprioceptif T
IN
• Hyposensibilité se traduisant par une mauvaise adaptation posturale et
tonique (maladresse motrice, chutes, trébuchements répétés).
PR
Système vestibulaire
NO
• Recherche de sons graves et de basses fréquences (coller son oreille sur les
haut-parleurs par exemple).
DO
Vision
• Sensibilité à certaines couleurs (des assiettes, de certains aliments par
exemple).
• Luminosité (intérêt pour les ampoules électriques), brillance, reflet de
certains objets (par exemple le miroir).
• Intérêt pour de petits détails visuels (voir les nervures des feuilles).
• Trouble visuoperceptifs (difficulté à reconnaître les visages humains ; la
personne explorant le visage en fixant la région de la bouche plutôt que
celle des yeux).
• Difficulté visuospatiale (localisation, distance).
• Difficulté visuomotrice (poursuite visuelle, maîtrise des mouvements
oculaires).
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 55
• Regard périphérique.
• Regard au travers des gens.
• Regard évitant (furtif et intermittent).
Alimentation/gustative
PR
Audition
• Ouïe fine mais sélective (la personne ne répond pas à son prénom, mais
si le frigo fait du bruit, elle l’entend instantanément).
• Fines capacités de discrimination (reconnaître le bruit des pas de chaque
personne).
• Difficulté à faire abstraction du « bruit de fond » (c’est-à-dire des bruits qui
ne sont pas reliés à la tâche en cours), surtout difficulté sévère à comprendre
la voix humaine dans les endroits bruyants.
• Hyperacousie (la personne se bouche les oreilles, terrorisée pas le bruit de
l’aspirateur, du sèche-cheveux).
• Fatigue auditive liée à ces particularités (la personne fournit un effort
permanent d’attention soutenue pour décrypter les messages verbaux qui
lui sont destinés). Souvent, cette fatigue contraste avec une certaine aisance
dans les supports visuels de communication.
56 Thérapies comportementales et cognitives
Odorat
• Flairage (sentir les gens sous les aisselles par exemple).
• Répulsion pour certaines faibles odeurs du quotidien (hypersensibilité
olfactive), par exemple ne pas s’asseoir sur une chaise car l’odeur de la per-
sonne qui s’y était assise ne s’était pas dissipée.
• Recherche d’odeurs fortes (anales ou génitales avec le doigt qui est ensuite
flairé).
• Difficultés à supporter les mélanges d’odeurs.
• Maniement précautionneux des senteurs (crèmes, produits cosmétiques,
huiles).
Le thérapeute se fera une idée des particularités sensorielles avant toute
intervention psychothérapique. Cette « petite » évaluation, faisant partie
de la conceptualisation, peut en même temps servir de base pour améliorer
l’environnement de vie du patient.
T
IN
de l’entourage
T
Raphaël, jeune homme autiste de 27 ans vivant chez ses parents, a jeté une
assiette par terre pendant le repas de midi. Ses parents étaient étonnés car
T
il est rare que Raphaël produise ce type de comportement agressif. Ils disent
NO
que le petit frère, qui participait au repas, avait simplement imité la façon dont
Raphaël mangeait, que ce type de railleries était fréquent entre les deux frères
complices et que cela s’était toujours bien passé.
DO
processus de renforcement. Dans ces cas, l’« enquête » peut s’orienter vers
le conditionnement classique ; un comportement a pu apparaître dans un
environnement donné et continuer pour son propre compte par condi-
tionnement répondant parce que l’organisme a associé ce comportement
à un stimulus particulier.
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 59
Cela peut avoir des retombées thérapeutiques, aussi bien pour favori-
ser les comportements de remplacement (créer un contre-conditionne-
T
Les personnes porteuses de handicap mental ont souvent un vécu peu grati-
fiant de leur corps. En voici quelques exemples, dont il nous semble intéres-
sant de tenir compte en TCC.
DO
autistes peut comporter des aspects gustatifs, avec la recherche, par exemple,
de goûts salés et la tendance à manger les mêmes choses à chaque repas
T
(saucissons, chips, etc.). Les personnes ayant un autisme avec DI ont globale-
NO
crisper quand on est en colère, son corps se ralentir quand on est triste et
ses intestins se nouer quand on a peur sont des expériences perturbantes si
le sujet n’arrive pas à les relier aux émotions qui les ont provoquées. Plus
généralement, pour comprendre une émotion, pour bien la vivre, l’accepter
et la réguler, on a besoin de faire le lien entre le vécu subjectif de cette émo-
tion, les sensations physiologiques qui l’accompagnent et les événements
qui la précèdent et lui succèdent. Une des pistes majeures de thérapie en
TCC est d’apprendre aux patients à reconnaître les émotions ressenties en
resituant celles-ci dans leur contexte environnemental et physiologique.
Cela est possible même chez des patients souffrant d’un syndrome autis-
tique sévère avec une DI moyenne. Par exemple, un de nos patients ne
reconnaissait aucune émotion. Les soignants lui ont mis des gouttes d’eau
sur le visage pour l’aider à comprendre que quand il pleurait, il était triste.
Un autre ne reconnaissait pas la colère, les soignants lui mettaient ses mains
sur les bras pour le faire sentir que ceux-ci étaient crispés quand l’émotion
coléreuse montait, etc.
parce qu’il ne sait pas comment se masturber. Dans d’autres cas, le patient se
masturbe en public, provoquant embarras et scandale. Chez les personnes
ayant un retard mental léger, l’attirance vers l’autre sexe peut être reconnue
DO
Cas clinique
Combiner exposition et évitement pour gérer l’excitation sexuelle
L’équipe éducative du foyer est régulièrement embarrassée par le comporte-
ment de Laëtitia, femme autiste de 35 ans, porteuse d’une DI légère. Pendant
les sorties en ville, quand Laëtitia voit de jeunes hommes, elle les aborde de
front, tente de les toucher et leur demande des informations personnelles.
Quand on l’en empêche ou qu’on le lui reproche, elle s’énerve, crie et va sou-
vent jusqu’à gifler ses accompagnateurs.
L’entraînement aux habiletés sociales n’a donné qu’une amélioration modeste,
tant l’attrait de Laëtitia pour les hommes était fort dans ce type de situations. Les
interventions thérapeutiques se sont alors portées sur une forme d’exposition
sociale, comportant néanmoins des mécanismes subtils d’évitement. Lorsqu’elle
voit un homme attirant, la patiente a appris à respirer lentement, à dire « bon-
jour » à l’homme si elle en avait envie puis, si l’anxiété devenait trop forte, à
regarder par terre. C’est une forme d’évitement, mais qui est fonctionnelle car
elle permet de protéger aussi bien la patiente que les hommes qui l’attirent.
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 63
T
IN
PR
T
NO
DO
Analyse fonctionnelle
III
(et conceptualisation)
en pratique
La méthodologie que nous proposons ci-après se donne pour ambition de
T
faciliter le passage des données cliniques vers les interventions thérapeu-
IN
tiques. Elle se décline en trois parties :
• établir une liste des problèmes du patient et émettre des hypothèses sur
PR
La TCC ne traite pas les symptômes de façon isolés, elle traite les symp-
T
Dans ce groupe, les médicaments ont peu d’effet, et ce sont les thérapies
comportementales et cognitives qui doivent être la base de toute interven-
tion thérapeutique ou éducative.
que les médecins, souvent devant le désarroi des aidants, sont tentés de
prescrire des médicaments pour soulager la souffrance de la personne.
DO
Cependant, dans la plupart des cas, les médicaments ont peu de portée
et leur effet est limité dans le temps. La TCC ici est une approche pré-
cieuse, qui permet au patient et à ses aidants d’apprendre des stratégies
efficaces de coping (c’est-à-dire des compétences, des manières de faire
qui les aident à faire face).
[Persons, 2008].
T
tement nécessite parfois des moyens autres que la TCC (comme les médica-
ments ou une hospitalisation).
Cas clinique
NO
parents. Les parents s’occupaient d’elle et arrivaient à gérer son humeur « diffi-
cile », c’est-à-dire son irritabilité et son incapacité à supporter la moindre frus-
tration ; le temps a passé et le père est tombé gravement malade, la mère a aussi
des problèmes de santé et n’arrive plus à faire face aux demandes de sa fille.
Plusieurs interventions psychothérapiques, médicamenteuses et éducatives
ont échoué pour calmer les crises de colère pendant lesquelles K. agressait sa
famille et cassait des objets.
Les thérapeutes ont enfin proposé à la patiente et à ses parents de trouver un
lieu de vie qui offre à K. un environnement plus structuré.
Les crises de colère ont effectivement cessé et la patiente exprime désormais un
grand plaisir à passer du temps dans ce lieu de vie et aussi pendant les visites
qu’elle rend régulièrement à ses parents.
T
IN
motivation. Si le patient et/ou ses aidants donnent la priorité à un objectif
thérapeutique que le thérapeute ne trouve pas pertinent, celui-ci peut soit
PR
dérer que ce décalage dans les priorités est en soi un problème à ajouter à
NO
T
IN
Figure 5.3. Ébauche de conceptualisation.
AF : analyse fonctionnelle.
PR
Cas clinique
T
NO
interventions thérapeutiques.
T
NO
DO
78 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique
T
IN
PR
T
NO
DO
Généralités
Comme nous l’a rappelé la figure 3.2, la conceptualisation nous permet de
passer de la théorie à la pratique, mais dans cette démarche le thérapeute
se trouve confronté à ce qui fait à la fois la force et la difficulté de la TCC :
le foisonnement des connaissances scientifiques sur le fonctionnement
du psychisme humain rend quasiment impossible pour le thérapeute de
connaître et d’utiliser au même moment toutes les données de la science
et de savoir quel « tiroir » de la TCC ouvrir pour aider son patient, tout en
tenant compte de l’ensemble du tableau clinique et du paradigme de la TCC.
Les ouvrages francophones sur la TCC proposent plusieurs grilles d’ana-
lyse fonctionnelle pour aider le thérapeute à comprendre les problèmes de
T
son patient. Il ne faut toutefois pas oublier que le but de l’analyse fonction-
IN
nelle n’est pas de remplir des grilles mais de faire des hypothèses sur les
processus qui déclenchent et maintiennent le comportement-problème et,
PR
Nous proposons dans cet ouvrage une méthodologie d’AF qui tente de
NO
conséquence. Cette chaîne aide à mettre au jour, d’une part, les liens entre
NO
les stimuli et les comportements, et, d’autre part, les conséquences appéti-
tives ou aversives qui vont renforcer ou éteindre le comportement étudié.
DO
La chaîne comportementale est représentée dans notre schéma par les trois
rectangles qui se succèdent. Cette séquence nous aide à faire l’analyse fonc-
tionnelle dans son versant classique (ou répondant) et dans son versant
opérant.
Pour rendre la chaîne comportementale plus informative, nous détaillons
chacun de ses trois éléments puis ajoutons d’autres informations en lien
avec les différentes familles de TCC.
Comportement
Le terme « comportement » dans le comportementalisme ne se limite pas
DO
aux actions ; il désigne tout phénomène psychique que l’on peut observer
et mettre en lien avec ce qui le précède et ce qui le suit. Dans notre modèle
d’analyse fonctionnelle, nous considérons que chaque comportement est
composé de quatre éléments en interaction permanente (d’où les flèches à
double sens dans la figure 6.1) : les émotions, les cognitions, les sensations
physiques et les actions.
Dans la figure 6.1, le comportement est d’emblée décliné dans ses quatre
composantes. Cette représentation permet au thérapeute de :
• rechercher les différents éléments d’un comportement. La colère, par
exemple, n’est pas seulement une émotion ressentie ; elle est habituelle-
ment accompagnée de manifestations physiques (le visage rouge, les mus-
cles qui se crispent, le rythme cardiaque qui s’accélère, etc.), de cognitions
(se dire que le provocateur n’a pas le droit d’agir de la sorte, qu’il nous
prend pour des imbéciles, etc.) et d’actions (crier, taper, ou au contraire, se
taire, partir, etc.) ;
• rechercher les rapports entre ces différentes composantes. En prenant
toujours l’exemple de la colère, les cognitions portant sur l’injustice subie
augmentent l’émotion coléreuse, qui à son tour provoque des actions et des
82 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique
T
IN
PR
T
NO
DO
point de vue, selon leur temps d’apparition, selon leur domaine et selon
NO
tées par le patient. Dans le domaine du handicap, elles sont plus souvent
rapportées par l’entourage. Cependant, quand on en arrive à répertorier
les conséquences selon leur valence, nous sommes déjà à l’étape d’émettre
des hypothèses, et c’est donc la tâche du thérapeute de vérifier si chaque
conséquence peut être appétitive ou aversive pour le sujet.
rapport aux valeurs du sujet : le comportement émis va-t-il dans le sens des
NO
La figure 6.2 montre l’exemple d’un tableau qui nous aide à repérer les
conséquences immédiates, celles qui sont lointaines et celles qui sont en
rapport avec les valeurs, cela du point de vue du sujet et de son entou-
rage. Bien sûr, ce tableau peut varier à l’infini parce que le point de vue de
l’entourage n’est pas unique, les conséquences perçues, vécues ou mises
en avant pouvant être différentes selon la personne considérée : la mère,
le père, chacun des frères et sœurs, chacun des accompagnants profession-
nels. C’est au thérapeute de faire sa « petite hypothèse » initiale pour savoir
quelles informations pertinentes il faut rechercher auprès des différents
protagonistes.
L’appétitif et l’aversif
Le caractère agréable ou désagréable des conséquences ne peut être su a priori,
et encore moins chez des personnes dont les capacités cognitives sont limitées.
Cette précaution a un intérêt majeur dans les TSA car, en plus des difficultés
cognitives de ces sujets, il y a souvent des particularités sensorielles. Être touché,
même avec sympathie et délicatesse, peut être très désagréable pour une per-
sonne autiste ; ce sera donc un stimulus aversif, là où chez une autre personne,
autiste ou pas, cela peut constituer un stimulus puissamment appétitif. Ce
n’est donc qu’en observant de façon structurée le comportement et ses consé-
quences que nous pouvons émettre une hypothèse sur la valence de celles-ci.
Contexte
Pour mieux situer la chaîne comportementale dans son contexte, c’est-à-
dire pour la relier aux autres comportements habituels les plus significatifs
du patient, on ajoute, comme le montre la figure 6.4, les éléments per-
tinents du passé et du présent, ainsi que les facteurs médicaux et phar-
macologiques (en noir sur fond gris clair). Cela permet une ébauche de
conceptualisation puisque le comportement étudié (le problème principal
pour lequel le patient ou sa famille demande de l’aide) est visualisé dans ses
rapports avec l’histoire des apprentissages du sujet, avec l’essentiel du réper-
toire comportemental habituel et avec les éléments saillants de l’entourage.
Figure 6.4. Séquence comportementale dans ses rapports avec la vie du sujet.
Analyse fonctionnelle 89
plus apparentes des fonctions cognitives. Les schémas cognitifs, ainsi que
l’élément « cognition » du comportement, sont entourés dans la figure 6.5
par des lignes discontinues.
Émotions
Les théories sur les émotions sont représentées par l’élément « émotion » du
carré central et éventuellement par les sensations corporelles, qui accom-
pagnent l’expression des émotions. Ces éléments sont entourés par une
double bordure dans la figure 6.5 et permettent de réfléchir sur les interven-
tions qui se proposent de traiter les émotions sans passer par une restruc-
turation cognitive (c’est-à-dire sans discuter du contenu de la pensée) ; c’est
par exemple le cas des approches fondées sur la relaxation, la respiration,
la méditation, le repérage et l’acceptation des émotions, etc.). Pour ne pas
alourdir le schéma général, nous avons donné la même forme à ces deux
éléments (émotions et sensations corporelles) du « moulin » comportemen-
tal. Le thérapeute gagnera cependant à bien les distinguer dans son ana-
T
lyse fonctionnelle ; le vécu subjectif (quasi indéfinissable) d’une émotion
IN
n’est pas la même chose que les sensations physiologiques qui l’accompa-
gnent, et cette distinction nous permettra de générer plus de composantes
PR
Analyse fonctionnelle
DO
91
92 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique
l’on n’arrive pas à proposer une thérapie efficace contre l’anxiété, on peut
décider de recourir à des stratégies de protection en évitant au patient,
T
• les forces : nous repérons dans cette case les forces et les qualités du
patient et de son entourage, tous les aspects de sa vie qui peuvent, d’une
part, constituer un levier dans la thérapie et, d’autre part, être une piste
pour améliorer la qualité de sa vie ;
• la motivation : il s’agit ici de repérer les principales informations pouvant
nous aider à cerner la motivation du sujet et de son entourage pour les avoir
sous le regard pendant la conceptualisation. Si le thérapeute pense que la
motivation est un problème important, il peut « déplacer » la case motivation
pour la mettre à la place du carré central (c’est-à-dire considérer que le compor-
tement principal à analyser n’est plus celui pour lequel le patient sollicite la
thérapie mais que c’est le manque de motivation). Ainsi, l’AF ne portera plus
sur le comportement « refuser de sortir de chez soi », mais sur des comporte-
ments tels que « refuser de venir voir le thérapeute », ou chez un éducateur « le
thérapeute a demandé que je fasse des observations sur le résident dont je suis
le référent, mais je n’ai pas assez de temps pour le faire », chez un parent « je
ne vois pas en quoi cette thérapie pourrait aider mon fils/ma fille », etc.
Comme nous y avons insisté précédemment, le but de ce schéma
(figure 6.6) n’est pas de remplir les cases mais de repérer les informations
Analyse fonctionnelle 93
les plus pertinentes et d’embrasser du regard les rapports entre les diffé-
rents éléments de la séquence comportementale. Le thérapeute n’a pas
besoin d’explorer à fond tous ces éléments. Il est en général plus utile de
commencer par répertorier les principales informations de chaque case puis
d’avoir une réflexion d’ensemble sur le schéma. Si un élément (les stimuli,
les cognitions, les schémas cognitifs, les conséquences, etc.) semble en jeu,
le thérapeute ouvrira le « tiroir » correspondant pour rechercher davantage
d’informations et émettre des hypothèses en rapport avec ces informations.
Par exemple, si l’étude des conséquences nous semble particulièrement
nécessaire dans le détail, on peut remplir le « tableau des conséquences »
qui permet de repérer les conséquences du comportement comme nous
l’avons décrit plus haut.
T
IN
PR
T
NO
DO
7 Tableau des processus
Le « candélabre » de la TCC
processus comme une lampe, une bougie, dont la douce lumière nous
NO
Prenons l’exemple de Gilles, jeune homme porteur d’un TSA avec retard
mental léger, qui souffre de dépression : il est triste et ralenti, il a délaissé
ses activités favorites, ne sort plus en promenade, ne s’intéresse plus à sa
collection de figurines ; il a des crises de larmes et dit se trouver nul et
méchant, indigne de l’amour des siens. Prenons notre candélabre et explo-
rons la dépression de Gilles :
• les aspects médicaux et biologiques pourraient être considérés comme
la base du candélabre ou une première bougie à allumer. Cette « bougie
biologique » devrait nous amener à nous poser des questions telles que :
le patient souffre-t-il d’une affection médicale, d’une maladie qui a pu
perturber son organisme et favoriser l’apparition d’une dépression ? Faut-il
demander à un médecin de l’examiner ? Faut-il prévoir une prise de sang ou
d’autres examens paracliniques ? A-t-il besoin d’un traitement antidépres-
seur (ou d’autres médicaments) ?
• à la lumière de la « bougie des apprentissages », on peut voir la souf-
france dépressive comme un cercle vicieux : se sentant un peu triste et
96
Domaine Processus possible Définition Exemple Exemple de « remède »
1. Le modèle Douleur, gêne physique Le sujet ne peut pas identifier Le sujet crie et tape parce Examen médical, traitement
T
un trouble du comportement Stéréotypies correspondant
IN
ou de l’humeur. à des crises d’épilepsies
partielles complexes.
PR
Affection psychiatrique Une affection psychiatrique Le sujet crie et interpelle les Traitement de la maladie
(dépression, schizophrénie, soignants en raison d’une sous-jacente chaque fois que
addiction, etc.) favorise les anxiété généralisée ou c’est possible (antidépresseurs ou
T
troubles du comportement ou d’une dépression. activation comportementale pour
NO
la souffrance psychique. la dépression, antipsychotiques
pour la schizophrénie, etc.)
Modifications du corps/
DO
Le sujet ne comprend pas ses Le sujet produit des Psychoéducation adaptée à l’état du
sexualité propres changements corporels comportements inadaptés sujet, procurer du plaisir physique
ni ses sensations sexuelles. envers des personnes qu’il et sexuel par des moyens adaptés
trouve attirantes. (par exemple se masturber en privé)
Particularités sensorielles Le sujet perçoit de façon Le sujet exprime une peur Étudier le profil sensoriel et
douloureuse ou désagréable des intense en présence de protéger le sujet contre les stimuli
stimuli sensoriels (qui seraient certains bruits ou lumières. désagréables (ou lui apprendre à
insignifiants ou peu gênants les éviter)
dans la population générale).
Domaine Processus possible Définition Exemple Exemple de « remède »
2. Apprentissage
Renforcement positif Le comportement a pour Le sujet crie pour obtenir Réduire les « avantages » obtenus
opérant fonction d’obtenir (ou de l’attention de son à la suite de ce comportement ;
garder) une conséquence entourage. donner les mêmes avantages à la
appétitive (« agréable ») réelle suite d’autres comportements plus
ou anticipée. adaptés
Renforcement négatif Le comportement a pour Le sujet crie pour éviter une Supprimer le stimulus s’il est inutile
fonction d’éviter (ou activité ou une présence ou (bruits, lieu de vie étriqué ou
d’échapper à) un stimulus un stimulus interne (mal de activité trop difficile) ou le valoriser
aversif. tête, souvenir pénible) qu’il et le rendre moins aversif s’il est
T
n’aime pas. utile (décomposer la tâche à faire,
IN
etc.)
Extinction/inhibition Les comportements adaptés Les tentatives d’entrer Augmenter les conséquences
PR
ne sont pas suivis de en contact avec d’autres favorables qui suivent un
conséquences suffisamment personnes handicapées comportement utile
T
favorables ou sont même suivis ou avec la famille ou
NO
de conséquences défavorables. le personnel ne sont
pas suivies d’effet (ou
DO alors donnent lieu à
97
Domaine Processus possible Définition Exemple Exemple de « remède »
Apprentissage social
98
Imitation de modèles Le sujet imite des modèles Un résident imite les cris Supprimer le contact avec le
produisant des comportements d’autres résidents après modèle en séparant les deux
inadaptés, ou il produit des avoir constaté que les cris personnes concernées. Proposer
T
il se trouve souvent nul, différentes interprétations à partir
IN
même après des expériences de la même situation)
neutres ou de réussite. Proposer une règle cognitive qui met
PR
le schéma à l’épreuve ; encourager le
patient à l’expérimenter
T
Altération de la théorie de Le sujet ne peut se représenter Le sujet ne perçoit pas Entraînement aux habiletés
NO
l’esprit, de l’empathie les intentions et émotions des l’effet que ses conduites sociales (ensemble d’interventions
autres. maladroites provoquent cognitives et comportementales
DO chez les autres. avec psychoéducation)
Troubles de la Le sujet ne comprend pas Un étudiant se trouve Aménager l’environnement pour
compréhension certaines situations car son dans une classe inadaptée, le rendre plus compréhensible ;
niveau intellectuel ou la ou engagé dans des changer de cadre ; adapter le
sévérité de son autisme ne le interactions sociales dont niveau des exigences ; remédiation
permet pas. il ne comprend pas les cognitive ; proposer des méthodes
nuances. de communication pour que la
personne puisse demander de l’aide
et des explications
Domaine Processus possible Définition Exemple Exemple de « remède »
4. Émotions
Perception des émotions Le sujet ne reconnaît pas ses Le sujet ne sait pas s’il est Apprendre à identifier les émotions
propres émotions. triste, heureux, en colère,
etc.
Régulation des émotions Le sujet ne sait pas Le sujet se met dans une Thérapie centrée sur la gestion
proportionner ses réactions à colère explosive à la suite des émotions (reconnaître le vécu
l’émotion ressentie. d’une frustration minime. subjectif, accepter l’émotion,
s’entraîner à réagir autrement,
demander de l’aide, etc.)
T
5. Psychologie Forces du caractère Identifier et développer les Les forces du sujet (être Identifier les qualités, forces et
positive forces du sujet généreux, serviable, atouts du sujet, créer des occasions
IN
courageux, etc.) sont à pour les exercer au quotidien
développer.
PR
Forces de l’environnement Identifier et développer les Les forces et ressources de Identifier les qualités et forces
forces de l’entourage l’entourage (des parents de l’entourage familial et
T
affectueux, soutenants ; des professionnel, et créer des occasions
NO
éducateurs respectueux, pour les utiliser
bien organisés, avides de
DO formation, etc.) sont à Apprendre au sujet dans quelle
99
100 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique
• enfin, la « bougie des forces » nous aide à rechercher les forces et compé-
tences de Gilles et à voir si celles-ci sont pleinement valorisées et exploitées.
L’étaient-elles avant l’épisode dépressif ? Le sont-elles pendant cet épisode ?
Quels comportements peut-on favoriser pour enrichir le répertoire compor-
temental de Gilles ? Quelles sont les qualités et ressources psychologiques
que l’on peut exploiter pour combattre la dépression ? Par exemple, si on
repère la force « être apprécié par son entourage », on aidera Gilles à prendre
conscience de cette force, en en parlant, certes, mais surtout en créant, dans
son quotidien, de fréquentes situations qui lui permettent d’exercer cette
force-là.
N’oublions pas que ces cinq bougies participent du même « candélabre ».
Elles ont toutes en commun de se référer aux théories de l’apprentissage
et d’adopter la démarche scientifique, c’est-à-dire expérimentale : partir
d’observations structurées, concrètes, formuler des hypothèses sur les pro-
cessus en jeu puis appliquer une thérapie pour tester les hypothèses.
8 Introduction aux
interventions
Pour illustrer la conceptualisation et la façon dont on peut adapter les tech-
niques de TCC chez les personnes ayant un handicap mental, nous présentons
dans les pages qui suivent plusieurs exemples cliniques. Pour chaque cas, nous
présentons le problème clinique et l’analyse fonctionnelle puis proposons des
hypothèses sur les principaux processus qui sous-tendent les comportements
problématiques. Nous suggérons ensuite la thérapie qui permet d’enrayer ou
de remplacer ce processus. Le travail du thérapeute n’est pas de lutter contre
un comportement pathologique mais de faciliter l’émergence d’un compor-
tement adapté remplissant la même fonction ; c’est ce travail-là qui fera, petit
à petit, disparaître le comportement pathologique. Ainsi, plutôt que de lutter
contre un comportement agressif (et après avoir assuré la sécurité du patient
T
et de son entourage), nous tenterons d’apprendre au patient un autre compor-
IN
tement, une façon plus pacifique de s’exprimer et de communiquer avec son
entourage. À une patiente dépressive on ne dira pas « ne reste pas toute seule
PR
dans ton coin » mais plutôt « choisis entre ces deux activités », etc.
Un comportement problématique, dans notre paradigme, ne signifie pas
T
Sonia a 30 ans. Elle vit depuis plusieurs années dans une maison d’accueil
spécialisée et passe chez ses parents, âgés, un week-end sur deux. L’unité
où elle vit accueille des résidents porteurs de TSA avec déficience intel-
lectuelle sévère ou d’un polyhandicap lourd. L’unité de vie est composée
d’une grande salle de séjour permettant à la fois des activités et des repas.
Les chambres individuelles se trouvent autour de cette grande pièce, et
s’ouvrent sur elle.
T
Le langage de Sonia se limite à quelques mots, prononcés quand elle
essaie d’entrer en contact avec les autres. Elle s’occupe peu dans la journée,
IN
s’asseyant souvent par terre au milieu de la salle. Plusieurs fois par jour, elle
PR
L’équipe essaie de lui donner des repères dans les activités quotidiennes
et lui propose de temps en temps des promenades ou des moments en
piscine ; la résidente reste cependant oisive la plupart du temps.
Le problème qui se pose concerne le moment des repas. Ceux-ci se font
en deux temps dans la salle centrale. Sonia perturbe ce temps ; lorsque le
personnel fait manger les plus dépendants dans leurs fauteuils, elle bouge
beaucoup, crache beaucoup et vient pousser les personnes présentes
(personnel comme résidents). Ce comportement dérange évidemment le
personnel et entraîne chez eux un sentiment d’insécurité, et surtout une
crainte pour les autres résidents.
Plusieurs solutions ont été envisagées. Dans un premier temps, Sonia a été
laissée dans sa chambre, porte fermée. Elle tambourinait alors sur la porte.
Le personnel a ensuite essayé de la mettre dans sa chambre, porte ouverte,
avec une petite barrière qui l’empêchait de sortir, mais qui la laissait voir ce
qui se passait dans la salle centrale, où se déroulait le repas des résidents les
Conceptualisation
Commençons par faire l’analyse topographique de cette situation, du point
de vue de la patiente et du point de vue du personnel, comme le montre la
figure 9.1.
Dans la figure 9.2, on distingue les conséquences immédiates, différées,
et les conséquences en rapport avec le sens du comportement, c’est-à-dire si
T
celui-ci est en harmonie avec les valeurs auxquelles la personne adhère ou
IN
contraire à ces valeurs.
PR
partager le même objectif final, à savoir que Sonia aille bien, et que sa
conduite générale soit compatible avec la sérénité et la sécurité des autres
DO
résidents. Ils sont toutefois pris dans un conflit parce que les méthodes
utilisées ne fonctionnent pas. On peut dire qu’il y a discordance entre les
visions que chacun a des valeurs partagées. Ainsi, à la lumière de la bougie
des apprentissages, les conséquences du même phénomène (un trouble du
comportement) sont très divergentes selon qu’on les voit « avec les yeux »
de Sonia, de ses accompagnants ou de la direction de l’établissement.
2. Le thérapeute peut jouer ici un rôle de médiateur, en partageant des
éléments de cette analyse fonctionnelle avec le personnel et la direction.
Il mettra ainsi l’accent sur les valeurs de l’équipe et de la direction, la
façon dont tout cela est mis à mal par la lourdeur du handicap, et posera
comme principe que nous (équipe, direction, patiente et famille) pouvons
tous collaborer en adoptant une posture de résolution de problème. Il
s’agit en quelque sorte de rapprocher la perception des conséquences,
d’atténuer les conséquences punitives et de rechercher des comporte-
ments susceptibles de produire des conséquences appétitives pour tous les
protagonistes.
3. Un autre aspect frappant est que la patiente est désœuvrée, a peu d’acti-
vités dans la vie de tous les jours. Son répertoire comportemental semble
T
IN
PR
T
NO
DO
Conceptualiser
Figure 9.1. Schéma de conceptualisation (histoire de Sonia).
107
MAS : maison d’accueil spécialisée
108 Interventions
d’identifier les activités que la patiente sait faire et aime faire. Un inventaire
NO
5. Identifier les forces de la patiente et les activités qu’elle aime : l’EFI sera
ici un outil intéressant [Willaye, 2005], mais, même avant de recourir à
des outils spécifiques, nous pouvons dire que Sonia est capable d’imiter
de courtes séquences motrices, qu’elle aime le contact social (malgré son
regard « absent ») et qu’elle est capable de se concentrer sur des activités
simples de courtes durées. Ces forces nous aideront à imaginer une multi-
tude d’activités susceptibles de l’intéresser.
6. Identifier les forces de l’entourage familial et professionnel : le théra-
peute peut faire avec les parents l’inventaire des moments pendant lesquels
leur fille semble aller bien, les situations dans lesquelles les parents arrivent
d’eux-mêmes à trouver des solutions, etc. Le personnel éducatif, quant à
lui, semble capable de réfléchir aux problèmes, de dresser des observations
fines, de proposer des activités ; il est demandeur d’aide, etc.
7. Couper la chaîne des stimuli : tenter un isolement (en fermant la porte)
de courte durée et en prévoyant une activité que la patiente puisse faire
pendant l’isolement. Peut-elle s’occuper seule pendant quelques minutes
(télévision, musique, pâte à modeler) ? Ne pas oublier que l’isolement n’est
T
en aucun cas une punition, mais une protection pour tout le monde, y
IN
compris en faveur de la patiente (protection sensorielle) qui, si elle avait un
niveau intellectuel normal, aurait sans doute demandé d’elle-même à s’iso-
PR
ler dans sa chambre pour échapper aux bruits et aux autres stimuli gênants.
8. Évaluer les capacités de communication, éventuellement en utilisant le
T
pait peu aux activités quotidiennes proposées. Il était connu pour être un
résident assez difficile, qui inspirait la méfiance au personnel parce qu’il
T
donnait régulièrement des coups, il lui arrivait aussi de mordre les autres
NO
résidents et de s’automutiler.
Le personnel était donc un peu habitué aux comportements inadaptés de
DO
Raphaël. Ils se sont cependant inquiétés parce que les comportements agres-
sifs étaient devenus plus fréquents depuis quelques semaines. Le médecin a
examiné Raphaël, sans trouver d’anomalie particulière. Il a prescrit quand
même du paracétamol dans l’hypothèse d’une douleur ; c’était sans effet.
Dans les jours qui ont suivi, la situation s’est dégradée. Raphaël était en
mauvais état général, le teint pâle, il criait, tapait sur les murs et, par hasard,
on a constaté du pus qui sortait de son oreille. L’examen médical a confirmé
par la suite la présence d’une otite. Le traitement par antibiotique a forte-
ment réduit les troubles du comportement.
Dans cet exemple, le piège était que les troubles du comportement exis-
taient déjà avant la maladie, mais leur fréquence a beaucoup augmenté
en raison de l’otalgie. En plus, le médecin, n’a rien constaté lors du pre-
mier examen, l’otite étant encore à ses débuts, d’où l’intérêt de répéter les
examens.
T
IN
PR
T
NO
DO
11 Soigner les troubles
psychiques associés
Détecter une « comorbidité », c’est-à-dire une maladie psychiatrique ou
somatique qui s’ajoute au trouble autistique ou au handicap mental, fait
partie de la conceptualisation. Interpellé par la souffrance d’un sujet han-
dicapé, l’accompagnant, surtout s’il est professionnel de la santé, doit se
demander si nous sommes en présence d’un trouble psychique (ou mental)
caractérisé. Un diagnostic de comorbidité a un double intérêt ; d’une part,
il ouvre des portes insoupçonnées pour aider le patient ; le trouble psy-
chique qui s’ajoute au handicap peut souvent bénéficier d’un traitement
médicamenteux spécifique (comme dans le cas de la dépression ou du
trouble bipolaire) qui améliore la situation et facilite l’aide éducative et
psychothérapique ultérieure. D’autre part, le diagnostic d’une comorbidité
T
nous éclaire sur la conceptualisation et les protocoles thérapeutiques qui en
IN
découlent. Par exemple, le diagnostic d’une dépression nous conduira à pri-
vilégier, en même temps ou à la place des antidépresseurs, un programme
PR
d’activation comportementale.
T
Laurent, jeune homme de 28 ans, ayant un TSA avec une DI légère, vit
dans un foyer et passe ses week-ends chez sa mère. Cependant, ces journées
en commun que partageaient mère et fils se passaient de plus en plus mal.
Laurent, déjà un peu irritable pendant la semaine, prit brusquement l’habi-
tude d’injurier sa mère dès la moindre contrariété. La mère était persuadée
que son fils lui en voulait de l’avoir placé dans un foyer, et qu’il n’osait
pas ou ne savait pas le dire. À part cela, Laurent était souriant la plupart
du temps à la maison ; ni la mère ni le personnel de l’établissement n’ont
repéré d’événement pouvant expliquer ce changement de comportement.
En plus, Laurent était en bonne santé, l’examen médical somatique était
dans les normes.
En interrogeant la mère et le personnel du foyer, les thérapeutes ont mis
en évidence des signes discrets de dépression : quelques crises de larmes
inexpliquées, tendance à être moins souriant et moins loquace pendant ses
activités favorites, sommeil un peu raccourci le matin. Un traitement anti-
dépresseur fut prescrit, ce qui rétablit la situation au bout de deux semaines.
On voit ici que le signe principal qui annonçait la dépression était l’irritabi-
T
lité et les comportements agressifs.
IN
À retenir
PR
Chez les personnes qui n’ont pas de langage fonctionnel, la douleur physique et
la dépression sont deux conditions à évoquer devant toute modification inex-
pliquée du comportement, notamment lors de l’apparition ou de l’aggravation
DO
Exemple de la bipolarité
Benjamin est un adolescent de 15 ans, porteur d’un TSA avec handicap
mental. Son langage est pauvre, limité à quelques mots et expressions dont
le sens est incertain.
Ses parents décrivent des troubles du comportement évoluant depuis
quelques années. Benjamin mord les bras de ses parents, parfois des autres
proches, ou essaie de les tordre. Ces comportements agressifs sont présents
presque tous les jours ; ils semblent parfois provoqués par une frustration,
quand les parents disent non à une demande, mais bien souvent on n’arrive
pas à identifier de facteur déclenchant.
Les thérapeutes, sollicités par les parents, ont établi des grilles d’obser-
vation qui ont confirmé l’impression initiale des parents, à savoir que les
troubles sont généralement provoqués par des frustrations (par exemple,
Soigner les troubles psychiques associés 115
Benjamin veut que sa mère reste avec lui au lieu d’aller au travail, il essaie
de la retenir, etc.). Ces comportements apparaissent cependant aussi en
l’absence d’événements frustrants.
Les observations ont été poursuivies sur de plus longues périodes. Elles
ont finalement montré une légère variation des troubles : deux ou trois fois
par an, et pendant quelques semaines, les troubles sont plus fréquents que
le reste du temps. Les thérapeutes ont formulé l’hypothèse d’une cyclo-
thymie ou d’un trouble bipolaire. Un traitement thymorégulateur a apporté
une grande amélioration. Depuis trois ans, le jeune homme continue de
produire des gestes agressifs de temps en temps ; leur intensité cependant
est moindre et leur fréquence est descendue au quart environ de ce qui était
constaté auparavant. Maintenant que les troubles du comportement sont
devenus moins massifs, il a été plus facile pour les thérapeutes de mener,
en collaboration avec les parents, une analyse fonctionnelle des troubles
résiduels, que le traitement médicamenteux n’a pas pu juguler. Celle-ci a de
nouveau mis en avant l’hypothèse de gestes agressifs en cas de frustration,
le patient ayant du mal à supporter la colère provoquée par ces situations.
T
Ainsi, dans un deuxième temps, une aide à gérer les émotions a été mise
IN
en place, en même temps l’équipe soignante a aidé la famille à améliorer
l’utilisation du système de communication par images, qui était déjà en
PR
place. Au terme de cette thérapie, les gestes agressifs sont devenus très rares
et, surtout, Benjamin semble plus heureux qu’avant.
T
NO
altérée.
NO
d’autres médicaments.
NO
• le week-end, pour « récupérer », elle fait la grasse matinée, elle ne met pas
NO
son réveil, et ne se lève du lit que vers 10 heures du matin, elle passe alors
ses journées du samedi et du dimanche à traîner, sortant peu et ayant peu
DO
d’activités physiques.
Les thérapeutes ont proposé à Michèle quelques démarches simples pour
améliorer son hygiène de vie :
• remplacer son dernier café de 16 heures par une tisane ou par du café
décaféiné ;
• augmenter ses activités physiques : le soir en rentrant du travail, Michèle
a accepté de sortir pour faire une marche de 15 minutes. Pour favoriser cette
sortie, son éducatrice référente est sortie avec elle tous les jours pendant la
première semaine, puis, se retirant progressivement, elle se contentait de lui
rappeler chaque soir qu’il faut sortir pour sa promenade ;
• le week-end, elle devait prévoir une sortie un peu plus longue : marcher
ou faire du vélo, seule, avec un collègue du foyer ou avec un membre de la
famille, cela plutôt vers 11 heures du matin ;
• maintenir des heures de coucher et de lever régulières en commençant
par de petits pas : se coucher, même le week-end, avant 22 heures et se lever
à 8 h 30 au plus tard.
Avec l’aide de l’équipe éducative, la patiente a pu ainsi retrouver un som-
meil de meilleure qualité.
Explorer le sommeil 125
Hypnotiques
Ce sont des médicaments qui facilitent l’endormissement et/ou le maintien
du sommeil. De nombreuses molécules sont autorisées en France pour trai-
ter l’insomnie occasionnelle et l’insomnie transitoire dans la population
générale. Ces médicaments sont peu étudiés chez les sujets ayant un TSA ou
un handicap mental.
La plupart appartiennent à la famille des benzodiazépines : loprazolam
(Havlane®), lormétazépam (Noctamide®), nitrazépam (Mogadon®), téma-
zépam (Normison®), zopiclone (Imovane®), zolpidem (Stilnox®). S’y ajoute
l’alimémazine (Théralène®), qui est un antihistaminique.
On parle de plus en plus de la mélatonine dans les troubles du sommeil
chez les patients autistes. La mélatonine est une hormone produite par la
glande pinéale en réponse à l’absence de lumière. La mélatonine disponible
sur le marché est une molécule de synthèse qui imite l’hormone naturelle.
Bien que des études de cas et que l’expérience de certains cliniciens et
parents illustrent l’intérêt de ce médicament (aussi bien chez des enfants
T
que chez des adultes ayant un TSA), il faut se méfier d’un engouement irré-
IN
fléchi. En effet, il existe peu d’études contre placebo ou sur les effets indé-
sirables de ce médicament à long terme. Il est donc nécessaire de l’utiliser
PR
sont utilisés dans leurs indications et de façon temporaire. Ils peuvent sur-
NO
tout aider le patient à avoir un bon sommeil (et par conséquent à redevenir
disponible pour les thérapies et les apprentissages) en attendant que le trai-
tement (par TCC et/ou médicaments) de la cause de l’insomnie commence
DO
à formuler des exigences, elle demandait à venir d’autres jours que ceux
NO
qui étaient prévus, s’absentait certains jours, manquant ainsi des séances
de thérapie…
DO
avant de sortir.
Comme nous l’avons proposé précédemment, nous, accompagnants
T
Apprentissage social
Le comportement humain peut s’expliquer dans beaucoup de cas par la
théorie de l’apprentissage social développé par Albert Bandura [Ban-
dura, 1995], qui place la motivation non exclusivement dans les contin-
gences de l’environnement mais aussi dans l’interaction entre l’individu et
son environnement.
Quand on parle de renforcement et d’extinction chez un être humain, on
ne peut se contenter des renforçateurs externes, c’est-à-dire des récompenses
matérielles que le sujet obtient grâce à l’émission de certains comporte-
ments. Les travaux expérimentaux de la psychologie montrent que, quand
Faire des hypothèses sur les contingences 131
ou non), observe que lors des sorties avec ses parents pour faire les courses,
NO
ses parents restent sur le trottoir, que pour traverser la rue ils regardent des
deux côtés pour vérifier que les voitures ne risquent pas de les heurter, etc.
DO
dans lequel il vit est pauvre, ne lui offrant pas une variété d’autres comporte-
ments à observer et à expérimenter. Il crie parce que les autres crient, quelle
que soit la conséquence que les autres subissent ou gagnent en criant.
S’il prend conscience que le fait de crier apporte des bénéfices pour les
autres (par exemple l’attention que la famille ou le personnel leur porte),
alors la probabilité de reproduire ce même comportement augmente. C’est
ce que Bandura appelle l’apprentissage vicariant.
Sylvie est une jeune femme porteuse d’un TSA avec DI sévère et un lan-
gage rudimentaire. Elle vit dans une MAS. Elle faisait le « saut du marsupi-
lami » tout au long de la journée, ce qui perturbait les autres résidents. En
repassant en revue le déroulement de ses journées, nous nous apercevons
que le répertoire comportemental de Sylvie est pauvre ; le personnel ne
sait pas quelle activité lui proposer. Sylvie avait observé d’autres résidents
faire ce mouvement pendant des séances de psychomotricité, ce qui était,
pour eux et dans ce contexte, un comportement utile ; alors que reproduire
sans cesse ce mouvement hors contexte était un comportement néfaste.
Le programme thérapeutique dans ce cas a consisté en l’enrichissement du
T
répertoire comportemental : proposer davantage d’activités (encastrement,
IN
jeux de ballon, jeux avec le sable, etc.) ; lui accorder davantage d’attention
quand elle est occupée par ces activités que quand elle fait le saut du mar-
PR
Beaucoup de personnes autistes ont besoin de bouger pour réguler leurs émo-
tions et leur attention : sauter, courir, faire un tour à vélo, etc., les aident à se
calmer et à redevenir disponibles pour les autres actions de la vie quotidienne.
Ainsi, il ne faut pas hésiter à leur proposer ce type d’activités motrices à des
moments clés de la journée. Le thérapeute commencera par identifier les acti-
vités que le patient a trouvées spontanément pour calmer son stress et pourra
aussi proposer d’autres formes d’activités.
Par exemple, proposer au patient de s’isoler régulièrement dans un endroit
discret pour sautiller pendant quelques minutes entre deux séances d’activité.
Dans un ESAT, les moniteurs pourraient proposer à la personne de petites
pauses et l’encourager à sortir pour marcher ou courir autour du bâtiment.
Ces activités motrices ne doivent jamais reproduire ou imiter des gestes agres-
sifs (on ne tape pas sur un sac de frappe).
Prenons aussi l’exemple d’un sujet dont le handicap mental est léger :
les comportements qu’il est capable de reproduire dépassent largement
les simples comportements moteurs : Léa, 18 ans, vit chez ses parents
Faire des hypothèses sur les contingences 133
biologiquement déterminée. Par exemple, un patient qui crie tous les jours
NO
Les équipes et les parents sont encouragés, chaque fois qu’ils mettent
en place un nouvel apprentissage chez une personne autiste, à répéter le
T
Louise est une jeune femme qui a un TSA avec retard mental léger. Elle vit
chez ses parents dans une grande ville et travaille dans un ESAT. Elle sait parler ;
son langage est moyennement fonctionnel. Malgré son autisme, Louise aime
le contact social, parler avec les gens. Son passe-temps favori depuis qu’elle est
arrivée à l’âge adulte est d’aller au centre-ville pour se promener.
Les commerçants la connaissent et bavardent volontiers avec elle quand
elle entre dans leurs boutiques. Cependant, il lui est arrivé de subir des
moqueries, des harcèlements, des gestes incorrects de la part de jeunes qui
traînaient en ville, abusant de sa fragilité.
Les parents étaient de plus en plus inquiets de ces petites mésaventures,
mais il leur tenait à cœur que leur fille vive une vie proche de la norme,
qu’elle se promène seule comme elle aimait et qu’elle parle avec les gens.
Les thérapeutes ont finalement trouvé un compromis avec les parents :
Louise éviterait d’aller seule en ville pendant quelques mois ; ce temps
sera mis à profit pour bien évaluer les capacités cognitives de la patiente
et pour lui proposer un atelier d’entraînement aux habiletés sociales.
Cette démarche a permis à Louise d’être mieux outillée pour faire face aux
quelques désagréments qui entachaient ses promenades.
Agir sur les stimuli 139
Les sujets autistes comprennent souvent mieux les supports visuels que les
T
les comorbidités de chacun doivent nous inciter à nuancer cette règle. Pour
chaque individu, nous adapterons les supports thérapeutiques, notamment
en fonction du degré de compréhension (voir plus haut le sous-chapitre
DO
(au lycée dans leur classe spécialisée ou dans le centre d’activité ou après
NO
une journée de travail à l’ESAT). Pour les autres, c’est aux aidants de prévoir
des moments dans la journée prévus pour la détente et le repos sensoriel.
DO
pas réussi à rendre le lieu de travail plus calme : les locaux ne permettaient
pas une séparation efficace entre les travailleurs.
Tania a pris l’habitude, en rentrant chez elle le soir, de s’isoler dans sa
chambre pendant une demi-heure, chuchotant des mots à voix basse, tour-
nant sans cesse et agitant les bras. Ses parents se rendaient compte que ce
moment passé seule aidait leur fille à être calme le reste de la soirée, mais
ils s’inquiétaient parce que ce temps de sas devenait de plus en plus long.
Les thérapeutes sollicités ont posé l’hypothèse que ce temps de solitude
servait de diète sensorielle pour Tania et qu’il fallait le préserver. Ils ont
proposé aux parents, et surtout aux moniteurs du lieu de travail, d’assurer à
la patiente de petites pauses tout au long de la journée, de façon décalée par
rapport aux autres travailleurs, pour qu’elle puisse rester seule dans la salle
de repos, sans bruit ambiant et en ayant la liberté de bouger ses bras et de
tourner dans la pièce pour atténuer son stress. Cet aménagement a permis
de réduire le niveau de stress à la fin de la journée.
vent poser des soucis de sécurité pour la personne. Elles sont cependant
aussi une mine d’idées pour travailler sur les forces de l’individu et pour
T
lui apporter du plaisir dans sa vie quotidienne. Elles peuvent ainsi nous
NO
inspirer des jeux sensoriels : donner accès à ce que la personne aime faire,
par exemple le toucher ou la vue de l’eau, mais dans un cadre adapté sans
inonder la salle de bain. Ainsi, il nous est arrivé, chez des patients qui
DO
T
IN
PR
T
NO
DO
16 Forger des comportements :
réguler les comportements
sexuels
La sexualité dans le domaine du handicap est un sujet riche, qui n’est
pas encore suffisamment traité. Les aidants sont souvent mal à l’aise,
manquant de connaissances et de ressources pour aider les personnes
handicapées dans ce domaine. Souvent, en voulant parler de sexualité,
les professionnels se contentent de parler du corps, de son fonctionne-
ment, de l’hygiène, alors que la personne cherche à assouvir ses envies
sexuelles, voudrait savoir ce qu’elle a le droit de faire et de ne pas faire,
comment se masturber sans danger, comment aborder une personne de
l’autre sexe, etc. T
Parfois, c’est l’inverse qui se produit : partant de la supposition que tout
IN
être humain a le besoin et le droit de pratiquer une sexualité normale,
les aidants parlent à la personne d’envies et de rapports sexuels alors
PR
de la personne.
Charles, 25 ans, a un TSA avec un niveau intellectuel limite. Il vit chez
ses parents et est suivi depuis plusieurs années en psychiatrie. Il reçoit un
DO
reprises dans les toilettes des filles. Jean était étonné par les réactions scan-
dalisées des filles et des enseignants. Il trouvait simplement ses camarades
filles jolies et intéressantes et ne cherchait qu’à discuter avec elles. Ayant
engagé la conversation avec une fille et, pris dans l’excitation de la conver-
sation, il n’arrivait pas à gérer la distance avec sa camarade et finissait par
lui coller à la poitrine ; et comme il tenait à capter l’attention de la fille, il ne
voulait pas interrompre un entretien qui lui apportait tant de satisfaction.
Il ne remarquait pas les fréquents signes d’impatience et d’agacement de
ses camarades, et ne se rendait pas compte que pousser « l’amitié » jusqu’à
suivre son interlocutrice dans les toilettes pouvait donner l’effet contraire
au but recherché.
Dans ces deux exemples, comme dans celui de Laëtitia, cité précédem-
ment (section « Donner une place privilégiée au corps » dans l’analyse
fonctionnelle), les personnes ayant un TSA sentent une excitation et réagis-
sent d’une manière inadaptée parce qu’elles n’arrivent pas à choisir le bon
comportement au bon moment. Prendre une fille dans ses bras peut être un
comportement adapté ou inadapté en fonction du contexte (un père qui
T
prend sa fille dans ses bras, un homme qui prend une femme dans ses bras
IN
quand il sait qu’elle est consentante et que cela lui fait plaisir, etc.).
Dans tous les cas, les interventions en TCC ne sont pas incompatibles
PR
explication, s’est mordillé les seins. Les observations n’ont pas permis de
comprendre pourquoi elle a commis ce geste étonnant, mais en combinant
T
M. Haegelé, A. Murad
Nous donnons ici les clés pour que le thérapeute se sente capable d’organi-
ser un atelier d’entraînement aux habiletés sociales. Nous partons de l’idée
d’une thérapie de groupe, mais il est évident que, si la situation ne le permet
pas, le travail sur ces habiletés peut commencer en individuel.
tions sociales. Le sujet se trouve ainsi démuni, son cerveau n’arrive pas à
s’adapter à ce type de situations. Il n’apprend pas ; et quand on n’apprend
DO
pas (ou pas correctement, pas comme la société s’y attend), le comporte-
ment attendu n’a pas l’occasion d’être renforcé positivement. Pire encore,
la réaction maladroite qui se produit à la place peut être « punie » par la
désapprobation et la moquerie des autres. Il suffit, pour illustrer ce propos,
de penser aux sourires et pitreries d’un enfant au développement normal,
à toutes les réactions de joie que cela entraîne chez les parents. L’enfant
autiste, produisant plus rarement ce type de comportements, a moins de
récompenses apportées par la vie.
Cet enfant, en grandissant, verra ses compétences en communication et
en interactions sociales de plus en plus sollicitées. Chez les personnes au
profil déficitaire, les compétences sociales sont affectées à la fois par l’altéra-
tion de la cognition sociale et par les difficultés intellectuelles qui les empê-
chent de comprendre les situations sociales.
Ces personnes sont souvent dans des rapports de proximité (elles tou-
chent, tapent, manipulent) et très spontanés (elles s’expriment sans tenir
compte du contexte et des aspects complexes du lien à l’autre, comme la
Axes d’intervention
Pour que ces interventions donnent leur plein effet, il faudrait intervenir
à la fois :
• auprès du patient lui-même : cela peut se faire en individuel ou en
groupe. Selon le degré de déficience intellectuelle, le contenu de ce qui est
proposé s’oriente plutôt vers des aptitudes très concrètes (regarder, rester
calme, écouter, formuler une demande, etc.) ou vers des compétences plus
T
complexes (adapter l’intonation de la voix, saluer de manière adaptée une
IN
personne proche ou inconnue et faire la différence entre ces deux manières
de saluer, exprimer et reconnaître les états émotionnels, etc.) ;
PR
• ils remplissent des questionnaires avec les aidants pour évaluer les diffi-
cultés et repérer les domaines à travailler, par exemple :
– la grille d’évaluation du profil de compétences sociales [Baker, 2003] ;
– le quotient du spectre autistique [Baron-Cohen et al., 2001] ;
– l’échelle de réciprocité sociale (social responsiveness scale) [Constantino
et al., 2007].
Le thérapeute ne trouvera pas toujours des échelles et questionnaires
validés pour la population qui l’intéresse, ni dans la langue de celle-ci. Il
faudra alors adapter les outils disponibles et surtout les considérer comme
« outils », à utiliser dans une approche clinique globale, associés à d’autres
outils et surtout au jugement clinique et à la conceptualisation individuelle
de chaque patient.
Une liste d’objectifs est fixée (avec la personne autiste et/ou avec ses
aidants) pour déterminer ce qui sera directement travaillé durant les
séances. Même s’il s’agit d’un « atelier » collectif, les objectifs en ont un
caractère hautement individualisé. Ainsi, dans chacun des thèmes et sous-
thèmes mentionnés ci-après, les thérapeutes évaluent les besoins de chaque
T
patient. Pendant chaque séance, et à partir de la même situation (vidéo, jeu
IN
de rôle, discussion, etc.), ils encouragent chaque patient à s’entraîner plus
particulièrement à une difficulté propre à lui : par exemple, un jeune adulte
PR
qui arrive dans un centre d’activité ou dans son lycée et qui souhaite abor-
der un groupe. Pour certains, l’exercice sera de s’approcher physiquement
T
nombre de séances. Plus le niveau cognitif des participants est bas, plus les
thèmes seront fractionnés, en prenant un type de situation par séance et
en multipliant les exercices sur chaque situation et sur les préalables et les
sous-tâches.
Les ateliers d’entraînement aux habiletés sociales sont proposés aux per-
sonnes porteuses d’un TSA, bien sûr à celles qui n’ont pas de handicap intel-
lectuel associé, mais aussi en présence d’un retard mental léger ou moyen. Les
thèmes généraux sont les mêmes, mais les tâches à apprendre sont différentes.
Prenons l’exemple de la communication non verbale :
• chez un sujet autiste n’ayant pas de retard mental, la thérapie visera des
apprentissages fins : regarder son interlocuteur dans les yeux de façon modu-
lée (ne pas le fixer du regard tout le temps ni éviter le contact visuel) ; faire des
hypothèses sur les intentions et les souhaits de son interlocuteur en se basant
sur les indices non verbaux ; engager la conversation de façon adaptée, etc. ;
• chez un sujet ayant un autisme avec retard mental léger, les apprentis-
sages viseront des compétences sociales plus simples : que dire ou faire en
cas de difficulté ; comment savoir si l’autre est disponible pour nous écou-
T
ter ; moduler de façon approximative sa voix, etc. ;
IN
• chez un sujet ayant un autisme avec retard mental moyen, les apprentis-
sages viseront des compétences plus concrètes : respecter la distance inter-
PR
Programme
Voici les principaux thèmes abordés dans ces ateliers.
ture, etc.).
• Savoir quelle émotion exprime mon interlocuteur.
DO
Une séance type comporte les éléments suivants : accueil des participants,
émotion du moment, humeur de la journée, fait marquant de la semaine
T
Les ateliers d’entraînement aux habiletés sociales sont tout à fait faisables
avec des personnes ayant un TSA avec handicap mental léger. Les thérapeutes
abordent chaque thème en offrant des explications théoriques, des discussions ;
ils reprennent les événements et expériences rapportés par les participants ; les
comportements adaptés sont présentés et exercés de manière ludique, avec
souvent des supports visuels ; des exercices sont à faire entre les séances. Les
thérapeutes proposent des sorties en villes pour que les participants puissent
mettre en application les compétences apprises pendant l’atelier.
personne
Le niveau intellectuel n’est pas suffisant. Proposer des apprentissages plus concrets,
T
etc.), ces activités n’étant plus source de plaisir. La vie tourne ainsi autour
de renforcements négatifs (éviter pour se sentir mieux) et perd sa part de
T
gramme peut être mis en route par une équipe éducative ou soignante,
après une formation adéquate.
Lucas est un jeune homme ayant un TSA avec DI légère. Il travaille dans
un ESAT et s’y plaît. Il a commencé à montrer des signes de dépression : ten-
dance à s’isoler, quelques crises de larmes devant des frustrations minimes,
refus de sortir jardiner avec son père (alors que c’était son activité favorite
par beau temps), et, finalement, refus d’aller au travail. Lucas avait perdu,
quelques mois auparavant, un oncle auquel il était attaché. Le médecin
de la famille a prescrit un antidépresseur, dont l’effet n’était pas probant.
Une équipe thérapeutique a tenté de venir en aide à Lucas. Elle a mis en
route un programme d’activités : se lever tous les jours à la même heure
qu’avant, sortir pour se promener avec ses parents ou pour aider son père
à jardiner, ne serait-ce que pendant quelques minutes tous les jours. Après
chaque activité, il devait noter à l’aide d’une « émoticône » ou smiley « pas
plaisir du tout », « un peu plaisir », « grand plaisir ». L’humeur de Lucas s’est
améliorée au bout de deux semaines de thérapie.
T
IN
les forces de Lucas. La qualité « être serviable » a été utilisée pour enrichir la
thérapie. Alors que le patient se méprisait et se reprochait les innombrables
échecs de sa vie, les thérapeutes se sont rendu compte que Lucas était perçu
DO
du type « il faut respecter la personne âgée », « il faut bien faire son travail » ;
elle émettait un jugement moral très sévère à l’égard de ses collègues, sans
DO
T
Proposer des « règles cognitives »
IN
sauf quand le niveau intellectuel est trop faible. Cette technique majeure de la
TCC doit généralement être plus directive : à la place du dialogue socratique,
méthode habituelle de la thérapie cognitive de Beck, on proposera des règles
T
cognitives (on pourrait inviter notre patient à appeler ces règles des formules
NO
magiques, des règles de pensée, des règles de conduite, etc.). Toutefois, être
directif ne signifie pas imposer au patient une façon de penser ; il s’agit de
DO
le schéma cognitif « je ne dois pas accepter des services sans donner une
contrepartie » est activé dans des situations où il ne devrait pas l’être. Ici,
le thérapeute a aidé le patient à réfléchir sur l’utilité de ce schéma ; il lui
en a proposé des variantes à expérimenter : « il est important de se faire
soigner », « j’ai le devoir de me faire soigner car mes proches tiennent à
moi », « les médecins sont là pour m’aider », « la Sécurité sociale appartient
à tout le monde, c’est un système de solidarité, etc. ». Le patient avait pour
tâche d’écrire ces formules, de noter à côté de chacune son utilité puis de les
appliquer pour faire face à ce mal de ventre.
T
IN
PR
T
NO
DO
20 Réguler et enrichir
les émotions : la thérapie
en individuel
L’émotion ressentie par un sujet peut être conceptualisée comme un compor-
tement. En effet, la TCC ne considère pas les émotions comme des entités
autonomes qui nous habitent, mais comme des phénomènes complexes
faisant partie de nos réactions comportementales et en interaction avec les
autres phénomènes de la séquence comportementale. Cependant, dans la
population qui nous intéresse ici, il n’est pas possible de commencer une
psychothérapie en parlant de ces liens : on ne peut pas dire à un patient que
sa colère ou sa tristesse font partie de sa séquence comportementale. La TCC,
en traitant des émotions, doit commencer par les définir, comme si en effet
T
c’étaient des objets indépendants de nous, puis les relier progressivement
IN
aux stimuli qui les déclenchent, aux manifestations corporelles et motrices,
aux cognitions et aux conséquences. Ainsi, le sujet prend conscience, impli-
PR
Mickaël est un homme de 40 ans, porteur d’un TSA, avec un retard men-
tal moyen et un langage moyennement fonctionnel. Il vit dans un établis-
T
sement spécialisé. Le syndrome autistique chez lui est intense, sa vie de tous
NO
les jours tourne autour de rituels. Son intérêt restreint est la météo ; Mickaël
aime bien qu’il neige, et comme la météo ne lui apporte que rarement cette
DO
des grains, et qui fait ainsi du bruit quand on l’agite : quand il se sentait mal,
ne comprenait pas une situation sociale complexe ou se sentait débordé par
T
une émotion, le patient agitait son œuf, et le personnel lui venait en aide ;
NO
pour un être humain d’être à la fois dans une colère explosive et de respirer
calmement.
Le personnel a également agi sur les contingences : quand Mickaël se
mettait à débiter des injures, on l’invitait fermement à rester seul dans une
pièce jusqu’à ce qu’il se calme. Dans ces cas-là, le personnel restait bien sûr
attentif à la sécurité du patient, des autres patients et à sa propre sécurité.
Comme cela se passe dans la majorité des cas, notre patient acceptait facile-
ment de rester seul et se calmait vite.
Quand Mickaël restait calme pendant un certain temps, participant à des
activités paisibles, et entrant dans des interactions sociales d’une manière
correcte, le personnel le félicitait et lui accordait du temps pour discuter.
comment savoir qu’on est en colère et, d’autre part, quelles actions on peut
faire pour calmer notre colère. Une carte destinée à faire face aux idées sui-
T
cidaires doit nous dire à quels moments l’utiliser (quand je pense à la mort,
NO
quand j’ai envie de me faire du mal, etc.) puis les actions que nous pourrions
mettre en œuvre pour ne pas y céder (penser à quelqu’un que nous aimons, se
dire une phrase qui nous rattache à la vie, sortir pour marcher, etc.).
DO
A. Fritsch, A. Murad
riences de vie qui lui auraient été profitables. En plus, les comportements
NO
à cette question.
Techniques et supports
PR
des mots que les thérapeutes. Pendant les séances, un souci constant des
animateurs sera d’enrichir le vocabulaire émotionnel des participants : par
DO
cipants se sentent mal à l’aise ou jugés, ni par les autres patients ni par les
thérapeutes ;
• les jeux de rôle : là encore, ce sont des exercices à faire uniquement
avec le consentement de chaque participant et quand une ambiance de
confiance s’est installée dans le groupe, donc jamais pendant les premières
séances. Les deux animateurs commencent par jouer eux-mêmes une situa
tion mettant en lumière la colère ou une autre émotion forte ; le jeu de
rôle ne doit pas durer longtemps, une ou deux minutes au plus, puis ils
rejouent la même histoire en proposant diverses variations ; ils demandent
l’avis du groupe sur les manières les plus adaptées et utiles d’exprimer la
colère en fonction des conséquences constatées. Ils proposent ensuite aux
patients qui le souhaitent de jouer une autre histoire, rapportée par un des
participants ou imaginée par les thérapeutes ;
• la relaxation (voir encadré ci-après) : les techniques de relaxation seront
adaptées aux difficultés de chaque patient et répétées à chaque séance. Les
thérapeutes présentent la relaxation par l’apprentissage de la respiration
lente et régulière. Là aussi, les supports visuels sont très utiles (comme
nous l’avons expliqué à propos des cartes-action) même chez les patients
170 Interventions
qui savent lire et écrire. Deux éléments aident nos patients à apprendre la
relaxation-respiration :
– imaginer et visualiser une forme qui évoque le va-et-vient de la res
piration, ce peut être une courbe sinusoïdale pour les patients qui le
comprennent, ou le fait de sentir sa main, posée sur le ventre, monter et
descendre avec la respiration ;
– choisir un paysage ou une activité paisible et appréciée par le patient,
et qui, par apprentissage répondant, servira à lui rappeler (en fait,
rappeler à son organisme) qu’il faut respirer lentement et détendre ses
muscles.
• le thérapeute peut aussi guider le patient pour que celui-ci se pose les deux
mains sur ses propres épaules, tout en l’invitant doucement à relâcher, pendant
la phase d’expiration, les muscles qui se trouvent sous les mains ;
• les exercices ne doivent pas durer plus de quelques minutes ; la répétition
plusieurs fois par semaine est nécessaire ;
• la relaxation se fera en présence d’un stimulus qui, par répétition et appren-
tissage répondant, deviendra un stimulus conditionnel qui favorise la détente ;
• ce stimulus peut être un mot (détente, cool, relax, etc.) chez les sujets qui
comprennent les mots ; il peut aussi être un dessin ou un objet.
N’oublions pas que la détente ne s’obtient pas seulement par la relaxation :
certains patients ont besoin de bouger pour se détendre et il faut alors les aider
à utiliser de façon fonctionnelle la marche, les stéréotypies, etc., pour faire face
au stress (voir plus haut l’encadré « Bouger pour réguler ses émotions » dans le
chapitre « Faire des hypothèses sur les contingences »).
• les dés des émotions : il s’agit d’un gros cube en carton portant une émo
tion sur chacun de ses six côtés. Pour les patients maîtrisant l’écrit, on peut
simplement écrire le mot qui désigne chaque émotion, alors que chez les
Réguler et enrichir les émotions 171
patients ayant des capacités verbales réduites il est préférable que chaque
émotion soit représentée par un dessin. Le dé apporte un élément ludique
très motivant : les patients le lancent à tour de rôle puis font quelque chose
en rapport avec l’émotion qui apparaît (imiter l’émotion, raconter un sou
venir en lien avec elle, etc.) ;
• l’échelle des émotions en photographie : les thérapeutes présentent aux
patients les photographies de la même personne, qui mime la même émo
tion, mais à des degrés divers (par exemple, cinq photos prises d’un des
animateurs qui est légèrement préoccupé, puis un peu triste, puis profondé
ment triste, etc.) ;
• les cartes de la colère : ce sont des variantes de cartes-action que les théra
peutes construisent avec chaque participant au cours des dernières séances
de l’atelier. Dans nos ateliers, nous les avons nommées « Ma recherche de
solutions » ou « Ma carte pour faire face » et les avons construites chaque
fois sur une feuille A4. La figure 21.1 en montre un exemple ;
T
IN
PR
T
NO
DO
• les scénarios sociaux : il s’agit d’un concept, et d’un outil, développé par
Carol Gray [Gray, 1997]. Destinés à l’origine aux enfants ayant un autisme,
ces scénarios peuvent être adaptés par les thérapeutes pour représenter la vie
d’adulte. Nous les utilisons aussi bien dans les ateliers de la colère que dans les
ateliers d’entraînement aux habiletés sociales. Les scénarios sociaux sont de
courtes histoires qui décrivent de manière précise des situations de la vie en
société ; ils commencent généralement par la description de la situation (je suis
à la maison ; un ami arrive), puis le thérapeute demande au patient de décrire
ses propres sensations et comportements dans cette situation (je me sens mal à
l’aise, je regarde mes parents, je repars dans ma chambre), ensuite le thérapeute
encourage le patient à trouver des comportements plus adaptés, qui se rappro
chent de celui attendu par la société tout en étant dans la capacité du patient
(je regarde la personne dans les yeux, je souris légèrement, je dis bonjour).
Il est alors primordial, d’une part, que les thérapeutes envisagent des outils
très concrets, qui rendent la pensée plus palpable, et, d’autre part, qu’ils
T
Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser
Évaluation 1à2 Faire connaissance avec le patient et Rencontrer le patient et ses aidants
individuelle évaluer ses problèmes liés à la colère Instaurer une alliance thérapeutique
Évaluer le problème de la colère
Introduction à 1à2 Faire connaissance Se présenter
l’atelier Créer une bonne ambiance Écouter les attentes et appréhensions des uns et des autres
Comprendre pourquoi on est ici Qu’est-ce que la colère ? Pourquoi on se retrouve ici ? Qu’est-ce
T
qu’on peut faire ensemble
IN
Repérer et 3 séances Reconnaître et discriminer les Comment savoir que quelqu’un est content, en colère, anxieux ;
comprendre nos + 2 à 3 séances principales émotions de façon quelles sont les différentes choses que l’on peut ressentir (la peur,
PR
émotions et celles individuelles approximative la tristesse, la honte, la joie) ?
des autres Les thérapeutes utilisent des dessins et photos de personnes
exprimant les différentes émotions et tentent de les mettre en lien
NO
Créer et augmenter 3 séances Comprendre que la colère est une Il est normal de se sentir en colère ; on a le droit de se fâcher ; on a le
la motivation émotion normale droit de ne pas aimer quelque chose, une situation, quelqu’un, etc.
DO
Comprendre que le problème est l’excès Qu’est-ce qu’on n’a pas le droit de faire (frapper des personnes,
de colère et la façon dont on agit sous casser ou jeter des objets, etc.) ?
le coup de cette émotion Que pensez-vous de ces rencontres ? Qu’est-ce qu’on a dit
Sentir l’envie de travailler sur sa colère d’intéressant ? Avez-vous envie de continuer ?
Augmenter sa confiance en sa capacité Les thérapeutes encouragent les participants à raconter des
pour améliorer la situation expériences vécues au cours des dernières semaines et dans
lesquelles ils ont pensé à cet atelier.
Par exemple : « quand l’éducatrice m’a parlé sur ce ton méchant je
lui ai gueulé dessus, j’avais envie de la frapper, etc. » x
173
Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser
x
174
Créer et augmenter 2 séances Percevoir le bénéfice du changement Pourquoi changer ? Qu’est-ce qui s’est passé la dernière fois que je
la motivation me suis mis trop en colère (quelles sont les conséquences ?) Qu’est-ce
qui est arrivé de bien ? de mal ? Comment peut-on changer cela ?
Les thérapeutes utilisent des scénarios sociaux.
Interventions
Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser
Les stimuli 1 Repérer les situations dans lesquelles le Quelles sont les situations qui provoquent ma colère ? Qu’est-ce
provocateurs de la comportement coléreux apparaît qui peut m’aider dans ces situations ? Qu’est-ce qui a déjà marché ?
colère Les thérapeutes sollicitent des histoires ou en racontent
T
eux-mêmes. Ils peuvent proposer à chaque participant de dessiner
sur une feuille quelque chose qu’il aime et qui l’aide à se calmer.
IN
Mesurer les 1à2 Apprendre à hiérarchiser les situations Qu’est-ce qui me met plus ou moins en colère ? Comment mesurer
PR
émotions et les ma colère ? Qui peut raconter un truc qui l’a rendu furieux,
comportements qui l’a mis très en colère ? Qui peut nous raconter un truc qui
coléreux l’a contrarié, qui l’a mis un peu en colère, mais pas au point
T
d’exploser ?
NO
Les thérapeutes utilisent le thermomètre ou la réglette de la colère.
Les manifestations 2 Reconnaître l’activation physiologique Reconnaître et gérer les signes physiques de la colère
physiologiques de la DO
associée à la colère Revenons sur l’histoire de... (le thérapeute évoque une anecdote
colère Réduire l’activation physiologique racontée par un des participants) ; comment vous êtes-vous senti à
grâce à la respiration abdominale et à la ce moment-là ? Qu’est-ce qui s’est passé dans votre corps ?
relaxation Les thérapeutes utilisent le dessin du corps humain. Ils peuvent
aussi prévoir une feuille A4 représentant un corps humain et en
distribuer une à chaque participant. Les patients hachurent les
zones où ils sentent le « stress » et la colère. x
x Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser
Restructuration 2à3 Prendre conscience des cognitions Qu’est-ce qui se passe dans ma tête quand je ne me sens pas bien ?
cognitive associées à la colère C’est dans cette phase que les thérapeutes peuvent mettre au
Se rendre compte que les autres aussi jour les cognitions d’injustice subies, les biais cognitifs (attribuer
ont leurs propres cognitions systématiquement une intention malveillante à l’autre).
Les thérapeutes utilisent des scénarios sociaux et sollicitent des
situations vécues par les participants : comment s’est passée la
semaine ? Est-ce qu’il y a eu des histoires que vous souhaitez
raconter ? Qui peut nous raconter sa journée d’hier ? Pourquoi telle
personne vous a-t-elle parlé de cette façon ? À quoi pensait-elle ? À
T
quoi pensiez-vous ?
IN
Les thérapeutes discutent de façon très concrète des situations
apportées par les participants. Ils formulent leurs questions de
PR
manière à rendre les cognitions « palpables » : qu’est-ce que vous avez
pensé quand cela s’est produit ? Comment l’autre personne s’est-elle
T
sentie ? Pourquoi a-t-elle dit cela ? Est-ce qu’elle a un peu raison ?
175
comportements ? Se relaxer, demander de l’aide, demander des
explications, etc.
x
x
176
Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser
Faire face à l’escalade 1à2 Apprendre à gérer sa colère dans les Qu’est-ce que je peux faire quand la colère monte et que je n’arrive
situations de conflit plus à réfléchir ?
Interventions
Les thérapeutes proposent des jeux de rôle ou des séquences vidéo
mettant en scène des situations de tension. Ils proposent aux
patients de s’entraîner à se retirer calmement de la situation pour
s’accorder (et accorder à l’autre) un temps de réflexion et de calme.
Faire face à la 1à2 Apprendre à repérer les ruminations Le soir, quand je rentre chez moi, il peut m’arriver de penser
T
rumination Apprendre à focaliser son attention sur encore aux disputes et aux moments désagréables de la journée.
IN
d’autres phénomènes plutôt que de Ça continue de trotter dans ma tête… Que faire alors ?
lutter contre les ruminations Les thérapeutes entraînent les patients à focaliser leur attention sur
la respiration, les phénomènes sensoriels, l’activité physique, sans
PR
se laisser entraîner par les ruminations ni chercher à les oublier.
Révision et 3 Révision de toutes les tâches et Les thérapeutes encouragent les patients à utiliser les techniques
T
évaluation finale compétences apprises apprises, vérifient si les apprentissages ont été repris par les aidants.
NO
Construction d’une carte-colère Les thérapeutes aident chaque patient à finaliser sa carte-colère.
Évaluation finale en individuel avec les aidants de chaque patient.
DO
Réguler et enrichir les émotions 177
Évaluation de la thérapie
Nous présentons ici deux outils conçus et utilisés par notre équipe (Aurélie
Fritsch) : la fiche d’évaluation de la colère et un tableau qui aide à faire l’ana
lyse fonctionnelle des comportements coléreux. Il ne s’agit pas d’échelles
standardisées mais d’outils qui comportent des éléments quantitatifs et
qualitatifs, et qui permettent de comparer la situation avant et après l’ate
lier de la colère. T
IN
Fiche d’évaluation
PR
déré comme à l’origine d’un événement désagréable. Elle est déclenchée par
des événements qui induisent l’impression d’être heurté, humilié ou blessé de
DO
x
Intensité (la colère atteint des intensités sur le plan physiologique et comporte-
mental difficiles à gérer)
Régulation (la colère perdure au-delà de ce qui est attendu généralement)
C. Fréquence des troubles d’après l’entourage :
Plusieurs fois par jour
Plusieurs fois par semaine
Une fois par semaine
Plusieurs fois par mois
Plusieurs fois par an
D. Impact des troubles associés à la colère (Willaye, 2005 ; critère pour une
décision d’intervention) :
Danger pour soi
Danger pour autrui
Impact négatif sur l’intégration sociale
Interférence avec les apprentissages T
Commentaires :
IN
Niveau de colère Risque de passage à l’acte Commentaires
Nul Faible Moyen Élevé Nul Faible Moyen Élevé
Type : frustration/manque
Quelque chose ne fonctionne pas
Quelque chose ou quelqu’un manque
Une critique est émise
T
Besoin d’attention non satisfait
IN
Quelque chose de prévu n’a pas lieu
La personne n’arrive pas à faire quelque
PR
chose
La personne est obligée de différer ses
NO
La personne est empêchée de faire
quelque chose
Autres
DO
Type : agression
Environnement sensoriel aversif
Agressions verbales
Agressions physiques
Autres :
179
22 Motiver
« Donner envie d’avoir envie »
Notre schéma d’analyse fonctionnelle (voir figure 6.6) est une base très
pratique pour analyser les comportements de motivation ou d’amotiva-
tion. Il permet d’étudier le comportement lui-même, ses antécédents et ses
conséquences.
S’agissant du comportement lui-même, nous commençons par en faire
une description topographique : quel est ce manque de motivation ? Il est
très important de décrire précisément les phénomènes qui nous font dire
que le patient n’est pas motivé. Il peut s’agir par exemple de :
• refuser de participer à une sortie ou à une activité (proposée par les
parents ou par les éducateurs) ;
• refuser de se joindre à un groupe d’entraînement aux habiletés sociales
ou de gestion de la colère (refus verbalisé comme tel ou simplement ne pas
venir au rendez-vous) ;
• ne pas faire les tâches et exercices prescrits par le thérapeute.
Nous recherchons ensuite les composantes possibles de ce comporte-
ment : quelles émotions, cognitions et réactions corporelles constatons-
nous ? le patient qui refuse l’activité thérapeutique proposée est-il en
T
colère ? exprime-t-il de l’anxiété ? est-il au contraire effacé, replié sur lui-
IN
même ? quelles pensées lui traversent l’esprit dans ce moment (si son niveau
intellectuel lui permet de les identifier et de les confier au thérapeute), etc.
PR
si le patient a pensé à cette tâche et ne l’a pas faite ou s’il l’a complètement
NO
oubliée, le « remède » n’étant pas le même dans un cas ou dans l’autre. En cas
d’oubli, le thérapeute préconisera des indices sous forme de supports visuels
DO
(petit billet adhésif portant la tâche à faire, calendrier mural dans lequel on
aura inscrit les activités prévues, etc.) ou auditifs (une alarme, le smartphone
qui sonne pour signaler qu’il faut sortir marcher) ou social (un parent qui
accompagne, une infirmière qui téléphone pour rappeler la tâche, etc.).
Si le patient a pensé à la tâche mais ne l’a pas faite, le thérapeute s’intéres-
sera à ce qui s’est passé à ce moment-là, ce qui revient souvent à étudier
les composantes du comportement « ne pas faire » : quelles cognitions ont
empêché le patient d’exécuter la tâche :
• ce n’est pas juste, je n’ai pas envie de sortir cet après-midi ;
• ça ne sert à rien, ce groupe d’habiletés sociales ;
• de toute façon, je n’y arriverai pas, c’est trop dur ;
• je ne vois pas le rapport : moi, je viens le voir pour qu’il me dise comment
me faire des amis, et lui, il me demande de sortir tous les jours pour marcher.
Souvent, les patients n’adoptent pas le comportement souhaité parce que
celui-ci n’est pas suffisamment renforcé : pour faire la tâche demandée, il
faut que celle-ci procure du plaisir par elle-même (motivation intrinsèque)
ou que la personne trouve un intérêt à la faire (motivation extrinsèque)
[Deci et Ryan, 2008].
Motiver 183
discours du patient)
m. intrinsèque r. intrinsèque Comportement récompensé « J’ai plaisir à venir à ces
T
correspondant à la définition
de soi
r. identifiée Pour être en phase avec ses « Si je suis plus
idées et buts personnels (le autonome, je peux sortir
comportement est « identifié » plus souvent et avoir plus
à un objectif à long terme) d’amis »
r. introjectée Comportement renforcé « Si je participe à la
par des pressions internes thérapie, je serai fier de
(orgueil ou honte) moi ; cela montrera que je
suis quelqu’un de bien... »
r. externe Comportement renforcé par « Si je participe à cette
des pressions externes (désir séance, ma mère sera
de récompense ou peur de la contente »
punition) « Si je ne le fais pas ma
mère me grondera »
Amotivation Absence de Comportement aléatoire « Je ne vois pas pourquoi
régulation on me fait cette thérapie »
m = motivation ; r = régulation.
184 Interventions
Nous appelons ici « tâche thérapeutique » tout comportement qui contribue à faire réussir
une intervention thérapeutique ou éducative. Par exemple : venir à la séance de thérapie,
T
faire un exercice de relaxation qui avait été convenu et appris avec le thérapeute, regarder le
NO
thérapeute, écouter ce que le thérapeute dit, répondre aux questions du thérapeute, etc.
DO
23 Développer les forces
Dans ce chapitre, nous présentons les principaux éléments relevant de
notre « bougie des forces ».
Voir l’autisme et le handicap mental comme un ensemble d’anomalies
et de déficiences est une vision utile, qui permet aux patients, aux familles
et aux professionnels de repérer les difficultés, de mener des études pour
trouver des moyens efficaces d’aider la personne. Cependant, si les aidants
(et les individus handicapés) s’enferment dans cette vision des choses, ils
risquent de ne vivre le handicap que dans l’amertume et de passer à côté des
aspects positifs de la vie.
auxquelles le sujet peut s’accrocher. Nous proposons que ces formules res-
pectent l’esprit des TCC et de la psychologie positive :
DO
qui travaille ou par la photo du sujet lui-même en train de faire son tra-
vail et on la posera à un endroit précis ou on la collera sur sa carte-action.
Comme nous l’avons déjà suggéré, même chez les personnes qui savent lire
et écrire, il peut être intéressant de mettre une image à côté de la formule
« magique », la représentation visuelle aide à comprendre la formule et à y
penser même en cas de forte émotion ou dans des moments où le sujet n’a
pas envie de lire.
L’histoire de Lucas, présentée dans le chapitre « Retrouver maîtrise et
plaisir… », illustre aussi l’utilisation de la force « je suis serviable » chez un
patient dépressif.
Les comportements reflétant des forces ou correspondant à des activités
absorbantes sont des « pépites d’or » que les aidants doivent saisir et ren-
forcer dès leur apparition, faute de quoi ils s’éteignent. Un de nos patients,
porteur d’un TSA avec retard mental léger, ayant eu envie de se faire des
amis, s’inscrivit dans un centre qui proposait des activités collectives. Il se
retrouva cependant dans un groupe de jeunes adultes qui avaient des capa-
cités cognitives et verbales supérieures aux siennes et qui lui renvoyaient,
Développer les forces 189
Identifier ce qui va bien (les qualités, les forces, les moments de joie) est une
étape importante de la thérapie ; cela permet d’utiliser les forces pour compen-
ser les faiblesses et augmente la motivation du patient et sa confiance en soi.
T
NO
du désarroi par ses crises de colère explosive est peut-être capable de rester
longtemps seul à dessiner ou à écouter sa musique préférée ; telle femme
dont les faibles compétences sociales causent de l’embarras au quotidien
aime peut-être faire du crochet ou du bricolage. La conceptualisation doit
alors inclure une analyse fonctionnelle de ces comportements épanouis-
sants et la thérapie proposer des interventions pour les augmenter, ce qui
nourrira le bien-être général du patient et de son entourage.
Chez les personnes autistes, quand nous rencontrons ce type d’occupa-
tions « absorbantes », l’entourage se demande parfois s’il faut laisser la
personne pratiquer son activité favorite : s’agit-il d’un « intérêt restreint »
morbide ou d’une occupation saine à encourager ?
Quel que soit le terme par lequel nous désignons une activité, le plus
important est d’émettre des hypothèses sur la fonction qu’elle remplit dans
la vie du sujet. Ainsi une activité qui entraîne du plaisir doit être encouragée
sauf si elle perturbe l’entourage (par exemple, mettre fort la musique) ou si
elle est trop envahissante, c’est-à-dire que nous pensons qu’elle empêche le
patient de faire autre chose, notamment de s’engager dans des apprentis-
T
sages qui lui seraient utiles.
IN
Une activité absorbante, en plus de produire du plaisir, peut avoir une
grande utilité en thérapie : elle peut être utilisée comme renforçateur pour
PR
faire émerger d’autres activités utiles (par exemple, apprendre à être plus
autonome ou apprendre des compétences de communication).
T
Alain est un jeune adulte porteur d’un TSA avec retard mental léger, il vit
NO
chez ses parents avec son petit frère lycéen. Il a du mal à occuper ses jour-
nées, et ses parents ont été contents de voir qu’il peut passer des heures seul
DO
La notion de force est liée à celle de valeur parce que l’adhésion à une
valeur en fait une force de l’individu, à condition que celui-ci se sente
T
capable de faire quelque chose, une action aussi petite soit-elle, pour aller
NO
dans le sens de cette valeur. Par exemple, être gentil et serviable est une
valeur. Et si l’on pense que c’est bien de l’être et que l’on est capable de le
DO
faire, cela devient une force : l’individu effectue des actions au service du
« principe » auquel il croit. A contrario, si la personne n’arrive pas à faire
des actions de gentillesse ou à aider les autres, cette valeur à laquelle elle
adhère ne sera pas source de renforcement et de bien-être. Dans ce cas, le
thérapeute peut l’aider, d’une part, à trouver d’autres valeurs susceptibles
de lui offrir l’occasion de les traduire en actions concrètes et, d’autre part,
à réfléchir pour trouver des actions de gentillesse plus faciles à engager.
Les gens (patients comme aidants), en effet, pensent souvent aux valeurs
comme à un idéal extraordinaire et inaccessible : la barre est placée trop
haut et la personne n’arrive plus à exercer au quotidien des actions en lien
avec cette valeur. La valeur d’être courageux ne signifie pas forcément se
battre en s’exposant à un danger de mort ; elle peut s’exercer en étant prêt
à défendre un point de vue ou à exprimer sa désapprobation lorsqu’un col-
lègue subit des moqueries.
De nombreux courants de psychothérapie se sont intéressés aux valeurs.
Nous pouvons citer parmi les approches les plus connues et les plus pra-
tiques celle de la psychologie positive, de la thérapie d’acceptation et
d’engagement et de l’entretien motivationnel.
192 Interventions
ses aidants) aide le thérapeute à connaître le sens qu’ils donnent à leur vie,
quels objectifs thérapeutiques sont susceptibles de les motiver le mieux et
DO
duits toxiques ;
• le respect de l’environnement : respecter et protéger l’environnement
T
en triant les déchets (ou en aidant ses parents à le faire) et en évitant de jeter
NO
parce qu’il a agi en accord avec ses valeurs, et cela renforcera encore plus le
comportement « rester serein et gérer le conflit ».
T
Autre exemple : un patient ayant un TSA avec RM léger qui a crié violem-
NO
195
196
Interventions
T
IN
PR
T
NO
DO
Figure 23.1.
b. Séquence comportementale en tenant compte des valeurs.
Développer les forces 197
dans ce sens et à s’en féliciter, et, quand le sujet agit de façon contraire à ses
valeurs, il faut considérer cette situation comme une occasion pour apprendre,
et pour faciliter l’émergence d’autres comportements allant dans le sens des
T
valeurs.
NO
DO
Prendre soin de J’ai appris à me laver les mains. Je marcherai pendant 20 minutes
son corps chaque jour.
Apprendre J’ai participé à un atelier sur Demain, je prendrai le bus pour
DO
handicap mental cherchent est de bien connaître le trouble qui rend leur
enfant différent. Les sources d’information sont multiples : les livres, inter-
PR
Observer
Les proches de la personne handicapée peuvent être pris dans leurs émo-
tions ; aimer la personne (leur frère ou sœur, leur enfant, etc.), ressentir de
la peine pour elle, avoir peur pour son avenir, ressentir de l’agacement ou
de la honte devant certains de ses comportements, ressentir la déception
parce qu’il (ou elle) n’arrive pas à progresser…
Ils sont cependant, malgré une charge émotionnelle importante, de fins
observateurs de ce que la personne vit au quotidien ; leur discours est sou-
vent une mine d’informations pour le thérapeute et pour les autres profes-
sionnels. En cas de difficulté, le thérapeute pourra leur proposer des outils
d’observation structurée. Beaucoup de proches arrivent aussi, et acceptent
de bon cœur, d’observer leurs propres comportements envers la personne :
ce qui l’aide à progresser et ce qui, au contraire, engendre de la souffrance
ou provoque des troubles du comportement.
ment valable pour tous les autres cas de figure (parent seul, frère ou sœur
du sujet handicapé, etc.).
T
parents, peut être le résultat d’une réflexion sur le contexte (action sur
les stimuli de l’environnement), sur la pensée (assouplir le schéma « je
dois consacrer ma vie à mon enfant »), sur le comportement (les parents
n’ont peut-être tout simplement pas appris ni intégré dans leur répertoire
comportemental le comportement « prendre du temps pour soi »), etc.
Ce sont autant de chemins qui nous aident à mettre en place l’action
souhaitée.
202
Domaine Évaluer Exemples d’actions
Contexte Le contexte de vie est-il adapté ? Quel Aider la famille à aménager l’environnement pour concilier le bien-être du patient et
Interventions
retentissement sur la famille ? celui des proches (permettre aux parents d’avoir du temps libre, etc.)
La famille a beaucoup de questions sur le Proposer des actions de formation aux aidants
handicap Proposer des entretiens avec les proches
Le contexte de vie n’est pas adapté Encourager les parents du jeune adulte à rechercher un lieu de vie, un logement adapté
Situations Repérer les situations qui provoquent la Faire l’AF de ces situations
T
souffrance
IN
Situations Repérer les situations qui apportent la sérénité et Encourager le temps passé ensemble
différentielles un sentiment d’efficacité (par exemple, le temps
PR
passé ensemble, etc.)
Repérer les stratégies efficaces mises en place par Encourager ces stratégies (par exemple certains aménagements sensoriels)
T
la famille
NO
Pensées et Repérer les pensées et émotions pénibles, Encourager les proches à exprimer ce vécu
émotions notamment la peur, la tristesse, la culpabilité des Soutenir les proches pour avoir une vision plus souple de la réalité
parents
DO
Actions Repérer les problèmes qui nécessitent des actions Aider les parents à acquérir les savoir-faire (c’est-à-dire à apprendre les
spécifiques comportements) dont ils ont besoin pour vivre sereinement aux côtés de leur enfant
porteur de handicap ; par exemple, comment utiliser les supports visuels, comment
faire face à une crise de colère, comment gérer leur propre temps pour se préserver des
moments de repos, etc.
Démarche de résolution de problème
Encourager les proches à demander de l’aide financière, psychologique, etc., pour
eux-mêmes
Domaine Évaluer Exemples d’actions
Conséquences Analyser les conséquences des différentes actions Les proches ont-ils suffisamment de « renforcement » de leurs actions ?
menées par les parents Les encourager à « se récompenser » (se féliciter, prendre du temps pour soi, etc.)
chaque fois qu’ils font une action pour leur enfant, quel que soit le résultat de cette
action
Forces et Les parents ne sont pas assez conscients de leurs Aider les parents à repérer leurs propres forces et qualités
qualités qualités, de tout ce qu’ils ont réussi à mettre en Aider les parents à repérer et à créer des occasions permettant d’exercer leurs forces et
place, etc. qualités
T
IN
PR
T
NO
DO
Devant cette immixtion qui met en doute le diagnostic et les choix thé-
rapeutiques du patient et de ses parents, le thérapeute rassurera les parents
et les aidera à se protéger des sentiments de culpabilité ; il peut aussi, avec
DO
Garder le contact
Les besoins des proches évoluent et les parents ont généralement besoin de
garder le contact avec le thérapeute qui suit leur enfant, ou avec l’équipe de
professionnels. Ils expriment souvent le besoin d’obtenir des hypothèses de
travail, ou d’être rassurés sur leur façon d’aider leur enfant.
La nécessité d’aide s’exprime surtout dans les périodes de transition (pas-
sage du domicile parental vers un internat, ou d’un établissement à l’autre).
Les familles sont souvent démunies quand leur enfant entre dans l’âge
adulte. Les professionnels doivent donc être particulièrement disponibles
dans ces périodes-là.
Lâcher prise
Henri est un jeune homme porteur d’un autisme avec retard mental moyen
et un langage moyennement fonctionnel (il peut exprimer ses besoins,
Soutenir les familles 205
demander de l’aide, etc., mais sans faire de phrases correctes). Il vit chez sa
mère et fréquente un service d’accueil de jour. Tout se passait bien jusqu’au
jour où, en entendant son fils dire en nommant son éducateur référent
« Untel taper Henri », la mère a suspecté cet éducateur d’avoir frappé son
fils. Cette mère était dans une position délicate : elle craignait que son fils
ne soit maltraité par son éducateur et en même temps n’osait pas en parler,
de peur d’accuser injustement ce professionnel, d’autant plus que son fils
ne s’exprime pas toujours de façon fiable. Elle ressentait habituellement de
la gratitude envers cet éducateur qui s’était beaucoup occupé d’Henri, et elle
savait que son fils pouvait avoir des comportements agressifs qui mettent à
rude épreuve les plus bienveillants des professionnels.
Elle a finalement pu se renseigner sur ce qui s’était passé. Il semblait
qu’Henri avait agressé son éducateur, qui, fatigué et exaspéré, a répondu
par un coup. La mère et l’éducateur concerné n’ont pas pu discuter de cet
incident ; ils s’évitaient et étaient tous les deux mal à l’aise. Avec le temps,
et avec l’aide du thérapeute, la maman a focalisé son attention sur ce que
cet éducateur avait apporté à Henri, à tous les apprentissages et bons gestes
T
qu’il avait investis pour son fils. La maman a décidé de pardonner ; d’autant
IN
plus que cette agression de la part de l’éducateur était restée un incident
isolé. La maman a pu avoir une position d’empathie avec le professionnel.
PR
Ces discussions ne doivent surtout pas rester théoriques, la TCC est une
thérapie de l’action. Le thérapeute met par écrit, sous forme de tableau, le
nom ou la photo des personnes de l’entourage et les actes pour lesquels le
T
patient peut faire appel à elles, et dans quelles circonstances.
IN
Le tableau 24.4 donne l’exemple d’un tableau qui a été élaboré avec Dora,
une jeune femme dont nous avons parlé plus haut dans le chapitre « Assou-
PR
plir la pensée » sur les schémas cognitifs. Dora souhaitait prendre son indé-
pendance par rapport à ses parents et critiquait également les éducateurs du
T
Ce type de tableaux n’a pas besoin d’être exhaustif : l’idée est d’entraîner
le sujet à voir les qualités de son entourage de façon authentique, et cette
authenticité nécessite que des exemples concrets et précis soient évoqués
DO
Tableau 24.5. Exemple de tableau présentant les qualités d’un aidant (la
mère) (Damien).
Jour (matin, Événement (chose pour laquelle Quelle qualité de ma mère est
après-midi, soir) ma mère m’a aidé, bon moment liée à cet événement
passé ensemble)
Vendredi matin Pris le petit déjeuner ensemble, Ma mère est gentille.
c’était agréable.
Samedi soir Ma mère m’a aidé à télécharger Ma mère est débrouillarde et
une musique sur internet. organisée.
208 Interventions
Cas clinique
T
IN
M. et Mme V. sont désemparés. Leurs fils, Denis, âgé de 32 ans, vit depuis
plusieurs années dans un foyer et ils s’inquiètent pour lui. Ils le trouvent peu
épanoui, perclus de peurs et de rituels ; son quotidien est pauvre. Les parents
T
avaient fait appel à une équipe spécialisée pour faire un bilan diagnostique, qui
NO
de leurs fils et ont l’impression que l’établissement dans lequel il vit n’offre
pas un environnement de vie structuré, riche et compréhensible. Le personnel
n’aurait pas assez de temps ni de formation. Les parents se demandent même
si cette équipe a vraiment envie d’adopter les techniques recommandées pour
l’accompagnement des personnes autistes (les interventions comportemen-
tales, l’aménagement de l’environnement, l’utilisation de méthodes de commu-
nication, etc.). Les parents en sont arrivés à ressentir de la culpabilité de laisser
leur fils dans un établissement qui ne correspond pas à ses besoins. Ils allaient
souvent dans le lieu de vie, même à des heures non prévues pour les visites ; ils
faisaient des remarques sur la prise en charge et l’organisation du travail dans
cet établissement, ce qui a provoqué évidemment des tensions entre eux et le
personnel.
Le personnel, de son côté, se plaignait de l’intrusion des parents, et rapportait
aussi des troubles du comportement chez Denis : lors de la moindre frustration,
ce dernier crie et déchire ses vêtements et tout papier qui lui tombe sous la
main à ce moment-là.
Les thérapeutes ont proposé aux parents de faire l’analyse fonctionnelle de
cette situation, que montre la figure 24.1.
Soutenir les familles 209
pour discuter des craintes et sentiments pénibles provoqués par cette situation ;
– entrer en contact avec une association de familles pour avoir plus de sou-
T
Les professionnels et les parents font parfois des conclusions hâtives, dictées
par les sentiments et les émotions, alors que les observations structurées
T
des coups de poing, des coups de pied, lancer des objets à la figure des inter-
NO
venants, etc.
Très tôt, le personnel a mis en place une séparation stricte entre Valentin
DO
et les autres résidents pour protéger ces derniers. Sa chambre a été aménagée
de manière à assurer sa sécurité et à lui permettre de sortir pour aller dans
le jardin sans que son chemin croise celui des autres résidents. Le person-
nel, en revanche, était obligé de s’occuper de lui et continuait de recevoir
des coups. Plusieurs éducateurs se sont trouvés en arrêt de travail à la suite
de ces traumatismes physiques. Le psychiatre a mis en route, en concerta-
tion avec les parents, un traitement neuroleptique, qui n’a pas changé ces
troubles du comportement.
Tout le monde était manifestement en souffrance. Pourtant, le personnel
agissait selon une règle de conduite élevée au rang de valeur : « accepter
la personne handicapée quoi qu’elle fasse ». Un fait frappant était que le
personnel « acceptait » de recevoir des coups, c’est-à-dire qu’il confondait
l’acceptation de l’être humain et celle des comportements qu’il produit.
Dans ce type de situation, il est intéressant d’émettre l’hypothèse que la
règle est trop rigide et qu’elle est en contradiction avec une autre règle de
vie « préserver la sécurité et la santé du personnel » et surtout avec d’autres
solutions pratiques, telles que changer de lieu de vie, ou poser simplement
le principe qu’il est inacceptable de recevoir des coups.
214 Interventions
« Moi, il me comprend ! »
Traiter la question de la communication dépasse le propos de ce livre. Le
thérapeute comportementaliste a cependant toujours le souci que le patient
comprenne au mieux ce qui se passe autour de lui et qu’il puisse exprimer
ses principaux besoins.
Les parents et les professionnels peuvent avoir l’impression que la per-
sonne ayant un handicap mental comprend ce qu’on lui dit. Cette impres-
sion est souvent vraie, mais peut être trompeuse, surtout en cas de syndrome
autistique associé. Une personne autiste peut en effet comprendre ce que
ses parents expriment, mais n’arrive pas à généraliser cette compréhension
à d’autres personnes, et nous ne sommes donc pas devant des compétences
véritablement fonctionnelles. T
Là aussi, des observations structurées et une évaluation concrète des capa-
IN
cités de communication sont indispensables : qu’est-ce qui fait que notre
patient comprend, ou semble comprendre, certaines situations ? comprend-
PR
Le moment du repas était difficile pour Grégory, jeune homme porteur d’un
lourd handicap autistique et vivant dans une MAS. Dès qu’on lui servait son
DO
repas, il se mettait à hurler et jetait son plateau par terre. Les observations puis
l’analyse fonctionnelle faisaient privilégier l’hypothèse que les stimuli senso-
riels (voir les autres, entendre les bruits) provoquaient ces réactions de détresse.
Le personnel a alors tenté plusieurs solutions : faire manger leur résident
un peu à l’écart, manger face au mur ou dans sa chambre, c’était en vain, les
troubles du comportement persistaient. L’idée que l’on pouvait faire manger
ce résident après les autres avait été écartée dès le début parce que le fonc-
tionnement du service ne le permettait pas : il y avait deux services au repas,
ce qui nécessitait un temps prolongé de service puis de nettoyage. Il n’était
donc pas question d’y ajouter un troisième service pour Grégory. Finalement,
pour rendre possible cette piste de travail prometteuse, il a fallu réorganiser
le temps du repas en impliquant la direction de l’établissement, ce qui a
permis de respecter le temps de travail du personnel, le fonctionnement du
service et les besoins du résident. Les troubles du comportement ont disparu.
Louis est un homme âgé de 65 ans qui vient d’être admis en maison de
retraite. Il avait travaillé toute sa vie comme ouvrier dans une usine. Le per-
sonnel se plaignait que, lors du repas de midi, Louis se jetait sur le chariot
repas dès qu’il l’apercevait pour pouvoir le pousser jusqu’à la salle à manger et
Soutenir les professionnels 215
leur proche. Les professionnels, au contact de ces sujets qui ont tant de
difficulté à s’exprimer et qui présentent souvent des comportements décon-
certants, se demandent s’ils sont compétents pour aider la personne.
T
La TCC est une vision qui nous aide ici à faire face et à sortir des attitudes
NO
sionnel (ni de celle d’un parent), mais une caractéristique d’un comporte-
ment donné dans un contexte donné.
Il faudra alors faire l’analyse fonctionnelle de cette incompétence. La
démarche que nous suivons dans l’accompagnement proposé aux équipes
se fonde sur l’analyse fonctionnelle de cette « incompétence » :
• dans quel contexte se manifeste-t-elle ?
• quelles sont les cognitions et les émotions de l’équipe dans ce type de
situation ?
• quels sont les problèmes et comportements précis qui font dire, et surtout
penser ou sentir, que je suis (ou que quelqu’un d’autre est) « incompétent »
dans ce type de situations ?
• quelles sont les conséquences de ces comportements sur les profession-
nels, les patients ?
De cette analyse fonctionnelle découleront les différentes pistes très
concrètes menant à améliorer la situation. Nous présentons dans le
tableau 25.1, de façon non exhaustive, les domaines dans lesquels on peut
repérer l’origine du problème ainsi que des exemples de « thérapies » que
tout professionnel peut demander et s’approprier.
216 Interventions
Forces de l’équipe
T
Nous avons cependant une fâcheuse tendance, dans les services médicaux
et médicosociaux (de même d’ailleurs que dans les familles) à parler davan-
DO
uns d’acouphènes, les autres d’une perte auditive… sans parler du stress
généralisé.
Parmi les autres résidents, tous porteurs de handicap mental lourd, beau-
coup présentaient aussi des troubles du comportement.
Malgré cette situation très difficile, le personnel de la MAS est resté très
investi dans son travail ; ils étaient engagés dans ce qu’ils faisaient, parlaient
avec intérêt de leurs résidents, de ce que les professionnels avaient tenté
pour améliorer la situation des résidents et l’environnement de travail mal-
gré un manque de moyen. Ils avaient, par exemple, déplacé la chambre du
résident qui crie de façon qu’il dérange moins ses voisins ; ils faisaient appel
au médecin pour des examens et des soins somatiques fréquents chez les
résidents ; ils avaient obtenu la possibilité d’installer une isolation acous-
tique dans la chambre du résident qui crie ; certains d’entre eux portaient
des bouchons d’oreille.
Il régnait une bonne ambiance dans ce service.
Le personnel a bien relevé des observations structurées comme nous le
lui avons préconisé et a participé avec notre équipe pour faire l’analyse
T
fonctionnelle et produire des hypothèses de travail. Ils en savaient les bases
IN
et notre équipe les a simplement aidés à enrichir cette « culture de l’analyse
fonctionnelle ». Le directeur de l’établissement et le médecin ont participé
PR
MAS est surtout devenu conscient de ses forces, que notre équipe a aidé à
souligner :
DO
Un savoir partageable
Un des aspects réjouissants de la TCC est que ce modèle est partageable par
tous les acteurs d’une situation ; le thérapeute en TCC (intervenant extérieur
ou psychologue ou médecin faisant partie de l’équipe) a certes une posi-
tion d’« expert », mais son souci permanent est de mettre en commun ses
connaissances, d’expliquer les processus à l’œuvre, les thérapies proposées
Soutenir les professionnels 219
soins ou d’une équipe éducative doit être accordée à la formation aux obser-
NO
La résolution de problèmes
Ayant évoqué à plusieurs reprises dans cet ouvrage la démarche de « résolution
de problèmes », nous présentons ici de façon sommaire ce processus. Le lecteur
souhaitant en savoir plus peut se référer aux ouvrages généralistes de TCC (par
exemple Chapelle et al. 2011 ; Cottraux, 2011) ainsi qu’aux nombreux travaux
de D’Zurilla, Chang, Nezu, etc.).
La résolution de problème, procédé « adopté » par la TCC, comporte deux pro-
cessus :
• l’orientation au problème : c’est l’attitude du sujet face à une situation-
problème. Si la personne reconnaît le problème et ressent une certaine
confiance dans la possibilité de trouver une solution, cela facilite la résolution
220 Interventions
du problème. À l’inverse, si le sujet craint le problème et évite la situation, la
résolution de problèmes s’en trouve entravée ;
• la résolution de problème, au sens strict, est un processus de plusieurs étapes :
– définir le problème : rassembler un maximum d’informations, faire des
observations factuelles et pertinentes, fixer un objectif réaliste et concret
pour améliorer la situation ;
– rechercher toutes les solutions possibles : rendre disponible un maximum
de solutions, de manière à augmenter la probabilité que la meilleure solution
soit trouvée ;
– prendre une décision : évaluer les avantages et les inconvénients de chaque
solution disponible, à court et à long terme pour en choisir la meilleure.
Trouver la « meilleure » solution repose sur quatre critères : la probabilité
d’atteindre le but fixé, les conséquences sur le bien-être émotionnel, le temps
et les efforts requis, et l’impact sur le bien-être personnel et social global.
• mettre en œuvre la solution choisie et évaluer les résultats. Si les résultats
observés ne sont pas satisfaisants, il faudra déterminer à quel niveau se situe la
difficulté et reprendre le cycle à une étape antérieure pour trouver une solution
T
plus pertinente.
IN
La résolution de problème est un procédé simple, qui peut nous sembler sim-
pliste, mais auquel nous ne pensons même pas. En effet, face aux difficultés,
PR
nous sommes souvent en proie à des émotions négatives fortes, qui nous empê-
chent de raisonner et de considérer toutes les solutions possibles. Ce procédé,
T
Samuel est un homme de 35 ans. Ses parents avaient sollicité des services
spécialisés dès les premières années de vie de leur enfant. Des diagnostics tels
que dysharmonie évolutive et psychose infantile avaient été évoqués. Les
bilans neuropsychologiques concluaient aussi à un retard mental moyen.
Samuel a ensuite suivi un parcours difficile dans des établissements
spécialisés.
À l’âge de 18 ans, ses parents et le personnel de l’IMPRO qu’il fréquen-
tait furent effrayés par l’apparition d’idées délirantes et d’hallucinations.
Samuel parlait de voix et d’images qu’il entendait ; d’animaux effrayants
T
et maléfiques. Il était de plus en plus anxieux et agité ; il poursuivait ses
IN
camarades et leur faisait peur.
Ses parents étaient très inquiets et finirent par le conduire au service des
PR
urgences.
Il fut hospitalisé en psychiatrie ; les médecins ont diagnostiqué un épi-
T
• une peur de descendre les escaliers chez lui (Samuel affirmait que quand il
NO
approchait les escaliers, il se sentait aspiré par le sol et était sûr de tomber) ;
• une incompréhension des situations sociales ;
DO
Conceptualisation
Les thérapeutes ont construit avec les parents un schéma pour émettre des
hypothèses sur les rapports entre les différents comportements probléma-
tiques (figure 26.1).
Cette figure montre une ébauche de conceptualisation. Les principaux
comportements problématiques de Samuel sont « jetés » au hasard sur
une feuille de papier au fur et à mesure que nous les repérons ; ceux-ci
peuvent correspondre à des symptômes psychiatriques, à des catégories
Pour conclure : conceptualiser encore 223
T
Figure 26.1. Hypothèses sur les rapports entre les comportements problèmes.
IN
225
Figure 26.3. Analyse des conséquences chez Samuel.
226 Interventions
Pistes de thérapie
Des pistes ont pu être trouvées :
• réduire progressivement et lentement le traitement de Samuel : les parents
étaient réticents au début, mais les thérapeutes, grâce à l’entretien motiva-
tionnel (style d’entretien souvent utilisé en TCC et basé sur les questions
T
ouvertes, les reformulations et l’empathie), ont pu expliquer aux parents
IN
les bénéfices et les risques de cette diminution et comment faire face aux
risques ;
PR
sur les habiletés sociales. Ils reprenaient avec lui, calmement et dans un
esprit de curiosité et de résolution de problèmes, les différentes maladresses
qu’il présentait pendant les séances de thérapie (ne pas dire bonjour, assail-
lir les autres par ses questions même quand ils ne sont manifestement pas
disponibles). Une grande avancée a été que le patient est devenu curieux
(dans le bon sens du mot) de savoir comment fonctionnent les relations
sociales. Le climat de confiance qui s’était installé a permis ce travail sur les
« gaucheries » sans culpabilité.
La relaxation (basée sur la respiration abdominale) a été introduite dès
le début « à petites doses », selon la disponibilité de Samuel : dès qu’il se
montrait anxieux ou qu’il commençait à s’agiter, le thérapeute lui proposait
de sentir sa respiration, l’air qui entre et ressort de sa poitrine, le ventre
qui monte doucement puis redescend. Samuel a beaucoup apprécié cette
approche ; il apprenait à mettre la main sur le ventre pour sentir ses mouve-
ments, et la détente et le plaisir qui apparaissaient étaient des renforçateurs
puissants pour continuer à apprendre et à pratiquer la relaxation.
T
IN
Résultats
Samuel est toujours autiste et il a toujours un retard mental moyen ! Mais
PR
Caucal, D., & Brunod, R. (2010). Les aspects sensoriels et moteurs de l’autisme. AFD.
Chapelle, F., Monié, B., Poinsot, R., Rusinek, S., & Willard, M. (2011). L’aide-mémoire
T
Constantino, J. N., & Gruber, C. P. (2007). Social Responsiveness Scale (SRS). Los
Angeles, CA: Western Psychological Services.
Cottraux, J. (2007). La Force avec soi : pour une psychologie positive. Paris: Odile Jacob.
DO
Kan, C. C., Buitelaar, J. K., & van der Gaag, R. J. (2008). Autismespectrumstoornissen
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T
Kazdin, A. E. (1982). Single-case research designs: methods for clinical and applied settings.
New-York: Oxford University Press.
DO
Lainé, F., Tardif, C., Rauzy, S., & Gepner, B. (2008). Perception et imitation du mouve-
ment dans l’autisme : une question de temps. Enfance, 60, 140-157.
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lectual disability: an empirical study of symptom presentation. J Intellect Dev
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TCC dans l’autisme et le retard mental 231
2008: 15769.
Van Rillaer, J. (2012). La Nouvelle Gestion de soi. Bruxelles: Mardaga.
Verpoorten, R., Noens, I., & van Berckelaer-Onnes, I. (2012). Évaluer la communication
et intervenir, manuel d’utilisation pratique. Bruxelles: Éditions De Boeck.
Willaye, E., Deprez, M., Descamps, M., & Ninforge, C. (2005). Évaluation des compé-
tences fonctionnelles pour l’intervention. Mougins: SUSA, AFD.
Willaye, E., & Magerotte, G. (2008). Évaluation et intervention auprès des comporte-
ments-défi. Bruxelles: De Boeck.
Ylieff, M., & Fontaine, O. (2006). Démarche diagnostique et analyse fonctionnelle.
In O. Fontaine, & P. Fontaine (Eds.), Guide clinique de thérapie comportementale et
cognitive. Paris: Retz.
Index
B
NO
E
Bienveillance, 44, 218
Bipolarité, 114 Émotion, 38, 61, 89, 132, 161, 165
Entourage, 56
DO
I Renforcement, 87
Inhibition ––chimique, 165
––réciproque, 163 ––négatif, 49, 127, 128, 137
Irritabilité, 113 ––positif, 49, 127
––protocole de, 43
J Répertoire comportemental, 47, 132
Jeux de rôle, 169 Résolution de problème, 152, 219
Retard mental, 15, 19
L
Langage S
––fonctionnel, 4, 5, 50, 51 Scénario social, 172
––non verbal, 6 Schéma, 35
––pragmatique du, 5 ––cognitif, 35, 36
Logorrhée, 37 Sensation corporelle, 89
Sensoriel
M ––profil, 54, 61
Médicament, 115, 117 Séquence comportementale, 23, 79, 80
––interactions avec la TCC, 118 Sexuel , 62
Mésestime de soi, 61 ––comportement, 62, 143
Mesure, 33 ––excitation, 62
T
Motivation, 41, 44, 91, 181 Situation, 80
IN
––différentielle, 89
O Spécification, 4
PR
P ––antécédent, 56, 80
NO
Particularité ––conséquent, 83
––cognitive, 9 ––lointain, 81
––sensorielle, 10, 53, 139 ––principal, 81
DO
R V
Récompense, 43, 87, 131, 184 Vague
Réglette émotionnelle, 168 ––de la TCC, 24, 80
Relaxation, 169, 170 Valence, 85
Renforçateur, 42, 141, 190 Valeur, 41, 84, 191, 193, 197