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Dans la même collection :


Comprendre et traiter l’obésité, par J. Carraz, à paraître 2017.
Soigner par l’hypnose, par G. Salem, E. Bonvin, 6e édition, à paraître 2017, 416 pages.
Remédiation cognitive, par N. Franck, 2e édition, à paraître 2017, 328 pages.
Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes, par Y. Doutrelugne,
O. Cottencin, J. Betbèze, L. Isebaert, D. Meggle, 2e édition, 2016, 304 pages.
Psychothérapies des hallucinations, par R. Jardri, J. Favrod, F. Larøi, 2016,
352 pages.
Psychothérapies du sujet âgé, par J. Palazzolo, C. Baudu, A. Quaderi, 2016,
352 pages.
La psychothérapie centrée sur les émotions, par U. Kramer, E. Ragama, 2015,
240 pages.

N T
La thérapie des schémas. Principes et outils pratiques, par B. Pascal, 2015,

I
280 pages.

PR
La relaxation. Nouvelles approches, nouvelles pratiques, par D. Servant, 2e édition,
2015, 224 pages.

T
L’EMDR. Préserver la santé et prendre en charge la maladie, par C. Tarquinio,

NO
P. Tarquinio, 2015, 320 pages.
La psychothérapie : approches comparées par la pratique, par C.-E. Rengade,
M. Marie-Cardine, 2014, 248 pages.

DO
Applications en thérapie familiale systémique, par T. Albernhe, K. Albernhe,
2e édition, 2013, 248 pages.
Cas cliniques en thérapies comportementales et cognitives, par J. Palazzolo,
3e édition, 2012, 288 pages.
Gestion du stress et de l’anxiété, par D. Servant, 3e édition, 2012, 248 pages.
Pratiques en psychothérapie
Conseiller éditorial : Dominique Servant

TCC dans l’autisme


et le retard mental
Aider l’adulte à s’épanouir

Ayman MURAD
T
Avec la collaboration de
IN
Aurélie Fritsch
Marie Haegelé
PR
T
NO
DO
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pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine
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pratique qui s’est généralisée, notamment dans les établissements
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ISBN : 978-2-294-75375-6
e-book ISBN : 978-2-294-75499-9

Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex


www.elsevier-masson.fr
Les auteurs
Aurélie Fritsch, psychologue, Centre hospitalier de Rouffach ; professeur
associé, Faculté de psychologie de Strasbourg.
Marie Haegelé, psychologue, Centre hospitalier de Rouffach et Centre de
ressources autisme Alsace.
Ayman Murad, psychiatre, praticien hospitalier, Centre hospitalier de
Rouffach et Centre de ressources autisme Alsace.

T
IN
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Abréviations
ACT thérapie d’acceptation et d’engagement (acceptance and commitment
therapy)
AF analyse fonctionnelle
CIM-10 Classification internationale des maladies (10e édition)
CLIS classe pour l’inclusion scolaire
CRA centre de ressources autisme
DI déficience intellectuelle
DSM Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
ECG électrocardiogramme
EFI évaluation des compétences fonctionnelles pour l’intervention
ESAT établissement ou service d’aide par le travail
IMP institut médicopédagogique
IMPRO institut médicoprofessionnel
MAS maison d’accueil spécialisée T
MDPH maison départementale des personnes handicapées
IN
QI quotient intellectuel
RM retard mental
PR

TCC thérapie comportementale et cognitive


TEACCH 
treatment and education of autistic and related communication
handicapped children
T

TOC trouble obsessionnel compulsif


NO

TSA trouble du spectre autistique


ULIS unité localisée pour l’inclusion scolaire
DO
Avant-propos

Pourquoi cet ouvrage ?


Les ouvrages traitant de la psychothérapie dans l’autisme et le handicap
mental ne sont pas légion. Plus particulièrement, nos bibliothèques franco­
phones manquent de livres et de supports d’enseignement sur ce sujet.
Partant de ce constat, nous avons souhaité modestement combler une
partie du manque en partageant avec le lecteur notre expérience ; celle-ci
est le fruit d’un travail quotidien, fondé sur les TCC, auprès de personnes
ayant un trouble du spectre de l’autisme, un retard mental ou les deux à
la fois.
Les connaissances sur l’autisme chez l’enfant ne cessent d’évoluer et les
études scientifiques et méthodes de prise en charge progressent rapidement,
T
en France et au niveau international. Arrivé à l’âge adulte, l’enfant autiste
IN

reste autiste, et ses besoins évoluent. Les parents et les professionnels se


trouvent démunis pour proposer un accompagnement adapté, un environ­
PR

nement de vie, des activités qui aident à avancer et à s’autonomiser, voire


des formations et des activités professionnelles adaptées.
T

En même temps, il nous a semblé que la population ayant un retard men­


NO

tal sans autisme est devenue le « parent pauvre » des discours scientifiques
et médiatiques, alors que des aménagements et accompagnements proches
DO

de ce qui est préconisé dans l’autisme peuvent grandement améliorer la


qualité de vie de ces personnes.
Nous avons ainsi souhaité nous attaquer à ce sujet oublié et peu visible
(et pourtant si fondamental) de la psychothérapie chez les sujets ayant un
trouble autistique avec retard mental ou un retard mental simple (sans
autisme). Les personnes porteuses d’un TSA sans retard mental (syndrome
d’Asperger) ont des besoins différents ; nous avons donc pris le parti de
ne pas traiter de ce sujet dans le présent ouvrage, même si la plupart des
théories, thérapies et interventions décrites ici peuvent facilement être
transposées pour répondre aux besoins des patients autistes n’ayant pas de
retard mental.
Ce livre s’adresse à plusieurs types de lecteurs.

Aux professionnels formés à la TCC mais qui n’osent


pas pratiquer cette thérapie dans le handicap
Nous leur apportons des outils et connaissances techniques détaillés pour
qu’ils se sentent à l’aise dans l’application des TCC pour cette population.
XIV

Les personnes ayant une déficience intellectuelle, notamment lorsque, en


raison de la sévérité de la déficience ou d’un syndrome autistique associé,
elles ne disposent pas de langage fonctionnel, posent des problèmes parti­
culiers, qui mettent parfois à rude épreuve les thérapeutes formés à la TCC.
En effet, comment étudier les cognitions, les émotions et les sensations
physiques chez un être humain qui ne peut pas les exprimer ? Comment
établir une alliance thérapeutique, nourrir la motivation pour le change­
ment, encourager la collaboration du patient, toutes notions fondamen­
tales en TCC ? À travers cet ouvrage, nous illustrons le fait que, malgré
ces difficultés, l’utilisation des TCC est tout à fait possible et que cela peut
apporter un grand bénéfice aux patients et à leur entourage.

Aux professionnels qui ne connaissent


pas bien la TCC et qui sont démunis
devant le handicap
Ces professionnels souhaitent aider leurs patients et résidents, mais ne
T
savent pas comment : nous leur expliquons les bases des TCC, cette vision
IN
à la fois humaine et rigoureuse que le comportementalisme clinique nous
enseigne ; nous leur donnons les clés pour commencer à aider les sujets
PR

porteurs de handicap et nous leur donnons (du moins, c’est notre espoir !)
l’envie de se former aux TCC en général et aux particularités du handicap
T

autistique et mental.
NO

Nous sommes convaincus que la généralisation de la TCC (c’est-à-dire


du comportementalisme clinique) dans le domaine du handicap apportera
DO

beaucoup aux patients, à leur entourage familial et aux professionnels.


Confronté à un public adulte, ces professionnels, généralement pleins
de bonne volonté et ayant déjà une formation de base importante, sont
parfois en désarroi parce que le handicap mental et, encore plus, l’autisme
changent de visage, prennent le virage de l’adolescence puis se stabilisent
autour de présentations différentes de ce que professionnels et parents ont
connu dans l’enfance. Pour tous ces professionnels, nous commençons
notre ouvrage par des rappels cliniques sur la présentation de l’autisme et
du handicap mental à l’âge adulte.

À l’ensemble de la hiérarchie administrative


Les directeurs, chefs de service, administrateurs, décideurs, etc., sont sou­
vent très proches du terrain ; ils recherchent les moyens les plus efficaces
pour aider la population accueillie dans leurs établissements ; les nom­
breuses vignettes cliniques de cet ouvrage leur offrent un aperçu de ce que
les professionnels peuvent faire s’ils sont correctement formés et soutenus.
XV

Aux proches (notamment les parents)


des sujets handicapés
Les proches, toujours à la recherche du bien-être de leur enfant devenu
adulte, trouveront dans cet ouvrage notamment des vignettes cliniques
et des approches fondées sur les forces qui leur offriront, à eux aussi, une
vision optimiste (et très concrète) de ce que leur enfant peut acquérir grâce
aux TCC. Ils pourront ainsi, si cette présentation les en convainc, recher­
cher les thérapeutes formés, et inciter les établissements et les pouvoirs
publics à soutenir la formation des professionnels.

Intérêt des TCC dans le handicap


Les personnes ayant une déficience intellectuelle et/ou un TSA sont plus
exposées que la population générale au risque de développer des troubles
psychiques, tels que dépression, anxiété et colères explosives. L’Organisa­
T
tion mondiale de la santé [OMS, 2000] nous rappelle que les sujets qui ont
IN
un retard mental peuvent présenter n’importe quel autre trouble mental, et
que la prévalence des autres troubles mentaux est au moins trois à quatre
PR

fois plus élevée que dans la population générale. Il serait alors dommage de
les priver d’une psychothérapie qui a prouvé son efficacité dans la popula­
T

tion générale. Ainsi, utiliser les TCC pour aider ces personnes à surmonter
leur souffrance est un enjeu majeur de santé publique, mais c’est surtout
NO

une question d’éthique : en tant que thérapeutes, nous avons le souci de


soulager la souffrance des êtres humains, quelles que soient leurs capacités
DO

cognitives et leurs compétences sociales ; et pour cela nous cherchons à


utiliser les thérapies les plus efficaces possibles selon les données actuelles
de la science.
La thérapie comportementale et cognitive, loin d’être une boîte à outils,
est avant tout une manière particulière de voir le monde et de comprendre
le fonctionnement humain. Il s’agit d’observer les phénomènes psychiques
concrets pour émettre des hypothèses sur les mécanismes à l’œuvre dans la
souffrance de l’individu et de son entourage. À partir de ces hypothèses, des
thérapies structurées, facilement évaluables, sont mises en route en collabo­
ration avec le patient et son entourage.
C’est le procédé nommé « conceptualisation » ou « analyse fonction­
nelle » qui nous permet de comprendre, à la lumière de cette vision scien­
tifique, l’individu unique qui vient nous demander de l’aide. Bien sûr, les
techniques de la TCC, puissantes et étayées par la science, peuvent rendre
service quand on les utilise séparément, mais cette efficacité reste limitée,
surtout dans les cas complexes, et ne permet pas de profiter pleinement
XVI

de la TCC. De plus, un thérapeute qui ne maîtrise pas bien la conceptua­


lisation ou qui n’est pas formé à la TCC risque de se tromper de cible ou
de technique. C’est pourquoi nous avons construit cet ouvrage autour de
la conceptualisation et de l’analyse fonctionnelle. Nous y expliquons en
détail, et à l’aide de nombreux exemples cliniques, comment, à partir du
discours du patient et des données observées par le thérapeute ou confiées
par l’entourage, procéder à la conceptualisation du cas clinique pour abou­
tir à des hypothèses et à des pistes de thérapie.
Le comportementalisme s’est toujours intéressé au sens de ce qu’il fait,
les interventions cliniques auprès des patients sont faites avec respect et
empathie. L’arrivée de la « troisième vague » de TCC, avec une focalisation
accrue sur les émotions et les valeurs, a apporté encore plus de réflexion sur
ces aspects profondément humains. Le courant de la psychologie positive,
discipline scientifique très proche de la TCC, a apporté des outils et un
regard qui ont beaucoup enrichi notre pratique. Nous développons donc
aussi dans le présent ouvrage ces aspects de la psychothérapie « fondée sur
les forces ». T
IN
Que dit la recherche ?
PR

Les données scientifiques actuelles sur l’utilisation de la TCC dans le retard


mental sont maigres. Plusieurs recherches ont mis en évidence la capa­
T

cité des personnes porteuses de retard mental moyen d’établir des liens
NO

entre pensées et émotions [Haddock, 2006]. Cependant, il existe très peu


de données validées scientifiquement sur l’utilisation de la TCC dans le
retard mental. La TCC, par exemple, a prouvé son efficacité auprès de
DO

personnes ayant un retard mental moyen dans le domaine des troubles


du comportement, de l’anxiété ou de la gestion des symptômes psy­
chotiques présents de manière chronique [Posternak et Miller, 2001].
Un domaine important où la TCC s’est révélée utile est la gestion
de la colère. Deux études contrôlées et randomisées ont été publiées
jusqu’à présent dans le domaine de la TCC dans la déficience intel­
lectuelle ; elles portent sur la gestion de la colère dans des unités fer­
mées ou dans les lieux de vie, en utilisant des techniques cognitives et
de gestion de soi [Taylor et al., 2002]. On peut y ajouter les données
concernant les protocoles fondés sur l’analyse appliquée du comporte­
ment (applied behavior analysis) dans l’autisme (pour une synthèse, voir
Cottraux et al., 2015).
Le lecteur comprendra alors que les recommandations et pistes de travail
proposées dans ce livre proviennent principalement de notre expérience et
de celles de nos collègues. Il y a très peu de données validées scientifique­
ment, les études portant sur ce sujet, comme nous venons de le voir, n’étant
pas légion. Cependant, cela ne devrait pas nous inquiéter car la démarche
scientifique de la TCC, grâce à la conceptualisation de cas et à l’évaluation,
XVII

fait que chaque thérapie individuelle est en elle-même un « miniprotocole


de recherche », qui nous permet de dire si le « rapport bénéfice/risque » de
notre intervention est favorable. Dit en termes plus scientifiques, chaque
thérapie est une « expérimentation à cas unique », ou encore une étude avec
n = 1 [Kazdin, 1982 cité dans De Vries, 2010].
Il en découle une précaution importante qu’il faut préciser.
Les méthodes proposées dans cet ouvrage ne doivent jamais être mises
en route autrement que par un professionnel (ou sous la supervision de
celui-ci) ayant une formation initiale adéquate (psychologue, médecin) et
une connaissance des TCC. Elles doivent être appliquées en lien avec les
différents intervenants (le patient, sa famille, les différents professionnels,
etc.), par conséquent jamais par un professionnel ou un membre de la
famille isolé. Elles entraînent souvent au début un léger inconfort, comme
dans la thérapie des phobies, dans l’activation comportementale pour la
dépression, dans les programmes d’extinction des comportements inadap­
tés. Cet inconfort peut être acceptable sur le plan éthique dans la mesure
où le rapport bénéfice/risque est favorable. Si l’on s’aperçoit que la thérapie
T
provoque une souffrance inutile chez le patient ou dans son entourage, il
IN
faut savoir arrêter, mettre en question les interventions en cours et réfléchir
pour rendre ces dernières plus acceptables.
PR
T

Pourquoi autisme et handicap mental ?


NO

Il nous a semblé particulièrement opportun de traiter de l’autisme et du han­


dicap mental dans le même ouvrage. En effet, les adultes et les grands adoles­
DO

cents ayant un handicap mental, isolé ou avec un TSA associé, sont deux
populations souvent privées de psychothérapie en raison de difficultés tech­
niques. Ce livre tente donc de donner quelques clés pour surmonter ces diffi­
cultés. Les professionnels de la santé, et encore plus ceux du secteur médico­
social prenant en charge des sujets autistes accompagnent en même temps
des personnes porteuses de handicap mental isolé (souvent dans les mêmes
lieux de vie et dans les mêmes groupes). Dans les familles où deux enfants
ou plus ont un handicap mental, on constate souvent des signes d’autisme
plus ou moins évidents, variables d’un enfant à l’autre. Nous espérons alors
qu’un ouvrage qui parle à la fois du handicap mental et de l’autisme sera
d’une certaine aide pour ces professionnels et pour ces familles. D’un point
de vue scientifique, le comportementalisme nous apprend que les lois qui
régulent nos comportements sont les mêmes, que nous soyons normaux (au
sens statistique), autistes ou avec un handicap mental. Les connaissances
précises sur chacun de ces deux syndromes viennent ensuite nous aider à
comprendre la singularité du sujet, le but de chaque intervention comporte­
mentaliste étant de comprendre la situation particulière de l’individu pour
l’aider, dans la mesure du possible, à réguler ses propres comportements.
XVIII

La plupart des exemples cliniques présentés concernent des adultes ayant


un trouble du spectre de l’autisme avec un retard mental (léger ou moyen),
souvent ne disposant pas de langage fonctionnel, mais nous avons délibé­
rément formulé les explications de manière à les rendre transposables au
monde des enfants et aux patients autistes qui n’ont pas de retard mental.

Questions de terminologie
Dans cet ouvrage, nous utilisons indifféremment, et intentionnellement,
les termes tels qu’« autiste », « personne autiste », « patient porteur de TSA
ou de retard mental », etc. En effet, les débats autour de ces termes nous
paraissent stériles, d’autant plus que la terminologie change en perma­
nence. Le plus important pour nous est que le sujet ayant un handicap
soit considéré comme un être humain à part entière, digne de respect et
méritant de s’épanouir dans la vie.
Par ailleurs, les termes de « retard mental », répandu en France et utilisé
dans la 10e édition de la Classification internationale des maladies (CIM-
T
10), de « déficience intellectuelle » utilisée dans les milieux professionnels
IN
et de « handicap intellectuel » utilisé dans le DSM-5 renvoient à la même
réalité. Quant au syndrome d’Asperger, il n’existe plus dans le DSM-5 mais
PR

nous utilisons encore ce terme parce qu’il est très connu et qu’il correspond
à une réalité clinique.
T

Quant aux termes « thérapeute » et « patient », nous les utilisons selon


NO

leur valeur neutre. Il va de soi que le thérapeute peut être une femme ou
un homme (en réalité le plus souvent une femme) et que ce qui est valable
DO

pour un patient masculin l’est généralement pour une patiente. Le mot


« patient » lui-même peut prêter à confusion, mais nous le privilégions pour
sa valeur éthique et historique dans la tradition médicale et psychothéra­
pique française : le patient est celui qui a besoin de soins (que ceux-ci soient
médicamenteux ou psychothérapiques ; que ce soit pour guérir une maladie
aiguë, pour gérer une maladie chronique ou pour atténuer la détresse liée
à un handicap), et ce terme appelle de la part du clinicien une position
éthique, une empathie et un devoir d’utiliser les connaissances scientifiques
les mieux étayées et l’expérience clinique la plus pertinente pour venir en
aide à la personne et à ses aidants.

Le handicap et sa « situation »
Le présent ouvrage étant basé sur les sciences du comportement, il y sera
toujours question d’apprentissage. C’est une vision active et optimiste des
interactions entre l’être humain et son environnement. Ainsi, il nous sem­
ble fondamental que le handicap ne soit pas réduit à une « situation de
handicap », car cela risque d’enfermer la personne et ses aidants dans une
XIX

position d’impuissance et de revendication (s’acharner à vouloir modifier


la « situation » pour effacer le handicap) et surtout d’empêcher le sujet
handicapé d’apprendre et d’évoluer dans la vie.
Les approches comportementalistes sont loin de négliger la composante
« situationnelle » du handicap. Par exemple, la méthode TEACCH s’inté­
resse principalement à l’aménagement de l’environnement de l’apprentis­
sage et du travail, pour le rendre plus structuré et visible. Les protocoles des
interventions intensives fondées sur l’analyse appliquée du comportement
(ABA) proposent les apprentissages en fonction de l’intérêt de la personne
autiste et ne négligent pas la possibilité d’aménager son environnement.
En fait, toute intervention de TCC propose des apprentissages qui aident le
sujet et ses aidants à s’adapter à leur environnement, mais aussi à avoir une
maîtrise sur celui-ci. Le premier aménagement de l’environnement, celui
qui fait la force et l’humanisme de la TCC, est d’aider le sujet à aménager
son propre environnement et ses « situations » intérieurs : choisir le bon
comportement au bon moment, demander de l’aide, entreprendre des
actions sereines et efficaces pour modifier les situations sources de souf­
T
france ou les écueils qui empêchent l’épanouissement.
IN
PR

Optimisme actif du comportementalisme


T

A. Fritsch
NO

Les personnes ayant un TSA, notamment en cas de handicap mental asso­


cié, ont le plus souvent de grandes difficultés à communiquer leurs besoins
DO

et leurs envies de manière efficace. Ces difficultés sont liées aux spécificités
neurodéveloppementales qui entravent le développement d’un langage
fonctionnel au cours de l’enfance et qui empêchent ces sujets de percevoir
les autres personnes comme pouvant interagir avec eux et réagir à un code
commun. Se met en place alors une multitude d’anomalies, dont chacune
aggrave les autres : déficit du langage, déficit de la réciprocité sociale, inca­
pacité d’imiter dans le but de communiquer, etc.
Ce déficit de la communication chez le sujet autiste diminue sa capacité
à satisfaire ses besoins et contribue à l’apparition de troubles du compor­
tement. Cependant, notre expérience sur le terrain avec les personnes
ayant un TSA avec handicap mental nous a montré que ces dernières sont
capables d’apprentissage tout au long de leur vie et qu’elles développent
même spontanément un certain nombre de stratégies compensatoires pour
surmonter leurs difficultés.
Parfois, ces compétences ne sont pas repérées par les équipes d’accompa­
gnement, peut-être parce que la formation ou les missions qu’on assigne
traditionnellement aux professionnels ne s’inscrivent pas toujours dans une
logique d’apprentissage ; on parle spécifiquement de « maintien des acquis »
XX

plutôt que d’apprendre et d’évoluer. C’est un aspect que nous relevons sur­
tout dans des institutions accueillant des personnes adultes (et encore plus
si celles-ci sont âgées), et dans lesquelles l’accompagnement est centré sur
le confort sensoriel, la vertu rassurante des routines et la satisfaction des
besoins de base. Ces pratiques reposent également sur les représentations
que les professionnels ont des compétences et des possibilités d’apprentis­
sage de cette population.
Parfois, même les parents du jeune adulte autiste ou ayant un handicap
mental se sont faits à l’idée qu’il ne pourra plus évoluer ni acquérir de nou­
velles compétences, contents qu’ils sont que leur enfant, après une enfance
et une adolescence tourmentées, ait enfin trouvé un mode de vie routinier,
une institution adaptée et bienveillante. Ils ont alors peur de « remuer »
cette sérénité retrouvée ; ils peuvent être réticents à l’idée que leur enfant
puisse changer ses routines, enrichir son répertoire comportemental, suivre
une thérapie.
Notre expérience nous a amenés à questionner ces attitudes, bienveil­
lantes et compréhensibles de la part des parents et des professionnels.
T
Notre expérience nous a montré, quasiment dans tous les cas, que même
IN
les sujets autistes n’ayant jamais bénéficié d’interventions éducatives spéci­
fiques sont capables d’acquérir des apprentissages fondés sur l’observation
PR

de récurrences, d’associations temporelles entre les stimuli (c’est ce qu’on


appelle l’apprentissage classique ou le conditionnement répondant). Ils
T

apprennent à donner un sens à des stimuli sur la base de l’expérience qu’ils


NO

ont de ceux-ci. Ces apprentissages s’inscrivent également dans la logique


du conditionnement opérant ; les personnes autistes, même dépourvues de
DO

langage, vont le plus souvent chercher à utiliser leurs capacités motrices


afin d’obtenir une réponse de la part des aidants naturels ou professionnels
qui évoluent autour d’elles. Ainsi, il est possible de se baser sur ces compé­
tences pour offrir aux personnes porteuses de TSA davantage de possibilités
pour la communication de leurs besoins et de leurs envies.
Nous tenons ainsi à une position résolument optimiste, que les résultats
de la recherche, l’esprit de la TCC et notre expérience personnelle s’accor­
dent à étayer : le sujet porteur d’un handicap (ici un autisme et/ou une
déficience intellectuelle) est toujours capable d’apprendre et de s’épanouir
dans la vie.
1 Trouble du spectre
autistique

Définitions actuelles de l’autisme


Après de multiples vicissitudes, le concept de trouble du spectre de l’autisme
avait pendant longtemps été défini par la « triade autistique », cela aussi
bien dans la 10e édition de la CIM (CIM-10) [OMS, 2000] que dans la 4e édi-
tion du Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM-IV) [APA,
2000]. Ces deux grandes classifications intègrent l’autisme dans un ensem-
ble appelé « troubles envahissants du développement », qu’ils définissent
par la présence de trois critères :
• altération qualitative des interactions sociales réciproques ;
T
• altération qualitative des modalités de communication ;
IN

• répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif.


Cette classification catégorielle avait le mérite d’établir des critères et un
PR

langage commun pour parler des troubles autistiques. Cependant, ces cri-
tères, offrant peu de détails et étant difficilement quantifiables, restent diffi-
T

ciles à exploiter en TCC. De plus, ils ne rendent pas compte de la richesse et


NO

de la grande diversité d’expression de l’autisme chez les différents individus.


Plus récemment, l’expression « trouble du spectre de l’autisme » a été
DO

largement utilisée dans les publications scientifiques. Elle a le mérite, dans


une approche dimensionnelle, de présenter le trouble autistique comme un
ensemble de difficultés propre à chaque individu. Le DSM-5 [APA, 2013] la
reprend et propose une seule catégorie diagnostique, le trouble du spectre
de l’autisme, qui fait partie des troubles neurodéveloppementaux. Cette
5e édition de la classification américaine a profondément remanié la présen-
tation des critères diagnostiques. Elle retient deux grands critères :
• critère A : déficits persistants de la communication et des interactions
sociales observés dans des contextes variés ;
• critère B : caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts
ou des activités.
Chacun des deux critères est décliné en plusieurs sous-critères qui
devraient être manifestes au moment du diagnostic ou avoir été présents
dans le passé. Une nouveauté intéressante est l’intégration des particula-
rités sensorielles dans le critère B. Ces particularités sont définies comme
une hyper- ou hyporéactivité aux stimulations sensorielles ou un intérêt

TCC dans l’autisme et le retard mental


© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
4 Notions cliniques

inhabituel pour les aspects sensoriels de l’environnement. Elles jouent,


comme nous le verrons plus loin, un rôle important dans les contingences
du conditionnement classique et opérant.
Pour tenir compte du profil individuel de chaque patient, le DSM-5 pro-
pose plusieurs critères supplémentaires appelés « spécifications ». Ceux-ci
concernent la sévérité du trouble ainsi que la présence de troubles associés.
Les spécifications de sévérité situent le tableau clinique sur trois niveaux
possibles en fonction de l’intensité des critères diagnostiques A et B. Les
autres spécifications servent à préciser si le TSA est associé à un déficit intel-
lectuel, à une altération du langage, à une pathologie médicale ou génétique
connue ou à un facteur environnemental, à un autre trouble développemen-
tal, mental ou comportemental et s’il est accompagné par une catatonie. À
noter que le syndrome d’Asperger, comme les autres catégories des troubles
envahissants du développement, disparaît en tant que tel ; il sera diagnos-
tiqué comme un trouble du spectre de l’autisme, sans déficit intellectuel.

Tableau de l’autisme à l’âge adulte


T
IN

Le diagnostic établi selon les critères du DSM-5 permet déjà de décrire le


profil clinique de l’individu ; cependant, l’autisme, lorsqu’il se manifeste
PR

chez un « vrai » être humain, offre autant de tableaux cliniques que d’indi-
vidus. Le clinicien aura donc le souci de décrire les difficultés et compé-
T

tences particulières du sujet qui fait appel à lui. Dans la pratique clinique,
NO

les capacités de communication, notamment la présence ou l’absence d’un


langage fonctionnel, sont un élément fondamental, qui détermine en
DO

grande partie la nature des soins psychothérapiques utiles pour le sujet.


Nous proposons ici une brève description du syndrome autistique selon
ces deux profils [Murad et al., 2014], étant entendu qu’il existe toutes les
situations intermédiaires imaginables.

Tableau de l’autisme sans langage fonctionnel


(autisme avec retard mental moyen ou sévère)
Dans cette population du TSA sans langage fonctionnel, un signe typique
est que le patient manquant de langage verbal n’utilise pas les autres modes
de communication pour le compenser (comme ce serait le cas dans les
troubles spécifiques du langage). La compréhension est réduite, surtout
quand il s’agit de phrases complexes, imagées ou abstraites. Lorsque le lan-
gage est présent, il comporte souvent des anomalies telles que des écholalies
immédiates ou différées, une utilisation idiosyncrasique du langage et des
anomalies du rythme, de l’intonation et du volume.
Le patient n’utilise pas les gestes (par exemple pointer du doigt) pour parta-
ger un intérêt ou pour demander de l’aide. Il est en général isolé, ne regarde
Trouble du spectre autistique 5

pas les autres, ou a un regard « transfixant » (comme s’il regardait à travers


les autres personnes) ou périphérique. Il évolue dans son lieu de vie comme
s’il y était seul et ne cherche le contact avec les autres que pour demander des
choses concrètes. Il peut, par exemple, utiliser le bras d’un soignant de façon
instrumentale en le dirigeant vers la porte qu’il souhaite ouvrir.
Les intérêts restreints peuvent concerner un objet ou un type d’objet,
par exemple des pièces de Lego ou des magazines que la personne tient à
garder sur elle tout le temps, ou un objet en plastique avec lequel elle se
tapote les dents. Il peut aussi y avoir des stéréotypies sous forme de balance-
ments, de postures anormales ou de mouvements des mains et des bras. Des
particularités sensorielles existent souvent, probablement davantage dans
ce groupe que chez les patients autistes ayant peu ou pas de retard mental.
Ces particularités seront développées plus loin.
Les patients, en général, aiment les activités routinières, le même type
d’habits, les mêmes itinéraires. La sensibilité à la douleur peut être particu-
lière, la douleur peut se traduire par des troubles du comportement, d’où
« la règle d’or » souvent répétée dans le champ de l’autisme (mais aussi
T
dans toute situation d’absence de langage fonctionnel) et que nous rappe-
IN
lons dans la dernière partie de cet ouvrage : rechercher la douleur physique
devant toute modification inexpliquée du comportement.
PR

Les comportements stéréotypés font ainsi partie des critères diagnostiques


du TSA et ne doivent pas forcément être considérés comme des troubles
T

du comportement, mais les personnes autistes peuvent aussi présenter des


NO

comportements inadaptés ou agressifs qui les font souffrir et font souffrir


leur entourage. Il peut s’agir de colères explosives, d’agression sur les per-
DO

sonnes (pincer, tirer les cheveux, donner des coups, etc.), d’automutilation
(se gratter jusqu’au sang, se taper la tête contre le mur ou le sol, etc.), de
comportements sexuels inappropriés (attouchement, nudité, masturbation
en public), de destruction d’objets ou de troubles touchant à la sphère diges-
tive (pica, hypersélectivité des aliments, vomissements provoqués, jeux
avec le vomi ou avec les selles, etc.). Le thérapeute peut être sollicité pour
tous ces troubles du comportement, pour lesquels la conceptualisation puis
les interventions en TCC apportent généralement une aide intéressante.

Tableau de l’autisme avec langage fonctionnel


(syndrome d’Asperger, autisme dit de haut niveau,
autisme avec retard mental léger)
Dans l’autisme, même quand le langage est élaboré, on peut constater cer-
taines anomalies, surtout dans deux domaines : la pragmatique du langage
et le langage non verbal :
• anomalies de la pragmatique du langage : celui-ci est peu utilisé sociale­
ment, le sujet initie peu de conversations à caractère purement social
6 Notions cliniques

(pour le plaisir de bavarder) et a du mal à soutenir une conversation qui


ne concerne pas directement ses propres intérêts [Rogé, 2003]. Certains
autistes parlent beaucoup, mais seulement de sujets qui les intéressent ou
les préoccupent, sans tenir compte de l’agacement que cela peut provoquer
chez leur interlocuteur. Ils ont du mal à respecter les règles de la conversa-
tion, le tour de parole, à détecter l’intérêt que l’autre a pour ce qu’ils disent,
à détecter s’il est pressé ou non, à savoir si c’est la bonne personne à qui il
faut diriger ce discours à ce moment-là. Le discours peut avoir un caractère
recherché et précieux, avec le souci d’utiliser le mot exact. La compréhen-
sion des énoncés tend à être littérale, la personne a ainsi des difficultés pour
comprendre les métaphores, les plaisanteries et le second degré ;
• anomalies du langage non verbal : la personne autiste n’utilise pas les
signaux non verbaux habituels, qui permettent de réguler les interactions
avec les autres ; ainsi, la gestuelle est pauvre ou bizarre, le contact visuel est
absent ou furtif, la mimique est souvent pauvre ou non adaptée au contexte
ou à la conversation en cours. Le débit, le niveau sonore et la prosodie du
discours peuvent être inadaptés. Un constat fréquent, cependant, est que
T
les sujets ayant un TSA sans retard mental, même quand les anomalies de
IN
la pragmatique du langage et du langage non verbal existaient pendant
l’enfance, apprennent avec le temps à repérer la manière « normale » de
PR

parler et arrivent souvent à s’en approcher. Ces anomalies sont donc géné-
ralement moins massives chez l’adulte que chez l’enfant.
T

Le jeune adulte autiste qui vit chez ses parents préfère généralement
NO

rester seul, devant son ordinateur ou absorbé dans ses livres. Il peut avoir
des amis, mais en petit nombre, les interactions entre amis se limitant
DO

souvent au partage des intérêts restreints. Dans les services de soins et les
lieux de vie, les personnes autistes adultes ont peu d’interactions entre
elles, alors qu’elles cherchent plus souvent le contact avec le personnel
(généralement pour un but concret d’obtenir de l’aide ou de transmettre
une information). Les professionnels qui animent des groupes d’entraî-
nement aux habiletés sociales constatent cependant souvent, à l’issue
de la thérapie, que beaucoup de personnes autistes finissent par trouver
(ou retrouver) du plaisir dans les interactions sociales, et qu’elles arrivent
même à tisser des liens d’amitié entre elles ou avec des personnes non
autistes. En effet, dans beaucoup de cas, le sujet autiste semble avoir eu
envie de communiquer avec les autres et d’avoir des amis, mais, comme
il ne maîtrisait pas la façon de faire et que, souvent, sa façon maladroite
d’entrer en contact avait créé des expériences répétées d’échec (souvent
au collège et au lycée), il a abandonné ses tentatives et s’est détourné des
interactions sociales.
Les sujets ayant ce profil peuvent avoir des stéréotypies gestuelles, en
général plus subtiles que chez les sujets ayant un retard mental en plus
de leur autisme, et qu’ils essaient de cacher car ils comprennent que ces
Trouble du spectre autistique 7

phénomènes sont mal vus en société. Les intérêts restreints, eux, portent
souvent sur des thèmes culturels ou scientifiques (l’histoire de l’Égypte, le
piano, les jeux vidéo, etc.).

Chacun son profil


1. Autisme avec retard mental léger
D. est un homme de 28 ans. Enfant, les psychiatres qui le suivaient parlaient
à ses parents de psychose infantile ou de dysharmonie évolutive ; son enfance
était marquée par un retard des principales acquisitions (marcher, parler, devenir
propre, etc.) et par un retrait par rapport aux autres enfants ; à la maternelle,
il n’abordait pas les autres enfants. Souvent, il avait des crises d’agitation, ses
parents ne savaient pas pourquoi et ils avaient l’impression que l’enfant était à
la fois angoissé et en colère. Les tentatives de scolarisation en primaire n’ont pas
réussi ; D. avait du mal à suivre les cours, il pouvait tracer des lignes, voire écrire
quelques lettres en majuscules à la fin de l’année scolaire. Il a ensuite été orienté
vers des classes spécialisées (CLIS en France) puis vers des établissements d’éduca-
T
tion spéciale (IMP et IMPRO en France). Il a beaucoup évolué, appris à regarder les
IN
gens dans les yeux quand il leur parlait ; son autonomie était meilleure pour
les gestes de la vie quotidiennes (s’habiller, manger, mettre la table, etc.).
PR

Arrivé à l’âge adulte, D. parle de façon compréhensible malgré quelques


défauts d’élocution ; il peut faire des phrases complètes mais son vocabulaire
T

reste limité. Il sait exprimer ses besoins, demander de l’aide, exprimer des
NO

choix ; il a ce que l’on appelle un langage fonctionnel.


D. a trouvé du travail en établissement spécial (ESAT) grâce à sa ténacité, au
soutien de ses parents et à un accompagnement professionnel adapté. Il se
DO

sent bien dans ce travail routinier, avec l’accompagnement d’un moniteur. Il


converse toujours très peu avec ses collègues de travail. L’hypersensorialité au-
ditive a posé problème dès le début de son intégration dans cette entreprise :
le moindre bruit et la moindre distraction visuelle gênaient énormément D.,
au point de l’empêcher de travailler. À certains moments, il ne savait plus ce
qu’il fallait faire des boîtes qu’il finissait de remplir ou des pièces qu’ils venaient
de monter ; il les posait alors au hasard aux quatre coins de la salle de travail.
Sur les conseils des thérapeutes, les moniteurs lui ont alors aménagé un poste
de travail bien délimité, un peu à l’écart des autres travailleurs, et partiellement
isolé par des paravents. Ils ont aussi entouré par une bande rouge le bac où il
devait poser le travail fini ; c’étaient des modifications inspirées de l’approche
TEACCH, qui ont aidé D. à se sentir mieux et à bien faire son travail.
À la maison, D. aime beaucoup sa collection de figurines et peut passer des
heures à les regarder et les manipuler. Ses parents tentent, parfois avec succès,
de lui donner d’autres occupations.
Aussi bien au travail qu’à la maison (lorsque ses parents reçoivent de la visite),
D. reste isolé ; il n’engage pas la conversation avec ses collègues ni avec les amis
de ses parents.

8 Notions cliniques


Quand il était enfant, il avait appris à saluer, à dire bonjour aux personnes qu’il
rencontre et à leur serrer la main. Ses accompagnants ont remarqué que D. le
fait souvent sans tenir compte du contexte : il peut par exemple dire bonjour à la
même personne plusieurs fois par jour, ou tendre la main pour saluer quelqu’un
alors que celui-ci a manifestement les deux bras chargés. Cette manière rigide
d’interagir avec les autres s’est cependant améliorée avec le temps, surtout à la
suite de l’entraînement aux habiletés sociales, qui a été proposé par une équipe
thérapeutique et repris par les parents.
2. Autisme avec retard mental moyen
Bruno est un jeune homme qui vit chez ses parents. À l’âge de 4 ans, Il avait
reçu le diagnostic de trouble du spectre de l’autisme. Après deux années pas-
sées en maternelle, Bruno a été orienté vers les établissements d’éducation
spécialisée (IMP puis IMPRO). Arrivé à l’âge adulte, Bruno n’a pas pu trouver
de voie professionnelle adaptée à ses besoins et il a été pris en charge par
un centre d’accueil de jour qui lui proposait, plusieurs fois par semaine, des
activités occupationnelles.
T
Les bilans fonctionnels et psychologiques montrent chez lui un handicap intel-
IN
lectuel moyen associé à l’autisme.
Bruno parle beaucoup, tout le temps, interpelle en permanence les autres,
PR

surtout les adultes plus âgés que lui ; il leur pose des questions incessantes,
toujours les mêmes, même quand il obtient une réponse. Pendant qu’il pose ses
questions, il ne semble pas anxieux ou en souffrance, il montre au contraire de
T

l’intérêt, il pose des questions souvent sur la vie de son interlocuteur, mais, sans
NO

attendre la réponse, il se met à lui délivrer des informations sur ce qu’il vient de
faire dans la journée. Ces comportements sont diversement accueillis : ils sus-
citent l’amusement, l’agacement, l’étonnement. Ils sont le moyen qui permet à
DO

Bruno d’entrer en contact avec les gens, mais les parents et les professionnels se
rendent compte que ce moyen n’est pas efficace : il permet un premier bavar-
dage mais finit par détourner les gens et cela n’assure pas à Bruno la possibilité
d’établir des relations stables et valorisantes.
3. Autisme aves retard mental profond
Tania est une femme de 31 ans vivant dans une maison d’accueil spécialisée. Elle
est porteuse d’un autisme avec retard mental profond. Elle ne parle presque
pas, son langage étant limité à quelques mots. Si on la laisse seule, elle passe son
temps assise en tailleur, à se balancer en avant et en arrière. Elle émet régulière-
ment des sons inarticulés, dont le personnel ne comprend pas le sens. Certains
accompagnants pensent deviner le sens de certains « mots » particuliers qu’elle
produit, par exemple pour signaler qu’elle veut manger ou qu’elle est fatiguée.
Il est difficile d’accrocher son regard : le contact visuel reste furtif. Tania ne
cherche pas spontanément le contact avec les autres. Cependant, lorsque les
éducateurs lui proposent des activités adaptées, elle les fait et semble apaisée.
Elle peut ainsi s’occuper pendant quelques minutes à encastrer des objets en
plastique ou en bois ; le personnel pose parfois devant elle un bac rempli de

Trouble du spectre autistique 9


sable (ou de semoule), elle y plonge alors les mains et semble prendre du plaisir
à manipuler le sable, à le transvaser d’une main à l’autre.
Tania pose de temps en temps problème parce qu’elle crie sans raison appa-
rente. Quand elle pousse des hurlements déchirants, elle semble souffrir, mais
le personnel peine à savoir ce qu’elle a. Une fois, on a pu suspecter une rage de
dents et, après des soins dentaires sous anesthésie générale, Tania fut débarras-
sée de ses caries et était de nouveau paisible.
À certains moments de la journée, elle régurgite et se met à mâchouiller son
vomi. Il lui arrive même de sortir le vomi pour le manipuler avec les mains,
comme si elle cherchait des sensations tactiles particulières. Le personnel a
appris, dans ces moments-là, à lui proposer les jeux avec le sable, ce qui permet
de remplacer le vomi.

Particularités cognitives dans l’autisme


Pour mieux comprendre le fonctionnement des personnes autistes et
T
pouvoir en tenir compte dans la conceptualisation, nous nous aidons du
IN
modèle proposé par Valérie Gaus [Gaus, 2007]. Ce modèle, bien que conçu
pour expliquer les difficultés émotionnelles des personnes porteuses de syn-
PR

drome d’Asperger, nous semble utile aussi dans les autres formes de TSA,
pourvu que l’on tienne compte des difficultés cognitives qui s’y ajoutent
du fait du retard mental ou du retard de langage. Voici une version de ce
T

modèle, que nous avons un peu modifié et adapté à notre population : les
NO

difficultés cognitives sont rattachées à trois groupes en fonction du domaine


de traitement de l’information concerné :
DO

• anomalies du traitement de l’information concernant les autres (cogni-


tion sociale) : elles correspondent au déficit de la théorie de l’esprit (celle-ci
étant la capacité d’attribuer aux autres un état mental, par exemple une
pensée ou une émotion, différent du sien). Ainsi, la personne ayant un TSA
a du mal à comprendre les intentions, les désirs, les croyances et les émo-
tions d’autrui, ce qui peut entraîner des erreurs d’interprétation et donc des
comportements inadaptés et une grande souffrance chez la personne due à
l’incertitude globale vis-à-vis des intentions et des attentes d’autrui ;
• anomalies du traitement de l’information portant sur soi : elles se mani-
festent par une difficulté à réguler et à percevoir ses propres émotions et
sa propre activité sensorimotrice. Ces anomalies expliquent l’incapacité du
patient à gérer ses émotions, notamment la colère et l’anxiété, ce qui peut
provoquer des comportements auto- ou hétéroagressifs, ou d’autres états
émotionnels et comportements que les autres ne comprennent pas ;
• anomalies du traitement de l’information non sociale : celles-ci compren-
nent deux types d’anomalies :
– les troubles des fonctions exécutives, se manifestant en particulier par
des difficultés d’adaptation aux changements, par une diminution de la
10 Notions cliniques

mémoire de travail (ce qui provoque des difficultés pour s’organiser, pour
planifier un travail en vue de réaliser un objectif) et par une diminution
de la flexibilité mentale (passer d’une tâche à l’autre, changer de stratégie
pour arriver à résoudre un problème, etc.) ;
– le traitement préférentiel des stimuli de façon fragmentée en insistant
sur les détails, plutôt que comme un tout intégré et significatif. Par exem-
ple, une personne qui a les bras croisés est forcément perçue comme étant
très en colère car le sujet autiste n’analyse pas la situation de façon globale
(posture, mimique, contexte, etc.). La performance dans le traitement de
l’information centré sur les détails peut, en revanche, être supérieure à la
moyenne.

Particularités sensorielles dans l’autisme


M. Haegelé
Les informations sensorielles sont toutes nécessaires pour interagir cor-
rectement avec l’environnement. Ce sont les portes d’entrée des informa-
T
tions de l’environnement vers le système nerveux, première étape avant
IN
de traiter l’information pour produire une réaction (un comportement)
adaptée. Or, dans l’autisme, il existe un traitement particulier des informa-
PR

tions sensorielles, sous forme de sensibilité réduite ou accrue, entraînant


une mésadaptation à l’environnement. Ces anomalies sont parfois invali-
T

dantes, d’où la nécessité de les repérer pour y remédier. Elles peuvent être
NO

source de comportements stéréotypés, d’autostimulation, d’automutilation


et d’interactions perturbées.
DO

Le profil précis des particularités sensorielles est très variable d’un sujet à
l’autre, et son taux de prévalence va de 30 à 100 % des sujets autistes, cette
grosse différence s’expliquant par des différences méthodologiques entre les
études [Degenne-Richard et al., 2014]
Dans les troubles du développement, les particularités sensorielles ont
été surtout décrites et étudiées chez l’enfant. Elles apparaissent très pré­
cocement chez le bébé. Nous avons très peu de données sur l’évolution de
ces particularités à travers les âges ou sur la prévalence à l’âge adulte. Il n’est
pas clair, de plus, si ces particularités sensorielles diminuent ou augmentent
avec l’âge ; il est possible que tous les profils existent. Les témoignages des
personnes ayant un autisme sans retard mental vont dans le sens d’une
persistance de ces particularités à l’âge adulte.
La recherche de certains stimuli sensoriels prend parfois la forme de
conduites addictives, le sujet autiste allant jusqu’à s’automutiler pour obte-
nir certaines sensations : se frotter la peau jusqu’au sang, s’exposer à des
lumières brillantes jusqu’à provoquer des lésions rétiniennes, etc.
Selon le DSM-5, les particularités sensorielles font partie des critères
diagnostiques de l’autisme ; elles ne sont cependant pas spécifiques de
Trouble du spectre autistique 11

ce trouble : tous les signes et exemples que nous mentionnerons dans ce


domaine peuvent se voir dans d’autres troubles neurodéveloppementaux,
parfois même chez des personnes au développement normal. La présence
de dysfonctionnement sensoriel semble liée au syndrome autistique mais
aussi au retard mental. Ainsi, les troubles sensoriels sont davantage présents
chez les enfants ayant un autisme que chez ceux qui ont un retard mental et
sont majorés chez les enfants ayant les deux syndromes (autisme et retard
mental) à la fois. Il existerait aussi un lien entre le degré de retard mental
chez les enfants autistes et l’intensité des troubles sensoriels [Leekam et al.,
2007, cité dans Degenne-Richard, 2014].
Les particularités sensorielles liées à l’autisme peuvent exister aussi bien
chez les personnes sans retard mental (ou syndrome d’Asperger) que chez
celle qui ont un retard mental, mais leur détection prend une importance
particulière chez les patients autistes qui ont un retard mental (en tout
cas ceux qui n’ont pas de langage fonctionnel) parce qu’ils les rapportent
moins facilement.
Dans tous les cas, les individus ayant à la fois un autisme et un retard
T
mental ont davantage de particularités sensorielles. C’est l’intensité de ces
IN
anomalies sensorielles, leur caractère envahissant et leurs conséquences
qui en font un critère important à prendre en compte chez les personnes
PR

autistes.
Ainsi, l’hypo- ou l’hypersensibilité peut concerner :
T

• la modalité visuelle (le regard, l’attention, les couleurs, la lumière, les


NO

mouvements) ; certains chercheurs mettent aussi en avant dans ce domaine


une difficulté à traiter les informations visuelles et à intégrer les mouve-
DO

ments rapides [Lainé et al., 2008]. On constate ainsi que l’environnement


visuel change trop vite, au point parfois de provoquer une aversion pour
les stimuli trop rapides (évitement du regard des autres, des stimuli faciaux
difficiles à traiter) ;
• la modalité auditive (réaction à la voix, orientation vers certains bruits) ;
l’environnement sonore est traité de façon chaotique : c’est la métaphore
du « micro » qui capte tout, sans filtrer le bruit de fond ; ainsi, certains sujets
autistes n’arrivent pas à hiérarchiser les stimuli sonores ; ils perçoivent au
même niveau par exemple la voix de l’éducateur qui leur parle, le brouhaha
de l’unité de vie et les bruits extérieurs. Les anomalies sensorielles visuelles
et auditives, en particulier, font que beaucoup de sujets autistes ont du mal
à accorder leur rythme à un environnement « normal » en perpétuel chan-
gement. Ils y répondent souvent avec un temps de latence. Pour s’adapter à
cet environnement, le sujet aura logiquement tendance à le ralentir, voire à
l’arrêter ou à le fragmenter en de multiples détails plus faciles à percevoir et
à intégrer ;
• la modalité tactile (hypo- ou hyperesthésie, contact douloureux avec cer-
taines textures, recherche de pression sur certaines parties du corps) ;
12 Notions cliniques

• la modalité gustative (préférence ou rejet pour certains aliments) ;


• la modalité olfactive (flairage, préférence ou rejet de certaines odeurs) ;
• la modalité proprioceptive et vestibulaire (balancements, tournoie-
ment).
Parmi les signes fréquents, on peut mentionner la recherche de stimu-
lations diverses et inhabituelles (une odeur, une sorte précise de crème,
un objet qui scintille, des habits qui serrent une partie du corps, etc.)
que la personne veut avoir tout le temps et qui semblent l’apaiser ou lui
procurer du plaisir ; ou, au contraire, fuir certaines stimulations (présen-
ter des réactions d’effroi ou de colère en réponse à des bruits banals, au
toucher de certaines étoffes, etc.). Devant les réactions sensorielles exa-
gérées, le clinicien (en l’occurrence, le thérapeute comportementaliste)
peut avoir du mal à faire la part d’une anxiété de nature phobique et d’un
inconfort provoqué par cette perception exacerbée de certains stimuli
sensoriels.
L’hypo- ou l’hypersensibilité prennent parfois la forme de synesthésies
(confusion des modalités sensorielles). De plus en plus de chercheurs évo-
T
quent les difficultés multisensorielles chez les personnes autistes, c’est-à-
IN
dire la difficulté à faire la liaison entre les différentes modalités perceptives
[Degenne-Richard et al., 2014]. Par exemple, un de nos patients, quand il
PR

marchait sur un sol moucheté, avait l’impression de perdre l’équilibre ou


d’être aspiré par le sol (le stimulus visuel est perçu par le système vestibu-
T

laire). Un autre avait un problème avec certaines textures d’étoffes, qui lui
NO

faisaient mal aux yeux quand il les touchait. Un autre exemple sera cité plus
loin dans l’histoire de Samuel.
DO

Comorbidité
Les personnes ayant un TSA présentent souvent des troubles comorbides,
c’est-à-dire des troubles psychiques qui s’ajoutent au handicap de l’autisme.
Le DSM-5 rappelle qu’environ 70 % des individus ayant un TSA ont un
trouble mental comorbide et que 40 % ont deux comorbidités psychia-
triques ou plus. Il s’agit donc de symptômes psychiatriques qui n’appartien-
nent pas aux critères diagnostiques du trouble. Ainsi, les personnes autistes
peuvent avoir un déficit de l’attention/hyperactivité, un trouble anxieux,
un trouble dépressif.
Les comorbidités psychiatriques dans l’autisme se manifestent souvent
d’une façon particulière, différente de ce que l’on voit dans la popula-
tion générale. La dépression, par exemple, peut se manifester par des
troubles du sommeil ou par des comportements agressifs, alors que la
tristesse, les idées suicidaires et la perte d’espoir sont absentes ou impos-
sibles à mettre en évidence en l’absence de langage fonctionnel [Murad
et al., 2014].
Trouble du spectre autistique 13

Évolution du syndrome autistique


de l’enfance à l’âge adulte
Les manifestations du TSA commencent par définition dans la petite
enfance. Les premiers signes peuvent interpeller les parents dès la première
année de la vie : retard d’apparition du sourire, anomalies du tonus (notam-
ment l’hypotonie du tronc), le fait que le bébé est trop calme, ne pleurant
que très rarement ou au contraire qu’il est agité et « colérique ». Aucun de
ces signes n’est spécifique de l’autisme mais le tableau clinique se met en
place progressivement autour de l’âge de 3 ans et persiste tout au long de
l’enfance, avec une intensité et une évolution variables.
L’adolescence est une période charnière qui pose des problèmes spéci-
fiques dans cette population. Les troubles du comportement apparaissent
ou s’aggravent. Ce qui était acceptable chez le petit enfant devient pro-
blématique chez l’adolescent [Rogé, 2008]. Par exemple, les conduites en
lien avec le corps et la sexualité peuvent devenir gênantes, comme le fait
de se mettre tout nu ou de se masturber devant les autres. En plus, lorsque
T
l’enfant autiste donnait des coups, les parents pouvaient le maîtriser et la
IN
portée des coups était limitée. À l’adolescence, la masse musculaire prenant
du volume et de la force, les coups deviennent plus dangereux et l’enfant
PR

plus difficile à maîtriser.


C’est aussi à l’âge de l’adolescence que des choix d’orientation s’impo-
T

sent : scolarité dans des classes spéciales ou dans des établissements d’édu-
NO

cation spéciale.
Chez les adolescents au niveau intellectuel normal ou peu altéré, une prise
DO

de conscience de leurs difficultés peut apparaître et entraîner beaucoup de


souffrance. Se mêler à ses pairs peut commencer à poser des problèmes : si le
jeune est scolarisé en milieu ordinaire, sa vulnérabilité physique et surtout
psychologique peut apparaître : il devient ainsi l’objet de moquerie ou de
harcèlement de la part de ses camarades (que ceux-ci soient « normaux » ou
portant comme lui un handicap autistique).
Le passage à l’âge adulte se fait généralement de manière plus progres-
sive et plus différé que dans la population générale. Ici aussi, des décisions
d’orientation doivent être prises : rester chez les parents, vivre en internat,
travailler (en milieu ordinaire ou protégé) ou fréquenter un service propo-
sant activités et occupations.
Il est souvent difficile pour les parents d’envisager un lieu de vie pour leur
enfant devenu adulte. Les thérapeutes doivent les aider dans cette réflexion.
Bien sûr, chaque parent et chaque famille ont un vécu différent et le théra-
peute n’a pas à faire ce choix à leur place. Cependant, devant des parents
âgés, réticents pour « placer » leur enfant tout en ayant du mal à faire face à
ses besoins au quotidien, le thérapeute est parfois poussé par son éthique et
sa bienveillance à les encourager dans cette voie. Nous présentons dans la
14 Notions cliniques

dernière partie de cet ouvrage des exemples cliniques qui illustrent ce type
de situations.
Les études longitudinales montrent que les principaux symptômes de
l’autisme diminuent en arrivant à l’âge adulte [Howlin et al., 2004]. C’est la
communication qui s’améliore le plus, suivie par les interactions sociales.
Les intérêts et activités répétitifs et stéréotypés semblent persister.
Seulement 10 à 25 % des adultes ayant un trouble du spectre autistique
semblent capables de mener une vie autonome ou aidée et supervisée,
de suivre une formation, d’exercer une activité professionnelle ou de faire
partie d’un réseau social. Les facteurs de bon pronostic les mieux confirmés
sont un quotient intellectuel (QI) supérieur à 70, la présence d’un langage
fonctionnel à l’âge de 5 ans et l’absence de comorbidité psychiatrique
[APA, 2013].
Il semble que l’amélioration sensible des possibilités éducatives pour
les enfants atteints d’autisme au cours des trois dernières décennies n’ait
pas nécessairement abouti à des améliorations significatives en termes
d’adaptation à l’âge adulte [Howlin et al., 2004]. Cependant, les méthodes
T
d’accompagnement ne cessent de progresser et de gagner en efficacité, et
IN
les protocoles intensifs inspirés par différentes interventions basées sur les
sciences du comportement donnent des résultats prometteurs.
PR
T
NO
DO
2 Retard mental
Le retard mental est un syndrome clinique dont l’identification, la descrip-
tion et la mesure sont bien antérieures à celles de l’autisme. Bien connaître
les difficultés de ces personnes est la première étape pour leur offrir des
accompagnements et thérapies adaptés.

Définitions du retard mental


Le DSM-IV [APA, 2000] définissait le retard mental par trois critères diagnos-
tiques :
• critère A : fonctionnement intellectuel général significativement inférieur
à la moyenne : niveau de quotient intellectuel (QI) d’environ 70 ou au-dessous,
mesuré par un test de QI passé de façon individuelle ;
• critère B : déficits concomitants ou altérations du fonctionnement adap-
T
tatif actuel (c’est-à-dire de la capacité du sujet à se conformer aux normes
IN

escomptées à son âge dans son milieu culturel) concernant au moins deux
des secteurs suivants : communication, autonomie, vie domestique, apti-
PR

tudes sociales et interpersonnelles, mise à profit des ressources de l’environ-


nement, responsabilité individuelle, utilisation des acquis scolaires, travail,
T

loisir, santé, sécurité ;


NO

• critère C : début avant l’âge de 18 ans.


Cette définition du retard mental a le mérite de comprendre des éléments
DO

fonctionnels de la vie quotidienne. La définition elle-même n’est pas pré-


cise mais le bilan cognitif, mesurant le QI, surtout en considérant les sous-
tests, peut améliorer cette définition car elle donne plus de détails sur le
fonctionnement cognitif de la personne.
Le DSM-IV se basait aussi sur le QI pour définir le degré de sévérité du
retard mental. Il décrit ainsi le retard mental léger (QI de 50-55 à 70 envi-
ron), le retard mental moyen (QI de 35-40 à 50-55), le retard mental grave
(QI de 20-25 à 35-40), le retard mental profond (QI inférieur à 20-25) et
le retard mental avec sévérité non spécifiée (lorsqu’il existe une forte pré-
somption de retard mental mais que l’intelligence du sujet ne peut être
mesurée par des tests standardisés).
Comme pour l’autisme, le DSM-5 [APA, 2013] est venu modifier ces cri-
tères en profondeur, surtout en mettant l’accent sur les aspects fonctionnels
adaptatifs, au détriment des mesures formelles du QI. Le retard mental y est
rebaptisé « handicap intellectuel » ou « trouble du développement intellec-
tuel » et est défini comme suit.

TCC dans l’autisme et le retard mental


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16 Notions cliniques

Le handicap intellectuel (intellectual disability) est un trouble débutant


pendant la période du développement, fait de déficits tant intellectuels
qu’adaptatifs dans les domaines conceptuels, sociaux et pratiques. Les trois
critères suivants doivent être présents :
• critère A : déficits des fonctions intellectuelles comme le raisonnement,
la résolution de problèmes, la planification, l’abstraction, le jugement,
l’apprentissage scolaire et l’apprentissage par l’expérience, confirmés par
l’évaluation clinique et les tests d’intelligence individuels standardisés ;
• critère B : déficit des fonctions adaptatives qui se traduit par un échec
dans l’accession aux normes habituelles de développement socioculturel
permettant l’autonomie et la responsabilité sociale. Sans assistance au long
cours, les déficits adaptatifs limitent le fonctionnement dans un ou plu-
sieurs champs d’activité de la vie quotidienne comme la communication, la
participation sociale, l’indépendance, dans des environnements variés tels
que la maison, l’école, le travail, la collectivité ;
• critère C : début du déficit intellectuel et adaptatif pendant la période du
développement. T
Les différents niveaux de sévérité sont désormais définis sur la base du fonc-
IN
tionnement adaptatif et non plus sur la base du score du QI parce que c’est le
fonctionnement adaptatif qui détermine le niveau d’assistance requis.
PR

Concernant le critère B, pour remplir les critères diagnostiques du han-


dicap mental, le déficit du fonctionnement adaptatif doit être directement
T

en rapport avec les déficits intellectuels (intellectual impairments) décrit dans


NO

le critère A.
La prévalence du retard mental est de 1 % d’après le DSM-5. L’âge de
DO

dépistage est en général précoce si le retard mental est important, alors qu’il
peut ne se faire que tardivement, pendant les premières années de l’école,
si le retard mental est léger.
Le DSM-5 insiste sur le risque suicidaire dans la population des patients
ayant un retard mental, et donc sur la nécessité de rechercher les pensées
suicidaires pendant les processus d’évaluation. Il rappelle aussi, comme le
fait la CIM-10, que les troubles mentaux sont trois à quatre fois plus fré-
quents au sein de cette population que dans la population générale. Le rôle
des tiers informants est essentiel pour mettre en évidence des symptômes
tels que l’irritabilité, la dérégulation de l’humeur, les conduites agressives,
les problèmes de l’alimentation, les troubles du sommeil, et pour évaluer le
fonctionnement adaptatif dans les différents contextes de vie.
Chez cette population, les troubles mentaux et neurodéveloppementaux
les plus fréquemment associés sont le déficit de l’attention/hyperactivité,
le trouble bipolaire, la dépression, les troubles anxieux, le trouble du spec-
tre de l’autisme, les mouvements stéréotypés, les troubles du contrôle des
impulsions et le trouble neurocognitif majeur (ce dernier terme est utilisé
par le DSM-5 pour désigner les différents types de démence).
Retard mental 17

Tableau du retard mental à l’âge adulte


Le retard mental se manifeste de façon très variée ; plusieurs facteurs
contribuent à cette diversité : la sévérité du handicap cérébral, la présence
éventuelle d’un syndrome génétique, l’environnement dans lequel évolue
la personne et bien sûr la personnalité et la singularité propres à chaque
individu. Même si le DSM-5 a fondé la répartition du handicap intellectuel
sur le soutien nécessaire pour l’individu, l’ancienne classification, répartis-
sant le handicap en léger, moyen et sévère, nous paraît encore pertinente
pour mieux décrire les manifestations cliniques du retard mental.
Les signes apparaissent généralement dans la petite enfance mais parfois,
dans les formes légères, elles ne sont visibles que lors de l’entrée à l’école.

Retard mental léger


Dans le retard mental léger, l’adulte peut avoir trouvé une adaptation satis-
faisante aux exigences de la vie. Les adultes porteurs de retard mental léger
parlent en faisant des phrases grammaticalement correctes, le langage oral
T
reste cependant simple. Ils sont capables d’effectuer seuls beaucoup de
IN
gestes de la vie quotidienne, ont une certaine capacité pour lire, écrire et
calculer. Certains peuvent faire mentalement des additions simples, mais
PR

pas d’autres opérations ; d’autres ont besoin de calculer sur les doigts, même
pour les additions simples. Ils sont souvent scolarisés dans des classes adap-
T

tées (CLIS ou ULIS) ou dans des établissements spécialisés. Beaucoup d’entre


NO

eux, après une enfance difficile et des apprentissages très lents, parviennent
à avoir un comportement social adapté, qui permet d’avoir des amis et
DO

d’exercer un métier. Ils peuvent travailler, en milieu ordinaire ou protégé.


Si le métier exercé est peu exigeant sur le plan intellectuel le handicap peut
même rester inaperçu.

Retard mental moyen


Dans le handicap mental moyen, les sujets s’expriment avec des phrases
simples, souvent incorrectes (le langage est asyntaxique). Ils ne savent en
général ni lire, ni écrire, ni calculer. La scolarité en milieu ordinaire n’est pas
possible. Les sujets porteurs de handicap mental moyen sont autonomes
pour les gestes simples de la vie (manger, faire sa toilette, etc.) mais, dès
qu’il s’agit d’activités plus complexes (faire des achats, prendre les trans-
ports en commun, etc.), ils ont besoin d’aide et de surveillance. Certains
peuvent travailler en milieu protégé, exerçant des tâches simples.

Retard mental sévère


Dans le retard mental sévère (grave ou profond), les sujets sont dépendants
et ont besoin d’une aide et d’une surveillance constate (la présence d’une
18 Notions cliniques

« tierce personne »). La dépendance est telle que, dans la plupart des cas,
les personnes, surtout quand leurs parents sont décédés ou ne sont plus en
capacité de s’occuper d’eux au quotidien, ont besoin de vivre en institution.
Leur langage est rudimentaire, se limitant à quelques mots ou même à des
sons inarticulés ; parfois, des phrases stéréotypées sont possibles. Dans ce
profil, les troubles neurologiques, tels que l’épilepsie, sont fréquents ; la
motricité est généralement réduite, la personne ne pouvant effectuer les
gestes simples et ayant des difficultés importantes de coordination motrice ;
le contrôle sphinctérien peut être atteint. La vie sociale est très réduite,
voire absente, le sujet ne peut prendre l’initiative des interactions sociales
autrement que pour réclamer des besoins très concrets et ne comprend pas
les notions de conversation ou d’amitié.
Du point de vue de la TCC, deux types de difficultés revêtent une impor-
tance particulière dans cette population : les anomalies cognitives et les dif-
ficultés affectives, les dernières découlant, en grande partie, des premières.
Ces anomalies sont intéressantes à repérer surtout chez les personnes ayant
un handicap mental léger car, lorsque le handicap est plus sévère, elles sont
T
noyées dans l’ensemble des difficultés.
IN
Sur le plan cognitif, les principales anomalies retrouvées sont [Pulsifer,
1996] :
PR

• des déficits attentionnels ;


• une perturbation de la mémoire à court terme (encodage de l’informa-
T

tion) ;
NO

• une perturbation du traitement séquentiel de l’information ;


• des déficits variables dans le domaine du langage et du repérage visuo­
DO

spatial.
Les problèmes affectifs et comportementaux sont nombreux. Les sujets
porteurs de DI ont souvent une faible estime d’eux, problème que l’on
pourrait attribuer à toutes les mauvaises expériences (mise à l’écart, moque-
ries, échecs) qu’ils ont souvent subies depuis leur enfance. Ils sont capables
de s’attacher aux autres mais cet attachement reste peu nuancé, se faisant
en tout ou rien. Ils ont des difficultés à comprendre les situations sociales et
expriment souvent un jugement moral qui correspond à l’âge de dévelop-
pement, donc plutôt rigide, ainsi que des difficultés pour tolérer l’attente
et la frustration.

Du retard mental sans autisme


Sandrine est une femme de 32 ans ; elle vit dans un foyer spécialisé et tra-
vaille dans un ESAT. Elle maîtrise les gestes de la vie quotidienne et arrive à se
débrouiller dans les différentes situations de la vie. Elle parle, fait des phrases
correctes et compréhensibles malgré quelques défauts d’élocution.

Retard mental 19


Sandrine sait de façon naturelle aborder les gens, initier une conversation sur
des sujets courants. Elle regarde ses interlocuteurs dans les yeux et utilise les
gestes habituels qui accompagnent le discours, elle sait garder une bonne dis-
tance interpersonnelle et peut évaluer ce que son interlocuteur attend d’elle.
Le tout reste cependant empreint d’une certaine naïveté et d’un manque de
nuance, rappelant ce que l’on peut voir chez un grand enfant.
Son vocabulaire est limité, elle ne comprend pas les mots complexes ou les
termes administratifs, ni des concepts trop abstraits.
Elle comprend bien les émotions que les autres expriment et, dans la plupart
des cas, peut imaginer ce que ses actes et paroles entraînent chez les autres ;
elle arrive alors à ajuster ses propres comportements. Par exemple, si elle voit
qu’une de ses collègues de travail est en difficulté pour mettre des objets dans
son sac, elle lui pose des questions et lui offre de l’aide ; et si elle voit que cette
offre d’aide agace la collègue elle se sent déçue : « je veux l’aider mais elle ne
veut pas ». Elle arrive cependant à laisser l’autre tranquille et peut parler de sa
déception aux éducateurs qui l’accompagnent au foyer.
T
Différencier autisme et retard mental
IN

Le retard mental et l’autisme sont deux syndromes distincts, bien que sou-
PR

vent associés. Cinquante pour cent environ des personnes porteuses d’un
TSA ont aussi un retard mental et 20 % de celles ayant un retard mental
T

ont en même temps un TSA. Plus le RM est sévère, plus il est probable
NO

que la personne a en même temps un syndrome autistique. Cependant,


lorsque le RM est profond, le diagnostic différentiel avec l’autisme devient
DO

quasi impossible, notamment en l’absence de langage. Dans ce cas, certains


signes cliniques sont en faveur d’un TSA associé : retrait et tendance à l’iso-
lement, comportements autoagressifs (quand ceux-ci semblent servir à évi-
ter le contact social), préférence pour les activités solitaires, stéréotypies ges-
tuelles [Matson, 2008]. Les personnes ayant un retard mental sans autisme
ont généralement un profil cognitif homogène, leurs performances dans la
vie quotidienne et aux tests cognitifs étant atteintes au même degré dans
tous les domaines. Ils n’ont pas les « îlots de compétences » des personnes
autistes et sont davantage capables de réciprocité socioaffective [Kan, 2008].
La population porteuse de TSA et/ou de handicap mental est particuliè-
rement fragile sur le plan psychique, d’où un besoin accru de soins psy-
chiatriques et psychothérapiques. Les psychotropes, utilisés à bon escient et
dûment surveillés et évalués, offrent de grands bénéfices ; leur action reste
cependant limitée, l’essentiel des soins et de l’accompagnement devraient
se faire avec l’aide de la psychothérapie comportementale et cognitive.
3 Généralités sur la TCC
Les TCC sont souvent perçues comme un ensemble de techniques, ou une
« boîte à outils » dans laquelle on peut piocher, choisir une méthode puis
l’appliquer au patient pour obtenir une amélioration de ses symptômes. Il
est vrai qu’en TCC nous disposons de techniques puissantes, dont l’applica-
tion isolée peut parfois induire une réduction significative et durable de la
souffrance psychique. Cependant, cette façon de faire n’est pas la plus inté-
ressante à notre sens et, en tout cas, n’est pas la plus utile pour le patient.
Les TCC sont avant tout une façon de voir le monde et d’analyser la
complexité du psychisme humain. Il s’agit d’adopter un esprit scientifique,
loin de tout dogmatisme, et de procéder par hypothèse, en partant des lois
de l’apprentissage (le lecteur non familiarisé avec ces lois de l’apprentissage
en trouvera une présentation simplifiée dans les chapitres sur la conceptua-
lisation). Ainsi, confronté à un problème clinique, le thérapeute, en colla-
T
boration avec son patient, fera des observations structurées, à partir des-
IN
quelles il procédera à la conceptualisation du cas, puis en tirera des pistes
pour une thérapie qu’il mettra en application et évaluera.
PR

La TCC se distingue ainsi des modèles de thérapie fondés sur l’interpré-


tation des symptômes, sur le pouvoir de l’inconscient ou sur l’utilisation
T

du « transfert » comme support thérapeutique. Elle se distingue aussi des


NO

thérapies qui s’intéressent aux comportements et pensées du sujet, mais qui


n’utilisent pas la méthode expérimentale. Cependant, il est important de
DO

rappeler que le souci de scientificité ne signifie pas que la TCC peut appor-
ter une solution à tous les problèmes ; le thérapeute comportementaliste
travaille en collaboration avec les autres professionnels et dans le respect
du cadre d’intervention et de l’intérêt du patient. Il peut encourager son
patient à accepter un traitement médicamenteux lorsque celui-ci semble
nécessaire, en même temps ou à la place de la TCC. Parfois, face à des symp-
tômes difficiles à diminuer, il peut décider avec son patient d’accepter ces
symptômes et d’apprendre à vivre avec.
Les origines scientifiques et expérimentales de la TCC sont solides. Les
expériences sur l’analyse du comportement sont adaptées à la recherche
en laboratoire et donnent des résultats validés scientifiquement, et d’une
grande valeur. Néanmoins, l’application de ces données scientifiques dans
les contextes cliniques nous confronte à la complexité de la « vraie » vie :
les stimuli sont toujours nombreux et d’une grande diversité, et beaucoup
en sont internes (sensations physiologiques ou événements cognitifs)
et ne se prêtent pas facilement à l’observation ; les séquences compor-
tementales (stimulus, réponse, conséquence) s’enchaînent rapidement,
échappant aux grilles que le thérapeute demande de remplir à son patient ;

TCC dans l’autisme et le retard mental


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24 Thérapies comportementales et cognitives

les comportements (c’est-à-dire les réponses) sont complexes, les phéno-


mènes moteurs, verbaux, cognitifs, émotionnels et corporels apparaissant
presque au même moment, empêchant patient et thérapeute de repérer
des séquences comportementales claires ; les conséquences (les stimuli
conséquents) peuvent aussi être très subtiles, internes (comme un individu
qui se débarrasse de sa douleur en criant parce que le fait de crier stimule le
corps et fait « oublier » les sensations corporelles gênantes) ou alors perçus
uniquement par le sujet qui les subit.
C’est cette complexité qui rend souvent inutilisable en l’état le raison-
nement basé seulement sur la séquence « stimulus → réponse → consé-
quence », et c’est ce qui nous incite à faire appel à des modèles complé-
mentaires, tels que l’approche cognitive, les théories focalisées sur les
émotions ou les travaux reliant les actions aux valeurs qui comptent pour
le patient. Les séquences d’apprentissage répondant et opérant ne suf-
fisent plus pour rendre compte du fonctionnement psychique du sujet,
mais elles interviennent tout le temps à l’intérieur de ces nouvelles théo-
ries et « vagues » de la TCC car elles restent la base de toute théorisation
T
sur l’apprentissage.
IN
Prenons l’exemple du sujet phobique, à qui son thérapeute propose des
tâches d’exposition ; il peut avoir des réticences, des craintes, parfois la
PR

certitude de ne pouvoir y arriver. Le thérapeute, grâce aux techniques de


l’entretien motivationnel, aidera son patient à savoir pourquoi ces exercices
T

sont importants pour lui et à se sentir capable de les faire. L’éclairage de la


NO

psychologie positive et de la thérapie d’acceptation et d’engagement (accep-


tance and commitment therapy – ACT) aidera le sujet à relier ces exercices
DO

aux valeurs auxquelles il tient et à ses projets de vie, ce qui constituera un


puissant renforcement positif anticipé. Quand le sujet fait l’expérience de
l’anxiété qui augmente puis diminue à la fin de l’exposition, il acquiert
en réalité un apprentissage sous forme d’un contre-conditionnement, le
stimulus phobogène sera associé à la diminution et non plus à la montée de
l’anxiété ; de plus, cette expérience vécue modifiera les schémas de pensée,
notamment les croyances de peur et d’incapacité.
Si le thérapeute commence par pratiquer la restructuration cognitive
chez son patient, il l’aide à regarder ses pensées comme des phénomènes
observables, qui s’inscrivent dans des séquences et des interactions avec les
autres phénomènes (actions, émotions, sensations corporelles). À la fin de
cet apprentissage, le patient fait le lien entre les pensées alternatives et un
mieux-être (notamment diminution de la tristesse et de l’anxiété), ce qui
peut être regardé comme une séquence d’apprentissage opérant.
La TCC, malgré des progrès notables ces dernières années, reste peu
connue des professionnels de la santé en France, même dans les milieux de
la santé mentale, chez des professionnels attachés à d’autres visions théo-
riques du psychisme humain. Certains de ceux-ci pensent, et font croire au
Généralités sur la TCC 25

public, que la TCC cherche à « dresser » les patients, à les faire entrer dans
les normes sociales ou qu’elle leur impose des objectifs thérapeutiques qui
ne sont pas les leurs. En réalité, rien n’est plus loin de l’esprit de la TCC que
ce type de croyances. La conceptualisation, base de toute thérapie compor-
tementale et cognitive, tient toujours compte de la relation thérapeutique
et de la motivation du patient, et l’empathie est une qualité sur laquelle
toutes les formations en TCC insistent. Quand la TCC parle de normalité, il
ne s’agit pas d’un jugement moral ni d’un objectif thérapeutique à attein-
dre, mais d’un repère statistique qui permet au patient et à son entourage
de mieux comprendre leur propre fonctionnement par rapport à celui de la
société. Le but de la TCC est en quelque sorte de rendre le sujet l’artisan de
son propre comportement.
Nous voyons ainsi que le terme « comportementales et cognitives »,
consacré par l’usage, est un peu réducteur ; comme on le verra tout au
long de ce livre, la TCC prend en compte de nombreux autres paramètres,
non seulement les comportements observables et les cognitions. Comme
le lecteur l’aura remarqué, nous aimons dire « la » TCC, au singulier, car
T
malgré l’immense richesse des TCC, l’esprit et le savoir-faire qu’impliquent
IN
ces thérapies font leur unité.
PR

Déroulement d’une TCC


T

La figure 3.1 montre la progression habituelle d’une TCC. La thérapie


NO

commence par des rencontres initiales, qui permettent de faire connais-


sance, d’établir une relation de confiance et de vérifier l’indication d’une
DO

TCC. Elles permettent aussi de se mettre d’accord sur l’objectif de la thé-


rapie et, si l’objectif n’est pas clair dans l’esprit du patient ou dans celui
du thérapeute, les rencontres initiales peuvent consister en entretiens
motivationnels ou d’autres démarches qui aident le patient à résoudre des
problèmes préliminaires ou à prendre des décisions. Une fois l’objectif de
la thérapie fixé, un contrat thérapeutique, écrit ou oral, peut être établi ;
il précise, en plus de l’objectif, le nombre approximatif de séances et les
techniques à utiliser. Depuis le début des rencontres et tout au long de la
thérapie, le thérapeute développe la démarche fondamentale de la TCC,
appelée conceptualisation ou formulation de cas, qui comporte l’analyse
fonctionnelle des principaux comportements problématiques, ainsi qu’une
compréhension globale du sujet.

Analyse fonctionnelle ou conceptualisation ?


L’analyse fonctionnelle est l’élément central, le plus caractéristique, de la
TCC. C’est la rencontre des données de la recherche scientifique (en psy-
chologie expérimentale) avec la singularité du sujet (figure 3.2).
26 Thérapies comportementales et cognitives

T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 3.1. Déroulement typique d’une TCC.

L’AF peut se définir comme l’élaboration d’hypothèses sur les détermi-


nants d’un comportement ; elle doit être un travail sur mesure [Orlemans
et al., 1995] et elle est différente de la démarche médicale, qui établit un
diagnostic à l’aide de classifications psychiatriques et en déduit le traite-
ment.
En pratique clinique, l’AF sert généralement à étudier les comportements
problématiques, mais elle est aussi valable pour étudier les comportements
normaux. Ainsi, le thérapeute peut utiliser cette démarche, pour étudier
non seulement les comportements ayant motivé la consultation, mais
aussi les comportements procurant du plaisir chez le patient, ainsi que les
propres comportements du thérapeute pendant la thérapie. C’est aussi un
Généralités sur la TCC 27

Figure 3.2. Place de la conceptualisation.


T
IN
procédé précieux pour analyser et améliorer la relation thérapeutique et la
motivation du patient.
PR

Dans la « conceptualisation de cas », le thérapeute procède à l’analyse fonc-


tionnelle des principaux comportements pathologiques et des principaux
comportements épanouissants du sujet. Il tente de mettre au jour l’histoire
T

des apprentissages chez son patient, c’est-à-dire les liens entre les différents
NO

troubles et événements de vie, et la façon dont chaque type de comportement


a pu influer sur l’autre. Cette « théorie globale » du sujet [De Vries, 2010 ; Van
DO

Rillaer, 2012] comporte aussi une considération attentive de la motivation du


patient, de l’alliance thérapeutique et du rôle joué par l’entourage.
En résumé, l’analyse fonctionnelle étudie les déterminants d’un compor-
tement selon les théories de l’apprentissage, notamment selon le modèle du
conditionnement opérant : on parle de l’analyse fonctionnelle d’un (seul)
comportement. C’est la démarche fondamentale en TCC.
La conceptualisation est une démarche plus complexe :
• d’une part, elle pose des hypothèses sur les déterminants d’un compor-
tement en utilisant, en plus des théories de l’apprentissage, les théories
cognitives et les théories émotionnelles ;
• d’autre part, elle porte sur un « cas », non plus sur un seul comportement,
c’est-à-dire qu’elle procède à l’AF des principaux comportements du sujet
(que ceux-ci soient pathologiques ou épanouissants), pose des hypothèses
sur les rapports entre eux (tel comportement facilite l’apparition de tel
autre), étudie les comportements de motivation (ou de non-motivation)
produits par le patient, étudie les comportements de l’alliance thérapeu-
tique (comment patient et thérapeute interagissent) et fait aussi des hypo-
thèses sur « la théorie globale » du sujet.
28 Thérapies comportementales et cognitives

Analyse fonctionnelle et conceptualisation


DM est un jeune homme porteur d’un handicap mental léger avec un syndrome
autistique. Il vit dans un foyer et travaille dans un établissement adapté pour
personnes handicapées. Les éducateurs du foyer ont demandé de l’aide parce
que DM, qui allait relativement bien ces dernières années, exprime beaucoup
d’angoisse à l’idée de sortir de chez lui, et parce qu’il a fini par refuser de sortir
le matin pour aller au travail.
Les thérapeutes ont rassemblé beaucoup d’informations, venant du patient
lui-même, de la famille et des accompagnants. L’AF dans ce cas se focalise sur
le comportement problématique « ne pas sortir de chez soi ». Elle tentera de
mettre au jour les cognitions (pensées, autoverbalisations, images mentales),
les émotions et les sensations corporelles associées à ce comportement et de
les mettre en lien avec les stimuli antécédents et les conséquences. Elle pourra
aboutir, si la situation correspond à une simple agoraphobie, à un protocole
d’exposition progressive, éventuellement avec des techniques de relaxation ou
de restructuration cognitive pour faire face à l’anxiété.
T
Quant à la conceptualisation dans ce cas, elle comportera, en plus de l’AF du
IN
comportement agoraphobique, une AF des principaux comportements qui sem-
blent significatifs dans la vie de DM, par exemple « avoir peu d’occupations
en dehors du travail », « avoir des schémas de mésestime de soi » (ce dernier
PR

schéma, par exemple, peut favoriser la croyance, dans l’esprit du patient, qu’il
est une personne faible et qu’il ne peut pas s’en sortir). La conceptualisation
T

étudiera aussi la difficulté générale de DM pour gérer son anxiété (même avant
NO

l’apparition du trouble), qu’il a peut-être du mal à identifier et à réguler.


La conceptualisation peut aussi porter sur la motivation des accompagnants,
leurs attitudes, leurs attentes et croyances à propos des résidents dont ils
DO

s’occupent. Le thérapeute pourrait même étudier sa propre motivation


pour s’intéresser à cette situation (ai-je le temps ? l’envie ? pensé-je pouvoir
y arriver ?).

Dans cet ouvrage, nous utiliserons le terme « analyse fonctionnelle » dans


son sens premier pour désigner spécifiquement l’étude des contingences et
des processus d’apprentissage répondant et opérant. L’AF est ainsi le noyau
de la conceptualisation, parfois suffisant pour dégager des pistes de thérapie
qui améliorent la situation. Cependant, dans la plupart des cas, le théra-
peute devra ajouter d’autres éléments essentiels que nous avons évoqués et
que nous détaillons ci-après.
Le thérapeute construit sa conceptualisation au début de la thérapie,
avant de procéder aux interventions thérapeutiques, mais ce processus est
constant et se poursuit tout au long de la thérapie. Il existe ainsi une inter-
action permanente entre la conceptualisation, la motivation pour le chan-
gement, l’alliance thérapeutique et l’application des techniques, chacun de
ces éléments enrichissant les autres (figure 3.3).
Généralités sur la TCC 29

T
IN

Figure 3.3. Interactions entre les éléments de la thérapie.


PR
T

Conceptualisation
NO

Une conceptualisation complète devrait tenir compte des éléments suivants :


• le contexte clinique actuel ;
DO

• les éléments pertinents de l’histoire du sujet (surtout l’histoire des


apprentissages) ;
• l’analyse fonctionnelle du trouble actuel (c’est-à-dire du trouble pour
lequel le thérapeute est sollicité) ;
• les schémas de pensée (ou schémas cognitifs) ;
• les émotions ;
• les forces et compétences du patient et de son entourage ;
• le choix des paramètres à mesurer ;
• la motivation du sujet (et éventuellement des proches, des aidants fami-
liaux ou professionnels qui ont de l’influence sur ses comportements) ;
• l’alliance thérapeutique (avec le patient et avec ses proches).
La distinction de ces éléments a surtout un intérêt didactique ; elle aide
le thérapeute à les apprendre et à les observer dans la thérapie qu’il mène
ou à laquelle il participe, ce qui lui permet de mieux les maîtriser. Dans la
pratique, les différents éléments de la conceptualisation sont intriqués, cha-
cun ayant un effet, et apportant un éclairage, sur l’autre. Prenons l’exemple
d’une personne porteuse d’un TSA avec une déficience mentale légère, et à
qui nous souhaitons proposer une thérapie d’entraînement aux habiletés
30 Thérapies comportementales et cognitives

sociales. Pour présenter cette thérapie au patient, il faut tenir compte de sa


motivation à s’y engager, et lorsqu’on pratique l’AF et que l’on partage le
modèle avec le patient et ses parents, ceux-ci prennent davantage conscience
de la façon dont les contingences des interactions sociales entraînent des
conséquences fâcheuses. Cette analyse fonctionnelle, expliquée au patient,
à ses parents et à ses éducateurs peut nourrir un espoir raisonnable de voir
la qualité de vie de la famille s’améliorer grâce à une thérapie adaptée. La
motivation aura ainsi augmenté, tout simplement grâce à une analyse fonc-
tionnelle bien menée et correctement partagée.
Voici une brève description de chacun de ces éléments.

Contexte clinique actuel


Le thérapeute commence par accueillir le patient de façon chaleureuse et
authentique. Il lui pose des questions sur son contexte de vie, sa scolarité,
son travail. Il pose des questions sur le motif de la consultation, comment le
T
problème est apparu, comment il a évolué, il mène donc un interrogatoire
soigneux, en fonction de la disponibilité du sujet. Dans la population qui
IN

nous intéresse ici, une grande partie de ce travail sera faite avec les tiers qui
PR

aident le patient au quotidien.


À ce stade, le thérapeute doit se méfier du « piège de l’évaluation » [Miller
et Rollnick, 2012], c’est-à-dire de la tendance à poser beaucoup de ques-
T

tions pour obtenir un maximum de renseignements alors que le patient


NO

ou ses accompagnants n’y sont pas prêts. Parfois, le patient a vécu un


traumatisme psychique ou un événement douloureux qui fait surgir des
DO

émotions pénibles, et cet être humain en souffrance a tout simplement


besoin d’exprimer ses émotions et de confier sa souffrance à un thérapeute
bienveillant. Le thérapeute doit respecter ce besoin du moment, accorder
un temps à son patient et à sa famille et « valider » leurs émotions avant de
passer à une TCC structurée.
Il faut cependant se méfier aussi du piège inverse du « bavardage » : par
empathie et pour fortifier l’alliance thérapeutique, le thérapeute peut se
prendre à écouter passivement son patient pendant plusieurs séances ou à
bavarder indéfiniment avec lui. C’est plus facile (pour le thérapeute et pour
le patient) qu’une TCC, mais c’est moins utile.
Souvent, le patient est amené par sa famille, qui s’inquiète parce qu’elle
perçoit chez lui une détresse (tristesse, retrait, naïveté dans les relations
sociales, colères explosives, etc.) et qui désire ardemment qu’une thérapie
efficace commence, alors que le patient lui-même réagit avec passivité, voire
avec hostilité, aux « accusations » de sa famille. Dans ce type de situation, il
est indispensable que le thérapeute prenne le temps d’amoindrir ce décalage
dans la vision des choses et qu’il commence par travailler sur la motivation
et l’alliance thérapeutique avant de passer à une thérapie plus technique.
Généralités sur la TCC 31

La TCC accorde une importance au diagnostic posé selon les critères du


DSM. Non pas que la thérapie en découle automatiquement (elle est au
contraire, comme on le verra plus loin, le fruit de la conceptualisation),
mais avoir un diagnostic psychiatrique le plus précis possible a deux avan-
tages majeurs :
• d’une part, cela permet de confirmer l’indication générale d’une TCC et
l’absence de contre-indication. Par exemple, un TOC ou une dépression
d’intensité moyenne est une bonne indication de TCC, alors que, si l’on
diagnostique une dépression sévère ou un trouble délirant aigu, il faut, dans
la plupart des cas, privilégier le traitement médicamenteux ;
• d’autre part, le diagnostic posé selon une classification internationale
reconnue permet un langage commun entre les cliniciens et facilite la trans-
mission d’informations dans l’intérêt du patient (le médecin traitant, le
médecin-conseil de la caisse, le pharmacien, etc., ne sont pas censés bien
connaître la TCC).
Les entretiens initiaux s’attacheront aussi à mettre en évidence les comor-
bidités. Le trouble pour lequel le patient vient nous consulter est souvent
T
lié à d’autres problèmes, psychiques ou somatiques, dont la prise en charge
IN
doit se faire simultanément, problèmes qui ont souvent un retentissement
sur le trouble cible et sur la façon dont le thérapeute interviendra.
PR

Plus particulièrement dans le contexte du handicap, il est important de


repérer (ou de faire appel à un autre professionnel compétent pour diagnos-
T

tiquer) à la fois :
NO

• les troubles somatiques associés : les comportements problématiques ou


inhabituels étant souvent provoqués ou aggravés par une douleur ou par
DO

d’autres sensations physiques gênantes ;


• les troubles psychiques associés : car l’existence d’un trouble psychique
associé peut modifier le tableau clinique, entraîner des troubles du compor-
tement et aggraver les difficultés d’apprentissage. En plus, le trouble associé
peut souvent bénéficier d’un traitement simple et efficace, comme dans le
cas de l’épilepsie ou de la dépression, ce qui n’est pas le cas de l’autisme ni
du handicap intellectuel.

Éléments historiques
On définit souvent la TCC comme une thérapie de l’« ici et maintenant ».
Il est vrai que l’objet principal en sera toujours la souffrance actuelle du
patient. Le thérapeute s’intéressera aux facteurs actuels qui régissent le
comportement, et très peu au passé. Cette approche classique de la TCC
peut être suffisante et très utile dans les troubles simples au sein de la
population générale (tels qu’une phobie spécifique sans autre problème)
mais, dès qu’il s’agit d’un problème complexe (trouble de la personnalité,
handicap psychique, comorbidité, etc.), le thérapeute aura besoin, comme
32 Thérapies comportementales et cognitives

nous l’avons évoqué, de faire une « vraie » conceptualisation. Il revien-


dra alors sur le passé du sujet, sur l’histoire développementale et sur l’his-
toire des apprentissages. Ces éléments sont précieux pour construire une
« théorie globale » sur le sujet, comme nous le montreront les nombreux
cas cliniques présentés dans ce livre.

Observations structurées
Les observations structurées sont une étape fondamentale de la TCC.
Elles permettent de bien définir le problème à traiter et de préparer
l’analyse topographique. Elles peuvent être faites par le patient quand
son niveau intellectuel le permet. Dans le domaine du handicap mental,
ce sont le plus souvent les aidants (famille, éducateurs, etc.) qui feront
les observations.
Nous qualifions ces observations de « structurées » parce qu’elles se font
à l’aide d’outils, généralement de tableaux, que le thérapeute met au point
avec le patient et/ou son entourage, pour enregistrer des informations spé-
T
cifiques. Ces informations doivent être factuelles, ce qui signifie qu’il faut y
IN
éviter toute interprétation ou hypothèse sur la causalité. Ainsi, dire que telle
personne semble fatiguée ou démotivée n’est pas une information factuelle
PR

et objective. Dire que tel jour elle est restée plus longtemps que d’habitude
dans son lit est une information factuelle. Décrire et quantifier sont les deux
T

maîtres mots de ces observations.


NO

Le tableau 3.1 montre un exemple de grille que le thérapeute peut propo-


ser aux accompagnants d’un patient.
DO

Si le comportement cible est déjà bien défini, et si nous réfléchissons sur


ses liens avec certains facteurs de l’environnement, nous pouvons utiliser un
outil comme le tableau 3.2. Dans ce type d’outils, les comportements à obser-
ver et leurs possibles antécédents sont déjà pressentis et nous souhaitons
confirmer ou infirmer l’hypothèse sur ces liens. Le tableau 3.2 concerne un

Tableau 3.1. Exemple d’une grille permettant de recueillir les observations


structurées.
Date et heure Comportement Contexte Antécédents Conséquences
(les (lieu, ce que la (ce qui (ce qui
manifestations personne et les s’est passé s’est passé
motrices, autres étaient juste avant juste après
émotionnelles, en train de l’apparition du l’apparition du
verbales, etc.) faire, etc.) comportement) comportement)
Généralités sur la TCC 33

Tableau 3.2. Exemple de grille d’observation pour vérifier des hypothèses.


Jour L M M J V S D L M M J V S D
Date 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25
Matin ag1 ob1 ag1
Après- ag12 ag2 ag2 ag2 ag1 ag1 ag1
midi ob1 ob1 ob2 pl1
Soir pl3 pl2 pl3 pl1 ag1 ob1 ag1 pl1
pl1
ob1
Nuit pl1 ob1 pl1 pl1 ag1 pl2 pl1
pl1
ag : agression sur les personnes ; ob : jet d’objets ; pl : pleurs. Le chiffre qui suit représente le
nombre d’occurrences de ce comportement.

homme de 36 ans vivant dans une institution et ayant un handicap mental


sévère avec un syndrome autistique. Il est incapable d’exprimer ses pensées
T
et émotions. Trois comportements, d’apparition récente, ont interpellé le per-
IN

sonnel : des gestes agressifs envers le personnel et les autres résidents, un jet
d’objets par terre et des crises de larmes. Le thérapeute a proposé au personnel
PR

de remplir cette grille pour vérifier les liens entre ces trois comportements
problématiques et des facteurs de l’environnement évoqués par le personnel.
T

Dans ce tableau, il y a davantage de crises de larmes le soir et davantage


NO

d’agression en début de semaine. Une telle constatation nous amènera,


d’une part, à émettre l’hypothèse que quelque chose attriste le patient
DO

le soir (anxiété, retour en chambre, tombée de la nuit, ennui, etc.) et par


conséquent à mieux aménager ce moment-là et, d’autre part, à rechercher
ce qui rend le début de la semaine si difficile pour le résident (retour d’un
week-end en famille, devoir se réadapter au rythme du service ou au chan-
gement de personnel au début de chaque semaine, etc.).

Choix des paramètres à mesurer


Le but d’une TCC étant forcément d’induire un changement concret dans
la vie de la personne, c’est-à-dire de nouveaux comportements observables
et mesurables, il est indispensable de mesurer les comportements concernés
avant et après la thérapie.
Ainsi, avant de commencer les interventions actives, et dès que l’objectif
de la thérapie commence à émerger, on définira avec le patient et/ou avec
ses aidants un ou deux paramètres (ou variables) qui, mesurés avant puis
après l’intervention, permettront d’en estimer l’efficacité. On peut aussi
faire des mesures quelques mois après la fin de la thérapie pour vérifier que
le résultat obtenu se maintient dans le temps.
34 Thérapies comportementales et cognitives

Deux pièges guettent le thérapeute durant cette étape :


• d’une part, ne pas définir de paramètre dès le début car cela risquerait
de plonger thérapeute et patient dans une thérapie de bavardage inter-
minable ;
• d’autre part, définir trop de paramètres et passer beaucoup de temps
à évaluer avant de commencer la thérapie : par exemple, dire que les
mesures pour un patient anxieux doivent concerner le niveau général de
l’anxiété, l’intensité de l’humeur dépressive, la fréquence des attaques de
panique, la distance à laquelle il peut s’éloigner de son domicile, etc. On
imagine combien une telle insistance sur l’évaluation peut embrouiller
le patient et ses aidants (ainsi que le thérapeute !) et retarder les inter-
ventions actives.
Nous proposons de nous limiter à deux paramètres à mesurer. Par exem-
ple, avant de commencer une TCC chez un patient dépressif, on décide que
les paramètres à mesurer sont l’intensité de l’humeur dépressive et le temps
que le patient passe tous les jours à pratiquer ses loisirs favoris.
Le paramètre doit être une valeur précise et facilement mesurable. Chez
T
un patient ayant un retard mental léger, on peut déterminer un paramètre
IN
évaluable par le patient et un autre par ses aidants. Les mesures peuvent se
faire à l’aide d’outils standardisés lorsqu’ils existent et qu’ils sont utilisables
PR

dans la population ayant un handicap mental ou autistique, ou par des


outils « maison », par exemple compter le nombre de crises de colère ou les
T

comportements violents par semaine, ou estimer le niveau de l’anxiété sur


NO

une échelle de 0 à 10.


Il ne faut cependant pas oublier que l’amélioration de paramètres pré-
DO

cis doit contribuer au bien-être général du patient et de son entourage.


Il faut donc évaluer aussi la qualité de vie du patient de façon générale.
Il existe des outils standardisés pour mesurer l’impression clinique glo-
bale (clinical global impression – CGI). La qualité de vie pourrait être esti-
mée par des outils tels que l’échelle de satisfaction de la vie de Diener
et l’échelle de la qualité de vie de Marks, mais ces deux échelles sont
peu ou pas étudiées ni utilisables dans le domaine de l’autisme et du
handicap mental. Le thérapeute, face au cas singulier de son patient, peut
simplement comparer le niveau général de satisfaction du patient et de
ses aidants avant et après la thérapie, et vérifier que l’amélioration de
certains symptômes a contribué au bonheur et à la sérénité du patient et
de son entourage.

La TCC postule que les interventions proposées amélioreront les paramètres


choisis et le bien-être général du patient, de façon durable. Si tel n’est pas le
cas, le thérapeute devra réexaminer le problème de son patient et modifier la
conceptualisation pour proposer des interventions différentes.
Généralités sur la TCC 35

Analyse fonctionnelle à proprement parler


La troisième partie du présent ouvrage étant consacrée à la conceptualisa-
tion et à l’analyse fonctionnelle, nous nous limitons ici à rappeler quelques
points fondamentaux.
L’AF est, comme nous l’avons vu plus haut, l’élément le plus spécifique
de la TCC. C’est la procédure qui nous permet d’appliquer, sur le compor-
tement problématique, les principes de l’apprentissage classique et de
l’apprentissage opérant, ce qui nous aide à formuler des hypothèses sur les
facteurs de déclenchement et les facteurs de maintien.
Une ébauche d’AF peut se faire à partir de quelques exemples rapportés
par le patient (ou par son entourage), mais une AF complète se fait à partir
d’observations systématisées (recueillies à l’aide d’un tableau que le théra-
peute aura établi en commun avec le patient ou son entourage).
L’AF est un processus qui se poursuit tout au long de la thérapie. Les
nouvelles données, apportées par le patient ou constatées par le thérapeute,
permettent d’affiner l’analyse fonctionnelle en permanence, et l’évolution
T
de l’AF permet d’ajuster la thérapie.
IN
PR

Cognitions et schémas cognitifs


T

Les cognitions, telles que définies en TCC, sont les pensées, les discours
NO

intérieurs (les autoverbalisations), les souvenirs et les images mentales qui


surgissent dans l’esprit de la personne pendant la situation étudiée. La
composante « thérapie cognitive » de la TCC attache une grande impor-
DO

tance à la mise au jour, à l’étude et à la modification de ces cognitions.


Les schémas, eux, sont des règles implicites que nous avons dans notre
esprit. Plusieurs auteurs se sont intéressés plus spécifiquement aux sché-
mas. L’approche la mieux connue et qui dispose de la meilleure validation
empirique est sans doute celle d’Araon Beck (la thérapie cognitive), mais il
y a aussi celles d’Albert Ellis (la thérapie rationnelle émotive) et de Geoffrey
Young (la thérapie des schémas). Un point commun entre ces approches
cognitives est de considérer que les cognitions, les comportements et les
émotions apparaissent quand la situation vécue est interprétée et comprise,
implicitement, à travers les schémas cognitifs ; ceux-ci agissant comme un
filtre ou comme une grille de lecture grâce à laquelle le sujet analyse les
événements et le monde autour de lui.
Classiquement, la thérapie cognitive commence par étudier les situations
problématiques et les cognitions qui y sont associées, pour en déduire, met-
tre au jour et vérifier les schémas cognitifs. Cependant, plusieurs auteurs
(voir Persons, 2008, pour le détail) ont souligné que les schémas cognitifs
sont souvent apparents dès le début de la thérapie et que le thérapeute peut
36 Thérapies comportementales et cognitives

déjà, dès ses premières rencontres avec le patient, les repérer et y travailler.
Une telle intervention serait même plus intéressante en début de thérapie,
quand les schémas sont intensément, et plus fréquemment, activés par la
détresse émotionnelle du patient ; celui-ci pourrait ainsi plus facilement y
accéder et les rapporter à son thérapeute.
On peut alors s’interroger sur l’intérêt, voire sur la faisabilité, d’étudier
les schémas et les cognitions chez des personnes ayant un syndrome autis-
tique avec un retard mental. Comment accéder à leur pensée ? Nous verrons
grâce aux exemples cliniques qui suivront que le thérapeute en TCC a tout
intérêt à prendre en compte ces phénomènes cognitifs, même quand le
patient ne peut pas les verbaliser :
• avant de se pencher sur les schémas cognitifs il est important de connaître
le fonctionnement cognitif du sujet : c’est l’autre sens du mot « cognitif »
utilisé en psychologie et en médecine, qui se réfère à des capacités telles que
la compréhension, la mémoire, le jugement et le raisonnement. Ce point a
été abordé dans les chapitres cliniques sur le TSA et la DI ;
• ensuite, le patient, même avec un langage limité, peut souvent expri-
T
mer ce qu’il ressent, le thérapeute fera alors des hypothèses sur les cog-
IN
nitions du sujet, en gardant à l’esprit que ce ne sont que des hypothèses,
qu’il faudra vérifier et modifier avec le temps pour ne pas enfermer
PR

le patient dans les interprétations personnelles du thérapeute et de


l’entourage ;
T

• enfin, un des axes majeurs de notre travail de TCC dans le domaine


NO

du handicap est de faire aussi l’analyse fonctionnelle des comporte-


ments des accompagnants, des thérapeutes et de la famille, et de voir
DO

comment leur comportement peut influer sur celui du patient ; là les


cognitions et les schémas cognitifs sont plus accessibles et permettront
un travail très utile. Les exemples cliniques à la fin de cet ouvrage illus-
treront ce point.
Étudier les cognitions et les schémas cognitifs représente une part fonda-
mentale de la conceptualisation. Les personnes ayant un niveau intellectuel
normal, et même celles qui ont un retard mental léger, peuvent bénéficier
des approches cognitives habituelles, moyennant quelques adaptations.
De façon générale, il nous semble utile d’apprendre à « se passer de la
pensée » dans certaines situations, notamment chez les personnes qui
parlent beaucoup, qui détestent être félicitées ou qui n’ont pas les moyens
intellectuels nécessaires.
N’oublions pas que les contingences fonctionnent même si la personne
n’en a pas conscience. On peut dire que les contingences gouvernent nos
comportements, indépendamment de la pensée, quel que soit notre niveau
intellectuel. La clé de l’épanouissement est alors d’apprendre à manipuler
les contingences pour donner à la personne et à son entourage les moyens
de maîtriser son propre comportement.
Généralités sur la TCC 37

Cas clinique
« Christelle déteste être félicitée »
Christelle est une femme de 50 ans, porteuse d’un TSA avec une DI légère et
une symptomatologie anxieuse et obsessionnelle (très présente, mais ne rem-
plissant pas les critères d’une anxiété généralisée ni ceux d’un trouble obses-
sionnel compulsif). La symptomatologie anxieuse prenait en général la forme de
questions que Christelle adressait aux soignants concernant le déroulement de
la journée, ce qu’elle aurait le droit de faire et de ne pas faire, l’heure à laquelle
elle pourrait prendre sa douche. Les questions étaient répétitives et les réponses
apportées par les soignants n’entraînaient qu’un apaisement passager. Le trai-
tement psychotrope n’avait eu qu’un léger effet sur l’anxiété.
Christelle, en plus, se méfiait des demandes formulées par les soignants ; ses
schémas de pensée tournaient autour de cette croyance : « si on me félicite pour
mes progrès, on m’en exigera davantage, et on finira par m’obliger à retravailler
dans un ESAT, alors que je n’en suis pas capable ». Ainsi, elle déteste être féli-
citée. Les thérapeutes se sont ainsi trouvés privés de ce renforçateur naturel, si
fréquemment utilisé et apprécié par les thérapeutes et par les patients, à savoir
T
les félicitations et les encouragements. Ils ont alors eu recours au renforcement
IN
implicite. L’équipe a établi une liste des activités que Christelle appréciait, telles
que se promener, lire un texte en anglais avec un des éducateurs, recevoir un
PR

massage sur le dos, etc. Ils ont aussi défini avec elle les comportements souhai-
tés : ils ont préparé avec la patiente un classeur contenant les réponses à ses
T

principales questions. Quand elle posait une question, elle devait aller vérifier
elle-même la réponse dans le classeur.
NO

Chaque fois que Christelle émettait un comportement adapté, on lui donnait


la possibilité de bénéficier d’un de ses renforçateurs, cela sans insister sur les
DO

progrès accomplis. Les thérapeutes se limitaient à proposer l’activité sur un ton


neutre, sans faire allusion au comportement émis.
Le renforcement implicite a bien fonctionné : la fréquence des questions stéréo­
typées a baissé et celle des comportements adaptés a augmenté au fil des
semaines.

Certains patients, ayant un TSA sans DI ou avec une DI légère, parlent


beaucoup. Leurs performances verbales sont impressionnantes mais, à les
écouter de plus près et à observer leur vie quotidienne, on est frappé de
voir leur peu d’autonomie, et de voir que leurs performances verbales les
desservent. Parler beaucoup, dans un langage simple ou recherché, nous
empêche souvent d’avoir une pensée performante, de vivre pleinement nos
émotions et de nous engager dans l’action. Il est alors de la responsabilité
du thérapeute de faire l’analyse fonctionnelle de cette logorrhée : contri-
bue-t-elle au bien-être et à l’évolution de l’individu ou correspond-elle à
un comportement d’évitement, sorte de solution de facilité, qui occupe le
psychisme de l’individu et le détourne d’autres activités, notamment de
l’action concrète ? Il est important dans ce cas de ne pas s’engager dans une
38 Thérapies comportementales et cognitives

thérapie à dominante cognitive. Chez ces personnes, une thérapie qui met
en avant la pensée et stimule la réflexion risque d’aggraver les troubles du
patient : l’anxieux se perdra encore plus dans ses ruminations anxieuses
et l’obsessionnel, celui qui pose tout le temps les mêmes questions, posera
encore plus de questions.
Bien sûr, dans une DI sévère, les capacités cognitives étant fortement
touchées, une TCC ne peut pas viser le contenu de la pensée du patient.
Elle s’adressera aux contingences de l’environnement, aux conditions de
vie, aux approches corporelles et sensorielles. La thérapie cognitive garde
cependant tout son intérêt dans les interventions qui visent la pensée et
les comportements des aidants familiaux et professionnels. On peut donc
dire que, même chez les personnes ayant une DI sévère, une restructuration
cognitive peut être proposée, qui aura néanmoins lieu dans l’esprit des thé-
rapeutes et des accompagnants, et qui aura dans beaucoup de cas des consé-
quences concrètes sur le bien-être du patient.
D’aucuns vivent mal l’idée que la psychothérapie puisse aussi s’appliquer
aux accompagnants, comme s’il s’agissait de juger le personnel et les parents.
T
Dans notre expérience, quand nous avons commencé à intervenir auprès
IN
de personnes porteuses de TSA avec DI, nous avons nous-mêmes vécu une
grande « restructuration cognitive » : l’idée prévalente en médecine et dans
PR

les établissements d’accueil (parfois aussi dans l’esprit des parents) était que
ces sujets, étant fortement handicapés, ne pouvaient plus évoluer, surtout
T

après avoir passé l’âge de l’adolescence. Notre expérience nous a vite mon-
NO

tré que tout être humain est capable d’apprendre, d’évoluer et de prendre
plaisir à le faire. La TCC préconise aux thérapeutes d’appliquer à eux-mêmes
DO

leurs outils thérapeutiques pour mieux réguler leurs comportements, leurs


émotions et leurs pensées, même en l’absence de pathologie. Faire l’analyse
fonctionnelle ou « conceptualiser » ses propres comportements et ceux des
professionnels et des parents doit évidemment se pratiquer dans l’empathie
et le respect de l’autonomie et du libre arbitre des uns et des autres.

Émotions
Bien que le terme « thérapies comportementales et cognitives » mette en
avant les comportements et les cognitions, les TCC se sont toujours intéres-
sées aux émotions : comment les repérer, nommer, distinguer, comment
en évaluer l’intensité, etc. La thérapie cognitive se propose d’agir sur les
émotions par le biais des cognitions. Plus récemment, les thérapies dites de
la « troisième vague » tentent d’agir directement sur les émotions, non pour
les modifier mais pour changer le rapport que l’individu entretient avec
elles. Ici, il s’agira donc plutôt de repérer les émotions pour les accepter,
pour les considérer comme des phénomènes normaux et pour les regarder
sans jugement.
Généralités sur la TCC 39

Forces et compétences du patient


(et de son entourage)
Le comportementalisme clinique, comme la psychologie et la psychiatrie,
s’est développé autour de la souffrance psychique et s’est principalement
occupé de traiter les troubles mentaux. Les comportementalistes se sont
cependant vite intéressés aux expériences positives de la vie et au rôle
des émotions agréables. Les débuts de cet intérêt se trouvent notamment
dans les travaux de Peter Lewinsohn sur la dépression. Ses études sur la
corrélation entre l’humeur d’un individu et le nombre d’activités plaisantes
dans lesquelles il s’engage remontent au début des années 1970 [Van
Rillaer, 2012 ; Lewinsohn et Libet, 1972].
Depuis, de nombreux chercheurs et cliniciens se sont intéressés à la
recherche du bonheur et à l’utilisation des affects agréables, des forces et
des compétences du sujet pour augmenter son bien-être psychique et pour
l’aider à faire face à l’adversité. On peut ainsi citer les travaux de Christine
Padesky sur la TCC fondée sur les forces, avec une démarche pratique qui
T
permet au clinicien de construire un modèle de résilience individualisé avec
IN
son patient [Padesky, 2012], ceux de Mihaly Csikszentmihalyi sur les expé-
riences optimales ou flow activities (que nous nommons dans notre travail
PR

quotidien « des activités absorbantes ») ou encore ceux de Martin Seligman,


de Christopher Peterson ou de Sonja Lyubomirsky.
T

La recherche sur les aspects positifs de la vie a pris un élan formidable


NO

avec le courant de la psychologie positive, fondée par Seligman et Peterson.


La psychologie positive est une réflexion scientifique sur le fonctionne-
DO

ment humain optimal ; elle étudie notamment ce qui accroît la santé et


contribue au bonheur des individus, aux relations satisfaisantes entre eux
et au bon fonctionnement des institutions. Il s’agit bien d’une « réflexion
scientifique », c’est-à-dire d’études qui nous aident à savoir quel type de
pensées ou de comportements est susceptible d’améliorer le bien-être ; il ne
s’agit pas d’une position dogmatique qui enjoint l’individu à pratiquer telle
activité pour devenir heureux.
Quelle que soit l’indication d’une TCC, la conceptualisation gagne à tenir
compte, en plus des difficultés et comportements pathologiques du patient,
de ses forces et compétences, plus généralement de ce qui va bien dans
sa vie. Cela signifie qu’en plus de l’analyse fonctionnelle des principaux
comportements pathologiques (par exemple des comportements pho-
biques et dépressifs), le thérapeute a tout intérêt à faire l’AF des principaux
comportements épanouissants. Par exemple, pourquoi un patient dépressif,
qui a désinvesti la vie sociale et professionnelle, arrive certains jours à sortir
de chez lui pour se promener le soir ou trouve un certain plaisir à voir
un de ses amis. Ces comportements épanouissants sont précieux, surtout
quand la thérapie, forcément centrée sur les comportements pathologiques,
40 Thérapies comportementales et cognitives

se trouve dans une impasse car, si le thérapeute amène le patient à identifier


les comportements épanouissants, à en augmenter la fréquence et à en trou-
ver d’autres, il peut minimiser la place des comportements problématiques
dans la vie du patient ; celui-ci vivra ainsi plus souvent des expériences de
réussite et de plaisir, et sa motivation pour persévérer dans la thérapie en
sera accrue ; il pourra même trouver des pistes pour diminuer le poids de la
souffrance dans sa vie.

Comportements épanouissants
Nous nommons ici « comportement épanouissant » tout comportement (au
sens large utilisé dans le présent ouvrage, c’est-à-dire les actions, paroles, émo-
tions, sensations corporelles, pensées, etc.) :
• faisable dans l’immédiat ;
• produisant un sentiment agréable ;
• utile à long terme (pour le bien-être, les apprentissages, l’estime de soi, la
santé, etc.). T
Les comportements épanouissants, s’ils ne sont pas suivis de renforcement, ris-
IN
quent de s’éteindre. Le thérapeute doit donc les repérer et en faire l’analyse
fonctionnelle dans le but d’augmenter leur fréquence et leur diversité.
PR

La portée du courant de la psychologie positive ne cesse de croître dans


T

le domaine clinique. Dans notre travail auprès des personnes porteuses de


NO

handicap, nous intégrons les apports de la psychologie positive dans la


conceptualisation puis dans les interventions thérapeutiques, comme nous
DO

l’expliquons dans les chapitres suivants.


Le domaine du handicap est difficile pour les trois « protagonistes » de la
situation de handicap : le patient, sa famille, les professionnels. Il se prête
volontiers aux mauvais sentiments : déception, tristesse, colère, etc.
Comment alors ne pas passer à côté de l’essentiel, l’épanouissement
du patient, de sa famille et des professionnels ? La psychologie positive,
comme nous l’avons mentionné, nous offre ici une bonne base. C’est
une discipline qui partage avec la TCC la démarche scientifique et des
outils semblables. Les fondateurs de la psychologie positive préconisent
que la psychothérapie soit « informée » (nous pourrions dire « enrichie »
ou « éclairée ») par la psychologie positive. Cela se traduit dans notre
travail, aussi bien dans la conceptualisation que dans les interventions
thérapeutiques, par le souci constant, en plus de traiter les comporte-
ments-problèmes :
• de mettre en valeur les qualités et forces de la personne ;
• de mettre en valeur les qualités et forces de l’entourage ;
• de promouvoir un sentiment de gratitude auprès du patient et de ses
aidants familiaux et professionnels ;
Généralités sur la TCC 41

• de travailler dans le sens des valeurs (exprimées ou supposées) du patient


et (exprimées) de son entourage familial et professionnel ;
• d’amener la personne à s’épanouir dans un climat soutenant, sans juge-
ment, ni attentes démesurées, en écoutant ses besoins.

Motivation
La TCC est une thérapie de l’action et du changement, elle est donc forcé-
ment un peu difficile. Elle demande un certain effort de la part du patient
(et du thérapeute).
Pour lui donner ses chances de réussir, il faut que patient et thérapeute
travaillent ensemble et qu’ils aient les mêmes objectifs. Parfois, mais rare-
ment, c’est le cas, et la thérapie est alors une réussite, voire un plaisir pour
les deux, mais, dans la plupart des cas, le travail thérapeutique s’achoppe à
des problèmes, dont la motivation du patient. Il est alors important que le
thérapeute adopte une « attitude de TCC », c’est-à-dire une posture scien-
T
tifique, ne portant de jugement ni sur le patient ni sur soi. Il regardera le
manque de motivation comme un problème à résoudre ; la conceptualisa-
IN

tion tiendra alors compte de ce problème, et l’analyse fonctionnelle portera


PR

en priorité sur les comportements relevant d’un manque de motivation.


Il faut donc définir ce manque de motivation de façon opérationnelle :
quels sont les signes, les comportements qui nous permettent de dire que
T

le patient manque de motivation ? Par exemple, le patient ne vient pas


NO

aux séances de thérapie, ne réalise pas les tâches prescrites ou ne prend pas
le traitement prescrit en même temps que la TCC, etc. Les interventions
DO

visant à augmenter la motivation dans le domaine de l’autisme et du han-


dicap mental sont décrites dans la dernière partie du présent ouvrage.
La motivation a été théorisée de différentes manières en psychothérapie
scientifique ; une des théories les plus opérantes à notre connaissance est
la théorie de l’autodétermination [Deci et Ryan, 2008], et l’approche pra-
tique la plus utilisée en TCC est celle de l’entretien motivationnel [Miller
et Rollnick, 2012].
L’entretien motivationnel étant basé sur la parole, il ne peut pas toujours
être utilisé directement auprès d’un patient porteur d’un handicap mental.
Il garde cependant toute son utilité pour intervenir, d’une part, chez les
personnes autistes n’ayant pas de retard mental et, d’autre part, chez les
intervenants et accompagnants de la personne.
Intervenir auprès d’une personne porteuse de TSA pose de nombreuses
questions éthiques. La TCC est une thérapie de l’action et du changement.
Son but est forcément d’induire une modification significative dans l’envi-
ronnement, la pensée ou le comportement de l’individu. Comment alors
savoir si ce changement est dans l’intérêt de la personne concernée ? Et
comment obtenir un consentement éclairé comme on le ferait avec une
42 Thérapies comportementales et cognitives

personne disposant de toutes ses facultés ? Comment définir un objectif


thérapeutique chez un patient ayant un retard mental, qui ne peut pas
s’exprimer ou qui ne peut pas exprimer de façon précise s’il souhaite chan-
ger un de ses comportements, s’il ne souhaite pas changer du tout ou s’il ne
sait pas quels comportements changer ?
L’hypothèse de départ des TCC est qu’un comportement qui persiste rem-
plit forcément une fonction, c’est-à-dire qu’il sert à quelque chose dans
la vie du sujet. À moins qu’un comportement ne soit dangereux pour le
patient ou pour autrui, il faut se garder de l’éteindre avant d’avoir compris
ses fonctions et appris au patient un comportement de remplacement.
De surcroît, la TCC utilise toujours des renforçateurs pour apprendre au
patient de nouveaux comportements. Chez les patients ayant une intelli-
gence normale, et qui perçoivent le bénéfice du nouveau comportement
visé, les renforçateurs sont en général symboliques et anticipés. Par exem-
ple, une patiente souffrant d’agoraphobie peut anticiper le plaisir et l’épa-
nouissement social qu’elle obtiendra grâce à un nouveau comportement
(sortir de chez elle sans avoir peur) que la TCC est susceptible de lui appren-
T
dre. C’est cet épanouissement anticipé qui sera son principal renforçateur.
IN
En plus, elle peut décider d’elle-même, seule ou en collaboration avec son
thérapeute, de se renforcer symboliquement (se féliciter, sentir combien elle
PR

est contente) ou physiquement (manger une part de son gâteau préféré)


chaque fois qu’elle accomplit un exercice d’exposition.
T

Un sujet ayant un handicap mental ne peut pas imaginer le bénéfice


NO

du nouveau comportement à apprendre. La TCC a donc souvent recours


à des renforçateurs non naturels, c’est-à-dire ayant peu de lien avec le
DO

comportement visé, pour favoriser l’apprentissage. Une fois le comporte-


ment en place, on retire peu à peu le renforçateur artificiel pour laisser la
personne expérimenter les renforçateurs naturels que sa nouvelle conduite
lui apporte.

Cas clinique
Passer de l’artificiel au naturel
Michel est un jeune homme porteur d’un handicap mental moyen avec autisme.
Il a un langage peu fonctionnel et beaucoup de difficulté à gérer sa colère. Les
éducateurs du foyer dans lequel il vit depuis quelques mois ont demandé de
l’aide aux thérapeutes parce que Michel ne supportait pas la moindre frus-
tration. Si un résident ou un membre du personnel lui refusait quelque chose,
Michel se tendait, se mettait à crier et finissait par frapper son interlocuteur.
Pendant les promenades, il lui est arrivé plusieurs fois, dans des accès de colère,
de pousser les autres violemment, ou de quitter le groupe en traversant la route
sans faire attention à la circulation. Le personnel a fini par ne plus l’emmener
aux promenades, alors que celles-ci étaient parmi les moments qu’il préférait
dans son quotidien. 
Généralités sur la TCC 43

 L’examen médical n’a rien montré de particulier. L’analyse fonctionnelle a permis


d’émettre l’hypothèse que Michel, ayant grandi dans une famille en souffrance,
n’a pas appris à gérer seul et pacifiquement sa déception dans les situations de
la vie de tous les jours. Les thérapeutes ont évalué les compétences de commu-
nication chez Michel, ses renforçateurs (les objets et activités qui lui procurent
habituellement du plaisir).
L’équipe a mis en place un protocole de renforcement ; chaque fois que Michel
faisait ses activités en groupe de façon paisible, les éducateurs le félicitaient
et lui proposaient un morceau de chocolat (un de ses renforçateurs les plus
recherchés).
Au bout de quelques jours, déjà, Michel est devenu plus paisible, n’inspirait
plus la peur et n’était plus évité par les autres résidents. Le personnel aussi était
moins sur ses gardes avec lui et a pu lui proposer plus souvent les activités qu’il
aimait, maintenant qu’il ne risquait plus de quitter inopinément le groupe ou
de pousser quelqu’un sur la chaussée. Enfin, ses parents, qui étaient dépassés
par son comportement, se sont remis à l’accueillir chez eux certains week-ends.
Dans cet exemple, Michel n’était pas motivé au début pour apprendre le
comportement « sortir en groupe » et « exprimer son mécontentement par la
T
parole » ; le chocolat était son seul renforçateur. Avec le temps, ayant expéri-
IN
menté des comportements nouveaux avec leurs conséquences naturelles (être
accepté par les autres, passer du temps chez ses parents, sortir en promenade,
PR

etc.), il n’avait plus besoin de la récompense artificielle qu’était le chocolat.


T

Certains professionnels sont mal à l’aise avec la notion de récompense


NO

parce qu’ils se focalisent sur la technique de renforcement et ignorent le


contexte de la thérapie.
Dans ce domaine, il est bon de se rappeler que l’être humain ne peut
DO

s’épanouir que s’il exerce un certain contrôle sur son environnement et s’il
obtient des récompenses diverses comme résultats de ses actions.
L’exemple que nous évoquons souvent est de se demander pourquoi nous
venons travailler tous les jours ; pourquoi, les jours ouvrés, il y a beau-
coup plus de probabilité pour chacun d’entre nous de venir au travail que
de rester chez lui, même si à la maison, c’est plus confortable, que nous
pouvons passer le temps plus agréablement à lire ou à bricoler et qu’il fait
froid dehors. Les personnes n’ayant pas de handicap mental peuvent se
projeter dans les conséquences lointaines et symboliques de leurs actions.
Venir au travail régulièrement nous permet de toucher notre salaire, d’avoir
un statut social, d’obtenir le plaisir des contacts sociaux avec les collègues
et avec les patients, d’apprendre de nouvelles choses, de ne pas être mal vus
en ne venant pas au travail, etc., une foule de motivations dont nous ne
nous rendons pas toujours compte, et dont la plupart sont soit des motiva-
tions à long terme, soit des motivations symboliques. Les sujets porteurs de
handicap mental ou autistique ne peuvent pas se projeter dans ce type de
motivateurs ; ils n’ont pas la capacité de faire eux-mêmes le lien entre une
44 Thérapies comportementales et cognitives

action (venir à une séance de travail sur l’autonomie) et le projet, relative-


ment abstrait, auquel elle se rapporte (devenir plus autonome, avec tous
les bénéfices matériels et psychologiques qui résultent de cette autonomie,
pour la personne et pour son entourage). C’est alors notre devoir (à nous,
aidants familiaux et professionnels disposant de toutes nos facultés) d’aider
ces personnes à faire des choix et à se fixer des objectifs, en leur offrant les
moyens d’être motivées par leurs actions.
Quand nous pensons à la place de l’autre et que nous imposons des
changements, il est primordial de laisser à la personne un minimum de
contrôle sur son environnement. La thérapie peut même être l’occasion
d’augmenter la capacité du sujet à faire des choix et à exercer un contrôle
sur son environnement, dans le cadre des choix thérapeutiques imposés.
La force de la TCC est de mettre la bienveillance et la motivation au centre
de la thérapie, et de partager le modèle thérapeutique avec le patient (dans
la mesure que lui permet son niveau intellectuel) et avec son entourage.
Cette démarche collaborative, ouverte et concrète, associée à l’évaluation
des processus engagés et des résultats de la thérapie, permet que le chan-
T
gement prévu se fasse au plus près de l’épanouissement et du respect du
IN
patient.
PR

Alliance thérapeutique
T

L’alliance thérapeutique est une notion fondamentale en TCC. L’ensei-


NO

gnement de la TCC y insiste et engage le thérapeute à adopter un style


chaleureux et authentique qui renforce la confiance du patient. L’alliance
DO

thérapeutique a par elle-même un effet bénéfique, comme dans toute forme


de psychothérapie. En TCC, elle permet en plus d’utiliser nos techniques
puissantes et de motiver le patient. Un patient qui fait confiance à son
thérapeute et qui se sent à l’aise pendant les séances de thérapie sera plus
enclin à faire les efforts et les exercices nécessaires.
La notion de l’alliance thérapeutique prend des dimensions encore
plus riches dans le domaine du handicap parce qu’elle doit s’établir non
seulement avec le patient, mais aussi avec ses aidants familiaux et profes-
sionnels. L’alliance thérapeutique est bien sûr intimement liée à la moti-
vation et, comme pour la motivation, elle peut devenir elle-même l’objet
d’une analyse fonctionnelle. Le thérapeute formule les difficultés de la rela-
tion thérapeutique en termes de comportements problématiques ; ainsi,
quand le patient ne vient plus aux séances de thérapie, cette situation sera
regardée comme un comportement problématique (« ne pas venir aux
séances de thérapie ») et fera l’objet de l’analyse fonctionnelle. Nous en
donnons de nombreux exemples dans les chapitres consacrés aux inter-
ventions. Si les parents d’un patient se méfient du thérapeute, leur attitude
ne sera pas considérée comme une position paranoïaque ou une forme de
Généralités sur la TCC 45

« résistance », mais simplement comme un comportement problématique,


qui nécessite d’être observé, compris et étudié.
Prenons ici l’exemple de cette maman qui ne comprenait pas pourquoi
sa fille, atteinte d’un TSA avec retard mental, devait participer à un atelier
d’entraînement aux habiletés sociales. Cette thérapie avait été préconisée
par les thérapeutes après qu’ils ont été sollicités par l’établissement qui
accueillait la patiente. La mère craignait que nous ne changions le naturel
de sa fille, qui avait certes un handicap mais était ouverte et aimait parler
aux gens. La mère ne voyait pas que la manière maladroite avec laquelle sa
fille abordait les gens provoquait souvent de la moquerie et mettait sa fille
en danger.
La thérapie a ainsi porté dans un premier temps sur cette mauvaise alliance
thérapeutique, qui se manifestait de différentes façons : des remarques
méfiantes, des séances de travail manquées ; la thérapie s’est centrée sur la
possibilité de promouvoir les comportements d’adhésion à la thérapie, et
d’aider la maman à prendre conscience du fait que les apprentissages acquis
grâce aux premières séances aidaient sa fille à avoir des interactions plus
T
satisfaisantes avec ses interlocuteurs. Il a fallu plusieurs mois pour établir
IN
une relation de confiance avec la mère, mais ce n’était pas du temps perdu :
ce travail fait partie intégrante de toute thérapie proposée aux personnes
PR

dont nous parlons ; l’alliance avec les aidants familiaux est le socle sur
lequel se construisent tous les autres apprentissages.
T

Dans les chapitres consacrés aux interventions, nous donnons d’autres


NO

exemples sur les problèmes de l’alliance de travail, entre les parents et les
thérapeutes comme entre les parents et les équipes éducatives.
DO
4 Particularités de la TCC
dans l’autisme
et le handicap mental

Particularités de la conceptualisation/analyse
fonctionnelle dans l’autisme et le handicap mental
• Bien connaître son patient :
– son répertoire comportemental ;
– ses capacités de compréhension et de communication ;
– son niveau d’autonomie ;
– ses particularités sensorielles. T
• Évaluer et valoriser les forces du patient.
IN
• Évaluer et valoriser les ressources de l’entourage.
• Faire la part des points de vue des contingences (rechercher la fonction du
PR

comportement du point de vue du sujet puis du point de vue de l’entourage).


• Étudier la chaîne des stimuli antécédents dans son intégralité.
T

• Penser au conditionnement classique.


NO

• Donner une place privilégiée au corps.


• Mettre au jour les valeurs du sujet et de ses aidants, partager le modèle avec
DO

eux et s’assurer que la thérapie proposée est en harmonie avec leurs valeurs.
• Ne pas éteindre un comportement avant d’apprendre au sujet un compor-
tement plus adapté remplissant la même fonction (sauf cas de comportements
dangereux).
• Chercher la motivation au changement du point de vue du patient.

L’encadré ci-dessus résume quelques aspects de la conceptualisation qui,


sans être exclusifs du domaine du handicap, y acquièrent une importance
particulière. Nous présentons dans ce chapitre les points les plus caracté-
ristiques de la conceptualisation dans ce domaine.

Étudier le répertoire comportemental du sujet


Bien connaître son patient est la base de toute conceptualisation et, dans
le domaine du handicap mental, il y a deux aspects que le thérapeute doit
connaître avant de réfléchir aux contingences. Les comportements servant
à communiquer (parler, comprendre les photos ou les dessins, utiliser un

TCC dans l’autisme et le retard mental


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48 Thérapies comportementales et cognitives

classeur d’images, etc.) ont une grande importance ; nous en parlerons dans
le sous-chapitre suivant. Restent tous les comportements de la vie quoti-
dienne, ce que le sujet sait ou ne sait pas faire, tout seul, sur incitation ou
avec aide : s’habiller, parler, manger, dessiner, s’isoler, jouer, etc.
C’est ce qu’on appelle le répertoire comportemental. Plus le répertoire
comportemental d’un sujet est riche, plus il est capable de faire face aux
exigences de la vie ; et plus le répertoire est pauvre, plus la souffrance aura
de chance de surgir. Pour connaître le répertoire comportemental habituel
d’une personne, on peut l’observer, l’interroger, questionner ses aidants
familiaux et professionnels, répertorier ce qu’elle fait de ses journées dans
les différents contextes de vie. Ces observations in vivo suffisent la plupart
du temps pour se faire une première idée du répertoire comportemental et
commencer la conceptualisation et les interventions thérapeutiques. Si l’on
souhaite aller plus loin, surtout dans la perspective d’un projet de vie (amé-
nager l’environnement de vie, planifier des apprentissages sur une longue
durée, envisager une insertion ou une réinsertion professionnelle, etc.),
il peut être intéressant de faire appel à certains outils structurés, tels que
T
l’évaluation des compétences fonctionnelles pour l’intervention [Willaye,
IN
2005], l’échelle d’évaluation du comportement socioadaptatif de Vineland
ou le profil psychoéducatif pour adolescents et adultes (AAPEP).
PR

Préciser le point de vue des contingences


T
NO

Considérer les contingences du point de vue du patient est la base de l’analyse


fonctionnelle. En présence d’un patient n’ayant pas de handicap lourd, il est
DO

facile pour le thérapeute de faire cet effort de décentration et de voir les événe-
ments avec les yeux de son patient. Ce changement de point de vue devient
malaisé pour le thérapeute quand son patient a un TSA ou un RM. L’univers
mental et sensoriel si particulier de ces sujets fait que ce qui est agréable ou
désagréable pour eux n’est pas forcément semblable à ce qui l’est pour nous.
En même temps, et encore plus que d’autres, les personnes porteuses d’un
TSA et/ou d’un retard mental dépendent de leur entourage pour une grande
partie de leurs activités et besoins au quotidien. Il est alors primordial de
faire l’AF aussi du point de vue de l’entourage familial et professionnel, le
comportement de l’entourage étant alors un facteur déterminant dans le
déclenchement et le maintien de celui des patients. Il est indispensable que
le thérapeute tienne compte de cette réalité et qu’il y rende attentifs les
aidants familiaux et professionnels.

Cas clinique
Le point de vue des contingences
Sandra est une jeune femme de 29 ans, porteuse d’un autisme infantile avec
retard mental sévère. Elle vit dans un établissement spécialisé. Elle ne dit que 
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 49

 quelques mots, dont le sens reste incertain pour le personnel. Le personnel


est confronté à un problème difficile : presque tous les jours, quand Sandra
est seule dans sa chambre, elle défèque, joue avec ses selles et, tout en criant,
badigeonne les murs de sa chambre avec ses excréments. Quand le personnel
retrouve Sandra dans cet état, il la nettoie et lui donne un bain chaud. Sandra
se calme alors et reste tranquille toute l’après-midi. Le personnel n’en peut
plus et se demande pourquoi un comportement si nuisible se répète jour
après jour.
Les figures 4.1 et 4.2 montrent les contingences du point de vue de Sandra
puis du point de vue du personnel. L’hypothèse la plus vraisemblable est que
le comportement « se souiller avec ses selles » augmente, ou du moins se
maintient dans le temps, parce qu’il est renforcé à deux niveaux.
Du point de vue de Sandra (figure 4.1)
Sandra semble apprécier que l’on s’occupe d’elle, surtout les bains chauds
que l’équipe lui prodigue. Le fait que ce comportement n’apparaît que quand
elle est seule dans sa chambre et que, probablement, elle n’a pas beaucoup
d’autres activités dans la journée abonde en faveur de cette hypothèse. Ce
comportement lui apporte une des rares satisfactions dans sa vie quotidienne,
T
il lui permet de s’occuper agréablement et de maîtriser quelque chose dans son
IN
existence. En plus, la puissance sensorielle du bain n’est pas à négliger dans
cette population : la chaleur, le contact avec l’eau, le parfum du gel douche et
PR

du shampooing, etc. Le comportement est ainsi renforcé positivement.


T
NO
DO

Figure 4.1. Contingences du point de vue de la patiente.

Du point de vue du personnel (figure 4.2)


Voir une résidente souillée par ses selles est un spectacle intolérable à tous les
niveaux : vision dégoûtante, odeur désagréable et crainte pour l’hygiène de
Sandra et pour celle des autres résidents. Les accompagnants n’ont donc à ce
moment-là qu’un seul souci : supprimer ce phénomène, donc nettoyer Sandra
à fond. Le comportement du personnel est renforcé négativement (suppression
d’un élément désagréable de l’environnement). En plus, quand les accompa-
gnants voient Sandra propre et calme, ils sont contents, ont un environnement
de travail agréable et ont surtout l’impression d’avoir agi en harmonie avec
leurs valeurs et d’avoir bien fait leur travail. Il y a donc aussi, du point de vue 
50 Thérapies comportementales et cognitives

 du personnel, un renforcement positif (addition, à l’environnement physique et


psychologique des soignants, d’un élément agréable).

Figure 4.2. Contingences du point de vue du personnel.


Pour sortir de ce type d’impasse, le thérapeute suivra les principes que nous
développerons dans la dernière partie du présent ouvrage :
• proposer, à différents moments de la journée, des activités simples, que la
T
patiente sait faire et maîtriser, ce qui réduit le caractère renforçant du compor-
tement « se souiller avec ses selles » ;
IN

• réduire la réaction du personnel lors de l’apparition du comportement pro-


blématique : nettoyer la patiente, calmement, sans reproche, en se limitant à
PR

ce qui est nécessaire pour respecter les règles d’hygiène, sans lui donner le bain
chaud qu’elle apprécie ;
T

• donner le bain chaud, très apprécié par Sandra (donc un des renforçateurs les
NO

plus puissants dans sa vie), ainsi que d’autres renforçateurs, de façon régulière,
à des moments de la journée où elle est calme et propre ; c’est ce qu’on appelle
le renforcement non contingent ; on coupe ainsi le lien entre le comportement
DO

inadapté et sa conséquence renforçante. En même temps, on tente d’éteindre


le comportement inadapté (en ignorant celui-ci dans la mesure du possible,
tout en respectant les règles d’hygiène et de sécurité) ;
• partager cette analyse fonctionnelle avec le personnel leur permet de voir
autrement leur travail et de se sentir actifs et valorisés en mettant en œuvre un
programme comportemental utile et bienveillant.

Évaluer les capacités de communication


A. Fritsch
Comme nous l’avons décrit, il est utile, du point de vue de la psychothé-
rapie, de repérer deux profils de personnes autistes et/ou ayant un handicap
mental :
• les personnes qui disposent d’un langage fonctionnel ; elles savent expri-
mer leurs besoins et demander de l’aide, et elles comprennent la parole
qu’on leur adresse. La TCC ici peut se servir de ses supports habituels
(parole, écrits, images, etc.) ;
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 51

• les personnes qui n’ont pas de langage, ou pas de langage fonctionnel ;


elles parlent mais leurs phrases ne sont pas immédiatement compréhensibles
par quelqu’un qui ne les connaît pas bien ; leur discours contient des écho-
lalies immédiates et différées, des mots et des phrases idiosyncrasiques. C’est
chez ces patients que le thérapeute a besoin d’évaluer la communication.

Pourquoi évaluer la communication ?


Connaître les capacités de communication du patient est indispensable :
• pour faire correctement l’analyse fonctionnelle et la conceptualisation :
faire des hypothèses sur la fonction d’un comportement nécessite de savoir
ce que le sujet comprend de la situation étudiée ;
• pour proposer des supports adéquats lors des interventions thérapeu-
tiques : si l’on propose une carte-action bidimensionnelle à un patient qui
ne perçoit pas les images ou n’en perçoit pas le lien avec les objets représen-
tés, ce support sera inutile, voire perturbant pour le patient.

Niveaux de communication non verbale T


IN
Il existe un outil structuré souvent utilisé dans le domaine du TSA, le
ComVoor [Verpoorten et al., 2012]. Cependant, le thérapeute peut se faire
PR

une idée approximative et rapide des capacités de communication en obser-


vant certains comportements de la vie quotidienne du patient.
T

On peut considérer qu’il existe différents niveaux dans la capacité à attri-


NO

buer des significations :


• le niveau le plus simple correspond au repérage des liens entre objets
concrets et actions ;
DO

• suit celui de la photo : le sujet fait le lien entre l’objet concret et la photo
qui le représente (mais pas avec un dessin) ;
• niveau de l’image : le sujet fait le lien entre l’objet et une image ou un dessin ;
• niveau du pictogramme : le sujet peut faire le lien entre l’objet et sa repré-
sentation schématique ;
• niveau des lettres et des chiffres : le sujet fait le lien entre l’objet (ou
une action précise) et un mot écrit ; par exemple, il comprend que le mot
« stop » ou « non » signifie qu’il faut arrêter l’action en cours, etc.
Pour chaque niveau, il existe différents sous-niveaux de complexité. Dans
le cas d’une photo, par exemple, on peut jouer sur l’angle de prise de vue, le
nombre de détails présents, la saillance de l’objet, en favorisant le fait que
l’objet se détache bien d’un fond blanc et qu’il n’y a qu’une information
présente sur le support.

Perception et communication
Il arrive que les aidants familiaux et professionnels, désireux d’aider le
sujet autiste, et ayant compris la nécessité de soutenir la communication,
52 Thérapies comportementales et cognitives

s’impliquent dans la fabrication de matériel, sans qu’il y ait forcément eu au


préalable une réflexion sur la perception que le sujet peut en avoir. La per-
ception est primordiale pour communiquer. Or les personnes avec autisme
donnent la priorité aux détails et n’arrivent pas toujours à synthétiser les
informations en un tout cohérent, ce qui risque d’induire un comporte-
ment qui peut nous apparaître comme inadapté. Par exemple, on présente
au sujet autiste la photo d’une personne qui tient un stylo : il ne voit que
le stylo mais pas la personne. Se joue ici la notion de cohérence centrale
(capacité à percevoir la globalité, un ensemble de choses formant un tout
cohérent et informatif).

Indices de repérage des liens de contingence


entre des stimuli
Parfois, nous observons chez les personnes autistes accueillies en institution
(même chez celles dont le handicap autistique et mental est sévère) des
conduites spontanées qui montrent qu’elles ont fait le lien entre le repé-
T
rage visuel d’un stimulus (c’est-à-dire d’un élément de l’environnement)
IN
et la survenue prochaine d’un autre, même quand les deux éléments n’ont
aucun rapport de similarité. C’est le cas, par exemple, des personnes qui
PR

guettent l’arrivée des camions qui livrent les repas, l’arrivée de l’éducateur
qui accompagne la sortie pour aller voir les chevaux, la présence dans le
T

champ visuel du sac utilisé lors des retours en famille, etc. Ces personnes
NO

démontrent de par leur comportement d’observation, d’approche et d’ini-


tiation de l’activité attendue qu’elles ont perçu et retenu une relation de
contingence entre des éléments différents.
DO

Souvent, ces personnes développent des stratégies de communication spon-


tanées qui se fondent sur le repérage de ce type de relation. C’est le cas des per-
sonnes qui se saisissent de leur veste et l’approchent de l’éducateur, sans qu’il
y ait de regard partagé. Elles ne peuvent donc pas réellement « tendre » l’objet
vers l’autre ; elles communiquent cependant de cette manière à leur entourage
un message qui véhicule une information sur une envie ou un besoin.

Ce qu’il faut observer


Ainsi, certaines personnes autistes paraissent uniquement sensibles aux
objets qui les entourent, alors que d’autres manifestent une curiosité spon-
tanée pour les images et photos présentes dans leur environnement. Cette
curiosité est à mettre en lien avec les capacités cognitives du sujet et avec
son système sensoriel. Le thérapeute cherchera à récolter lui-même ou, le
plus souvent, par l’intermédiaire des aidants familiaux et professionnels, les
comportements spontanés susceptibles de nous renseigner sur la compré-
hension des supports : regarder des images, feuilleter des albums, regarder
des photos, réagir émotionnellement aux photos (la personne réagit-elle
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 53

différemment en regardant la photo d’un proche ou celle d’une personne


inconnue ?), chercher à se saisir d’éléments bidimensionnels, être déstabi-
lisé par des éléments bidimensionnels, etc.

De petites tâches à proposer


Nous pouvons aussi proposer de petites tâches de tri et d’appareillement
portant sur les différents supports ; par exemple, réunir des objets sem-
blables, réunir un objet avec le dessin qui le représente, faire le tri d’objets
en fonction de leur catégorie (mettre ensemble une brosse à dents et un
tube de dentifrice, ce qui montre que la personne a compris la fonction de
ces objets), regarder un objet et mimer l’action qui y est rattachée (observer
si la personne fait mine de se brosser les dents quand elle voit la brosse à
dents, etc.). Dans tous ces exercices, l’examinateur fait lui-même la tâche
demandée, limitant au minimum les consignes verbales, puis offre à son
patient le matériel concerné par les tâches suivantes. En cas de doute, le
thérapeute choisira toujours le support le plus facile pour son patient.
T
Par exemple, un thérapeute souhaite apprendre la relaxation à un sujet
IN
anxieux ; il n’est pas sûr si son patient comprend les dessins ou seulement
les objets ; dans ce cas, il choisira l’objet : il aide son patient à respirer len-
PR

tement et à se détendre tout en lui mettant dans la main un objet mou ou


une balle « antistress » qui, par apprentissage répondant, pourrait acquérir
T

la vertu de favoriser la détente. Si le patient comprend le sens des dessins, le


NO

thérapeute peut avantageusement proposer une carte-action, plus discrète


et plus acceptable socialement.
DO

Connaître les particularités sensorielles


M. Haegelé
Les particularités sensorielles sont intéressantes à connaître chez les
sujets autistes et, à un moindre degré, en cas de handicap mental isolé. Le
thérapeute doit se faire une idée des principales particularités sensorielles
de son patient car celles-ci peuvent jouer un rôle dans le déclenchement
de certains comportements problématiques (par exemple, un certain bruit
ou une odeur banale déclenche un comportement agressif ou de retrait)
ainsi que pour déterminer la valeur appétitive ou aversive des conséquences
(par exemple, l’odeur du vomi est très aversive chez la plupart des êtres
humains, alors qu’elle peut être appétitive, donc participer d’un renforce-
ment positif du comportement « se faire vomir » chez certains sujets ayant
un autisme avec retard mental sévère). À l’inverse, un type de scintillement,
ou le toucher d’un certain type d’étoffe, etc., banal pour la plupart des
êtres humains, peut constituer une conséquence aversive chez un individu
autiste et entraîner l’évitement de certains lieux (de certains habits, etc.).
54 Thérapies comportementales et cognitives

Pour évaluer les particularités sensorielles, il existe, là encore, des outils


structurés, tels que le profil sensoriel de Winnie Dunn [Dunn, 1999] et le
profil sensoriel et perceptif révisé d’Olga Bogdashina [Bogdashina, 2003].
Nous pouvons cependant, dans la perspective d’une intervention ponc-
tuelle en TCC, se faire une bonne idée de ces particularités en construisant
sa propre grille « maison », et surtout en étant attentifs :
• aux informations fournies par le patient, par ses proches et par ses aidants
professionnels ;
• aux réponses inhabituelles de la personne face aux différents stimuli
qui se présentent pendant l’entretien. On relèvera ainsi les particularités
de la posture, du tonus, de l’équilibre, de la gestuelle ; on essaiera de voir
comment la personne réagit au surgissement d’un bruit particulier (une
voiture qui passe, un enfant qui crie, etc.).
À titre indicatif, nous proposons ci-après, classés par modalité sensorielle,
des exemples de ce qui peut être observé et évalué.

Système proprioceptif T
IN
• Hyposensibilité se traduisant par une mauvaise adaptation posturale et
tonique (maladresse motrice, chutes, trébuchements répétés).
PR

• Troubles du tonus musculaire (hypo- ou hypertonies).


• Besoin de pressions profondes pour mieux ressentir son corps.
T

Système vestibulaire
NO

• Recherche de sons graves et de basses fréquences (coller son oreille sur les
haut-parleurs par exemple).
DO

• Accélérations, balancements, tournoiements (tourner comme une toupie


par exemple) donnant l’impression d’une recherche de stimulation.
• Anxiété provoquée par les changements de position ou par les situations
de déséquilibre (donnant l’impression d’une hypersensibilité vestibulaire).

Vision
• Sensibilité à certaines couleurs (des assiettes, de certains aliments par
exemple).
• Luminosité (intérêt pour les ampoules électriques), brillance, reflet de
certains objets (par exemple le miroir).
• Intérêt pour de petits détails visuels (voir les nervures des feuilles).
• Trouble visuoperceptifs (difficulté à reconnaître les visages humains ; la
personne explorant le visage en fixant la région de la bouche plutôt que
celle des yeux).
• Difficulté visuospatiale (localisation, distance).
• Difficulté visuomotrice (poursuite visuelle, maîtrise des mouvements
oculaires).
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 55

• Regard périphérique.
• Regard au travers des gens.
• Regard évitant (furtif et intermittent).

Tact (hypo- ou hyperesthésie)


• Perception désagréable ; sensation qui perdure alors que la stimulation
qui l’avait déclenchée s’est arrêtée (le sujet frotte la zone touchée par
quelqu’un d’autre).
• Recherche ou évitement de la pression sur certaines zones.
• Coupe des cheveux (hypersensibilité du cuir chevelu).
• Rasage (conduites d’arrachage, vibration du rasoir électrique mal suppor-
tée).
• Tailler court les ongles (risque d’automutilation).
• Hygiène buccale négligée, opposition à l’inspection de la cavité buccale
(risque de caries).
• Chercher à stimuler nombril, oreilles, organes génitaux externes.
T
• Perception perturbée de la chaleur, du froid (sortir presque nu, garder sur
IN
soi un anorak en pleine canicule).

Alimentation/gustative
PR

• Hypersensibilité aux textures des aliments (recherche ou évitement de


T

certains aliments en fonction de leur texture).


NO

• Hypersélectivité des aliments en fonction de leur texture, leur couleur,


leur goût, leur présentation dans l’assiette [Degenne-Richard et al., 2014].
• Découverte des objets en les portant à la bouche.
DO

• Bizarreries alimentaires (se nourrir uniquement de frites très salées par


exemple).

Audition
• Ouïe fine mais sélective (la personne ne répond pas à son prénom, mais
si le frigo fait du bruit, elle l’entend instantanément).
• Fines capacités de discrimination (reconnaître le bruit des pas de chaque
personne).
• Difficulté à faire abstraction du « bruit de fond » (c’est-à-dire des bruits qui
ne sont pas reliés à la tâche en cours), surtout difficulté sévère à comprendre
la voix humaine dans les endroits bruyants.
• Hyperacousie (la personne se bouche les oreilles, terrorisée pas le bruit de
l’aspirateur, du sèche-cheveux).
• Fatigue auditive liée à ces particularités (la personne fournit un effort
permanent d’attention soutenue pour décrypter les messages verbaux qui
lui sont destinés). Souvent, cette fatigue contraste avec une certaine aisance
dans les supports visuels de communication.
56 Thérapies comportementales et cognitives

• Fascination pour certains bruits ou notes de musique (prenant parfois les


allures de conduites addictives : radio, TV).

Odorat
• Flairage (sentir les gens sous les aisselles par exemple).
• Répulsion pour certaines faibles odeurs du quotidien (hypersensibilité
olfactive), par exemple ne pas s’asseoir sur une chaise car l’odeur de la per-
sonne qui s’y était assise ne s’était pas dissipée.
• Recherche d’odeurs fortes (anales ou génitales avec le doigt qui est ensuite
flairé).
• Difficultés à supporter les mélanges d’odeurs.
• Maniement précautionneux des senteurs (crèmes, produits cosmétiques,
huiles).
Le thérapeute se fera une idée des particularités sensorielles avant toute
intervention psychothérapique. Cette « petite » évaluation, faisant partie
de la conceptualisation, peut en même temps servir de base pour améliorer
l’environnement de vie du patient.
T
IN

Évaluer et valoriser les ressources


PR

de l’entourage
T

L’entourage, familial et professionnel, joue un rôle majeur dans la thérapie.


NO

Il fait, ou aide le patient à faire, les observations structurées, modifie par


sa simple attitude le comportement du patient et contribue à mettre en
DO

œuvre les interventions. Le thérapeute en TCC doit tenir compte dans sa


conceptualisation des difficultés et compétences de l’entourage du patient
porteur de handicap psychique ou mental et se poser ce type de questions
avant de proposer des interventions thérapeutiques :
• les parents peuvent-ils m’aider à faire des relevés d’observations ?
• dans quels moments de sa vie quotidienne le patient peut-il faire appel à
telle personne de son entourage ?
• le personnel de l’établissement est-il suffisamment formé et arrive-t-il à
mettre en route les méthodes apprises ?
• l’intervention que je pense proposer est-elle compatible avec le fonction-
nement de l’établissement ?

Étudier la chaîne des stimuli antécédents


dans son intégralité
Dans la vie réelle, il est rare qu’un comportement apparaisse comme résul-
tat d’un seul stimulus. En général, un comportement est déterminé par un
ensemble de stimuli, intervenant successivement ou simultanément, et qu’il
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 57

convient de rechercher. Les accompagnants familiaux et professionnels,


comme le thérapeute parfois, s’attachent au stimulus immédiat (c’est-à-dire,
en général, à l’événement qui semble avoir provoqué un comportement
inadapté) et accordent peu d’importance aux autres stimuli. Or, en thérapie,
avoir une vision la plus complète possible des stimuli a beaucoup d’impor-
tance car cela nous permet de déterminer les stimuli les plus précoces et d’y
intervenir. L’efficacité est plus grande quand on intervient tôt dans la chaîne
de stimuli [Persons, 2008]. Par exemple :
• dans la gestion de la colère, on peut apprendre au patient à repérer les
premiers signes d’irritation et à faire le nécessaire (quitter les lieux, prati-
quer la respiration abdominale, etc.) pour éviter une colère explosive ;
• dans les lieux où vivent les personnes ayant un TSA et/ou une DI, il est
recommandé d’enrichir l’environnement pour éviter l’ennui, l’ennui étant
en général un stimulus aversif, auquel le sujet tente de faire face comme
il peut, c’est-à-dire souvent en manifestant des comportements auto- ou
hétéroagressifs qui lui procurent de la stimulation.
T
Cas clinique
IN

Repérer les chaînes de stimuli


PR

Raphaël, jeune homme autiste de 27 ans vivant chez ses parents, a jeté une
assiette par terre pendant le repas de midi. Ses parents étaient étonnés car
T

il est rare que Raphaël produise ce type de comportement agressif. Ils disent
NO

que le petit frère, qui participait au repas, avait simplement imité la façon dont
Raphaël mangeait, que ce type de railleries était fréquent entre les deux frères
complices et que cela s’était toujours bien passé.
DO

Une analyse fonctionnelle soigneuse nous a permis de trouver que ce jour-là


(figure 4.3), cette provocation, gentille et habituelle entre les deux frères, était
survenue dans un contexte particulièrement difficile : Raphaël avait mal dormi
la nuit précédente et l’ambiance à la maison était très bruyante (les parents
recevaient de la famille). Les autres jours (figure 4.4), en l’absence de l’un ou
de l’autre de ces deux stimuli lointains, le comportement agressif ne serait
pas apparu.

Penser au conditionnement classique


(répondant)
Le terme « analyse fonctionnelle » se réfère le plus souvent aux théories
de l’apprentissage opérant, c’est-à-dire à l’idée qu’un comportement est
régi par (est fonction de) ses conséquences, mais, souvent, un compor-
tement inadapté persiste alors que ses conséquences ne sont pas favo-
rables ; de plus, même quand on a tout fait pour les étudier du point de
vue du patient et de celui de ses accompagnants, on n’identifie pas de
58 Thérapies comportementales et cognitives

Figure 4.3. Chaîne des stimuli 1.


T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 4.4. Chaîne des stimuli 2.

processus de renforcement. Dans ces cas, l’« enquête » peut s’orienter vers
le conditionnement classique ; un comportement a pu apparaître dans un
environnement donné et continuer pour son propre compte par condi-
tionnement répondant parce que l’organisme a associé ce comportement
à un stimulus particulier.
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 59

La souffrance liée au conditionnement classique n’est pas l’apanage


de l’autisme et du retard mental. Notre organisme fait facilement le
lien entre les événements de façon parfois insoupçonnée. L’autisme est
cependant un domaine dans lequel ce type d’apprentissage semble sou-
vent contribuer aux pièges thérapeutiques. Les particularités sensorielles
font qu’un stimulus (un type de bruit, une odeur, une certaine couleur
ou lumière, etc.) banal pour le « commun des mortels » peut être perçu
par le sujet autiste de façon aversive. Si un deuxième stimulus neutre (la
présence de tel éducateur, la pratique de telle activité, etc.) suit rapide-
ment ce premier stimulus sensoriel aversif, il peut devenir un stimulus
conditionnel et produire à lui seul la même réponse émotionnelle et
comportementale.
La déficience mentale et encore plus l’autisme sont marqués par une
certaine rigidité mentale ; celle-ci se traduit en TCC par une difficulté à
généraliser les apprentissages. Un comportement (respirer par le ventre,
écrire son prénom, nager, etc.) qui a été appris dans un contexte (dans
un lieu précis, avec une personne en particulier) ne peut être produit si
T
le contexte change. Par exemple, un autiste qui a appris à enfiler sa veste
IN
avant de sortir de la maison peut ne pas savoir le faire avant de quitter
d’autres lieux.
PR

Cela peut avoir des retombées thérapeutiques, aussi bien pour favori-
ser les comportements de remplacement (créer un contre-conditionne-
T

ment) que pour promouvoir des comportements épanouissants. Voici


NO

quelques implications thérapeutiques du concept de conditionnement


répondant :
DO

• quand nous proposons un apprentissage thérapeutique (demander de


l’aide en utilisant un pictogramme, pratiquer la respiration abdominale en
cas d’anxiété, etc.), nous devons d’emblée amener le patient à le reproduire
dans des contextes variés pour pouvoir le généraliser ;
• associer le corps au plaisir, comme l’illustre l’encadré « Associer le corps
au plaisir… ». Comme nous l’expliquons plus loin dans ce chapitre, le corps
est souvent source de déplaisir chez les sujets ayant un TSA avec DI. Les
accompagnants peuvent proposer des activités de détente (relaxation, « bal-
néo », massage, esthétique, etc.) ou d’activation (natation, marche, etc.)
qui permettent à l’organisme de faire le lien entre le corps et des sensations
agréables ;
• chez les patients disposant de compétences langagières suffisantes, mais
qui sont réticents à évoquer des vécus émotionnels difficiles, le thérapeute
peut associer une activité appréciée (telle que la marche) et le fait d’évo-
quer les situations difficiles. Beaucoup de patients, grâce à ce nouveau lien
créé (sensations agréables = pouvoir parler de ses émotions difficiles) arri-
vent plus facilement à se confier au thérapeute : le fait de parler devient
« agréable ».
60 Thérapies comportementales et cognitives

Associer le corps au plaisir (les bienfaits


du conditionnement classique)
Lorsque l’on accompagne la personne dans une activité qui concerne le corps,
on aura le souci d’attirer son attention sur les sensations physiques, générale-
ment agréables, que cette activité produit. Les possibilités de proposer de telles
activités sont nombreuses : massage, marche, « soins » d’esthétique, natation,
respiration abdominale, etc.
L’objectif de telles activités ne devrait pas se limiter à une simple occupation
pour passer le temps (même si passer son temps à pratiquer de telles activités
est en général mieux que de le passer dans l’ennui). En tant que thérapeutes
d’inspiration scientifique, nous devrions en faire une vraie démarche d’appren-
tissage pour savoir comment associer son corps à un sentiment de bien-être,
selon le paradigme de l’apprentissage classique :
• massage (SI) → plaisir (RI) ;
• massage (SI) + corps (SN) → plaisir (RI) ;
• corps (SC) → plaisir (RC). T
SI : stimulus inconditionnel ; RI : réponse inconditionnelle ; SN : stimulus neutre ;
IN
SC : stimulus conditionnel ; RC : réponse conditionnelle.
PR

Donner une place privilégiée au corps


T
NO

Les personnes porteuses de handicap mental ont souvent un vécu peu grati-
fiant de leur corps. En voici quelques exemples, dont il nous semble intéres-
sant de tenir compte en TCC.
DO

Le corps, source de douleur


Le corps est parfois source d’une douleur que le patient ne peut exprimer,
qui va se manifester par un retrait social ou par des comportements agressifs.
C’est pourquoi il est indispensable, devant tout trouble du comportement
inexpliqué, surtout s’il est d’apparition récente, de vérifier si le patient a mal.
Parfois, on est amené à prescrire un traitement antalgique d’essai (par exem-
ple paracétamol à doses efficaces en systématique, non pas en « si besoin ») ;
le médecin peut aussi tenter les antalgiques dits de palier II (les dérivés mor-
phiniques) si la situation clinique le permet. Si le traitement antalgique
améliore les troubles du comportement, ce sera un argument en faveur de
la présence d’une affection somatique qui mérite d’être davantage explorée.

Le corps, source de disgrâce


Les personnes porteuses de handicap mental ont souvent des anomalies
génétiques et des problèmes médicaux qui donnent un aspect disgracieux à
leur corps. Ainsi, la personne se trouve laide, ou son entourage lui renvoie
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 61

cette laideur. Si, de surcroît, l’hygiène corporelle et vestimentaire est négli-


gée, le corps sera encore plus repoussant. Tenir compte de cet aspect nous
permet de comprendre une des sources de la mésestime de soi chez ces per-
sonnes et de proposer de nouveaux comportements qui aident la personne
à valoriser son corps : prendre conscience de son corps, prendre soin de soi,
se laver, se trouver beau quand on est propre, trouver du plaisir dans les
massages ou dans le sport, porter de beaux habits et une belle coiffure, etc.
Ainsi, associer le corps au plaisir devrait être une préoccupation constante
dans nos protocoles de thérapie. Cela rejoint ce que nous avons expliqué
sur les procédés du conditionnement répondant (voir l’encadré précédent
« Associer le corps au plaisir »).

Le corps, source de facteurs de risque


cardiovasculaire
La situation de handicap mental est particulièrement propice au développe-
ment de divers facteurs de risque, notamment cardiovasculaires. L’équilibre
T
alimentaire est souvent mis à mal par des repas sautés et par la tendance à
IN
grignoter ou à manger de façon exclusive certains aliments (sucreries, ali-
ments ayant une texture particulière, etc.). Le profil sensoriel des personnes
PR

autistes peut comporter des aspects gustatifs, avec la recherche, par exemple,
de goûts salés et la tendance à manger les mêmes choses à chaque repas
T

(saucissons, chips, etc.). Les personnes ayant un autisme avec DI ont globale-
NO

ment moins d’activité physique que la population générale [Willaye, 2008].


Elles peuvent aussi avoir des troubles somatiques divers (maladies métabo-
liques, malformations cardiaques, etc.) liés à des anomalies génétiques.
DO

L’ensemble de ces problèmes, souvent avec une prise de poids, augmente


le risque cardiovasculaire et entraîne fatigue et essoufflement. Au-delà des
soins somatiques spécifiques, le thérapeute doit tenir compte de cette réa-
lité dans sa conceptualisation. Chaque fois que nous sommes sollicités pour
une thérapie, nous pourrions nous poser la question : quels comportements
de santé cette personne est-elle capable d’apprendre ? peut-elle diversifier
son alimentation ? sortir pour marcher un peu dans l’après-midi au lieu de
se mettre à grignoter ? manger un peu plus de légumes à midi ? apprendre
à mieux se laver les mains en sortant des toilettes ? Si le thérapeute pense
qu’un comportement de santé est accessible et nécessaire pour son patient,
il devra, en lien avec les accompagnants familiaux et professionnels, moti-
ver le patient puis entreprendre cet apprentissage.

Le corps, source d’incompréhension


Les personnes ayant un handicap mental, aux prises avec les diverses émo-
tions, en ressentent les manifestations physiques, sans pouvoir les attribuer
à l’émotion correspondante. Sentir son cœur s’accélérer ou son visage se
62 Thérapies comportementales et cognitives

crisper quand on est en colère, son corps se ralentir quand on est triste et
ses intestins se nouer quand on a peur sont des expériences perturbantes si
le sujet n’arrive pas à les relier aux émotions qui les ont provoquées. Plus
généralement, pour comprendre une émotion, pour bien la vivre, l’accepter
et la réguler, on a besoin de faire le lien entre le vécu subjectif de cette émo-
tion, les sensations physiologiques qui l’accompagnent et les événements
qui la précèdent et lui succèdent. Une des pistes majeures de thérapie en
TCC est d’apprendre aux patients à reconnaître les émotions ressenties en
resituant celles-ci dans leur contexte environnemental et physiologique.
Cela est possible même chez des patients souffrant d’un syndrome autis-
tique sévère avec une DI moyenne. Par exemple, un de nos patients ne
reconnaissait aucune émotion. Les soignants lui ont mis des gouttes d’eau
sur le visage pour l’aider à comprendre que quand il pleurait, il était triste.
Un autre ne reconnaissait pas la colère, les soignants lui mettaient ses mains
sur les bras pour le faire sentir que ceux-ci étaient crispés quand l’émotion
coléreuse montait, etc.

Le corps, source d’excitation sexuelle


T
IN

Une des expériences perturbantes qui apparaissent à l’adolescence est


PR

l’excitation sexuelle, que la personne ressent et qu’elle n’arrive pas toujours


à comprendre et à gérer. Certains cliniciens ont pu attribuer des troubles
T

du comportement à une excitation sexuelle que le patient ne supporte pas


NO

parce qu’il ne sait pas comment se masturber. Dans d’autres cas, le patient se
masturbe en public, provoquant embarras et scandale. Chez les personnes
ayant un retard mental léger, l’attirance vers l’autre sexe peut être reconnue
DO

facilement, mais souvent exprimée de façon inadaptée.

Cas clinique
Combiner exposition et évitement pour gérer l’excitation sexuelle
L’équipe éducative du foyer est régulièrement embarrassée par le comporte-
ment de Laëtitia, femme autiste de 35 ans, porteuse d’une DI légère. Pendant
les sorties en ville, quand Laëtitia voit de jeunes hommes, elle les aborde de
front, tente de les toucher et leur demande des informations personnelles.
Quand on l’en empêche ou qu’on le lui reproche, elle s’énerve, crie et va sou-
vent jusqu’à gifler ses accompagnateurs.
L’entraînement aux habiletés sociales n’a donné qu’une amélioration modeste,
tant l’attrait de Laëtitia pour les hommes était fort dans ce type de situations. Les
interventions thérapeutiques se sont alors portées sur une forme d’exposition
sociale, comportant néanmoins des mécanismes subtils d’évitement. Lorsqu’elle
voit un homme attirant, la patiente a appris à respirer lentement, à dire « bon-
jour » à l’homme si elle en avait envie puis, si l’anxiété devenait trop forte, à
regarder par terre. C’est une forme d’évitement, mais qui est fonctionnelle car
elle permet de protéger aussi bien la patiente que les hommes qui l’attirent.
Particularités de la TCC dans l’autisme et le handicap mental 63

Le corps, vecteur de disponibilité


pour les apprentissages
Le thérapeute peut non seulement associer le corps au plaisir, mais peut
aussi utiliser la vertu apaisante de certaines activités motrices pour mettre
son patient dans de bonnes dispositions avant les ateliers thérapeutiques
qui nécessitent beaucoup de concentration, ou pour aider son patient à
retrouver calme et sérénité à la suite d’un entretien pendant lequel on a
parlé de choses difficiles. Certains de nos patients ont découvert tout seuls
que marcher, sauter, exécuter quelques mouvements de gymnastique, etc.,
les aide à être plus disponibles pour les interventions thérapeutiques éprou-
vantes. Cela rejoint ce nous évoquons dans l’encadré « Bouger pour réguler
ses émotions » dans la dernière partie du livre.

T
IN
PR
T
NO
DO
Analyse fonctionnelle
III
(et conceptualisation)
en pratique
La méthodologie que nous proposons ci-après se donne pour ambition de
T
faciliter le passage des données cliniques vers les interventions thérapeu-
IN
tiques. Elle se décline en trois parties :
• établir une liste des problèmes du patient et émettre des hypothèses sur
PR

les rapports entre ces problèmes ; choisir une cible thérapeutique ;


• utiliser le schéma d’analyse fonctionnelle pour avoir une vision synthé-
T

tique et précise du principal comportement à traiter et pour situer celui-ci


NO

dans ses rapports avec le reste des comportements habituels du patient ;


• utiliser le tableau des processus pour faire des hypothèses et proposer des
interventions pertinentes.
DO
5 Fixer l’objectif
de la thérapie
La tâche habituelle du thérapeute est d’aller des données cliniques « brutes »,
glanées dans le discours du patient et dans celui de ses accompagnants, puis
recueillies grâce aux observations structurées, vers une thérapie concrète.
Le thérapeute ne s’occupe pas toujours de l’intégralité de cette prise en
charge. Le parcours du patient, l’organisation et la spécialité du service, la
profession de base du psychothérapeute en TCC, font que celui-ci est amené
à proposer une partie seulement de cette procédure. Il doit cependant avoir
une idée sur la prise en charge globale pour assurer un minimum de cohé-
rence ou, encore mieux, pour que les différentes interventions simultanées
ou successives interagissent dans la synergie.
T
IN
Que peut-on traiter dans l’autisme
et le handicap mental ?
PR

La TCC ne traite pas les symptômes de façon isolés, elle traite les symp-
T

tômes considérés comme comportements, au sens large du terme, et vus


NO

dans leurs rapports avec les autres comportements habituels du sujet. Il se


pose alors souvent la question sur ce que l’on doit, ou que l’on peut, traiter
DO

dans le domaine de l’autisme et du handicap mental. D’un point de vue


pratique, nous identifions quatre grands groupes de comportements qui
provoquent de la souffrance et qui interpellent les aidants, et par consé-
quent le thérapeute.

Premier groupe : les déficits spécifiques


Il s’agit ici selon le cas :
• d’une part, des symptômes du « noyau autistique », c’est-à-dire tout ce qui
relève de la triade autistique au sens de la CIM-10. On y classe les troubles
des interactions sociales, les troubles de la communication, les comporte-
ments répétitifs et stéréotypés, le répertoire restreint d’activités, etc. ;
• d’autre part, quand on a affaire à un sujet ayant un handicap mental sans
autisme (ou avec peu de traits autistiques), on peut mettre dans ce groupe
spécifique les difficultés pour comprendre, l’incapacité à apprendre certains
gestes du quotidien, à utiliser l’argent, à calculer, etc.

TCC dans l’autisme et le retard mental


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68 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

Dans ce groupe, les médicaments ont peu d’effet, et ce sont les thérapies
comportementales et cognitives qui doivent être la base de toute interven-
tion thérapeutique ou éducative.

Deuxième groupe : la comorbidité


Ce groupe fait intervenir la vision médicale des symptômes, qui tente
d’identifier les grands syndromes psychiatriques chez le sujet porteur
de handicap. Comme nous l’avons déjà évoqué, les sujets porteurs de
handicap, encore plus que la population générale, sont sujets à tous les
troubles psychiatriques qui atteignent la population générale : dépression,
anxiété généralisée, phobies, trouble obsessionnel compulsif, épisode psy-
chotique, psychose chronique, etc. Le thérapeute doit pouvoir identifier
l’apparition de tels troubles parce que le diagnostic précis donne lieu à un
traitement spécifique, médicamenteux ou comportemental, souvent assez
efficace.

Troisième groupe : les symptômes cibles


T
IN

Ce sont des symptômes gênants pour le patient et pour son entourage,


PR

mais qui ne correspondent pas à un syndrome psychiatrique précis. On


peut classer ici les crises de colère, les sentiments légers de tristesse, la
tendance à s’isoler, une tendance à se sentir anxieux de façon exces-
T

sive, les troubles du sommeil, etc. C’est dans ce groupe de symptômes


NO

que les médecins, souvent devant le désarroi des aidants, sont tentés de
prescrire des médicaments pour soulager la souffrance de la personne.
DO

Cependant, dans la plupart des cas, les médicaments ont peu de portée
et leur effet est limité dans le temps. La TCC ici est une approche pré-
cieuse, qui permet au patient et à ses aidants d’apprendre des stratégies
efficaces de coping (c’est-à-dire des compétences, des manières de faire
qui les aident à faire face).

Quatrième groupe : les comportements


épanouissants
Nous tenons à considérer ces comportements comme un groupe identi-
fiable à « traiter », mais ici dans le sens d’augmenter leur fréquence, leur
intensité et leur diversité. En effet, un problème majeur dans le domaine
du handicap est que le patient a peu d’opportunités d’exercer ses compé-
tences et de produire des actions qui l’aident à se sentir compétent et
à ressentir du plaisir et de la maîtrise dans sa vie. Ainsi, le manque de
comportements épanouissants est un domaine auquel il faut s’intéresser
dans toutes les interventions thérapeutiques. Ici, les médicaments ont
peu d’action (sauf dans certains cas où le manque de comportements
Fixer l’objectif de la thérapie 69

épanouissants vient de l’anxiété ou de la dépression). La TCC, en


revanche, peut proposer des apprentissages qui enrichissent le répertoire
comportemental (apprendre des comportements d’autonomie, de loisir,
de communication, etc.).
Cette répartition des comportements « à traiter » en quatre groupes est
évidemment en grande partie artificielle ; son principal intérêt est d’aider
le thérapeute à s’orienter dans le vaste tableau de l’autisme et du handicap
mental, et à répertorier ainsi les différents symptômes pour proposer une
thérapie pertinente. Dans la figure 5.1, nous avons dessiné des flèches à
double sens entre tous les groupes parce que chaque groupe de comporte-
ments a une influence sur les autres et que les limites entre les groupes ne
sont pas toujours claires.
Par exemple, l’incapacité à reconnaître les émotions d’autrui (déficit
spécifique) peut entraîner une anxiété (symptômes cible) en présence de
personnes inconnues, qui peut avec le temps devenir une phobie sociale
(comorbidité) ; dans ce cas, les situations sociales deviennent source
d’inconfort, et la personne aura tendance à vouloir rester seule, délaissant
T
certaines activités sociales qui lui auraient procuré du plaisir (manque de
IN
PR
T
NO
DO

Figure 5.1. Différents comportements à « traiter » dans l’autisme et le handicap


mental.
70 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

comportements épanouissants) ; le manque d’activité, à son tour, prive la


personne de toutes les occasions où elle aurait pu exercer ses compétences
et apprendre à interagir avec les autres, et peut même provoquer des sen-
timents de tristesse (symptôme cible), voire une dépression (comorbidité).

Établir une liste des problèmes


Après s’être fait une idée globale du contexte clinique, le thérapeute cher-
chera à avoir une vision plus précise des situations, comportements et
circonstances considérés comme problématiques par le patient (lorsque
ses capacités communicationnelles le permettent) et par ses aidants fami-
liaux (souvent les parents) et professionnels (les soignants, les éducateurs,
etc.). Cette étape permet aussi de ne pas se lancer d’emblée à « traiter » un
comportement (le motif principal de la demande de thérapie) qui n’est pas
forcément la meilleure cible prioritaire de la thérapie.
Le contexte clinique et l’expérience du thérapeute viennent ajouter des
T
« problèmes » à la liste. Les problèmes répertoriés peuvent correspondre à
n’importe lequel des groupes de symptômes. Il peut ainsi s’agir d’un déficit
IN

spécifique, d’une maladie psychique identifiée, d’un symptôme isolé, d’un


PR

répertoire comportemental pauvre et offrant peu de plaisir ; mais on peut


aussi inclure dans notre liste des circonstances de l’environnement (lieu de
vie inadapté, conflits, etc.) et des problèmes et des maladies somatiques.
T

Prenons l’exemple de Boris, patient ayant un TSA avec handicap mental


NO

léger. Il a intégré il y a trois mois un établissement et service d’aide par


le travail (ESAT), avec le soutien d’une équipe éducative. Pendant les pre-
DO

mières semaines, il semblait s’y plaire et il était rapidement devenu un élé-


ment actif dans son atelier. Cependant, les accompagnants ont commencé
à s’inquiéter parce que Boris avait du mal à suivre le rythme du travail et
qu’il semblait peu épanoui.
Voici la liste de problèmes établie par le thérapeute avec l’aide de Boris et
de ses parents :
1. fatigue et lenteur au travail ;
2. ne sort plus se promener avec ses parents ;
3. peur de parler avec les gens ;
4. se plaint de l’ambiance bruyante au travail ;
5. anémie découverte récemment ;
6. difficulté pour comprendre les interactions sociales (ce que les gens pen-
sent, ce qu’on attend de lui, etc.) ;
7. difficultés pour demander de l’aide (ne sait pas comment le faire ni à quel
moment) ;
8. aime les jeux vidéo, mais n’a pas l’occasion de jouer depuis qu’il travaille ;
9. peu de loisirs ;
10. peu d’activité physique.
Fixer l’objectif de la thérapie 71

Si plusieurs problèmes se ressemblent et ont été repérés au même moment,


on peut les regrouper comme un seul problème ; par exemple, la fatigue et
la lenteur au travail ont été observées au même moment dans cet exemple.
Cela permet de ne pas allonger la liste de façon excessive. En effet, il est
important que les principaux problèmes soient repérés, mais la liste ne doit
pas être trop longue non plus parce qu’elle risque de devenir inutilisable.
Dans la population générale, Persons [2008] recommande que la liste des
problèmes contienne entre cinq et huit éléments. Dans le domaine du han-
dicap, nous avons souvent besoin de listes plus longues, les problèmes étant
naturellement plus nombreux et relevant de domaines multiples.
Rappelons ici que les plaintes et difficultés du patient et de son entourage
sont ainsi regardées comme « problèmes » presque au sens mathématique,
c’est-à-dire des problèmes à résoudre dans le but améliorer le bien-être du
patient et de ses aidants, notamment sans jugement moral ni recherche de
fautifs.
Le thérapeute procède à une conceptualisation initiale pour faire des
hypothèses sur les liens entre ces problèmes, si certains d’entre eux
T
contribuent aux autres, lesquels sont des conséquences des autres, etc. ;
IN
cela l’aide à proposer des grilles d’observation et un début d’interven-
tion, mais les données recueillies grâce aux observations et aux inter-
PR

ventions viennent aussi en permanence enrichir la conceptualisation


(revoir la figure 3.1 sur le déroulement d’une TCC) ; elles nous amènent
T

parfois à changer d’objectif thérapeutique. Reprenons l’histoire de Boris.


NO

Le thérapeute, ayant pensé à une dépression, peut proposer une TCC


fondée sur l’activation comportementale (que nous expliquons dans les
DO

chapitres consacrés aux interventions). En menant les entretiens et en


proposant des tâches d’activation comportementale, on peut se rendre
compte qu’une grande partie des moments de tristesse chez ce patient est
provoquée par des situations sociales pendant lesquelles il n’arrive pas
à « assurer », il ne sait pas comment répondre aux demandes, comment
dire non, etc. On peut alors faire l’hypothèse d’un déficit en affirmation
de soi et/ou un déficit en habiletés sociales, et décider par conséquent,
en accord avec le patient et ses parents, de réorienter les interventions
pour qu’elles portent sur ce problème-là. Dans ce cas, l’entraînement
aux habiletés sociales viendra s’ajouter, ou remplacera, l’activation
comportementale.

Choisir une cible prioritaire pour la thérapie


Le schéma d’analyse fonctionnelle puis le tableau des processus présen-
tés plus loin nous aideront à émettre des hypothèses et à dégager des
pistes de thérapie à propos d’un seul comportement problématique (ou
d’un seul type de comportement), par exemple les gestes agressifs ou un
72 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

comportement de retrait et d’évitement du contact social. Le thérapeute a


besoin en même temps d’avoir un regard global sur toute la vie du sujet,
sur tous les comportements significatifs (qu’ils soient considérés comme
normaux ou pathologiques) de sa vie quotidienne. En effet, une TCC effi-
cace ne doit pas se tromper de cible. Prenons un exemple de la clinique
courante dans la population générale : si on commence des interventions
pour aider une personne à arrêter de boire de l’alcool, on risque de la pri-
ver d’un comportement que son organisme avait trouvé pour faire face
au stress et à l’anxiété. Dans ce cas, ce même organisme, si on ne lui pro-
pose pas d’autres interventions qui ciblent la gestion de l’anxiété, trouvera
d’autres moyens pour le faire, en produisant des comportements encore
plus nocifs (consommer d’autres drogues, s’isoler complètement, ne plus
aller au travail, etc.). C’est un point que nous avons évoqué en parlant
de l’éthique. Nous proposons ici de façon pratique les procédés qui nous
aident à établir des priorités dans le choix de l’objectif thérapeutique.
Là encore, établir une hiérarchie entre les objectifs ne peut se faire
qu’après avoir pris connaissance des différents aspects de la vie du sujet et
T
après avoir fait des observations de ses principaux comportements.
IN
Voici quelques repères fondés sur le bon sens clinique et sur les sciences
du comportement et en partie inspirés par les écrits de Jacqueline Persons
PR

[Persons, 2008].
T

Traiter en priorité un comportement dangereux


NO

Un comportement dangereux (pour soi ou pour autrui) doit être traité en


priorité, que le patient et son entourage soient demandeurs ou pas. Le trai-
DO

tement nécessite parfois des moyens autres que la TCC (comme les médica-
ments ou une hospitalisation).

Traiter en priorité les comportements qui risquent


d’empêcher la thérapie
Les comportements qui risquent d’empêcher la thérapie doivent être traités en
priorité, avant les symptômes qui ont amené la demande de thérapie. Dans
cette catégorie, on peut mettre tous les problèmes liés à la motivation ou à la
relation thérapeutique. Par exemple, le personnel d’un foyer de vie se plaint
d’un patient qui ne participerait pas aux activités proposées ou qui semble
souffrir et rester dans son coin, ou qui harcèle les autres résidents. Lorsque le
thérapeute commence son intervention, il se rend compte que le personnel ne
s’attendait pas à ses méthodes de travail (faire des observations structurées et
procéder à une analyse fonctionnelle) et ne souhaitait pas s’engager dans une
telle thérapie, ou ne s’en sentait pas capable. Il est évident ici que ce compor-
tement de la part des aidants (familiaux ou professionnels) est à « traiter » en
priorité car sa présence empêche le traitement des autres problèmes du patient.
Fixer l’objectif de la thérapie 73

Il en est de même pour un patient qui serait adressé pour participer à


un atelier d’entraînement aux habiletés sociales, mais qui ne vient pas aux
séances de thérapie. Dans tous ces exemples, le thérapeute considérera que
ce comportement de la part du patient ou de ses aidants est un « problème »
à mettre dans la liste des problèmes et à traiter en priorité. Dans les chapitres
sur les interventions, nous proposons de multiples exemples de thérapies
qui s’adressent à ce type de problèmes.

Modifier un environnement inadéquat


Un environnement manifestement inadéquat doit être modifié avant de
proposer des thérapies et apprentissages. Les exemples dans le domaine du
handicap sont innombrables : il arrive régulièrement que les aidants profes-
sionnels ou les parents demandent l’intervention d’un thérapeute ou d’un
médecin pour venir à bout d’un problème précis alors que ce problème
provient d’un environnement de vie peu structuré, imprévisible ou complè-
tement inadapté au profil cognitif et aux besoins de l’individu. Dans ce cas,
T
s’acharner à proposer des apprentissages et séances de thérapie ne sera que
IN
perte de temps ; la TCC dans ce cas pourrait même avoir un effet délétère
parce que, étant vouée à l’échec, elle confirmera la croyance qu’il s’agit
PR

d’une personne difficile dont la situation n’a pas de solution.


T

Cas clinique
NO

Changer d’environnement avant de proposer une TCC


K., une jeune femme porteuse d’un handicap mental moyen, vit chez ses
DO

parents. Les parents s’occupaient d’elle et arrivaient à gérer son humeur « diffi-
cile », c’est-à-dire son irritabilité et son incapacité à supporter la moindre frus-
tration ; le temps a passé et le père est tombé gravement malade, la mère a aussi
des problèmes de santé et n’arrive plus à faire face aux demandes de sa fille.
Plusieurs interventions psychothérapiques, médicamenteuses et éducatives
ont échoué pour calmer les crises de colère pendant lesquelles K. agressait sa
famille et cassait des objets.
Les thérapeutes ont enfin proposé à la patiente et à ses parents de trouver un
lieu de vie qui offre à K. un environnement plus structuré.
Les crises de colère ont effectivement cessé et la patiente exprime désormais un
grand plaisir à passer du temps dans ce lieu de vie et aussi pendant les visites
qu’elle rend régulièrement à ses parents.

Analyser les comportements autistiques


Les comportements/symptômes liés au « noyau autistique » doivent être
analysés en même temps que les comportements considérés comme patho-
logiques : ainsi, si l’on veut proposer une intervention pour traiter une
74 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

phobie, un syndrome dépressif ou un comportement agressif, il faut en


même temps penser à proposer une thérapie visant les habiletés sociales,
la régulation des émotions, la résolution de problèmes ou l’entraînement à
gérer son temps (utiliser des calendriers visuels, etc.).
Bien sûr, ces déficits spécifiques ne peuvent pas toujours être traités
avant, ni en même temps que les autres symptômes et comportements :
un patient dépressif (donc atteint d’un trouble comorbide, qui ne fait pas
partie des critères de l’autisme) ne peut pas participer à des séances de
thérapie portant sur la psychoéducation ou l’entraînement aux habiletés
sociales (thérapies spécifiques de l’autisme) ; il est important dans ce cas
de traiter d’abord les symptômes dépressifs (par la TCC ou par les médica-
ments antidépresseurs) pour que le patient devienne disponible et capable
de participer à d’autres thérapies.

Donner la priorité aux comportements susceptibles


d’en influencer d’autres
T
Si on pense que la modification d’un comportement peut avoir un reten-
IN
tissement favorable sur plusieurs autres, on donnera la priorité aux inter-
ventions concernant ce comportement. Par exemple, un de nos patients,
PR

ayant un handicap mental léger, avait tendance à agresser d’autres rési-


dents du foyer où il vivait. Il inquiétait aussi les éducateurs parce qu’il
T

cherchait souvent à se procurer des canettes de bières, qu’il consommait


NO

en excès tous les jours. Les observations cliniques et l’évaluation du fonc-


tionnement de cette personne ont montré que, bien qu’elle ait la capacité
de comprendre les situations sociales, elle n’osait pas exprimer son point
DO

de vue dans les échanges et qu’elle ne savait pas comment exprimer un


refus ou formuler une demande un peu inhabituelle. Les thérapeutes ont
formulé l’hypothèse d’un déficit de l’affirmation de soi, qui a pu favoriser
à la fois des comportements agressifs (le patient, quand il subissait des
moqueries ou des demandes excessives de la part de ses camarades, se rete-
nait longtemps et « se laissait faire », puis explosait quand il n’en pouvait
plus) et la tentation de remédier par l’alcool aux sentiments de honte et
à l’anxiété qui survenaient le soir, après une journée difficile (figure 5.2).
Une thérapie d’affirmation de soi (composante de nos ateliers de la colère)
a grandement amélioré la situation.

Donner une priorité à ce que le patient et ses aidants


trouvent prioritaire
Quelles que soient les conclusions de la liste des problèmes, le patient et ses
aidants sont souvent motivés pour travailler sur certains comportements,
mais pas sur d’autres. Le thérapeute tiendra naturellement compte de cette
Fixer l’objectif de la thérapie 75

Figure 5.2. Conséquences d’un déficit d’affirmation de soi.

T
IN
motivation. Si le patient et/ou ses aidants donnent la priorité à un objectif
thérapeutique que le thérapeute ne trouve pas pertinent, celui-ci peut soit
PR

procéder à la thérapie demandée (ce qui permet de fortifier l’alliance et


induire certains changements favorables dans la vie du patient), soit consi-
T

dérer que ce décalage dans les priorités est en soi un problème à ajouter à
NO

la liste, et qu’il pourrait faire l’objet d’une analyse fonctionnelle et d’une


intervention motivationnelle.
DO

Donner la priorité aux problèmes faciles à résoudre


Cela entraîne une amélioration rapide de la qualité de vie, un sentiment
de compétence, facilitant ainsi le traitement des autres problèmes ; par
exemple, traiter une phobie spécifique ou mettre en route un outil visuel
de gestion du temps.

Utiliser un support visuel


Pour visualiser les différents problèmes d’un patient et faire une ébauche de
conceptualisation on peut les « déposer » dans les bulles de la figure 5.3, sans
oublier les comportements liés au manque de motivation et aux difficultés
dans l’alliance thérapeutique. On peut placer au centre le « comportement
cible », c’est-à-dire celui pour lequel nous avons été interpellés en tant que
thérapeutes en TCC ou celui qui semble provoquer le plus d’inquiétude
dans l’entourage du patient. Chacun de ces comportements peut faire
l’objet d’une analyse fonctionnelle rapide.
76 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

T
IN
Figure 5.3. Ébauche de conceptualisation.
AF : analyse fonctionnelle.
PR

Cas clinique
T
NO

Exemple d’utilisation d’un support visuel


Jacques est un jeune lycéen ayant un TSA avec handicap mental léger ; il fré-
quente une classe spécialisée dans un lycée. Depuis le début de l’année scolaire,
DO

il souffrait manifestement beaucoup et s’isolait de plus en plus ; il confiait à ses


parents être l’objet de moqueries de certains de ses camarades, même de ceux
qui fréquentent cette classe ULIS. Il ne comprenait pas leurs réactions vis-à-vis
de lui, qu’il décrivait comme méchantes.
Jacques était devenu irritable à son tour ; il lui est arrivé à deux reprises de bous-
culer violemment ses camarades. À la maison, il était « à fleur de peau », ne
trouvait plus de plaisir à jouer avec sa petite sœur de 8 ans. Il était désolé de sa
propre irritabilité envers sa sœur et voulait que la situation s’améliore.
En reprenant les différentes activités et aspects de la vie quotidienne du patient,
le thérapeute a établi avec lui et avec ses parents une liste des comportements
les plus significatifs :
• TSA avec notamment des difficultés pour comprendre l’implicite dans les
propos des autres ;
• comportement « coléreux » problématique à la maison comme à l’école ;
• manque de concentration ;
• anxiété dans beaucoup de situations (surtout quand Jacques ne comprend
pas ce qui se passe) ;
• disputes avec les camarades de classe ;
• tension avec sa petite sœur. 
Fixer l’objectif de la thérapie 77

 En plus de cette liste de problèmes, le thérapeute a pu trouver de nombreux


comportements favorables, qui pouvaient aider Jacques à se sentir mieux et à
s’engager dans la thérapie :
• bon contact avec le thérapeute ;
• envie que l’ambiance à la maison s’améliore, que sa petite sœur ne souffre
pas.
Nous avons décliné la figure 5.4 en trois versions. La figure 5.4a montre sim-
plement comment le thérapeute a établi une liste des problèmes avec le patient
et ses parents ; la figure 5.4b montre les hypothèses possibles sur les liens entre
les différents problèmes.
Le thérapeute a convenu avec Jacques et avec ses parents que la priorité était
d’apprendre à réguler ses émotions en même temps qu’un entraînement aux
habiletés sociales. Grâce à cette thérapie, Jacques apprendra à mieux décoder
les intentions des autres, à leur demander des précisions sur le sens de ce qu’ils
disent, etc.
Prenons la même situation mais avec un patient qui ne connaît pas bien son
handicap ; il dit que tout est de la faute de ses camarades et que le thérapeute
n’est pas assez compétent ou digne de confiance. Dans ce cas, la conceptuali-
T
sation ressemblerait à la figure 5.4c ; il est évident dans ce cas que ces compor-
IN
tements en lien avec la motivation et la relation thérapeutique sont à traiter en
priorité car sinon ils empêcheraient tout engagement du jeune dans les autres
PR

interventions thérapeutiques.
T
NO
DO


78 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 5.4. Exemple d’utilisation d’un support visuel.


a. Liste des problèmes. b. Hypothèses sur les rapports entre les comportements (avec deux
facteurs favorables). c. Hypothèses sur les rapports entre les comportements (avec deux
problèmes supplémentaires).
6 Analyse fonctionnelle

Généralités
Comme nous l’a rappelé la figure 3.2, la conceptualisation nous permet de
passer de la théorie à la pratique, mais dans cette démarche le thérapeute
se trouve confronté à ce qui fait à la fois la force et la difficulté de la TCC :
le foisonnement des connaissances scientifiques sur le fonctionnement
du psychisme humain rend quasiment impossible pour le thérapeute de
connaître et d’utiliser au même moment toutes les données de la science
et de savoir quel « tiroir » de la TCC ouvrir pour aider son patient, tout en
tenant compte de l’ensemble du tableau clinique et du paradigme de la TCC.
Les ouvrages francophones sur la TCC proposent plusieurs grilles d’ana-
lyse fonctionnelle pour aider le thérapeute à comprendre les problèmes de
T
son patient. Il ne faut toutefois pas oublier que le but de l’analyse fonction-
IN

nelle n’est pas de remplir des grilles mais de faire des hypothèses sur les
processus qui déclenchent et maintiennent le comportement-problème et,
PR

par conséquent, de proposer des interventions précises et pertinentes, et de


les évaluer.
T

Nous proposons dans cet ouvrage une méthodologie d’AF qui tente de
NO

rendre plus facile et opérationnel ce passage des données générales de la


science vers une vraie thérapie applicable et évaluable.
DO

L’élément central de cette méthodologie est un schéma d’analyse fonc-


tionnelle qui permet de visualiser les rapports possibles entre les éléments
de la séquence comportementale, ce qui nous aide à faire des hypothèses
sur les processus en jeu et de proposer des pistes concrètes de thérapie.
Nous avons souhaité que ce « modèle » soit visuel. Pour le construire,
nous nous sommes basés sur le modèle de Fontaine et Ylieff [Fontaine et
Ylieff, 1981 ; Ylieff et Fontaine, 2006] (qui, lui-même, reprend les modèles
A-B-C et SORC), puis nous sommes inspirés des écrits de Jacques van
Rillaer [2012], de Jacqueline Persons [2008] et de Valérie Gaus [2007] ; enfin
nous l’avons enrichi par les apports de la psychologie positive. Nous l’avons
ensuite disposé de manière à tenir compte des particularités des personnes
ayant un TSA ou une DI.
La « colonne vertébrale » de cette grille est la séquence comportementale
régie par les mécanismes du conditionnement opérant. Autour de cette
séquence, nous ajoutons les autres éléments pertinents : en haut plutôt
des éléments du passé (données diachroniques, schémas de pensée), et en

TCC dans l’autisme et le retard mental


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80 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

bas les éléments du présent (mode de communication habituel, forces de


la personne et de son entourage, éléments toxiques et pharmacologiques).
Plutôt que de « vagues », nous préférons parler de « familles » de TCC
parce que, dans l’image des vagues, chacune de celles-ci efface les précé-
dentes, ce qui n’est pas le cas de nos familles de TCC, fondées toutes sur le
modèle de l’apprentissage, adoptant la démarche scientifique et agissant en
synergie. Notre modèle progresse ainsi en s’inspirant des quatre familles de
théories/thérapies en TCC :
• la première famille comporte les théories de l’apprentissage, principale-
ment l’apprentissage opérant et l’apprentissage répondant ;
• la deuxième famille comporte les théories cognitives, dont les plus répan-
dues sont celles de Beck, d’Ellis, et la thérapie des schémas de Young ;
• la troisième famille comporte les thérapies qui se proposent d’intervenir
directement sur les émotions : reconnaître les émotions, les accepter, les
mesurer, les nommer, les vivre en pleine conscience ;
• la quatrième famille est la psychologie positive, qui peut donner lieu à
des interventions variées, cognitives, émotionnelles ou comportementales,
T
dont le focus n’est plus le comportement pathologique mais les compor-
IN
tements épanouissants, liés aux valeurs et aux forces du sujet et de son
entourage.
PR

La base de la conceptualisation est l’analyse fonctionnelle, donc la


séquence ou la chaîne comportementale : situation → comportement →
T

conséquence. Cette chaîne aide à mettre au jour, d’une part, les liens entre
NO

les stimuli et les comportements, et, d’autre part, les conséquences appéti-
tives ou aversives qui vont renforcer ou éteindre le comportement étudié.
DO

La chaîne comportementale est représentée dans notre schéma par les trois
rectangles qui se succèdent. Cette séquence nous aide à faire l’analyse fonc-
tionnelle dans son versant classique (ou répondant) et dans son versant
opérant.
Pour rendre la chaîne comportementale plus informative, nous détaillons
chacun de ses trois éléments puis ajoutons d’autres informations en lien
avec les différentes familles de TCC.

Situation (stimuli antécédents)


Comme nous l’avons déjà évoqué, il est rare dans la vie réelle qu’un
comportement soit déclenché par un seul stimulus ; le comportement appa-
raît plutôt dans un contexte complexe, au milieu d’événements intriqués,
d’interactions sociales, de sensations biologiques et de pensées, tous pré-
sents à l’intérieur et autour de l’individu. On parlera alors de « situation »
ou de « contexte », englobant un grand nombre de stimuli qui finissent par
déterminer l’apparition d’un comportement. Les stimuli peuvent être des
événements externes (stimuli sensoriels, actions produites par autrui, etc.)
Analyse fonctionnelle 81

ou internes (pensées, souvenirs, sensations corporelles, etc.). En considé-


rant le rapport possible entre les stimuli et le comportement étudié, on peut
distinguer trois types de stimuli [Van Rillaer, 2012] :
• le stimulus principal (ou immédiat) est l’événement qui, suivi immédiate-
ment par le comportement étudié, semble à l’origine de celui-ci. Par exem-
ple, on ressent une faim qui nous pousse à manger ; ou un sujet porteur de
handicap mental se voit refuser une boîte de cola au restaurant, il se met
alors à crier, etc. ;
• les stimuli lointains sont des événements survenus plusieurs minutes ou
plusieurs heures avant l’apparition du comportement, et pour lesquels nous
posons l’hypothèse d’avoir facilité l’apparition de ce comportement (voir
l’exemple proposé précédemment dans le sous-chapitre « Étudier la chaîne
des stimuli antécédents dans son intégralité ») ;
• les stimuli annexes sont des événements ou des conditions présents en
même temps que le stimulus principal et qui semblent avoir participé à
l’apparition du comportement.
Les stimuli lointains et annexes sont parfois qualifiés de prédisposants ou
T
de facilitateurs [Ylieff et Fontaine, 2006]. La fatigue, le manque de sommeil,
IN
un état de santé particulier ou des lieux particuliers peuvent jouer ce rôle-là
et augmenter la probabilité pour que le stimulus considéré comme « princi-
PR

pal » soit suivi par le comportement étudié.


T
NO

Comportement
Le terme « comportement » dans le comportementalisme ne se limite pas
DO

aux actions ; il désigne tout phénomène psychique que l’on peut observer
et mettre en lien avec ce qui le précède et ce qui le suit. Dans notre modèle
d’analyse fonctionnelle, nous considérons que chaque comportement est
composé de quatre éléments en interaction permanente (d’où les flèches à
double sens dans la figure 6.1) : les émotions, les cognitions, les sensations
physiques et les actions.
Dans la figure 6.1, le comportement est d’emblée décliné dans ses quatre
composantes. Cette représentation permet au thérapeute de :
• rechercher les différents éléments d’un comportement. La colère, par
exemple, n’est pas seulement une émotion ressentie ; elle est habituelle-
ment accompagnée de manifestations physiques (le visage rouge, les mus-
cles qui se crispent, le rythme cardiaque qui s’accélère, etc.), de cognitions
(se dire que le provocateur n’a pas le droit d’agir de la sorte, qu’il nous
prend pour des imbéciles, etc.) et d’actions (crier, taper, ou au contraire, se
taire, partir, etc.) ;
• rechercher les rapports entre ces différentes composantes. En prenant
toujours l’exemple de la colère, les cognitions portant sur l’injustice subie
augmentent l’émotion coléreuse, qui à son tour provoque des actions et des
82 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique
T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 6.1. Séquence comportementale.


Analyse fonctionnelle 83

sensations particulières. Celles-ci, étant inhabituelles et correspondant à


une activation du système nerveux sympathique, alimentent à leur tour les
cognitions en rapport avec la colère. Dans cet exemple, nous pouvons voir
l’activation physiologique comme la conséquence de l’émotion coléreuse ;
cette conséquence pouvant être appétitive si l’organisme la vit comme un
sentiment de puissance et de maîtrise. Dans ce cas, l’activation du système
nerveux autonome sert de renforçateur et contribue à intensifier l’émotion
coléreuse. Cette petite séquence comportementale se trouve à l’intérieur
du gros carré central de la figure 6.1. Cependant, si les données cliniques
nous amènent à étudier le problème de la colère de façon globale, on peut
dire que le comportement à étudier est la colère et que ce comportement
est composé d’éléments cognitifs, émotionnels, physiologiques et moteurs,
dont les uns influent sur les autres, et on pourra alors rechercher les stimuli
antécédents et conséquents en rapport avec ce comportement complexe ;
• se rendre compte que les pensées, les émotions, les sensations et les actions
peuvent toutes, tour à tour, être considérées comme des comportements,
c’est-à-dire qu’elles obéissent aux lois de l’apprentissage. Nous verrons de
T
nombreux exemples dans les cas cliniques présentés dans cet ouvrage.
IN
PR

Conséquences (stimuli conséquents)


Les conséquences peuvent être déclinées de différentes manières, selon le
T

point de vue, selon leur temps d’apparition, selon leur domaine et selon
NO

leur valence (appétitive ou aversive). De même que pour la description


des stimuli et du comportement, les conséquences peuvent être rappor-
DO

tées par le patient. Dans le domaine du handicap, elles sont plus souvent
rapportées par l’entourage. Cependant, quand on en arrive à répertorier
les conséquences selon leur valence, nous sommes déjà à l’étape d’émettre
des hypothèses, et c’est donc la tâche du thérapeute de vérifier si chaque
conséquence peut être appétitive ou aversive pour le sujet.

Conséquences selon le point de vue


Comme nous l’avons déjà souligné, la façon dont l’entourage, familial et
professionnel, se comporte a une importance d’autant plus grande que le
sujet est handicapé. Après avoir fait l’analyse fonctionnelle du point de vue
du patient, il faut la faire du point de vue des sujets qui interagissent avec
lui (voir l’exemple de Sandra présenté dans le chapitre « Particularités de la
TCC dans l’autisme et le handicap mental »).

Conséquences selon le délai d’apparition


Les conséquences immédiates ou à court terme apparaissent immédiate-
ment, dans les secondes qui suivent le comportement. Elles ont un effet
84 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

Figure 6.2. Point de vue des conséquences.

puissant, renforçateur ou inhibiteur, sur le comportement qui en a été suivi.


L’effet des conséquences immédiates est d’autant plus puissant que le sujet
manque de capacités pour se projeter dans l’avenir et pour se rendre compte
des conséquences lointaines de ses actes. Les conséquences à long terme,
T
elles, apparaissent plus tard, de quelques minutes à des années après l’appa-
IN
rition du comportement. Elles nous aident à savoir si le comportement est
utile ou inutile pour le sujet et éventuellement à motiver celui-ci, ainsi que
PR

ses aidants, pour changer ce comportement.


Nous proposons aussi d’étudier les conséquences d’un comportement par
T

rapport aux valeurs du sujet : le comportement émis va-t-il dans le sens des
NO

valeurs du sujet et de ses accompagnants ou pas ? C’est cette question qui


donne toute son importance au choix d’un comportement à favoriser ou à
éteindre.
DO

La figure 6.2 montre l’exemple d’un tableau qui nous aide à repérer les
conséquences immédiates, celles qui sont lointaines et celles qui sont en
rapport avec les valeurs, cela du point de vue du sujet et de son entou-
rage. Bien sûr, ce tableau peut varier à l’infini parce que le point de vue de
l’entourage n’est pas unique, les conséquences perçues, vécues ou mises
en avant pouvant être différentes selon la personne considérée : la mère,
le père, chacun des frères et sœurs, chacun des accompagnants profession-
nels. C’est au thérapeute de faire sa « petite hypothèse » initiale pour savoir
quelles informations pertinentes il faut rechercher auprès des différents
protagonistes.

Conséquences selon le domaine d’apparition


Rechercher les conséquences par domaine d’apparition peut nous aider
quand on est en peine de conséquences visibles d’un comportement ; on
peut alors chercher :
• les conséquences affectives : comment la personne se sent à la suite de
l’apparition du comportement ;
Analyse fonctionnelle 85

• les conséquences sociales : comment les autres se comportent avec lui,


comment ils le regardent, comment ils se sentent, etc. ;
• les conséquences matérielles : ce que la personne a perdu ou gagné à
travers le comportement étudié, ce qui a changé concrètement dans son
environnement.

Conséquences selon leur valence


La figure 6.3 montre comment on peut repérer les conséquences d’un
comportement selon leur caractère appétitif ou aversif. Les termes utilisés
peuvent paraître trop techniques pour qui n’a pas l’habitude du comporte-
mentalisme. Le lecteur peu familiarisé avec cette terminologie se fera une
idée de sa signification grâce aux multiples exemples cliniques donnés dans
cet ouvrage.
En parlant des conséquences selon leur valence, nous passons de l’ana-
lyse « topographique » (décrire chaque élément de la séquence comporte-
mentale) vers l’analyse fonctionnelle au sens propre (faire des hypothèses
sur la fonction du comportement) [De Vries, 2010 ; Freixa i Baqué, 1981].
T
Le terme « valence » utilisé ici signifie que nous attribuons un caractère
IN

appétitif (agréable) ou aversif (désagréable) à un stimulus dont l’apparition


PR

suit celle du comportement. Dans les sciences du comportement, nous évi-


tons généralement de dire « agréable » et « désagréable » car ces mots por-
tent une charge morale et peuvent prêter à confusion. En effet, le caractère
T

agréable ou désagréable d’un stimulus n’est pas une caractéristique interne


NO

à l’événement qui se produit ; il est propre au contexte dans lequel se pro-


duit le comportement et à la singularité cognitive et sensorielle de la per-
DO

sonne (voir encadré ci-après sur « L’appétitif et l’aversif »).

L’appétitif et l’aversif
Le caractère agréable ou désagréable des conséquences ne peut être su a priori,
et encore moins chez des personnes dont les capacités cognitives sont limitées.
Cette précaution a un intérêt majeur dans les TSA car, en plus des difficultés
cognitives de ces sujets, il y a souvent des particularités sensorielles. Être touché,
même avec sympathie et délicatesse, peut être très désagréable pour une per-
sonne autiste ; ce sera donc un stimulus aversif, là où chez une autre personne,
autiste ou pas, cela peut constituer un stimulus puissamment appétitif. Ce
n’est donc qu’en observant de façon structurée le comportement et ses consé-
quences que nous pouvons émettre une hypothèse sur la valence de celles-ci.

N’oublions pas que le renforcement peut se produire grâce à des consé-


quences anticipées et symboliques. Renforcer un comportement ne signifie
pas seulement donner des bonbons chaque fois que le sujet arrive à faire des
puzzles pendant une période de transition.
86
Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique
T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 6.3. Formuler des hypothèses sur les contingences.


S = stimulus (ici stimulus conséquent, c’est-à-dire dont l’apparition suit celle du comportement étudié). Le signe « + » ou « – » qui suit le « S » en
indique respectivement la valeur appétitive ou aversive. Les signes qui précèdent le « S » ont un sens arithmétique : le « + » signifie l’apparition ou
l’augmentation du stimulus, le « – » signifie sa disparition ou sa diminution et le « 0 » signifie la non-apparition d’un stimulus qui était attendu.
Analyse fonctionnelle 87

Il faut voir les notions de renforcement et de récompense comme une


notion générale. Le renforcement anticipé est le moteur de la motivation, et
le renforçateur (la « récompense » escomptée) n’est pas forcément matériel,
il peut être symbolique (travailler pour obtenir son salaire à la fin du mois),
social (travailler pour enrichir ses liens sociaux), en rapport avec des valeurs
ou règles de vie (travailler pour aider les personnes handicapées, ou pour
gagner un argent qui nous permet de subvenir aux besoins de nos enfants,
ou d’aider nos proches, etc.).
Les contingences qui régissent un comportement peuvent être externes.
Par exemple, un sujet autiste a l’habitude de trop toucher les autres pour
entrer en contact avec eux ; les réactions de désapprobation peuvent jouer
le rôle d’inhiber ce comportement ; avec la guidance et les encouragements
des thérapeutes, le patient apprend à regarder les autres et à leur parler au
lieu de les toucher brusquement. Il s’agit là de contingences externes. Mais
un sujet autiste peut aussi intégrer l’idée que toucher les autres de façon
brusque n’est pas une conduite acceptable et que les règles de la vie en
commun veulent que les contacts sociaux passent d’abord par la parole ; il
T
peut décider de lui-même de changer de mode d’approche, chaque succès
IN
lui apporte une satisfaction qui est en lui-même un renforçateur, et qui aide
à forger le nouveau comportement.
PR

La théorie de l’autodétermination [Deci et Ryan, 2008], de plus en plus


utilisée dans le domaine de la psychothérapie, apporte une classification
T

claire et pratique de ces types de contingences selon leur caractère interne


NO

ou externe. Le lecteur trouvera d’autres exemples du domaine du handicap


autistique et mental dans le chapitre dédié à la motivation.
DO

Contexte
Pour mieux situer la chaîne comportementale dans son contexte, c’est-à-
dire pour la relier aux autres comportements habituels les plus significatifs
du patient, on ajoute, comme le montre la figure 6.4, les éléments per-
tinents du passé et du présent, ainsi que les facteurs médicaux et phar-
macologiques (en noir sur fond gris clair). Cela permet une ébauche de
conceptualisation puisque le comportement étudié (le problème principal
pour lequel le patient ou sa famille demande de l’aide) est visualisé dans ses
rapports avec l’histoire des apprentissages du sujet, avec l’essentiel du réper-
toire comportemental habituel et avec les éléments saillants de l’entourage.

Cognitions et schémas cognitifs


Pour mieux tirer profit des théories cognitives, nous ajoutons une case en
haut, qui représente les croyances et schémas cognitifs les plus apparents
pendant les premiers entretiens. On peut aussi ajouter les anomalies les
88
Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique
T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 6.4. Séquence comportementale dans ses rapports avec la vie du sujet.
Analyse fonctionnelle 89

plus apparentes des fonctions cognitives. Les schémas cognitifs, ainsi que
l’élément « cognition » du comportement, sont entourés dans la figure 6.5
par des lignes discontinues.

Émotions
Les théories sur les émotions sont représentées par l’élément « émotion » du
carré central et éventuellement par les sensations corporelles, qui accom-
pagnent l’expression des émotions. Ces éléments sont entourés par une
double bordure dans la figure 6.5 et permettent de réfléchir sur les interven-
tions qui se proposent de traiter les émotions sans passer par une restruc-
turation cognitive (c’est-à-dire sans discuter du contenu de la pensée) ; c’est
par exemple le cas des approches fondées sur la relaxation, la respiration,
la méditation, le repérage et l’acceptation des émotions, etc.). Pour ne pas
alourdir le schéma général, nous avons donné la même forme à ces deux
éléments (émotions et sensations corporelles) du « moulin » comportemen-
tal. Le thérapeute gagnera cependant à bien les distinguer dans son ana-
T
lyse fonctionnelle ; le vécu subjectif (quasi indéfinissable) d’une émotion
IN
n’est pas la même chose que les sensations physiologiques qui l’accompa-
gnent, et cette distinction nous permettra de générer plus de composantes
PR

thérapeutiques au profit du patient. Si nous nous centrons sur l’émotion


elle-même, nous pourrons proposer au patient des exercices de repérage,
T

d’observation, de mesure de l’intensité, de méditation, d’acceptation des


NO

différentes émotions. Si nous nous intéressons plutôt aux sensations cor-


porelles, nous tenterons d’adoucir les fortes émotions en proposant de la
DO

relaxation, de la respiration abdominale, des massages, etc.


Comme nous l’avons déjà évoqué, les interactions permanentes entre les
quatre composantes du gros carré central font que ce type de classement est
artificiel et qu’il a surtout un intérêt didactique. Par exemple, la méditation
en pleine conscience, souvent présentée comme méthode de la troisième
vague, agissant directement sur les émotions, peut aussi être considérée
comme un entraînement de l’attention et une prise de distance par rapport
aux émotions et aux cognitions du moment, que l’on s’habituera à observer
avec acceptation et bienveillance, ce qui crée de fait un style cognitif nou-
veau (donc un effet sur les schémas de pensées et les actions au quotidien).

Quelques éléments supplémentaires


Enfin, nous ajoutons (figure 6.6, en gris foncé avec des angles arrondis) trois
éléments indispensables pour la conceptualisation, et qui ont en commun
le fait de mettre en relief les aspects propices de la vie du sujet :
• la situation différentielle (S delta dans le schéma) : nous repérons dans
cette case les situations dans lesquelles nous nous attendons à l’apparition
90
Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique
T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 6.5. Composantes cognitive et émotionnelle/physiologique de la séquence comportementale.



T
IN
PR
T
NO

Analyse fonctionnelle
DO

Figure 6.6. Schéma complet de la séquence comportementale.

91
92 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

du comportement-problème, alors que celui-ci n’apparaît pas. Ces situa-


tions ont un intérêt fondamental :
– d’une part, elles nous aident à mieux préciser le stimulus discriminatif,
c’est-à-dire définir l’élément, dans la situation étudiée, qui a vraiment
une importance pour déclencher le comportement problématique. Pre-
nons l’exemple d’un sujet ayant un TSA avec DI et dont les parents ont
remarqué qu’il présente des signes d’anxiété lorsqu’il sort de la maison.
On peut penser au départ qu’il s’agit d’une agoraphobie, mais les obser-
vations structurées montrent que ce comportement n’apparaît pas quand
la sortie a pour but d’aller dans des lieux calmes ; on peut alors penser
que le véritable stimulus discriminatif est la présence de personnes étran-
gères (donc plutôt un diagnostic d’anxiété sociale et la thérapie qui en
découle). Les observations pourraient montrer chez un autre patient que
l’anxiété n’apparaît pas quand il sort par beau temps ; dans ce cas, le
stimulus discriminatif sera probablement le fait d’être exposé à la pluie
ou la peur d’avoir froid, etc. ;
– d’autre part, même si on ne réussit pas à faire des hypothèses sur le
T
stimulus discriminatif, le fait de repérer des situations différentielles nous
IN
aide à trouver des facteurs de protection. Dans l’exemple précédent, si la
situation différentielle est « sortir de chez soi quand il fait beau » et que
PR

l’on n’arrive pas à proposer une thérapie efficace contre l’anxiété, on peut
décider de recourir à des stratégies de protection en évitant au patient,
T

dans la mesure du possible et pour lui épargner une souffrance inutile,


NO

de sortir de chez lui par mauvais temps. On s’emploiera parallèlement à


favoriser les sorties et les promenades par beau temps ;
DO

• les forces : nous repérons dans cette case les forces et les qualités du
patient et de son entourage, tous les aspects de sa vie qui peuvent, d’une
part, constituer un levier dans la thérapie et, d’autre part, être une piste
pour améliorer la qualité de sa vie ;
• la motivation : il s’agit ici de repérer les principales informations pouvant
nous aider à cerner la motivation du sujet et de son entourage pour les avoir
sous le regard pendant la conceptualisation. Si le thérapeute pense que la
motivation est un problème important, il peut « déplacer » la case motivation
pour la mettre à la place du carré central (c’est-à-dire considérer que le compor-
tement principal à analyser n’est plus celui pour lequel le patient sollicite la
thérapie mais que c’est le manque de motivation). Ainsi, l’AF ne portera plus
sur le comportement « refuser de sortir de chez soi », mais sur des comporte-
ments tels que « refuser de venir voir le thérapeute », ou chez un éducateur « le
thérapeute a demandé que je fasse des observations sur le résident dont je suis
le référent, mais je n’ai pas assez de temps pour le faire », chez un parent « je
ne vois pas en quoi cette thérapie pourrait aider mon fils/ma fille », etc.
Comme nous y avons insisté précédemment, le but de ce schéma
(figure 6.6) n’est pas de remplir les cases mais de repérer les informations
Analyse fonctionnelle 93

les plus pertinentes et d’embrasser du regard les rapports entre les diffé-
rents éléments de la séquence comportementale. Le thérapeute n’a pas
besoin d’explorer à fond tous ces éléments. Il est en général plus utile de
commencer par répertorier les principales informations de chaque case puis
d’avoir une réflexion d’ensemble sur le schéma. Si un élément (les stimuli,
les cognitions, les schémas cognitifs, les conséquences, etc.) semble en jeu,
le thérapeute ouvrira le « tiroir » correspondant pour rechercher davantage
d’informations et émettre des hypothèses en rapport avec ces informations.
Par exemple, si l’étude des conséquences nous semble particulièrement
nécessaire dans le détail, on peut remplir le « tableau des conséquences »
qui permet de repérer les conséquences du comportement comme nous
l’avons décrit plus haut.

T
IN
PR
T
NO
DO
7 Tableau des processus
Le « candélabre » de la TCC

La troisième grande étape de la conceptualisation est l’élaboration


d’hypothèses. Pour cela, nous nous aidons du « tableau des processus »
(tableau 7.1), qui regroupe par famille les différents processus susceptibles
de provoquer ou d’entretenir un comportement. Cette liste n’est pas
exhaustive ; elle a pour but de donner des exemples de mécanismes. Le
thérapeute en TCC peut ainsi acquérir l’habitude de raisonner par hypo-
thèses et de fonder sa thérapie sur une conceptualisation solide du pro-
blème de son patient.
Quelques points fondamentaux sont à comprendre avant de lire et d’uti-
liser ce tableau :
• les processus sont les mêmes, que le comportement soit adapté et épa-
T
nouissant ou inadapté et source de souffrance. C’est une notion fondamen-
IN
tale en thérapie parce qu’elle nous permet, après avoir identifié un processus
à l’œuvre, de faire émerger un comportement adapté en utilisant le même
PR

processus impliqué ou un autre processus du tableau ;


• les processus ne sont pas exclusifs les uns des autres. Il faut voir chaque
T

processus comme une lampe, une bougie, dont la douce lumière nous
NO

éclaire sur un aspect du comportement, comme autant de chances sup-


plémentaires pour aider notre patient.
DO

Prenons l’exemple de Gilles, jeune homme porteur d’un TSA avec retard
mental léger, qui souffre de dépression : il est triste et ralenti, il a délaissé
ses activités favorites, ne sort plus en promenade, ne s’intéresse plus à sa
collection de figurines ; il a des crises de larmes et dit se trouver nul et
méchant, indigne de l’amour des siens. Prenons notre candélabre et explo-
rons la dépression de Gilles :
• les aspects médicaux et biologiques pourraient être considérés comme
la base du candélabre ou une première bougie à allumer. Cette « bougie
biologique » devrait nous amener à nous poser des questions telles que :
le patient souffre-t-il d’une affection médicale, d’une maladie qui a pu
perturber son organisme et favoriser l’apparition d’une dépression ? Faut-il
demander à un médecin de l’examiner ? Faut-il prévoir une prise de sang ou
d’autres examens paracliniques ? A-t-il besoin d’un traitement antidépres-
seur (ou d’autres médicaments) ?
• à la lumière de la « bougie des apprentissages », on peut voir la souf-
france dépressive comme un cercle vicieux : se sentant un peu triste et

TCC dans l’autisme et le retard mental


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Tableau 7.1. Tableau des processus.

96
Domaine Processus possible Définition Exemple Exemple de « remède »
1. Le modèle Douleur, gêne physique Le sujet ne peut pas identifier Le sujet crie et tape parce Examen médical, traitement

Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique


médical et le corps ou exprimer la douleur ou les qu’il a mal à l’oreille. antalgique
autres gênes physiques.
Affection somatique Une affection médicale Dépression favorisée par Traitement de la maladie
(génétique, neurologique, une hypothyroïdie sous-jacente chaque fois que c’est
endocrinologique, etc.) favorise possible

T
un trouble du comportement Stéréotypies correspondant

IN
ou de l’humeur. à des crises d’épilepsies
partielles complexes.

PR
Affection psychiatrique Une affection psychiatrique Le sujet crie et interpelle les Traitement de la maladie
(dépression, schizophrénie, soignants en raison d’une sous-jacente chaque fois que
addiction, etc.) favorise les anxiété généralisée ou c’est possible (antidépresseurs ou

T
troubles du comportement ou d’une dépression. activation comportementale pour

NO
la souffrance psychique. la dépression, antipsychotiques
pour la schizophrénie, etc.)
Modifications du corps/
DO
Le sujet ne comprend pas ses Le sujet produit des Psychoéducation adaptée à l’état du
sexualité propres changements corporels comportements inadaptés sujet, procurer du plaisir physique
ni ses sensations sexuelles. envers des personnes qu’il et sexuel par des moyens adaptés
trouve attirantes. (par exemple se masturber en privé)
Particularités sensorielles Le sujet perçoit de façon Le sujet exprime une peur Étudier le profil sensoriel et
douloureuse ou désagréable des intense en présence de protéger le sujet contre les stimuli
stimuli sensoriels (qui seraient certains bruits ou lumières. désagréables (ou lui apprendre à
insignifiants ou peu gênants les éviter)
dans la population générale). 
Domaine Processus possible Définition Exemple Exemple de « remède »
 2. Apprentissage


Renforcement positif Le comportement a pour Le sujet crie pour obtenir Réduire les « avantages » obtenus
opérant fonction d’obtenir (ou de l’attention de son à la suite de ce comportement ;
garder) une conséquence entourage. donner les mêmes avantages à la
appétitive (« agréable ») réelle suite d’autres comportements plus
ou anticipée. adaptés
Renforcement négatif Le comportement a pour Le sujet crie pour éviter une Supprimer le stimulus s’il est inutile
fonction d’éviter (ou activité ou une présence ou (bruits, lieu de vie étriqué ou
d’échapper à) un stimulus un stimulus interne (mal de activité trop difficile) ou le valoriser
aversif. tête, souvenir pénible) qu’il et le rendre moins aversif s’il est

T
n’aime pas. utile (décomposer la tâche à faire,

IN
etc.)
Extinction/inhibition Les comportements adaptés Les tentatives d’entrer Augmenter les conséquences

PR
ne sont pas suivis de en contact avec d’autres favorables qui suivent un
conséquences suffisamment personnes handicapées comportement utile

T
favorables ou sont même suivis ou avec la famille ou

NO
de conséquences défavorables. le personnel ne sont
pas suivies d’effet (ou
DO alors donnent lieu à

Tableau des processus


des moqueries ou à des
réprimandes).
Apprentissage Un stimulus banal (neutre) a Le patient crie dès qu’il Créer un contre-conditionnement
répondant acquis la valeur d’un stimulus voit des éducateurs coiffés (prévoir progressivement des
aversif. ou habillés d’une certaine activités agréables à faire en
manière. présence des professionnels
concernés) 

97
Domaine Processus possible Définition Exemple Exemple de « remède »
 Apprentissage social

98
Imitation de modèles Le sujet imite des modèles Un résident imite les cris Supprimer le contact avec le
produisant des comportements d’autres résidents après modèle en séparant les deux
inadaptés, ou il produit des avoir constaté que les cris personnes concernées. Proposer

Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique


comportements adaptés mais attirent l’attention du des contacts avec des modèles
dans des contextes qui les personnel. produisant des comportements
rendent inadaptés. plus utiles.
3. Traitement de Schémas de pensée trop Les schémas sont activés dans Le sujet se sent agressé Restructuration cognitive
l’information rigides des situations où ils ne sont même quand les gens (entraînement progressif à
pas utiles. parlent de façon neutre ou trouver différents points de vue et

T
il se trouve souvent nul, différentes interprétations à partir

IN
même après des expériences de la même situation)
neutres ou de réussite. Proposer une règle cognitive qui met

PR
le schéma à l’épreuve ; encourager le
patient à l’expérimenter

T
Altération de la théorie de Le sujet ne peut se représenter Le sujet ne perçoit pas Entraînement aux habiletés

NO
l’esprit, de l’empathie les intentions et émotions des l’effet que ses conduites sociales (ensemble d’interventions
autres. maladroites provoquent cognitives et comportementales
DO chez les autres. avec psychoéducation)
Troubles de la Le sujet ne comprend pas Un étudiant se trouve Aménager l’environnement pour
compréhension certaines situations car son dans une classe inadaptée, le rendre plus compréhensible ;
niveau intellectuel ou la ou engagé dans des changer de cadre ; adapter le
sévérité de son autisme ne le interactions sociales dont niveau des exigences ; remédiation
permet pas. il ne comprend pas les cognitive ; proposer des méthodes
nuances. de communication pour que la
personne puisse demander de l’aide
et des explications 
Domaine Processus possible Définition Exemple Exemple de « remède »
 4. Émotions


Perception des émotions Le sujet ne reconnaît pas ses Le sujet ne sait pas s’il est Apprendre à identifier les émotions
propres émotions. triste, heureux, en colère,
etc.
Régulation des émotions Le sujet ne sait pas Le sujet se met dans une Thérapie centrée sur la gestion
proportionner ses réactions à colère explosive à la suite des émotions (reconnaître le vécu
l’émotion ressentie. d’une frustration minime. subjectif, accepter l’émotion,
s’entraîner à réagir autrement,
demander de l’aide, etc.)

T
5. Psychologie Forces du caractère Identifier et développer les Les forces du sujet (être Identifier les qualités, forces et
positive forces du sujet généreux, serviable, atouts du sujet, créer des occasions

IN
courageux, etc.) sont à pour les exercer au quotidien
développer.

PR
Forces de l’environnement Identifier et développer les Les forces et ressources de Identifier les qualités et forces
forces de l’entourage l’entourage (des parents de l’entourage familial et

T
affectueux, soutenants ; des professionnel, et créer des occasions

NO
éducateurs respectueux, pour les utiliser
bien organisés, avides de
DO formation, etc.) sont à Apprendre au sujet dans quelle

Tableau des processus


développer. situation il peut demander de l’aide
à chacun
Activités absorbantes Identifier et développer les Faire l’inventaire des Écouter plus souvent de la musique
comportements régulés par activités quotidiennes (ou faire des jeux de sable,
une motivation intrinsèque et enrichir le répertoire d’encastrement, etc.) si cela est
(notamment les activités comportemental identifié comme source de plaisir
absorbantes)

99
100 Analyse fonctionnelle (et conceptualisation) en pratique

fatigué, Gilles a abandonné petit à petit les activités et routines de la vie


quotidienne ; le plaisir que ces activités lui apportaient commençait à
s’amenuiser. Les ayant abandonnées, il lui devient de plus en plus difficile
de les entreprendre. Le quotidien de Gilles, au lieu de s’organiser autour
des renforcements positifs (effectuer les petits gestes de la vie quotidienne,
qui apportent une satisfaction et un sentiment de maîtrise sur l’environne-
ment) s’organise dorénavant autour des renforcements négatifs (éviter ces
mêmes routines et activités pour rester tranquille, pour ne pas avoir à subir
la fatigue physique et intellectuelle qui les accompagne) ;
• prenant la « bougie cognitive », on émet l’hypothèse que le schéma de
pensée « je suis nul, je ne mérite pas d’être aimé », qui existait probablement
déjà avant le surgissement clinique de la dépression (avant que les signes de
dépression ne soient apparents), augmente les sentiments de tristesse. Dans
chaque situation de la vie quotidienne, cette croyance en sa propre nullité
filtre l’information et produit des pensées automatiques et images mentales
tristes. Par exemple, si les parents de Gilles lui proposent de sortir avec eux
pour se promener ou de prendre son vélo pour faire un tour, le schéma de
T
nullité produira des cognitions (ou pensées automatiques) du type « je n’y
IN
arriverai pas », « ce sera trop fatigant », « pourquoi ils ne me laissent pas
tranquille ? » ;
PR

• avec la « bougie émotionnelle », nous nous intéressons à la tristesse


de Gilles, en tant que vécu subjectif. Nous nous demandons si Gilles est
T

capable de repérer la tristesse et les autres émotions, s’il arrive à exprimer


NO

cette émotion pénible, s’il en est envahi et submergé ou si, au contraire, il


arrive à la gérer ;
DO

• enfin, la « bougie des forces » nous aide à rechercher les forces et compé-
tences de Gilles et à voir si celles-ci sont pleinement valorisées et exploitées.
L’étaient-elles avant l’épisode dépressif ? Le sont-elles pendant cet épisode ?
Quels comportements peut-on favoriser pour enrichir le répertoire compor-
temental de Gilles ? Quelles sont les qualités et ressources psychologiques
que l’on peut exploiter pour combattre la dépression ? Par exemple, si on
repère la force « être apprécié par son entourage », on aidera Gilles à prendre
conscience de cette force, en en parlant, certes, mais surtout en créant, dans
son quotidien, de fréquentes situations qui lui permettent d’exercer cette
force-là.
N’oublions pas que ces cinq bougies participent du même « candélabre ».
Elles ont toutes en commun de se référer aux théories de l’apprentissage
et d’adopter la démarche scientifique, c’est-à-dire expérimentale : partir
d’observations structurées, concrètes, formuler des hypothèses sur les pro-
cessus en jeu puis appliquer une thérapie pour tester les hypothèses.
8 Introduction aux
interventions
Pour illustrer la conceptualisation et la façon dont on peut adapter les tech-
niques de TCC chez les personnes ayant un handicap mental, nous présentons
dans les pages qui suivent plusieurs exemples cliniques. Pour chaque cas, nous
présentons le problème clinique et l’analyse fonctionnelle puis proposons des
hypothèses sur les principaux processus qui sous-tendent les comportements
problématiques. Nous suggérons ensuite la thérapie qui permet d’enrayer ou
de remplacer ce processus. Le travail du thérapeute n’est pas de lutter contre
un comportement pathologique mais de faciliter l’émergence d’un compor-
tement adapté remplissant la même fonction ; c’est ce travail-là qui fera, petit
à petit, disparaître le comportement pathologique. Ainsi, plutôt que de lutter
contre un comportement agressif (et après avoir assuré la sécurité du patient
T
et de son entourage), nous tenterons d’apprendre au patient un autre compor-
IN
tement, une façon plus pacifique de s’exprimer et de communiquer avec son
entourage. À une patiente dépressive on ne dira pas « ne reste pas toute seule
PR

dans ton coin » mais plutôt « choisis entre ces deux activités », etc.
Un comportement problématique, dans notre paradigme, ne signifie pas
T

toujours un comportement agressif. Le manque d’autonomie, le retrait,


NO

l’ennui, la tristesse ou l’anxiété sont des exemples courants de comporte-


ments pouvant être considérés comme problématiques car ils provoquent
DO

beaucoup de souffrance aussi bien chez le sujet que dans sa famille.


Les processus suggérés par les différentes familles de théories de TCC (par
les différentes bougies) ne sont que des hypothèses, et ne sont pas exclusifs
les uns des autres. Dans chaque cas, le thérapeute envisagera, pour trouver
des techniques adaptées, les hypothèses qui lui semblent les plus perti-
nentes et surtout les plus susceptibles de générer des thérapies concrètes. Le
lecteur remarquera que les interventions sont classées selon le processus (ou
l’angle de vue, la bougie) principal par lequel nous avons abordé le sujet,
mais cela n’empêche évidemment pas d’y associer des interventions issues
des autres bougies, tant que l’ensemble des techniques mis en œuvre est
fondé sur une conceptualisation cohérente.
La souffrance d’un individu porteur de handicap est souvent liée à un
environnement inadéquat. Dans notre tableau des processus, l’environne-
ment est présent dans toutes les bougies. Promouvoir des comportements
épanouissants inclut forcément un travail sur l’environnement : structurer,
enrichir, sécuriser, etc.
Nous avons pris le parti de présenter les exemples cliniques de façon
relativement sommaire et simplifiée. Il nous semble qu’un thérapeute déjà

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104 Interventions

familiarisé avec la TCC, armé de notre modèle de conceptualisation et ayant


des connaissances de base sur le handicap autistique et mental, tirera plei-
nement profit de ces exemples, qui agiront en « apprentissage implicite »
en lui donnant le savoir-faire qu’il recherche. Les non-professionnels et les
thérapeutes peu familiarisés avec la TCC trouveront dans ces pages des exem-
ples qui les aident à voir les situations un peu différemment, à reprendre
espoir pour leur enfant, à reprendre depuis le début l’analyse de la situation
de leur patient, à élargir le champ des conseils qu’ils sont amenés à donner
aux accompagnants. Ainsi, la plupart des exemples qui suivent paraîtront
incomplets, avec des informations qui manquent, une conceptualisation peu
fouillée ; mais c’est comme dans la vraie vie du professionnel : nous partons
de quelques données de base, puis tentons de les compléter et de les enrichir.
Les interventions sont présentées dans un ordre qui suit celui de notre
tableau des processus :
• conceptualiser ;
• aspects médicaux et biologiques (le modèle ou la bougie médicale) :
– repérer les symptômes physiques gênants ;
T
– soigner les troubles psychiques associés ;
IN
– donner leur place aux médicaments ;
– explorer le sommeil
PR

• interventions fondées sur les lois de l’apprentissage (les stimuli, les


comportements, les conséquences) :
T

– faire des hypothèses sur les contingences ;


NO

– agir sur les stimuli ;


– forger des comportements : réguler les comportements sexuels ;
DO

– forger des comportements : l’entraînement aux habiletés sociales ;


– retrouver maîtrise et plaisir : l’activation comportementale dans la
dépression ;
• interventions fondées sur les théories cognitives (les représentations et
images mentales, les autoverbalisations, les schémas de pensée) : assouplir
la pensée ;
• interventions fondées sur les émotions (repérer, réguler, apprendre,
exprimer, relier les émotions aux autres éléments de la séquence comporte­
mentale) :
– réguler et enrichir les émotions : la thérapie en individuel ;
– réguler les émotions en groupe : les ateliers de la colère ;
• interventions vues selon les approches fondées sur les forces (utiliser les
lois de l’apprentissage, les interventions cognitives, les émotions, non pour
« guérir » mais pour développer ce qui va déjà bien) :
– motiver ;
– développer les forces ;
– soutenir les familles ;
– soutenir les professionnels.
9 Conceptualiser
L’analyse fonctionnelle se nourrit
des observations et donne
des pistes de thérapie

Sonia a 30 ans. Elle vit depuis plusieurs années dans une maison d’accueil
spécialisée et passe chez ses parents, âgés, un week-end sur deux. L’unité
où elle vit accueille des résidents porteurs de TSA avec déficience intel-
lectuelle sévère ou d’un polyhandicap lourd. L’unité de vie est composée
d’une grande salle de séjour permettant à la fois des activités et des repas.
Les chambres individuelles se trouvent autour de cette grande pièce, et
s’ouvrent sur elle.
T
Le langage de Sonia se limite à quelques mots, prononcés quand elle
essaie d’entrer en contact avec les autres. Elle s’occupe peu dans la journée,
IN

s’asseyant souvent par terre au milieu de la salle. Plusieurs fois par jour, elle
PR

s’anime brusquement, se lève et se dirige vers le personnel ou les autres


résidents ; elle les touche avec des mouvements saccadés et maladroits, sans
contact visuel, le regard restant dans le vague par-dessus son interlocuteur,
T

en tentant de l’agripper. Il lui arrive souvent de cracher sur les personnes.


NO

Parfois elle se met en face de certains autres résidents et s’adonne à des


échopraxies et échomimies, ponctuées de grands éclats de rire.
DO

L’équipe essaie de lui donner des repères dans les activités quotidiennes
et lui propose de temps en temps des promenades ou des moments en
piscine ; la résidente reste cependant oisive la plupart du temps.
Le problème qui se pose concerne le moment des repas. Ceux-ci se font
en deux temps dans la salle centrale. Sonia perturbe ce temps ; lorsque le
personnel fait manger les plus dépendants dans leurs fauteuils, elle bouge
beaucoup, crache beaucoup et vient pousser les personnes présentes
(personnel comme résidents). Ce comportement dérange évidemment le
personnel et entraîne chez eux un sentiment d’insécurité, et surtout une
crainte pour les autres résidents.
Plusieurs solutions ont été envisagées. Dans un premier temps, Sonia a été
laissée dans sa chambre, porte fermée. Elle tambourinait alors sur la porte.
Le personnel a ensuite essayé de la mettre dans sa chambre, porte ouverte,
avec une petite barrière qui l’empêchait de sortir, mais qui la laissait voir ce
qui se passait dans la salle centrale, où se déroulait le repas des résidents les

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106 Interventions

plus dépendants. Sonia continuait d’avoir des troubles du comportement :


son visage se crispait et elle crachait de plus en plus loin à travers la salle.
Ce comportement augmente au fil des semaines et se généralise à d’autres
moments de la journée.
Cette situation est devenue l’objet d’un conflit entre la direction, qui
reproche au personnel de délaisser Sonia dans ces moments de repas, et
le personnel, qui est démotivé, en colère car il ne voit pas d’autres solu-
tions pour l’empêcher de perturber les autres résidents pendant le repas.
Les parents aussi sont choqués de voir leur fille enfermée pendant les repas.

Conceptualisation
Commençons par faire l’analyse topographique de cette situation, du point
de vue de la patiente et du point de vue du personnel, comme le montre la
figure 9.1.
Dans la figure 9.2, on distingue les conséquences immédiates, différées,
et les conséquences en rapport avec le sens du comportement, c’est-à-dire si
T
celui-ci est en harmonie avec les valeurs auxquelles la personne adhère ou
IN
contraire à ces valeurs.
PR

Hypothèses et pistes de thérapie


T

1. Dans cette histoire, le personnel, la direction et la famille semblent


NO

partager le même objectif final, à savoir que Sonia aille bien, et que sa
conduite générale soit compatible avec la sérénité et la sécurité des autres
DO

résidents. Ils sont toutefois pris dans un conflit parce que les méthodes
utilisées ne fonctionnent pas. On peut dire qu’il y a discordance entre les
visions que chacun a des valeurs partagées. Ainsi, à la lumière de la bougie
des apprentissages, les conséquences du même phénomène (un trouble du
comportement) sont très divergentes selon qu’on les voit « avec les yeux »
de Sonia, de ses accompagnants ou de la direction de l’établissement.
2. Le thérapeute peut jouer ici un rôle de médiateur, en partageant des
éléments de cette analyse fonctionnelle avec le personnel et la direction.
Il mettra ainsi l’accent sur les valeurs de l’équipe et de la direction, la
façon dont tout cela est mis à mal par la lourdeur du handicap, et posera
comme principe que nous (équipe, direction, patiente et famille) pouvons
tous collaborer en adoptant une posture de résolution de problème. Il
s’agit en quelque sorte de rapprocher la perception des conséquences,
d’atténuer les conséquences punitives et de rechercher des comporte-
ments susceptibles de produire des conséquences appétitives pour tous les
protagonistes.
3. Un autre aspect frappant est que la patiente est désœuvrée, a peu d’acti-
vités dans la vie de tous les jours. Son répertoire comportemental semble

T
IN
PR
T
NO
DO

Conceptualiser
Figure 9.1. Schéma de conceptualisation (histoire de Sonia).

107
MAS : maison d’accueil spécialisée
108 Interventions

Figure 9.2. Analyse des conséquences des comportements de Sonia du point


de vue de la patiente et du point de vue du personnel.
R+ : renforcement positif : ajout dans l’environnement d’un élément appétitif.
R– : renforcement négatif : retrait de l’environnement d’un élément aversif.
P+ : punition (ou inhibition) positive : ajout dans l’environnement d’un élément aversif.
P– punition (ou inhibition) négative : retrait de l’environnement d’un élément appétitif.
T
IN
PR

limité. Pour contrecarrer ce mécanisme, nous posons l’hypothèse que si le


répertoire comportemental est bien étudié et les activités quotidiennes enri-
chies, Sonia produira moins de comportements inadaptés. Il s’agira donc
T

d’identifier les activités que la patiente sait faire et aime faire. Un inventaire
NO

des activités est un élément fondamental de l’AF et permettra d’augmenter


le temps de bien-être, de créer des conditionnements classiques épanouis-
DO

sants et de réduire la valeur appétitive des troubles du comportement (si j’ai


la possibilité d’obtenir du plaisir et de l’attention par d’autres moyens, j’ai
moins besoin de crier et de cracher).
4. Identifier les activités que la patiente n’aime pas : cela nous aidera à
réduire les temps aversifs, à trouver d’autres occupations, et lorsque les
activités aversives s’avèrent quand même nécessaires pour l’autonomie et
l’hygiène de la patiente (par exemple prendre sa douche, participer à la vie
de la communauté, manger en famille, sortir avec ses parents), on essaiera
d’identifier les éléments qui rendent aversive cette activité. Ainsi, ces élé-
ments peuvent être modifiés afin que l’activité devienne moins pénible. Par
exemple, si Sonia n’aime pas prendre sa douche, c’est peut-être à cause de
l’environnement bruyant (dans ce cas, on tentera de réduire les bruits ou de
décaler l’heure de la douche vers un moment où il y a moins de résidents
près de la salle de bain) ou du type de gel douche utilisé (on tentera alors
d’autres marques, d’autres parfums, etc.). Un autre axe de travail pour faire
accepter les activités aversives est d’améliorer les capacités de communi-
cation chez la résidente pour que l’activité soit mieux comprise et qu’elle
entraîne plus de satisfaction.
Conceptualiser 109

5. Identifier les forces de la patiente et les activités qu’elle aime : l’EFI sera
ici un outil intéressant [Willaye, 2005], mais, même avant de recourir à
des outils spécifiques, nous pouvons dire que Sonia est capable d’imiter
de courtes séquences motrices, qu’elle aime le contact social (malgré son
regard « absent ») et qu’elle est capable de se concentrer sur des activités
simples de courtes durées. Ces forces nous aideront à imaginer une multi-
tude d’activités susceptibles de l’intéresser.
6. Identifier les forces de l’entourage familial et professionnel : le théra-
peute peut faire avec les parents l’inventaire des moments pendant lesquels
leur fille semble aller bien, les situations dans lesquelles les parents arrivent
d’eux-mêmes à trouver des solutions, etc. Le personnel éducatif, quant à
lui, semble capable de réfléchir aux problèmes, de dresser des observations
fines, de proposer des activités ; il est demandeur d’aide, etc.
7. Couper la chaîne des stimuli : tenter un isolement (en fermant la porte)
de courte durée et en prévoyant une activité que la patiente puisse faire
pendant l’isolement. Peut-elle s’occuper seule pendant quelques minutes
(télévision, musique, pâte à modeler) ? Ne pas oublier que l’isolement n’est
T
en aucun cas une punition, mais une protection pour tout le monde, y
IN
compris en faveur de la patiente (protection sensorielle) qui, si elle avait un
niveau intellectuel normal, aurait sans doute demandé d’elle-même à s’iso-
PR

ler dans sa chambre pour échapper aux bruits et aux autres stimuli gênants.
8. Évaluer les capacités de communication, éventuellement en utilisant le
T

ComVoor [Verpoorten et al., 2012] : la patiente est probablement au stade


NO

de la communication par objets et comprend beaucoup moins de choses


que l’équipe ne le pense.
DO

9. Agir sur les contingences du point de vue de la patiente :


• ne pas faire suivre un trouble du comportement par une activité qu’elle
aime, mais par l’indifférence ou par un isolement pratiqué calmement, sans
reproche, sans que le personnel crie ;
• lui consacrer du temps et lui offrir des activités qu’elle aime à des moments
où son comportement est adapté.
10 Repérer les symptômes
physiques gênants
(chercher l’épingle !)

Le philosophe Alain le dit joliment dans ses Propos sur le bonheur


[Alain, 1928] : « Lorsqu’un petit enfant crie et ne veut pas être consolé,
la nourrice fait souvent les plus ingénieuses suppositions concernant ce
jeune caractère et ce qui lui plaît et déplaît ; appelant même l’hérédité au
secours, elle reconnaît déjà le père dans le fils ; ces essais de psychologie se
prolongent jusqu’à ce que la nourrice ait découvert l’épingle, cause réelle
de tout. »
Les causes médicales sont à envisager en premier lieu quand le sujet por-
teur de TSA ou de DI semble en souffrance ou quand son comportement
T
général change de façon inexpliquée.
IN

Raphaël a une quarantaine d’années, il est porteur d’un TSA avec DI


légère. Dans son lieu de vie, une maison d’accueil spécialisée, il partici-
PR

pait peu aux activités quotidiennes proposées. Il était connu pour être un
résident assez difficile, qui inspirait la méfiance au personnel parce qu’il
T

donnait régulièrement des coups, il lui arrivait aussi de mordre les autres
NO

résidents et de s’automutiler.
Le personnel était donc un peu habitué aux comportements inadaptés de
DO

Raphaël. Ils se sont cependant inquiétés parce que les comportements agres-
sifs étaient devenus plus fréquents depuis quelques semaines. Le médecin a
examiné Raphaël, sans trouver d’anomalie particulière. Il a prescrit quand
même du paracétamol dans l’hypothèse d’une douleur ; c’était sans effet.
Dans les jours qui ont suivi, la situation s’est dégradée. Raphaël était en
mauvais état général, le teint pâle, il criait, tapait sur les murs et, par hasard,
on a constaté du pus qui sortait de son oreille. L’examen médical a confirmé
par la suite la présence d’une otite. Le traitement par antibiotique a forte-
ment réduit les troubles du comportement.
Dans cet exemple, le piège était que les troubles du comportement exis-
taient déjà avant la maladie, mais leur fréquence a beaucoup augmenté
en raison de l’otalgie. En plus, le médecin, n’a rien constaté lors du pre-
mier examen, l’otite étant encore à ses débuts, d’où l’intérêt de répéter les
examens.

TCC dans l’autisme et le retard mental


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112 Interventions

Dans ses recommandations de bonnes pratiques, la Haute Autorité de


santé [HAS, 2011] rappelle que même pour les adultes ayant un TSA sans
retard mental, le fait de ressentir une douleur est difficile à nommer et à
transmettre et que l’on ne doit pas attendre une déclaration spontanée de
celle-ci. Les adultes ayant un TSA, a fortiori s’ils ont un retard mental, igno-
rent parfois qu’ils peuvent le dire à leurs proches ou aux professionnels.

T
IN
PR
T
NO
DO
11 Soigner les troubles
psychiques associés
Détecter une « comorbidité », c’est-à-dire une maladie psychiatrique ou
somatique qui s’ajoute au trouble autistique ou au handicap mental, fait
partie de la conceptualisation. Interpellé par la souffrance d’un sujet han-
dicapé, l’accompagnant, surtout s’il est professionnel de la santé, doit se
demander si nous sommes en présence d’un trouble psychique (ou mental)
caractérisé. Un diagnostic de comorbidité a un double intérêt ; d’une part,
il ouvre des portes insoupçonnées pour aider le patient ; le trouble psy-
chique qui s’ajoute au handicap peut souvent bénéficier d’un traitement
médicamenteux spécifique (comme dans le cas de la dépression ou du
trouble bipolaire) qui améliore la situation et facilite l’aide éducative et
psychothérapique ultérieure. D’autre part, le diagnostic d’une comorbidité
T
nous éclaire sur la conceptualisation et les protocoles thérapeutiques qui en
IN
découlent. Par exemple, le diagnostic d’une dépression nous conduira à pri-
vilégier, en même temps ou à la place des antidépresseurs, un programme
PR

d’activation comportementale.
T

La dépression n’est pas toujours triste !


NO

Dans cette population ayant un autisme ou un retard mental, la dépres-


DO

sion a souvent une présentation atypique. Certes, les personnes disposant


de langage fonctionnel et capables d’exprimer leurs émotions peuvent dire
qu’elles sont tristes, mais le clinicien aura toujours besoin d’informations
données par les tiers. L’entourage peut ainsi rapporter des signes évoquant
la dépression, tels que la mimique triste, les crises de larmes, l’anhédonie
(la perte d’intérêt pour des activités, des personnes et des objets qui sus-
citaient autrefois du plaisir), le retrait, l’irritabilité (avec des comportements
auto- ou hétéroagressifs), les troubles du sommeil, la perte des compétences
acquises, l’inappétence (avec perte de poids) et même parfois des propos
suicidaires. Plus le langage est pauvre, plus le clinicien comptera sur les infor-
mations données par les aidants pour étayer son diagnostic. La dépression se
manifeste habituellement par l’apparition de plusieurs de ces signes, qui per-
sistent même si les événements ayant pu leur donner naissance ne sont plus.
Comme nous l’avons évoqué avec notre « candélabre », la dépression peut
être vue de différentes manières complémentaires : ici comme un trouble
mental qui justifie un traitement antidépresseur et, plus loin, avec l’activa-
tion comportementale, comme un processus de renforcement négatif.

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114 Interventions

Laurent, jeune homme de 28 ans, ayant un TSA avec une DI légère, vit
dans un foyer et passe ses week-ends chez sa mère. Cependant, ces journées
en commun que partageaient mère et fils se passaient de plus en plus mal.
Laurent, déjà un peu irritable pendant la semaine, prit brusquement l’habi-
tude d’injurier sa mère dès la moindre contrariété. La mère était persuadée
que son fils lui en voulait de l’avoir placé dans un foyer, et qu’il n’osait
pas ou ne savait pas le dire. À part cela, Laurent était souriant la plupart
du temps à la maison ; ni la mère ni le personnel de l’établissement n’ont
repéré d’événement pouvant expliquer ce changement de comportement.
En plus, Laurent était en bonne santé, l’examen médical somatique était
dans les normes.
En interrogeant la mère et le personnel du foyer, les thérapeutes ont mis
en évidence des signes discrets de dépression : quelques crises de larmes
inexpliquées, tendance à être moins souriant et moins loquace pendant ses
activités favorites, sommeil un peu raccourci le matin. Un traitement anti-
dépresseur fut prescrit, ce qui rétablit la situation au bout de deux semaines.
On voit ici que le signe principal qui annonçait la dépression était l’irritabi-
T
lité et les comportements agressifs.
IN

À retenir
PR

Une « règle d’or » dans l’autisme et le handicap mental


T
NO

Chez les personnes qui n’ont pas de langage fonctionnel, la douleur physique et
la dépression sont deux conditions à évoquer devant toute modification inex-
pliquée du comportement, notamment lors de l’apparition ou de l’aggravation
DO

des comportements agressifs, cela avant même de chercher à faire l’analyse


fonctionnelle de ces comportements.

Exemple de la bipolarité
Benjamin est un adolescent de 15 ans, porteur d’un TSA avec handicap
mental. Son langage est pauvre, limité à quelques mots et expressions dont
le sens est incertain.
Ses parents décrivent des troubles du comportement évoluant depuis
quelques années. Benjamin mord les bras de ses parents, parfois des autres
proches, ou essaie de les tordre. Ces comportements agressifs sont présents
presque tous les jours ; ils semblent parfois provoqués par une frustration,
quand les parents disent non à une demande, mais bien souvent on n’arrive
pas à identifier de facteur déclenchant.
Les thérapeutes, sollicités par les parents, ont établi des grilles d’obser-
vation qui ont confirmé l’impression initiale des parents, à savoir que les
troubles sont généralement provoqués par des frustrations (par exemple,
Soigner les troubles psychiques associés 115

Benjamin veut que sa mère reste avec lui au lieu d’aller au travail, il essaie
de la retenir, etc.). Ces comportements apparaissent cependant aussi en
l’absence d’événements frustrants.
Les observations ont été poursuivies sur de plus longues périodes. Elles
ont finalement montré une légère variation des troubles : deux ou trois fois
par an, et pendant quelques semaines, les troubles sont plus fréquents que
le reste du temps. Les thérapeutes ont formulé l’hypothèse d’une cyclo-
thymie ou d’un trouble bipolaire. Un traitement thymorégulateur a apporté
une grande amélioration. Depuis trois ans, le jeune homme continue de
produire des gestes agressifs de temps en temps ; leur intensité cependant
est moindre et leur fréquence est descendue au quart environ de ce qui était
constaté auparavant. Maintenant que les troubles du comportement sont
devenus moins massifs, il a été plus facile pour les thérapeutes de mener,
en collaboration avec les parents, une analyse fonctionnelle des troubles
résiduels, que le traitement médicamenteux n’a pas pu juguler. Celle-ci a de
nouveau mis en avant l’hypothèse de gestes agressifs en cas de frustration,
le patient ayant du mal à supporter la colère provoquée par ces situations.
T
Ainsi, dans un deuxième temps, une aide à gérer les émotions a été mise
IN
en place, en même temps l’équipe soignante a aidé la famille à améliorer
l’utilisation du système de communication par images, qui était déjà en
PR

place. Au terme de cette thérapie, les gestes agressifs sont devenus très rares
et, surtout, Benjamin semble plus heureux qu’avant.
T
NO

Accepter les médicaments


DO

L’histoire de Bruno nous montre comment un traitement médicamenteux


peut aider le sujet porteur de handicap à un certain moment de sa vie, et
surtout comment le thérapeute peut travailler avec le patient et sa famille
pour accepter ce traitement.
Bruno est un jeune de 17 ans, porteur d’un TSA avec une DI moyenne.
Il vit chez ses parents et fréquente un IMPRO. Il peut faire des phrases
correctes, souvent hors contexte, mais son langage, en temps normal, est
plutôt fonctionnel (il sait exprimer ses besoins, demander de l’aide, etc.).
Au début de l’année scolaire, malgré une bonne intégration à l’IMPRO
et un environnement familial stable et sécurisant, les éducateurs et les
parents furent alarmés par une angoisse croissante ; Bruno était comme
fébrile, semblait avoir peur des gens et finissait par ne plus vouloir sortir de
la maison. Le médecin a évoqué une dépression, un trouble anxieux, une
agoraphobie. Cependant, les interventions en TCC proposées s’avérèrent
inefficaces, tant l’anxiété était, et restait, sévère. Les parents, initialement
réticents pour donner un traitement médicamenteux, avaient accepté que
leur fils prenne un antidépresseur. Les accompagnants, parents comme édu-
cateurs, ont finalement remarqué que Bruno avait des attitudes d’écoute
116 Interventions

(comme s’il avait des hallucinations auditives). Le médecin a évoqué un


épisode psychotique aigu et a proposé un traitement antipsychotique. Les
parents étaient toujours un peu réticents ; les thérapeutes ont alors orienté
la TCC pour travailler avec les parents, non sur l’anxiété de Bruno, mais
sur la perception des médicaments par les parents. Ils ont réussi à instaurer
un climat de confiance et d’empathie avec les parents, leur ont posé des
questions ouvertes sur leurs craintes. Les craintes des familles des personnes
autistes au sujet des médicaments psychotropes sont justifiées et il faut les
prendre en compte ; ces médicaments ne doivent pas être prescrits ou pris
à la légère. Il est cependant du devoir des thérapeutes d’évaluer avec les
proches (et avec le patient lorsque ses capacités cognitives le permettent) le
rapport bénéfice/risque du médicament et, si ce rapport est avantageux, de
les aider à accepter le traitement.
Cette démarche est particulièrement importante en cas d’épisode psy-
chotique aigu car la TCC n’y est pas indiquée, le seul traitement efficace
étant les médicaments antipsychotiques. Dans le cas de Bruno, une dose
modérée d’antipsychotique a apporté un soulagement rapide de l’anxiété
T
et une disparition des hallucinations. Dans d’autres cas, les parents ayant
IN
maintenu leur opposition au traitement, la souffrance psychotique a per-
sisté beaucoup plus longtemps.
PR
T
NO
DO
12 Donner leur place
aux médicaments
Le champ de l’autisme et du handicap mental donne parfois lieu à des
débats passionnés autour des médicaments. Nous pensons qu’il faut ici
se garder de toute attitude dogmatique et ne pas tomber dans le piège du
« pour ou contre les médicaments ». Dans ce livre consacré aux TCC, nous
avons estimé utile d’évoquer la prescription des médicaments psychotropes
(c’est-à-dire ceux qui agissent sur les symptômes et troubles psychiques) et
les rapports de ceux-ci avec la TCC. En effet, TCC et médicaments sont les
deux grandes voies qui se proposent d’agir sur la souffrance psychique et
qui partagent la démarche scientifique, c’est-à-dire qu’ils se prêtent à l’éva-
luation de leur efficacité et de leurs effets secondaires.
T
IN
Prescrire les psychotropes
Les médicaments psychotropes peuvent être très utiles dans cette popula-
PR

tion. En plus des indications officielles faisant l’objet d’une autorisation de


mise sur le marché (couramment appelée AMM), les psychotropes peuvent
T

être prescrits pour soulager certains symptômes psychiques gênants.


NO

Cependant, les essais cliniques qui démontrent l’efficacité et l’innocuité


des médicaments portent généralement sur des sujets n’ayant pas de handi-
DO

cap neurodéveloppemental, et il faut donc être prudent quand on transpose


les indications à des personnes au terrain cérébral particulier.
Il faut se méfier des deux positions extrêmes : prescrire les psychotropes
est souvent une solution de facilité devant des comportements gênants ou
déconcertants, qui inquiètent l’entourage. Cependant, si on s’oppose sys-
tématiquement à la prescription de médicaments chez les personnes por-
teuses de handicap, on risque de prolonger inutilement leur souffrance, en
les privant d’une méthode qui aurait pu leur apporter une aide précieuse.
La meilleure position humaine et éthique serait alors d’être ouvert à la
prescription de médicaments, mais en respectant les règles de prescription
et d’évaluation, et surtout en intégrant la prescription médicamenteuse à la
prise en charge globale de la personne.
Les médicaments psychotropes sont utiles surtout dans deux cas de
figure :
• devant la comorbidité psychiatrique : c’est-à-dire lorsqu’un trouble psy-
chique caractérisé vient s’ajouter au tableau du handicap. Nous avons vu
dans les chapitres précédents les exemples de la dépression, du trouble bipo-
laire, de l’épisode psychotique aigu, etc. Dans ce domaine, les médicaments

TCC dans l’autisme et le retard mental


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118 Interventions

peuvent être utilisés dans leurs indications habituelles, prescrits par un


médecin qui les connaît bien et avec la surveillance clinique, biologique et
électrocardiographique recommandée pour chacun. Il ne faut toutefois pas
oublier que dans beaucoup de cas le traitement médicamenteux n’est pas
la seule option et que beaucoup de troubles psychiques peuvent être traités
aussi par la TCC ;
• devant les symptômes « cibles » isolés : ce sont des phénomènes
gênants qui ne font pas partie des critères du handicap (TSA ou retard
mental) et qui ne sont pas suffisamment sévères ou complets pour qu’on
puisse diagnostiquer un trouble psychique. Parmi les symptômes gênants
fréquemment rencontrés en clinique, on peut citer l’instabilité émotion-
nelle, l’irritabilité, l’hyperactivité, les gestes auto- ou hétéroagressifs et
certaines stéréotypies. C’est surtout dans ce deuxième cas de figure que
les médecins peuvent être pris dans le piège de multiplier les prescrip-
tions des médicaments avec une efficacité incertaine. Nous préconisons
alors de prescrire les médicaments à doses progressives, attendre suffi-
samment longtemps pour juger de l’efficacité du traitement et des effets
T
secondaires. Il faut surtout apprendre à arrêter les psychotropes quand le
IN
bénéfice escompté en est incertain (voir l’encadré ci-après « En pratique :
des points de vigilance »).
PR

Interactions entre TCC et médicaments


T
NO

TCC et médicaments peuvent ainsi être deux approches complémentaires :


certains médicaments, en réduisant la détresse psychique de façon rapide,
DO

facilitent la mise en route des interventions psychothérapiques. La TCC,


une fois en route et dès qu’elle commence à porter ses fruits, permet de
réduire les psychotropes en cours, voire de les arrêter. Dans beaucoup de
cas, les aidants ont le choix entre ces deux approches ; par exemple, devant
une dépression légère, on peut proposer une TCC (un programme d’acti-
vation comportementale) ou un médicament antidépresseur, parfois les
deux. Le tout est d’évaluer les avantages et les inconvénients, la faisabilité,
la tolérance.
Dans d’autres cas, comme dans les épisodes psychotiques aigus, les
accès maniaques et la dépression sévère, la TCC n’est pas possible : il faut
mettre rapidement en route un traitement médicamenteux. Une fois la
situation améliorée, on peut envisager une TCC pour aider la personne à
aller mieux.
Dans d’autres cas encore, comme dans les troubles anxieux et dans
beaucoup de symptômes isolés (anxiété, tristesse, irritabilité, etc.), on peut
envisager la prescription de médicaments, mais il faut le faire de façon rai-
sonnée, dans le cadre d’une conceptualisation globale des problèmes du
patient. C’est ici que la TCC trouve un intérêt supplémentaire : elle permet
Donner leur place aux médicaments 119

de diminuer le recours aux médicaments : moins de molécules, et à des


doses moins lourdes.
Les médicaments ont en général un délai d’action plus court que les pro-
tocoles de TCC : on peut dans beaucoup de cas commencer un traitement
médicamenteux, qui rend le patient plus disponible pour démarrer une
TCC. Lorsque le bénéfice thérapeutique de la TCC apparaît et s’installe, on
tente d’arrêter le traitement psychotrope. Un exemple fréquent est celui
du patient qui souffre d’une agoraphobie avec un trouble panique : il ne
sort pas de chez lui, a des attaques de paniques spontanées ou provoquées
quand il s’éloigne de sa maison. Le thérapeute a essayé de lui apprendre
des techniques de relaxation et de respiration abdominale et de démarrer
un protocole d’exposition (avec des exercices pour apprendre à s’éloigner
progressivement de sa maison), mais le patient n’y arrive pas, tant l’anxiété
provoquée par les exercices est forte, avec un sentiment d’échec et une
anticipation anxieuse. Le thérapeute a alors pris contact avec le médecin
traitant, qui a prescrit un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine.
Le traitement a aidé à diminuer le niveau général de l’anxiété, ce qui a
T
rendu le patient plus disponible pour apprendre à sortir de chez lui : la TCC
IN
a pu démarrer.
Il faut noter que l’usage prolongé ou à fortes doses des benzodiazépines
PR

peut affaiblir la mémoire et altérer les capacités d’apprentissage ; l’effica-


cité de la TCC, traitement fondé sur l’apprentissage, risque de s’en trouver
T

altérée.
NO

Les conseils affichés dans l’encadré suivant « En pratique : des points de


vigilance » sont un résumé de différentes recommandations [notamment,
DO

Peeters, 2006 ; et Tivierge et Radouco-Thomas, 2008] et de l’expérience de


notre équipe dans la population ayant un TSA et/ou un handicap mental.
Ils s’adressent évidemment aux prescripteurs, mais ils peuvent être utiles aux
professionnels travaillant auprès de ces patients et aux proches. En effet, les
médecins, pour prescrire à bon escient, ont besoin des informations appor-
tées par les aidants, aussi bien pour établir l’indication d’une prescription que
pour évaluer le bénéfice et la tolérance d’un traitement. Ainsi, lors de toute
prescription de médicaments, la famille et les professionnels peuvent attirer
l’attention du médecin sur des points particuliers, l’informer du traitement
déjà en cours (ce qui permet au médecin de vérifier la compatibilité du nou-
veau médicament avec ceux que la personne prend déjà), l’informer aussi
que le patient a présenté tel symptôme inhabituel depuis la prescription du
médicament (ce qui aide le médecin à évaluer la tolérance de ce médicament),
poser au médecin des questions sur d’éventuels examens complémentaires à
pratiquer ou sur des effets indésirables fréquents à surveiller. Le médecin,
quels que soient son mode d’exercice et sa spécialité, ne voit son patient que
pendant une consultation dont la durée est forcément limitée ; il appréciera
toujours les informations précises données par les aidants.
120 Interventions

En pratique : des points de vigilance


• Prescrire à petites doses, de préférence en introduisant un médicament à la
fois.
• Rechercher la dose minimale efficace.
• Éviter d’associer trop de médicaments : chez un individu qui prend plusieurs
médicaments, les interactions sont telles qu’il n’est plus possible d’en discerner
l’efficacité et les effets indésirables respectifs.
• Évaluer régulièrement le bénéfice du médicament et sa tolérance (le rapport
bénéfice/risque).
• Lorsque l’on prescrit un médicament, il faut s’assurer qu’il n’a pas d’inter-
actions nocives avec ceux déjà en cours.
• Surveiller de façon objective et quantifiée l’efficacité du médicament (réduc-
tion du niveau d’anxiété, amélioration de l’humeur, diminution de la fréquence
des crises de colère, etc.).
• Surveiller la tolérance clinique (notamment le niveau de vigilance et la pres-
sion artérielle). T
• Beaucoup de médicaments psychotropes nécessitent aussi une surveillance
IN
biologique (une prise de sang) et électrocardiographique (ECG fait par le
médecin généraliste ou dans le cadre d’une consultation chez le cardiologue).
PR

• Penser régulièrement à réévaluer l’utilité des médicaments en cours, sur-


tout si la personne semble continuer de souffrir et que l’on souhaite prescrire
T

d’autres médicaments.
NO

Le médecin ne doit pas hésiter à proposer un traitement médicamenteux


DO

si la situation clinique lui semble le nécessiter : les médicaments ne doivent


pas forcément être considérés en dernier recours ou comme un pis-aller : si
l’indication se présente, il est du devoir du médecin et des aidants profes-
sionnels et familiaux d’envisager le traitement médicamenteux pour éviter
au patient une souffrance inutile.
Il faut bien sûr aussi apprendre à diminuer et à arrêter le traitement quand
il n’est plus utile : pour éviter les changements brusques, il est généralement
recommandé de faire cet arrêt de façon progressive et d’être attentif à la
réapparition des troubles.
13 Explorer le sommeil
Les plaintes concernant le sommeil sont très fréquentes dans cette popula-
tion : difficultés pour s’endormir, réveils au milieu de la nuit, réveil matinal
précoce, etc. Un mauvais sommeil entraîne une journée pénible pour le
patient et pour son entourage : fatigue, manque de concentration, irrita-
bilité.
La question de l’insomnie fait intervenir, presque dans tous les cas, des
facteurs biologiques et/ou des processus de conditionnement répondant.

Démarche structurée pour explorer le sommeil


Nous proposons, d’après les conseils habituels des spécialistes du sommeil et
d’après l’expérience de notre équipe, cette démarche structurée en plusieurs
étapes. Le lecteur peut aussi se référer au document de la Haute Autorité de
T
santé, en accès libre sur son site internet [HAS, 2006]. Ces recommanda-
IN

tions de l’HAS prennent un intérêt particulier dans le domaine du handicap


et leur application doit être adaptée, d’autant qu’elle fait intervenir des
PR

facteurs psychiques et environnementaux inhabituels.


T

Explorer l’environnement physique du sommeil


NO

L’endormissement et le maintien du sommeil peuvent être perturbés par


des stimuli tels que le bruit, une lumière trop intense, une température trop
DO

élevée (la température recommandée dans la chambre est 17 ou 18 °C). Il est


important de rechercher les particularités sensorielles du patient, notam-
ment l’hypersensorialité auditive qui fait qu’un bruit banal (ou même
inaudible pour la plupart des gens) peut être perçu de façon désagréable et
empêcher l’endormissement du patient autiste.
Le traitement de l’insomnie due à un facteur environnemental est l’élimi-
nation de ce facteur ; par exemple, en cas d’insomnie liée au bruit : fermer
les fenêtres, demander aux autres membres de la famille ou aux autres rési-
dents de parler à voix basse le soir, utiliser des bouchons d’oreilles, déplacer
la chambre à coucher, etc.

Explorer l’hygiène du sommeil


L’hygiène du sommeil est un aspect important, souvent négligé dans cette
population.
En voici les principales règles, vues dans les conditions particulières des
personnes ayant un TSA et/ou un retard mental :
• se lever et se coucher à des horaires réguliers, y compris le week-end ;

TCC dans l’autisme et le retard mental


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122 Interventions

• réserver la soirée à des activités calmes : relaxation, musique, discus-


sions en famille, marcher un peu le soir, voir une émission qu’on apprécie
à la télévision, sans excès. Il faut en revanche éviter les activités physiques
intenses et l’exposition prolongée aux écrans. Beaucoup de nos patients en
effet perdent leur sommeil, ou en perdent la bonne qualité, parce qu’ils uti-
lisent ordinateurs, tablettes et jeux vidéo tard dans la soirée, ce qui perturbe
l’horloge biologique. Les aidants devraient tenter d’amener la personne à
s’occuper autrement ;
• réserver le lit au sommeil, éventuellement à l’activité sexuelle (souvent,
dans notre population, à la masturbation). Se détendre le soir dans son lit,
écouter de la musique calme, lire (pour ceux qui savent lire) ou regarder
des livres et des magazines amusants peuvent constituer des activités qui
favorisent l’endormissement. On déconseille, en revanche, de regarder la
télévision et de manger dans son lit ;
• bien marquer le moment du réveil le matin : se lever, s’exposer à la
lumière du jour, faire du sport. Beaucoup de personnes de cette population
manquent d’activité physique. C’est un point de vigilance surtout en cas de
T
sommeil nocturne peu efficace ;
IN
• éviter de faire des siestes longues : si la personne ressent une somnolence
en début d’après-midi, on peut lui conseiller une sieste qui ne dépasse pas
PR

20 à 30 minutes. Les institutions (ESAT, centres d’activité, institut médi-


coéducatif, etc.) devraient permettre à leurs usagers cette possibilité d’un
T

moment de détente ou d’une sieste en début d’après-midi, en veillant à ne


NO

pas les laisser dormir trop longtemps ;


• réduire la consommation d’excitants, surtout en fin de journée. Les sujets
DO

dans cette population boivent parfois trop de café ou d’autres boissons


contenant de la caféine. Il faut limiter cette consommation à deux ou trois
tasses de café, et éviter d’en boire après 16 heures.

Explorer la possibilité d’un « hyperéveil »


Il s’agit du stress, du surmenage, des soucis, de toute cause d’excitation.
Les événements survenus récemment ou attendus peuvent être source de
stress même quand ils sont perçus comme heureux par l’entourage ; ils
constituent en effet un changement perturbant pour le sujet handicapé.
Le thérapeute se posera aussi des questions sur le quotidien du patient : les
activités professionnelles ou occupationnelles sont-elles insuffisantes ou au
contraire mettent-elles en difficulté la personne (temps d’activité trop long,
activités trop exigeantes, etc.) ?
Quand l’insomnie semble liée à l’hyperéveil, la TCC est une approche
précieuse. L’analyse fonctionnelle produit des hypothèses ; la relaxation et
les règles cognitives sont des techniques souvent efficaces. Les anxiolytiques
et les hypnotiques, prescrits pendant quelques jours à quelques semaines,
peuvent aussi être utiles.
Explorer le sommeil 123

Explorer les causes toxiques et médicamenteuses


Certains médicaments peuvent empêcher le sommeil ou en réduire la durée
ou la qualité. Devant une plainte d’insomnie chez un patient recevant un
traitement médicamenteux, il faudra demander un avis médical pour savoir
si tous ces médicaments sont nécessaires, si certains d’entre eux risquent
d’aggraver les troubles du sommeil et, dans ce cas, si on peut les remplacer
par d’autres ou en diminuer la dose.
Un traitement trop sédatif pendant la journée (souvent instauré depuis
longtemps devant des comportements agressifs) peut aussi diminuer le
besoin de dormir la nuit.
Une cause possible d’insomnie est aussi la prise prolongée d’hyp-
notiques, qui perdent alors leur efficacité et perturbent le cycle veille-
sommeil.
N’oublions pas que les médicaments responsables d’une sédation ou, au
contraire, d’une insomnie, ne sont pas toujours des psychotropes. Beau-
coup d’autres médicaments (par exemple certains antihypertenseurs) peu-
T
vent induire ou aggraver une insomnie.
IN
Comme nous l’avons déjà mentionné, la caféine, l’alcool et les boissons
dites énergisantes, consommés en grosses quantités, ou le soir, sont parfois
PR

responsables d’un sommeil de mauvaise qualité. Chez les patients « accros »


au café, on peut conseiller de remplacer le café à partir de 16 heures par
T

d’autres boissons : café décaféiné, tisane, etc.


NO

Évaluer la présence d’une affection somatique


DO

Devant un mauvais sommeil, surtout d’apparition récente, on recherchera


d’éventuelles maladies somatiques, notamment celles qui entraînent un
inconfort physique ou une douleur. C’est un piège d’autant plus impor-
tant que le patient manque de langage pour exprimer la douleur. Ici, les
hypnotiques peuvent être d’une grande aide, à condition de les utiliser
temporairement et de traiter en même temps l’affection responsable de
la douleur.

Évaluer la présence d’un trouble psychique


La comorbidité psychiatrique, s’ajoutant au handicap, peut se manifester
par une insomnie ou par un sommeil agité. Il en est ainsi des troubles
anxieux (qui s’aggravent souvent le soir), de la dépression (provoquant
généralement une insomnie, parfois une hypersomnie), du trouble bipo-
laire (penser à un état maniaque chez le patient qui dort moins longtemps
que d’habitude sans montrer de signes de fatigue ou de somnolence dans
la journée).
Le traitement ici est celui du trouble psychique responsable (par TCC et
par médicaments) avec souvent une prescription temporaire d’hypnotiques.
124 Interventions

Penser à un trouble intrinsèque du sommeil


Ces troubles peuvent être des troubles respiratoires (notamment le syn-
drome des apnées du sommeil), un syndrome des jambes sans repos, un
syndrome des mouvements périodiques au cours du sommeil. Dans ce cas,
il est utile de demander l’avis d’un médecin spécialiste du sommeil. Si une
polysomnographie est indiquée, elle nécessite une préparation et des expli-
cations adaptées aux capacités cognitives du patient.

Favoriser l’hygiène du sommeil


Michèle, 46 ans, ayant un TSA et un retard mental léger, travaille en ESAT
et vit dans un foyer. Elle se plaint de mal dormir : le soir, elle se couche à
21 heures et s’endort facilement, mais elle se réveille à 2 heures du matin
et reste éveillée, ne pouvant se rendormir que vers 5 heures du matin ;
cette deuxième partie du sommeil est cependant vite tronquée parce que la
patiente est obligée de se lever pour aller au travail.
T
En discutant avec elle de ses habitudes de vie, les thérapeutes ont mis en
IN
évidence plusieurs facteurs qui rendaient son sommeil fragile :
• elle boit du café plusieurs fois dans la journée sur son lieu de travail, pour
PR

tenir après sa courte nuit ;


• le soir, pour se détendre et se divertir, elle passe sa soirée devant la télévision ;
T

• le week-end, pour « récupérer », elle fait la grasse matinée, elle ne met pas
NO

son réveil, et ne se lève du lit que vers 10 heures du matin, elle passe alors
ses journées du samedi et du dimanche à traîner, sortant peu et ayant peu
DO

d’activités physiques.
Les thérapeutes ont proposé à Michèle quelques démarches simples pour
améliorer son hygiène de vie :
• remplacer son dernier café de 16 heures par une tisane ou par du café
décaféiné ;
• augmenter ses activités physiques : le soir en rentrant du travail, Michèle
a accepté de sortir pour faire une marche de 15 minutes. Pour favoriser cette
sortie, son éducatrice référente est sortie avec elle tous les jours pendant la
première semaine, puis, se retirant progressivement, elle se contentait de lui
rappeler chaque soir qu’il faut sortir pour sa promenade ;
• le week-end, elle devait prévoir une sortie un peu plus longue : marcher
ou faire du vélo, seule, avec un collègue du foyer ou avec un membre de la
famille, cela plutôt vers 11 heures du matin ;
• maintenir des heures de coucher et de lever régulières en commençant
par de petits pas : se coucher, même le week-end, avant 22 heures et se lever
à 8 h 30 au plus tard.
Avec l’aide de l’équipe éducative, la patiente a pu ainsi retrouver un som-
meil de meilleure qualité.
Explorer le sommeil 125

Hypnotiques
Ce sont des médicaments qui facilitent l’endormissement et/ou le maintien
du sommeil. De nombreuses molécules sont autorisées en France pour trai-
ter l’insomnie occasionnelle et l’insomnie transitoire dans la population
générale. Ces médicaments sont peu étudiés chez les sujets ayant un TSA ou
un handicap mental.
La plupart appartiennent à la famille des benzodiazépines : loprazolam
(Havlane®), lormétazépam (Noctamide®), nitrazépam (Mogadon®), téma-
zépam (Normison®), zopiclone (Imovane®), zolpidem (Stilnox®). S’y ajoute
l’alimémazine (Théralène®), qui est un antihistaminique.
On parle de plus en plus de la mélatonine dans les troubles du sommeil
chez les patients autistes. La mélatonine est une hormone produite par la
glande pinéale en réponse à l’absence de lumière. La mélatonine disponible
sur le marché est une molécule de synthèse qui imite l’hormone naturelle.
Bien que des études de cas et que l’expérience de certains cliniciens et
parents illustrent l’intérêt de ce médicament (aussi bien chez des enfants
T
que chez des adultes ayant un TSA), il faut se méfier d’un engouement irré-
IN
fléchi. En effet, il existe peu d’études contre placebo ou sur les effets indé-
sirables de ce médicament à long terme. Il est donc nécessaire de l’utiliser
PR

avec prudence et avec l’aide d’un médecin.


De façon générale, les hypnotiques rendent de grands services quand ils
T

sont utilisés dans leurs indications et de façon temporaire. Ils peuvent sur-
NO

tout aider le patient à avoir un bon sommeil (et par conséquent à redevenir
disponible pour les thérapies et les apprentissages) en attendant que le trai-
tement (par TCC et/ou médicaments) de la cause de l’insomnie commence
DO

à donner ses fruits. Leur utilisation prolongée, en revanche, comporte beau-


coup d’inconvénients : dépendance, tolérance (nécessité d’augmenter les
doses pour obtenir le même effet), troubles de la mémoire, etc.
14 Faire des hypothèses
sur les contingences

Renforcements positifs et négatifs


En dehors des réactions biologiquement déterminées, tout comportement
qui perdure est renforcé d’une certaine manière. Certaines situations cli-
niques permettent plus facilement d’illustrer ce processus.
Un trouble du comportement qui apparaît initialement de façon for-
tuite, liée à des difficultés de gérer ses émotions, peut se maintenir dans
le temps par un processus de renforcement négatif et positif à la fois : une
de nos patientes, Laura, 30 ans, porteuse de TSA avec DI moyenne et un
langage moyennement élaboré, devait venir à l’hôpital de jour pour parti-
T
ciper à des ateliers thérapeutiques. Les ateliers portaient sur la gestion des
IN
émotions et l’entraînement aux habiletés sociales, thérapies qui répon-
daient aux besoins les plus pressants de la patiente, mais qui nécessitaient
PR

une participation active, une attention soutenue et une persévérance.


Ainsi, la patiente, malgré des progrès initiaux, commençait à s’opposer et
T

à formuler des exigences, elle demandait à venir d’autres jours que ceux
NO

qui étaient prévus, s’absentait certains jours, manquant ainsi des séances
de thérapie…
DO

Dans un premier temps, pour préserver l’alliance thérapeutique et garder


la motivation de la patiente, l’équipe « allait dans son sens », discutait avec
elle et recherchait des compromis. La motivation n’a fait que diminuer
et la patiente devenait encore plus capricieuse. Nous avons ensuite fait
l’hypothèse que ce comportement problématique « vouloir venir à d’autres
moments que ceux prévus pour la thérapie » avait deux fonctions :
• d’une part, il permettait à la patiente d’éviter des séances de thérapie qui
lui demandaient beaucoup de concentration (effort pénible pour elle) ; c’est
donc une hypothèse de renforcement négatif : le comportement a pour
fonction d’éviter ou d’échapper à des éléments aversifs de l’environne-
ment ;
• d’autre part, il obligeait les soignants à consacrer du temps individuel à
Laura et à lui porter une attention particulière. Pour elle, qui avait peu de
maîtrise sur son environnement, c’était une manière d’exercer cette maî-
trise. Il s’agit ici d’une hypothèse de renforcement positif.
Laura n’était pas forcément consciente de ces deux processus ; son
comportement problématique augmentait et elle ne pouvait plus s’en
départir, et les soignants, comme les parents de la patiente, se rendaient

TCC dans l’autisme et le retard mental


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128 Interventions

compte que, si ce comportement persistait, il empêchait Laura de bénéficier


de thérapies efficaces et la confirmait dans une évolution néfaste.
L’équipe a alors opté pour une approche plus structurée pour aider la
patiente à se dépêtrer de ce comportement : les soignants ont combiné deux
lignes de thérapies (en plus des ateliers qui étaient en cours) :
• Laura n’avait pas le droit de venir à des moments qui n’étaient pas pré-
vus ; chaque fois qu’elle manquait un atelier prévu ou qu’elle venait à un
moment non prévu les soignants lui expliquaient les règles, très sommaire-
ment, de façon empathique mais ferme ;
• chaque fois qu’elle participait à une séance de thérapie prévue, on la féli-
citait et on lui accordait un moment de temps individuel.
Au bout de quelques semaines, Laura venait régulièrement à toutes les
séances planifiées et n’exigeait plus de passer du temps individuel en dehors
de ces moments.
L’équipe a vérifié que cette évolution a entraîné aussi une augmentation
générale du bien-être de cette patiente.
Le terme « renforcement négatif » est souvent confondu avec « puni-
T
tion ». En fait, le renforcement négatif n’est qu’une facette du renforcement
IN
« positif » et dépend de la façon dont nous regardons les conséquences
d’un comportement ; un exemple fréquent dans le domaine du handicap
PR

mental est un comportement agressif qui permet au sujet d’échapper à


une tâche déplaisante ou à des apprentissages exigeants. Si l’on considère
T

que ce comportement agressif a seulement permis au sujet d’éviter une


NO

tâche ou une situation désagréable et que, de ce fait, l’organisme a appris


à avoir tout le temps recours à ce même comportement pour obtenir le
DO

même résultat, on peut formuler l’hypothèse d’un renforcement négatif


(le sujet se « soustrait », au sens mathématique, à un élément indésirable
de l’environnement). Si nous constatons que le sujet, en évitant la tâche
indésirable, obtient un temps de repos et d’oisiveté qu’il apprécie, on for-
mulera plutôt une hypothèse de renforcement positif. D’autres éléments
appétitifs peuvent aussi contribuer à ce renforcement positif : le compor-
tement agressif focalise l’attention de l’entourage, donne au sujet un sta-
tut particulier et produit une activation physiologique. Ces trois derniers
éléments peuvent être appétitifs. La plupart de nos comportements pro-
duisent des mélanges à des degrés divers de renforcements et de punitions
positifs et négatifs.
Damien est un jeune homme de 26 ans, porteur d’une anomalie géné-
tique. Celle-ci avait donné lieu à une malformation cardiaque et à un han-
dicap cérébral. Sur le plan clinique, il s’agissait d’un TSA avec un handicap
mental léger, avec un langage riche et fonctionnel. Son autonomie était
fortement limitée, plus que ne le laisserait prédire son QI, en raison d’une
mémoire de travail très diminuée. Damien ne savait pas préparer son petit
déjeuner ni prendre seul sa douche.
Faire des hypothèses sur les contingences 129

La malformation cardiaque avait été opérée et n’a plus de retentissement


fonctionnel ; cependant, Damien continue de se présenter comme « malade
souffrant du cœur », se plaignant de douleurs thoraciques pour lesquelles
les médecins ont affirmé à maintes reprises le caractère bénin et il s’oppose
à toute intervention thérapeutique liée à l’autisme. Il souhaite être regardé
comme un adulte et trouve injuste qu’on lui « impose » des thérapies liées
à l’autisme, handicap qu’il n’a pas…
Pour lui, être « malade cardiaque » était devenu une identité, sa « carte de
visite » qu’il présentait à qui voulait bien l’écouter, et qu’il opposait à toute
proposition d’aide liée à l’autisme.
Les parents étaient désemparés par l’attitude de leur fils. Ils faisaient,
avec l’équipe soignante, le constat que le passé cardiaque de Damien était
devenu un obstacle qui l’empêchait d’évoluer et qui le privait d’apprentis-
sages dont il aurait grand besoin.
La conceptualisation avait ceci pour conclusion : la plainte cardiaque
déclenche un renforcement négatif (le patient évite tout effort d’apprentis-
sage nécessitant une concentration ; se concentrer peut être particulière-
T
ment pénible pour quelqu’un dont la mémoire de travail est altérée), mais
IN
aussi un renforcement positif (les interlocuteurs écoutent attentivement le
discours plaintif de Damien, lui accorde un temps à l’écouter parler sans
PR

exiger de lui aucune concentration, aucune élaboration, c’est un temps qui


lui procure du plaisir et le met dans la position valorisante de celui qui a
T

quelque chose d’intéressant à raconter).


NO

L’équipe soignante a mis alors en place un protocole de thérapie qui s’est


focalisé sur ces deux processus d’apprentissage :
DO

• quand Damien parle de ses problèmes cardiaques, on pratique l’extinc-


tion, c’est-à-dire que le soignant interpellé lui dit que ce n’est pas le moment
d’en parler, et lui fixe un moment dans la semaine où il peut en parler ;
• renforcement positif : l’équipe a élaboré avec Damien un emploi du
temps riche et structuré, comportant des missions à effectuer (participation
à des groupes de thérapie, sorties, bricolage, programme d’apprentissage
adapté à son handicap intellectuel, etc.).
Un autre exemple est celui de Quentin, porteur d’un TSA avec retard
mental léger. Une de ses forces est de bien maîtriser la lecture et l’écriture,
mais comme il ne savait pas s’organiser (il avait des troubles majeurs des
fonctions exécutives et de la mémoire de travail), il oubliait ses rendez-
vous ; sa vie de tous les jours devenait chaotique. Ses parents lui propo-
saient de tenir un agenda, ce qu’il a commencé à faire. Quentin y inscrivait
les activités et rendez-vous ; il oubliait cependant systématiquement son
agenda, et par conséquent oubliait de se présenter aux rendez-vous. Cet
oubli concernait principalement les activités qui ne l’intéressaient pas, il
touchait rarement sa passion, les rendez-vous pour jouer au basket. Ici, on
peut formuler l’hypothèse d’un renforcement négatif : l’oubli permettait
130 Interventions

à ce jeune homme d’éviter des activités thérapeutiques pour lesquelles il


n’était pas très motivé et des rendez-vous administratifs (que ses parents
finissaient par honorer à sa place).
Cette hypothèse de renforcement négatif ne signifie pas que le patient
« fait exprès » d’oublier ses rendez-vous. La recherche et l’expérience cli-
nique montrent que la mémoire, et le fonctionnement intellectuel en
général, est influencée par l’émotion que nous ressentons et par l’intérêt
que nous portons au matériel concerné. Notre hypothèse ici signifie sim-
plement que ce comportement « oublier ses rendez-vous » est renforcé
négativement (c’est-à-dire par une conséquence qui permet au sujet d’évi-
ter quelque chose). Une telle hypothèse aide les thérapeutes à inverser le
processus. Ici, le thérapeute peut proposer plusieurs types d’interventions :
• obtenir davantage de soutien au quotidien grâce à l’intervention d’une
équipe éducative, qui accompagnerait Quentin dans ses principales
démarches ; cela permettrait de pallier, au moins au début, le déficit des
fonctions exécutives ;
• suivre un programme de remédiation cognitive pour tenter d’améliorer
T
les capacités mnésiques ;
IN
• ajouter des indices visuels au domicile ; par exemple une photo de l’agenda
sur la porte d’entrée de la maison, pour que Quentin pense à l’emporter
PR

avant de sortir.
Comme nous l’avons proposé précédemment, nous, accompagnants
T

familiaux et professionnels, avons tout intérêt à faire aussi l’analyse


NO

fonctionnelle de nos propres comportements ; nous nous rendons alors


compte (nous faisons du moins l’hypothèse) que notre esprit peut se laisser
DO

« glisser » dans la facilité d’une émotion forte, du statut de victime ou


d’une attitude stérile de revendication agressive. Une telle attitude donne
l’impression d’avoir raison (renforcement positif) mais nous « permet »
aussi de ne pas faire des efforts qui demandent beaucoup de sérénité et
de concentration pour aider concrètement notre enfant ou notre patient
(renforcement négatif).

Apprentissage social
Le comportement humain peut s’expliquer dans beaucoup de cas par la
théorie de l’apprentissage social développé par Albert Bandura [Ban-
dura, 1995], qui place la motivation non exclusivement dans les contin-
gences de l’environnement mais aussi dans l’interaction entre l’individu et
son environnement.
Quand on parle de renforcement et d’extinction chez un être humain, on
ne peut se contenter des renforçateurs externes, c’est-à-dire des récompenses
matérielles que le sujet obtient grâce à l’émission de certains comporte-
ments. Les travaux expérimentaux de la psychologie montrent que, quand
Faire des hypothèses sur les contingences 131

les sujets sont conscients du programme de renforcement de l’expérimenta-


teur, le conditionnement opérant réussit mieux.
Ainsi, un sujet autiste peut lui-même renforcer ses parents ou éducateurs
lorsqu’ils se comportent d’une certaine manière. Par exemple, quand il est
agité, ses parents lui accordent quelque chose ; alors il se calme. Il y a ici un
conditionnement opérant qui fonctionne même si les parents n’en ont pas
conscience, mais qui réussit encore mieux si les parents savent pourquoi
leur enfant s’est calmé.
On peut appeler cela le renforcement anticipé. Le sujet, en produisant un
certain comportement, anticipe la conséquence et s’y attend. L’information
dont dispose le sujet sur les conséquences de son comportement sert de
renforçateur, même si la récompense « réelle » n’a jamais lieu.
Un sujet autiste avec déficience intellectuelle légère peut apprendre à
pratiquer la respiration abdominale en cas de colère montante. Il « sait »
par expérience, ou grâce aux informations qui lui avaient été délivrées par
les thérapeutes, que cette pratique diminue les sensations désagréables liées
à la colère. Il peut donc mettre en route ce comportement (respirer douce-
T
ment par le ventre) sans recevoir de récompense matérielle.
IN
Un autre aspect est l’apprentissage social par imitation qu’on appelle
aussi l’apprentissage vicariant. Il s’agit ici d’observer un modèle et d’intério-
PR

riser les séquences comportementales (stimulus → comportement → consé-


quences) dans lesquelles le modèle s’engage. Par exemple, un sujet (autiste
T

ou non), observe que lors des sorties avec ses parents pour faire les courses,
NO

ses parents restent sur le trottoir, que pour traverser la rue ils regardent des
deux côtés pour vérifier que les voitures ne risquent pas de les heurter, etc.
DO

Il aura donc tendance à faire de même.


Cependant, dans ce type d’exemple, et dans le domaine du handicap, sur-
tout avec TSA, des problèmes se posent dans plusieurs domaines :
• la capacité d’observation : les capacités attentionnelles, les capacités
sensorielles et perceptives (surtout la vision), la vitesse de traitement, la
compréhension de ce qui se passe (nous sommes en sécurité grâce au res-
pect d’un certain nombre de conduites) ;
• la capacité de rétention mnésique de la séquence apprise ;
• la capacité à reproduire la séquence apprise : capacités motrices, capacité
à enchaîner les tâches, etc.
Les exemples de comportements appris par imitation ne manquent pas
dans le vécu quotidien des parents et des accompagnants.
Un sujet ayant un handicap mental peut reproduire des comportements
moteurs (crier, sauter, courir, etc.) de façon immédiate ou différée. Il les
reproduit à bon escient (dans un contexte adapté, qui s’y prête) ou hors
contexte.
Le sujet peut imiter ce comportement simplement parce qu’il y est exposé,
sans avoir observé de récompense. Cela arrive surtout si l’environnement
132 Interventions

dans lequel il vit est pauvre, ne lui offrant pas une variété d’autres comporte-
ments à observer et à expérimenter. Il crie parce que les autres crient, quelle
que soit la conséquence que les autres subissent ou gagnent en criant.
S’il prend conscience que le fait de crier apporte des bénéfices pour les
autres (par exemple l’attention que la famille ou le personnel leur porte),
alors la probabilité de reproduire ce même comportement augmente. C’est
ce que Bandura appelle l’apprentissage vicariant.
Sylvie est une jeune femme porteuse d’un TSA avec DI sévère et un lan-
gage rudimentaire. Elle vit dans une MAS. Elle faisait le « saut du marsupi-
lami » tout au long de la journée, ce qui perturbait les autres résidents. En
repassant en revue le déroulement de ses journées, nous nous apercevons
que le répertoire comportemental de Sylvie est pauvre ; le personnel ne
sait pas quelle activité lui proposer. Sylvie avait observé d’autres résidents
faire ce mouvement pendant des séances de psychomotricité, ce qui était,
pour eux et dans ce contexte, un comportement utile ; alors que reproduire
sans cesse ce mouvement hors contexte était un comportement néfaste.
Le programme thérapeutique dans ce cas a consisté en l’enrichissement du
T
répertoire comportemental : proposer davantage d’activités (encastrement,
IN
jeux de ballon, jeux avec le sable, etc.) ; lui accorder davantage d’attention
quand elle est occupée par ces activités que quand elle fait le saut du mar-
PR

supilami ; lui proposer de petites activités motrices (sauter, marcher, etc.) à


des moments précis de la journée pour qu’elle puisse se dépenser dans un
T

cadre plus adapté.


NO

Bouger pour réguler ses émotions


DO

Beaucoup de personnes autistes ont besoin de bouger pour réguler leurs émo-
tions et leur attention : sauter, courir, faire un tour à vélo, etc., les aident à se
calmer et à redevenir disponibles pour les autres actions de la vie quotidienne.
Ainsi, il ne faut pas hésiter à leur proposer ce type d’activités motrices à des
moments clés de la journée. Le thérapeute commencera par identifier les acti-
vités que le patient a trouvées spontanément pour calmer son stress et pourra
aussi proposer d’autres formes d’activités.
Par exemple, proposer au patient de s’isoler régulièrement dans un endroit
discret pour sautiller pendant quelques minutes entre deux séances d’activité.
Dans un ESAT, les moniteurs pourraient proposer à la personne de petites
pauses et l’encourager à sortir pour marcher ou courir autour du bâtiment.
Ces activités motrices ne doivent jamais reproduire ou imiter des gestes agres-
sifs (on ne tape pas sur un sac de frappe).

Prenons aussi l’exemple d’un sujet dont le handicap mental est léger :
les comportements qu’il est capable de reproduire dépassent largement
les simples comportements moteurs : Léa, 18 ans, vit chez ses parents
Faire des hypothèses sur les contingences 133

et fréquente un service d’accueil de jour, elle est décrite comme une


« éponge », absorbant l’ambiance du service, souriant et plaisantant quand
le service est calme, pleurant facilement dès qu’un autre usager crie ou se
montre anxieux ou agressif. Les parents de Léa sont très émotifs. Quand elle
les écoute exprimer leur anxiété en parlant de ses difficultés, elle se sent elle-
même anxieuse et se met à trembler et à pleurer. Ce mécanisme d’appren-
tissage est ici la reproduction d’un comportement complexe, comportant
des aspects cognitifs, corporels et surtout émotionnels. La thérapie passe
d’abord par un travail avec les parents ; le thérapeute partagera avec eux
son hypothèse sur l’anxiété de Léa (comment l’anxiété des parents aug-
mente celle de la patiente), leur proposera d’exprimer leurs inquiétudes en
l’absence de leur fille et, quand elle est là, d’orienter leur discours vers les
aspects de la vie évoquant les forces de la patiente et de sa famille et tout ce
qui peut apporter la sérénité dans leur vie. L’étape suivante est d’enseigner
à Léa une méthode de relaxation-respiration pour gérer les émotions exces-
sives (ce que nous expliquons plus loin avec les cartes-action).
T
IN
PR
T
NO
DO
15 Agir sur les stimuli
Aménager l’environnement

Aménager l’environnement de vie des personnes ayant un TSA et/ou un


handicap mental est une priorité, qui doit être assurée avant (et pendant)
de leur proposer des apprentissages. En TCC, l’aménagement et l’organi-
sation de l’environnement sont considérés comme une intervention sur
le premier élément de la séquence comportementale, c’est-à-dire sur les
stimuli. Une telle intervention ne peut se faire de façon isolée ; modifier ce
premier élément de la séquence a forcément un effet sur les autres éléments
(le comportement et ses conséquences). Nous présentons dans ce chapitre
des exemples d’interventions qui tentent de modifier de façon principale
les stimuli.
On doit prêter une attention encore plus accrue à ces facteurs environne-
T
mentaux chez les personnes qui n’ont pas de langage fonctionnel. Parfois
IN
les observations structurées nous révèlent qu’un comportement inhabituel
(gestes agressifs, cris, anxiété, retrait, etc.) survient à des heures fixes de la
PR

journée ou dans des lieux précis.


C’est là qu’il faut se poser la question d’une réponse inconditionnelle,
T

biologiquement déterminée. Par exemple, un patient qui crie tous les jours
NO

à 11 heures du matin a peut-être faim ; dans cette hypothèse, lui offrir


un goûter à ce moment-là peut confirmer ou infirmer cette hypothèse et
DO

éventuellement résoudre le problème. Un sujet qui crie une fois dans sa


chambre à la tombée de la nuit a peut-être peur de l’obscurité ou d’être seul,
auquel cas on peut tenter d’aménager ce lieu pour le rendre plus rassurant
(augmenter l’éclairage, disposer des objets familiers, etc.).
En étudiant les stimuli à l’origine des comportements inhabituels, on ne
doit pas oublier l’adéquation des activités proposées avec le niveau et les
centres d’intérêt de la personne. Ainsi, les tâches trop faciles (qui donnent
un sentiment d’ennui) ou trop difficiles (qui provoquent incompréhension
et sentiment d’échec) sont un terrain favorable à l’apparition de la souf-
france.
Les facteurs médicaux (douleur, humeur dépressive, hallucinations,
etc.) dont nous avons parlé dans le volet médical (la première bougie de
notre modèle) peuvent aussi, d’un point de vue comportementaliste, être
considérés comme des stimuli biologiques (donc « inconditionnels »), qui
déclenchent des comportements particuliers.

TCC dans l’autisme et le retard mental


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136 Interventions

Chaîne des stimuli et apprentissage répondant


La succession de plusieurs événements détermine l’apparition d’un compor-
tement, alors que celui-ci ne serait pas apparu si un des stimuli n’était pas
présent. Nous avons illustré ce point en parlant des particularités de la
conceptualisation avec l’histoire de Raphaël. Étudier la chaîne des stimuli
rejoint tout ce que les spécialistes de l’autisme recommandent à propos
de l’environnement. L’environnement de vie devrait être riche, structuré,
sécurisé et prévisible dans la mesure du possible.
L’étude des stimuli nous aide aussi à émettre des hypothèses sur l’appren-
tissage répondant. L’histoire de Marie nous l’illustre.
Marie est une jeune femme porteuse de TSA avec DI sévère. Elle vit dans
une MAS. Son accompagnement ne pose pas de problème particulier au
personnel, mais elle a pris l’habitude de toujours faire la même activité
avec le même éducateur, ce qui entraîne forcément un certain désordre
dans le fonctionnement du service. En faisant l’analyse fonctionnelle,
on se rend compte que, quand Marie a fait une nouvelle activité en pré-
T
sence d’un éducateur, le stimulus neutre « éducateur » était transformé
IN
en stimulus conditionnel qui faisait émerger l’envie de faire cette même
activité.
PR

Les équipes et les parents sont encouragés, chaque fois qu’ils mettent
en place un nouvel apprentissage chez une personne autiste, à répéter le
T

même apprentissage en faisant légèrement varier aussi bien le comporte-


NO

ment appris que les conditions environnementales. Par exemple, un sujet


vient d’apprendre à s’habiller seul à la maison grâce à l’investissement de sa
mère. Pour que cet apprentissage soit consolidé, il faut aider la personne à le
DO

généraliser ; cette généralisation pose peu de problèmes en cas de DI isolée,


alors que si la personne a en même temps un TSA, la généralisation est
plus difficile et nécessite d’introduire des variations dès le début. Ainsi, on
proposera à la personne les mêmes séquences d’apprentissage en présence
du père, puis seule à la maison, puis dans l’établissement qu’elle fréquente
pendant la journée, etc.
Ce phénomène bien connu des aidants (à savoir que la compétence
apprise reste souvent liée au contexte précis où l’apprentissage avait eu
lieu la première fois) contribue à comprendre un autre aspect de notre
« candélabre » appliqué à l’autisme et au handicap mental : les schémas
cognitifs qui se construisent avec le temps sont parfois trop rigides. Un
de nos patients, jeune homme ayant un TSA avec un niveau intellectuel
limite pense que si une femme positionne son corps de telle manière et
qu’elle a les pupilles dilatées et un certain rougissement du visage cela
veut forcément dire qu’elle montre une attirance pour son interlocuteur.
Un autre pense que si quelqu’un ne lui donne pas une information et
qu’il l’apprend ultérieurement cela signifie forcément que l’autre a menti.
À ces deux patients, tout l’enjeu a été de leur faire observer, en rapportant
Agir sur les stimuli 137

beaucoup de contre-exemples et en les invitant à en rechercher, que ces


indices peuvent être présents dans différents contextes.

Faut-il éviter l’évitement ?


Tout le monde l’aura compris : en TCC, nous n’aimons pas l’évitement !
Les thérapeutes sont souvent à l’affût de ces comportements plus ou moins
subtils qui empêchent la personne de vivre pleinement sa vie. Les compor-
tements d’évitement agissent par un puissant mécanisme de renforcement
négatif (voir notre tableau des processus, tableau 7.1) qui entretient le
trouble psychique.
L’exemple type, souvent cité, est celui de la phobie : prenons un sujet qui
souffre d’une agoraphobie ; il ne sort plus de chez lui ; dès qu’il s’éloigne
de son domicile, il ressent une peur intense, commence à transpirer et son
cœur s’accélère. Les patients souffrant d’agoraphobie réagissent de façon
variable à cette situation. Certains rentrent à leur domicile dès que l’anxiété
apparaît, d’autres arrivent à confronter certaines situations mais au prix
T
d’une grande souffrance, souvent en essayant de penser à autre chose,
IN
d’autres encore consomment des médicaments anxiolytiques ou de l’alcool
avant de sortir de chez eux. Dans tous les cas, le sujet a pris l’habitude,
PR

souvent sans y faire attention, d’organiser sa vie autour de l’évitement de la


situation redoutée : sortir de chez soi sereinement, seul et en étant conscient
T

de ce qui se passe dans son esprit et autour de lui. Le traitement de choix


NO

de l’agoraphobie est l’exposition progressive aux situations redoutées, dans


le cadre d’une relation thérapeutique et après une analyse fonctionnelle
partagée avec le patient.
DO

Cependant, dans la pratique clinique, cette exposition n’est pas toujours, ou


pas complètement, possible. Par exemple, pour que le patient puisse retourner
dans de bonnes conditions à son travail, il faut parfois commencer par des
étapes intermédiaires. Il est nécessaire alors, au début de la thérapie, de lui
conseiller de ne pas brûler les étapes et donc de ne pas aller au travail pendant
quelque temps pour « éviter » d’affronter les situations les plus difficiles.
Cette attitude thérapeutique prend un intérêt particulier dans le domaine
du handicap : souvent, en ayant étudié les capacités cognitives d’un sujet,
son répertoire comportemental, les ressources de l’entourage, etc., on peut
arriver à la conclusion que certaines situations sont trop difficiles pour lui
et qu’il n’apprendra pas à les confronter, du moins pas maintenant. Le
comportement le plus fonctionnel est alors de les éviter.
Les applications thérapeutiques de cet évitement sont multiples ; voici
quelques exemples :
• chez un patient qui présente des crises de colère explosive avec risque
d’agresser les autres, on préconise l’évitement des situations qui provo-
quent la colère, de façon temporaire (éviter de croiser certaines personnes,
éviter certaines activités), en attendant que la personne arrive à maîtriser
138 Interventions

des comportements plus adaptés, ou de façon permanente (changer le lieu


de vie si celui-ci n’offre pas suffisamment de cadre) ;
• chez une personne qui manifeste de l’anxiété en présence de personnes
inconnues : préconiser d’éviter le contact social spontané en attendant que
la personne s’y habitue d’abord dans un cadre thérapeutique plus rassurant
(en présence d’un thérapeute, en commençant par des expositions progres-
sives et après avoir travaillé sur les habiletés sociales) ;
• chez un patient dépressif qui évite certaines activités alors que celles-ci lui
apportaient du plaisir auparavant : les aidants sont tentés d’encourager la
personne à refaire ces activités, à sortir, à « aller vers les autres », alors que
ces activités ne sont plus que pénibles. Le thérapeute ici préconisera une
reprise très progressive de ces activités, sans trop insister et en respectant
la notion de maîtrise et de plaisir, comme nous le verrons dans le chapitre
consacré à l’activation comportementale.
Quand on s’aperçoit que les situations auxquelles la personne est expo-
sée dépassent ses capacités cognitives et d’adaptation, il faudra préconiser
l’évitement durable de ces situations : les exemples les plus typiques sont
T
le changement de lieu de vie, l’arrêt d’une scolarité trop difficile ou d’un
IN
travail trop exigeant, etc. Une telle décision ne se prend qu’après évaluation
fonctionnelle et en associant les aidants familiaux et professionnels, et, bien
PR

sûr, dans la mesure du possible, le patient lui-même. L’« abandon » d’un


environnement ou d’un travail qui était perçu comme élément de normalité
T

doit être considéré comme l’opportunité d’un nouveau départ, l’objectif


NO

ultime étant l’épanouissement et la sérénité du patient et de sa famille, non


le maintien au domicile parental ou dans un établissement donné, etc.
DO

Louise est une jeune femme qui a un TSA avec retard mental léger. Elle vit
chez ses parents dans une grande ville et travaille dans un ESAT. Elle sait parler ;
son langage est moyennement fonctionnel. Malgré son autisme, Louise aime
le contact social, parler avec les gens. Son passe-temps favori depuis qu’elle est
arrivée à l’âge adulte est d’aller au centre-ville pour se promener.
Les commerçants la connaissent et bavardent volontiers avec elle quand
elle entre dans leurs boutiques. Cependant, il lui est arrivé de subir des
moqueries, des harcèlements, des gestes incorrects de la part de jeunes qui
traînaient en ville, abusant de sa fragilité.
Les parents étaient de plus en plus inquiets de ces petites mésaventures,
mais il leur tenait à cœur que leur fille vive une vie proche de la norme,
qu’elle se promène seule comme elle aimait et qu’elle parle avec les gens.
Les thérapeutes ont finalement trouvé un compromis avec les parents :
Louise éviterait d’aller seule en ville pendant quelques mois ; ce temps
sera mis à profit pour bien évaluer les capacités cognitives de la patiente
et pour lui proposer un atelier d’entraînement aux habiletés sociales.
Cette démarche a permis à Louise d’être mieux outillée pour faire face aux
quelques désagréments qui entachaient ses promenades.
Agir sur les stimuli 139

Dans une telle situation, si les habiletés sociales restaient déficientes


ou que les dangers auxquels la personne était exposée apparaissaient plus
importants, on pourrait préconiser un arrêt total de ces promenades, en
les remplaçant par d’autres sources de plaisir (promenades accompagnées,
autres activités, etc.).

Tenir compte des particularités sensorielles


M. Haegelé
Après avoir évoqué les particularités sensorielles à plusieurs endroits de
cet ouvrage, nous présentons ici quelques exemples de l’usage que nous
pouvons en faire en TCC.
Il est important de commencer par l’analyse fonctionnelle de ces particu-
larités : que fait la personne pour les rechercher ou pour les éviter ? Produi-
sent-elles des troubles du comportement ? des crises de colère ? des manifes-
tations anxieuses ? des affects dépressifs ?
En pratique, la thérapie tiendra compte des particularités sensorielles de
T
plusieurs façons.
IN

Utiliser le meilleur canal sensoriel de la personne


PR

Les sujets autistes comprennent souvent mieux les supports visuels que les
T

consignes et explications verbales. Cependant, la personnalité, l’histoire et


NO

les comorbidités de chacun doivent nous inciter à nuancer cette règle. Pour
chaque individu, nous adapterons les supports thérapeutiques, notamment
en fonction du degré de compréhension (voir plus haut le sous-chapitre
DO

sur « Évaluer les capacités de communication ») et de l’état de la vision (de


nombreux sujets ayant un autisme et/ou un handicap mental ont en même
temps un déficit visuel ; chez eux, on peut utiliser des supports tactiles, par
exemple pour favoriser la détente (voir plus loin l’exemple de Mickaël dans
le chapitre « Réguler et enrichir les émotions ») ou combiner un support
tactile qui amorce le nouveau comportement (respirer et se détendre en
pressant légèrement sa peluche ou un autre objet d’importance) et rend
la personne disponible pour un deuxième support, qui sera auditif ou
visuel (lire ou se réciter une règle de pensée ou de conduite telle que « je ne
m’occupe pas des affaires des autres », « je suis quelqu’un d’agréable », etc.).

Ne pas parasiter la perception avec des stimuli


multisensoriels
Il ne faut pas parasiter la perception avec des stimuli multisensoriels, parti-
culièrement chez des sujets inhibés ou qui ne savent pas exprimer leur
détresse ; il est préférable, en TCC, d’éviter les supports thérapeutiques
faisant appel à des stimuli multisensoriels (vision/audition : regarder et
140 Interventions

écouter en même temps). Quand la combinaison de deux modalités senso-


rielles s’avère utile, nous le ferons de manière séquentielle comme expliqué
plus haut.

Aménager une zone de confort sensoriel


Il faut aménager une zone de confort sensoriel pour favoriser la détente et
la relaxation.
Cette zone peut être la chambre du patient, une pièce accessible de la
maison ou du lieu de vie. C’est un lieu de « ressourcement » qui doit être
identifié par le patient, à utiliser en cas de stress, dès qu’il sent monter une
émotion forte.

Aménager des moments de repos sensoriel


Ces moments sont proches du concept de « diète sensorielle » de Patricia
Wilbarger (d’après les travaux de J. Ayres sur l’intégration sensorielle).
T
C’est en analogie avec la nutrition : quand on a mangé un repas riche en
calories, ou quand on sait que nous allons en manger un, on est tenté de
IN

s’abstenir pendant un moment. Les diètes sensorielles sont des moments


PR

d’hypostimulation pour soulager ou préparer la personne à un stress sen-


soriel. Certains patients savent préparer, tout seuls ou avec peu d’aide, des
« sas » d’hyposensorialité en rentrant chez eux après une journée difficile
T

(au lycée dans leur classe spécialisée ou dans le centre d’activité ou après
NO

une journée de travail à l’ESAT). Pour les autres, c’est aux aidants de prévoir
des moments dans la journée prévus pour la détente et le repos sensoriel.
DO

Ces diètes sensorielles peuvent paraître en contradiction avec la règle de


« bouger pour réguler ses émotions » (voir précédemment l’encadré sur
ce sujet). En fait, cette contradiction apparente nous rappelle l’importance
de l’analyse fonctionnelle de ces comportements (bouger, rechercher tel
type de stimulation, éviter tel autre type de stimulation, etc.). Ce sont des
comportements qu’il faut observer, décrire, éventuellement mesurer ; et
surtout en analyser finement les conséquences à l’aide des outils présentés
dans le chapitre sur la méthodologie : quelles conséquences ? à court et à
long terme ? sur le plan émotionnel, social, matériel ? conséquences du
point de vue du sujet et du point de vue de ses aidants ? conséquences
appétitives ou aversives ? C’est cette analyse qui nous dira quels compor-
tements de recherche sensorielle ou d’évitement sensoriel nous devons
encourager.
Tania est une jeune femme porteuse de TSA avec handicap intellectuel
moyen et un langage moyennement fonctionnel. Elle travaille depuis deux
ans dans un centre spécialisé (ESAT), faisant des travaux routiniers qu’elle
apprécie. L’ambiance du travail est bonne d’un point de vue social, mais un
peu bruyante. Tout en sachant Tania très sensible au bruit, les aidants n’ont
Agir sur les stimuli 141

pas réussi à rendre le lieu de travail plus calme : les locaux ne permettaient
pas une séparation efficace entre les travailleurs.
Tania a pris l’habitude, en rentrant chez elle le soir, de s’isoler dans sa
chambre pendant une demi-heure, chuchotant des mots à voix basse, tour-
nant sans cesse et agitant les bras. Ses parents se rendaient compte que ce
moment passé seule aidait leur fille à être calme le reste de la soirée, mais
ils s’inquiétaient parce que ce temps de sas devenait de plus en plus long.
Les thérapeutes sollicités ont posé l’hypothèse que ce temps de solitude
servait de diète sensorielle pour Tania et qu’il fallait le préserver. Ils ont
proposé aux parents, et surtout aux moniteurs du lieu de travail, d’assurer à
la patiente de petites pauses tout au long de la journée, de façon décalée par
rapport aux autres travailleurs, pour qu’elle puisse rester seule dans la salle
de repos, sans bruit ambiant et en ayant la liberté de bouger ses bras et de
tourner dans la pièce pour atténuer son stress. Cet aménagement a permis
de réduire le niveau de stress à la fin de la journée.

Transformer les particularités sensorielles en


T
renforçateurs et en comportements épanouissants
IN

Les particularités sensorielles sont certes souvent déconcertantes et peu-


PR

vent poser des soucis de sécurité pour la personne. Elles sont cependant
aussi une mine d’idées pour travailler sur les forces de l’individu et pour
T

lui apporter du plaisir dans sa vie quotidienne. Elles peuvent ainsi nous
NO

inspirer des jeux sensoriels : donner accès à ce que la personne aime faire,
par exemple le toucher ou la vue de l’eau, mais dans un cadre adapté sans
inonder la salle de bain. Ainsi, il nous est arrivé, chez des patients qui
DO

aimaient jouer avec l’eau, de proposer aux parents de prévoir un bassin


d’eau avec un objet ou un carreau que la personne immerge dans le bassin
pour observer l’eau qui y coule. Il s’agit d’offrir à la personne des moments
de plaisir. Ces jeux peuvent aussi être utilisés comme renforçateur dans la
thérapie.
Par exemple, nous souhaitons apprendre à un patient comment utili-
ser un agenda visuel simplifié, pour organiser sa journée et le rendre plus
autonome, mais le patient n’est pas très motivé pour s’engager dans cette
thérapie, trouvant ce type d’apprentissage difficile et exigeant en termes de
concentration. Nous pouvons dans ce cas puiser dans les particularités sen-
sorielles de notre patient pour trouver une activité qu’il aime ; par exemple,
nous proposerons un jeu avec le sable ou la semoule si nous savons qu’il
aime les sensations que ce jeu procure.

Recourir à des aides sensorielles


Des exemples fréquents sont les casques antibruit, utilisés à certains
moments de la journée ; des lunettes de soleil à utiliser quand une lumière
142 Interventions

forte ou un type de scintillement gêne la personne ; des lunettes équipées de


verre filtrant la lumière bleue pour un patient qui passe beaucoup de temps
à jouer devant les écrans ; utiliser une odeur agréable avant une séance
de thérapie pour aider la personne à se détendre ; utiliser au contraire un
produit qui masque ou absorbe les odeurs dérangeantes.

T
IN
PR
T
NO
DO
16 Forger des comportements :
réguler les comportements
sexuels
La sexualité dans le domaine du handicap est un sujet riche, qui n’est
pas encore suffisamment traité. Les aidants sont souvent mal à l’aise,
manquant de connaissances et de ressources pour aider les personnes
handicapées dans ce domaine. Souvent, en voulant parler de sexualité,
les professionnels se contentent de parler du corps, de son fonctionne-
ment, de l’hygiène, alors que la personne cherche à assouvir ses envies
sexuelles, voudrait savoir ce qu’elle a le droit de faire et de ne pas faire,
comment se masturber sans danger, comment aborder une personne de
l’autre sexe, etc. T
Parfois, c’est l’inverse qui se produit : partant de la supposition que tout
IN
être humain a le besoin et le droit de pratiquer une sexualité normale,
les aidants parlent à la personne d’envies et de rapports sexuels alors
PR

qu’elle a envie « seulement » de contacts sensuels ou d’affection ; d’où


l’intérêt pour les aidants d’observer le comportement du sujet handicapé
T

de façon objective, sans interprétation, et d’ajuster leur aide aux besoins


NO

de la personne.
Charles, 25 ans, a un TSA avec un niveau intellectuel limite. Il vit chez
ses parents et est suivi depuis plusieurs années en psychiatrie. Il reçoit un
DO

traitement neuroleptique ainsi qu’un traitement visant à contrôler l’exci-


tation sexuelle. Ce traitement lui a été prescrit à la suite de démêlés qu’il
avait eus avec la justice. À plusieurs reprises, Charles, en croisant une
jolie fille, l’a prise dans ses bras. Les « attouchements » qu’on lui repro-
chait n’allaient pas plus loin, mais la répétition de ces incidents a évi-
demment scandalisé les habitants du quartier et a provoqué énormément
d’angoisse chez le patient, chez ses parents, et même chez les thérapeutes
qui le suivaient. Charles ne semblait pas savoir que ces comportements
étaient gênants pour les filles et pour leur entourage. Les différents liens
d’amour et d’amitié étaient confus dans son esprit. Il ne maîtrisait pas la
façon d’entrer en relation avec le sexe opposé ; il avait tendance à calquer
des modèles vus à la télévision, en reproduisant leurs gestes sans tenir
compte du contexte.
Jean a 16 ans. Il a un TSA avec un niveau intellectuel limite, et fréquente
une classe ULIS du lycée de sa ville. Malgré des résultats scolaires relative-
ment bons, les enseignants étaient inquiets à cause du comportement social
de ce jeune. Ils ont interpellé ses parents parce qu’il est entré à plusieurs

TCC dans l’autisme et le retard mental


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144 Interventions

reprises dans les toilettes des filles. Jean était étonné par les réactions scan-
dalisées des filles et des enseignants. Il trouvait simplement ses camarades
filles jolies et intéressantes et ne cherchait qu’à discuter avec elles. Ayant
engagé la conversation avec une fille et, pris dans l’excitation de la conver-
sation, il n’arrivait pas à gérer la distance avec sa camarade et finissait par
lui coller à la poitrine ; et comme il tenait à capter l’attention de la fille, il ne
voulait pas interrompre un entretien qui lui apportait tant de satisfaction.
Il ne remarquait pas les fréquents signes d’impatience et d’agacement de
ses camarades, et ne se rendait pas compte que pousser « l’amitié » jusqu’à
suivre son interlocutrice dans les toilettes pouvait donner l’effet contraire
au but recherché.
Dans ces deux exemples, comme dans celui de Laëtitia, cité précédem-
ment (section « Donner une place privilégiée au corps » dans l’analyse
fonctionnelle), les personnes ayant un TSA sentent une excitation et réagis-
sent d’une manière inadaptée parce qu’elles n’arrivent pas à choisir le bon
comportement au bon moment. Prendre une fille dans ses bras peut être un
comportement adapté ou inadapté en fonction du contexte (un père qui
T
prend sa fille dans ses bras, un homme qui prend une femme dans ses bras
IN
quand il sait qu’elle est consentante et que cela lui fait plaisir, etc.).
Dans tous les cas, les interventions en TCC ne sont pas incompatibles
PR

avec le traitement médicamenteux lorsqu’une indication claire s’impose, et


elles n’ont évidemment pas pour vocation d’empêcher les réponses que la
T

société (notamment la justice) peut apporter.


NO

Là encore, nous avons tout intérêt à faire l’AF du comportement « sexuel »


inadapté. En faisant appel à la séquence comportementale, nous recher-
DO

chons dans chaque cas le processus à l’œuvre ; plusieurs possibilités se pré-


sentent ainsi à nous.
Dans beaucoup de cas, le sujet, en raison de son handicap, n’a pas appris
le style comportemental admis par la société pour aborder une personne
(notamment du sexe opposé) en commençant par engager la conversation
ou en exprimant son admiration par la parole et de façon retenue et respec-
tueuse. Ce point est essentiel car, quelle que soit la réponse sociale, judiciaire
ou thérapeutique aux comportements sexuels inappropriés, elle aura une por-
tée limitée si le sujet ne maîtrise pas le « gros carré central » (en référence à la
figure 6.6) du comportement approprié auquel s’attend la société. Dans ce type
de situations, les conséquences sociales (les réactions scandalisées de l’entou-
rage, les convocations à la gendarmerie, les menaces de sanctions judiciaires,
etc.) jouent le rôle d’une punition « naturelle », inhérente au comportement ;
cependant, elles ne diminuent pas toujours la probabilité de réapparition du
comportement incriminé, ou alors elles la diminuent, momentanément et
au prix d’une grande souffrance, parce que le sujet ne sait pas agir autrement.
Parfois, les capacités cognitives sont trop altérées pour que le sujet
comprenne les enjeux de la sexualité. Il est alors du devoir des aidants de
Forger des comportements : réguler les comportements sexuels 145

le protéger et de protéger les autres en préservant la personne handicapée


de situations qu’elle n’arrivera pas à gérer, et en orientant sa sexualité, par
exemple, vers la masturbation.
Il en est de même quand le sujet ne parvient pas à se maîtriser en présence
des stimuli sexuels ; ce cas de figure rejoint le problème des comportements
sexuels inappropriés dans la population générale et nécessite une action sur
la chaîne des stimuli : éviter les situations sources d’envie sexuelle, appren-
dre à s’isoler pour se masturber, etc.
Lors des modifications physiologiques à l’adolescence, certaines per-
sonnes autistes ne comprennent pas forcément les sensations générées par
leur corps changeant ; certains sujets donnent l’impression de rechercher les
limites de ce corps, au point d’en arriver à le sursolliciter sensoriellement ou
sexuellement. Ainsi, la découverte d’une zone attrayante sensoriellement
peut amener la personne à s’autostimuler jusqu’à la mutilation. Souvent,
il existe un décalage entre ce corps d’adulte et l’âge mental, la personne se
croyant plus jeune qu’elle ne l’est en réalité. Il est important ici de donner
un terrain d’exploration sécurisé, d’informer la personne de ce qu’elle peut
T
faire et comment.
IN
Une de nos patientes, âgée de 17 ans, porteuse d’un TSA avec DI moyenne
et un langage relativement riche mais peu fonctionnel, un jour, et sans
PR

explication, s’est mordillé les seins. Les observations n’ont pas permis de
comprendre pourquoi elle a commis ce geste étonnant, mais en combinant
T

le discours de la patiente et les observations de l’entourage, nous avons posé


NO

l’hypothèse d’une réaction d’anxiété et de désarroi provoquée par la crois-


sance des seins. La patiente avait probablement aussi mal et ne pouvait pas
DO

l’exprimer. Dans ce type de situations, les sensations liées à la croissance des


seins lors de la puberté peuvent être considérées comme un stimulus aver-
sif, anxiogène. Le thérapeute peut tenter de réduire le caractère aversif de ce
stimulus en expliquant à la patiente le processus de la puberté ; cela néces-
site une relation de confiance et l’utilisation de schémas simples pour expli-
quer ce qui se passe au niveau des seins, ou en utilisant des poupées. On
peut aussi tenter d’agir sur le comportement physiologique, en apprenant
à la patiente une technique de relaxation ou de respiration abdominale.
17 Forger des comportements
Entraînement aux habiletés
sociales

M. Haegelé, A. Murad

Nous donnons ici les clés pour que le thérapeute se sente capable d’organi-
ser un atelier d’entraînement aux habiletés sociales. Nous partons de l’idée
d’une thérapie de groupe, mais il est évident que, si la situation ne le permet
pas, le travail sur ces habiletés peut commencer en individuel.

Analyse fonctionnelle du déficit d’habiletés T


sociales
IN

En TCC, on peut modéliser le déficit d’habiletés sociales comme un type


PR

de comportements qui n’a pas été suffisamment appris et renforcé. L’his-


toire semble commencer par une anomalie du développement cérébral ;
les zones servant de support anatomophysiologique à la cognition sociale
T

sont touchées, ce qui compromet la perception et l’interprétation des situa-


NO

tions sociales. Le sujet se trouve ainsi démuni, son cerveau n’arrive pas à
s’adapter à ce type de situations. Il n’apprend pas ; et quand on n’apprend
DO

pas (ou pas correctement, pas comme la société s’y attend), le comporte-
ment attendu n’a pas l’occasion d’être renforcé positivement. Pire encore,
la réaction maladroite qui se produit à la place peut être « punie » par la
désapprobation et la moquerie des autres. Il suffit, pour illustrer ce propos,
de penser aux sourires et pitreries d’un enfant au développement normal,
à toutes les réactions de joie que cela entraîne chez les parents. L’enfant
autiste, produisant plus rarement ce type de comportements, a moins de
récompenses apportées par la vie.
Cet enfant, en grandissant, verra ses compétences en communication et
en interactions sociales de plus en plus sollicitées. Chez les personnes au
profil déficitaire, les compétences sociales sont affectées à la fois par l’altéra-
tion de la cognition sociale et par les difficultés intellectuelles qui les empê-
chent de comprendre les situations sociales.
Ces personnes sont souvent dans des rapports de proximité (elles tou-
chent, tapent, manipulent) et très spontanés (elles s’expriment sans tenir
compte du contexte et des aspects complexes du lien à l’autre, comme la

TCC dans l’autisme et le retard mental


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148 Interventions

disponibilité de l’interlocuteur, les indices non verbaux qui l’animent et qui


nous informent normalement s’il est intéressé ou ennuyé par ce que nous
disons, etc.).
L’entraînement aux habiletés sociales se propose de remplacer cette spirale
par un cercle vertueux : on s’entraîne aux bons comportements pour mieux
faire face aux situations de la vie et pour récolter davantage de renforçateurs
de toutes sortes. Le but est donc d’augmenter les capacités de communica-
tion, mais aussi de créer des expériences sociales positives avec les pairs.

Axes d’intervention
Pour que ces interventions donnent leur plein effet, il faudrait intervenir
à la fois :
• auprès du patient lui-même : cela peut se faire en individuel ou en
groupe. Selon le degré de déficience intellectuelle, le contenu de ce qui est
proposé s’oriente plutôt vers des aptitudes très concrètes (regarder, rester
calme, écouter, formuler une demande, etc.) ou vers des compétences plus
T
complexes (adapter l’intonation de la voix, saluer de manière adaptée une
IN
personne proche ou inconnue et faire la différence entre ces deux manières
de saluer, exprimer et reconnaître les états émotionnels, etc.) ;
PR

• auprès des aidants professionnels et familiaux qui entourent la personne.


Il est en effet indispensable que les aidants adaptent leur façon de parler à
T

la personne et qu’ils soient impliqués dans la thérapie proposée. Les nou-


NO

velles compétences apprises et exercées en atelier thérapeutique seront ainsi


transmises aux parents par exemple pour que ceux-ci puissent créer des
DO

occasions permettant à leur enfant adulte de pratiquer ces compétences.


Certains jeunes adultes ne souhaitent pas que les thérapeutes sollicitent
leurs parents car ils ont un fort désir de devenir autonome, de « s’affran-
chir » de l’autorité de leurs parents ; ils n’ont pas conscience des difficultés
(voire des dangers) dans lesquelles leur déficit d’habiletés sociales les met au
quotidien. Tout en respectant cette envie de liberté, le thérapeute en TCC
dispose de moyens relationnels et techniques qui l’aident à motiver son
patient (construire une relation chaleureuse de confiance, soutenir l’estime
de soi, pratiquer l’entretien motivationnel, etc.) pour que celui-ci accepte la
participation de ses parents ou celle d’autres aidants.

Préparer l’intervention et constituer le groupe


Avant l’intervention, les thérapeutes évaluent la situation de chaque parti-
cipant par deux moyens :
• ils mènent un entretien détaillé auprès de la personne autiste, en insis-
tant sur les informations relatives au fonctionnement social et émotionnel,
à la communication sociale, aux intérêts et aux forces de la personne ;
Forger des comportements 149

• ils remplissent des questionnaires avec les aidants pour évaluer les diffi-
cultés et repérer les domaines à travailler, par exemple :
– la grille d’évaluation du profil de compétences sociales [Baker, 2003] ;
– le quotient du spectre autistique [Baron-Cohen et al., 2001] ;
– l’échelle de réciprocité sociale (social responsiveness scale) [Constantino
et al., 2007].
Le thérapeute ne trouvera pas toujours des échelles et questionnaires
validés pour la population qui l’intéresse, ni dans la langue de celle-ci. Il
faudra alors adapter les outils disponibles et surtout les considérer comme
« outils », à utiliser dans une approche clinique globale, associés à d’autres
outils et surtout au jugement clinique et à la conceptualisation individuelle
de chaque patient.
Une liste d’objectifs est fixée (avec la personne autiste et/ou avec ses
aidants) pour déterminer ce qui sera directement travaillé durant les
séances. Même s’il s’agit d’un « atelier » collectif, les objectifs en ont un
caractère hautement individualisé. Ainsi, dans chacun des thèmes et sous-
thèmes mentionnés ci-après, les thérapeutes évaluent les besoins de chaque
T
patient. Pendant chaque séance, et à partir de la même situation (vidéo, jeu
IN
de rôle, discussion, etc.), ils encouragent chaque patient à s’entraîner plus
particulièrement à une difficulté propre à lui : par exemple, un jeune adulte
PR

qui arrive dans un centre d’activité ou dans son lycée et qui souhaite abor-
der un groupe. Pour certains, l’exercice sera de s’approcher physiquement
T

du groupe ; pour d’autres, de pouvoir regarder les autres et dire bonjour.


NO

Le nombre de participants est de quatre à six pour deux animateurs. Il


faut bien sûr qu’il y ait une certaine homogénéité en âge et en profil cogni-
DO

tif (degré du handicap mental et sévérité du syndrome autistique) ; il faut


également que les participants puissent partager un minimum de langage
commun et de capacité d’élaborer.
Les thérapeutes instaurent un climat d’engagement : « je viens ici pour
moi, pour apprendre des choses qui me seront utiles, mais aussi pour ren-
contrer des personnes qui ont des soucis proches des miens » ; ils créent
une atmosphère d’apprentissage plaisante et encourageante ; ils multiplient
les opportunités pour pratiquer et apprendre (des exemples donnés par les
patients ou inventés par les animateurs ; des vidéos à regarder ; des sorties
pour se promener, faire des achats et demander des renseignements ; des
situations tendues ou au contraire agréables et encourageantes qui apparais-
sent pendant les séances entre les participants).
Les séances doivent avoir une structure commune pour leur déroulement
et un environnement prédictible mais permettant en même temps une
certaine spontanéité. L’atelier dure habituellement de 12 à 15 séances au
rythme d’une séance par semaine. Le nombre de séances dépend cependant
du niveau de difficulté des participants. Ainsi, les thèmes des séances listés
ci-après seront regroupés plus ou moins intensément ou étalés sur un grand
150 Interventions

nombre de séances. Plus le niveau cognitif des participants est bas, plus les
thèmes seront fractionnés, en prenant un type de situation par séance et
en multipliant les exercices sur chaque situation et sur les préalables et les
sous-tâches.
Les ateliers d’entraînement aux habiletés sociales sont proposés aux per-
sonnes porteuses d’un TSA, bien sûr à celles qui n’ont pas de handicap intel-
lectuel associé, mais aussi en présence d’un retard mental léger ou moyen. Les
thèmes généraux sont les mêmes, mais les tâches à apprendre sont différentes.
Prenons l’exemple de la communication non verbale :
• chez un sujet autiste n’ayant pas de retard mental, la thérapie visera des
apprentissages fins : regarder son interlocuteur dans les yeux de façon modu-
lée (ne pas le fixer du regard tout le temps ni éviter le contact visuel) ; faire des
hypothèses sur les intentions et les souhaits de son interlocuteur en se basant
sur les indices non verbaux ; engager la conversation de façon adaptée, etc. ;
• chez un sujet ayant un autisme avec retard mental léger, les apprentis-
sages viseront des compétences sociales plus simples : que dire ou faire en
cas de difficulté ; comment savoir si l’autre est disponible pour nous écou-
T
ter ; moduler de façon approximative sa voix, etc. ;
IN
• chez un sujet ayant un autisme avec retard mental moyen, les apprentis-
sages viseront des compétences plus concrètes : respecter la distance inter-
PR

personnelle ; ne pas toucher les autres de façon intempestive ; se tenir droit ;


dire bonjour la première fois qu’on croise quelqu’un dans la journée, etc.
T

Ces ateliers ne sont généralement pas appropriés en cas de forte comor-


NO

bidité psychiatrique (dépression, trouble anxieux caractérisé, hyperactivité/


déficit de l’attention, troubles graves du comportement, etc.). Dans ce cas, il
DO

faudra souvent commencer par traiter le trouble associé (par médicaments


ou par la TCC) en individuel pour que la personne soit en état de participer
au groupe.

Programme
Voici les principaux thèmes abordés dans ces ateliers.

Communication non verbale


• Reconnaître les expressions faciales (à partir de petites histoires jouées par
les animateurs du groupe, à partir de photos ou de vidéos, etc.).
• Ajuster le contact oculaire : orienter son regard vers l’interlocuteur, sans
toutefois le fixer du regard en permanence. Un exercice courant utilisé
dans ce but est de demander au patient de noter mentalement la couleur
des yeux de chacune des personnes qu’il rencontre pendant une journée.
Il n’est pas nécessaire de le garder en mémoire, il s’agit simplement d’en
prendre note pour habituer le patient à regarder son interlocuteur pendant
quelques instants.
Forger des comportements 151

• Moduler sa voix (les animateurs, à partir de situations de la vie courante,


disent la même phrase avec un volume et une hauteur de voix variables ;
ils invitent les participants à faire de même et à rechercher la hauteur et
l’intonation les plus adaptées).
• Respecter l’espace interpersonnel (se tenir à une distance adaptée, ni trop
près ni trop loin de son interlocuteur). Les thérapeutes introduisent l’idée
qu’il existe entre les individus des « frontières invisibles » qui doivent être
respectées : il faut respecter l’espace de chacun car les intrusions dérangent
les gens. Les participants sont ensuite invités à faire des exercices de dis-
tance et de rapprochement (déterminer chez soi et chez l’autre ce qui mon-
tre qu’on est à l’aise ; quand dire stop, etc.).
• Reconnaître l’intention dans la voix (les animateurs énoncent plusieurs
phrases en changeant l’intonation, la hauteur, etc., pour exprimer des
intentions variables ; les participants sont invités à deviner l’intention de la
personne) ; par exemple, dire « j’aimerais vous voir » sur un ton froid (qui
exprime une simple politesse), amical (une vraie envie de voir la personne),
agacé ou apeuré (comme si on avait une demande pressante à formuler à
T
l’interlocuteur), etc. ;
IN
• Reconnaître les indices non verbaux : qu’est-ce qui me permet de dire que
mon interlocuteur est intéressé par ce que je lui raconte, ou si au contraire
PR

il est ennuyé, agacé, etc.


• Adapter la posture (comment se tenir dans un groupe, assis, debout,
T

comment mon interlocuteur perçoit mon attitude en fonction de ma pos-


NO

ture, etc.).
• Savoir quelle émotion exprime mon interlocuteur.
DO

• S’entraîner à enrichir son répertoire des expressions faciales : imiter des


expressions de différentes émotions avec leurs nuances.
• S’habituer à sourire : « la façon la plus simple de vous montrer sous votre
meilleur jour est votre sourire ; vous pouvez vous dire mentalement le mot
“super” plusieurs fois de suite et vous vous rendrez compte que cela vous
amène à sourire ».

Initiative et réciprocité lors des interactions


Il faut chaque fois tenir compte de l’environnement, du contexte social (en
groupe, en relation duelle ; avec une personne étrangère, connue, familière,
dans le cadre du travail, etc.) :
• se joindre aux activités : comment approcher une personne ou un groupe ;
que dire pour saluer, etc. ;
• poser des questions sur les intérêts d’autrui : s’entraîner à repérer ce que
l’autre fait ou ce dont il parle et trouver des questions pertinentes à lui poser ;
• demander de l’aide dans différentes situations ;
• poser des questions sur des thèmes divers : parler par exemple d’un sujet
qui ne fait pas partie des intérêts premiers du patient ni de son interlocuteur,
152 Interventions

parler de la pluie et du beau temps. Comment entamer, poursuivre et clore


une conversation ;
• repérer les indices sociaux : comment savoir si c’est à moi de parler, de
répondre, de jouer. Il n’y a pas forcément une règle unique valable pour
toutes les situations, mais le fait de jouer plusieurs situations permet impli-
citement à chaque participant à la fois de trouver ses propres règles et de
« sentir », c’est-à-dire d’apprendre implicitement le comportement social
attendu par les autres ou souhaité par lui ;
• inviter quelqu’un à faire une activité avec soi ;
• se joindre à une conversation sans interrompre : s’approcher, saluer rapi-
dement, suivre ce que les autres sont en train de dire ;
• pouvoir exprimer un besoin, un souhait ; faire une remarque, un compli-
ment, etc.

Inférer des pensées à autrui


Travail sur la théorie de l’esprit : trouver les intentions d’autrui, percevoir
l’impact de mon propre comportement sur autrui, prévoir les émotions
T
d’autrui (qu’est-ce que mon frère/ma collègue, etc., peut ressentir quand je
IN
dis ceci ou cela), adopter la perspective de l’autre (voir la situation en cours
avec ses yeux).
PR

Résolution de problèmes/flexibilité cognitive


T

• Envisager d’autres points de vue que les siens.


NO

• Imaginer des situations, des comportements d’autrui ou ses propres


comportements et sensations dans des situations fictives.
• Travailler la rigidité de la pensée : à partir de la même situation probléma-
DO

tique (réelle et rapportée par un participant ou inventée et proposée par les


thérapeutes), thérapeutes et patients tentent de trouver plusieurs façons de
trouver une solution.
• Abandonner une stratégie inefficace.
• Repérer la tendance à persévérer dans des stratégies inefficaces et
s’entraîner à arrêter pour demander de l’aide ou pour suivre un autre
chemin.

Travail sur le manque de confiance en soi et sur le stress


• Repérer le fait que l’on a envie d’aller vers les autres sans savoir comment.
• Ne pas savoir si l’autre plaisante ou non : quels indices me permettent de
le savoir ; comment demander des précisions ; reconnaître que je n’ai pas
compris ; se sentir en droit de ne pas comprendre et être à l’aise avec l’idée
de demander des précisions.
• Observer les autres rires sans savoir pourquoi.
• Gérer le contact physique : est-ce que je le supporte ou pas ? dans quelles
situations ai-je le droit de toucher les autres ? que faire si on me touche alors
que je ne l’aime pas ?
Forger des comportements 153

Compréhension des règles implicites de la relation sociale


• Reconnaître ses difficultés : savoir quelles sont mes difficultés et diffé-
rences sans m’accabler de jugements de valeur (adopter l’idée que je suis
différent et que j’en ai le droit).
• Se rendre compte que les autres perçoivent sa différence : comment repé-
rer les interrogations des autres, comment leur expliquer sa différence et
montrer son envie d’être quand même avec eux, ou au contraire dire qu’on
a besoin d’être seul.
• Maintenir une hygiène personnelle : percevoir l’effet de son apparence
physique sur la façon dont les gens nous regardent (être propre, habillé
proprement et de façon adaptée au contexte social).
• Expliquer ses propres comportements aux autres.
• Repérer les moments où nous avons des difficultés à nous rendre compte
de notre propre comportement « bizarre » (parler uniquement de ses cen-
tres d’intérêt alors que l’interlocuteur ne s’y intéresse manifestement pas ;
utiliser une voix bizarre, etc.).
Tout cela est travaillé en repérant les indices émotionnels chez soi et chez
T
autrui, ce qui permettra à la personne d’avoir une attitude le plus adaptée
IN

possible et de ne pas se trouver dans des situations de vulnérabilité sociale. La


sphère virtuelle est également abordée, avec la notion de « cybersécurité ».
PR

Une séance type comporte les éléments suivants : accueil des participants,
émotion du moment, humeur de la journée, fait marquant de la semaine
T

écoulée, degré d’envie de participer à la séance avec une échelle ; le thème


NO

de la séance est rapidement expliqué de façon théorique, avec des mises en


situation.
DO

Les ateliers d’entraînement aux habiletés sociales sont tout à fait faisables
avec des personnes ayant un TSA avec handicap mental léger. Les thérapeutes
abordent chaque thème en offrant des explications théoriques, des discussions ;
ils reprennent les événements et expériences rapportés par les participants ; les
comportements adaptés sont présentés et exercés de manière ludique, avec
souvent des supports visuels ; des exercices sont à faire entre les séances. Les
thérapeutes proposent des sorties en villes pour que les participants puissent
mettre en application les compétences apprises pendant l’atelier.

Limites et difficultés du programme : comment


y remédier
Les programmes d’entraînement aux habiletés sociales sont de plus en
plus répandus dans les lieux professionnels. Ils ne sont néanmoins pas une
« panacée » et ne doivent être proposés qu’après une conceptualisation du
cas singulier de chaque individu. Ces programmes ont des limites et ne sont
pas dépourvus de risque. Le tableau 17.1 montre les principaux problèmes
ainsi que des suggestions pour y remédier.
154 Interventions

Tableau 17.1. Programmes d’entraînement aux habiletés sociales :


problèmes et suggestions.
Difficulté/limite Comment y remédier
Le thérapeute acquiert une importance Impliquer d’autres personnes (les parents,
excessive pour le patient, devient la source des amis, les autres participants du groupe,
unique de renforcement social. etc.) pour créer des interactions sociales
plus riches
Le patient présente des comorbidités sévères Refaire la conceptualisation
(anxiété, TOC, dépression, trouble de la Vérifier si l’apprentissage des habiletés
personnalité) qui interfèrent avec l’atelier. sociales est une priorité ou s’il faut d’abord
proposer une TCC ciblée pour le trouble
psychique associé
Faire appel au « modèle médical » (la bougie
biologique de notre méthodologie) pour
voir si d’autres thérapies (médicaments,
hospitalisation) sont nécessaires
Le patient ne se sent pas concerné, semble Évaluer la motivation
peu motivé pour ces apprentissages.
T
Vérifier que le sujet comprend toujours le
IN
programme et le bénéfice qu’il peut en tirer
Réévaluer l’adéquation entre le programme
proposé et le profil intellectuel de la
PR

personne
Le niveau intellectuel n’est pas suffisant. Proposer des apprentissages plus concrets,
T

fondés sur la mise en situation, ou faire


NO

l’atelier, depuis le début, dans le milieu de


vie du patient
Fragmenter les séances et les apprentissages
DO

en sous-apprentissages plus simples


Échec malgré toutes les tentatives S’orienter vers d’autres solutions (ne
pas laisser durer une thérapie qui crée
régulièrement un sentiment d’échec chez le
patient ou qui compromet le bénéfice chez
les autres participants)
Le patient considère que ce qui ne Proposer de la psychoéducation (explica-
fonctionne pas vient des autres. tions simples et schématiques sur l’autisme
et le handicap mental)
Reprendre les situations qui posent des
problèmes, discuter les différents points de
vue possibles
Évoquer les difficultés propres à l’autisme,
les problèmes du manque de concentration
Renforcer l’estime de soi (ce qui aiderait
le patient à accepter ses difficultés sans se
considérer comme quelqu’un de mauvais)
18 Retrouver maîtrise
et plaisir : l’activation
comportementale
dans la dépression
L’activation comportementale est, avec la thérapie cognitive, une des deux
grandes voies pour guérir la dépression en TCC. L’efficacité de ces deux
approches est comparable à celle des antidépresseurs et son effet est plus
durable. La TCC est cependant très peu utilisée dans la dépression chez les
personnes porteuses de handicap mental.
L’activation comportementale suppose que la dépression apparaît à partir
de changements dans la vie du sujet. Des circonstances de la vie déclen-
T
chent une humeur triste, d’abord passagère, à laquelle le sujet tente de
IN
s’adapter en évitant les activités qui demandent un effort physique ou
mental (se lever du lit, aller au travail, participer à des activités de groupe,
PR

etc.), ces activités n’étant plus source de plaisir. La vie tourne ainsi autour
de renforcements négatifs (éviter pour se sentir mieux) et perd sa part de
T

renforcement positif (faire pour ressentir du plaisir).


NO

L’activation comportementale propose d’inverser cette tendance en met-


tant en place un programme d’activités structurées fondées sur la maîtrise
et le plaisir que chaque activité peut procurer [Martell et al., 2010]. Le pro-
DO

gramme peut être mis en route par une équipe éducative ou soignante,
après une formation adéquate.
Lucas est un jeune homme ayant un TSA avec DI légère. Il travaille dans
un ESAT et s’y plaît. Il a commencé à montrer des signes de dépression : ten-
dance à s’isoler, quelques crises de larmes devant des frustrations minimes,
refus de sortir jardiner avec son père (alors que c’était son activité favorite
par beau temps), et, finalement, refus d’aller au travail. Lucas avait perdu,
quelques mois auparavant, un oncle auquel il était attaché. Le médecin
de la famille a prescrit un antidépresseur, dont l’effet n’était pas probant.
Une équipe thérapeutique a tenté de venir en aide à Lucas. Elle a mis en
route un programme d’activités : se lever tous les jours à la même heure
qu’avant, sortir pour se promener avec ses parents ou pour aider son père
à jardiner, ne serait-ce que pendant quelques minutes tous les jours. Après
chaque activité, il devait noter à l’aide d’une « émoticône » ou smiley « pas
plaisir du tout », « un peu plaisir », « grand plaisir ». L’humeur de Lucas s’est
améliorée au bout de deux semaines de thérapie.

TCC dans l’autisme et le retard mental


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156 Interventions

T
IN

Figure 18.1. Exemple d’une carte-action.


PR

(Nos remerciements à Aline Murad pour les dessins).


T

Ce programme d’activation comportementale fut associé à un travail sur


NO

les forces de Lucas. La qualité « être serviable » a été utilisée pour enrichir la
thérapie. Alors que le patient se méprisait et se reprochait les innombrables
échecs de sa vie, les thérapeutes se sont rendu compte que Lucas était perçu
DO

par son entourage comme quelqu’un d’attentionné et de serviable. Ils ont


consacré deux séances de thérapie à discuter de cette force-qualité, « être
serviable », et de la façon dont Lucas peut y penser et surtout la mettre en
pratique tous les jours. Dans le programme d’activation comportementale
mis en œuvre, les thérapeutes ont proposé que Lucas fasse tous les jours
deux actions, simples et courtes, en lien avec cette force-là, tout en se disant
« je suis quelqu’un d’attentionné et de serviable ». Ils ont conçu deux outils
pour l’aider dans le quotidien :
• un tableau pour cocher l’activité faite et l’émoticône qui indique le degré
de plaisir ;
• une carte-action, sous forme d’un carton plastifié, qu’il devait porter
sur lui. La carte indiquait « quand suis triste, quand je pleure, que faire ? »
(figure 18.1), puis trois photos (remplacées ici par des dessins) du patient
en train de pousser la brouette dans son jardin, de se promener et de parler
avec sa mère.
19 Assouplir la pensée
Travailler sur les schémas
cognitifs

Schémas et théorie de l’esprit


Les schémas rigides dans l’autisme sont souvent en lien avec le déficit de la
théorie de l’esprit et avec une adhésion peu nuancée à des règles morales.
Dora est une jeune femme porteuse d’un TSA avec langage fonctionnel
et un niveau intellectuel limite. Elle travaillait comme femme de cham-
bre dans une maison de retraite. Les relations avec ses collègues sont vite
devenues conflictuelles. La raison en était que quand Dora avait l’impres-
T
sion qu’une de ses collègues faisait mal son travail ou qu’elle avait oublié
IN
quelque chose (une armoire mal rangée, la cruche d’eau pas remplie), elle
allait immédiatement le signaler à la responsable du personnel. Celle-ci,
PR

connaissant le handicap de sa salariée, l’écoutait et la rassurait, mais les


collègues, évidemment, n’appréciaient pas l’attitude de Dora.
T

En discutant avec les thérapeutes, la patiente exprimait des idées générales


NO

du type « il faut respecter la personne âgée », « il faut bien faire son travail » ;
elle émettait un jugement moral très sévère à l’égard de ses collègues, sans
DO

tenir compte de ce qu’elles pouvaient ressentir. Quand on essayait de dis-


cuter avec elle de ses schémas de pensées et de l’aider à produire des pensées
alternatives, Dora se sentait mal et se mettait à pleurer. Les thérapeutes ont
finalement abandonné ce chemin de la restructuration cognitive et se sont
centrés sur les expériences positives que Dora pouvait vivre avec les autres
et sur des scénarios sociaux qui pouvaient améliorer la théorie de l’esprit.

Proposer des « règles cognitives »


Un exemple proche est celui de Corentin, homme de 35 ans, porteur d’un
TSA avec un retard mental moyen. Il vit chez sa mère et travaille dans un
ESAT. Il est perçu comme gentil et consciencieux dans son travail. Cepen-
dant, ses rapports avec les autres salariés posaient un problème en raison de
ses attitudes moralisatrices. Si un collègue de travail prenait une pause pour
aller aux toilettes, Corentin se mettait en colère, considérant que ce tra-
vailleur faisait perdre du temps à l’entreprise. Pendant les temps de pause,
il sortait pour faire la morale à ceux qui fumaient. L’ambiance au travail
devenait de plus en plus tendue.

TCC dans l’autisme et le retard mental


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158 Interventions

La thérapie ici a commencé par un travail sur les émotions : comment


identifier la colère et d’autres émotions chez soi ; repérer les situations qui
déclenchent la colère ; reprendre ces situations pour imaginer ce que l’autre
personne a ressenti.
La restructuration cognitive a été, comme c’est souvent nécessaire dans
les TSA, directive. Les thérapeutes ont commencé par aider le patient à
identifier les pensées associées à la colère puis ont proposé une « règle cog-
nitive » qui disait : « Je ne m’occupe que de ce qui me regarde. » Cette règle
n’a pas été imposée ; les thérapeutes ont d’abord invité Corentin à y réflé-
chir, à l’expérimenter la prochaine fois que quelqu’un l’énerve. Le patient
a ainsi découvert par lui-même les avantages d’une telle règle. Quand il
avait l’impression qu’un de ses collègues manquait à ses devoirs ou qu’il se
comportait mal, il se récitait cette règle de pensée et pratiquait la respiration
abdominale. Au terme de la thérapie, les réactions coléreuses ont cessé. Le
bénéfice de ce traitement persiste maintenant depuis deux ans.

T
Proposer des « règles cognitives »
IN

La restructuration cognitive est possible dans l’autisme et le handicap mental,


PR

sauf quand le niveau intellectuel est trop faible. Cette technique majeure de la
TCC doit généralement être plus directive : à la place du dialogue socratique,
méthode habituelle de la thérapie cognitive de Beck, on proposera des règles
T

cognitives (on pourrait inviter notre patient à appeler ces règles des formules
NO

magiques, des règles de pensée, des règles de conduite, etc.). Toutefois, être
directif ne signifie pas imposer au patient une façon de penser ; il s’agit de
DO

proposer la règle puis d’encourager le patient à réfléchir sur les avantages et


les inconvénients de cette nouvelle façon de penser, et surtout à l’expérimenter
dans la vie de tous les jours pour en sentir l’intérêt.

Exigences envers soi


Les schémas cognitifs et croyances qui provoquent la souffrance ne sont
pas toujours là où nous les attendons. Un de nos patients, porteur d’un
TSA avec un niveau intellectuel limite, se plaignait d’un mal de ventre qui
devenait de plus en plus intense. Il était anxieux et irritable, et devenait
parfois agressif envers son entourage. Ce patient avait un langage tout à fait
fonctionnel et la capacité d’exprimer la douleur physique, mais il ne voulait
pas se faire soigner. Il a confié aux thérapeutes que, n’ayant pas d’assurance
maladie, et il ne voulait pas être un « voleur » en acceptant l’aide financière
de la société.
Dans cet exemple, le patient adhérait à une croyance, élevée au rang
de valeur, sans pouvoir la mettre en lien avec le contexte ; autrement dit,
Assouplir la pensée 159

le schéma cognitif « je ne dois pas accepter des services sans donner une
contrepartie » est activé dans des situations où il ne devrait pas l’être. Ici,
le thérapeute a aidé le patient à réfléchir sur l’utilité de ce schéma ; il lui
en a proposé des variantes à expérimenter : « il est important de se faire
soigner », « j’ai le devoir de me faire soigner car mes proches tiennent à
moi », « les médecins sont là pour m’aider », « la Sécurité sociale appartient
à tout le monde, c’est un système de solidarité, etc. ». Le patient avait pour
tâche d’écrire ces formules, de noter à côté de chacune son utilité puis de les
appliquer pour faire face à ce mal de ventre.

T
IN
PR
T
NO
DO
20 Réguler et enrichir
les émotions : la thérapie
en individuel
L’émotion ressentie par un sujet peut être conceptualisée comme un compor-
tement. En effet, la TCC ne considère pas les émotions comme des entités
autonomes qui nous habitent, mais comme des phénomènes complexes
faisant partie de nos réactions comportementales et en interaction avec les
autres phénomènes de la séquence comportementale. Cependant, dans la
population qui nous intéresse ici, il n’est pas possible de commencer une
psychothérapie en parlant de ces liens : on ne peut pas dire à un patient que
sa colère ou sa tristesse font partie de sa séquence comportementale. La TCC,
en traitant des émotions, doit commencer par les définir, comme si en effet
T
c’étaient des objets indépendants de nous, puis les relier progressivement
IN
aux stimuli qui les déclenchent, aux manifestations corporelles et motrices,
aux cognitions et aux conséquences. Ainsi, le sujet prend conscience, impli-
PR

citement et progressivement, que l’émotion en question est un phénomène


qui se prête à l’étude et qu’il peut avoir sur elle une certaine maîtrise.
T

La réponse émotionnelle à un stimulus donné peut varier grandement


NO

d’un sujet à l’autre. Le thérapeute n’a pas besoin de juger de la pertinence


d’une telle réponse ; toutes les émotions sont normales et font partie de la
vie. Cependant, un des problèmes courants en clinique est que l’émotion
DO

ressentie, et les réactions motrices et physiques qui l’accompagnent sont


manifestement dysfonctionnelles, c’est-à-dire qu’elles ne remplissent pas,
ou remplissent mal, la fonction habituelle des émotions et induisent une
souffrance excessive chez le sujet et dans son entourage.

Que signifie la régulation des émotions ?


Ce que nous appelons « la régulation des émotions » est un processus
complexe ; il comprend notamment les actions suivantes :
• identifier ses propres émotions ;
• relier ses émotions à leurs corollaires cognitifs, corporels et moteurs ;
• relier ses émotions aux événements qui les déclenchent et aux événe-
ments qui les suivent ;
• savoir (et pouvoir) proportionner l’expression de ses émotions à l’inten-
sité de celles-ci.
On y ajoute, dans la pratique clinique, des aspects qui relèvent de la
cognition sociale, tels que la capacité de repérer les émotions d’autrui, de
comprendre comment les autres ressentent et expriment leurs émotions.
TCC dans l’autisme et le retard mental
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162 Interventions

La régulation des émotions se fait d’une manière naturelle chez la plupart


des gens, et fonctionne plutôt bien. Les sujets porteurs de handicap autistique
et/ou mental ont cependant souvent besoin d’être aidés à réguler leurs émo-
tions ; cela ne signifie pas effacer les émotions ni interdire au sujet d’expri-
mer à sa manière la joie, la tristesse, la colère. L’objectif de la régulation des
émotions est de rendre ces dernières fonctionnelles, c’est-à-dire en garder les
aspects normaux et utiles pour le sujet et pour son entourage et en atténuer
les excès qui risquent de provoquer des conséquences fâcheuses. Parfois, c’est
l’opposé qu’il faut viser, c’est-à-dire aider la personne à exprimer davantage
les émotions (exprimer son irritation, son mécontentement, sa tristesse, etc.).

Comment réguler les émotions


L’exemple de Léa, que nous avons présenté en parlant de l’apprentissage
social, illustre cette difficulté que les personnes autistes ont à repérer et à
comprendre leurs propres émotions. Nous présentons ici un autre exemple,
celui de Mickaël, qui montre comment le thérapeute peut aider un sujet à
T
calmer sa colère, à réduire sa souffrance et à mieux s’épanouir dans la vie.
IN
Cette histoire montre aussi comment construire une carte-action avec cette
population.
PR

Mickaël est un homme de 40 ans, porteur d’un TSA, avec un retard men-
tal moyen et un langage moyennement fonctionnel. Il vit dans un établis-
T

sement spécialisé. Le syndrome autistique chez lui est intense, sa vie de tous
NO

les jours tourne autour de rituels. Son intérêt restreint est la météo ; Mickaël
aime bien qu’il neige, et comme la météo ne lui apporte que rarement cette
DO

satisfaction, il se met en colère, se raidit et débite des insultes. Les accom­


pagnants ont du mal à faire face à cette colère excessive.
Les premières tentatives pour l’apaiser ont échoué ; dès qu’on évoquait
la météo, il se crispait. Évoquer la météo était un stimulus qui réactivait la
croyance qu’on pouvait la maîtriser ou l’influencer, et Mickaël, voyant son
échec, était débordé par cette émotion qui mêlait colère et anxiété. Il criait
et se mordait la main.
Ses schémas de pensée étaient rigides, et il avait manifestement un gros
déficit de théorie de l’esprit. Dans ses rapports avec les autres résidents et
avec le personnel, il lui était impossible de tenir compte de ce que l’autre
pouvait ressentir, et quand on l’interrogeait il l’ignorait totalement. Par
exemple, s’il avait le souhait d’offrir quelque chose à manger ou à boire à un
autre résident, il ne comprenait pas que celui-ci puisse refuser ; il se mettait
alors en colère. Cette rigidité se voyait aussi dans l’immuabilité ; le moindre
changement dans son emploi du temps provoquait une anxiété débordante.
Au début, chaque fois que Mickaël se mettait à insulter les gens, le per-
sonnel se rassemblait autour de lui et lui accordait un temps d’écoute. Ici,
on peut évidemment formuler une hypothèse de renforcement positif par
l’attention obtenue.
Réguler et enrichir les émotions : la thérapie en individuel 163

La thérapie s’est finalement déroulée selon cette réflexion : les principaux


comportements problématiques repérés sont les insultes et la colère mal
maîtrisée. Il y a cependant aussi le fait que le répertoire comportemental de
Mickaël (l’ensemble des activités qu’il fait habituellement) est très limité :
• la première étape a été d’évaluer son niveau intellectuel et ses capacités de
communication. Les thérapeutes ont ensuite tenté de dégager les forces et qua-
lités de Mickaël, par exemple le fait qu’il est sensible au renforcement social,
aux félicitations, le fait qu’il sait jouer de la guitare, qu’il est serviable, etc. ;
• le personnel a alors commencé par rendre le patient attentif à ces qualités
et a créé, tout au long de la journée, des situations qui lui donnent l’occa-
sion de les exercer. Il est très important que le travail sur les forces ne reste
pas purement intellectuel, mais qu’il soit exercé dans des actes concrets plu-
sieurs fois dans la journée. Mickaël a pu ainsi décrire ses propres forces sous
forme de formulations simples : « je suis généreux », « je suis musicien »,
etc. Il a tenu avec l’aide du personnel un « carnet des forces », c’est-à-dire
un carnet dans lequel il a écrit ces formules avec les occasions auxquelles il
pourrait les mettre en pratique ; T
• parallèlement à ce travail sur les forces, les thérapeutes ont élaboré avec
IN
Mickaël des stratégies pour demander de l’aide. Ils ont eu recours à un « œuf
sensoriel », c’est-à-dire un jouet sous forme d’œuf en plastique, qui renferme
PR

des grains, et qui fait ainsi du bruit quand on l’agite : quand il se sentait mal,
ne comprenait pas une situation sociale complexe ou se sentait débordé par
T

une émotion, le patient agitait son œuf, et le personnel lui venait en aide ;
NO

• après une dizaine de séances de thérapie, le personnel a commencé à


élaborer une « carte-colère » avec lui (c’est-à-dire une carte-action portant
DO

sur la gestion de la colère). Les cartes-action sont un support souvent utilisé


en TCC avec cette population. Il s’agit d’avoir sur soi une feuille (format A4
ou la moitié) ou encore mieux, une petite feuille cartonnée et plastifiée, que
l’on peut mettre dans sa poche ou attacher sur son porte-clés. L’important
est que cette carte soit rapidement accessible quand la personne se sent mal.
La carte-action de Mickaël comportait trois parties :
• un élément écrit qui répertorie les sensations et signes permettant à
Mickaël de se dire qu’il est en colère ;
• la photo d’un paysage qui lui inspire la détente, qu’il a choisie lui-même
sur internet ;
• une courbe sinusoïdale qui représente la respiration. Il s’agit ici d’avoir
des indices visuels rappelant au patient ce qu’il peut faire en cas de forte
émotion et de rappeler la fonction primordiale de la respiration.
Quelques séances d’apprentissage ont été nécessaires pour aider le patient
à repérer les situations qui provoquent la colère, et les sensations physio-
logiques qui les accompagnent, et à apprendre la respiration abdominale.
Les séances d’apprentissage ont permis d’associer un stimulus qui était
neutre au départ (la carte) à une réaction de détente. Cette réaction de
détente jouait un rôle d’« inhibition réciproque ». En effet, il est impossible
164 Interventions

pour un être humain d’être à la fois dans une colère explosive et de respirer
calmement.
Le personnel a également agi sur les contingences : quand Mickaël se
mettait à débiter des injures, on l’invitait fermement à rester seul dans une
pièce jusqu’à ce qu’il se calme. Dans ces cas-là, le personnel restait bien sûr
attentif à la sécurité du patient, des autres patients et à sa propre sécurité.
Comme cela se passe dans la majorité des cas, notre patient acceptait facile-
ment de rester seul et se calmait vite.
Quand Mickaël restait calme pendant un certain temps, participant à des
activités paisibles, et entrant dans des interactions sociales d’une manière
correcte, le personnel le félicitait et lui accordait du temps pour discuter.

La magie des cartes-action


Les cartes-action (coping cards) sont des outils connus en TCC ; elles s’avèrent
particulièrement intéressantes pour la population ayant un handicap mental.
L’objet d’une carte-action est de faire face à des situations précises qui pro-
T
voquent une détresse. Elle comporte au minimum deux types d’informations :
IN
comment repérer la situation difficile et comment y faire face. Par exemple,
une carte destinée à faire face à la colère explosive doit préciser, d’une part,
PR

comment savoir qu’on est en colère et, d’autre part, quelles actions on peut
faire pour calmer notre colère. Une carte destinée à faire face aux idées sui-
T

cidaires doit nous dire à quels moments l’utiliser (quand je pense à la mort,
NO

quand j’ai envie de me faire du mal, etc.) puis les actions que nous pourrions
mettre en œuvre pour ne pas y céder (penser à quelqu’un que nous aimons, se
dire une phrase qui nous rattache à la vie, sortir pour marcher, etc.).
DO

Le support doit respecter les capacités de compréhension du sujet. Ainsi, une


carte composée uniquement de phrases peut être envisagée chez un autiste
n’ayant pas de DI. En présence de handicap mental, il faut vérifier les capacités
de compréhension du sujet. En fait, même en l’absence de handicap mental,
l’être humain, aux prises avec une forte émotion, peut avoir du mal à lire un
texte et à le mettre en application, d’où le recours fréquent aux images, dont
la compréhension nécessite moins de concentration et d’analyse que celle d’un
texte écrit.
Pour être utile, une carte-action doit répondre à plusieurs critères :
• le support doit être limité en surface, ne dépassant pas une feuille A4, pliable
en deux, de préférence sous forme de carton plastifié ; il faut que la personne
puisse l’avoir sur elle et le consulter à tout moment ;
• le support doit être facilement accessible, mis dans la poche ou accroché au
porte-clés ; il faut que le sujet puisse y avoir accès même quand il est affaibli par
l’effet d’une forte émotion ;
• il doit être conçu avec le patient ; une carte-action n’est pas transposable
d’un sujet à l’autre ; elle comporte des éléments issus de la conceptualisation et
des différents entretiens thérapeutiques.
21 Réguler et enrichir
les émotions
Les ateliers de la colère

A. Fritsch, A. Murad

La colère est une émotion souvent évoquée dans le domaine de l’autisme


et du handicap mental. Les circonstances de vie, les expériences psycho­
sociales depuis l’enfance ainsi que les conditions actuelles de vie sont sou­
vent contraignantes et limitées en satisfaction. Les déficits du fonctionne­
ment cognitif rendent difficile la mise en place de stratégie pour faire face
T
aux événements frustrants.
IN
Les colères explosives ou, au contraire, l’incapacité à exprimer sa colère
entraînent beaucoup de souffrance chez le sujet et chez ses aidants. Les
PR

difficultés émotionnelles, notamment celles liées à la colère, empêchent


la personne de s’épanouir et d’accéder à des apprentissages et à des expé­
T

riences de vie qui lui auraient été profitables. En plus, les comportements
NO

agressifs sont largement liés à cette incapacité de gérer sa colère [Galdin


et al., 2011]. Il est donc indispensable pour les thérapeutes en TCC et pour
les professionnels qui s’occupent du domaine du handicap de s’intéresser
DO

à cette question.

Analyse fonctionnelle de la colère


La colère est habituellement définie comme une émotion désagréable,
« négative », qui entraîne des conséquences fâcheuses. Il ne faut toutefois
pas omettre les conséquences bénéfiques de la colère :
• l’expression explosive de la colère entraîne ce que Stosny [Stosny, 1995,
cité dans Kassinove et Tafrate, 2002] appelle le « renforcement chimique ».
Pendant les crises de colère, le cerveau libère de l’adrénaline et de la noradré­
naline. L’adrénaline donne une poussée d’énergie ; ainsi, dans une situation
où le sujet commence à se sentir impuissant ou humilié, la colère apporte
un sentiment de puissance et de maîtrise. En même temps, la noradréna­
line agirait comme un analgésique qui soulage les sensations d’inconfort.

TCC dans l’autisme et le retard mental


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166 Interventions

Ces deux hormones renforcent ainsi l’expérience et l’expression de la colère.


On imagine combien ce mécanisme est important chez notre population
de personnes qui se trouvent démunies à longueur de journée, ayant peu
d’occasions d’exercer une maîtrise sur leur environnement ;
• la colère explosive permet au sujet qui l’exprime de focaliser l’attention
des autres et d’imposer son point de vue. C’est parfois le seul moyen que la
personne a appris pour le faire [Blunden et Allen, 1987] ; il y a peu d’interven­
tions psychothérapiques qui apprennent aux personnes ayant des troubles
neurodéveloppementaux des moyens socialement acceptables d’exprimer
leur colère et leur frustration. Les comportements agressifs et les colères
explosives sont, dans beaucoup de cas, le seul moyen que ces personnes
savent mettre en route pour exercer un contrôle sur leur vie ;
• la souffrance psychologique nous aide à corriger nos comportements vis-
à-vis de nous-mêmes et des autres. Dans la population qui nous occupe
ici, la colère explosive a parfois le mérite de dire à l’environnement que
quelque chose va mal dans la vie du sujet et qu’il faut corriger la situation.
Les thérapeutes doivent être conscients de ces conséquences utiles et
T
favorables de la colère ; ils ne devraient pas avoir peur de les expliquer au
IN
sujet et à ses aidants : c’est le début de l’analyse fonctionnelle du compor­
tement coléreux. Prendre conscience des effets bénéfiques de la colère
PR

et des comportements agressifs montre au patient que son thérapeute le


comprend, et c’est une attitude qui guidera les interventions de l’atelier de
T

la colère : l’objectif, comme pour toute intervention comportementaliste,


NO

n’est pas de supprimer un « mauvais » comportement, mais de favoriser


l’émergence d’un nouveau comportement, paisible et socialement accep­
DO

table, susceptible de produire les mêmes conséquences favorables.

Intérêt de la TCC pour faire face à la colère


De nombreuses études ont démontré l’intérêt du modèle TCC de la colère
conçu par Novaco [Novaco, 1975]. L’adaptation proposée par Taylor et
Novaco [Taylor et Novaco, 2005] a permis d’appliquer ce programme chez
les patients porteurs de retard mental. Les programmes de gestion de la
colère comportent des éléments variables, associant relaxation, restructura­
tion cognitive et des exercices d’affirmation de soi. Les effets sur la colère
sont généralement mesurés par l’échelle de colère de Novaco (Novaco anger
scale) et par l’inventaire de la provocation (provocation inventory). Pour éva­
luer l’efficacité des différents programmes, les études mesurent leurs effets
sur la colère elle-même ou sur les troubles graves du comportement rappor­
tés par les intervenants et les patients.
Notre équipe, s’inspirant des travaux de Taylor et Novaco, a conçu un
programme de gestion de la colère adapté aux patients ayant des troubles
du spectre de l’autisme.
Réguler et enrichir les émotions 167

Poser l’indication et constituer le groupe


L’atelier s’adresse préférentiellement à un groupe de patients ayant des
profils cognitifs proches, mais peut se faire aussi en individuel. La thérapie
en groupe offre l’avantage des interactions sociales, du modeling, de la pos­
sibilité de créer une ambiance agréable qui motive les patients.
Même si le profil cognitif des participants doit être proche, il n’est
pas obligatoire que les participants aient tous le même problème avec
la colère. Dans notre expérience, il est utile de faire participer dans le
même groupe des patients qui ont un problème de colère explosive et
d’autres qui sont au contraire inhibés, ne sachant pas comment exprimer
leur mécontentement et disant oui à tout. Le groupe peut ainsi trouver
ensemble le « juste milieu », c’est-à-dire un comportement à la fois pai­
sible et affirmé.
En plus, il peut être intéressant d’inclure dans le même groupe des
personnes ayant un TSA avec handicap mental et d’autres qui ont un
handicap mental isolé. Ainsi, les personnes ayant un TSA apportent au
T
groupe leur sens du détail, leurs capacités d’observation, leurs questions
IN
« naïves » sur les interactions sociales (questions pertinentes en réalité,
qui appellent de la part des thérapeutes et des autres patients des réponses
PR

éclairantes et surtout des exercices pratiques qui profitent à tous). Les


participants ayant un retard mental sans autisme, eux, apportent au
T

groupe leur spontanéité, leur bonne perception des émotions et la viva­


NO

cité de leur discours.


Le groupe est animé par deux professionnels. Cela nécessite que les pro­
fessionnels fassent d’abord connaissance avec le patient.
DO

Même si on le nomme « atelier de la colère », ce programme porte aussi


sur la régulation des émotions en général. La thérapie comporte un « tronc
commun », auquel s’ajoutent souvent des séances individuelles propo­
sées surtout aux patients ayant plus de difficultés à reconnaître et à dis­
criminer les émotions. Dans ce domaine de l’autisme avec retard mental,
on aide le patient à reconnaître ses propres émotions grâce aux manifes­
tations physiologiques et aux gestes qui accompagnent habituellement ces
émotions chez lui. Par exemple, un de nos patients a appris qu’il était en
colère quand il avait les bras levés et écartés à l’horizontale et en arrière, les
poings serrés et les avant-bras en flexion, et qu’il était content quand il se
mettait à tourner rapidement les deux mains (comme s’il faisait les marion­
nettes). Un autre a appris à repérer qu’il était anxieux quand il se mettait
à parler vite et à avoir une envie irrésistible de se lever pour marcher. Tous
ces apprentissages nécessitent que les soignants passent du temps avec le
patient, qu’ils l’interrogent et qu’ils récoltent des informations auprès de
ses aidants. Pour cela, les soignants utilisent le questionnaire que nous
présentons plus loin.
168 Interventions

Format des ateliers


Le programme que notre équipe propose comporte 20 à 25 séances d’une
heure à une heure et demie. Comme expliqué plus haut, le nombre précis
des séances peut varier d’un patient à l’autre puisque l’atelier associe des
séances individuelles et des séances de groupe. Les premières séances sont
consacrées à la motivation et à la préparation.
Chaque séance se déroule autour d’un thème. Pour rendre prévisible et
concret le déroulement de chaque séance, surtout si le handicap intellec­
tuel ou le syndrome autistique des participants est important, le thérapeute
commence par structurer le temps à l’aide d’un minuteur (type Time Timer®).
Un retour sur la séance précédente permet de vérifier que les participants
ont gardé leurs apprentissages d’une séance à l’autre.
Ensuite, les thérapeutes discutent avec les patients des situations vécues
au cours de la semaine écoulée et introduisent les nouveaux apprentissages.
La séance peut se dérouler autour d’une boisson ou d’un goûter pris en
commun, pendant toute la séance ou à la fin pour passer ensemble un
T
moment convivial.
IN

Techniques et supports
PR

Il est primordial d’adapter les techniques utilisées au handicap. Cela


T

commence par s’assurer que les patients partagent la même définition


NO

des mots que les thérapeutes. Pendant les séances, un souci constant des
animateurs sera d’enrichir le vocabulaire émotionnel des participants : par
DO

exemple, « je suis fâché », « je suis en colère », « je suis contrarié ». Ils leur


apprennent à mesurer le degré de leur colère ; ils utilisent des « thermo­
mètres visuels » ou des réglettes à coulisse. Des situations réelles ou imagi­
naires sont reprises et discutées pour mettre au jour les conséquences des
comportements fonctionnels et dysfonctionnels.
Les techniques utilisées s’appuient pour la plupart sur les supports
visuels et sur l’association d’une émotion avec les phénomènes corporels
et comportementaux qui l’accompagnent. Voici quelques techniques et
supports que les thérapeutes confectionnent eux-mêmes :
• la réglette émotionnelle : facile à fabriquer, c’est une réglette en carton,
graduée de 0 (absence de colère) à 10 (la colère la plus intense que l’on
puisse imaginer) ; on y adapte ensuite une coulisse portant un trou (ou
une petite fenêtre en forme de carré) que le patient peut facilement glisser
pour que le chiffre correspondant au degré de colère apparaisse dans cette
fenêtre ;
• le thermomètre de la colère : celui-ci peut être de petite taille, à usage
individuel, ou grand et agrémenté de dessins, permettant aux patients de
coter leur colère en groupe ;
Réguler et enrichir les émotions 169

• le tri d’images : les thérapeutes rassemblent des images et des photogra­


phies de visages exprimant différentes émotions à des degrés variables et
invitent les participants à les classer dans des bacs en fonction de l’émotion
exprimée ; cet exercice a une fonction d’évaluation (puisqu’il permet de
voir si chaque patient reconnaît vraiment chaque émotion spécifique) et
une fonction d’apprentissage (puisque cette activité renforce le lien entre
l’émotion subjective et abstraite évoquée et l’expression faciale concrète qui
lui correspond) ;
• le dessin du corps : un grand dessin montrant le corps humain, simple­
ment un homme ou une femme, peut être montré aux participants. Le thé­
rapeute leur demande dans quelle partie du corps chacun « sent » l’émotion
concernée. On insiste sur les groupes musculaires dans lesquels se trouve
la tension quand on est en colère ou énervé ou « stressé ». Les participants
disent par exemple : « quand je m’énerve j’ai les bras qui se crispent »,
« quand j’ai peur je sens une boule dans le ventre », « quand mon petit frère
se moque de moi j’ai la tête qui fourmille », etc. Chez les patients ayant
un langage peu fonctionnel, on peut les guider en posant leur main sur la
T
partie de leur corps affectée par l’émotion : « c’est là que ça tire », « là c’est
IN
tendu », etc.
• l’imitation des émotions devant une glace : le thérapeute commence
PR

par évoquer la situation, nommer l’émotion ressentie par le personnage et


mimer cette émotion ; il propose ensuite aux patients de le faire devant le
T

miroir, ce qui permet un retour (un feedback) sur l’expression de l’émotion.


NO

Ce type d’exercice ne doit être fait que lorsqu’une ambiance agréable et


bienveillante s’est installée dans le groupe. Il ne faut jamais que les parti­
DO

cipants se sentent mal à l’aise ou jugés, ni par les autres patients ni par les
thérapeutes ;
• les jeux de rôle : là encore, ce sont des exercices à faire uniquement
avec le consentement de chaque participant et quand une ambiance de
confiance s’est installée dans le groupe, donc jamais pendant les premières
séances. Les deux animateurs commencent par jouer eux-mêmes une situa­
tion mettant en lumière la colère ou une autre émotion forte ; le jeu de
rôle ne doit pas durer longtemps, une ou deux minutes au plus, puis ils
rejouent la même histoire en proposant diverses variations ; ils demandent
l’avis du groupe sur les manières les plus adaptées et utiles d’exprimer la
colère en fonction des conséquences constatées. Ils proposent ensuite aux
patients qui le souhaitent de jouer une autre histoire, rapportée par un des
participants ou imaginée par les thérapeutes ;
• la relaxation (voir encadré ci-après) : les techniques de relaxation seront
adaptées aux difficultés de chaque patient et répétées à chaque séance. Les
thérapeutes présentent la relaxation par l’apprentissage de la respiration
lente et régulière. Là aussi, les supports visuels sont très utiles (comme
nous l’avons expliqué à propos des cartes-action) même chez les patients
170 Interventions

qui savent lire et écrire. Deux éléments aident nos patients à apprendre la
relaxation-respiration :
– imaginer et visualiser une forme qui évoque le va-et-vient de la res­
piration, ce peut être une courbe sinusoïdale pour les patients qui le
comprennent, ou le fait de sentir sa main, posée sur le ventre, monter et
descendre avec la respiration ;
– choisir un paysage ou une activité paisible et appréciée par le patient,
et qui, par apprentissage répondant, servira à lui rappeler (en fait,
rappeler à son organisme) qu’il faut respirer lentement et détendre ses
muscles.

La relaxation dans l’autisme et le handicap mental


Dans notre expérience, la plupart des personnes porteuses de handicap autis-
tique ou mental apprécient les approches corporelles et la relaxation. Ces tech-
niques leur apportent non seulement des moments passagers de détente, mais
surtout un moyen efficace et toujours disponible pour faire face aux émotions
T
pénibles (surtout à la colère et à l’anxiété) et permettent parfois de limiter la
IN
prescription d’anxiolytiques. La condition indispensable de cet apprentissage
est de trouver une méthode qui correspond aux capacités cognitives du patient.
PR

Voici quelques conseils pratiques :


• dans tous les cas, le thérapeute se propose en exemple et montre à son
T

patient comment respirer calmement par le ventre et comment relâcher les


NO

muscles pendant l’expiration. Il peut l’inviter à mettre la main sur le ventre


pour sentir les mouvements respiratoires. Il peut aussi guider physiquement le
patient : il prend la main du patient et la pose sur le ventre de celui-ci ;
DO

• le thérapeute peut aussi guider le patient pour que celui-ci se pose les deux
mains sur ses propres épaules, tout en l’invitant doucement à relâcher, pendant
la phase d’expiration, les muscles qui se trouvent sous les mains ;
• les exercices ne doivent pas durer plus de quelques minutes ; la répétition
plusieurs fois par semaine est nécessaire ;
• la relaxation se fera en présence d’un stimulus qui, par répétition et appren-
tissage répondant, deviendra un stimulus conditionnel qui favorise la détente ;
• ce stimulus peut être un mot (détente, cool, relax, etc.) chez les sujets qui
comprennent les mots ; il peut aussi être un dessin ou un objet.
N’oublions pas que la détente ne s’obtient pas seulement par la relaxation :
certains patients ont besoin de bouger pour se détendre et il faut alors les aider
à utiliser de façon fonctionnelle la marche, les stéréotypies, etc., pour faire face
au stress (voir plus haut l’encadré « Bouger pour réguler ses émotions » dans le
chapitre « Faire des hypothèses sur les contingences »).

• les dés des émotions : il s’agit d’un gros cube en carton portant une émo­
tion sur chacun de ses six côtés. Pour les patients maîtrisant l’écrit, on peut
simplement écrire le mot qui désigne chaque émotion, alors que chez les
Réguler et enrichir les émotions 171

patients ayant des capacités verbales réduites il est préférable que chaque
émotion soit représentée par un dessin. Le dé apporte un élément ludique
très motivant : les patients le lancent à tour de rôle puis font quelque chose
en rapport avec l’émotion qui apparaît (imiter l’émotion, raconter un sou­
venir en lien avec elle, etc.) ;
• l’échelle des émotions en photographie : les thérapeutes présentent aux
patients les photographies de la même personne, qui mime la même émo­
tion, mais à des degrés divers (par exemple, cinq photos prises d’un des
animateurs qui est légèrement préoccupé, puis un peu triste, puis profondé­
ment triste, etc.) ;
• les cartes de la colère : ce sont des variantes de cartes-action que les théra­
peutes construisent avec chaque participant au cours des dernières séances
de l’atelier. Dans nos ateliers, nous les avons nommées « Ma recherche de
solutions » ou « Ma carte pour faire face » et les avons construites chaque
fois sur une feuille A4. La figure 21.1 en montre un exemple ;

T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 21.1. Exemple d’une carte-colère.


Carte-colère conçue pendant un atelier de la colère avec un patient ayant un TSA avec
retard mental moyen. Au centre de la carte, le patient a collé sa photographie d’identité.
Tout autour, les solutions pour faire face à une colère montante : respirer doucement,
parler avec quelqu’un, faire un tour à bicyclette, lire (regarder les images d’un magazine),
faire du yoga, écouter de la musique.
(Nos remerciements à Aline Murad pour les dessins).
172 Interventions

• les scénarios sociaux : il s’agit d’un concept, et d’un outil, développé par
Carol Gray [Gray, 1997]. Destinés à l’origine aux enfants ayant un autisme,
ces scénarios peuvent être adaptés par les thérapeutes pour représenter la vie
d’adulte. Nous les utilisons aussi bien dans les ateliers de la colère que dans les
ateliers d’entraînement aux habiletés sociales. Les scénarios sociaux sont de
courtes histoires qui décrivent de manière précise des situations de la vie en
société ; ils commencent généralement par la description de la situation (je suis
à la maison ; un ami arrive), puis le thérapeute demande au patient de décrire
ses propres sensations et comportements dans cette situation (je me sens mal à
l’aise, je regarde mes parents, je repars dans ma chambre), ensuite le thérapeute
encourage le patient à trouver des comportements plus adaptés, qui se rappro­
chent de celui attendu par la société tout en étant dans la capacité du patient
(je regarde la personne dans les yeux, je souris légèrement, je dis bonjour).

Adapter le programme et motiver


Les programmes de gestion de la colère dans la population générale
T
comportent une forte composante cognitive, ce qui est problématique pour
IN
la population qui nous intéresse ici. Nos patients n’ont pas toujours des
capacités métacognitives (penser à propos de sa propre pensée) suffisantes.
PR

Il est alors primordial, d’une part, que les thérapeutes envisagent des outils
très concrets, qui rendent la pensée plus palpable, et, d’autre part, qu’ils
T

accordent une large place dans leur programme à la motivation. Celle-ci


NO

peut être augmentée de façon structurée si on pense au tableau sur la théo­


rie de l’autodétermination (voir plus loin le chapitre « Motiver ») :
• rendre agréables les séances de thérapie (c’est-à-dire créer une motivation
DO

intrinsèque pour le comportement « venir à l’atelier de la colère ») : on


peut le faire en instaurant une bonne ambiance, en prévoyant un « goûter »
après chaque séance de thérapie, en valorisant les participants ;
• aider les participants à se voir comme des personnes paisibles, disposant
de moyens d’affirmation de soi. Les jeux de rôle et le renforcement de tout
comportement s’approchant du comportement affirmé sont à encourager ;
• rendre visibles, compréhensibles, les bénéfices d’une bonne gestion de la
colère : « qu’est-ce que j’ai à gagner dans ma vie si j’exprime ma colère de
façon claire mais paisible ? ».
Les compétences apprises par les patients et les outils utilisés sont ensuite
communiqués aux différents lieux de vie dans une optique de généralisa­
tion des compétences acquises.

Thèmes des séances


Le tableau 21.1 présente les thèmes traités dans cet atelier, chaque thème
pouvant être abordé en une à trois séances selon le profil des participants. Les
thérapeutes ne doivent pas hésiter à proposer des séances supplémentaires,
Tableau 21.1. Plan de l’atelier de la colère.


Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser
Évaluation 1à2 Faire connaissance avec le patient et Rencontrer le patient et ses aidants
individuelle évaluer ses problèmes liés à la colère Instaurer une alliance thérapeutique
Évaluer le problème de la colère
Introduction à 1à2 Faire connaissance Se présenter
l’atelier Créer une bonne ambiance Écouter les attentes et appréhensions des uns et des autres
Comprendre pourquoi on est ici Qu’est-ce que la colère ? Pourquoi on se retrouve ici ? Qu’est-ce

T
qu’on peut faire ensemble

IN
Repérer et 3 séances Reconnaître et discriminer les Comment savoir que quelqu’un est content, en colère, anxieux ;
comprendre nos + 2 à 3 séances principales émotions de façon quelles sont les différentes choses que l’on peut ressentir (la peur,

PR
émotions et celles individuelles approximative la tristesse, la honte, la joie) ?
des autres Les thérapeutes utilisent des dessins et photos de personnes
exprimant les différentes émotions et tentent de les mettre en lien

Réguler et enrichir les émotions


avec des situations et des sensations corporelles

NO
Créer et augmenter 3 séances Comprendre que la colère est une Il est normal de se sentir en colère ; on a le droit de se fâcher ; on a le
la motivation émotion normale droit de ne pas aimer quelque chose, une situation, quelqu’un, etc.
DO
Comprendre que le problème est l’excès Qu’est-ce qu’on n’a pas le droit de faire (frapper des personnes,
de colère et la façon dont on agit sous casser ou jeter des objets, etc.) ?
le coup de cette émotion Que pensez-vous de ces rencontres ? Qu’est-ce qu’on a dit
Sentir l’envie de travailler sur sa colère d’intéressant ? Avez-vous envie de continuer ?
Augmenter sa confiance en sa capacité Les thérapeutes encouragent les participants à raconter des
pour améliorer la situation expériences vécues au cours des dernières semaines et dans
lesquelles ils ont pensé à cet atelier.
Par exemple : « quand l’éducatrice m’a parlé sur ce ton méchant je
lui ai gueulé dessus, j’avais envie de la frapper, etc. » x

173
Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser
x

174
Créer et augmenter 2 séances Percevoir le bénéfice du changement Pourquoi changer ? Qu’est-ce qui s’est passé la dernière fois que je
la motivation me suis mis trop en colère (quelles sont les conséquences ?) Qu’est-ce
qui est arrivé de bien ? de mal ? Comment peut-on changer cela ?
Les thérapeutes utilisent des scénarios sociaux.

Interventions
Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser
Les stimuli 1 Repérer les situations dans lesquelles le Quelles sont les situations qui provoquent ma colère ? Qu’est-ce
provocateurs de la comportement coléreux apparaît qui peut m’aider dans ces situations ? Qu’est-ce qui a déjà marché ?
colère Les thérapeutes sollicitent des histoires ou en racontent

T
eux-mêmes. Ils peuvent proposer à chaque participant de dessiner
sur une feuille quelque chose qu’il aime et qui l’aide à se calmer.

IN
Mesurer les 1à2 Apprendre à hiérarchiser les situations Qu’est-ce qui me met plus ou moins en colère ? Comment mesurer

PR
émotions et les ma colère ? Qui peut raconter un truc qui l’a rendu furieux,
comportements qui l’a mis très en colère ? Qui peut nous raconter un truc qui
coléreux l’a contrarié, qui l’a mis un peu en colère, mais pas au point

T
d’exploser ?

NO
Les thérapeutes utilisent le thermomètre ou la réglette de la colère.
Les manifestations 2 Reconnaître l’activation physiologique Reconnaître et gérer les signes physiques de la colère
physiologiques de la DO
associée à la colère Revenons sur l’histoire de... (le thérapeute évoque une anecdote
colère Réduire l’activation physiologique racontée par un des participants) ; comment vous êtes-vous senti à
grâce à la respiration abdominale et à la ce moment-là ? Qu’est-ce qui s’est passé dans votre corps ?
relaxation Les thérapeutes utilisent le dessin du corps humain. Ils peuvent
aussi prévoir une feuille A4 représentant un corps humain et en
distribuer une à chaque participant. Les patients hachurent les
zones où ils sentent le « stress » et la colère. x
x Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser


Restructuration 2à3 Prendre conscience des cognitions Qu’est-ce qui se passe dans ma tête quand je ne me sens pas bien ?
cognitive associées à la colère C’est dans cette phase que les thérapeutes peuvent mettre au
Se rendre compte que les autres aussi jour les cognitions d’injustice subies, les biais cognitifs (attribuer
ont leurs propres cognitions systématiquement une intention malveillante à l’autre).
Les thérapeutes utilisent des scénarios sociaux et sollicitent des
situations vécues par les participants : comment s’est passée la
semaine ? Est-ce qu’il y a eu des histoires que vous souhaitez
raconter ? Qui peut nous raconter sa journée d’hier ? Pourquoi telle
personne vous a-t-elle parlé de cette façon ? À quoi pensait-elle ? À

T
quoi pensiez-vous ?

IN
Les thérapeutes discutent de façon très concrète des situations
apportées par les participants. Ils formulent leurs questions de

PR
manière à rendre les cognitions « palpables » : qu’est-ce que vous avez
pensé quand cela s’est produit ? Comment l’autre personne s’est-elle

T
sentie ? Pourquoi a-t-elle dit cela ? Est-ce qu’elle a un peu raison ?

Réguler et enrichir les émotions


NO
Utiliser des 1à2 Repérer les autoverbalisations qui Aujourd’hui, on va apprendre à se parler, à se donner des
auto-instructions fonctionnent pour apaiser sa propre « instructions », des « conseils » dans sa tête.
colère DO Les thérapeutes font une liste commune de ce que chaque
S’entraîner à les utiliser dans les participant apporte comme auto-instruction apaisante et regardent
situations de la vie ce qu’en pensent les uns et les autres.
Ils commencent à fabriquer les cartes-colère individualisées.
Apprendre la 2à3 Apprendre à exprimer son point de vue Évaluer les conséquences possibles des comportements agressifs
communication et son mécontentement de façon claire provoqués par la colère ; quels comportements pourraient
adaptée mais paisible entraîner des conséquences plus favorables ?
Apprendre de nouveaux comportements susceptibles de remplacer
les agressions verbales et physiques ; quels sont les autres

175
comportements ? Se relaxer, demander de l’aide, demander des
explications, etc.
x
x

176
Thème Nombre de séances Objectifs d’apprentissage Tâches à accomplir et questions à poser
Faire face à l’escalade 1à2 Apprendre à gérer sa colère dans les Qu’est-ce que je peux faire quand la colère monte et que je n’arrive
situations de conflit plus à réfléchir ?

Interventions
Les thérapeutes proposent des jeux de rôle ou des séquences vidéo
mettant en scène des situations de tension. Ils proposent aux
patients de s’entraîner à se retirer calmement de la situation pour
s’accorder (et accorder à l’autre) un temps de réflexion et de calme.
Faire face à la 1à2 Apprendre à repérer les ruminations Le soir, quand je rentre chez moi, il peut m’arriver de penser

T
rumination Apprendre à focaliser son attention sur encore aux disputes et aux moments désagréables de la journée.

IN
d’autres phénomènes plutôt que de Ça continue de trotter dans ma tête… Que faire alors ?
lutter contre les ruminations Les thérapeutes entraînent les patients à focaliser leur attention sur
la respiration, les phénomènes sensoriels, l’activité physique, sans

PR
se laisser entraîner par les ruminations ni chercher à les oublier.
Révision et 3 Révision de toutes les tâches et Les thérapeutes encouragent les patients à utiliser les techniques

T
évaluation finale compétences apprises apprises, vérifient si les apprentissages ont été repris par les aidants.

NO
Construction d’une carte-colère Les thérapeutes aident chaque patient à finaliser sa carte-colère.
Évaluation finale en individuel avec les aidants de chaque patient.
DO
Réguler et enrichir les émotions 177

en groupe ou à un patient en particulier, s’ils trouvent que les apprentis­


sages prévus ne sont pas assimilés. A contrario, ils ne devraient pas s’achar­
ner à inculquer un apprentissage si la personne est manifestement en
grande difficulté pour l’acquérir. Les séances de thérapie peuvent être un
peu difficiles, mais l’expérience qui doit dominer est celle de la réussite et
du plaisir. Si tel n’est pas le cas pour un patient, il faut revoir les objectifs
thérapeutiques, proposer des séances supplémentaires, voire le retirer de
l’atelier et lui proposer une autre forme de thérapie.

Évaluation de la thérapie
Nous présentons ici deux outils conçus et utilisés par notre équipe (Aurélie
Fritsch) : la fiche d’évaluation de la colère et un tableau qui aide à faire l’ana­
lyse fonctionnelle des comportements coléreux. Il ne s’agit pas d’échelles
standardisées mais d’outils qui comportent des éléments quantitatifs et
qualitatifs, et qui permettent de comparer la situation avant et après l’ate­
lier de la colère. T
IN
Fiche d’évaluation
PR

Atelier de gestion de la colère et de l’agressivité


Nom :     Prénom :      Date :
T

Définition : la colère est une émotion de tonalité négative, ressentie subjecti-


vement comme un état d’opposition envers quelqu’un ou quelque chose consi-
NO

déré comme à l’origine d’un événement désagréable. Elle est déclenchée par
des événements qui induisent l’impression d’être heurté, humilié ou blessé de
DO

manière intentionnelle. La colère est ressentie de manière prototypique comme


une réponse justifiée au « mal » qui a été fait. Elle s’accompagne par des dis-
torsions cognitives (vision biaisée de la réalité), des comportements verbaux
et moteurs, une activation physiologique (accélération du rythme cardiores-
piratoire, sensations corporelles)
A. Catégorisation du comportement préférentiel de la personne quand elle est
en colère :
Colère dirigée contre soi* colère dirigée vers l’extérieur**h réaction adap-
tée***h
Peut-on repérer une séquence comportementale particulière lorsque la per-
sonne ressent de la colère ? Noter les éléments de cette séquence.
………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………
B. Catégorisation des aspects problématiques associés à la colère :
Activation (la personne se met en colère pour des raisons difficiles à compren-
dre) 
x
178 Interventions

x
Intensité (la colère atteint des intensités sur le plan physiologique et comporte-
mental difficiles à gérer) 
Régulation (la colère perdure au-delà de ce qui est attendu généralement) 
C. Fréquence des troubles d’après l’entourage :
Plusieurs fois par jour 
Plusieurs fois par semaine 
Une fois par semaine 
Plusieurs fois par mois 
Plusieurs fois par an 
D. Impact des troubles associés à la colère (Willaye, 2005 ; critère pour une
décision d’intervention) :
Danger pour soi 
Danger pour autrui 
Impact négatif sur l’intégration sociale 
Interférence avec les apprentissages  T
Commentaires :
IN

Analyse fonctionnelle des facteurs déclenchants (antécédents) (tableau 21.2)


PR

*Autoagressivité physique, signes de reproche ou de culpabilité (ruminations, repli, etc.).


**Colère dirigée vers l’extérieur : contre les objets, hétéroagressivité (comportements
T

agressifs contre les personnes), comportements répétitifs et stéréotypés.


NO

***Reconnaissance du déséquilibre entre attentes et réalité ; intensité et régulation


adaptées de l’émotion.
DO
Tableau 21.2. Analyse fonctionnelle des facteurs déclenchants (antécédents).


Niveau de colère Risque de passage à l’acte Commentaires
Nul Faible Moyen Élevé Nul Faible Moyen Élevé
Type : frustration/manque
Quelque chose ne fonctionne pas
Quelque chose ou quelqu’un manque
Une critique est émise

T
Besoin d’attention non satisfait

IN
Quelque chose de prévu n’a pas lieu
La personne n’arrive pas à faire quelque

PR
chose
La personne est obligée de différer ses

Réguler et enrichir les émotions


envies

NO
La personne est empêchée de faire
quelque chose
Autres
DO
Type : agression
Environnement sensoriel aversif
Agressions verbales
Agressions physiques
Autres :

179
22 Motiver
« Donner envie d’avoir envie »

La TCC conçoit le manque de motivation comme un problème à résoudre,


non comme un défaut ou un signe de « mauvaise volonté » ; l’analyse
fonctionnelle porte dans ce cas non plus sur la plainte initiale du patient
ou de son entourage, mais sur ce « manque de motivation ». Et ne per-
dons pas de vue qu’il s’agit ici de comportements ; la motivation, ou
son absence, caractérise l’attitude d’un sujet à propos d’un changement
souhaité ou d’un résultat escompté ; ce n’est jamais une caractéristique
fixe de la personnalité de l’individu [Miller et Rollnick, 2012].
La figure 22.1 montre une façon de voir ces différentes composantes de la
motivation du moment.
T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 22.1. Quelques facteurs influençant la motivation.

TCC dans l’autisme et le retard mental


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182 Interventions

Notre schéma d’analyse fonctionnelle (voir figure 6.6) est une base très
pratique pour analyser les comportements de motivation ou d’amotiva-
tion. Il permet d’étudier le comportement lui-même, ses antécédents et ses
conséquences.
S’agissant du comportement lui-même, nous commençons par en faire
une description topographique : quel est ce manque de motivation ? Il est
très important de décrire précisément les phénomènes qui nous font dire
que le patient n’est pas motivé. Il peut s’agir par exemple de :
• refuser de participer à une sortie ou à une activité (proposée par les
parents ou par les éducateurs) ;
• refuser de se joindre à un groupe d’entraînement aux habiletés sociales
ou de gestion de la colère (refus verbalisé comme tel ou simplement ne pas
venir au rendez-vous) ;
• ne pas faire les tâches et exercices prescrits par le thérapeute.
Nous recherchons ensuite les composantes possibles de ce comporte-
ment : quelles émotions, cognitions et réactions corporelles constatons-
nous ? le patient qui refuse l’activité thérapeutique proposée est-il en
T
colère ? exprime-t-il de l’anxiété ? est-il au contraire effacé, replié sur lui-
IN
même ? quelles pensées lui traversent l’esprit dans ce moment (si son niveau
intellectuel lui permet de les identifier et de les confier au thérapeute), etc.
PR

Quels sont les stimuli antécédents de ce comportement ? Lorsqu’un patient


ne fait pas une tâche prescrite, il est important pour le thérapeute de savoir
T

si le patient a pensé à cette tâche et ne l’a pas faite ou s’il l’a complètement
NO

oubliée, le « remède » n’étant pas le même dans un cas ou dans l’autre. En cas
d’oubli, le thérapeute préconisera des indices sous forme de supports visuels
DO

(petit billet adhésif portant la tâche à faire, calendrier mural dans lequel on
aura inscrit les activités prévues, etc.) ou auditifs (une alarme, le smartphone
qui sonne pour signaler qu’il faut sortir marcher) ou social (un parent qui
accompagne, une infirmière qui téléphone pour rappeler la tâche, etc.).
Si le patient a pensé à la tâche mais ne l’a pas faite, le thérapeute s’intéres-
sera à ce qui s’est passé à ce moment-là, ce qui revient souvent à étudier
les composantes du comportement « ne pas faire » : quelles cognitions ont
empêché le patient d’exécuter la tâche :
• ce n’est pas juste, je n’ai pas envie de sortir cet après-midi ;
• ça ne sert à rien, ce groupe d’habiletés sociales ;
• de toute façon, je n’y arriverai pas, c’est trop dur ;
• je ne vois pas le rapport : moi, je viens le voir pour qu’il me dise comment
me faire des amis, et lui, il me demande de sortir tous les jours pour marcher.
Souvent, les patients n’adoptent pas le comportement souhaité parce que
celui-ci n’est pas suffisamment renforcé : pour faire la tâche demandée, il
faut que celle-ci procure du plaisir par elle-même (motivation intrinsèque)
ou que la personne trouve un intérêt à la faire (motivation extrinsèque)
[Deci et Ryan, 2008].
Motiver 183

Voici des exemples de la motivation intrinsèque : le thérapeute prescrit


une activité physique quotidienne et le patient se sent bien en la faisant.
Le thérapeute propose une participation à une thérapie de groupe et le
patient prend plaisir à y être, grâce aux activités qu’on y fait ou à la bonne
ambiance qui y règne (ou grâce aux deux à la fois !). Dans tous ces exem-
ples, la personne adhère à la thérapie parce que les tâches thérapeutiques
procurent du plaisir, entraînant ainsi leur propre renforcement.
La motivation extrinsèque signifie que la personne produit un compor-
tement parce que celui-ci entraîne une conséquence favorable dont la per-
sonne anticipe l’apparition. Le tableau 22.1 détaille les différentes formes
de motivation, avec l’exemple du comportement « venir participer à une
thérapie d’entraînement à l’autonomie ».

Tableau 22.1. Les différents types de motivation


Exemple d’un patient porteur d’un TSA avec RM léger à qui le thérapeute propose de
participer à une thérapie d’entraînement à l’autonomie (établir un calendrier de la journée,
s’entraîner à prendre le bus, etc.). (D’après la théorie de l’autodétermination [Deci et
T
Ryan, 2008])
IN
Type de Type de Définition Cognitions associées
motivation régulation (autoverbalisations,
PR

discours du patient)
m. intrinsèque r. intrinsèque Comportement récompensé « J’ai plaisir à venir à ces
T

par le plaisir qu’il procure séances de thérapie »


NO

m. extrinsèque r. intégrée Pour être en phase avec « Je me vois comme


ses buts personnels vus quelqu’un d’autonome »
comme un tout intégré et
DO

correspondant à la définition
de soi
r. identifiée Pour être en phase avec ses « Si je suis plus
idées et buts personnels (le autonome, je peux sortir
comportement est « identifié » plus souvent et avoir plus
à un objectif à long terme) d’amis »
r. introjectée Comportement renforcé « Si je participe à la
par des pressions internes thérapie, je serai fier de
(orgueil ou honte) moi ; cela montrera que je
suis quelqu’un de bien... »
r. externe Comportement renforcé par « Si je participe à cette
des pressions externes (désir séance, ma mère sera
de récompense ou peur de la contente »
punition) « Si je ne le fais pas ma
mère me grondera »
Amotivation Absence de Comportement aléatoire « Je ne vois pas pourquoi
régulation on me fait cette thérapie »
m = motivation ; r = régulation.
184 Interventions

Ces différents types de motivation, modélisés dans la théorie de l’auto-


détermination, ne sont pas exclusifs les uns des autres. Un patient qui
adhère à une prise en charge visant à augmenter son autonomie dans la
vie quotidienne peut le faire à la fois parce que le travail lui-même lui plaît,
qu’il a envie de se séparer un peu de ses parents et qu’il a envie de leur
faire plaisir (ou de faire plaisir aux professionnels qui l’accompagnent).
Dans son travail de motivation, le thérapeute n’a pas besoin d’évaluer
ces différentes formes de motivation de façon précise. Il aura simplement
à l’esprit qu’un comportement sera d’autant plus facile à apprendre et
d’autant plus épanouissant que le sujet le produira par une motivation
intrinsèque ou par une motivation extrinsèque à régulation intégrée ou
identifiée.
Ainsi, en étudiant les conséquences du comportement, le thérapeute
cherche les renforçateurs effectifs ou attendus et tente de les augmenter et
de les diversifier. Dans ce travail de motivation sur les conséquences d’un
comportement, les deux grandes voies utilisées et modélisées en TCC sont,
en fonction du niveau de développement de la personne, l’utilisation de
T
renforçateurs et l’entretien motivationnel.
IN
Si on y regarde de plus près, il s’agit dans les deux cas d’apporter une
conséquence favorable aux comportements du sujet quand ceux-ci vont
PR

dans le sens du changement souhaité. Dans un protocole de renforce-


ment chez un patient ayant un retard mental, il faut souvent donner des
T

récompenses concrètes et rapides, alors que quand le sujet a des capacités


NO

cognitives élevées il sera davantage sensible aux récompenses différées et


symboliques.
DO

Dans l’entretien motivationnel [Miller et Rollnick, 2012], le thérapeute


accorde de l’intérêt (questions ouvertes, reflets) aux propos du patient qui
vont dans le sens du changement. Les reformulations du thérapeute, déli-
vrées avec intérêt et empathie, encouragent le patient à aller plus loin et
à réfléchir sur le chemin à emprunter : pourquoi œuvrer dans le sens de
ce changement, comment l’entreprendre, et surtout avoir confiance en sa
capacité d’y parvenir.
L’analyse fonctionnelle des comportements de non-motivation nous
aide à trouver les techniques susceptibles d’améliorer la motivation. Le
tableau 22.2 montre des exemples de ces « interventions qui facilitent les
interventions ».
Motiver 185

Tableau 22.2. Les interventions qui facilitent les interventions.


Agir sur les stimuli Prévoir un planning visuel pour rappeler la tâche
antécédents Prévoir un « post-it » à coller pour rappeler la tâche
Prévoir un transport en taxi ou un accompagnement pour
venir aux premières séances de thérapie
Agir sur le comportement Rendre la tâche plus claire (s’assurer que la nature de la tâche
et l’explication qui en est faite correspondent aux capacités
de compréhension du sujet)
Décomposer la tâche (instaurer des objectifs intermédiaires)
Aider le sujet à restructurer sa pensée sur la tâche (l’amener à
penser « cette thérapie est un peu dur, mais elle peut m’aider
à aller mieux ; ça ne coûte rien d’essayer, je pourrai essayer et,
si ça ne marche pas, j’en parlerai à mon thérapeute », etc.)
Agir sur les conséquences Rendre les objectifs de la thérapie plus clairs, s’assurer que le
patient et son entourage sont d’accord et qu’ils comprennent
l’intérêt de la thérapie et le lien entre les exercices proposés et
les objectifs à long terme
Prévoir des récompenses quand le sujet a effectué la tâche,
T
quel que soit le résultat (se féliciter de l’avoir fait, prendre un
IN
bain chaud, passer du temps avec une personne qu’on aime
ou dans une activité qu’on apprécie, etc.)
PR

Nous appelons ici « tâche thérapeutique » tout comportement qui contribue à faire réussir
une intervention thérapeutique ou éducative. Par exemple : venir à la séance de thérapie,
T

faire un exercice de relaxation qui avait été convenu et appris avec le thérapeute, regarder le
NO

thérapeute, écouter ce que le thérapeute dit, répondre aux questions du thérapeute, etc.
DO
23 Développer les forces
Dans ce chapitre, nous présentons les principaux éléments relevant de
notre « bougie des forces ».
Voir l’autisme et le handicap mental comme un ensemble d’anomalies
et de déficiences est une vision utile, qui permet aux patients, aux familles
et aux professionnels de repérer les difficultés, de mener des études pour
trouver des moyens efficaces d’aider la personne. Cependant, si les aidants
(et les individus handicapés) s’enferment dans cette vision des choses, ils
risquent de ne vivre le handicap que dans l’amertume et de passer à côté des
aspects positifs de la vie.

Les forces de l’individu : les formules magiques


L’histoire de Mickaël (présentée plus haut dans le chapitre « Réguler et enri-
T
chir les émotions ») nous rappelle que l’on peut puiser dans les forces de
IN

l’individu pour le sortir de sa souffrance. Être conscient de ses forces, et


surtout consacrer une grande partie de son temps à les développer, aide
PR

l’individu à apaiser la souffrance et à avoir une certaine maîtrise sur sa vie.


Dans chaque thérapie, en plus des techniques spécifiques pour remplacer
T

les comportements inadaptés, il s’agit de trouver des idées, des formules


NO

auxquelles le sujet peut s’accrocher. Nous proposons que ces formules res-
pectent l’esprit des TCC et de la psychologie positive :
DO

• les formules ne doivent pas avoir un caractère vague ou trop général : « je


suis super », « je suis quelqu’un de bien » sont des formules vides de sens.
Les formules doivent se référer à des forces précises « je suis généreux », « je
suis apprécié par ma famille », etc. ;
• les formules doivent être exprimées de manière affirmative, mettant en
avant ce que le sujet fait ou sait faire, non ce qu’il ne sait pas faire ou ce
qu’il aimerait moins faire. Ainsi, on proposera comme formule « j’aimerais
passer plus de moments paisibles avec mes parents », et non « il faut que
je crie moins ». De même, « être moins paresseux » est une formule qui n’a
pas beaucoup de sens et qui ne se réfère pas à une force ni à une valeur ;
on proposera plutôt « j’aimerais me lever tôt le matin pour… » (prendre le
petit-déjeuner avec mes parents/participer à telles activités, etc.) » ou « c’est
important pour moi d’aider mon père dans son jardin » ;
• les formules doivent être associées à des actes et à des exemples concrets
du quotidien. Si on choisit la force « ma famille tient à moi », il faut que le
sujet puisse trouver des exemples qui montrent que sa famille l’aime et tient
à lui. Si la force évoquée est « je suis musicien », il faut que le sujet puisse

TCC dans l’autisme et le retard mental


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188 Interventions

jouer de la musique de façon régulière. Le thérapeute souligne des actions


et des événements précis de la vie quotidienne du sujet puis les rapporte à
une qualité générale. Il pourra ensuite suggérer à son patient et à ses aidants
d’exercer cette qualité dans d’autres circonstances de la vie (dans d’autres
lieux, avec d’autres personnes) ;
• les formules doivent associer gratitude (envers les autres, envers la vie)
et estime de soi. En effet, le handicap peut vite nous faire basculer dans
les excès d’amertume contre les autres ou de mésestime de soi, les deux
conditions étant également dévastatrices ;
• les formules doivent être authentiques. La TCC étant une thérapie du
changement et de l’action, le thérapeute en TCC est optimiste « par défini-
tion » ; il trouvera toujours chez son patient des qualités et des forces qui
correspondent à la réalité ;
• les formules doivent être partagées avec le sujet sur un support adapté à
son niveau de communication. Ce travail est évidemment plus facile avec
des sujets capables de parler et, encore mieux, de lire et d’écrire, mais il est
possible aussi avec les personnes ayant de gros déficits de communication.
T
Il faut dans ce cas représenter les forces par des objets ou par des dessins
IN
accessibles à la personne.
Par exemple, quelqu’un fait des efforts et reste relativement longtemps
PR

concentré sur son travail (que celui-ci soit professionnel, occupationnel ou


thérapeutique) : la formule sera « je suis travailleur », « je suis quelqu’un
T

qui apprend bien ». Si la personne sait lire et si la thérapie prévoit une


NO

carte-action, on écrira cette formule sur sa carte-action. Si la personne ne


sait pas lire, on peut représenter une telle formule par l’image de quelqu’un
DO

qui travaille ou par la photo du sujet lui-même en train de faire son tra-
vail et on la posera à un endroit précis ou on la collera sur sa carte-action.
Comme nous l’avons déjà suggéré, même chez les personnes qui savent lire
et écrire, il peut être intéressant de mettre une image à côté de la formule
« magique », la représentation visuelle aide à comprendre la formule et à y
penser même en cas de forte émotion ou dans des moments où le sujet n’a
pas envie de lire.
L’histoire de Lucas, présentée dans le chapitre « Retrouver maîtrise et
plaisir… », illustre aussi l’utilisation de la force « je suis serviable » chez un
patient dépressif.
Les comportements reflétant des forces ou correspondant à des activités
absorbantes sont des « pépites d’or » que les aidants doivent saisir et ren-
forcer dès leur apparition, faute de quoi ils s’éteignent. Un de nos patients,
porteur d’un TSA avec retard mental léger, ayant eu envie de se faire des
amis, s’inscrivit dans un centre qui proposait des activités collectives. Il se
retrouva cependant dans un groupe de jeunes adultes qui avaient des capa-
cités cognitives et verbales supérieures aux siennes et qui lui renvoyaient,
Développer les forces 189

involontairement, l’image douloureuse de son handicap. Ce jeune homme


arrêta rapidement sa participation au groupe. Dans d’autres cas, certains
de nos patients viennent à reculons pour participer à des ateliers thérapeu-
tiques puis y trouvent un certain plaisir ; le comportement « venir en atelier
thérapeutique » est renforcé, et nous cherchons avec le patient la force à
laquelle nous pouvons rattacher ce renforcement : ce peut être l’envie de
mieux se connaître (introspection, curiosité intellectuelle), le plaisir d’être
avec les autres (sociabilité), l’envie d’aider les autres participants (généro-
sité), le souhait de progresser dans la vie et de faire face à ses difficultés
(courage, détermination, etc.).

Travailler sur les forces


Travailler sur les forces du patient et de son entourage est la base de toute
thérapie qui réussit. Nos patients ont souvent été confrontés à leurs déficiences
et à ce qui va mal dans leur vie. Leurs forces ont souvent été évoquées dans un
climat émotionnel de sympathie, mais peu exercées dans de véritables actions
T
qui les aident à évoluer.
IN
La TCC doit mettre en évidence les forces du patient et les ressources du milieu
familial et professionnel dans lequel il évolue.
PR

Identifier ce qui va bien (les qualités, les forces, les moments de joie) est une
étape importante de la thérapie ; cela permet d’utiliser les forces pour compen-
ser les faiblesses et augmente la motivation du patient et sa confiance en soi.
T
NO

Développer les activités absorbantes


DO

Ce que nous appelons une activité absorbante est un comportement qui


entraîne son propre renforcement. C’est le concept de l’« activité de flux »,
flow activity de Mihaly Csikszentmihalyi [2008] ou les comportements
intrinsèquement motivés selon la théorie de l’autodétermination [Deci et
Ryan, 2008]. Un passionné de jardinage peut passer des heures à s’occuper
de son jardin, sans ressentir de l’ennui ou de la fatigue, et il n’a pas besoin
d’une motivation autre que le jardinage lui-même pour le faire. L’activité
produit à elle seule un sentiment de plaisir et de maîtrise suffisant pour
renforcer cette même activité.
Les thérapeutes sont généralement sollicités parce qu’une personne ne va
pas bien, c’est-à-dire qu’il y a une détresse qui s’installe dans la vie du sujet
ou dans celle de ses aidants. Le thérapeute se concentre forcément sur les
comportements qui engendrent cette souffrance. La conceptualisation sera
cependant plus utile si on y ajoute aussi les comportements qui produisent
du plaisir, qui contribuent à la sérénité et à la joie de vivre du patient et de sa
famille (ou des professionnels qui l’entourent) : tel jeune homme qui cause
190 Interventions

du désarroi par ses crises de colère explosive est peut-être capable de rester
longtemps seul à dessiner ou à écouter sa musique préférée ; telle femme
dont les faibles compétences sociales causent de l’embarras au quotidien
aime peut-être faire du crochet ou du bricolage. La conceptualisation doit
alors inclure une analyse fonctionnelle de ces comportements épanouis-
sants et la thérapie proposer des interventions pour les augmenter, ce qui
nourrira le bien-être général du patient et de son entourage.
Chez les personnes autistes, quand nous rencontrons ce type d’occupa-
tions « absorbantes », l’entourage se demande parfois s’il faut laisser la
personne pratiquer son activité favorite : s’agit-il d’un « intérêt restreint »
morbide ou d’une occupation saine à encourager ?
Quel que soit le terme par lequel nous désignons une activité, le plus
important est d’émettre des hypothèses sur la fonction qu’elle remplit dans
la vie du sujet. Ainsi une activité qui entraîne du plaisir doit être encouragée
sauf si elle perturbe l’entourage (par exemple, mettre fort la musique) ou si
elle est trop envahissante, c’est-à-dire que nous pensons qu’elle empêche le
patient de faire autre chose, notamment de s’engager dans des apprentis-
T
sages qui lui seraient utiles.
IN
Une activité absorbante, en plus de produire du plaisir, peut avoir une
grande utilité en thérapie : elle peut être utilisée comme renforçateur pour
PR

faire émerger d’autres activités utiles (par exemple, apprendre à être plus
autonome ou apprendre des compétences de communication).
T

Alain est un jeune adulte porteur d’un TSA avec retard mental léger, il vit
NO

chez ses parents avec son petit frère lycéen. Il a du mal à occuper ses jour-
nées, et ses parents ont été contents de voir qu’il peut passer des heures seul
DO

à écouter de la musique. Cependant, les parents se sont adressés aux théra-


peutes lorsque cette activité est devenue problématique. En effet, le jeune
frère se plaint de cette musique bruyante, qui l’empêche de se concentrer
quand il révise ses leçons. Les parents s’inquiètent aussi parce qu’Alain, pré-
férant rester seul à écouter la musique, est de plus en plus réticent à fréquen-
ter le service d’accueil de jour, qui l’avait cependant aidé jusqu’alors à être
plus autonome dans les gestes de la vie quotidienne (prendre sa douche,
se brosser les dents, s’habiller seul, etc.). On voit ici que le comportement
« écouter de la musique » a des conséquences néfastes pour le sujet et pour
son entourage, et qu’il doit ainsi être modifié.
Du point de vue du patient, il y a renforcement positif (le plaisir d’écouter
la musique) et négatif (éviter d’entrer dans les apprentissages, le fait d’écou-
ter la musique demandant moins d’effort et entraînant plus de plaisir que
pratiquer les exercices d’autonomie).
Les thérapeutes ont alors proposé :
• d’une part, qu’Alain écoute la musique en utilisant un casque pour ne
pas déranger son frère (on modifie le comportement en gardant ses consé-
quences appétitives pour le sujet) ;
Développer les forces 191

• d’autre part, que l’écoute de la musique ne soit pratiquée qu’après les


exercices demandés chaque soir, ce qui limite la fonction de renforcement
négatif par évitement ; écouter la musique devient un renforçateur, qui
pourra servir à augmenter la probabilité d’apparition des comportements
souhaités (aller au service d’accueil de jour, faire les exercices d’autonomie
chaque soir, etc.).
Ces aménagements ont permis à la famille de vivre sereinement, et au
patient de concilier sa passion pour la musique et la nécessité de maîtriser
les gestes de la vie quotidienne.

Découvrir les valeurs


La psychothérapie scientifique s’intéresse de plus en plus aux valeurs et
forces de l’individu et des groupes.
Ces termes, forces, qualités, valeurs ne doivent pas rester des notions abs-
traites. Leur vraie utilité est de contribuer au bien-être du patient et à celui
T
de ses aidants en étant vécues et travaillées tous les jours : il faut que ces
IN
idées générales se traduisent dans des actions concrètes. Cela commence
par le fait de les identifier puis de créer des occasions pour les pratiquer.
PR

La notion de force est liée à celle de valeur parce que l’adhésion à une
valeur en fait une force de l’individu, à condition que celui-ci se sente
T

capable de faire quelque chose, une action aussi petite soit-elle, pour aller
NO

dans le sens de cette valeur. Par exemple, être gentil et serviable est une
valeur. Et si l’on pense que c’est bien de l’être et que l’on est capable de le
DO

faire, cela devient une force : l’individu effectue des actions au service du
« principe » auquel il croit. A contrario, si la personne n’arrive pas à faire
des actions de gentillesse ou à aider les autres, cette valeur à laquelle elle
adhère ne sera pas source de renforcement et de bien-être. Dans ce cas, le
thérapeute peut l’aider, d’une part, à trouver d’autres valeurs susceptibles
de lui offrir l’occasion de les traduire en actions concrètes et, d’autre part,
à réfléchir pour trouver des actions de gentillesse plus faciles à engager.
Les gens (patients comme aidants), en effet, pensent souvent aux valeurs
comme à un idéal extraordinaire et inaccessible : la barre est placée trop
haut et la personne n’arrive plus à exercer au quotidien des actions en lien
avec cette valeur. La valeur d’être courageux ne signifie pas forcément se
battre en s’exposant à un danger de mort ; elle peut s’exercer en étant prêt
à défendre un point de vue ou à exprimer sa désapprobation lorsqu’un col-
lègue subit des moqueries.
De nombreux courants de psychothérapie se sont intéressés aux valeurs.
Nous pouvons citer parmi les approches les plus connues et les plus pra-
tiques celle de la psychologie positive, de la thérapie d’acceptation et
d’engagement et de l’entretien motivationnel.
192 Interventions

Pour repérer et « quantifier » les forces de la personne, nous pouvons


nous aider de l’« échelle brève de signature des forces du caractère », outil
bien connu en psychologie positive, traduit par Jean Cottraux [2007].
La version d’origine s’appuie sur un corpus important d’études et
d’enquêtes menées dans plusieurs pays par les deux fondateurs de la psy-
chologie positive, Martin Seligman et Christopher Peterson [Seligman et
Peterson, 2004]. Ce questionnaire peut être utilisé directement par certains
patients porteurs de TSA sans retard mental. Il peut être utilisé en cas de
retard mental léger ; dans ce cas, la présence d’un aidant qui connaît la
personne est souhaitable, aussi bien pour lui expliquer le sens des questions
que pour lui suggérer des forces et des exemples auxquels la personne ne
peut penser spontanément.
Pour repérer les forces des aidants familiaux et professionnels, on peut
utiliser ce même questionnaire.
L’entretien motivationnel [Miller et Rollnick, 2013] propose aussi une
liste de valeurs.
L’idée de ces auteurs est d’écrire chaque valeur sur une carte et de deman-
T
der au patient de trier les cartes en fonction de l’importance qu’il accorde
IN
à chaque valeur.
Ils laissent aussi des cartes blanches pour que la personne puisse y écrire
PR

des valeurs qui ne figurent pas dans leur liste.


La TCC, répétons-le, est une thérapie du changement. Comprendre les
T

valeurs du patient (et, pour notre population, celles de ses proches et de


NO

ses aidants) aide le thérapeute à connaître le sens qu’ils donnent à leur vie,
quels objectifs thérapeutiques sont susceptibles de les motiver le mieux et
DO

aide à motiver le patient pour atteindre ces objectifs. L’alliance thérapeu-


tique s’en trouve aussi fortement enrichie.
Les valeurs doivent être explorées avec respect et délicatesse, en tenant
compte des capacités cognitives de la personne, sans dogmatisme ni
défiance. Le thérapeute « accepte » les valeurs de ses patients même quand
il ne les partage pas. Il tâche de trouver un terrain d’entente et de partage
des valeurs, faute de quoi il doit s’abstenir de proposer sa thérapie.
L’idée des auteurs de l’entretien motivationnel est que le thérapeute,
ayant repéré les valeurs de son patient, doit amener celui-ci à s’apercevoir
du conflit qui existe entre ses comportements et ses valeurs.
Dans l’ACT, les valeurs sont souvent répertoriées par domaine : sport/
bien-être, alimentation/santé, relations intimes, rôle de parent ou de tuteur,
amitié, organisation de sa vie quotidienne, citoyenneté, travail/études,
finances (capacité à gérer le budget), spiritualité, culture, etc.
Voici quelques exemples de valeurs souvent évoquées par ces diffé-
rents courants psychothérapiques et utiles en psychothérapie auprès des
Développer les forces 193

personnes ayant un TSA ou un handicap intellectuel. Le lecteur peut trou-


ver des listes plus fournies dans les ouvrages cités [Miller et Rollnick, 2013 ;
Cottraux 2007] ainsi que sur le site actmindfully.com.au :
• l’acceptation de soi et des autres : s’accepter comme on est, avec son
handicap et difficultés, mais aussi avec ses qualités et potentiels ; accepter
les autres avec bienveillance ; quand on agit, agir sereinement plutôt que se
révolter ;
• la sociabilité : aimer aborder les gens, leur sourire, trouver du plaisir à
converser ;
• la générosité et la coopération : être disponible pour aider les autres
quand ils ont besoin de nous ;
• la curiosité (intellectuelle) : aimer découvrir des choses, des sujets nou-
veaux, des lieux et des cultures inconnus ;
• la gratitude : ressentir et exprimer de la reconnaissance à tous ceux qui
nous aident, qu’ils soient parents, amis, professionnels, un serveur ou un
commerçant qui nous sert avec efficacité et gentillesse ;
• l’organisation : être ordonné dans ses actions, savoir organiser son envi-
T
ronnement et son temps (avec l’aide de l’entourage) ;
IN
• l’hygiène de vie : prendre soin de son corps en mangeant de façon équili-
brée et diversifiée, en pratiquant une activité physique, en évitant les pro-
PR

duits toxiques ;
• le respect de l’environnement : respecter et protéger l’environnement
T

en triant les déchets (ou en aidant ses parents à le faire) et en évitant de jeter
NO

ses déchets n’importe où.


DO

Que faire des valeurs ?


Dans notre modèle d’analyse fonctionnelle, nous proposons toujours que
les conséquences d’un comportement soient classées selon le délai d’appa-
rition : apparition immédiate, à long terme ou en rapport avec les valeurs.
La notion des valeurs en psychothérapie n’est pas une référence éthique
ou philosophique. Elle correspond à ce que les comportementalistes appel-
lent une opération établissante et aide le thérapeute et ses patients à faire
une analyse fonctionnelle plus fine et à trouver la bonne motivation pour
le bon objectif.
Une opération établissante dans le langage des comportementalistes
signifie une circonstance, une condition, qui augmente l’effet renforçateur
d’un stimulus. L’exemple « basique » en laboratoire est le fait que la sensa-
tion de faim augmente le pouvoir renforçant de la nourriture. En d’autres
termes, c’est une condition qui détermine à quel point un stimulus donné
pourrait être apprécié par l’individu.
194 Interventions

Un grand nombre des renforçateurs des êtres humains, handicapés ou


non, sont liés aux valeurs, c’est-à-dire à des principes « verbaux » condi-
tionnés (appris) auxquels ils croient. Une valeur serait donc un renforçateur
verbal (c’est-à-dire symbolique, moral), positif (produisant un renforce-
ment positif), anticipé à long terme (dont la « récompense » n’apparaît pas
immédiatement après l’émission du comportement, mais beaucoup plus
tard, sauf si la personne prend conscience sur le moment qu’elle est en
train d’agir en accord avec ses valeurs, auquel cas cette prise de conscience
constitue par elle-même un renforçateur immédiat).
Prenons l’exemple d’un professionnel qui adhère à la valeur « accepter
les autres tels qu’ils sont », « être empathique envers les personnes handica-
pées et leurs familles », et qui se trouve l’objet d’un comportement malpoli
de la part d’une autre personne (un ami, un collègue, un résident porteur
de handicap, la famille d’un patient, etc.). Le professionnel réagira sans
doute dans tous les cas de façon « professionnelle », essayant de gérer la
situation et de maîtriser sa colère. Il y réussira dans beaucoup de cas et cela
entraînera chez lui des conséquences émotionnelles favorables (content
T
d’avoir réussi à résoudre le problème). Si, en plus, le professionnel adhère
IN
à la valeur « accepter les autres tels qu’ils sont », le fait d’avoir pu accepter
les autres et leur comportement entraînera chez lui un sentiment de plaisir
PR

parce qu’il a agi en accord avec ses valeurs, et cela renforcera encore plus le
comportement « rester serein et gérer le conflit ».
T

Autre exemple : un patient ayant un TSA avec RM léger qui a crié violem-
NO

ment sur sa mère.


Cela a plusieurs conséquences immédiates : sa colère est momentané-
DO

ment soulagée, il a ressenti une puissance, sa mère a cédé à ce qu’il voulait.


Les conséquences lointaines sont : la famille vit des conflits, les parents
se méfient de leur fils.
La conséquence en rapport avec les valeurs est le fait que le comportement
agressif est en contradiction avec la valeur « attachement à la famille »,
« amour pour les autres ».
Le thérapeute évitera les discours moralisateurs ; il demandera au patient
quels changements seraient intéressants pour que ses comportements au
quotidien soient plus en harmonie avec ses valeurs.
Dans beaucoup de cas, si le patient devient conscient de la valeur « gra-
titude » ou « amour pour ses parents », le comportement « parler à sa mère
avec respect » aura pour lui un pouvoir renforçant et motivant, même s’il le
prive de certains autres avantages matériels.
Les figures 23.1a et b illustrent une séquence comportementale que
l’on rencontre souvent dans ce domaine ; d’abord sans avoir recherché
les valeurs du patient (figure 23.1a) puis en tenant compte de ces valeurs
(figure 23.1b).

T
IN
PR
T
NO
DO

Développer les forces


Figure 23.1. Séquence comportementale.
a. Séquence comportementale sans tenir compte des valeurs.

195
196
Interventions
T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 23.1.
b. Séquence comportementale en tenant compte des valeurs.
Développer les forces 197

Qu’est-ce qu’une valeur en TCC ?


En TCC, une valeur est un renforçateur :
Positif : on agit pour obtenir la satisfaction morale, symbolique de se rappro-
cher d’un idéal, non pour éviter la peur ou la honte.
Anticipé : le plaisir ne se produit pas forcément sur le moment, mais avec le sen-
timent d’avoir fait un petit pas dans le sens de nos valeurs, et le comportement,
quelles que soient ses conséquences, est renforcé par son lien avec la valeur.
Verbal (symbolique ou moral) : il n’y a pas forcément de récompense maté-
rielle ; le plaisir se produit par le lien que la personne fait entre le comporte-
ment et la valeur.
Appris : les valeurs ne sont pas déterminées biologiquement et ne servent pas
à satisfaire les besoins physiologiques ; ce sont des comportements et schémas
de pensée appris à travers la multitude de conditionnements que nous offrent
l’éducation, les événements que nous avons traversés, les expériences de vie, les
lectures, les échanges sociaux, etc.
Souple : pour que les valeurs aident le sujet à s’épanouir, il faut qu’elles soient
T
souples et qu’elles n’entraînent pas de sentiment de culpabilité comme le fe-
IN
rait un schéma cognitif rigide. Le thérapeute aide son patient (et les aidants)
à identifier leurs valeurs, à prendre conscience des comportements qui vont
PR

dans ce sens et à s’en féliciter, et, quand le sujet agit de façon contraire à ses
valeurs, il faut considérer cette situation comme une occasion pour apprendre,
et pour faciliter l’émergence d’autres comportements allant dans le sens des
T

valeurs.
NO
DO

Tableau pour repérer forces et valeurs


Pour explorer les forces et valeurs d’une personne, nous pouvons faire
appel aux listes mentionnées plus haut, ou alors, comme souvent en TCC,
construire son propre outil « maison ». Le tableau 23.1 montre un outil
simple à utiliser auprès de nos patients. Les forces et valeurs, rapportées
par le patient ou par son entourage, ou suggérées par les thérapeutes,
sont inscrites dans la première colonne. Pour leur donner une dimension
concrète, on cherche une action précise qui a déjà été produite par la
personne au cours des dernières semaines. Et pour aider notre patient à
développer cette force-là, on prévoit une autre action précise à faire à un
moment précis.
198 Interventions

Tableau 23.1. Tableau de mes forces et qualités.


Valeur/force/ Action passée (exemple d’une Action à venir (exemple d’une
qualité situation où la personne a situation où la personne pourra
manifesté cette force) manifester à nouveau cette force)
Aider les autres J’ai aidé mon frère à ranger sa Je pourrai aider ma mère à la
chambre. cuisine.
Je pousserai le fauteuil roulant
d’un autre résident pour l’aider à
venir à table.
Être courageux Quand un collègue de ma sœur La semaine prochaine, quand je
lui a parlé méchamment, je lui ai vois le responsable de l’ESAT, je
dit d’être poli. lui expliquerai calmement mais
fermement que mon poste ne me
convient pas.
Être persévérant J’ai participé à toutes les séances Lundi prochain, je recommencerai
de l’atelier de la colère, alors à fréquenter le centre d’activités de
qu’il m’était difficile de venir jour pour m’occuper utilement et
toutes les semaines et d’être dans
T gagner en autonomie.
IN
le groupe.
Protéger Je fais attention au tri des J’aiderai mon père à jeter les
PR

l’environnement déchets à la maison. déchets triés.


Aimer sa famille J’ai pris mon petit frère dans Je dirai à mes parents que je les
T

les bras. aime.


NO

Prendre soin de J’ai appris à me laver les mains. Je marcherai pendant 20 minutes
son corps chaque jour.
Apprendre J’ai participé à un atelier sur Demain, je prendrai le bus pour
DO

l’autonomie qui m’a appris aller chez ma sœur.


à utiliser les transports en
commun.
24 Soutenir les familles
Lorsque l’on parle de la TCC ou du comportementalisme, l’esprit du public,
même celui de beaucoup de professionnels, se focalise sur les comporte-
ments concrets du « patient » et sur l’obtention de changements rapides
de ces comportements. On oublie souvent que la TCC s’adresse aussi aux
émotions et aux difficultés que les familles vivent au quotidien. Les sciences
du comportement apportent aux professionnels une vision humaine, une
empathie et des techniques puissantes pour accompagner les proches d’un
sujet porteur de TSA ou de handicap mental. L’idée de base est que le théra-
peute, en conceptualisant la situation de son patient doit aussi étudier celle
des proches et y appliquer le modèle TCC.

Aider les proches à connaître le handicap T


La première aide que les parents d’un adulte porteur d’un TSA ou d’un
IN

handicap mental cherchent est de bien connaître le trouble qui rend leur
enfant différent. Les sources d’information sont multiples : les livres, inter-
PR

net, les associations… Des programmes de formation des aidants familiaux


commencent à être proposés par les centres de ressources autisme. En plus
T

des connaissances théoriques ayant une portée générale, la famille a besoin


NO

de savoir comment la description générale du trouble se manifeste chez


l’individu singulier qui vit avec elle.
DO

Observer
Les proches de la personne handicapée peuvent être pris dans leurs émo-
tions ; aimer la personne (leur frère ou sœur, leur enfant, etc.), ressentir de
la peine pour elle, avoir peur pour son avenir, ressentir de l’agacement ou
de la honte devant certains de ses comportements, ressentir la déception
parce qu’il (ou elle) n’arrive pas à progresser…
Ils sont cependant, malgré une charge émotionnelle importante, de fins
observateurs de ce que la personne vit au quotidien ; leur discours est sou-
vent une mine d’informations pour le thérapeute et pour les autres profes-
sionnels. En cas de difficulté, le thérapeute pourra leur proposer des outils
d’observation structurée. Beaucoup de proches arrivent aussi, et acceptent
de bon cœur, d’observer leurs propres comportements envers la personne :
ce qui l’aide à progresser et ce qui, au contraire, engendre de la souffrance
ou provoque des troubles du comportement.

TCC dans l’autisme et le retard mental


© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
200 Interventions

Construire des outils


Notre équipe propose aux familles, en plus des informations théoriques,
de rédiger ensemble un carnet qu’on appelle fréquemment « le carnet
de mes particularités » ou « le livret des particularités de… ». À partir
d’une trame reprenant les signes classiques de l’autisme ou du handicap
mental, les thérapeutes et la famille remplissent des espaces prévus qui
mettent en avant les particularités cognitives et sensorielles, les habi-
tudes de vie, les goûts et préférences, les troubles du comportement
(et comment y faire face). Ce livret permet à la personne et surtout
à la famille de garder une trace du travail fait avec les thérapeutes et
éventuellement de communiquer le livret aux personnes amenées à
intervenir auprès de leur enfant (équipes de soins, nouvel établissement
médicosocial, etc.).
Le tableau 24.1 montre un aperçu du livret de Jean-Michel, 30 ans, por-
teur d’un autisme avec retard mental léger. Nous avons présenté cet extrait
sous forme de tableau mais le livret peut prendre des formes diverses :
T
tableau, présentation informatisée, livret dont les pages alternent les
IN
caractéristiques générales du handicap et les signes précis chez notre
patient, etc.
PR
T
NO

Tableau 24.1. « Le livret de Jean-Michel ».


Domaine Comment il se manifeste chez Jean-Michel
DO

Altération de la communication Recherche du mot juste


Écholalies
Altération des interactions Peu de sens des codes sociaux
sociales Difficulté pour varier les conversations
Caractère restreint et stéréotypé Isolement
des comportements Quotidien ritualisé
Manque de cohérence centrale Concentration excessive sur les détails
Peut effectuer des gestes précis mais perd de vue
l’objectif final de l’action
Difficulté de planification N’arrive pas à enchaîner les petits gestes nécessaires
pour faire sa toilette
N’arrive pas à ranger sa chambre ou passer l’aspirateur
Déficit de la théorie de l’esprit Interprète les intentions d’autrui de façon erronée
Attribue souvent des intentions malveillantes aux autres
Particularités sensorielles Ne supporte pas le bruit de la perceuse
Perception presque douloureuse de certains tons de voix
Ne peut pas traiter plusieurs informations sensorielles
en même temps
Soutenir les familles 201

L’analyse fonctionnelle au service des proches


Avec les proches, le thérapeute se pose des questions telles que :
• Quel est le retentissement du handicap sur la vie familiale ?
• La vie à la maison est-elle tenable ? La famille a-t-elle suffisamment de
soutien ?
• Les proches connaissent-ils suffisamment le handicap ? Quels autres
savoirs ont-ils besoin d’acquérir ?
• Quels aménagements peut-on leur suggérer ?
• Quels sont leurs atouts, leurs forces, les choses qu’ils ont réussi à mettre
en route avec le patient et qui sont à encourager et à développer ?
• Comment peuvent-ils obtenir des informations précises sur les aides pos-
sibles (financières, maintien à domicile, loisir, séjours de vacances et de
répit, soins médicaux…)
• Quelles sont les sources d’information : MDPH, CRA, associations…
Le tableau 24.2 reprend de façon schématique les principaux éléments de
l’analyse fonctionnelle (le schéma présenté dans la figure 6.6).
T
Pour simplifier la présentation et rendre les exemples plus parlants, le
IN
tableau 24.2 analyse l’exemple des deux parents d’un jeune adulte porteur
d’un TSA avec handicap mental léger ; cette façon d’analyser est évidem-
PR

ment valable pour tous les autres cas de figure (parent seul, frère ou sœur
du sujet handicapé, etc.).
T

On remarquera que dans la colonne « exemples d’actions », il y a une


NO

redondance (qui n’est qu’apparente) : c’est la richesse de notre candélabre


de la TCC ; une même intervention, par exemple aménager l’environne-
ment pour tenir compte à la fois du bien-être du patient et de celui de ses
DO

parents, peut être le résultat d’une réflexion sur le contexte (action sur
les stimuli de l’environnement), sur la pensée (assouplir le schéma « je
dois consacrer ma vie à mon enfant »), sur le comportement (les parents
n’ont peut-être tout simplement pas appris ni intégré dans leur répertoire
comportemental le comportement « prendre du temps pour soi »), etc.
Ce sont autant de chemins qui nous aident à mettre en place l’action
souhaitée.

Faire face aux émotions pénibles


Il est primordial pour la famille de ne pas rester seule avec sa souffrance et
ses interrogations. La première chose à considérer pour un thérapeute est
de voir comment les proches (souvent les parents) peuvent être soutenus.
Lorsque la personne autiste ou ayant un handicap mental est accompagnée
ou accueillie par un service médicosocial, il est important de développer un
dialogue permanent entre les proches et les professionnels. Les associations
de famille sont aussi une source inestimable de soutien et d’information.
Tableau 24.2. L’analyse fonctionnelle au service des familles.

202
Domaine Évaluer Exemples d’actions
Contexte Le contexte de vie est-il adapté ? Quel Aider la famille à aménager l’environnement pour concilier le bien-être du patient et

Interventions
retentissement sur la famille ? celui des proches (permettre aux parents d’avoir du temps libre, etc.)
La famille a beaucoup de questions sur le Proposer des actions de formation aux aidants
handicap Proposer des entretiens avec les proches
Le contexte de vie n’est pas adapté Encourager les parents du jeune adulte à rechercher un lieu de vie, un logement adapté
Situations Repérer les situations qui provoquent la Faire l’AF de ces situations

T
souffrance

IN
Situations Repérer les situations qui apportent la sérénité et Encourager le temps passé ensemble
différentielles un sentiment d’efficacité (par exemple, le temps

PR
passé ensemble, etc.)
Repérer les stratégies efficaces mises en place par Encourager ces stratégies (par exemple certains aménagements sensoriels)

T
la famille

NO
Pensées et Repérer les pensées et émotions pénibles, Encourager les proches à exprimer ce vécu
émotions notamment la peur, la tristesse, la culpabilité des Soutenir les proches pour avoir une vision plus souple de la réalité
parents
DO
Actions Repérer les problèmes qui nécessitent des actions Aider les parents à acquérir les savoir-faire (c’est-à-dire à apprendre les
spécifiques comportements) dont ils ont besoin pour vivre sereinement aux côtés de leur enfant
porteur de handicap ; par exemple, comment utiliser les supports visuels, comment
faire face à une crise de colère, comment gérer leur propre temps pour se préserver des
moments de repos, etc.
Démarche de résolution de problème
Encourager les proches à demander de l’aide financière, psychologique, etc., pour
eux-mêmes 
Domaine Évaluer Exemples d’actions


Conséquences Analyser les conséquences des différentes actions Les proches ont-ils suffisamment de « renforcement » de leurs actions ?
menées par les parents Les encourager à « se récompenser » (se féliciter, prendre du temps pour soi, etc.)
chaque fois qu’ils font une action pour leur enfant, quel que soit le résultat de cette
action
Forces et Les parents ne sont pas assez conscients de leurs Aider les parents à repérer leurs propres forces et qualités
qualités qualités, de tout ce qu’ils ont réussi à mettre en Aider les parents à repérer et à créer des occasions permettant d’exercer leurs forces et
place, etc. qualités

T
IN
PR
T
NO
DO

Soutenir les familles


203
204 Interventions

Tenir compte des divergences entre parents


Même si nous parlons des besoins de la « famille » de la personne ayant un
handicap, nous n’oublions pas que la famille est composée d’individus dont
les besoins et la vision des choses peuvent varier. Ainsi, souvent le père et la
mère ont des exigences différentes envers leur enfant. Quand il élabore un plan
de thérapie, le thérapeute cherchera à trouver un compromis et à trouver avec
les deux parents des objectifs d’apprentissage communs et accessibles. Il s’agira
souvent de travailler en même temps sur les prérequis. Par exemple, un jeune
adulte est porteur d’un TSA avec retard mental léger ; son père voudrait qu’il
apprenne à prendre le train pour se rendre seul à son travail en ESAT ou à son
centre d’activités ; la mère, elle, trouve que son fils est trop fragile pour prendre
le train seul. Dans ce cas, le thérapeute peut proposer l’apprentissage de pren-
dre le train seul comme objectif lointain, mais décomposera ce processus en
plusieurs petites étapes pour vérifier avec les parents (et bien sûr avec le patient)
si chaque étape est acquise : sortir de la maison, s’orienter pour arriver jusqu’à
la gare, discriminer les chiffres pour accéder à bonne voie et au bon train, etc.
T
Parmi les sources de souffrance que les parents nous confient revient
IN
souvent la vision négative que d’autres membres de la famille portent sur
l’« éducation » que les parents donnent à leur enfant handicapé. Ceux-ci
PR

sont ainsi confrontés aux questions de telle grand-mère ou de tel oncle :


pourquoi ne travaille-t-il pas ? Ce n’est qu’une question de paresse ! Pour-
T

quoi n’essayez-vous pas (telle méthode, tel centre, etc.) ?


NO

Devant cette immixtion qui met en doute le diagnostic et les choix thé-
rapeutiques du patient et de ses parents, le thérapeute rassurera les parents
et les aidera à se protéger des sentiments de culpabilité ; il peut aussi, avec
DO

l’accord du patient et des parents, proposer de recevoir d’autres membres de


la famille pour leur expliquer le handicap.

Garder le contact
Les besoins des proches évoluent et les parents ont généralement besoin de
garder le contact avec le thérapeute qui suit leur enfant, ou avec l’équipe de
professionnels. Ils expriment souvent le besoin d’obtenir des hypothèses de
travail, ou d’être rassurés sur leur façon d’aider leur enfant.
La nécessité d’aide s’exprime surtout dans les périodes de transition (pas-
sage du domicile parental vers un internat, ou d’un établissement à l’autre).
Les familles sont souvent démunies quand leur enfant entre dans l’âge
adulte. Les professionnels doivent donc être particulièrement disponibles
dans ces périodes-là.

Lâcher prise
Henri est un jeune homme porteur d’un autisme avec retard mental moyen
et un langage moyennement fonctionnel (il peut exprimer ses besoins,
Soutenir les familles 205

demander de l’aide, etc., mais sans faire de phrases correctes). Il vit chez sa
mère et fréquente un service d’accueil de jour. Tout se passait bien jusqu’au
jour où, en entendant son fils dire en nommant son éducateur référent
« Untel taper Henri », la mère a suspecté cet éducateur d’avoir frappé son
fils. Cette mère était dans une position délicate : elle craignait que son fils
ne soit maltraité par son éducateur et en même temps n’osait pas en parler,
de peur d’accuser injustement ce professionnel, d’autant plus que son fils
ne s’exprime pas toujours de façon fiable. Elle ressentait habituellement de
la gratitude envers cet éducateur qui s’était beaucoup occupé d’Henri, et elle
savait que son fils pouvait avoir des comportements agressifs qui mettent à
rude épreuve les plus bienveillants des professionnels.
Elle a finalement pu se renseigner sur ce qui s’était passé. Il semblait
qu’Henri avait agressé son éducateur, qui, fatigué et exaspéré, a répondu
par un coup. La mère et l’éducateur concerné n’ont pas pu discuter de cet
incident ; ils s’évitaient et étaient tous les deux mal à l’aise. Avec le temps,
et avec l’aide du thérapeute, la maman a focalisé son attention sur ce que
cet éducateur avait apporté à Henri, à tous les apprentissages et bons gestes
T
qu’il avait investis pour son fils. La maman a décidé de pardonner ; d’autant
IN
plus que cette agression de la part de l’éducateur était restée un incident
isolé. La maman a pu avoir une position d’empathie avec le professionnel.
PR

À partir de ce moment-là, tous les protagonistes se sont sentis mieux. Henri


en particulier était de plus en plus épanoui.
T
NO

Évoquer forces et valeurs


DO

Chez beaucoup de familles, le vécu difficile, le passé émaillé d’échecs et


de déception, le manque de services et d’accompagnements adaptés les
plongent dans une sorte d’indifférence ou de désespoir. C’est là que le thé-
rapeute, en plus de rechercher des solutions concrètes pour les aider, doit
appuyer sur l’approche fondée sur les forces. Évoquer les forces de la per-
sonne handicapée et celles de sa famille, et identifier avec eux leurs valeurs,
est une démarche féconde, qui participe au bien-être de tous et qui aide à
changer la vision que les différents aidants ont de la situation.
Regardons cet exemple fréquent des parents vieillissants qui se voient
de moins en moins en mesure de soutenir leur enfant au quotidien. Ils
se posent la question de lui trouver un lieu de vie, un foyer, mais l’amour
parental rend cette idée intolérable. D’un côté, l’amour parental et la valeur
« s’occuper bien de ses enfants » rendent l’idée du placement intolérable ;
de l’autre côté, la réalité, les tâches pénibles physiquement et psycholo-
giquement s’imposent tous les jours et épuisent les parents. Le théra-
peute, ici, peut analyser la situation avec les parents en tenant compte à
la fois des aspects pratiques et des sentiments et valeurs des parents. Le
tableau 24.3 illustre une façon dont on peut analyser les conséquences du
206 Interventions

Tableau 24.3. Évaluer les conséquences en tenant compte des valeurs.


Conséquences Immédiates Lointaines En lien avec les valeurs
Appétitives Soulager la fatigue Les parents Respecter l’indépendance
(renforcement physique des disposent de temps de ses enfants
anticipé) parents libre pour eux. Capacité de prendre des
Le patient vit décisions
des expériences Prendre soin de soi
nouvelles et Faire confiance aux
plaisantes. professionnels et travailler
avec eux
Assurer l’avenir de son
enfant après la mort des
parents
Aversives Le sujet se sent seul, Les parents sentent S’occuper de ses enfants
(inhibition perdu. un vide dans leur jusqu’au bout
anticipée) Les parents sont vie.
tristes et se sentent
coupables. T
IN
comportement « placer mon fils dans un lieu de vie ». Les conséquences
dans la troisième colonne (en lien avec les valeurs) peuvent apparaître à
PR

court ou à long terme ; elles peuvent évidemment ainsi se chevaucher avec


les deux premières colonnes, mais quand le thérapeute propose de regarder
T

les mêmes conséquences à la lumière des valeurs, il change le point de vue ;


NO

le même phénomène vu comme aversif peut devenir appétitif quand on lui


donne un sens en rapport avec ce qui compte le plus pour nous dans la vie.
DO

Les talents insoupçonnés des aidants


Avoir conscience de ses propres forces et ressources n’a pas de sens si on n’a
pas aussi confiance dans son entourage. L’individu porteur de handicap a
besoin de son entourage et doit pouvoir identifier les forces et l’aide que cet
entourage peut lui apporter.
Plusieurs de nos patients adultes, porteurs d’un TSA avec retard mental
léger, ou sans retard mental, sont jaloux de leur liberté, assoiffés d’indépen-
dance, soupçonnant leurs aidants de brider leurs désirs et leurs tentatives de
vivre seuls ou de faire ce qu’ils veulent. Dans beaucoup de cas, les parents,
ayant vécu un passé difficile avec leur enfant, et ayant peur pour lui, veu-
lent l’aider mais ne savent pas comment.
C’est dans ce contexte que le thérapeute peut travailler avec l’individu
sur l’estime de soi mais aussi sur l’estime de son entourage : à qui je peux
demander de l’aide, quelles sont les qualités de mes parents, des éducateurs
qui m’aident au quotidien, et comment en tirer profit de façon plus pra-
tique, plus avantageuse pour tout le monde ?
Soutenir les familles 207

Tableau 24.4. Exemple de tableau présentant les qualités des aidants


(Dora).
Quand je peux faire
Qui Quelles sont ses qualités appel à elle/lui
Ma mère Elle m’aime, elle est gentille, bien Si j’ai besoin de me confier.
organisée, s’occupe beaucoup Si j’ai des problèmes d’argent.
de la famille.
Mon père Il m’aime aussi, discute beaucoup Si j’ai besoin de discuter, de parler
avec moi. de la famille.
S. (éducatrice Gentille, de bonne humeur, connaît Quand je fais mes démarches
référente) bien mon handicap (essaie surtout pour trouver du travail.
de bien me connaître) M’aider à gérer mon budget

Ces discussions ne doivent surtout pas rester théoriques, la TCC est une
thérapie de l’action. Le thérapeute met par écrit, sous forme de tableau, le
nom ou la photo des personnes de l’entourage et les actes pour lesquels le
T
patient peut faire appel à elles, et dans quelles circonstances.
IN
Le tableau 24.4 donne l’exemple d’un tableau qui a été élaboré avec Dora,
une jeune femme dont nous avons parlé plus haut dans le chapitre « Assou-
PR

plir la pensée » sur les schémas cognitifs. Dora souhaitait prendre son indé-
pendance par rapport à ses parents et critiquait également les éducateurs du
T

foyer où elle vivait.


NO

Ce type de tableaux n’a pas besoin d’être exhaustif : l’idée est d’entraîner
le sujet à voir les qualités de son entourage de façon authentique, et cette
authenticité nécessite que des exemples concrets et précis soient évoqués
DO

dans la troisième colonne.


Un autre exemple est celui de Damien, que nous avons présenté plus haut
dans le chapitre « Faire des hypothèses sur les contingences ». Il pensait que
sa mère le bridait injustement. Nous avons réfléchi avec lui sur les qualités
de sa mère, en quoi elle peut l’aider. Concrètement, il s’agissait de rele-
ver chaque semaine les actions pour lesquelles sa mère l’a aidé et les bons
moments qu’ils ont passés ensemble (tableau 24.5).

Tableau 24.5. Exemple de tableau présentant les qualités d’un aidant (la
mère) (Damien).
Jour (matin, Événement (chose pour laquelle Quelle qualité de ma mère est
après-midi, soir) ma mère m’a aidé, bon moment liée à cet événement
passé ensemble)
Vendredi matin Pris le petit déjeuner ensemble, Ma mère est gentille.
c’était agréable.
Samedi soir Ma mère m’a aidé à télécharger Ma mère est débrouillarde et
une musique sur internet. organisée.
208 Interventions

Ce type de tableau est bien sûr à adapter au niveau intellectuel et aux


capacités de communication du patient. Si celui-ci ne sait pas lire ni écrire,
le thérapeute fera ce travail oralement, remplira le tableau pendant la
séance en fonction des informations données par le patient, puis utilisera
ce matériel pour poser davantage de questions sur les qualités de la mère
(toujours avec l’idée qu’elle n’est pas parfaite, et que le patient « mérite »
cet amour et cette aide que sa mère lui apporte). Les jours et les plages de
demi-journées peuvent être préremplis par le thérapeute, éventuellement
en utilisant un code couleur différent pour chaque jour ou pour chaque
demi-journée ; les qualités peuvent être prédéterminées et représentées
chacune par une image ou par la photo de la mère en train d’effectuer une
action (en train de manger avec son fils pour dire « bon moment ensem-
ble », en train de laver ses habits pour dire « ma mère m’aide », etc.) ; ainsi
pour chaque événement rapporté par le patient, le thérapeute lui demande
de choisir la qualité correspondante et de poser la photo au bon endroit
dans le tableau.

Cas clinique
T
IN

Travailler sur soi et sur les autres


PR

M. et Mme V. sont désemparés. Leurs fils, Denis, âgé de 32 ans, vit depuis
plusieurs années dans un foyer et ils s’inquiètent pour lui. Ils le trouvent peu
épanoui, perclus de peurs et de rituels ; son quotidien est pauvre. Les parents
T

avaient fait appel à une équipe spécialisée pour faire un bilan diagnostique, qui
NO

a conclu à un autisme avec retard mental moyen.


Depuis, les parents, surtout la mère, sont de plus en plus conscients des besoins
DO

de leurs fils et ont l’impression que l’établissement dans lequel il vit n’offre
pas un environnement de vie structuré, riche et compréhensible. Le personnel
n’aurait pas assez de temps ni de formation. Les parents se demandent même
si cette équipe a vraiment envie d’adopter les techniques recommandées pour
l’accompagnement des personnes autistes (les interventions comportemen-
tales, l’aménagement de l’environnement, l’utilisation de méthodes de commu-
nication, etc.). Les parents en sont arrivés à ressentir de la culpabilité de laisser
leur fils dans un établissement qui ne correspond pas à ses besoins. Ils allaient
souvent dans le lieu de vie, même à des heures non prévues pour les visites ; ils
faisaient des remarques sur la prise en charge et l’organisation du travail dans
cet établissement, ce qui a provoqué évidemment des tensions entre eux et le
personnel.
Le personnel, de son côté, se plaignait de l’intrusion des parents, et rapportait
aussi des troubles du comportement chez Denis : lors de la moindre frustration,
ce dernier crie et déchire ses vêtements et tout papier qui lui tombe sous la
main à ce moment-là.
Les thérapeutes ont proposé aux parents de faire l’analyse fonctionnelle de
cette situation, que montre la figure 24.1. 
Soutenir les familles 209

 Plusieurs pistes d’intervention ont été proposées à partir de ce schéma :


• action sur les stimuli antécédents :
– rechercher un lieu de vie plus adapté, en faisant appel à la MDPH et en
visitant quelques établissements recevant des personnes autistes ;
– chercher les moyens d’améliorer les conditions de vie de leur fils dans l’éta-
blissement actuel ;
– rechercher des thérapies et activités à l’extérieur de cet établissement ;
• action sur l’apprentissage opérant :
– prendre conscience des conséquences aversives du comportement (de
l’idée ou de la position) : « notre fils est dans un mauvais lieu de vie » ;
– augmenter les conséquences appétitives des autres comportements : le
temps passé ensemble, tentatives de bon dialogue avec le personnel, etc. ;
• action sur les schémas de pensée (des parents et des professionnels) :
– mettre au jour les schémas de perfection présents chez les parents. Ces
schémas, tout en étant utiles dans beaucoup de situations, peuvent s’activer
dans des situations où ils ne le devraient pas ;
– motiver le personnel de l’établissement à faire évoluer, par petites étapes,
T
leurs méthodes de travail dans le sens souhaité par les parents ;
IN
• action sur les émotions :
– garder un contact régulier avec le thérapeute par courriel et par téléphone
PR

pour discuter des craintes et sentiments pénibles provoqués par cette situation ;
– entrer en contact avec une association de familles pour avoir plus de sou-
T

tien et pour connaître d’autres parents ayant vécu la même expérience ;


NO

• action sur les forces et qualités :


– aider les parents à prendre conscience de ce qu’ils ont réussi avec leur fils,
et que le fait de l’avoir « placé » dans un foyer était un geste naturel, qui ne
DO

contredit pas l’amour ni le devoir des parents ;


– rechercher les qualités et possibilités d’évolution du personnel.
Les parents, après avoir visité deux autres établissements, ont conclu que le lieu
de vie actuel reste le plus adapté pour leur fils. Avec l’aide des thérapeutes, ils
ont pu discuter avec la direction et le personnel de façon plus constructive, et
des outils ont été introduits dans la prise en charge (planning visuel, séances
de piscine, etc.).
210
Interventions
T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 24.1. Analyse fonctionnelle de la situation des parents de Denis.


25 Soutenir les professionnels
Le thérapeute intervenant auprès d’une équipe de professionnels est amené
à tenir compte de différents aspects du travail de ces derniers. Certes, il est
sollicité quand la souffrance surgit ; il ne doit cependant pas négliger les
forces, c’est-à-dire tous les aspects positifs du travail, tous ces moments qui
ne produisent pas de souffrance, mais qui, au contraire, nourrissent tous les
jours ce sentiment de compétence et de plaisir à travailler que l’on peut voir
au sein de beaucoup d’équipes.
Parfois, des équipes compétentes souffrent parce qu’elles cherchent tou-
jours à mieux faire et constatent que la situation du patient/résident n’évo-
lue pas alors qu’on a « tout essayé » chez lui. Le thérapeute peut travailler
dans ces cas sur l’acceptation : accepter, d’une part, ses propres émotions et,
d’autre part, le fait que nous restons impuissants devant certaines situations.
Quand les aidants (professionnels, mais aussi parfois les parents) acceptent
T
que ces situations difficiles perdurent, ils souffrent moins et deviennent
IN
même plus efficaces pour aider leurs résidents.
Nous présentons ici quelques aspects dont la prise en compte par les thé-
PR

rapeutes, par les professionnels du terrain eux-mêmes et par les familles


nous semble d’un grand secours pour avancer.
T
NO

Pièges cognitifs chez les aidants


DO

Les schémas de pensée qui entraînent de la souffrance ne sont pas l’apanage


des patients. Les professionnels (y compris les thérapeutes) et les membres
de la famille peuvent eux aussi devenir prisonniers de schémas inadaptés ou
trop rigides, qui les empêchent de s’épanouir et de bien aider la personne.
Ces schémas sont souvent liés à une vision extrême, entraînant le rejet total
ou, au contraire, l’acceptation inconditionnelle de ce que le patient fait. Il
est fondamental de s’éloigner de toute position de jugement et de regarder
ces schémas, non comme de mauvaises façons de penser, mais comme des
pièges, qui comportent toujours une part de vérité, mais qui, si on y adhère
de façon rigide, provoquent la souffrance chez les professionnels, les met-
tant en échec et les plongeant dans l’incompréhension.

« Il/elle le fait exprès »


Certains professionnels, devant des comportements agressifs du patient/
résident, lui attribuent une intention de nuire. Ils réagissent alors en expri-
mant leurs émotions, leur désapprobation, leur désarroi. Cette croyance

TCC dans l’autisme et le retard mental


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212 Interventions

« il/elle le fait exprès » entretient des sentiments de peur et d’hostilité qui


imprègnent les actions des professionnels, les empêchant d’adopter une
démarche de résolution de problème.
Brice est un jeune homme porteur d’un TSA avec un retard mental
important. Dans l’établissement où il vivait, le personnel avait peur de lui.
Les éducateurs disaient qu’il avait souvent « le regard noir », qui donnait
l’impression qu’il était en train de « mijoter quelque chose ». L’évaluation
du niveau intellectuel a montré que Brice n’avait pas la capacité cogni-
tive de méditer une agression. Les observations structurées portant sur
les paramètres « donner un coup » et « avoir le regard noir » montraient
qu’il n’y avait pas de corrélation entre ces deux paramètres, c’est-à-dire
qu’il n’y avait pas plus d’agression en présence de ce regard particulier
qu’en présence d’un regard plus doux. À partir de ce moment, le personnel
a été rasséréné et a pu porter un regard moins empreint de peur sur ce
résident, ce qui a enclenché un cercle vertueux. Les comportements agres-
sifs sont redevenus des phénomènes qui se prêtent à l’étude. L’analyse
fonctionnelle et les thérapies qui en ont découlé ont grandement amélioré
T
la situation.
IN

« On n’arrive pas à bien faire »


PR

Les professionnels et les parents font parfois des conclusions hâtives, dictées
par les sentiments et les émotions, alors que les observations structurées
T

avec une démarche de résolution de problème démontreraient le contraire.


NO

Ainsi dans une maison d’accueil spécialisée, le personnel, très engagé


et bienveillant, était perturbé par l’attitude d’un résident qui se jetait par
DO

terre, affirmaient-ils, au retour de chaque promenade, dès qu’il se retrou-


vait dans les murs de l’établissement. Plusieurs membres du personnel ont
alors « interprété » ce phénomène en disant que ce résident ne voulait pas
rester chez eux, que son comportement était un signe de rejet et que le
personnel ne savait pas faire pour donner à ce résident l’envie de rester.
Les observations structurées ont finalement démontré au personnel que ce
comportement problématique survenait à beaucoup d’autres moments et
que le contexte « retour dans l’établissement » était marginal par rapport au
reste. Le personnel se sentait ainsi déculpabilisé et se mit à réfléchir sur des
pistes concrètes de prise en charge, ce qui améliora la situation.

« Il faut accepter la personne handicapée


quoi qu’elle fasse ! »
Dans certains lieux de vie, nous avons pu observer des situations de détresse
liées à un sentiment excessif de responsabilité. L’exemple de Sonia cité pour
illustrer la conceptualisation montre comment une direction d’établis-
sement, tout bienveillante qu’elle soit, peut avoir une attitude moralisatrice
Soutenir les professionnels 213

envers le personnel au lieu d’adopter une position de résolution de pro-


blème. Dans d’autres établissements, la direction insiste pour que le per-
sonnel « accepte le résident » quoi qu’il fasse. Dans un tel contexte, toute
remise en question de l’adéquation du lieu de vie est interprétée comme
un rejet, qui serait contraire à l’éthique du métier et aux « valeurs » de
l’établissement. Une telle attitude, partant d’un noble sentiment, risque,
si elle n’est pas nuancée, de produire des effets délétères, aussi bien sur le
personnel que sur le résident.
Valentin était un jeune homme porteur d’un TSA avec retard mental
sévère. Il était en bonne santé physique. Il vivait chez ses parents jusqu’à
l’âge de 16 ans environ. Il avait déjà présenté des comportements agressifs
pour lesquels ses parents recherchaient des solutions éducatives et médi-
camenteuses. Finalement, les parents ont trouvé une place pour Valentin
dans une maison d’accueil spécialisée, où il avait sa chambre.
Les troubles du comportement ont évolué en s’aggravant : les cris, les
roulements par terre et surtout les coups portés aux autres résidents et au
personnel. Les deux étapes préliminaires ont été faites : un examen médical
T
soigneux n’a pas trouvé de problème particulier, puis les observations struc-
IN
turées ont montré que les comportements agressifs survenaient dans des
contextes très variés, mais toujours en présence du personnel. La moindre
PR

interaction avec un membre du personnel donnait lieu à des comporte-


ments agressifs de plus en plus dangereux. Valentin pouvait ainsi donner
T

des coups de poing, des coups de pied, lancer des objets à la figure des inter-
NO

venants, etc.
Très tôt, le personnel a mis en place une séparation stricte entre Valentin
DO

et les autres résidents pour protéger ces derniers. Sa chambre a été aménagée
de manière à assurer sa sécurité et à lui permettre de sortir pour aller dans
le jardin sans que son chemin croise celui des autres résidents. Le person-
nel, en revanche, était obligé de s’occuper de lui et continuait de recevoir
des coups. Plusieurs éducateurs se sont trouvés en arrêt de travail à la suite
de ces traumatismes physiques. Le psychiatre a mis en route, en concerta-
tion avec les parents, un traitement neuroleptique, qui n’a pas changé ces
troubles du comportement.
Tout le monde était manifestement en souffrance. Pourtant, le personnel
agissait selon une règle de conduite élevée au rang de valeur : « accepter
la personne handicapée quoi qu’elle fasse ». Un fait frappant était que le
personnel « acceptait » de recevoir des coups, c’est-à-dire qu’il confondait
l’acceptation de l’être humain et celle des comportements qu’il produit.
Dans ce type de situation, il est intéressant d’émettre l’hypothèse que la
règle est trop rigide et qu’elle est en contradiction avec une autre règle de
vie « préserver la sécurité et la santé du personnel » et surtout avec d’autres
solutions pratiques, telles que changer de lieu de vie, ou poser simplement
le principe qu’il est inacceptable de recevoir des coups.
214 Interventions

Dans cet exemple-là, la situation a commencé à s’améliorer quand direc-


tion et personnel ont accepté de nuancer cette règle de pensée et d’envisager
toutes les solutions avec les parents.

« Moi, il me comprend ! »
Traiter la question de la communication dépasse le propos de ce livre. Le
thérapeute comportementaliste a cependant toujours le souci que le patient
comprenne au mieux ce qui se passe autour de lui et qu’il puisse exprimer
ses principaux besoins.
Les parents et les professionnels peuvent avoir l’impression que la per-
sonne ayant un handicap mental comprend ce qu’on lui dit. Cette impres-
sion est souvent vraie, mais peut être trompeuse, surtout en cas de syndrome
autistique associé. Une personne autiste peut en effet comprendre ce que
ses parents expriment, mais n’arrive pas à généraliser cette compréhension
à d’autres personnes, et nous ne sommes donc pas devant des compétences
véritablement fonctionnelles. T
Là aussi, des observations structurées et une évaluation concrète des capa-
IN
cités de communication sont indispensables : qu’est-ce qui fait que notre
patient comprend, ou semble comprendre, certaines situations ? comprend-
PR

il la parole ? les signaux non verbaux ? les indices du contexte ?


T

« Il/elle doit respecter le fonctionnement du service »


NO

Le moment du repas était difficile pour Grégory, jeune homme porteur d’un
lourd handicap autistique et vivant dans une MAS. Dès qu’on lui servait son
DO

repas, il se mettait à hurler et jetait son plateau par terre. Les observations puis
l’analyse fonctionnelle faisaient privilégier l’hypothèse que les stimuli senso-
riels (voir les autres, entendre les bruits) provoquaient ces réactions de détresse.
Le personnel a alors tenté plusieurs solutions : faire manger leur résident
un peu à l’écart, manger face au mur ou dans sa chambre, c’était en vain, les
troubles du comportement persistaient. L’idée que l’on pouvait faire manger
ce résident après les autres avait été écartée dès le début parce que le fonc-
tionnement du service ne le permettait pas : il y avait deux services au repas,
ce qui nécessitait un temps prolongé de service puis de nettoyage. Il n’était
donc pas question d’y ajouter un troisième service pour Grégory. Finalement,
pour rendre possible cette piste de travail prometteuse, il a fallu réorganiser
le temps du repas en impliquant la direction de l’établissement, ce qui a
permis de respecter le temps de travail du personnel, le fonctionnement du
service et les besoins du résident. Les troubles du comportement ont disparu.
Louis est un homme âgé de 65 ans qui vient d’être admis en maison de
retraite. Il avait travaillé toute sa vie comme ouvrier dans une usine. Le per-
sonnel se plaignait que, lors du repas de midi, Louis se jetait sur le chariot
repas dès qu’il l’apercevait pour pouvoir le pousser jusqu’à la salle à manger et
Soutenir les professionnels 215

aider le personnel dans la distribution des plateaux-repas. Ce comportement


perturbait manifestement le déroulement du repas. Les thérapeutes auxquels
l’établissement a fait appel ont diagnostiqué chez cette personne un TSA,
qui n’avait pas été évoqué dans le passé. L’observation du comportement
montrait que de toute évidence Louis n’agressait pas les autres ; il voulait
simplement se rendre utile et peut-être sortir de la routine de sa vie en éta-
blissement. Les membres du personnel étaient réticents au début à admettre
ce comportement, « pourquoi lui et pas les autres ? ». Cependant, quand
ils se sont résolus à voir ce comportement comme normal, ils se sont sentis
apaisés et le déjeuner de tous les résidents est redevenu un moment agréable
de convivialité. Ils ont même adopté l’idée que ce comportement, tout inha-
bituel qu’il fût dans le fonctionnement du service, était le reflet d’une qualité
de ce résident (être serviable) et qu’il devait être valorisé et encouragé.

Analyse fonctionnelle de l’incompétence


T
La question de l’incompétence est souvent posée avec amertume dans le
champ du handicap. Les familles se demandent si telle institution ou tel
IN

professionnel est suffisamment formé(e) à l’autisme et désireux(se) d’aider


PR

leur proche. Les professionnels, au contact de ces sujets qui ont tant de
difficulté à s’exprimer et qui présentent souvent des comportements décon-
certants, se demandent s’ils sont compétents pour aider la personne.
T

La TCC est une vision qui nous aide ici à faire face et à sortir des attitudes
NO

de jugement pour entrer dans une démarche de résolution de problème :


l’incompétence n’est pas un caractère stable de la personnalité d’un profes-
DO

sionnel (ni de celle d’un parent), mais une caractéristique d’un comporte-
ment donné dans un contexte donné.
Il faudra alors faire l’analyse fonctionnelle de cette incompétence. La
démarche que nous suivons dans l’accompagnement proposé aux équipes
se fonde sur l’analyse fonctionnelle de cette « incompétence » :
• dans quel contexte se manifeste-t-elle ?
• quelles sont les cognitions et les émotions de l’équipe dans ce type de
situation ?
• quels sont les problèmes et comportements précis qui font dire, et surtout
penser ou sentir, que je suis (ou que quelqu’un d’autre est) « incompétent »
dans ce type de situations ?
• quelles sont les conséquences de ces comportements sur les profession-
nels, les patients ?
De cette analyse fonctionnelle découleront les différentes pistes très
concrètes menant à améliorer la situation. Nous présentons dans le
tableau 25.1, de façon non exhaustive, les domaines dans lesquels on peut
repérer l’origine du problème ainsi que des exemples de « thérapies » que
tout professionnel peut demander et s’approprier.
216 Interventions

Tableau 25.1. Analyse fonctionnelle de l’incompétence.


Quelles questions poser Exemple de solutions
Contexte/situations Dans quelles situations précises Discuter des situations,
je rencontre des difficultés. rechercher ou proposer des
formations adaptées, des
supervisions, etc.
Pensées/cognitions Ce patient peut être dangereux. Rechercher un climat de
Les parents de cette confiance dans l’équipe
résidente (ou ma hiérarchie) Partager ces pensées avec sa
m’accuseront de mal faire mon hiérarchie et avec les proches
travail. de la personne (du moins avec
Ces méthodes qu’on m’oblige quelques-uns)
à appliquer sont trop
compliquées ; je ne suis pas
sûr qu’elles servent à quelque
chose.
Émotions et Peur, fatigue, colère, etc. Proposer un espace d’écoute ;
sensations
T accepter toutes les émotions et
IN
les considérer comme normales
Actions et Le travail des professionnels Repérer les comportements
PR

conséquences est-il suffisamment apprécié professionnels adaptés, les


(les lois de (par eux-mêmes, par la augmenter et enrichir et en
l’apprentissage hiérarchie, par les usagers et augmenter les conséquences
T

opérant) leurs familles, etc.) ? appétitives (se voir en réunion


NO

Le cadre du travail apporte-t-il pour évoquer ce qui va bien, s’en


du plaisir ? féliciter, réfléchir sur ce qui aide
Les comportements de à progresser davantage, etc.)
DO

compétence (prise d’initiative, Lorsque des événements


travail en collaboration, fâcheux, des échecs et des
inventivité raisonnée, etc.) critiques se produisent : garder la
sont-ils renforcés ou au sérénité, adopter une démarche
contraire inhibés par la de résolution de problèmes,
hiérarchie ? éviter les accusations et les
jugements, etc.
Forces et valeurs L’équipe prend-elle le temps Consacrer un temps régulier
de discuter de ses valeurs pour parler de ce qui va bien et
communes ? du sens de son pour voir ce qu’on peut modifier
travail ? de ses forces et atouts ? dans l’environnement pour que
le travail apporte encore plus de
satisfaction aux professionnels
Nous nommons ici « incompétence » tout comportement ou situation qui provoque de la
souffrance au travail ou qui fait penser aux autres, mais surtout au professionnel lui-même
qu’il n’arrive pas à faire face à son travail auprès des personnes ayant un TSA et/ou un retard
mental.
Soutenir les professionnels 217

Prenons l’exemple d’un éducateur ayant correctement suivi sa formation


de base, et qui se trouve à s’occuper de personnes ayant un TSA avec retard
mental. Un jour, face à un geste agressif d’un résident à l’encontre d’un
autre résident, il se met à apostropher l’agresseur et à lui expliquer pour-
quoi il ne faut pas agresser les autres. Le sujet qui a agressé, ne comprenant
rien au discours de l’éducateur, et se voyant l’objet d’une attention dont
il ne saisit pas le sens, devient anxieux et agresse encore plus. Ici, on peut
émettre l’hypothèse que le professionnel manque de connaissances sur le
fonctionnement des personnes autistes (il ne sait pas qu’il ne faut pas débi-
ter des conseils verbaux incompréhensibles) et de formation en science du
comportement (il ne sait pas qu’il faut faire attention à ne pas renforcer un
comportement inadapté en y accordant un intérêt trop important). On peut
aussi se demander si les conditions du travail, l’organisation du personnel,
la structuration du lieu de vie, les activités proposées dans cette institution,
etc., sont adéquates. On voit ici que l’incompétence n’a de sens que quand
on parle de gérer ce type de situations dans cet environnement-là.
Dans tous les cas, suivant les principes du comportementalisme, il est
T
plus utile de promouvoir la compétence que de lutter contre l’incompé-
IN
tence, ce qui nous amène à parler des forces de l’équipe.
PR

Forces de l’équipe
T

Une équipe de professionnels a besoin de se pencher sur les problèmes.


NO

Nous avons cependant une fâcheuse tendance, dans les services médicaux
et médicosociaux (de même d’ailleurs que dans les familles) à parler davan-
DO

tage des dysfonctionnements. Nous avons souvent rencontré des équipes


éducatives ou soignantes qui expriment une grande souffrance, leur atten-
tion étant focalisée sur quelques problèmes qui empoisonnent leur quo-
tidien. Quand on les interroge sur ce qui fonctionne bien, sur les progrès
accomplis dans leurs services depuis quelques années, sur les petites choses
qui leur font plaisir dans leur travail, on en découvre une foule !
Quelles sont les forces d’une équipe ? Nous n’avons pas ici la prétention
de répondre à cette question d’un point de vue du « management » mais
proposons plutôt cette histoire qui nous en apprend sur ces forces et qui
illustre bien les découvertes de la psychologie positive.
Le personnel d’une maison d’accueil spécialisée a fait appel à nous pour
les aider à gérer des troubles du comportement graves chez un de leurs rési-
dents qui avait un TSA avec retard mental profond et qui était dépendant
du personnel pour presque tous les gestes de la vie quotidienne. Ce rési-
dent criait tout le temps : sans raison apparente, il poussait des hurlements
déchirants, très puissants, presque tout le temps ! Les traumatismes auditifs
subis par le personnel étaient tels que plusieurs éducateurs avaient consulté
le médecin du travail puis un oto-rhino-laryngologiste ; ils souffraient les
218 Interventions

uns d’acouphènes, les autres d’une perte auditive… sans parler du stress
généralisé.
Parmi les autres résidents, tous porteurs de handicap mental lourd, beau-
coup présentaient aussi des troubles du comportement.
Malgré cette situation très difficile, le personnel de la MAS est resté très
investi dans son travail ; ils étaient engagés dans ce qu’ils faisaient, parlaient
avec intérêt de leurs résidents, de ce que les professionnels avaient tenté
pour améliorer la situation des résidents et l’environnement de travail mal-
gré un manque de moyen. Ils avaient, par exemple, déplacé la chambre du
résident qui crie de façon qu’il dérange moins ses voisins ; ils faisaient appel
au médecin pour des examens et des soins somatiques fréquents chez les
résidents ; ils avaient obtenu la possibilité d’installer une isolation acous-
tique dans la chambre du résident qui crie ; certains d’entre eux portaient
des bouchons d’oreille.
Il régnait une bonne ambiance dans ce service.
Le personnel a bien relevé des observations structurées comme nous le
lui avons préconisé et a participé avec notre équipe pour faire l’analyse
T
fonctionnelle et produire des hypothèses de travail. Ils en savaient les bases
IN
et notre équipe les a simplement aidés à enrichir cette « culture de l’analyse
fonctionnelle ». Le directeur de l’établissement et le médecin ont participé
PR

à certaines réunions de travail.


Progressivement, le personnel a progressé dans la prise en charge de ce
T

résident et la situation s’est légèrement améliorée. Le personnel de cette


NO

MAS est surtout devenu conscient de ses forces, que notre équipe a aidé à
souligner :
DO

• les valeurs personnelles de chacun (la bienveillance envers les résidents,


la solidarité, la curiosité intellectuelle, etc.) ;
• les valeurs communes de l’équipe (la solidarité, la bienveillance envers les
collègues, la confiance, etc.) ;
• le soutien par la hiérarchie ;
• l’inventivité (tester des outils, essayer, ne pas se laisser bloquer par un
constat de manque de moyens) ;
• la capacité d’accepter ses propres émotions et celles des autres ;
• la capacité d’accepter l’aide proposée par d’autres professionnels sans se
sentir dévalorisé.

Un savoir partageable
Un des aspects réjouissants de la TCC est que ce modèle est partageable par
tous les acteurs d’une situation ; le thérapeute en TCC (intervenant extérieur
ou psychologue ou médecin faisant partie de l’équipe) a certes une posi-
tion d’« expert », mais son souci permanent est de mettre en commun ses
connaissances, d’expliquer les processus à l’œuvre, les thérapies proposées
Soutenir les professionnels 219

et comment les évaluer. Le thérapeute discute de ses observations, modèle


et hypothèses avec les professionnels et les familles en les adaptant à la
situation de chacun.
Dès lors, il n’y a pas de savoir mystérieux ni de « vérité » profonde qu’une
personne détient : il y a des données scientifiques, un savoir et un savoir-
faire que les uns et les autres partagent dans un esprit de bienveillance.
La force d’une équipe vient aussi du sentiment d’avoir des objectifs et des
valeurs communs, et surtout du fait que ces objectifs et valeurs (encore une
fois) ne sont pas que des règles intellectuelles ou des slogans qui figurent sur
les documents, mais qu’ils se traduisent en actes dans la vie quotidienne.
En plus des formations sur l’autisme et sur le handicap mental, il est
important pour une équipe de se former à la TCC, ce qui donne une base
théorique et surtout pratique pour agir sur les difficultés et ne pas rester à
la merci du handicap, des troubles du comportement, des ressentiments. La
TCC est un excellent moyen d’habilitation (empowerment) : on n’est plus
une plume passive emportée par le vent du handicap ; on est un acteur qui
réfléchit, décide, fait des choix en collaboration avec le reste de l’équipe et
T
dans un esprit de bienveillance.
IN
La tendance naturelle dans une équipe d’aidants est d’interpréter
d’emblée les situations de leurs résidents, ce qui les prive des hypothèses
PR

de travail qui auraient pu être élaborées si l’équipe adoptait une démarche


scientifique. Ainsi, la priorité dans le plan de formation d’une équipe de
T

soins ou d’une équipe éducative doit être accordée à la formation aux obser-
NO

vations structurées et à l’analyse fonctionnelle. Ayant acquis cette culture


de l’analyse fonctionnelle et du raisonnement par hypothèses, les profes-
DO

sionnels arriveront à résoudre beaucoup de situations difficiles et à obtenir


satisfaction et plaisir dans leur travail. Par la suite, des formations dans des
domaines plus spécifiques peuvent s’avérer nécessaires, notamment dans le
domaine de la sensorialité et de la vie affective et sexuelle.

La résolution de problèmes
Ayant évoqué à plusieurs reprises dans cet ouvrage la démarche de « résolution
de problèmes », nous présentons ici de façon sommaire ce processus. Le lecteur
souhaitant en savoir plus peut se référer aux ouvrages généralistes de TCC (par
exemple Chapelle et al. 2011 ; Cottraux, 2011) ainsi qu’aux nombreux travaux
de D’Zurilla, Chang, Nezu, etc.).
La résolution de problème, procédé « adopté » par la TCC, comporte deux pro-
cessus :
• l’orientation au problème : c’est l’attitude du sujet face à une situation-
problème. Si la personne reconnaît le problème et ressent une certaine
confiance dans la possibilité de trouver une solution, cela facilite la résolution

220 Interventions


du problème. À l’inverse, si le sujet craint le problème et évite la situation, la
résolution de problèmes s’en trouve entravée ;
• la résolution de problème, au sens strict, est un processus de plusieurs étapes :
– définir le problème : rassembler un maximum d’informations, faire des
observations factuelles et pertinentes, fixer un objectif réaliste et concret
pour améliorer la situation ;
– rechercher toutes les solutions possibles : rendre disponible un maximum
de solutions, de manière à augmenter la probabilité que la meilleure solution
soit trouvée ;
– prendre une décision : évaluer les avantages et les inconvénients de chaque
solution disponible, à court et à long terme pour en choisir la meilleure.
Trouver la « meilleure » solution repose sur quatre critères : la probabilité
d’atteindre le but fixé, les conséquences sur le bien-être émotionnel, le temps
et les efforts requis, et l’impact sur le bien-être personnel et social global.
• mettre en œuvre la solution choisie et évaluer les résultats. Si les résultats
observés ne sont pas satisfaisants, il faudra déterminer à quel niveau se situe la
difficulté et reprendre le cycle à une étape antérieure pour trouver une solution
T
plus pertinente.
IN
La résolution de problème est un procédé simple, qui peut nous sembler sim-
pliste, mais auquel nous ne pensons même pas. En effet, face aux difficultés,
PR

nous sommes souvent en proie à des émotions négatives fortes, qui nous empê-
chent de raisonner et de considérer toutes les solutions possibles. Ce procédé,
T

en plus, sépare la recherche de solution de l’évaluation de leurs résultats, ce qui


NO

permet d’augmenter le nombre de solutions envisagées.


DO
26 Pour conclure :
conceptualiser encore
Le cercle vertueux de la TCC

Samuel est un homme de 35 ans. Ses parents avaient sollicité des services
spécialisés dès les premières années de vie de leur enfant. Des diagnostics tels
que dysharmonie évolutive et psychose infantile avaient été évoqués. Les
bilans neuropsychologiques concluaient aussi à un retard mental moyen.
Samuel a ensuite suivi un parcours difficile dans des établissements
spécialisés.
À l’âge de 18 ans, ses parents et le personnel de l’IMPRO qu’il fréquen-
tait furent effrayés par l’apparition d’idées délirantes et d’hallucinations.
Samuel parlait de voix et d’images qu’il entendait ; d’animaux effrayants
T
et maléfiques. Il était de plus en plus anxieux et agité ; il poursuivait ses
IN
camarades et leur faisait peur.
Ses parents étaient très inquiets et finirent par le conduire au service des
PR

urgences.
Il fut hospitalisé en psychiatrie ; les médecins ont diagnostiqué un épi-
T

sode psychotique aigu et prescrit un traitement par benzodiazépines et


NO

antipsychotiques. Plusieurs médicaments furent essayés jusqu’à ce que


Samuel retrouve un peu de calme grâce à un médicament antipsychotique
DO

à libération prolongée (par injection intramusculaire une fois par mois).


À la sortie de l’hôpital, il a fréquenté un service d’accueil de jour, qui lui
proposait des activités occupationnelles et de loisir.
Il progressait très lentement, gagnait en maturité. Il ne parlait plus de
voix ni d’images effrayantes, mais ses parents, conscients que leur fils avait
des difficultés pour comprendre son environnement et pour s’exprimer,
étaient sur le qui-vive, d’autant plus que Samuel restait très anxieux. Le
père se méfiait aussi du traitement médicamenteux et se demandait si celui-
ci n’inhibait pas les talents et l’énergie de son fils. La mère, au contraire, se
disait rassurée par ce traitement qui avait permis à son fils de retrouver un
peu de calme après une longue période d’angoisse qui touchait finalement
toute la famille. De plus, le personnel du centre d’accueil de jour était en
difficulté : d’une part, il ne savait pas quelle activité proposer à Samuel,
qui bougeait en permanence et était trop anxieux pour s’investir dans les

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222 Interventions

activités manuelles et les sorties proposées, et, d’autre part, il s’inquiétait de


quelques résurgences d’idées délirantes.
C’est dans ce contexte que les parents ont sollicité une équipe de théra-
peutes en TCC.
Les thérapeutes ont souhaité apporter davantage de liberté et d’autono-
mie à Samuel.
Les parents étaient d’accord avec cette idée ; ils voyaient bien que leur fils
manquait de sérénité et ils avaient envie de le voir plus indépendant par
rapport à la famille ; il était épuisant au quotidien.

Liste des problèmes, paramètres à mesurer


Des observations structurées ont été faites aussi bien à la maison qu’au sein
du service d’accueil de jour pour repérer les principaux comportements pro-
blématiques de Samuel et pour en estimer la fréquence.
Les premières observations ont permis de dresser une liste des problèmes :
• ne pas tenir en place plus de 10 secondes ;T
• ne pas retenir les informations données ;
IN
• une anxiété de fond quasi permanente, malgré le traitement ;
• l’anxiété devenait envahissante dès la moindre incertitude, se transfor-
PR

mant en attaque de panique (au moins 2 à 3 fois/semaine) ;


• une incapacité à supporter les transitions ;
T

• une peur de descendre les escaliers chez lui (Samuel affirmait que quand il
NO

approchait les escaliers, il se sentait aspiré par le sol et était sûr de tomber) ;
• une incompréhension des situations sociales ;
DO

• une incapacité à rester seul et à s’occuper seul.


On a convenu des paramètres à mesurer :
• le temps que le patient est capable de passer sur une tâche ;
• le niveau de l’anxiété de fond (celle-ci était cotée à 9/10 par les parents) ;
• le nombre d’attaques de panique par semaine.
La thérapie a commencé par étudier les antécédents médicaux de Samuel
et par établir une relation de confiance avec lui et avec ses parents et le
personnel du service qu’il fréquentait.

Conceptualisation
Les thérapeutes ont construit avec les parents un schéma pour émettre des
hypothèses sur les rapports entre les différents comportements probléma-
tiques (figure 26.1).
Cette figure montre une ébauche de conceptualisation. Les principaux
comportements problématiques de Samuel sont « jetés » au hasard sur
une feuille de papier au fur et à mesure que nous les repérons ; ceux-ci
peuvent correspondre à des symptômes psychiatriques, à des catégories
Pour conclure : conceptualiser encore 223

T
Figure 26.1. Hypothèses sur les rapports entre les comportements problèmes.
IN

diagnostiques, à des problèmes sociaux ou autres soulevés par le patient, ses


PR

parents ou les soignants et éducateurs.


Nous tentons par la suite d’émettre des hypothèses sur les relations de
T

causalité entre ces comportements : lequel aggrave lequel ?


NO

Une des principales hypothèses était que si on améliorait les capacités


de concentration de Samuel, il serait plus disponible (avoir de meilleures
DO

capacités mnésiques, une meilleure concentration, etc.) pour apprendre les


compétences qui lui seraient utiles dans la vie : les habiletés sociales, la
relaxation, l’autonomie pour organiser son emploi du temps.
Les psychotropes contribuent à ralentir Samuel et à diminuer ses capaci-
tés cognitives. Si on diminuait les doses des médicaments ou si on arrivait à
en arrêter certains, les capacités d’apprentissage s’amélioreraient.
Chacun des comportements problématiques (chaque « bulle ») peut faire
l’objet d’une analyse fonctionnelle détaillée, ce qui serait évidemment
trop compliqué et pas forcément utile. Le thérapeute doit donc choisir. Ici
nous avons choisi de nous focaliser sur les situations qui entraînent le plus
d’anxiété, à savoir poser des questions incessantes et ne pas rester sur les
tâches suffisamment longtemps. Pour ne pas alourdir notre présentation,
nous avons fusionné dans la figure 26.2 ces deux types de situations dans
le schéma d’analyse fonctionnelle. Cette fois, pour décortiquer les consé-
quences, nous utilisons le tableau des conséquences selon leurs valences
(figure 26.3).
Samuel est anxieux dans beaucoup de situations parce qu’il ne les
comprend pas ; ses schémas de pensée se sont construits autour de ces
224
Interventions
T
IN
PR
T
NO
DO

Figure 26.2. Schéma d’analyse fonctionnelle chez Samuel.



T
IN
PR

Pour conclure : conceptualiser encore


T
NO
DO

225
Figure 26.3. Analyse des conséquences chez Samuel.
226 Interventions

croyances « le monde est incompréhensible pour moi », « les autres connais-


sent les réponses à mes questions », « si je ne trouve pas la réponse à mes
questions je serai encore plus mal ».
Dans le domaine de la régulation des émotions : Samuel a du mal à dis-
tinguer ses émotions et à les proportionner ; il a du mal à les accepter.
Dans le domaine des forces et de la psychologie positive : Samuel, dont
la vie quotidienne est gangrenée par l’anxiété, les injonctions reçues par
les parents et les professionnels, les inquiétudes et déceptions que tout le
monde lui renvoie, n’a pas souvent l’occasion de prendre conscience de ses
propres qualités et forces (ni les autres n’ont cette occasion) et de les exercer.

Pistes de thérapie
Des pistes ont pu être trouvées :
• réduire progressivement et lentement le traitement de Samuel : les parents
étaient réticents au début, mais les thérapeutes, grâce à l’entretien motiva-
tionnel (style d’entretien souvent utilisé en TCC et basé sur les questions
T
ouvertes, les reformulations et l’empathie), ont pu expliquer aux parents
IN
les bénéfices et les risques de cette diminution et comment faire face aux
risques ;
PR

• apprendre progressivement à allonger les séances de travail, d’abord


par une technique très brèves de relaxation-respiration puis en allongeant
T

chaque semaine de 30 secondes environ la durée des séances d’entraîne-


NO

ment aux habiletés sociales. Au bout de plusieurs semaines et de plusieurs


tentatives, Samuel était capable de rester concentré sur son travail pendant
DO

10 minutes, temps cependant aménagé par des moments de distraction. À


chaque moment de distraction, le thérapeute proposait à Samuel de respirer
doucement et de se rappeler qu’on était en séance de travail. À l’issue de
chaque séance, Samuel était renforcé par des activités qu’il aimait (écouter
de la musique, tourner en rond dans la pièce, poser des questions aux thé-
rapeutes).
En parallèle, les thérapeutes ont amené Samuel à réfléchir sur ses forces
et sur ce qui va bien dans sa vie. Comme le montre la figure 26.2, les prin-
cipales forces de Samuel étaient sa gentillesse, sa recherche du contact
humain et sa sensibilité aux encouragements. Les forces de ses parents aussi
ont été soulignées et utilisées : ils sont patients, soutiennent leur fils et font
confiance aux soignants.
Les aménagements que les parents avaient trouvés tout seuls pour facili-
ter la vie à la maison ont été repris et valorisé : par exemple, les parents ont
renforcé l’éclairage de l’escalier dans la maison ; Samuel s’est senti ainsi plus
à l’aise pour emprunter les escaliers.
À la suite de ces premières pistes de thérapie, et un peu en même temps
dès que la situation le permettait, les thérapeutes travaillaient avec Samuel
Pour conclure : conceptualiser encore 227

sur les habiletés sociales. Ils reprenaient avec lui, calmement et dans un
esprit de curiosité et de résolution de problèmes, les différentes maladresses
qu’il présentait pendant les séances de thérapie (ne pas dire bonjour, assail-
lir les autres par ses questions même quand ils ne sont manifestement pas
disponibles). Une grande avancée a été que le patient est devenu curieux
(dans le bon sens du mot) de savoir comment fonctionnent les relations
sociales. Le climat de confiance qui s’était installé a permis ce travail sur les
« gaucheries » sans culpabilité.
La relaxation (basée sur la respiration abdominale) a été introduite dès
le début « à petites doses », selon la disponibilité de Samuel : dès qu’il se
montrait anxieux ou qu’il commençait à s’agiter, le thérapeute lui proposait
de sentir sa respiration, l’air qui entre et ressort de sa poitrine, le ventre
qui monte doucement puis redescend. Samuel a beaucoup apprécié cette
approche ; il apprenait à mettre la main sur le ventre pour sentir ses mouve-
ments, et la détente et le plaisir qui apparaissaient étaient des renforçateurs
puissants pour continuer à apprendre et à pratiquer la relaxation.
T
IN
Résultats
Samuel est toujours autiste et il a toujours un retard mental moyen ! Mais
PR

sa vie et celle de ses parents ont beaucoup gagné en sérénité : le traite-


ment a pu être réduit de façon importante, et les effets indésirables (fatigue,
T

somnolence dans la journée, etc.) en ont disparu. L’anxiété de fond a été


NO

réduite de moitié environ et il n’y a plus eu d’attaque de panique depuis


deux ans. Comme décrit plus haut, Samuel arrivait à se concentrer sur une
DO

tâche pendant plusieurs minutes, ce qui a permis de travailler avec lui la


relaxation et les habiletés sociales : il arrive maintenant à se relaxer tout
seul (ou presque ; il faut souvent lui rappeler de mettre la main sur le ventre
quand il commence à paniquer !) et sa conduite en société est plus adaptée ;
il salue ses interlocuteurs avant de leur poser des questions et arrive même à
s’arrêter seul quand il voit que son interlocuteur n’est pas disponible.
Le cercle vertueux de la TCC s’est mis en place et les hypothèses de départ
sont confirmées.
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Index

A ––épanouissant, 27, 40, 68, 95, 141


Activation comportementale, 155 ––problématique, 103
Agoraphobie, 119, 137 ––sexuel, 143
Alliance thérapeutique, 44 ––trouble du, 111
Analyse Conceptualisation, 25, 29, 106, 222
––fonctionnelle, 28, 35, 79, 147, 201, 215 Conditionnement
–– – du déficit d'habileté sociale, 147 ––opérant, voir apprentissage
––topographique, 85, 106, 182 ––répondant (classique), 24, 57, 59, 60,
Anhédonie, 113 61, 97
Antalgique, 60 Contingence, 48, 127
Appétitif, 85 Corps, 59, 60, 62, 63
Apprentissage, 27 Cyclothymie, 115
T
––opérant, 24, 97
D
IN
––répondant, 24, 57, 97, 136
Dépression, 12, 16, 95, 113, 155
––social, 98, 130, 131
Diagnostic, 31
PR

––vicariant, 131, 132


––différentiel, 19
Aversif, 85
Douleur, 60, 96, 111
T

B
NO

E
Bienveillance, 44, 218
Bipolarité, 114 Émotion, 38, 61, 89, 132, 161, 165
Entourage, 56
DO

C Entraînement aux habiletés sociales, 147


Carte-action, 156, 164, 171 Entretien
Cognitif ––motivationnel, 41, 184, 191
––anomalie, 18 Épisode psychotique, 221
––fonctionnement, 36 Estime de soi (et mésestime de soi), 18, 28,
––piège, 211 61, 188
––règle, 157, 158 Évaluation, 34, 44, 173, 177
––schéma, 35, 87, 157 Évitement, 137
––thérapie, 35 F
Cognition, 35, 36, 87
Fonction
––sociale, 9
––exécutive, 9
Colère, 42, 62, 81, 131, 137, 157
Force, 39, 40, 91, 156, 187, 197, 205,
––ateliers de la, 165
217
––carte, 163, 171
––carnet des, 163
––gestion de la, 57, 166
Communication, 50 G
––non verbale, 51, 150 Généralisation, 136
Comorbidité, 12, 68, 113, 117, 154 Gestion de la colère, 166
Comportement, 81, 182
––agressif, 111, 113, 114 H
––de santé, 61 Habileté sociale, 147

TCC dans l’autisme et le retard mental


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234 TCC dans l’autisme et le retard mental

I Renforcement, 87
Inhibition ––chimique, 165
––réciproque, 163 ––négatif, 49, 127, 128, 137
Irritabilité, 113 ––positif, 49, 127
––protocole de, 43
J Répertoire comportemental, 47, 132
Jeux de rôle, 169 Résolution de problème, 152, 219
Retard mental, 15, 19
L
Langage S
––fonctionnel, 4, 5, 50, 51 Scénario social, 172
––non verbal, 6 Schéma, 35
––pragmatique du, 5 ––cognitif, 35, 36
Logorrhée, 37 Sensation corporelle, 89
Sensoriel
M ––profil, 54, 61
Médicament, 115, 117 Séquence comportementale, 23, 79, 80
––interactions avec la TCC, 118 Sexuel , 62
Mésestime de soi, 61 ––comportement, 62, 143
Mesure, 33 ––excitation, 62
T
Motivation, 41, 44, 91, 181 Situation, 80
IN
––différentielle, 89
O Spécification, 4
PR

Observation, 32 Stéréotypie, 6, 170


Opération établissante, 193 Stimulus
––annexe, 81
T

P ––antécédent, 56, 80
NO

Particularité ––conséquent, 83
––cognitive, 9 ––lointain, 81
––sensorielle, 10, 53, 139 ––principal, 81
DO

Phobie, 137 Suicide (et risque suicidaire), 12, 16, 113


Plaisir, 6, 59, 155 Symptômes, 67, 68, 118
Profil sensoriel, 54
Psychologie positive, 39, 80, 191 T
Psychométrie, 33 Théorie de l'autodétermination, 87, 183, 184
Psychotique Théorie de l'esprit, 9, 157
––épisode, 116, 221 Thérapie
Psychotrope, 117 ––d'acceptation et d'engagement, 191
Punition, 128 Traitement de l'information, 9
Triade autistique, 3
Q Trouble
Quotient intellectuel, 14, 15 ––du comportement, 5

R V
Récompense, 43, 87, 131, 184 Vague
Réglette émotionnelle, 168 ––de la TCC, 24, 80
Relaxation, 169, 170 Valence, 85
Renforçateur, 42, 141, 190 Valeur, 41, 84, 191, 193, 197

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