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Dr Philippe Rodet

La
bienveillance,
source
d’espérance

Comment elle peut aider à alléger le stress,


garder le moral en toutes circonstances
et être la clé d’une motivation individuelle
et d’une fierté collective
Et si nous empruntions la voie de la bienveillance
pour cultiver plus d’espérance au quotidien ?

La bienveillance est une garantie d’épanouissement et de bien-être mais


aussi de réussite individuelle et collective. Quand nous sommes confrontés
à des crises, que le stress atteint un niveau important, que l’état moral est
dégradé, que l’envie s’est eondrée, il est temps, plus que jamais, de s’engager
dans cette voie.
La bienveillance est essentielle car l’adopter c’est agir pour le bien de l’autre
et contribuer ainsi, chaque jour, à rendre notre société meilleure. Vous
découvrirez dans cet ouvrage, grâce au Dr Philippe Rodet, spécialiste du sujet,
de quelles façons y parvenir. Vous comprendrez comment accompagner au
mieux vos salariés mais aussi votre famille, vos amis, vos collègues... Libérés
du stress et du mal-être, ces derniers trouveront enfin la voie de l’engage-
ment et de la réussite, la clé pour retrouver confiance en l’avenir.
La bienveillance, dans bien des situations, transforme les soucis en défis
en permettant de mieux gérer les relations humaines, d’oser faire les bons
choix de vie, de trouver l’énergie nécessaire à un nouveau départ, de mieux
appréhender son temps, ses émotions... Véritable guide pratique, ce livre pro-
pose des solutions concrètes dans les domaines de la santé, de la vie profes-
sionnelle et personnelle.

Médecin urgentiste de formation, le Dr Philippe Rodet a parcouru le monde pour


sauver des vies dans des pays parfois en guerre ; les méfaits du stress dans les situ-
ations les plus désespérées n’ont pas de secrets pour lui. Aujourd’hui, en tant que
consultant, il œuvre à la promotion de comportements bienveillants au sein des
organisations. Il fait figure d’expert incontournable dans la mise en œuvre de la bien-
veillance au travail.
La bienveillance,
source d’espérance
Éditions Eyrolles
61, bd. Saint-Germain
75005 Paris
www.editions-eyrolles.com

Correction/relecture : Emmanuelle Peraldi, Nadia Bellon

Depuis1925, les éditions Eyrolles s’engagent en proposant des livres pour


comprendre le monde, transmettre les savoirs et cultiver ses passions ! Pour conti-
nuer à accompagner toutes les générations à venir, nous travaillons de manière
responsable, dans le respect de l’environnement. Nos imprimeurs sont ainsi choisis
avec la plus grande attention, afin que nos ouvrages soient imprimés sur du papier
issu de forêts gérées durablement. Nous veillons également à limiter le transport
en privilégiant des imprimeurs locaux. Ainsi, 89 % de nos impressions se font en
Europe, dont plus de la moitié en France.

En application de la loi du 11mars 1957, il est interdit de reproduire intégrale-


ment ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans
l’autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie,
20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Éditions Eyrolles, 2024


ISBN : 978-2-416-01400-0
Dr Philippe Rodet

La bienveillance,
source d’espérance
Comment elle peut aider
à alléger le stress, garder le moral
en toutes circonstances
et être la clé d’une motivation
individuelle et d’une fierté collective
Ce livre est dédié à celles et ceux qui se mobilisent
pour faire émerger un nouveau paradigme
porteur d’espérance, fondé sur la bienveillance.
Remerciements

Merci à celle et ceux qui ont partagé leur expérience et ont


enrichi cet ouvrage de leurs connaissances :
Don Pascal-André Dumont : économe général de la
Communauté Saint-Martin ;
DonJean-RémiLanavère : directeur adjoint de l’École supé-
rieure de philosophie et de théologie de la Communauté
Saint-Martin ;
SylvieNoël : présidente de l’Adra 1 ;
Yves Desjacques : consultant stratégie sociale et
Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ex-directeur
des ressources humaines des groupes Casino, La Poste et
de la Communauté de communes de Nice Côte d’Azur ;
PatrickNégaret : conférencier, ex-directeur général de la
CPAM des Yvelines et de la Sarthe ;
StéphaneRousseau : ex-directeur des systèmes d’informa-
tion du groupe Eiffage, vice-président et administrateur
du Cigref 2 .

1. Association des directeurs et responsables achats. En ligne : adra-association.com


2. Association de promotion du numérique. En ligne : www.cigref.fr

7
Sommaire

PRÉFACE – ESPÉRANCE ET BIENVEILLANCE 11

INTRODUCTION – POURQUOI CE LIVRE ? 21

CHAPITRE 1
La bienveillance, clé de la réussite
et d’une vie meilleure .................................................................................... 31
La bienveillance est bien source d’espérance.............................. 31
Avoir parfois besoin de l’impulsion d’une personne
pour réussir et vivre mieux ..................................................................... 34
La bienveillance, clé de la réussite, d’une vie meilleure
et donc source d’espérance ................................................................... 38
La bienveillance, porteuse d’espérance ........................................... 41
Ne cherchons pas la perfection
mais trouvons la voie du bonheur ..................................................... 45
La bienveillance aide à voir les difficultés autrement
et est à l’origine de lendemains meilleurs ..................................... 46

CHAPITRE 2
La bienveillance au travail ........................................................................ 55
Récupérer du temps afin de pouvoir en consacrer
aux comportements bienveillants ...................................................... 55
Un management bienveillant ................................................................ 59
Influence de la bienveillance sur les relations clients ............ 93
La bienveillance au service des achats, par Sylvie Noël ....... 99

9
La bienveillance, source d’espérance

La bienveillance au niveau des services informatiques,


par Stéphane Rousseau ........................................................................... 101
Bienveillance et espérance dans les ressources
humaines, par Yves Desjacques ........................................................ 108
La bienveillance intégrale : économique,
sociale et environnementale ............................................................... 122
De la bienveillance aux Bienveilleurs ............................................. 124

CHAPITRE 3
La bienveillance au service de la santé ....................................... 133
Au niveau de la santé individuelle.................................................... 133
Au niveau de la santé en général...................................................... 180

CONCLUSION .................................................................................................. 187


PRÉFACE

Espérance et bienveillance

Espérance rime avec bienveillance. Sans doute, quant à


l’histoire des mots, est-ce le fait du hasard, mais cette
coïncidence est déjà aussi indicatrice d’un sens. Car sur
le fond, cette fois-ci, l’espérance va effectivement de pair
avec la bienveillance. Pourquoi ? Quel est le lien entre la
bienveillance et l’espérance, et pourquoi est-il essentiel de
redécouvrir, précisément aujourd’hui, cette alliance entre
espérance et bienveillance ?
La bienveillance, comme l’étymologie du terme le dit,
exprime l’attitude de celui qui veut le bien d’un autre.
Être bienveillant envers une personne, c’est lui vouloir du
bien. Et ce n’est pas seulement faire preuve envers elle de
bonne volonté, au sens où la personne bienveillante serait
uniquement celle qui est bien intentionnée –ce qui est
déjà un préalable nécessaire.
Mais être bienveillant, c’est être animé d’une volonté effec-
tive du bien de l’autre. Quelqu’un de bienveillant envers
autrui, ce n’est pas seulement quelqu’un qui « voudrait »
son bien, mais c’est quelqu’un qui le « veut ». Or, le plus
souvent, vouloir le bien de quelqu’un, c’est vouloir pour
lui un bien qui n’est pas encore là, mais dont on souhaite

11
La bienveillance, source d’espérance

qu’un jour il lui advienne. Par exemple, vouloir le bien


d’un membre de l’équipe dont on est le manager, c’est,
s’il le veut et s’il le peut, vouloir qu’un jour il puisse à
son tour devenir manager d’une équipe. On souhaite son
avancement, pourvu que ce soit une avancée pour lui et
pour l’entreprise. C’est donc lui souhaiter un bien qui n’est
pas encore son présent, mais dont on ambitionne qu’il le
soit à l’avenir.
Mais attendre un bien futur, qu’est-ce sinon, précisément,
espérer ? Espérer, ce n’est en effet pas autre chose que
tendre vers un bien qui n’est pas déjà là, mais dont on
aimerait qu’il le soit à l’avenir. Si redouter concerne un
mal futur, espérer regarde un bien futur. Ce n’est pas
pour rien que la langue espagnole, pour dire l’attente,
dit l’espoir, le verbe esperar signifiant « attendre ». Et ce
n’est pas non plus par hasard que, lorsque ce bien à venir
est une personne et que cette personne est arrivée, on lui
souhaite la bienvenue : sa venue, qui était un bien à venir,
est désormais un bien advenu. Puisque la bienveillance
est la volonté du bien, et puisque le bien, pour nous, est
parfois un bien qui n’est pas encore là, de la bienveil-
lance jaillit nécessairement l’espérance, elle qui vise le bien
conjugué au futur. Comme l’écrit CharlesPéguy dans
cet écrit inoubliable sur l’espérance qu’est Le Porche du
mystère de la deuxième vertu, « l’espérance voit ce qui n’est
pas encore et qui sera ».
Posons-nous la question : qu’est-ce que cela présuppose
comme vision de l’être humain ? En quoi la prise en consi-
dération du futur implique-t-elle une vision de l’homme,
et même un humanisme ? Pourquoi est-ce si essentiel, dans
le regard que l’on porte sur l’être humain, de l’envisager
au futur ?

12
Préface

Pour toute une tradition de pensée, mais qui n’a rien perdu
de sa pertinence pour aujourd’hui, la condition de l’homme
est comparable à celle d’un voyageur, d’un marcheur, d’un
être qui avance dans la vie comme on avance sur une route.
En d’autres termes, l’être humain est un viator, c’est-à-dire
un être qui se trouve sur une route (via) sur laquelle il
avance. On parle donc ainsi, à propos de l’homme, de son
« état de voyageur » ou status viatoris. Mais précisément,
en quoi cela nous avance-t-il, dans notre réflexion, de
faire ainsi référence à cette façon de concevoir l’existence
humaine ? Concevoir la vie de l’homme comme celle d’un
viator, c’est regarder l’homme comme un être qui, tant
qu’il est vivant, n’est pas déjà arrivé dans la vie. Tant qu’un
homme vit, tant qu’il mène sa vie, il est sur une via, sur
une route : il est en voie d’accomplissement, il n’est pas
déjà accompli. Il peut nous arriver de dire d’une personne
qu’elle est accomplie. Mais en toute rigueur, il est impos-
sible qu’un être humain soit arrivé au bout du chemin : il
est toujours en route. Le « pas encore » marque sa vie.
Or ce « pas encore » est à double face, la première négative et
la deuxième positive. Le philosophe allemand JosefPieper
peut écrire par exemple : « Le pas encore du status viatoris
inclut à la fois un élément négatif et un élément positif.
L’absence d’un accomplissement et l’orientation vers cet
accomplissement 1. » En effet, quand on voit en l’homme
ce qu’il a toujours d’inachevé, on peut être amené à voir le
verre à moitié vide. Nous aimerions tant que ceux qui nous
entourent soient déjà parfaits. Un monde idéal ne serait-il
pas un monde dans lequel l’homme ne serait pas un être en
chemin, mais un être déjà arrivé à destination ? Le monde
parfait, précisément, n’est-il pas celui dans lequel l’homme

1. De l’espérance, Raphaël, 2001, p. 14.

13
La bienveillance, source d’espérance

est parfait ? En un sens, un de nos souhaits secrets est de


ne pas avoir à espérer, car nous aimerions que tout soit
déjà là, en place. Nous serions bien aises de n’avoir rien
à attendre, parce que tout le bien dont les autres seraient
porteurs serait au présent, et non pas au futur. Il serait
tellement facile d’être bienveillant envers des personnes
qui seraient déjà pleinement opérationnelles, et qui n’au-
raient jamais à acquérir des compétences, puisqu’elles les
posséderaient toutes déjà !
Bref, si l’espérance accompagne la bienveillance, c’est en
raison de l’imperfection qui marque toute vie humaine, et
en vertu de laquelle nous ne sommes pas, à un instantt,
tout ce que nous serons seulement àt+1, t+2, t+3…
Même si nous pouvons rêver d’une vie dans laquelle il n’y
aurait plus d’étapes, mais dans laquelle l’homme aurait déjà
franchi la ligne d’arrivée, l’être humain est un être marqué
par le « pas encore » de l’inachèvement.
Mais il y a aussi le verre à moitié plein. Car se représenter
la vie de l’homme comme celle d’un être sur un chemin,
c’est avoir une vision de la vie dans laquelle celle-ci a un
sens. Être sur la route, pour l’homme, ce n’est pas y être
sans savoir où aller. Une itinérance n’est pas une errance, et
nul ne prend la route sans avoir à l’esprit une idée au moins
minimale d’une destination. Par conséquent, marcher,
pour l’homme, c’est avancer, c’est-à-dire réduire la distance
qui le sépare du but. Un nouveau pas n’est pas uniquement
un pas de plus : c’est un pas en avant. De ce point de vue,
il est tout à fait étonnant de constater à quel point, dans le
lexique de notre culture actuelle, l’innovation a supplanté
le progrès, alors qu’il existe une différence fondamentale
entre les deux : une innovation est une nouveauté, mais un
progrès, en plus d’être une nouveauté, est une avancée vers

14
Préface

un mieux. Toute innovation n’est pas un progrès, et l’éco-


logie nous a heureusement réappris à porter sur toutes les
innovations industrielles des  e et esiècles un regard
qui distingue innovation et progrès.
Voir en l’homme un viator, c’est voir en l’homme un être
capable de progrès, c’est-à-dire, au sens strict, de pas en
avant. L’étape que l’autre n’a pas atteinte aujourd’hui,
il l’atteindra demain. La modélisation de la condition
humaine comme étant la vie d’un être en chemin implique
donc certes que l’homme ne soit pas encore arrivé, mais
qu’il soit orienté vers l’atteinte du but. On a donc raison
d’espérer, ce qui ne serait pas le cas si la vie de l’homme
était comparable à un bouchon flottant au fil de l’eau. Dans
une vie qui n’est pas seulement une destinée, mais qui a
une destination, le futur peut être un mieux : espérer est
donc l’expression de cette bienveillance en vertu de laquelle
on souhaite que l’autre progresse et fasse toujours mieux.
Les questions qui se posent donc sont : qu’est-ce que cette
espérance bienveillante engendre chez celui pour qui on
espère ? Qu’est-ce que fait naître en lui une bienveillance
portant spécifiquement sur ses réalisations ultérieures ?
Quel est le fruit de l’espérance chez celui en qui l’on espère ?
La philosophie a, de plus d’une manière, réfléchi sur ce
fait caractéristique de la condition humaine : nous sommes
tous nés, et donc, à ce titre, la première bienveillance dont
tout homme a fait l’expérience n’est pas celle qu’il exerce
envers les autres, mais celle qui a été exercée envers lui.
En réalité, ce n’est pas seulement ce que nous sommes
devenus qui a été l’objet d’une bienveillante espérance,
mais le fait même que nous soyons, puisque quand deux
parents transmettent la vie, c’est l’enfant qui va naître,
indépendamment de l’adulte qu’il deviendra, qui est ce

15
La bienveillance, source d’espérance

bien voulu et espéré. Il n’est donc pas exagéré de dire que


tout homme résulte d’une bienveillante espérance.
Reçue, que donne-t-elle comme fruit en celui qui la reçoit ?
Elle a pour résultat la bienveillance et l’espérance pour
soi-même. Car comment un enfant pourrait-il se vouloir
du bien et espérer pour lui s’il ne faisait pas l’expérience
que d’autres que lui, ses parents, et préalablement à lui,
ont voulu son bien et ont espéré pour lui ? Ce processus de
transfert de bienveillance et d’espérance est malheureuse-
ment encore plus évident quand il souffre d’une carence.
Nous avons tous déjà constaté que les personnes qui sont
les plus sujettes à la mésestime d’elles-mêmes et au fata-
lisme quant à leur propre avenir sont celles qui ont peu
reçu de la part de leur entourage, dans les premières années
de leur vie, les marques de bienveillance et d’espérance sans
lesquelles il est impossible de se vouloir du bien et d’en
nourrir l’espoir. Ce que nous avons en nous l’est parce que
cela nous a été donné. Le premier effet de la bienveillance
et de l’espérance éprouvées envers quelqu’un d’autre est
donc un effet communicatif : je permets à autrui d’éprouver
en lui ce que j’éprouve pour lui. Et c’est absolument indis-
pensable s’agissant d’un être comme l’être humain, qui est
libre et autonome, et qui a donc besoin non seulement
d’être objet d’une bienveillance qui espère, mais aussi d’en
être le sujet pour soi, car ce n’est jamais un moteur exté-
rieur qui permet à l’homme d’avancer, mais toujours aussi
un moteur intérieur.
Cela touche au problème que rencontre toute personne
qui cherche à exercer bienveillance et espérance pour un
autre : est-ce nécessaire d’avoir déjà des raisons d’espérer
pour espérer en une personne, ou est-ce parce que je vais
espérer en elle qu’elle trouvera des raisons d’espérer et

16
Préface

donc d’avancer ? La réponse réside dans la situation d’asy-


métrie dans laquelle bienveillance et espérance se trouvent
à l’origine de toute vie humaine, du fait qu’elle est issue
de deux parents. Deux parents ne sont pas bienveillants et
remplis d’espérance pour leur enfant parce que ce dernier
présenterait les gages requis pour fonder ces deux atti-
tudes : ils le sont par principe, en amont, avant même que
leur enfant ne vienne au monde. Ce n’est donc pas parce
qu’une personne ambitionne son bien et croit en elle que
je vais exprimer bienveillance et espérance envers elle,
mais c’est parce que je manifeste bienveillance et espé-
rance que ces deux attitudes se trouveront présentes en
elle. La bienveillante espérance est donc transitive : elle
passe en l’autre.
Pour un manager, c’est capital, lui qui peut très souvent, et
cela de manière très légitime par ailleurs, être en recherche
de garanties pour pouvoir songer à la progression d’un
membre de son équipe. Mais cela ne saurait pour autant
faire oublier le cercle vertueux de la bienveillante espé-
rance, qui est première et qui se communique à celui envers
qui elle est exercée, quand bien même elle ne pourrait
au départ s’appuyer sur des raisons incontestables. Mais
c’est un risque à prendre, et sans lequel bienveillance et
espérance ne pourraient jamais se diffuser dans le monde.
Combien de personnes témoignent-elles qu’elles n’auraient
jamais cru en elles si d’autres n’avaient pas, au préalable et
sans garantie, cru en elles ?
S’il en est ainsi, si la bienveillance qui espère est transi-
tive, alors cela veut dire que le cercle vertueux ne s’arrête
pas là. Car bienveillance et espérance ne se limitent pas à
susciter et à entretenir en celui qui en est l’objet ce qui lui
permet de se vouloir tout le bien dont il est capable, ainsi

17
La bienveillance, source d’espérance

que d’espérer pour lui. Elles lui donnent le goût de faire


de même avec d’autres encore. Ce qui lui a été donné, il
peut le donner à son tour. Ce qui lui a été communiqué,
il trouve le goût de le communiquer à nouveau. Ce qui
lui a été transmis, il est animé du désir d’en faire profiter
d’autres. Car il n’est pas dans la logique du don de s’arrêter
en chemin.
Vers une contagion de la bienveillance et de l’espérance…
Cette espérance bienveillance ou cette bienveillance pleine
d’espérance, si elle devient contagieuse dans la manière
d’être en relation dans l’entreprise comme dans l’ensemble
de la société, est capable de transformer en profondeur les
rapports humains. Les jugements a priori, souvent négatifs
ou qui enferment l’autre dans une case, tombent dès lors
et laissent la place à la découverte de l’autre et de ce qu’il
peut apporter. Un nouvel horizon s’ouvre dans la relation.
Un bien nouveau peut en jaillir.
Si on pense encore que les réformes de structures sont
suffisantes pour créer le climat de confiance et de solidarité
nécessaires à une vie en société qui puisse être vécue dans
la justice et la paix, on risque d’être plus dans l’illusion que
dans l’espérance. Peut-être la réalité donne-t-elle déjà à
voir que l’espérance est déçue et que l’illusion est disparue,
toutes deux laissant toujours plus place à la désespérance.
Il n’est pas possible de se résigner à cette fatalité, car l’être
humain est toujours capable de sursauts. Il a en lui des
ressources insoupçonnées. Au plus profond de lui-même,
il est fait pour le bien. Il est donc fait pour la bienveillance
et pour l’espérance. Il faut dès lors donner inlassablement
l’exemple de cette bienveillance pleine d’espérance qui
seule peut ouvrir les cœurs à une relation nouvelle aux

18
Préface

autres et dessiner un avenir qui soit vécu dans la paix et


porteur d’un authentique progrès. Que la bienveillance et
l’espérance soient la contagion d’aujourd’hui et de demain !

DonJean-RémiLanavère1
etDonPascal-AndréDumont2

1. Prêtre à la Communauté Saint-Martin depuis 2012, directeur adjoint de l’École Supérieure


de Philosophie et de Théologie de la Communauté Saint-Martin, en charge des études
de philosophie. Ancien élève de l’École Normale Supérieure (Ulm), agrégé de philosophie,
titulaire d’un master 2 en droit, et docteur en études politiques (École des Hautes Études
en Sciences Sociales) ainsi qu’en philosophie politique (Université Pontificale du Latran).
2. Après un master en droit civil et une licence canonique en droit canonique, Don Pascal-
André Dumont a été ordonné prêtre en 1997 au sein de la Communauté Saint-Martin.
Il assume actuellement les missions suivantes : membre de l’équipe des prêtres formateurs
à la Maison de formation de la Communauté Saint-Martin et à ce titre directeur spirituel
et professeur de droit canonique, économe général de la Communauté Saint-Martin, il
préside le Comité de Pilotage du fonds Proclero créé en 2012 par la Communauté Saint-
Martin. Il préside aussi l’Association Pro Persona et l’Association Ora et Labora. Il intervient
régulièrement dans le monde économique et financier pour traiter des questions éthiques
et promouvoir la Doctrine Sociale de l’Église Catholique. Membre des EDC depuis 2015, il
est conseiller spirituel de la Commission d’éthique économique et financière.

19
INTRODUCTION

Pourquoi ce livre ?

Le pourcentage de personnes victimes d’un trop haut


niveau de stress de manière régulière ne cesse d’augmenter.
Sur la période 2008-2018, le pourcentage de personnes
stressées est passé de38 % à61 % 1.
Le problème est que la crise sanitaire est venue aggraver la
situation, aussi bien en nombre de personnes concernées
qu’en intensité du stress :
êle pourcentage de personnes stressées aurait augmenté
de 10 % lors du premier confinement. Ces chiffres se
recoupent avec ceux relatifs à la prescription d’anxio-
lytiques et d’hypnotiques 2 ;
êselon l’Assurance Maladie et l’Agence du médicament,
entre le 16mars et le 13septembre 2020, l’instaura-
tion de traitements pour des nouveaux patients a

1. Sondage Ipsos avec Associated Press (2005) ; baromètre CEGOS 2015 « Climat social et
qualité de vie au travail ».
2. Garance Munoz et Cyprien Pézeril, « Confinement, angoisses, stress… 44 % des salariés se
disent en “détresse psychologique” », BFMTV, 20 avril 2020. Disponible en ligne : rmc.bfmtv.
com/actualites/societe/sante/confinement-angoisses-stress-44-des-salaries-se-disent-en-
detresse-psychologique_AV-202004200445.html

21
La bienveillance, source d’espérance

augmenté de 5 % pour les anxiolytiques et de 3 % pour


les hypnotiques1 ;
êdurant la même période, il s’est vendu 1,1million de
boîtes d’anxiolytiques et 480 000 boîtes d’hypnotiques
en plus des volumes attendus2 . Leur consommation s’est
dès lors maintenue à des niveaux élevés ;
êen Suisse, le stress du second confinement aurait été
supérieur à celui subi lors du premier3 . Dans notre pays,
l’intensité du stress a été telle qu’entre mars2020 et
fin 2021, le nombre de cas de burn-out est passé4 de
1à2,55millions !
Tous ces chiffres correspondent bien au constat de l’Or-
ganisation mondiale de la santé dans un article 5 du 2mars
2022 : « Au cours de la première année de la pandémie
de Covid-19, la prévalence mondiale de l’anxiété et de la
dépression a augmenté massivement, de 25 % ».
Et lorsque le niveau de stress lié à la pandémie a enfin
diminué, la population a été confrontée, successivement,
à de nouveaux épisodes anxiogènes : la survenue du conflit
entre la Russie et l’Ukraine en février2022, les inquié-
tudes environnementales, les tensions économiques liées

1. Solveig Godeluck, « Santé : le coronavirus a dopé les anxiolytiques et fait reculer la vaccination »,
Les Échos, 9 octobre 2020. Disponible en ligne : www.lesechos.fr/economie-france/social/
sante-le-coronavirus-a-dope-les-anxiolytiques-et-fait-reculer-la-vaccination-1254288
2. Ibid.
3. « Forte augmentation du stress psychologique lors de la deuxième vague de Covid-19»,
Universität Basel, 17 décembre 2020. Disponible en ligne : www.unibas.ch/de/Aktuell/News/
Uni-Research/Forte-augmentation-du-stress-psychologique-lors-de-la-deuxi-me-vague-
de-Covid-19.html
4. Challenges.fr, « 2,55 millions de salariés seraient en burn-out, d’après un
sondage », Challenges, 21 octobre 2021. Disponible en ligne : www.challenges.fr/
emploi/2-55-millions-de-salaries-seraient-en-burn-out-d-apres-un-sondage_785753
5. « Les cas d’anxiété et de dépression sont en hausse de 25 % dans le monde en raison de
la pandémie de Covid-19 », Organisation mondiale de la santé, 2 mars 2022. Disponible en
ligne : www.who.int/fr/news/item/02-03-2022-covid-19-pandemic-triggers-25-increase-
in-prevalence-of-anxiety-and-depression-worldwide

22
Introduction

à l’inflation et dernièrement la guerre au Moyen-Orient.


En conséquence, « 95 % des Français âgés de 18 ans et
plus déclarent avoir au moins une grande source de stress
ou d’anxiété 1 ».
Parallèlement à cette augmentation du niveau de stress
général, l’état moral des personnes s’est dégradé dès le
début de la crise.
D’après Santé publique France, les troubles dépres-
sifs sont passés de11 % à21 % entre fin septembre et
début novembre2020. Une augmentation du stress, une
atteinte de l’état moral avec pour conséquence une baisse
de la motivation sont venues aggraver une situation déjà
compliquée. En effet déjà, dans le monde du travail, le
pourcentage de collaborateurs se disant très engagés est
passé de42 % à28 % entre2009 et2017 2. Un article du
journal Le Monde paru en 2017 3 résumait bien la situa-
tion : « Depuis2009, l’engagement des salariés diminue »,
constatait Anne-SophieGodon, directrice de l’innova-
tion chez Malakoff Humanis. Ainsi, « 42 % des personnes
interrogées se disaient très engagées dans leur travail en
2009, elles n’étaient plus que 36 % en 2012 et 28 % cette
année 4 » et 25 % des employés reconnaissaient une baisse
de leur motivation.
Selon l’enquête réalisée par Gallup 5 en 2022, le niveau
d’engagement serait plus bas en Europe qu’aux États-Unis,
au Canada ou en Asie, et le pays avant-dernier en Europe

1. www.ifop.com/wp-content/uploads/2022/05/communique-presse-mesbienfaits.pdf
2. www.gallup.com/workplace/349484/state-of-the-global-workplace.aspx
3. Myriam Dubertrand, « La bienveillance au travail : faux-nez et réalités », Le Monde,
11 octobre 2017.
4. « Confinement, angoisses, stress… 44 % des salariés se disent en “détresse psycho-
logique” », op. cit.
5. www.gallup.com/workplace/349484/state-of-the-global-workplace.aspx

23
La bienveillance, source d’espérance

serait la France avec un taux d’engagement à 6 %, et l’Italie


est à 4 %…
Ce désengagement des salariés a fait naître un nouveau
concept aux États-Unis, le « quiet quitting », ou « désin-
vestissement sans bruit ». Par cette expression, on entend
des collaborateurs qui sont présents à leur poste de travail
mais désengagés, ne faisant que le minimum nécessaire.
L’heure est avant tout à rester en bonne santé et à profiter
de la vie. Une note1 de juillet2022 réalisée par la Fondation
Jean Jaurès illustre à merveille ce sentiment. Parmi les
choses « très importantes » dans la vie, la famille se place
en tête (71 %), suivie des amis et des relations sociales
(46 %), des loisirs (41 %) ; le travail n’arrive désormais
qu’en 4 eplace (24 %) alors qu’en 1990, il était considéré
« très important » pour 60 % des employés.
L’inconvénient du « quiet quitting » est évident pour l’en-
treprise mais il est également redoutable pour le salarié,
car cela revient à diminuer la réalisation de soi au travail
et risque de rendre plus difficile l’impact bénéfique du
sens. Or, le manque de sens (brown-out) conduit à la
dépression.
Un stress en hausse, un état moral de plus en plus dégradé
et une motivation effondrée, il y a donc intérêt à agir ; un
intérêt encore plus grand si l’on se souvient que l’impact
des crises économiques (1929, 2007, 2008) sur l’état moral
survient trois à quatre années après le début de celles-ci…
On pourrait se laisser aller au désespoir si l’on ne se
souvenait des capacités de l’humain à réagir dans les pires

1. Romain Bendavid, « “Plus rien ne sera jamais comme avant” dans sa vie au travail »,
Fondation Jean Jaurès, 1 er juillet 2022. Disponible en ligne : www.jean-jaures.org/
publication/plus-rien-ne-sera-jamais-comme-avant-dans-sa-vie-au-travail/

24
Introduction

situations. Pour illustrer mon propos, je vais évoquer une


histoire personnelle, simple, vécue, qui illustre à merveille
la force de l’humain…

À TITRE D’EXEMPLE

J’ai exercé la médecine d’urgence sous trois formes : dans


un SAMU, dans un cadre humanitaire dans des pays parfois
en guerre (Burkina Faso, Roumanie, Bosnie-Herzégovine…)
et dans un groupe d’assistance. C’est dans cette activité
d’assistance que je devais intervenir à environ cinquante
kilomètres de Prague pour récupérer, en vue de le rapatrier,
un enfant de 11 ans, victime la veille d’un grave accident :
il avait fait une chute depuis une charrette et la roue de
celle-ci avait roulé sur sa jambe gauche, occasionnant des
lésions importantes.
Arrivé à Prague, un ambulancier m’attendait pour me
conduire à la rencontre de ce jeune patient. Cet enfant
n’avait vraiment pas de chance. En temps normal, il vivait
dans un foyer où il avait été placé faute de parents pour
s’occuper de lui. C’est son foyer qui avait organisé ce séjour
en République tchèque.
Arrivé à l’hôpital, je me rends à son chevet et lui explique
comment est organisé son retour : un trajet en ambulance
jusqu’à Prague, puis en avion entre Prague et Paris et de
nouveau en ambulance entre l’aéroport et le centre hospi-
talier universitaire qui l’accueillait. J’examine ensuite sa
jambe blessée et m’inquiète de son niveau de douleur.
« Si je ne bouge pas, je n’ai pas trop mal mais au moindre
mouvement, c’est horrible. » Les radios montrent l’étendue
des lésions. Je me mets alors à craindre le retour, une
importante partie du trajet empruntant des routes au
revêtement dégradé. Je lui administre des médicaments
contre la douleur et lui explique qu’il va falloir l’installer

25
La bienveillance, source d’espérance

sur un matelas coquille en vue de le transporter sans le


faire trop souffrir. Ces matelas sont remplis de petites
billes et sont conçus pour prendre les formes du patient.
Une fois le patient installé, il suffit de vider l’air du matelas
pour qu’il durcisse et immobilise le corps tout entier.
L’effet des médicaments commence à se faire sentir et
il est décidé de transférer le jeune patient sur le matelas
coquille. Mais il souffre encore beaucoup. Devant la persis-
tance de la douleur, j’envisage de renforcer le traitement
antalgique lorsque l’enfant se met à vomir. Le médecin
orthopédiste de l’hôpital m’explique ses difficultés à gérer
la douleur en raison de la survenue fréquente de vomis-
sements. J’administre alors à l’enfant des médicaments
anti-inflammatoires pour diminuer les œdèmes péri-
lésionnels et agir ainsi sur une des causes de la douleur.
L’amélioration est modérée. Je lui injecte d’autres médica-
ments et là, il souffre un peu moins. Nous l’installons dans
l’ambulance et au bout de quelques kilomètres, la douleur
se fait à nouveau sentir.
Espérant détourner un peu son attention du seul phéno-
mène douloureux, je prends le parti de lui parler. Il se met
alors à me raconter son enfance meurtrie, son foyer dans
lequel il se plaît et où le personnel est attentionné. Il me
parle de ses amis… Il semble se sentir légèrement mieux.
Au bout de quelques kilomètres, il me demande si je suis
marié, si j’ai des enfants. Je suis à mon tour obligé de me
livrer un peu. Je lui explique que je suis marié et que j’ai
une fille, plus jeune que lui. Il réfléchit et me dit alors : « Elle
en a de la chance votre fille… » Je lui parle de nouveau
de lui, de ses objectifs… Il m’interrompt et me demande
s’il peut me tenir la main. Je lui tends ma main gauche,
il la prend dans sa main gauche et, au bout de quelques
minutes, je sens que sa main encore fine se desserre
légèrement. Je le regarde, il dort. Je n’ose plus bouger de
peur de le réveiller. Nous ferons pratiquement cinquante
kilomètres, main dans la main. Arrivés à l’aéroport de
Prague, nous l’installons sur la civière de l’avion et fixons

26
Introduction

les perfusions qui continuent à lui délivrer les médica-


ments antalgiques. Durant le vol, notre échange reprendra
là où il s’était interrompu. Il me parle des difficultés de
la vie quand on a 11 ans et que l’on ne voit jamais ses
parents. Il souffre beaucoup moins et semble nettement
plus serein. L’équipage d’Air France est adorable, chacun
essayant d’être le plus attentionné possible avec ce petit
bonhomme au membre inférieur brisé. Arrivé à Paris, il faut
de nouveau le transférer de la cabine de l’avion à l’ambu-
lance qui l’évacuera vers le centre hospitalier universitaire
où il est attendu. L’ultime partie de ce transfert se déroule
parfaitement et nous arrivons à l’hôpital à l’horaire prévu.
Un éducateur de son foyer est présent et l’accueille avec
gentillesse. Une nouvelle équipe médicale, animée de mille
attentions, prend en charge l’enfant. Lorsque je le salue
avant de le quitter, il me regarde et ne peut retenir ses
larmes. Il faut dire qu’il s’est certainement confié comme
il en avait rarement eu l’occasion, comme lorsqu’on peut
le faire à une personne dont on sait qu’on ne la reverra
sans doute jamais. Il est vrai que nous avons également
passé ensemble de nombreuses heures dans des condi-
tions difficiles. Alors que je m’apprête à repartir, il me dit
alors : « Vous savez, contre la douleur, le mieux, c’est la
main de l’autre. » Ému, je lui réponds qu’il devrait faire de
la médecine plus tard…
Lors du retour en ambulance vers notre base, je suis seul à
l’arrière du véhicule, et je repense à la vie de ce gamin qui
m’a frappé. Quelle galère ! Combien sont-ils dans ce cas ?
Comment les aider ? Et une fois de plus, je remarque que la
recherche de solutions fondées sur l’engagement humain
constitue un rempart efficace contre la peine.

Persuadé que la force de l’humain est capable de résultats


exceptionnels même dans des périodes difficiles, il me
semble que le contexte actuel impose un changement de
paradigme prenant appui sur la bienveillance.

27
La bienveillance, source d’espérance

Je voudrais essayer dans cet ouvrage de montrer en quoi


des comportements bienveillants peuvent apporter des
solutions nouvelles, adaptées au temps présent, que ce soit
dans des domaines aussi variés que le travail, la santé, l’ins-
truction, la recherche d’emploi, et même l’unité du pays et
son influence. Si la bienveillance peut être à l’origine d’un
réel espoir de vie meilleure, cela ne se fera pas sans l’effort
de chacun et demandera un peu de temps.
Parfois, certains voient en la bienveillance, notamment
dans le domaine du travail, du laxisme. C’est exactement
l’inverse ! La difficulté de la bienveillance est bien, soyons
honnêtes, qu’elle demande des efforts à chacun ! Mais
l’humain ne se réalise-t-il pas grâce à un certain niveau
d’effort dès lors que celui-ci est respectueux de sa santé ?
Ne sommes-nous pas nombreux à admirer, dans quelque
domaine que ce soit, les personnes capables de fournir de
grands efforts ?
La bienveillance s’installe dans la durée et demande aussi
du temps, et en mesurer les effets demande du temps.
Expliquer, convaincre, rassurer… Je vais donc essayer
de montrer que la bienveillance, dans des domaines très
divers, peut être à l’origine d’une vie meilleure, au prix
d’un juste niveau d’investissement de chacun et d’un peu
de temps.
Pour Aristote, être bienveillant, c’est par principe souhaiter
gratuitement du bien aux autres, qu’on les connaisse ou
pas, qu’on les apprécie ou pas ; pour Thomasd’Aquin,
être bienveillant, c’est vouloir agir pour le bien d’autrui ;
et pour EmmanuelKant, être bienveillant est un « devoir
d’humanité ». Voici donc les trois définitions du mot
« bienveillance » sur lesquelles je m’appuierai pour fonder
mon raisonnement.

28
Introduction

En résumé, il est possible de dire qu’être bienveillant


consiste à agir pour le bien de l’autre. Pour cela, il nous
faut l’envie de le faire, et je pense que le contexte, en nous
aidant à prendre conscience de l’importance de l’enjeu,
peut être une source de motivation, clé d’actions qui vont
avoir de grands effets et servir l’humanité. Finalement, si le
contexte difficile que nous traversons n’est pas totalement
en mesure de déclencher « un devoir d’humanité », il est
certainement capable de provoquer des actes d’humanité.

29
CHAPITRE 1

La bienveillance,
clé de la réussite
et d’une vie meilleure

Si la bienveillance est source d’espérance, c’est parce que


l’humain a des capacités exceptionnelles. Parfois, c’est le
hasard de la vie qui va permettre de trouver les moyens de
les mobiliser ; d’autres fois, il faut être aidé pour parvenir
à les utiliser pleinement et à exprimer son talent.
Mon métier premier, la médecine d’urgence, m’en a
apporté de nombreuses preuves. C’est peut-être pour cela
que je crois autant en la bienveillance.

La bienveillance est bien source d’espérance

Des éléments extérieurs, parfois pénibles, peuvent nous


aider à réussir et à vivre mieux…
Ce fut le cas de cet adolescent qui a découvert le pouvoir
d’agir quand son copain a été victime d’un accident.

31
La bienveillance, source d’espérance

À TITRE D’EXEMPLE

Il est 22 heures ce soir de mai, et le téléphone du Smur


vient de recevoir un appel d’un adolescent terriblement
angoissé. Il signale un accident qui vient de survenir dans
la ville même, et son copain de 17 ans serait blessé à la
jambe, saignant abondamment. Le médecin régulateur
essaye de comprendre ce qu’il en est et décide d’envoyer
sa deuxième équipe.
Lorsque nous sommes de garde, généralement, il y a deux
équipes mobilisables de manière simultanée, l’une sort en
premier avec un ambulancier, un infirmier et un médecin,
l’autre part lorsque la première équipe est déjà en inter-
vention et comprend un ambulancier et un médecin. C’est
donc une équipe restreinte qui part au secours du jeune
homme. À peine cinq minutes plus tard, nous arrivons aux
côtés de ce garçon qui souffre énormément du membre
inférieur droit et présente une sérieuse hémorragie.
Pendant que l’ambulancier découpe le pantalon, je perfuse
le patient au niveau d’un avant-bras afin de disposer d’une
« voie d’abord » et pouvoir ainsi lui administrer les médica-
ments nécessaires. La voie d’abord, dans notre métier, est
essentielle, c’est la perfusion qui nous permettra d’injecter
le moment venu les médicaments utiles. C’est un geste que
l’on fait toujours rapidement car si l’état du patient s’altère,
cela devient plus difficile, les veines étant moins visibles et
surtout moins palpables.
Le garçon est maintenant perfusé et l’ouverture de la jambe
du pantalon permet de voir l’origine de l’hémorragie : une
fracture ouverte du fémur. Le reste de l’examen clinique est
normal. J’utilise alors des drogues contre la douleur pour
que le patient se sente un peu mieux. Son ami est choqué
car il a assisté à la scène. Il m’explique qu’un véhicule est
passé alors que le feu était rouge, qu’il a heurté son copain
et… continué sa route ! Il tremble de tous ses membres et

32
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

me dit ne pas se sentir très bien. Je lui demande alors de


tenir la perfusion pour libérer une main de l’ambulancier
afin que celui-ci puisse m’aider davantage. Il hésite, prend
la poche de perfusion et dit à son copain : « Tu vas voir, on
va te sortir de là… » Il ne tremble plus et semble se sentir
nettement mieux.
Les pompiers arrivent, suivis des forces de l’ordre. Pour
installer le patient sur le matelas coquille, on l’anesthésie
pendant trente secondes. Pendant que j’aspire le médi-
cament nécessaire à l’anesthésie dans son ampoule, ce
secouriste d’occasion suit le moindre de mes faits et gestes.
Au moment de partir vers l’hôpital, le secouriste de fortune
me demande s’il peut accompagner son copain dans le
véhicule des sapeurs-pompiers. Je refuse mais le prends à
part pour lui demander d’être très prudent sur son scooter
et surtout de ne pas suivre le véhicule s’il franchit des feux
tricolores s’ils sont au rouge. Il m’assure qu’il sera prudent
et me dit : « Mais tu sais, je me sens mieux maintenant. »
La victime est transférée à l’hôpital, un bilan est réalisé et
devant l’ampleur des lésions vasculaires, elle devra être
évacuée vers le centre hospitalier universitaire voisin. J’irai
expliquer la situation aux parents arrivés sur place ainsi qu’à
mon adjoint de circonstance. Avec le même ambulancier,
je ferai le transfert vers le CHU, sans difficultés majeures.
Lorsque nous rentrons, la nuit est déjà bien avancée et on
voit le jour poindre à l’horizon. L’ambulancier change le
matériel pour que son véhicule puisse repartir aussitôt en
cas de besoin. Je sors quelques minutes afin d’apprécier
le calme de ce jour naissant, fraîchement doux comme un
matin de printemps. J’étais en train de penser : « Quel luxe,
ces quelques secondes de liberté à contempler le ciel ! »
lorsque j’entends quelqu’un tousser à quelques mètres de
moi. L’adjoint de fortune est là. Il me demande comment
s’est passé le transfert de son copain et comment va se
dérouler la suite. Puis, d’un air un peu artificiel, il ajoute :
« Pour tout à l’heure, je voulais vous demander de
m’excuser, je vous ai tutoyé. » Je souris. « Tu sais, entre
collègues, on se tutoie. » Je faisais allusion au tutoiement

33
La bienveillance, source d’espérance

qui est coutumier aux personnels des services d’urgence. Il


m’explique alors que ce soir, il a décidé de faire médecine.
« J’en avais envie depuis longtemps mais j’avais peur de
ne pas supporter la vue du sang, la douleur des patients…
Or, depuis ce soir, depuis que je vous ai aidé, je sais que
j’en suis capable. »

Parfois, ce sont effectivement les circonstances de la vie


qui vont nous permettre de mobiliser toutes nos capacités
pour, par la suite, exprimer notre talent.

Avoir parfois besoin de l’impulsion


d’une personne pour réussir et vivre mieux

La médecine m’a aidé à mesurer la puissance de la bienveil-


lance, qu’il s’agisse d’écouter, de comprendre, de rassurer,
d’aider à fixer un but ou d’encourager.

À TITRE D’EXEMPLE

J’ai fait la connaissance de Vincent grâce à sa famille.


Après un début d’études prometteur, ce garçon brillant
avait présenté des troubles psychiques majeurs ayant
entraîné une hospitalisation en milieu spécialisé. Au bout
de plusieurs mois de traitement, son état inquiétait sa
famille et c’est elle qui m’avait demandé de le voir. J’avais
d’abord refusé sous prétexte que je ne suis pas psychiatre.
Devant l’insistance des parents, j’avais fini par accepter le
principe d’une rencontre.
Je vois donc Vincent chez lui. Il se tient à quatre ou cinq
mètres de moi et me demande de ne pas approcher

34
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

davantage. Il est terrorisé par ma présence. Je respecte


son besoin de distance et commence à échanger
avec lui.
« Vincent, où en êtes-vous avec votre traitement ?
— Je l’ai arrêté. Il ne m’aidait pas et avait énormément
d’effets secondaires. Je ne veux plus de médicaments.
— Actuellement, que ressentez-vous ?
— J’entends des voix qui me disent des choses désa-
gréables, qui me déstabilisent.
— Que vous disent ces voix ?
— Que je suis moche, que je suis inintéressant, que je ne
vais jamais rien réussir, que je suis con…
— Avez-vous conscience que ces voix n’ont aucun lien
avec la réalité ?
— Je ne sais pas.
— Vous vous entendez bien avec vos parents ?
— Non, ce sont eux qui m’ont fait hospitaliser en psychia-
trie, je ne leur pardonnerai jamais.
— À leur place, vous n’auriez pas fait la même chose ?
— Non, jamais !
— Vous avez un frère, me semble-t-il ?
— Oui, mais lui aussi, il était dans le coup.
— Qu’aimeriez-vous faire comme études, dans un avenir
plus ou moins proche ?
— J’aimerais être professeur de maths mais c’est impos-
sible avec ces voix en permanence, elles me gênent trop
pour me concentrer. »
Je lui parle alors de mon admiration pour le métier de
professeur. L’échange se détend un peu. J’aborde égale-
ment ses résultats en « prépa », très satisfaisants. Il se
détend de plus en plus et va même jusqu’à sourire au bout
d’une heure d’entretien. Je profite de ce moment pour
aborder de nouveau le sujet du traitement.

35
La bienveillance, source d’espérance

« Vincent, vous avez un véritable talent et vous risquez


de plomber votre avenir parce que vous vous entêtez sur
cette histoire de médicament.
— Je ne veux plus rien prendre, il y a trop d’effets
secondaires.
— À faible dose, on pourrait essayer d’avoir un effet qui
aide à contrôler les voix qui vous perturbent sans pour
autant avoir trop d’effets secondaires. Vincent, vous
avez une belle ambition, un véritable talent et vous êtes
en train de vous mettre en situation d’échec parce que
vous n’écoutez que vous. Je vous propose un marché :
vous acceptez de prendre un traitement à très faible dose
et dans les jours qui viennent, on fait le point. Si c’est
mieux, vous continuez le traitement, si c’est moins bien,
je vous laisse l’arrêter. »
Je lui prescris un traitement en espérant diminuer ses
hallucinations auditives et son angoisse. Il m’assure qu’il
va prendre le traitement dès le soir.
« Quand est-ce que l’on se voit de nouveau ? »
Lorsqu’il me pose cette question, je sens qu’il a envie de
me revoir et que le fait de lui avoir fait prendre conscience
qu’un avenir était possible pour lui avait fonctionné. À ce
moment-là, je refuse certainement de prendre la réalité
en compte… Cinq jours plus tard, je revois Vincent. Dès le
début, il s’approche davantage de moi et me dit se sentir
plus détendu. Il me parle à nouveau de son projet de
devenir professeur de mathématiques.
« Dites-moi, vous pensez sérieusement que je pourrais
devenir professeur de mathématiques ?
— Oui, je le pense. Il faut pour cela que vous suiviez votre
traitement, et dès que les troubles auront régressé, il faudra
que vous envisagiez de reprendre des cours.
— Dès que ça ira un peu mieux, je pourrai peut-être donner
des cours particuliers. Au moins, je rendrai service à des
enfants. »

36
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

À ce moment-là, je mesure à quel point le fait de savoir


où il peut aller aide cet étudiant. Je vais tout faire pour le
convaincre que c’est possible. Je recours alors, dans mon
langage, à des formulations positives, je mets systémati-
quement des liens logiques forts dans mes arguments, je
m’adapte à son canal de communication. Je trouve que
Vincent évolue bien. Il va voir le psychiatre qui le suit et
lui explique alors mon intrusion dans le jeu. Celui-ci, très
confraternel et fort habile, accepte l’idée que Vincent
devienne professeur de mathématiques et approuve le
nouveau traitement.
Vincent, de ce fait, croit de plus en plus à son objectif et
éprouve très vite le besoin de donner des cours particu-
liers. Ceux-ci se passent bien et renforcent son idée d’être
professeur de mathématiques. Si ses troubles sont toujours
présents, ils sont très atténués et il parvient parfaitement
à les gérer. L’envie de réussir est très forte. Il a un rêve
et la preuve, à travers ces cours particuliers, qu’il peut
réussir. Il est utile à autrui et en éprouve un grand plaisir.
Il discute alors avec les parents de ses petits élèves et se
construit des liens sociaux. Il ne me voit plus que tous les
deux mois et me téléphone de temps en temps lorsque
son rêve vacille sous l’influence de difficultés passagères.
À chaque fois, je le rassure sur ses capacités et il reprend
son parcours.
Aujourd’hui, Vincent est marié et… professeur de mathé-
matiques. Chez cet étudiant, il est toutefois important
d’apporter une précision. J’ai eu beaucoup de chance !
Certes, j’y ai consacré une énergie colossale et cela aide.
Comme le faisait remarquer Thomas Jefferson : « Je crois
à la chance et je m’aperçois que plus je travaille dur, plus
j’en ai. »
Mais j’ai quand même eu beaucoup de chance ! Tout cela
pour dire que ce résultat est tout à fait exceptionnel et ne
serait certainement pas facile à reproduire.

37
La bienveillance, source d’espérance

À travers ces deux exemples, on vient de mesurer à quel


point un concours de circonstances ou une approche bien-
veillante peuvent aider à réussir et à vivre mieux. Il est
intéressant de constater qu’il s’agit à chaque fois d’éléments
infimes mais qui peuvent changer la vie.

La bienveillance, clé de la réussite,


d’une vie meilleure et donc
source d’espérance

La bienveillance peut aider à trouver sa passion et à


s’orienter en fonction de celle-ci.

On a tous du talent

Il n’est pas rare de voir une personne exercer une activité


professionnelle un peu par hasard. Son orientation a été
décidée très tôt, en fonction de ses résultats scolaires, et
le travail qu’elle a exercé ne correspondait pas forcément
à sa zone de talent. Or, si l’on ne s’investit pas dans le bon
domaine, on n’excelle pas et on peut même en souffrir.
Parfois, des difficultés professionnelles ou relatives à la
santé vont inciter à mieux réfléchir à ce que l’on souhaite
faire. On voit alors des personnes se lancer dans des forma-
tions débouchant sur des métiers très différents. C’est à ce
moment-là qu’elles découvrent leur talent et la joie de se
réaliser par le travail.
Si la beauté de l’humain est de disposer d’au moins une
zone de talent, la principale difficulté est de parvenir à la
détecter. Lorsque le domaine est assez classique, il est plus

38
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

facile de la trouver que quand il s’agit d’une niche. Mais


rien n’est impossible !
La période actuelle est favorable aux remises en cause. Et
si nous profitions de cet état d’esprit pour nous poser la
bonne question : sommes-nous dans notre zone de talent ?
Ce serait formidable car on a tous du talent, il suffit de le
trouver et de le cultiver !

Face aux difficultés

Nous sommes nombreux à avoir été stressés face à un


examen. Peut-être parce que nous l’avons vu comme
unrisque d’échouer plus que comme une opportunité de
trouver notre voie ? Si nous réussissons, c’est que nous
allons dans la bonne direction ; si nous échouons, c’est
certainement que cette voie ne nous correspond pas vrai-
ment. Un échec devrait avant tout nous inviter à être plus
à l’écoute de nos passions profondes, cela nous aiderait à
prendre du recul et à gagner en sérénité.
Lors de la perte d’un emploi, nous souffrons énormé-
ment. On ne le voit pas assez comme l’occasion de réussir
quelque chose que l’on n’aurait pas été en mesure d’entre-
prendre autrement ! Chaque échec devrait nous permettre
de trouver une voie qui nous corresponde davantage et
donc nous apaise.

Trouver sa passion conduit à la motivation,


la motivation à l’envie, et l’envie au succès
et à la santé

Face à un échec, deux possibilités : être en colère envers


autrui ou envers soi-même, ou chercher le sens de cet échec.

39
La bienveillance, source d’espérance

« Si j’ai échoué, c’est peut-être que je ne me suis pas assez


investi, parce que cela ne correspondait pas totalement
à mes aspirations profondes… » Il est tentant d’orienter
quelqu’un qui échoue vers une activité de moindre diffi-
culté mais… ne faudrait-il pas plutôt l’aider à trouver une
direction qui le passionne plus ? Est-ce l’objectif qu’il faut
abaisser ou l’envie qu’il faut augmenter ?

Pour trouver sa passion, quoi de mieux


que de rencontrer des missionnaires
de la passion ?

Pour se réaliser dans son travail, la deuxième solution est


largement préférable. Pour renforcer cette envie, il faut
aider chacun à trouver sa zone de passion ! Dès le collège,
les jeunes pourraient par exemple rencontrer des personnes
passionnées, quel que soit leur domaine d’activité. En effet,
la passion se transmet… Dans ce sens, les Canadiens font
intervenir dans les Cegeps (établissements d’études supé-
rieures qui suivent les études secondaires et précèdent
l’université) des personnes passionnées pour aider les
jeunes à trouver leur zone de passion. On a pu vérifier
que la passion se transfère… D’ailleurs, on a tous en tête
des collègues, des amis ou des proches qui ont connu des
réussites modérées jusqu’à ce qu’ils rencontrent la bonne
personne, trouvent leur voie et deviennent excellents.
Oui, la passion conduit à la motivation, la motivation à
l’envie et l’envie au succès et à la santé.
Certains jeunes suivent des formations, font des études
mais échouent : n’est-ce pas parce que leur orientation ne
s’est pas suffisamment faite en fonction de leurs passions ?
Lorsque des personnes changent totalement de voie

40
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

professionnelle, n’est-ce pas pour renforcer l’adéquation


entre leur passion et leur travail ?
Au sein des entreprises, ne pourrions-nous pas imaginer
que les collaborateurs les plus expérimentés, les plus
passionnés, transmettent leur passion aux plus jeunes ?
Finalement, n’est-ce pas à chaque passionné d’être un
missionnaire de la passion ? On voit bien, là encore,
qu’un mode de pensée empreint de bienveillance peut être
porteur, chez nombre de personnes, d’une réelle espérance.

La bienveillance, porteuse d’espérance

Véhiculer moins de peur


et plus d’espoir en étant bienveillant

Être bienveillant vis-à-vis d’autrui ne consisterait-il pas


à minimiser la peur et à maximiser l’espoir ? Il ne s’agit
bien sûr pas de ne pas aborder la réalité des faits mais de
veiller à ne pas les amplifier faussement. Souvenons-nous
de l’arrivée du variant Omicron, qui a été présenté au début
de l’épidémie comme plus contagieux et plus agressif que
le variant Delta. Peut-être que personne ne pouvait savoir,
à ce moment-là, s’il serait plus ou moins contagieux, plus
ou moins agressif, c’est hautement probable. Dans ce cas,
pourquoi ne pas dire les choses simplement ? Concernant
la guerre entre l’Ukraine et la Russie, n’a-t-on pas très vite
entendu parler de troisième guerre mondiale ? Pourquoi
systématiquement générer de la peur ?
La peur va provoquer du stress, fragiliser tout un chacun
et abîmer les relations interpersonnelles, altérant les liens
d’amitié et gâtant les relations d’amour. Dans le contexte

41
La bienveillance, source d’espérance

actuel, agir pour le bien d’autrui ne reviendrait-il pas à


communiquer, de manière à faire davantage émerger de
l’espoir que de la peur ? Chacun de nous pourrait y contri-
buer et ce serait bénéfique au plus grand nombre.

Prendre conscience de ses progrès


pour trouver la joie et la paix intérieure

Si l’on réfléchit à son passé, on mesure à quel point, dans


certaines situations, on a été maladroit. Cela pourrait être
désagréable si on se contentait de ce simple constat. En
revanche, si on arrive à un tel constat, c’est que l’on a
progressé et c’est nettement plus agréable.
De la même manière, en réfléchissant à des événements
plus récents, on arrive aux mêmes conclusions et ce sera
tout aussi pénible. Mais si l’on réfléchit aux moyens de ne
plus reproduire ces maladresses, on va progresser et cette
perspective sera source de plaisir et d’apaisement, l’anti-
cipation d’événements agréables étant source de sérénité.
Il ne s’agit donc pas de ne pas faire d’erreurs mais d’établir à
chaque fois comment on peut en profiter pour s’améliorer.
Progressivement, les erreurs seront moins importantes et
les corrections plus faciles. Si l’on prend conscience de cela,
un réel espoir, source d’une vraie joie et d’une véritable paix
intérieure, devrait voir le jour.

Même dans les périodes difficiles,


il est possible de trouver de l’espoir

Dans le contexte actuel, il est facile de trouver des raisons


de s’inquiéter : les conflits armés, la crise climatique, le
coronavirus qui continue à être présent, les services de

42
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

santé qui s’essoufflent, l’état moral de la population qui


se dégrade, l’inflation qui rend la vie plus chère, l’énergie
dont le prix s’envole…
Et cependant, il est possible de trouver des sources
d’espoir…
Le monde du travail a changé, le télétravail imposé lors
de l’épidémie a laissé la place à un mode hybride qui peut
allier à la fois les avantages du travail à distance (moins
de fatigue liée aux déplacements) et du travail présentiel
(collectif de travail indispensable à la qualité de vie). Afin
de ne pas pénaliser les personnes non concernées par le
télétravail, il est possible de faire éclore des initiatives
destinées à renforcer leur sentiment d’équité.
La crise de la Covid a amené chacun à prendre conscience
que la vie passe avant tout, elle a permis à nombre de
personnes de trouver un meilleur équilibre entre vie profes-
sionnelle et vie personnelle. La Grande Démission, ou
quiet quitting, qui en est la conséquence directe, va inviter
les dirigeants à bien se comporter sur le plan des relations
humaines et à donner envie à leurs managers de faire de
même. Cela pourrait aussi être l’occasion d’une meilleure
répartition des fruits du travail en favorisant l’actionnariat
salarié.
De même, il va être indispensable de passer rapidement
d’un mode rugueux du travail à un mode plus bienveillant :
les jeunes générations, sensibles à la qualité des relations
humaines, vont aider à cette mutation ; mutation qui va
également être favorisée par la nécessité de corriger l’aug-
mentation du niveau de stress et la baisse de l’engagement.
Des secteurs qui se sentaient peu concernés jusqu’à main-
tenant commencent à évoluer et vont devoir amplifier ce
changement, et rapidement !

43
La bienveillance, source d’espérance

L’altération de l’état moral de la population va rendre obli-


gatoire la mise en place de stratégies efficaces qui auraient
peut-être tardé à voir le jour. L’augmentation du niveau de
stress va inciter certaines personnes à passer d’une logique
où elles subissaient à une logique où elles vont devoir se
protéger, ouvrant ainsi la porte à une véritable qualité
devie.
La consommation d’énergie a baissé parce que chacun a
fait davantage attention. La prise de conscience de l’impact
de l’action individuelle sur les enjeux collectifs majeurs
est un atout considérable. C’est certainement le principal
levier de changement de notre société, il est essentiel de
l’encourager. C’est la voie de l’ardeur inhérente à l’engage-
ment de chacun. Le coût de l’énergie a promu la pratique
de moyens de déplacements plus physiques (marche, vélo)
avec un impact positif sur la santé en réduisant la pollu-
tion. Dans cette même logique, l’augmentation du coût
de certaines denrées alimentaires va inciter des personnes
à renouer avec une activité de jardinage et elles vont être
gagnantes sur deux plans : celui de la santé, en raison
de l’activité physique qu’elle induit et de la qualité des
produits cultivés qui seront consommés, ainsi que des liens
sociaux qu’elles vont créer.
Finalement, cette période difficile peut, si le plus grand
nombre y prend part, être un puissant moteur de chan-
gement vers un monde plus sage, plus juste et plus
épanouissant.
Oui, vraiment, la bienveillance est porteuse d’espérance !

44
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

Ne cherchons pas la perfection mais


trouvons la voie du bonheur

Nombre d’entre nous avons des pans entiers d’égoïsme.


Nous aimons un bon repas dans un endroit agréable,
nous apprécions des vacances dans un lieu magnifique,
nouséprouvons du plaisir dans une belle voiture… Mais
nous menons, en parallèle, des actions généreuses en aidant
des personnes démunies, en difficulté, en nous engageant
parfois au risque de notre vie pour aller aider des personnes
en péril… Nombre d’entre nous avons donc un équilibre
entre une part d’égoïsme et une part de générosité.
Contrairement à nous, les grands sages, en raison d’une
vie intérieure très développée, ont une part de générosité
bien plus importante que leur part d’égoïsme, ils appa-
raissent pratiquement détachés de tous biens matériels. Il
ne s’agit pas pour nous de devenir des grands sages mais
de tendre vers un nouvel équilibre où la part de générosité
augmente par rapport à la part d’égoïsme. Pour y parvenir,
nous pourrions aller puiser au plus profond de nous afin
de passer de deux à trois composantes : égoïsme, vie inté-
rieure et générosité ; la vie intérieure aidant à réduire un
peu l’égoïsme et à augmenter la générosité.
Ainsi, nous ne serions pas des êtres parfaits mais certai-
nement des personnes plus heureuses.

45
La bienveillance, source d’espérance

La bienveillance aide à voir les difficultés


autrement et est à l’origine de lendemains
meilleurs

La bienveillance vis-à-vis de soi


est espérance

Apprenons à relativiser les soucis mineurs et à…


vivre mieux !
Dans mon métier premier, la médecine d’urgence, j’ai pu
vérifier à de nombreuses reprises qu’une douleur physique
importante annihilait une autre douleur physique moindre.
Et souvent, c’est seulement quand la douleur la plus impor-
tante était gérée qu’apparaissait la seconde.
N’est-ce pas un peu le même phénomène au niveau
psychique ? Si l’on a un accident, même mineur, et que
l’on abîme son véhicule, on est mécontent. Mais si l’on
a un accident grave et que la vie d’une personne est en
danger, on ne s’intéresse plus au véhicule. La source d’in-
quiétude majeure prend alors le dessus et annihile celle
qui est moindre.
Ne pourrions-nous pas en tirer ce que je nomme un « Index
des Soucis Relatifs » ? Lorsque l’on rencontre une diffi-
culté, on l’évalue sur une échelle de1 à10, 1 étant un souci
mineur, 10 étant un problème majeur. Tant que l’on est en
dessous de5, on s’efforce de relativiser, appréciant même
que l’événement ne soit que modéré. Les soucis majeurs
étant généralement plus rares, on apprécierait davantage
de nombreuses journées et on vivrait… mieux !

46
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

Bien gérer sa peur, c’est grandir !


Souvent, face à un problème important, on imagine les pires
conséquences sans être certain qu’elles vont se produire. Il
s’ensuit un état de stress important qui favorise l’émergence
d’angoisses et amorce ainsi une spirale infernale.
Pour l’éviter, il peut être utile de se poser cinq questions.
êLes conséquences de ce problème vont-elles forcément
se produire ?
êEn suis-je certain ?
êMon inquiétude aide-t-elle à gérer la situation ?
êPuis-je envisager une stratégie susceptible de favoriser
une évolution différente ?
êQue puis-je apprendre de cette expérience difficile ?
Prendre conscience que l’on n’est pas certain de l’incerti-
tude qui prédomine dans l’issue de la situation est rassurant.
Parallèlement, on se rend bien compte que la spirale de la
peur n’aide pas à avoir une approche lucide de la situation.
Réfléchir à une stratégie susceptible de favoriser une évolu-
tion positive est très apaisant et présente le mérite de nous
faire passer en mode actif et protecteur. Si le problème
survient, le moindre niveau de stress et l’effet bénéfique
de la stratégie mise en place aideront à le gérer au mieux.
Si le problème ne survient pas, cette expérience difficile
nous aura appris à appréhender ce type de situation et aura
contribué à nous faire grandir.

Développer ses forces et corriger ses faiblesses


Souvent, on s’interdit de voir ses forces et on n’a pas tota-
lement conscience de ses faiblesses. On vit dans une sorte
de mixte flou, fade et inefficace.

47
La bienveillance, source d’espérance

Découvrir ses forces permet d’agir là où l’on a le plus de


chance de réussir. Grâce aux premiers succès, on va être en
mesure d’entreprendre des actions de plus en plus difficiles
et de les réussir, amorçant un magnifique cercle vertueux.
Celles et ceux qui nous aident à ressentir nos forces jouent
un rôle majeur, car en augmentant notre envie d’entre-
prendre, ils nous permettent de réussir.
Avoir conscience de nos faiblesses nous permet de savoir
là où nous devons agir pour les corriger. Mais autant il
est souvent facile d’inviter une personne à connaître ses
forces, autant il est plus difficile de l’aider à percevoir
sesfaiblesses. Cependant, si on a incité une personne à voir
ses forces, elle sera dans un état d’esprit plus compatible
avec le fait de reconnaître ses faiblesses et de les corriger.
Développer ses forces et corriger ses faiblesses, voilà des
clés du succès.

Tenir bon en cas de mauvais temps !


On souffre parfois pour peu de choses, une injustice
perçue, une trahison, un échec personnel… Il est intéres-
sant de voir comment on pourrait essayer de traverser ces
situations-là au mieux.
Quand on est confronté à des vents contraires, il est parfois
nécessaire de prendre le temps de repenser à des situations
très difficiles du passé. Cela aide énormément à relati-
viser. Face à une mer agitée, il est important de mesurer
le chemin parcouru depuis quelques mois ou quelques
années, car on a plus tendance à voir les soucis de l’avenir
que les succès du passé.
Quand la tempête est là, il est indispensable de nous
projeter vers un but qui nous tient vraiment à cœur, un but

48
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

qui est le défi de notre vie. Par exemple, lors d’une grande
dépression météorologique, il faut essayer de trouver les
« forces de l’esprit » qui nous animent ; si on a pu progresser
ainsi, c’est que des forces se sont mobilisées et elles vont
poursuivre leur œuvre…
On en arrive très vite à la conclusion que ce qui nous abîme
est peu de chose, on se rassure devant la progression, on
s’apaise en constatant le cheminement vers le but de sa vie
et on s’élève lorsque l’on prend conscience de la mobilisa-
tion des « forces de l’esprit ».

Si l’environnement est difficile, prenez soin


de vous et persévérez
Si on plante un jeune arbre dans un milieu favorable, il
va se développer et interagira de manière bénéfique avec
son environnement. Si on plante le même jeune arbre
dans un pot, son développement sera beaucoup moins
rapide. Ce n’est donc pas l’arbre qui est en cause mais
l’environnement.
On pourrait vite conclure à tort que si notre environ-
nement n’est pas favorable, on ne pourra rien réussir de
grand. Or, si l’on prend soin de l’arbre dans le pot, il va
survivre et pourra même devenir un bel arbuste. Ainsi,
le jour où on le replante dans un sol fertile, il pourra se
développer et devenir un arbre magnifique.
Et si c’était le même principe chez l’humain ? Lorsque
notre environnement n’est pas favorable, il faut prendre
soin de soi et persévérer. Un jour, l’environnement chan-
gera et nous réussirons. Pour ceux qui doutent, repensez
au parcours de NelsonMandela.

49
La bienveillance, source d’espérance

La bienveillance d’autrui vis-à-vis de nous


est espérance

Pour affronter les difficultés, l’importance


de la bienveillance du meilleur ami
ou de la meilleure amie
Les amis nous protègent des événements stressants de la
vie…
En 2017, RebeccaGraber, chercheuse à l’université de
Leeds en Angleterre, apportait la preuve que des relations
amicales de qualité améliorent nos capacités à affronter
des événements de vie difficiles 1. Les participants étaient
évalués sur la qualité de leurs relations amicales, leur
aptitude à se remettre d’un événement douloureux, les
comportements qu’ils mettaient en place pour affronter
les différents événements de vie qu’ils traversaient et leur
estime personnelle. Le même questionnaire leur était
adressé un an plus tard pour pouvoir évaluer l’impact à
long terme de leurs relations amicales.
Le docteur Graber indique : « Notre recherche montre
que nos meilleurs amis jouent un rôle protecteur dans nos
événements de vie stressants. Le fonctionnement de ce
mécanisme reste toutefois à préciser. » Cette étude venait
conforter la recherche effectuée par cette même chercheuse
en 2016. Elle montrait que les meilleurs amis jouaient un
rôle important dans la capacité à récupérer d’un événe-
ment douloureux chez des enfants de milieux défavorisés.
De la même façon, une autre étude 2 montre qu’avoir un

1. D r Rebecca Graber, « Resilience and friendships », University of Brighton.


2. Tracy Brower, « You can make friends at work. Here is how to foster life-long connec-
tions », Fast Company, 4 août 2022.

50
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

meilleur ami au travail est bénéfique pour la santé mentale


des salariés.
Ne nous concentrons donc pas sur les amis qui nous
peinent mais accordons de l’importance aux relations
d’amitié.

Lors de périodes difficiles, les amis et la gentillesse


aident à progresser
Lorsque tout va bien, l’impact des relations d’amitié est
moins intense que dans des périodes difficiles. Mais
lorsque la vie est compliquée, l’impact du soutien apporté
par les amis est inimaginable, il devient un rayonne-
ment magique, une source d’espoir et un acte de survie.
L’expression verbale et l’illustration solidaire d’une amitié
changent la vie !
Il en est de même de la gentillesse. Dans de telles circons-
tances, sa perception est décuplée, aidant pratiquement à
passer des larmes à la joie. De petits actes de gentillesse
sont perçus comme majeurs. Imaginez ce qu’il en est lors-
qu’il s’agit d’actions d’envergure !
Ce constat doit amener à exprimer son amitié à ses amis,
notamment dans les périodes douloureuses, et à faire preuve
de gentillesse particulièrement vis-à-vis de celles et ceux qui
connaissent des difficultés. Ainsi, la personne aidée trouvera
la joie de l’apport de chaleur humaine et l’aidant ressentira
une joie intense, celle d’être un passeur d’humanité.

La bienveillance d’autrui apprend à savoir passer


de la souffrance au bonheur
Lorsque l’on traverse une période difficile, on remarque
davantage les personnes qui se comportent bien, peut-être

51
La bienveillance, source d’espérance

parce qu’on y est plus sensible, peut-être parce qu’on en


a plus besoin. Ce qui est alors très encourageant, c’est de
constater qu’elles sont finalement très nombreuses.
En temps normal, lorsque tout va bien, comme on
remarque moins ces profils-là, on a parfois l’impres-
sion d’être davantage entourés de personnes qui se
comportent mal. Peut-être parce qu’on les remarque
davantage, peut-être parce qu’elles génèrent chez nous
des émotions négatives plus puissantes que les émotions
positives.
Traverser une période difficile a au moins un avantage,
c’est de mieux prendre conscience de toutes les personnes
qui se comportent bien vis-à-vis de nous. Nous apprenons
alors à mieux les détecter et nous continuons à les voir
davantage par la suite, créant ainsi un équilibre beaucoup
plus agréable à vivre.
Il est classique de dire que tout ce qui ne tue pas rend
plus fort. Je pense surtout que tout ce qui ne tue pas peut
rendre… plus heureux ! Lors de périodes difficiles, de
petits gestes de personnes attentionnées peuvent changer
la vie… Prenons-en conscience afin d’en faire pleinement
profiter autrui.
Le monde de l’entreprise s’est longtemps focalisé sur les
organisations. Depuis quelques années, il prend davan-
tage en compte les relations interpersonnelles et la place
majeure qu’elles tiennent dans la réussite de l’entreprise.
À l’échelle humaine aussi, les comportements bienveillants
sont devenus essentiels.
On vient de voir à quel point la bienveillance vis-à-vis de
soi aide à trouver la voie de l’espérance, permet de « trans-
former les soucis en défis » et de renouer avec l’espérance. Il

52
La bienveillance, clé de la réussite et d’une vie meilleure

est donc essentiel pour chacun d’être bienveillant vis-à-vis


de lui-même et vis-à-vis d’autrui pour bâtir une puissante
dynamique d’espérance.

Bienveillance et espérance,
voies des exploits et de l’enthousiasme

La bienveillance et l’espérance à l’origine de résultats


exceptionnels
Nombre de personnes ont tendance à voir la bienveillance
comme protectrice de la santé des collaborateurs mais
difficilement compatible avec des résultats exceptionnels.
La bienveillance peut-elle être compatible avec la réussite
d’exploits ? Essayons de voir les conditions qui amènent à
réussir, même lorsque le but est très ambitieux…
Il faut un dirigeant bienveillant, riche d’espérance, qui fixe
un but ambitieux, précis et riche de sens. Il est nécessaire
que les managers mettent en place un management bien-
veillant, en commençant par décomposer le but ambitieux
en objectifs intermédiaires qui soient des défis accessibles,
tout en s’assurant que le sens est conservé et bien percep-
tible de tous. Il est essentiel que les collaborateurs, sous
l’effet d’un management bienveillant, soient en bonne
santé, motivés, optimistes, créatifs, confiants en eux et
vis-à-vis d’autrui, persévérants et animés d’une belle envie
de coopérer. Le management bienveillant est non seule-
ment compatible avec la réussite d’exploits mais il en est
la condition sine qua non.

53
La bienveillance, source d’espérance

La bienveillance et l’espérance font de l’humain


un être merveilleux, capable de tenter l’impossible
L’humain est intellectuellement puissant car il est capable
d’élaborer les meilleures stratégies pour mener à bien les
actions qu’il souhaite entreprendre. Mais sa puissance ne
vient-elle pas de sa capacité à agir sans recourir à une
pensée logique ? C’est le cas, par exemple, du risque
encouru par les sauveteurs qui mettent leur vie en danger
pour sauver une personne. Le risque est majeur mais
l’envie de sauver est tellement forte qu’elle en fait oublier
les conséquences potentielles. Oui, il arrive que l’homme
fasse rimer « succès » et « impossible ». N’est-ce pas cela le
propre de l’humain ? N’est-ce pas là sa force et sa beauté ?
C’est la même chose pour l’enthousiasme. L’être humain
fait des projets, conçoit des rêves avant même de savoir
si leur mise en œuvre est réalisable, à l’instar de Kennedy
lorsqu’il décide d’envoyer un homme sur la Lune : les
Américains n’ont à l’époque pas les technologies néces-
saires, mais onze ans plus tard… c’est Apollo11 !
Ce sont ces états-là que je trouve merveilleux chez l’humain.
On a des ordinateurs capables d’analyses impressionnantes
afin de définir la meilleure action possible, mais sont-ils
capables d’agir en annihilant la conscience, la logique ?
Cette capacité à tenter l’impossible n’est-elle pas le propre
de l’humain ?
La bienveillance, nous l’avons vu sous différents angles,
est à l’origine de l’espérance.
Ce qui est intéressant, c’est que l’association de la bienveil-
lance et de l’espérance va permettre à l’humain d’exprimer
de l’enthousiasme, cette capacité à réussir demain ce qui
nous semble impossible aujourd’hui.
CHAPITRE 2

La bienveillance au travail

Pour que la bienveillance au travail devienne source d’es-


pérance, il est indispensable que les managers disposent,
au départ, du temps nécessaire pour diriger au mieux leurs
équipes. Grâce à l’investissement initial en temps, il deviendra
possible par la suite d’amorcer une dynamique vertueuse.

Récupérer du temps afin de pouvoir


en consacrer aux comportements
bienveillants

Dans la vie active, le temps est certainement ce qui


manque le plus à tous. Si les comportements bienveillants
sont difficiles à mettre en œuvre, c’est à la fois parce qu’ils
demandent des efforts et du temps disponible. « Prendre
le temps d’expliquer, ce n’est pas perdre du temps, c’est
en gagner », écrivait leDRH d’un groupe coté en Bourse
au sujet de la nécessité d’aider ses collaborateurs à voir le
sens de leur travail. Lorsque nous courons après le temps,
comment en dégager sans mettre en péril la performance
de l’entreprise ? Essayons d’esquisser quelques pistes.

55
La bienveillance, source d’espérance

Utiliser le temps gagné par un moindre


nombre de déplacements
Tout d’abord, pour certains managers, passer à un mode
hybride qui combine présentiel et distanciel permet de
gagner du temps sur les transports ; ce temps peut ensuite
être réinvesti plus efficacement dans un comportement
bienveillant où le manager fera davantage preuve de péda-
gogie et de sollicitude envers ses équipes.

Ne conserver que les reportings


qui sont essentiels
Ensuite, il y a le temps que l’on peut gagner en réduisant
le nombre de reportings à ceux qui sont essentiels. Depuis
plusieurs années, n’y a-t-il pas une tendance à en ajouter
sans pour autant supprimer ceux qui sont moins impor-
tants ? N’y a-t-il pas des entreprises où certains reportings
sont exigés mais rarement consultés ?
Il ne s’agit bien sûr pas de tous les supprimer mais d’en
réduire le nombre de manière significative et de ne
conserver que ceux qui sont essentiels.

Réduire le nombre de réunions


et les limiter dans le temps
Je vois trop de personnes critiquer l’impact néfaste des
réunions qui s’éternisent pour ne pas imaginer qu’il serait
possible d’en réduire le nombre et d’en limiter la durée.
Des réunions qui commencent à l’heure pile et non cinq
minutes en retard, le temps que tout le monde s’installe ;
des réunions seulement essentielles et dont la durée sera
réduite : voilà une belle source d’optimisation du temps.

56
La bienveillance au travail

Récupérer les temps perdus induits


par les vexations

Des comportements parfois maladroits génèrent des


frustrations durant lesquelles le collaborateur va utiliser
son énergie et son temps à analyser le niveau de mépris
du propos, ce qu’il va mettre au point pour ne plus subir
cela… Je me souviens d’un manager en train de m’expli-
quer que son changement de bureau s’était traduit par une
diminution du nombre de fenêtres et qu’il allait utiliser le
temps et l’énergie nécessaires pour récupérer sa troisième
fenêtre. Bien sûr, c’est une exception. Ou pas ! Le temps
et l’énergie gâchés par les frustrations sont impression-
nants. Si chacun faisait l’effort de mieux se comporter, on
réduirait considérablement ce temps et il serait possible de
l’utiliser pour amplifier une spirale vertueuse.

Éviter les pertes de temps liées


aux arrêts maladie

Un climat riche d’incompréhensions, de frustrations, va


favoriser l’augmentation du niveau de stress, les problèmes
de santé et donc les arrêts de travail. Ce phénomène est
chronophage : comment remplacer tel collaborateur absent
pour une durée pas toujours facile à évaluer ? Comment
répartir, en attendant, ses missions sur d’autres collabo-
rateurs ? Comment réduire leur insatisfaction liée à la
charge de travail supplémentaire et éviter la contagion du
mal-être ?

57
La bienveillance, source d’espérance

Éviter les pertes de temps liées


au présentéisme

Souvent, en essayant de lutter contre l’absentéisme, on


génère du présentéisme : le salarié est présent en dépit de
son état de santé. Le problème de ce phénomène est qu’il
est plus coûteux que l’absentéisme.
En effet, selon une étude réalisée en 2010 par l’université
catholique de Louvain, « le présentéisme atteint 61 % des
coûts totaux relatifs à la santé dans une entreprise, suivi
par les frais médicaux (28 %) et l’absentéisme (10 %) ».
Et s’il est plus coûteux, il a forcément un impact sur le
temps gâché.
Le présentéisme peut concerner une personne qui a une
infection virale et qui vient travailler quand même. Victime
de cette infection, la personne est moins performante et
risque de contaminer d’autres collègues qui vont devenir,
à leur tour, moins efficaces ; la perte d’efficacité globale et
donc de temps devient significative.
Le présentéisme peut aussi être lié à des problèmes moraux
(niveau de stress élevé, état moral limite…) qui vont
générer des émotions négatives et venir altérer la qualité
des relations humaines, clé de l’efficacité et de la cohésion.
Et sans efficacité, sans cohésion, on perd du temps.
Vous l’avez compris, prendre le temps d’être bienveillant,
c’est un investissement en temps qui paie rapidement.

Remarque au sujet du temps

Le seul cas où l’on peut réduire le temps de manière consi-


dérable et sans en avoir d’effets délétères, c’est lors des…
souvenirs !

58
La bienveillance au travail

Dans le domaine professionnel, s’il y a des domaines


où l’on peut réduire le temps sans problème grâce à des
moyens de communication de plus en plus performants,
il y en a d’autres où la réduction est plus difficile.
Le temps de la compréhension et de l’appropriation
demeure celui de l’homme et non celui de la technologie.
Le temps de l’amendement de chacun est aussi un temps
nécessaire. C’est parce que l’être humain est capable
d’amendement que ses efforts vont pouvoir contribuer à
faire émerger des progrès et pas seulement des innovations.
Si on néglige ce temps de compréhension et d’appro-
priation, les changements sont subis et non partagés,
avec tous les effets néfastes que l’on peut imaginer sur la
santé et l’engagement. Si on néglige le temps nécessaire
à l’amendement de chacun, on cherchera en permanence
le succès…

Un management bienveillant

Dans une période où le niveau de stress est important et


le niveau de motivation très bas, le management bienveil-
lant, en mesure de diminuer le premier et d’augmenter le
second, est particulièrement adapté.

Les principes du management bienveillant

Pour diminuer le niveau de stress et augmenter la moti-


vation, il convient d’augmenter les émotions, d’éclairer le
sens du travail, de fixer des objectifs intermédiaires qui
soient des « défis possibles » lorsque l’objectif final est

59
La bienveillance, source d’espérance

très ambitieux, d’accorder un juste niveau d’autonomie,


d’exprimer des retours positifs (gratitude, compliments,
encouragements…). Il faut dans le même temps diminuer
les émotions négatives : cultiver le sentiment de justice et
l’équité, éviter le manque d’empathie, convertir le mépris
en considération, muter le pessimisme en optimisme…

Augmenter les émotions positives

Éclairer le sens de l’action


Le sens aide à diminuer les eets du stress
À titre d’exemple, on pourrait citer les travaux du professeur
Jean-JacquesBreton, psychiatre canadien, qui situe le sens
comme un « facteur de protection » du stress. Pour lui, tout
comme il existe des facteurs de risque, il y a des facteurs
de protection parmi lesquels le sens que l’on donne aux
choses : « Ce n’est pas magique, bien sûr, mais si on favo-
rise ces facteurs de protection, les gens peuvent améliorer
leur capacité à faire face aux événements stressants. »
Le docteur PierreGagnon, psychiatre québécois spécialisé
en psycho-oncologie, montre que si l’on aide des patients
atteints de maladies graves à donner du sens à leur vie,
« la détresse psychologique diminue et la qualité de la vie
augmente1 ».
Le sens aide à réussir
Aux États-Unis, quand des collecteurs de fonds d’une
université rencontrent des étudiants qui bénéficient d’une
bourse (bourse rendue possible grâce aux fonds récoltés),

1. Jean-Philip Rousseau, « Vivre un cancer avec moins d’anxiété », Le Journal de


Québec, 15 août 2009. Disponible en ligne : www.journaldequebec.com/2009/08/15/
vivre-un-cancer-avec-moins-danxiete

60
La bienveillance au travail

ils augmentent de plus de140 % leur temps d’appel et


de400 % le montant des collectes hebdomadaires.
Dans le même ordre d’idée, quand des radiologues améri-
cains voient la photo du patient en même temps que les
radiographies, les comptes rendus sont plus longs et
surtout les diagnostics sont plus justes.
Le sens permet de se réaliser
Un article 1 paru sur le site The Harvard Gazette le
11 janvier 2022 évoque une vaste enquête « Global
Flourishing Study » à venir, qui va tenter d’estimer, au
niveau mondial, le bien-être humain. L’équipe de cher-
cheurs va suivre environ 240 000personnes de 22pays sur
cinq ans. Parmi les paramètres qui seraient intégrés dans
cette estimation du bien-être, il y aurait le but, le sens et
les liens sociaux…
Concrètement, aider à voir le sens diminue le niveau de
stress, améliore l’envie de bien faire et aide à la réalisation
de soi, notamment au travail.

Si l’objectif final est ambitieux,


fixer des objectifs intermédiaires
qui soient des « défis possibles »
L’être humain ne sait que très rarement franchir un mur,
mais nombreux sont ceux qui peuvent monter un escalier.
Partant de ce principe, si l’objectif final est ambitieux, il est
opportun de fixer des objectifs intermédiaires qui soient
atteignables.

1. Caitlin McDermott-Murphy, « Healthy? Maybe. But are you flourishing? », The Harvard
Gazette, 11 janvier 2022.

61
La bienveillance, source d’espérance

Sur ce point, les travaux de MihályCsíkszentmihályi


sont très intéressants. Ce psychologue américain d’ori-
gine hongroise, longtemps considéré comme la référence
internationale en matière de psychologie positive, explique
que la définition du bon niveau de l’objectif est essentielle :
si l’objectif fixé est trop haut par rapport aux capacités du
collaborateur, celui-ci sera stressé, verra ses performances
diminuer et sa confiance en lui s’effondrer ; si l’objectif est
trop bas, le collaborateur va s’ennuyer et ne sera ni perfor-
mant, ni serein, ni satisfait de son travail. En revanche, si le
niveau de l’objectif se situe juste au-dessus des capacités du
collaborateur, celui-ci va entrer dans un état de concentra-
tion optimale appelé état de flow, un état dans lequel nous
éprouvons du plaisir à agir qui nous amène à ressentir une
distorsion temporelle : le temps s’écoule très vite.

Des objectifs intermédiaires diminuent


les eets du stress
En effet, lorsque l’on prend conscience que l’on progresse,
que l’on se dépasse, que l’on est utile à autrui, on bénéficie
de puissants facteurs de protection, notamment vis-à-vis
du stress : la satisfaction de soi, le sentiment d’utilité et le
plaisir que cela induit.
Le professeur GuyCheron 1 s’est lui aussi intéressé à
l’état de flow sous l’angle des ondes émises par le cerveau.
Il a essayé de voir quelles étaient les ondes émises par
le cerveau qui étaient, chez des sportifs de haut niveau,
associées au succès, et les moyens de faciliter l’émer-
gence de ces ondes. Il s’avère que ce sont les ondes dites
« alpha ».

1. Professeur de neurophysiologie à l’Université libre de Bruxelles.

62
La bienveillance au travail

Le professeur Cheron explique que « le cerveau en repos,


donc au moment où les ondes alpha sont les plus fortes,
permet une meilleure acuité et une meilleure perception
de l’environnement sensoriel notamment 1 ». Si l’on fixe
des objectifs ambitieux et réalistes, l’état de flow qui y est
associé va de pair avec des ondes alpha.
Si les objectifs intermédiaires sont ambitieux et réalistes, la
« combinaison entre le défi et l’habileté à le relever » existe.
L’être concerné éprouve du plaisir car il sent qu’il est en
train de réussir, il est apaisé et efficace, son cerveau a une
plus grande acuité. Et on sait que le plaisir est protecteur
des effets du stress.

Des objectifs intermédiaires qui facilitent la réussite


Et dans le domaine professionnel, le moyen de favoriser
l’émergence d’ondes alpha est bien l’état de flow. Cet état
qui associe le calme à la vigilance, un état où le cerveau est
effectivement très efficient. Le professeur Cheron résume
à merveille l’état de flow : « La combinaison entre le défi et
l’habileté à le relever peut nous conduire à un état de flow
susceptible de générer la meilleure performance. »
Il est captivant de voir que les travaux de Mihály
Csíkszentmihályi se recoupent à merveille avec ceux du
célèbre neurophysiologiste belge : Guy Cheron.

Des objectifs intermédiaires qui aident à se réaliser


Le docteur en psychologie TeresaAmabile a sondé près
de 12 000personnes : 76 % d’entre elles estimaient que

1. Laurent Fabri, « Comment fonctionnent les cerveaux des champions ? », L’Écho, 13 août
2017. Disponible en ligne : www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/comment-
fonctionnent-les-cerveaux-des-champions/9922711.html

63
La bienveillance, source d’espérance

les journées dont elles étaient le plus satisfaites étaient


celles où elles avaient progressé. L’être humain, dans plus
des trois quarts des cas, se réalise en progressant, ce que
permettent des objectifs intermédiaires ambitieux mais
atteignables.
Des objectifs intermédiaires qui aident à atteindre
l’ambitieux objectif final
Souvenons-nous de cette expérience des nageurs de
combat : un groupe de nageurs largués en pleine mer doit
rejoindre la côte sans objectifs intermédiaires, un autre
groupe a des bouées réparties sur le parcours, qu’il doit
toucher lors de leur passage sans prendre appui dessus.
C’est dans ce deuxième groupe, qui a de véritables objectifs
intermédiaires, que les résultats sont les meilleurs.
Lorsque l’objectif final est ambitieux, fixer des objectifs
intermédiaires favorise donc la santé, l’engagement, la
réalisation de soi et… la réussite !

Accorder un juste niveau d’autonomie…


L’autonomie, à travers la liberté d’action, diminue les effets
du stress et, en même temps, est une source de créativité,
de cohésion et donc de réussite.
Lors de la crise sanitaire, l’autonomie a moins été perçue
comme l’expression de la confiance dans la mesure où elle
était imposée par le contexte. Malgré cela, il convient de
reconnaître que le télétravail s’est généralement mieux
passé que beaucoup ne l’avaient imaginé.
On ne peut pas non plus conclure, d’après les expé-
riences vécues lors de cette exceptionnelle période, que
le télétravail est la solution pour tous et qu’il doive être
généralisé. Il y a un juste équilibre entre l’aspect protection

64
La bienveillance au travail

du collectif de travail et le travail à distance. Une juste


« posologie » de télétravail peut aussi améliorer la qualité de
vie des collaborateurs concernés, notamment en réduisant
les difficultés inhérentes aux transports.
La liberté d’action diminue le niveau de stress
Plus la liberté d’action est importante, plus le niveau de
stress est bas. C’est ce qui explique que, lorsqu’il y a deux
personnes dans une voiture, le niveau de stress le plus
important concerne le passager. Dans les entreprises de
transports en commun, le niveau de stress des conducteurs
de tramway est supérieur à celui des conducteurs de bus.
En effet, en cas de nécessité, le conducteur de bus peut
faire un écart et freiner. Le conducteur de tramway, lui, ne
peut pas faire d’écart et le freinage sera rendu plus difficile
en raison de la plus grande inertie du véhicule.
PaulRicœur résume bien cette situation en une phrase :
« L’amputation du pouvoir d’agir, c’est de la souffrance. »
Si l’absence de liberté d’action génère des tensions, sa
présence diminue bien le niveau de stress.

L’autonomie est source de réussite


L’intérêt de l’autonomie a été démontré par DanielH.
Pink 1, un avocat américain passionné par la motivation.
Le groupe Atlassian, société australienne de logiciels de
gestion comptant plus de 20 000clients dans 134pays, est
une référence. À l’occasion de la journée annuelle de l’au-
tonomie, il était demandé aux ingénieurs de s’investir sur
le sujet de leur choix dès lors qu’il ne s’agissait pas de
leurmission habituelle. Le soir, un grand rassemblement

1. Auteur de discours pour le vice-président des États-Unis Al Gore, de 1995 à 1997.

65
La bienveillance, source d’espérance

leur permettait de partager leurs réflexions. Il a été admis


que grâce à ces journées privilégiant l’autonomie, un
nombre significatif de corrections de dysfonctionnements
divers avait pu voir le jour. Devant les succès constatés,
Atlassian a étendu cette démarche d’autonomie.
Dans l’entité française d’un groupe cosmétique japonais, le
président, en s’inspirant des travaux de DanielH.Pink, a
lancé une initiative qui consistait à faire émerger des idées
susceptibles d’améliorer leur poste de travail à l’ensemble
des collaborateurs. À tous les niveaux, des idées ont vu
le jour. Les idées les plus impactantes ont été dévelop-
pées et, lors de l’assemblée générale de cette entreprise, un
film montrant les différentes améliorations a été projeté.
L’envie d’innover a été accompagnée de la perception
d’une réelle considération, ici l’innovation allait bien de
pair avec le progrès.

Formuler des retours positifs : gratitude,


encouragements et compliments
L’impact des retours positifs sur le stress durant la
pandémie a été parfaitement illustré par LodeGodderis.
Ce professeur de médecine du travail belge a étudié les
effets de la pandémie sur la reconnaissance au travail 1.
Selon cette enquête, « plus d’un quart des employés dit
recevoir moins de compliments quant à ses performances
professionnelles qu’avant la crise du coronavirus ».
Il est admis que la crise sanitaire a généré une augmenta-
tion du niveau de stress, liée d’une part à l’accroissement

1. Belga, « Coronavirus : la pandémie a aussi des effets négatifs sur la reconnais-


sance au travail », rtbf, 5 mars 2021. Disponible en ligne : www.rtbf.be/info/economie/
detail_coronavirus-la-pandemie-a-aussi-des-effets-negatifs-sur-la-reconnaissance-au-tra-
vail?id=10712111

66
La bienveillance au travail

des sources de stress (peur de la maladie, de la transmettre,


de ses conséquences humaines, sociales, économiques…),
d’autre part à la baisse des facteurs de protection (liens
sociaux dégradés, moindre activité physique, projections
agréables plus difficiles…).
L’absence de retours positifs accentue également le niveau
de stress déjà présent : « L’absence de ces retours d’infor-
mation constructifs peut susciter le sentiment d’être moins
apprécié au travail, ce qui peut entraîner une augmentation
du stress et des plaintes pour ‘‘burn-out’’ professionnel
[…] Plus de deux répondants sur trois (68,8 %) indiquent
que les personnes qui sont appréciées sont de facto plus
motivées. ‘‘En outre, le fait de se sentir valorisé pour ses
performances professionnelles stimule l’implication dans
le travail : selon 61,3 % des répondants, cela les rend plus
productifs’’, conclut l’enquête 1. »
Dans le contexte actuel, l’importance des retours positifs
est donc bien réelle.

La gratitude
Combien de fois n’entendons-nous pas dire : « Ce n’est pas
avec des mercis que l’on change une entreprise » ? Cependant,
lors de la crise sanitaire, en mars2020, quand les personnels
de santé sont au bord de la rupture, non pas par manque de
sens –quand on contribue à sauver des vies, on sait pour-
quoi on se lève le matin– mais en raison d’une surcharge
de travail importante, que fait-on en organisant des applau-
dissements à 20heures si ce n’est exprimer de la gratitude ?
La gratitude diminue les effets du stress et aide à vivre
mieux et à s’engager davantage.

1. Ibid.

67
La bienveillance, source d’espérance

Pour la chercheuse française RebeccaShankland, les indi-


vidus faisant régulièrement preuve de reconnaissance sont
« plus heureux, plus énergiques, plus optimistes 1… » Des
propos proches de ceux du chercheur RobertEmmons
lorsqu’il explique que la gratitude « aide une personne à
diriger son attention vers les choses heureuses de sa vie et
à la détourner de ce qui lui manque 2 ».
YumengGu 3 a fait une étude4 avec des nouveaux co-
locataires. Ceux-ci se sont regroupés en binômes, chaque
binôme étant isolé des autres.
Certains binômes devaient pendant quelques minutes
raconter une histoire anecdotique du quotidien. Les autres
binômes devaient s’exprimer de la gratitude.
Lors de l’événement stressant qui suivait, les binômes qui
s’étaient exprimé de la gratitude étaient moins impactés
par le stress.
Les encouragements
Si la gratitude s’exprime plus facilement à la fin d’une
mission, les encouragements sont davantage à formuler
en cours de mission, d’autant plus si celle-ci n’évolue
pas forcément bien et est susceptible de décourager le
collaborateur.
Dans le contexte actuel où l’incertitude est plus grande, où
les difficultés sont souvent accrues, où le niveau de stress est
important, où l’envie de baisser les bras est parfois proche,
les encouragements sont indispensables ; ils augmentent

1. Jacques Lecomte (dir.), Introduction à la psychologie positive, Dunod, 2014, pp. 167-179.
2. La Gratitude, Pocket, 2019.
3. Doctorante en économie à l’université de Californie à Davis (États-Unis).
4. « Gratitude expressions improve teammates’ cardiovascular stress responses », université
de Californie, juin 2022.

68
La bienveillance au travail

ce qui manque le plus : l’optimisme, la persévérance, la


confiance et la créativité…
Les encouragements aident à diminuer les effets du stress.
Plusieurs études ont aussi montré que les encouragements
au travail ont un effet protecteur contre les troubles
psychiatriques. À l’inverse, « le manque de soutien de
la part des collègues et/ou des supérieurs hiérarchiques
contribuerait à augmenter le stress dans l’entreprise ». Une
étude publiée en avril2018, réalisée auprès d’infirmières
très exposées au stress, a confirmé ces résultats. Les cher-
cheurs ont constaté que les encouragements étaient un
puissant moyen de réduire leur niveau de stress au travail.
Le sentiment d’ecacité personnelle
Les encouragements améliorent la motivation par
le biais du sentiment d’efficacité personnelle. Selon
lepsychologue AlbertBandura, le sentiment d’efficacité
personnelle renvoie « aux jugements que les personnes
font à propos de leur capacité à organiser et à réaliser des
ensembles d’actions requises pour atteindre des types de
performances attendues 1 ». Plus prosaïquement, la capacité
d’une personne à entreprendre certaines actions dépend
largement de sa croyance en cette capacité. Ainsi, si une
personne estime ne pas pouvoir produire de résultats
satisfaisants dans un domaine, elle n’essaiera pas de les
provoquer. Des individus différents avec des aptitudes
identiques (ou la même personne dans des circonstances
différentes) peuvent obtenir des performances faibles,
bonnes ou remarquables selon les variations de leur senti-
ment d’efficacité personnelle.

1. Social Foundations of Thought and Action. A Cognitive Theory, Pearson, 1985.

69
La bienveillance, source d’espérance

D’une manière générale, les personnes qui ont un senti-


ment d’efficacité personnelle élevé choisissent des tâches
qui présentent un défi et qui leur donnent l’occasion de
développer leurs compétences plutôt que de s’engager
dans des tâches simples. Elles se fixent des objectifs
élevés, régulent mieux leurs efforts, persévèrent davan-
tage face aux difficultés et obtiennent des performances
plus importantes.
À l’inverse, ces aptitudes peuvent être fortement émous-
sées lorsque l’on doute de soi. Les personnes abandonnent
plus rapidement face aux obstacles et ont des aspirations
réduites. À la suite d’une performance moindre, elles
perdent foi en leurs capacités.
Le sentiment d’efficacité personnelle est d’autant plus fort
que nous obtenons des retours positifs d’autres individus. Il
est plus facile de maintenir à un bon niveau son sentiment
d’efficacité personnelle si d’autres personnes expriment
leur confiance en ces capacités. En quelque sorte, en
renforçant l’optimisme et l’estime de soi, le sentiment
d’efficacité personnelle va aider à se fixer des défis de plus
en plus élevés et à persévérer davantage, conditions d’une
réelle réussite.
Des chercheurs de l’université de Malaga 1 en Espagne ont
publié une étude s’intéressant aux liens qui existent entre
les encouragements reçus des collègues et supérieurs et la
satisfaction au travail. Ces chercheurs ont constaté que les
encouragements amélioraient la capacité des participants à
autoréguler leurs émotions. Autrement dit, une personne
encouragée doute moins, se concentre davantage sur ses

1. Mérida-López, S. et al., « In pursuit of job satisfaction and happiness : Testing the


interactive contribution of emotion-regulation ability and workplace social support »,
Scandinavian Journal of Psychology, février 2019.

70
La bienveillance au travail

missions et, comme nous l’avons vu précédemment, réussit


davantage. Les personnes qui étaient encouragées avaient,
en raison d’une bonne autorégulation de leurs émotions,
un niveau de satisfaction au travail plus élevé. Cette étude
a permis de mettre en lumière l’intérêt des encouragements
sur les personnes ayant moins confiance en elles : en les
aidant à se rassurer, on améliore leur niveau de bien-être et
leur capacité à se focaliser davantage sur leurs objectifs que
sur leurs doutes. Cette équipe de recherche a également
constaté que les encouragements favorisaient le bonheur.
Nous n’avons donc aucune raison de nous en passer !

Les compliments
On a souvent tendance à imaginer formuler des compli-
ments une fois le succès remporté. Sur ce point, les conseils
de SundarPichai 1 sont intéressants. LePDG de Google,
dans un discours d’ouverture à Stanford, est très clair :
« Récompensez les efforts, pas les résultats. »
La tendance est d’attendre le bon résultat pour compli-
menter le collaborateur. Sundar Pichai conseille au
contraire de complimenter au moment où le collabora-
teur fournit l’effort, sans attendre le résultat. Il y voit là
un moyen d’améliorer la créativité (Google a été l’une des
premières entreprises à être totalement neutre en carbone
[2007], bien avant que les pratiques durables ne fassent
leurs débuts dans le discours dominant) et la durabilité de
la motivation intrinsèque.

1. Violette Laurent, « En 4 mots, le PDG de Google, Sundar Pichai, vient de donner les
meilleurs conseils sur la façon de diriger », Techtribune, 7 août 2022. Disponible en ligne :
fr.techtribune.net/google/en-4-mots-le-pdg-de-google-sundar-pichai-vient-de-donner-
les-meilleurs-conseils-sur-la-facon-de-diriger/396989/

71
La bienveillance, source d’espérance

Diminuer les émotions négatives

Lorsqu’il est question d’augmenter les émotions à valence


positive et de diminuer celles à valence négative, il ne s’agit
pas de faire éclore une société où chacun ne vivrait que
dans la joie. Souvent, pour réussir, nous avons besoin à
la fois d’émotions positives et d’émotions négatives, l’es-
sentiel étant que l’intensité des émotions négatives soit
inférieure à celle des émotions positives. Il s’agit donc de
recréer un équilibre favorable, ce qui est forcément difficile
en raison de la différence de puissance des émotions.

Cultiver le sentiment de justice et l’équité


L’injustice perçue est néfaste à la santé
Il est surprenant de voir à quel point un nombre très
significatif de collaborateurs ont l’impression de ne pas
bénéficier d’un traitement juste. Beaucoup estiment que
l’on ne voit que leurs erreurs et jamais leurs réussites. Or, la
carence en sentiment de justice coûte très cher à l’entreprise
puisqu’aux États-Unis, elle se chiffrerait en milliards de
milliards de dollars. En quelque sorte, si un collaborateur
a l’impression de ne pas être traité de manière juste, il va
rétablir le sentiment de justice par différents moyens, tous
très coûteux pour l’entreprise. Cette carence vient donc
altérer la performance. En outre, la carence en sentiment
de justice est également néfaste sur le plan de la santé car
elle génère des frustrations, génératrices de stress. Voilà
donc de bonnes raisons d’essayer de l’enrayer.
Le sentiment d’injustice favorise la survenue de la dépres-
sion au travail. Une vaste étude1 danoise réalisée auprès des

1. Grynderup M. Brødsgaard et al., « Work-unit measures of organisational justice and risk


of depression--a 2-year cohort study », juin 2013.

72
La bienveillance au travail

4 237fonctionnaires a démontré que le sentiment d’injus-


tice, plus que la charge de travail, favorisait la survenue de
dépressions au travail ou de burn-out.
Dans un rapport de la Fondation PierreDeniker pour la
recherche en prévention et en santé mentale, le sentiment
d’injustice, ou de non-équité au travail, a également été
identifié comme l’une des causes de survenue du burn-out.
Le sentiment d’injustice est contreproductif et induit
des comportements agressifs. La qualité de la relation
qu’entretient un individu avec son environnement de
travail détermine en grande partie ses perceptions, atti-
tudes et comportements au sein de l’entreprise 1. Plusieurs
recherches montrent que, dans certaines circonstances, des
perceptions d’injustice sont associées à des comportements
contre-normatifs2 ainsi qu’à des comportements agressifs3.
Enfin, une étude 4 menée par Mathilde Lavigne-
Robichaud, doctorante au Centre de recherche du CHU
de Québec, montre l’intérêt de ne pas associer un haut
niveau de stress et un déséquilibre effort/récompense
(ERI). Son étude porte sur 6 500salariés, âgés en moyenne
de 45 ans et sans antécédents cardiaques.
Il s’avère que les hommes qui ont un travail stressant ou
un déséquilibre effort/récompense ont une augmentation
de 49 % du risque de maladie cardiaque.

1. Colquitt J., « Justice at the Millennium: A Meta-Analytic Review of 25 Years of


Organizational Justice Research », Journal of Applied Psychology, juillet 2011.
2. Greenberg J., « The Quest for Justice on the Job », Sage, Thousand Oaks, 1996.
3. Baron J., « Building the Iron Cage: Determinants of Managerial Intensity in the Early
Years of Organizations », août 1999 ; Aquino K., « Justice Constructs, Negative Affectivity,
and Employee Deviance: A Proposed Model and Empirical Test », Journal of Organizational
Behavior, décembre 1999.
4. « Psychosocial Stressors at Work and Coronary Heart Disease Risk in Men and Women »,
19 septembre 2023.

73
La bienveillance, source d’espérance

Quant aux hommes qui ont un travail stressant et un désé-


quilibre effort/récompense, le risque de maladie cardiaque
est augmenté de 103 %.
Dans cette étude, le déséquilibre entre l’effort et la récom-
pense correspond à des salariés qui font beaucoup d’efforts
au travail mais perçoivent une faible récompense (salaire,
reconnaissance, sécurité de l’emploi) en retour.
Il est intéressant de constater que l’impact du déséquilibre
effort/récompense est identique à celui du stress, ce qui
prouve bien la nécessité de tendre vers cet équilibre lorsque
le travail est stressant.
Baisser le plus possible le niveau de stress et cultiver
l’équilibre effort/récompense, notamment grâce à un
management bienveillant, est donc la clé d’une meilleure
santé cardiovasculaire.
Le sentiment d’injustice est facteur de démotivation
et de désengagement
Le psychologue John StaceyAdams a développé une
« théorie de la justice et de l’équité 1 » selon laquelle un
individu est motivé lorsqu’il considère que la rétribution
qu’il perçoit de son travail (« outcomes ») est alignée avec
sa contribution (« inputs »). La rétribution est aussi bien
financière (salaire, prime) que non financière (reconnais-
sance, fierté, sécurité de l’emploi, promotion, sentiment
d’accomplissement). La contribution se fait par le biais
non seulement du travail fourni mais aussi par d’autres
biais tels que la compétence, les aptitudes personnelles,
la confiance dans le chef… Chaque individu accorde une

1. Bénédicte Reynaud, « Les théories de l’équité, fondements d’une approche cognitive du


salaire d’efficience », Revue économique, 1993. Disponible en ligne : www.persee.fr/doc/
reco_0035-2764_1993_num_44_1_409435

74
La bienveillance au travail

valeur plus ou moins élevée à différents types de rétri-


bution ou de contribution. La justice et l’équité perçues
proviennent aussi de la comparaison que fait l’individu
entre sa contribution et sa rétribution personnelles et
celles de ses collègues ou de salariés d’autres entreprises.
Si la personne juge que, à contribution égale, un de ses
collègues reçoit une rétribution supérieure, cela est facteur
de démotivation. De même, si elle juge qu’un collègue
reçoit une rétribution équivalente à la sienne alors que la
contribution du collègue est inférieure, elle sera encline
à se démotiver.
Une étude de l’IÉSEG 1 va dans le même sens, démon-
trant que le sentiment de justice au travail a effectivement
un impact positif sur le bien-être et l’épanouissement des
salariés. Ainsi, 66 % des personnes qui se sentent traitées
de façon juste au travail ressentent un bien-être supérieur à
la moyenne. À l’inverse, 69 % des personnes qui se sentent
traitées de façon injuste au travail ressentent un bien-être
inférieur à la moyenne. Le docteur Thierry Nadisic,
directeur de l’Executive MBA de l’IÉSEG, précise que
« ces résultats montrent une direction de progrès pour le
management. Les entreprises ont besoin d’engagement.
L’engagement est produit par le bien-être ».
Pour renforcer le sentiment de justice, il est indispensable
de formuler plus de compliments que de reproches. En
revanche, être juste, ce n’est pas taire ce qui ne va pas,
ce serait irresponsable vis-à-vis de ceux qui ne font pas
d’erreurs, c’est simplement parler trois fois plus de ce qui
va bien et bien formuler les reproches. Ainsi, face à un

1. « L’engagement des Français au travail : une question de bien-être et de sentiment de


justice ». Disponible en ligne : www.ieseg.fr/wp-content/uploads/2012/03/CPEnqueteEMBA.
pdf

75
La bienveillance, source d’espérance

collaborateur qui commet une erreur, il est intéressant de


repérer, avant de le voir, deux actions qu’il a bien réus-
sies. Lors de l’entretien, il sera alors plus facile d’aborder
dans un premier temps ses zones de succès et de formuler
ensuite des souhaits de progression au niveau du point le
plus bas.
Le sentiment de justice peut éviter bon nombre de
frustrations et diminuer l’intensité des émotions néga-
tives. En outre, par les retours positifs qu’il nécessite,
il peut même devenir un solide gisement d’émotions à
valence positive et donc un puissant levier de motivation
intrinsèque.

Éviter le manque d’empathie


Pardon, tout d’abord, pour cette phrase constituée de deux
mots négatifs. Il s’agit simplement d’illustrer la difficulté
d’être empathique en période de tension, lorsque le stress
est à un niveau important, comme c’est de plus en plus le
cas. En effet, l’empathie est altérée par le stress.
Une expérience 1 menée par le neuroscientifique canadien
JeffreyMogil et son équipe a démontré que plus on ressent
du stress, moins on éprouve de l’empathie envers autrui.
Les scientifiques ont en effet constaté qu’en bloquant la
principale hormone du stress, le cortisol, les participants
à l’étude étaient plus enclins à ressentir de l’empathie,
notamment envers les étrangers. « Il faut diminuer le
niveau de stress chez les personnes qu’on voudrait voir
fraterniser. Et les façons d’y arriver peuvent être très
simples. Si on veut que les personnes travaillent ensemble

1. « Reducing Social Stress Elicits Emotional Contagion of Pain in Mouse and Human
Strangers ».

76
La bienveillance au travail

et en harmonie, il faut que ces personnes soient sensibles


aux sentiments des autres, et pour y parvenir, il faut faire
en sorte qu’elles se sentent le plus rapidement possible à
l’aise entre elles. »
Heureusement, l’empathie peut se cultiver…
Des chercheurs suisses 1 ont en effet récemment démontré
que le partage d’expériences positives avec autrui activait
le circuit neuronal de l’empathie. Aller vers l’autre pour
mieux le connaître serait alors la solution pour ressentir
de l’empathie vis-à-vis d’autrui.
L’empathie améliore la santé
L’empathie diminue la souffrance psychique…
Elle est en effet un levier puissant pour faire baisser les
émotions négatives, même la pire souffrance. Exprimer de
l’empathie, c’est peut-être oublier ce que l’autre va penser
desoi pour ne s’intéresser qu’à lui ; finalement, c’est un signe
d’amour de l’autre… Et si on « aime » l’autre, il le ressent.

À TITRE D’EXEMPLE

J’ai découvert la puissance de l’empathie lors d’une de mes


premières gardes au Samu. Un soir d’été, vers 20 h 30, j’in-
terviens après un accident de voiture. À l’arrivée de l’équipe
médicale, la victime, un enfant de 15 ans, installé dans le
véhicule des sapeurs-pompiers, est en arrêt cardiaque.
Nous ne parviendrons pas à le ranimer. C’est la première
fois que je dois annoncer un tel drame à des parents,
présents sur place. Certainement trop en empathie, une

1. Grit Hein et al., « How learning shapes the empathic brain », janvier 2016.

77
La bienveillance, source d’espérance

larme dans le coin de l’œil que les parents auront la pudeur


de faire semblant de ne pas voir, j’explique que l’on n’a
rien pu faire… Quarante-huit heures plus tard, je reçois
un courrier de la maman qui me remercie de la manière
dont je lui ai annoncé le décès de son fils. Il est clair que
si l’empathie peut diminuer l’intensité d’une telle douleur,
elle offre vraiment d’énormes possibilités.

L’empathie améliore la santé physique


La doctorante en psychologie HannahSchreier et ses
collègues de l’université de Colombie-Britannique à
Vancouver ont suivi 106étudiants sur une période d’une
année, afin de savoir si consacrer du temps aux autres via
une activité de bénévolat avait un impact sur leur santé
physique 1.
L’équipe a conclu que « ceux et celles qui avaient montré
le plus d’empathie et d’altruisme dans l’accomplissement
de leurs tâches étaient aussi ceux dont la santé cardiovas-
culaire s’était le plus améliorée ».
L’empathie améliore la performance
L’empathie stimule la coopération…
Le Canadien Charles-Antoine Barbeau-Meunier a
rédigé un vaste mémoire 2 sur la fonction de l’empathie
à travers le monde, pour lequel il a d’ailleurs reçu le Prix
du collectif européen Confluence en sciences humaines
et sociales, lettres et arts. Après avoir étudié la littérature
sociologique, philosophique, anthropologique, historique,

1. Hannah Schreier et al., « Effect of Volunteering on Risk Factors for Cardiovascular Disease
in Adolescents. A Randomized Controlled Trial », avril 2013.
2. Charles-Antoine Barbeau-Meunier, « L’empathie peut-elle changer le monde ? »
Disponible en ligne : www.archipel.uqam.ca/5878/1/M13217.pdf

78
La bienveillance au travail

économique, biologique et scientifique, il a montré que


« les compétences empathiques, stimulant une intersub-
jectivité morale et altruiste, s’avèrent être des agents de
coordination sociale indispensables au vivre-ensemble et à
l’action collective. D’une part, l’empathie, par sa fonction
épistémologique, permet à l’acteur social de mieux saisir les
états affectifs et mentaux d’autrui. D’autre part, l’empathie
offrant un ‘‘parti pris’’ à l’égard d’autrui, permet, comme
fonction morale, de motiver par le ‘‘souci empathique’’ une
intentionnalité prosociale et altruiste ».
L’empathie facilite la communication et est source de
motivation…
Le psychiatre IrvinYalom définit l’empathie comme le
« ciment indispensable des relations humaines, l’outil
leplus puissant dont nous disposons pour entrer en rela-
tion avec autrui 1 ». Des chercheurs2 ont d’ailleurs démontré
qu’en entreprise, le leader empathique a la capacité de créer
un climat favorisant la motivation et la communication au
sein de ses équipes. Les ambiances de travail s’améliorent
et les risques de résistances au changement diminuent.
En médecine, différentes études montrent l’influence de
l’empathie sur l’observance du traitement et même sur la
guérison. En psychothérapie, l’empathie est une condition
majeure de succès.
Au niveau économique, les entreprises qui font preuve
d’« empathie organisationnelle » sont 20 % plus perfor-
mantes 3 que leurs concurrentes.

1. Et Nietzsche a pleuré, Le Livre de Poche, 2010.


2. Leonardo Badea et Nicolae Alexandru Pană, « The Role of Empathy in Developing the
Leader’s Emotional Intelligence ».
3. www.resilience-organisationnelle.com/1/upload/2_business_digest.pdf

79
La bienveillance, source d’espérance

L’empathie va aider à mieux percevoir les attentes


des clients. Sur ce point, RichardReed 1 est très clair :
« L’empathie permet de comprendre ce que les consom-
mateurs veulent ; et donner aux consommateurs ce qu’ils
veulent est le secret du succès. »
L’empathie, caractéristique humaine s’il en est, est bien
source de bien-être, de santé et de performance.

Convertir le mépris en considération


Le mépris, sous quelque forme que ce soit, est une source
de frustration très puissante. La sensibilité de l’humain au
mépris est tellement importante que cela peut déboucher
sur des niveaux de stress majeurs.

Diérentes formes de mépris


Le mépris n’est pas toujours le fruit d’une expression
verbale, il peut s’agir de signes plus discrets à l’image d’un
soupir, d’un regard, d’un haussement d’épaules… Il peut
prendre la forme d’une absence de demande de mission
à un collaborateur alors que les demandes aux autres
personnes sont multiples, il peut également consister à
formuler des demandes impossibles à satisfaire et à laisser
penser à la personne que l’échec vient d’elle… Lorsqu’un
collaborateur présente des signes de souffrance, il est bien
de s’interroger sur les causes potentielles et de rechercher
d’éventuelles formes de mépris.
S’il est évident que le mépris est générateur de stress, il est
tout aussi évident qu’il est un puissant levier de démoti-
vation. Il est donc essentiel d’éviter le mépris et même de
faire mieux, d’exprimer de la considération.

1. Cofondateur de la marque de smoothies Innocent.

80
La bienveillance au travail

Le mépris engendre de l’agressivité


La psychologue du travail LisaBellinghausen, dans son
étude « Les dynamiques de la violence – Comprendre
les mécanismes émotionnels de la violence 1 », classifie le
mépris, état affectif négatif à contrôle élevé, d’« émotion
antagoniste ». Elle considère le mépris, induit par des
attaques morales ou physiques perçues de façon injuste,
comme facteur déclencheur d’un comportement agressif
indirect au sein d’un groupe.
Les résultats d’une étude 2 de l’université de Pennsylvanie
viennent appuyer ce constat. Les chercheurs ont en effet
observé, chez les volontaires qui participaient à l’expérience
dans le cadre d’une stratégie d’entreprise, que ceux qui
avaient subi le mépris étaient de façon générale signifi-
cativement plus agressifs envers eux-mêmes et envers le
méprisant.

L’antidote du mépris : la considération !


L’antidote du mépris est d’exprimer de la considération.
HervéBazin traduisait d’ailleurs à merveille l’importance
de la considération : « Les gens ont soif de considération
bien plus que de mérite. »
Si le respect invite à ne mépriser personne, la bienveillance,
elle, incite à la considérer. Et certains comportements
peuvent aider à traduire de la considération : saluer un
collaborateur en le regardant, prendre de ses nouvelles
notamment lorsque celui-ci est souffrant, ou encore s’in-
téresser à la réussite d’un enfant, lui faire raconter les

1. Université Paris Descartes/CNRS.


2. Shimul Melwani, Sigal G. Barsade, « Held in contempt : the psychological, interper-
sonal, and performance consequences of contempt in a work context », Department of
Management, The Wharton School, University of Pennsylvania, USA.

81
La bienveillance, source d’espérance

clés d’un succès, réunir les conditions de son épanouis-


sement…
Grâce à JacquelinedeRomilly 1, j’ai eu l’immense honneur
de rencontrer un de ses confrères de l’Académie fran-
çaise, un grand médecin ophtalmologiste, le professeur
YvesPouliquen 2 . Lors d’un échange dans son bureau de
la rue de la Convention 3 où il avait poursuivi son acti-
vité après sa retraite de l’hôpital, il me racontait un jour
une scène touchante survenue lors de la cérémonie de
son départ à la retraite. Il m’expliquait que, à côté de ses
confrères, il y avait un ancien brancardier, venu spéciale-
ment pour le saluer. Lorsqu’YvesPouliquen remercie cet
homme d’être venu pour cette occasion, le brancardier lui
répond : « Mais monsieur, c’est normal, tous les matins,
quand je vous croisais, vous veniez me saluer. »

Muter le pessimisme en optimisme


Le pessimisme est d’humeur

À TITRE D’EXEMPLE

Au mois de mars 2013, j’avais passé une journée merveil-


leuse avec les managers d’un très beau groupe industriel. Le
soir, la mission terminée, je décide de regagner l’aéroport
en taxi. Fatigué par une journée de travail mais soucieux

1. Jacqueline Worms de Romilly (1913-2010), helléniste française et membre de l’Académie


française. En reconnaissance de ses travaux, elle a reçu de la Grèce la nationalité hellé-
nique en 1995.
2. Yves Pouliquen (1931-2020), essayiste, ophtalmologue français et membre de l’Aca-
démie française.
3. Paris 15e .

82
La bienveillance au travail

d’être agréable avec le chauffeur du véhicule, j’aborde la


question, assez classique dans ces cas-là, de la météo. La
journée avait en effet été très ensoleillée, une de ces jour-
nées de mars qui nous laisse croire que nous sommes
déjà en été. « Quelle belle journée, on sent le printemps
proche. » Le chauffeur, en homme averti, me prévient :
« Vous avez raison mais on va le payer plus tard, il fait
trop chaud pour la saison. »
Oui, vraiment, comme le suggérait le philosophe Alain, « le
pessimisme est d’humeur, l’optimisme de volonté ».

Une enquête 1 BVA de 2019 soulignait cette tendance :


seulement 19 % des Français considéraient que
l’année2019 serait meilleure que 2018. À l’inverse, 38 %
pensaient que l’année2019 serait moins bonne que2018,
quand 32 % estimaient qu’elle serait identique. La France
se classait alors à la 46 eplace des 50pays interrogés.

L’optimisme, compagnon de l’action


Mais avant de voir les atouts de l’optimisme, essayons de
le définir. L’optimisme ne consiste pas à dire que tout va
bien quand on traverse les pires difficultés, ce serait là une
forme d’optimisme naïf, sans intérêt.
Là encore, je fais de nouveau appel à JacquelinedeRomilly,
que j’ai eu l’honneur et le bonheur de bien connaître durant
les dix dernières années de sa vie. Un jour où je deman-
dais à cette grande dame les raisons de son optimisme,
elle me répondit affectueusement : « Mon petit docteur,
tout d’abord, on a un devoir d’optimisme vis-à-vis des

1. Yves de Montbron, « Les Français sont nettement plus pessimistes que les autres pays
occidentaux pour 2019 », Ligue des Optimistes de France, 3 mars 2019. Disponible en ligne :
www.liguedesoptimistes.fr/2019/03/03/les-francais-sont-nettement-plus-pessimistes-que-
les-autres-pays-occidentaux-pour-2019/

83
La bienveillance, source d’espérance

générations à venir et ensuite, l’optimisme, quand tout est


difficile, c’est le seul moyen de transformer les soucis en
défis ; les soucis nous accablent alors que les défis, nous
avons envie de les relever. »

Un mode d’action peut aider à transformer


les soucis en défis…
Lorsqu’on a une mauvaise nouvelle à annoncer, dans le
premier tiers de notre propos, on annonce la mauvaise
nouvelle telle qu’elle est, sans chercher à l’édulcorer. Dans
les deux tiers qui suivent, on n’aborde que les moyens que
l’on va mettre en place pour réussir et les raisons pour
lesquelles ces moyens vont s’avérer efficaces. Les liens
logiques forts entre les actions et les raisons de leur effica-
cité sont essentiels.

L’optimisme est source de santé


Prosaïquement, outre le fait que l’optimisme puisse se
cultiver et contribuer activement à la performance, il
constitue concomitamment un levier intéressant à activer
pour se préserver du stress.
Dans leur ouvrage, Le Stress permanent (2003), les docteurs
Pierre et Henri Lôo et Alexandre Galinowski sont très
explicites : « La personnalité optimiste intervient comme
appoint correcteur du stress. »

L’optimisme aide à réussir


L’optimisme aide à croire en l’impossible et parfois, ce qui
ne semble pas possible se réalise… En médecine, le recours
à une forme d’optimisme délibéré est une aide précieuse.
Lorsqu’on est placé dans de telles dispositions d’esprit, il
me semble que l’on se donne plus à fond, laissant moins

84
La bienveillance au travail

de marge à l’erreur, et le patient le ressent, lit l’espoir dans


les gestes et se met lui-même à espérer. La médecine ne
se résume pas à une simple mécanique cellulaire, elle
implique des êtres humains.
L’optimisme en médecine est indéniablement l’une des
composantes de l’humanisme. Depuis ces expériences
vécues en France ou à travers le monde, j’agis toujours de
la sorte et, maintes fois, j’ai pu constater que des patients
pouvaient s’améliorer alors que leurs cas semblaient
objectivement désespérés. Mais ces histoires dépassent
largement le seul exercice de la médecine. Elles se repro-
duisent dans de nombreux domaines !
Souvent, en effet, l’optimisme aide au succès. Ainsi, selon
une étude menée en 1986 par MartinSeligman auprès
de vendeurs de police d’assurance de la Metropolitan
Life Insurance Company, il apparaît que les vendeurs
optimistes vendent, en moyenne, 37 % de plus que les
pessimistes. Par ailleurs, ceux présents dans le top10 du
degré d’optimisme vendent 88 % de plus que ceux situés
dans le top10 du degré de pessimisme. Notons aussi que
les vendeurs optimistes apparaissent plus satisfaits de leur
travail et démissionnent deux fois moins.
Transformer le pessimisme en optimisme est une action
majeure qu’il faut s’efforcer de développer car elle porte
en elle, au-delà des germes de la santé et du succès, ceux
d’une vie intense.
De la bienveillance naît l’espérance car le bien que l’on
veut pour autrui n’est pas encore là. L’optimisme va aider
à croire en la possibilité de réussir à faire le bien, il va donc
être un renforçateur d’espérance et de bienveillance.

85
La bienveillance, source d’espérance

Impact de l’augmentation des émotions


positives et de la diminution des émotions
négatives sur les hormones

Si l’on augmente les émotions positives et si l’on diminue


les émotions négatives, on va favoriser la sécrétion de deux
hormones, l’ocytocine et les endorphines.
L’ocytocine va diminuer le niveau de stress, renforcer la
générosité et l’empathie favorisant la cohésion, accentuer
la créativité et le sentiment de confiance.
Stress
Émotions positives Cohésion
Ocytocine
Émotions négatives Conance
Créativité

Les endorphines vont rendre possible la sécrétion de dopa-


mine, hormone du plaisir et de la motivation…

Émotions positives
Stress
Endorphines Dopamine
Émotions négatives Motivation

On parvient donc bien aux effets recherchés.


On pourrait être tenté de se contenter d’augmenter les
émotions positives. Le problème est qu’elles sont moins
puissantes que les émotions négatives. On sait, grâce aux
travaux de la neuropsychologue BarbaraFredrickson, que
pour qu’un être humain s’épanouisse, il faut, selon les
personnes, entre2,9 et13,2 émotions positives pour une
seule émotion négative. La biologie confirme bien que
les comportements bienveillants sont sources d’espérance !

86
La bienveillance au travail

Comment cultiver les comportements


bienveillants dans une structure ?

Insuffler de la bienveillance dans les comportements au


sein d’une structure est possible dès lors que l’on respecte
quatre conditions.

Tout d’abord, avoir le soutien du sommet du groupe


Impulser un mode de management bienveillant demande
des efforts aux managers et aux collaborateurs. Il est indis-
pensable que ces efforts soient faits depuis le sommet de
la structure : le président, le comex, le codir, le directeur
général…
Le président-directeur général d’un groupe coté en Bourse
illustrait ainsi ce principe : « L’escalier se balaye par le
haut. » Pour cela, la démarche doit être présentée à l’ins-
tance dirigeante et avoir son soutien. Sinon, il est très facile
d’entendre : « Ce que vous nous dites est très bien mais…
il faut aller l’expliquer plus haut. »
Une fois que les dirigeants sont d’accord pour lancer cette
démarche, il est essentiel qu’ils le fassent savoir à leurs
collaborateurs. Il est alors possible de sensibiliser les direc-
tions des différentes entités afin que le message continue
à être diffusé depuis le haut.
Les dirigeants peuvent faire connaître leur engagement
de différentes manières, il peut s’agir par exemple d’une
communication écrite ou audiovisuelle expliquant la force
et les raisons de leur engagement. Certains vont même
sur le terrain pour témoigner de leur intérêt pour cette
initiative.

87
La bienveillance, source d’espérance

Ensuite, sensibiliser les managers


Lorsqu’on veut agir sur des comportements, les formations
classiques montrent leurs limites et il est préférable de
parler de sensibilisation. D’ailleurs, desDRH de groupes
certifiés par Great Place To Work, une société qui mesure
la qualité de vie au travail, notaient, à l’automne2010,
qu’au sujet des risques psychosociaux, les formations exis-
tantes ne s’avéraient pas efficaces. La sensibilisation se fait
par le biais de conférences interactives.
Voici comment se déroulent ces conférences : dans la
mesure où il s’agit avant tout de faire évoluer des compor-
tements, la durée de l’intervention n’est pas l’élément clé,
à la différence de formations classiques. L’efficacité vient
de la compréhension du sens de l’action et de l’impact
émotionnel.
Ces conférences sont interactives, c’est-à-dire que l’inter-
venant pose de nombreuses questions aux participants pour
les inviter à s’approprier le sujet. Leur durée varie de une
heure trente à deux heures trente.
Elles sont bâties sur un mode émotionnel particulier afin
de faciliter l’écoute et de renforcer l’appropriation. Le
mode émotionnel est facilité par l’atypie du parcours de
l’intervenant, d’où l’intérêt de bénéficier d’intervenants au
parcours un peu riche soit en matière d’engagement, soit
en matière de réussite dans un domaine extraprofessionnel
mais prenant appui sur les principes abordés. Le mode
émotionnel va également se traduire à la fin de l’inter-
vention par une sensation de bien-être des personnes qui
y assistent et par une meilleure cohésion du groupe de
participants.

88
La bienveillance au travail

Les sensibilisations peuvent être organisées de manière


horizontale en regroupant des managers de niveau iden-
tique, ou de manière verticale en mixant les niveaux des
managers.
Souvent, lors de réponses positives aux questions posées
par l’intervenant, des livres sont à gagner par les personnes
qui assistent à cette conférence, ce qui renforce, beaucoup
plus qu’il serait possible de l’imaginer, la vigilance.
Les conférences interactives abordent le stress (ses défi-
nitions, ses mécanismes, ses signaux faibles et les moyens
de se protéger) et les comportements bienveillants suscep-
tibles d’augmenter les émotions positives et de diminuer
les émotions négatives. Quelques minutes sont utilisées
pour expliquer de manière vulgarisée l’influence de ces
comportements sur deux hormones : l’ocytocine et les
endorphines. Le fait de recouper de la psychologie par de la
physiologie et de comprendre comment un comportement
peut impacter l’organisme d’un collaborateur renforce le
sens de l’action.
Entre conseiller d’avoir telle ou telle attitude et expli-
quer pourquoi il faut l’avoir, il y a une grande différence
d’impact.
On pourrait être surpris de voir la place accordée au stress,
à sa compréhension et aux moyens de s’en protéger, mais
cela est indispensable. En effet, il est très difficile de bien
se comporter, d’être bienveillant, quand on a un niveau
de stress important et donc un taux élevé de cortisol (une
hormone du stress) dans le sang.

89
La bienveillance, source d’espérance

Après la sensibilisation, les incitations


Elles sont de différentes natures et seront d’autant plus
efficaces qu’elles seront multiples.

Des échanges par e-mail


Après une sensibilisation, il est demandé aux managers
présents d’envoyer à l’intervenant un e-mail trois semaines
plus tard afin d’expliquer les actions mises en place pour
se protéger et les comportements bienveillants cultivés
vis-à-vis des collaborateurs. Les échanges par e-mail se
poursuivent parfois pendant six à huit semaines.

Des tables rondes


Annoncé à la fin de la sensibilisation, cet autre type d’in-
citation se tient en général environ trois mois après. Ce
jour-là, les managers ayant participé à des sensibilisa-
tions vont expliquer devant leurs pairs ce qu’ils ont mis
en place de manière concrète, les résultats obtenus et les
difficultés rencontrées. Les actions les plus intéressantes
–et elles sont souvent nombreuses– sont alors notées
afin d’être portées à la connaissance des autres managers
sous différentes formes : témoignages dans une newsletter,
intranet… Les propos d’un collègue manager sont souvent
très impactants. Dans un groupe, les témoignages des
managers ont donné naissance à deux ouvrages.

Et enfin, des rappels


Rappeler de manière régulière l’importance d’adopter les
comportements bienveillants est essentiel. Ces rappels
peuvent être de nature très variée.

90
La bienveillance au travail

Une newsletter
Une newsletter envoyée régulièrement aux managers par
voie électronique est un moyen de maintenir présente à
l’esprit l’importance accordée au management bienveillant.
Ces newsletters peuvent reprendre un exemple de levier,
un petit paragraphe d’actualité sur la thématique, un
témoignage d’un manager qui explique les bénéfices qu’il
a pu retirer de ses efforts comportementaux…

Une appli
Un Groupe a créé une appli « Management bienveillant »
accessible à tous les managers et actualisée régulièrement.

Le management bienveillant, c’est efficace !

In vitro
Un peu à l’image d’une molécule qui aurait prouvé son
efficacité in vitro à travers différentes études portant sur
chacun des comportements bienveillants, il est tentant de
vérifier les résultats de l’utilisation de plusieurs d’entre eux,
in vivo.

Et in vivo, cela se mesure !


Un Groupe ayant promu un management bienveillant dès
2014 a fait réaliser une enquête par BVA en octobre2017.
Les résultats sont très intéressants car ils recoupent ceux
qui ont été présentés in vitro. Ainsi, il ressort que :
ê« Les collaborateurs sont dans l’ensemble motivés par
leur travail : un salarié sur deux indique même être
très motivé (note entre 8 et10 attribuée par 51 %
des salariés) ». Souvenons-nous qu’à l’échelle du pays,

91
La bienveillance, source d’espérance

le pourcentage de collaborateurs très motivés était à


l’époque de… 28 % ;
ê« Le niveau de stress des salariés était légèrement infé-
rieur à celui exprimé par les salariés français dans les
enquêtes sur ce sujet » ;
êle sens était bien compris : « Plus de huit salariés sur dix
avaient le sentiment que leur mission contribuait à la
réalisation des objectifs du groupe (81 %) » ;
êla confiance, facilitée par l’autonomie, était elle aussi
bien perçue puisque 84 % des salariés pensaient qu’on
leur faisait confiance pour réaliser leur mission ;
êla culture de la gratitude se traduisait par le fait que
65 % des salariés avaient le sentiment de bénéficier de
retours positifs de la part de leurs interlocuteurs au sein
de leur entité ;
êles encouragements prodigués faisaient que 74 % des
collaborateurs se sentaient soutenus ;
ê enfin, le sentiment de justice s’exprimait pleinement
puisque 75 % des salariés avaient le sentiment de
bénéficier du même niveau de considération que leurs
collègues.
In vivo, la bienveillance se ressent…
Une responsable syndicale de ce groupe précisait dans un
article paru dans Le Monde que « la moitié des managers
sensibilisés sont restés hermétiques à la démarche 1 ». Cela
revient à dire que la moitié est sensible à la démarche, un
taux que l’on peut considérer comme satisfaisant après trois
ans d’expérimentation.

1. Myriam Dubertrand, « La bienveillance au travail », op. cit.

92
La bienveillance au travail

Influence de la bienveillance
sur les relations clients

Le management bienveillant prend appui sur les émotions


et celles-ci sont puissamment contagieuses puisque, selon
les travaux de ElaineHatfield1, la contagion émotionnelle
se produit en… trente millisecondes !

La contagion émotionnelle

Les principes
L’impact du comportement des managers sur les collabo-
rateurs va donc se répercuter sur les comportements des
collaborateurs vis-à-vis des clients. Une notion qui a été
parfaitement décrite par XavierQuérat-Hément 2 sous le
nom de « symétrie des attentions ».

L’analyse d’un cas concret


L’impact des comportements bienveillants des managers
vis-à-vis des collaborateurs, puis des collaborateurs vis-
à-vis des clients, a été analysé à l’échelle d’un territoire,
dans une station de sports d’hiver des Alpes. La station a
formé pendant plusieurs années les managers des structures
économiques et sociales aux comportements attentionnés.
Entre2015 et2017, ils ont développé des sensibilisations
au management bienveillant, au point d’en faire un des
piliers de l’image de la station.

1. Professeur de psychologie de l’université de Hawaï, coauteur de Emotional contagion,


1994.
2. Auditeur du groupe La Poste, membre du conseil scientifique et d’évaluation de la
Fondation pour l’innovation politique (FONDAPOL).

93
La bienveillance, source d’espérance

La stratégie mise en place s’appuyait sur des principes


identiques à ceux développés dans la sphère de l’entreprise
sur ce thème. Mais dans la mesure où les comportements
bienveillants devaient être avant tout tournés vers l’exté-
rieur, il y a eu des adaptations.

Les points communs


êLes sensibilisations ont été faites avec une composante
interactive et de solides accroches émotionnelles ainsi
que des incitations.
êDes rappels ont été mis en place sous la forme d’un
guide pratique, magnifique, et à travers une commu-
nication efficace dans les médias.
Les diérences
êLes incitations ont été développées par l’office de tourisme
qui attribuait un label en fonction du niveau d’engage-
ment des acteurs économiques et sociaux. Pour obtenir
ce label, chaque établissement exposait les actions mises
en place et la façon dont il s’était approprié les grands
principes. Par exemple, un établissement hôtelier a fait en
sorte que les produits présents au petit déjeuner soient en
mesure de compenser certains effets oxydants du stress.
êUn parcours de découverte en raquettes a été étudié
pour permettre de réaliser un effort régulier et modéré
tout en offrant l’accès à de magnifiques paysages.
Le même office de tourisme a également publié un guide
pratique, offert aux clients cette fois, rédigé par les acteurs
économiques et sociaux de la station. En voici quelques
extraits : « Les vacances, c’est une histoire d’ambiance
et d’expérience, être avec les personnes que l’on aime et
en profiter pleinement. Dans cette station, on se veut

94
La bienveillance au travail

ensemble, en famille, entre amis, avec notre cher et tendre,


dans une altitude de bienveillance en vivant intensément
nos moments de partage, c’est notre LIVE UNITED. »
Ou encore : « La rencontre avec le docteurRodet a été
déterminante à plus d’un titre. Sur le plan professionnel,
elle nous permet d’aller plus loin dans la formation des
acteurs de la station à la bienveillance et des services que
nous pouvons proposer à nos visiteurs. »
L’étendue de la station étant limitée, il y a aussi les
échanges directs qui servent d’incitation.
Des guides pratiques destinés aux clients sont aussi réalisés
par des établissements hôteliers afin que le client profite
de ses vacances pour mieux vivre et puisse continuer à bien
agir par la suite.
Les résultats de ces actions ont été évalués grâce à un
questionnaire soumis à 1 650touristes. Questions posées
à leur arrivée (758réponses) : « Avant d’arriver à la station,
comment évalueriez-vous votre niveau de stress dans votre
vie quotidienne ? » ; « Avant d’arriver à la station, comment
évalueriez-vous votre niveau de plaisir dans votre vie quoti-
dienne ? » Questions posées à leur départ (381réponses) :
« Après six jours passés à la station, quel est votre niveau
de stress ? » ; « Après six jours passés à la station, quel est
votre niveau de plaisir ? »
Les résultats obtenus sont clairs :
êle niveau de stress passe en une semaine de6,34/10
à3,20/10 ;
êle niveau de plaisir passe en une semaine de6,69/10
à8,15/10.
On pourrait penser que cela est tout simplement lié au fait
d’être en vacances. Or, différentes études prouvent que les

95
La bienveillance, source d’espérance

vacances ne contribuent pas à faire autant baisser le niveau


de stress. En effet, selon une étude publiée en2006 sur le
site de l’Association américaine de psychologie, 54 % des
Américains ont un niveau de stress qui stagne pendant
les vacances par rapport aux périodes où ils travaillent ;
8 % déclarent avoir un niveau de stress qui diminue
pendant leurs vacances et 38 % voient une augmentation
de leur stress pendant leurs vacances.
L’influence des comportements bienveillants est donc
claire ; on a bien, à l’image de ce que l’on constatait dans
l’entreprise, une baisse du niveau de stress et une augmen-
tation du niveau de plaisir.
Cela semble assez logique dans la mesure où la dopamine
–dont la sécrétion est favorisée par l’augmentation des
émotions positives et la diminution des émotions néga-
tives– est à la fois l’hormone de la motivation et l’hormone
du plaisir.
Si le niveau de stress diminue, on peut éprouver du plaisir
et si on éprouve du plaisir, on est plus enclin à revenir.

L’intérêt des comportements bienveillants


vis-à-vis des relations avec les clients
agressifs

Depuis le début de l’épidémie, l’augmentation du niveau


de stress se traduit par une plus grande agressivité chez
nombre de personnes, cela est très nettement perçu par
les collaborateurs en relation avec le public.
Lors d’une réaction de stress, l’organisme libère plusieurs
hormones dont du cortisol. Comme on l’a vu précédem-
ment, c’est sa sécrétion qui modifie le comportement,

96
La bienveillance au travail

elle augmente le niveau d’agressivité. Les salariés qui,


du matin au soir, gèrent des clients parfois désagréables
sont très vite affectés par cette situation. Afin de les
protéger, il est bien sûr possible de leur donner des clés
pour se prémunir des effets du stress. Il est également
nécessaire de les former à savoir comment réagir dans
de telles situations. Enfin, il est intéressant aussi de faire
preuve de bienveillance envers ces personnes pour les
aider à diminuer leur niveau de stress et maintenir leur
motivation. Dans des périodes difficiles comme celle
que nous traversons, expliquer à ces personnes que l’on
mesure leur difficulté et prendre le temps d’échanger
avec elles est un signe de considération bien perçu et…
essentiel !
En temps normal, la symétrie des attentions permet
aux collaborateurs de mieux se comporter avec les
clients ; actuellement, cela contribue aussi à protégerles
équipiers.

L’intérêt des comportements bienveillants


face à la Grande Démission

Contre la Grande Démission, le « pouvoir


d’attraction » !
L’attachement au travail des salariés français n’est plus à
démontrer, il a même été reconnu par le journaliste cana-
dien AntoineChar qui expliquait en 2009 : « Au pays des
5semaines de congés payés et des 35heures de travail par
semaine, les Français ont malgré tout un rapport passionnel
au travail. Ce n’est pas seulement un gagne-pain, comme
dans bon nombre de pays anglo-saxons. C’est un mode

97
La bienveillance, source d’espérance

de vie 1 ». En parallèle, l’envie de réussir une belle carrière


était encore présente.
Dans les années qui vont suivre, l’attachement au travail va
se muter en un attachement à l’équilibre vie professionnelle
et vie personnelle. L’envie de réussir une belle carrière est
devenue chez un nombre significatif de personnes l’envie
d’un équilibre de vie. Mais avec l’épidémie de la Covid-19,
on est passé d’un attachement à l’équilibre vie profession-
nelle et vie personnelle à un attachement à la vie ! Tout
ce qui pouvait alors altérer la qualité de vie a été laissé de
côté, ouvrant la porte à des démissions parfois sans plan
de secours, c’est-à-dire sans poste en vue. Cela s’illustre
notamment par une augmentation significative du nombre
des ruptures conventionnelles. Rien qu’en mars2022, la
Dares2 comptabilisait 42 300ruptures conventionnelles,
un nombre qui est l’un des plus élevés jamais enregistrés.
Il va donc être urgent de trouver la voie susceptible
d’allier attachement à la vie et au travail. Et là, le mana-
gement bienveillant, dans la mesure où il peut diminuer
les effets du stress et améliorer l’engagement, va devenir
incontournable.
Souvenons-nous de la belle phrase de GeoffroyGuichard,
écrite au début du esiècle : « La bienveillance a un pouvoir
d’attraction considérable. » C’est bien d’un « pouvoir d’at-
traction » que nous avons besoin. Et si en plus ce pouvoir
d’attraction peut s’exercer vis-à-vis des clients, beaucoup
s’en réjouiront !

1. Antoine Char, « Métro, boulot, suicide », Métro, 19 octobre 2009. Disponible en ligne :
journalmetro.com/uncategorized/92356/mtro-boulot-suicide/
2. dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/les-ruptures-conventionnelles

98
La bienveillance au travail

La bienveillance au service des achats,


par Sylvie Noël

Il fut une époque où il y avait un parallèle entre la gestion


des collaborateurs et celle des fournisseurs. On était très
dur avec les collaborateurs, le rendement était lubrifié à
l’adrénaline, et on se comportait avec la même brutalité
vis-à-vis des fournisseurs. À court terme, cela pouvait
donner des résultats.
Comment ne pas se souvenir de ce directeur des achats qui
expliquait à ses collaborateurs qu’il fallait être le plus dur
possible avec les fournisseurs ? Et effectivement, il obte-
nait des prix imbattables. Quelques mois plus tard, lors
d’un échange avec un de ses fournisseurs, celui-ci parle
de la manière dont il est maltraité par les acheteurs du
même groupe et de sa manière de réagir à cette situation :
« Toutes nos innovations, nous les proposons en premier
à ses concurrents ». Oui, il s’agit bien de succès à court
terme…

Être bienveillant au niveau d’une direction


des achats

Être bienveillant vis-à-vis d’autrui revient certainement


à exiger un juste niveau d’effort par le fournisseur et, en
parallèle, à bien se comporter avec lui. Un ami acheteur
m’a raconté une très belle histoire qui illustre à merveille
l’intérêt d’évoluer vers des relations équilibrées. Le dernier
lamineur français spécialisé dans la fabrication de bandes
de cuivre (plus de deux cent cinquante-six ans d’exis-
tence) avait été placé en liquidation judiciaire à la fin de
l’année2015 avec les conséquences que cela pouvait avoir.

99
La bienveillance, source d’espérance

Grâce à des relations privilégiées avec ce partenaire, une


longue collaboration avec des échanges techniques d’une
extrême richesse permettant d’anticiper beaucoup de
problématiques, il a été possible de sécuriser la supply chain
de ce client et de faciliter son processus de reprise et de
redémarrage d’activité.
Aujourd’hui, les échanges entre ce fournisseur et les ache-
teurs se soldent souvent par : « Nous nous souvenons de ce
que vous avez fait… » L’activité se porte bien et la qualité
des échanges aide à conserver les marchés.
Un cas d’école ? Une utopie ? Certainement pas !
Les récents problèmes rencontrés (pandémie, guerre,
inflations…) ne font que souligner le besoin de rapports
« justes » entre les parties, mais surtout de relations de
confiance qui favorisent la qualité des échanges. Le respect
bilatéral est la clé pour développer les interactions et avoir
envie d’être force de proposition.
L’Adra1 tend d’ailleurs à encourager le mouvement dans ce
sens et ose l’exprimer en récompensant, en 2018, l’ouvrage
Le Management bienveillant 2 .

Et à l’échelle de la société

La globalisation amène parfois à du non-sens. L’impact


des décisions sur la société est important et l’image de
l’entreprise est de plus en plus regardée et déterminante.
Il n’existe pas de recette miracle mais des approches
convergentes dans lesquelles chacun doit s’approprier

1. Association des directeurs et responsables achats.


2. Philippe Rodet, Le Management bienveillant, éditions Eyrolles, 2017.

100
La bienveillance au travail

des démarches responsables. Ces démarches doivent être


impulsées par les politiques d’entreprise car les « ache-
teurs » ne pourront le faire que si tous les acteurs, depuis
le sommet du groupe, sont mobilisés.
Les acheteurs ont dans les entreprises encore l’image du
« méchant », celui qui dit non en interne comme en externe.
Mais il sait surtout être force de proposition et apporter au
business les solutions ou produits qui vont leur permettre de
se développer en toute sécurité dans une démarche positive
et respectueuse. Par exemple, il pourrait s’agir de privilégier
les circuits courts, mobiliser des acteurs osant employer des
salariés handicapés ou encore raisonner davantage en coût
global plutôt que d’aller chercher avant tout « un prix » sur
des produits venant parfois de plus de 10 000kilomètres.
Il nous faut désormais raisonner en TCO (total cost of
ownership, ou coût total de possession) pour évaluer l’en-
semble des coûts, directs et indirects, d’un produit ou d’un
service ; nous gagnerons alors en RSE et en compétitivité…
On voit bien qu’en matière d’achats, la bienveillance peut
aujourd’hui déboucher sur des relations de bonne qualité,
peut-être même essentielles demain et à l’origine d’un
monde plus mature. Là encore, la bienveillance peut bien
être à l’origine d’une espérance.

La bienveillance au niveau des services


informatiques, par Stéphane Rousseau

Traiter de bienveillance dans l’univers des technologies


numériques, n’est-ce pas antagoniste ou tout au moins
décalé ? Les systèmes d’information en entreprise ou les

101
La bienveillance, source d’espérance

applications de la sphère grand public sont façonnés par


des algorithmes, des bases de données, des normes, des
outils préprogrammés ou des interfaces utilisateurs par
lesquelles l’humain est cantonné à son unique côté du
miroir.
Dans un monde où la confiance entre les êtres se concrétise
dans une blockchain, dans un monde où la connaissance
et la culture sont reléguées dans une encyclopédie unique,
mondiale et en ligne, dans un monde qui voue son âme à
l’intelligence artificielle, la bienveillance naturelle a-t-elle
encore sa place ? La réponse est évidemment positive car
en amont de toutes ces technologies inquiétantes, neutres
ou sources de confort, de savoirs ou de services, il y a des
femmes et des hommes qui ont mis en œuvre leurs compé-
tences et leurs intelligences personnelle et collective dans
une démarche de création. L’humain n’est ainsi jamais
très loin.
L’informatique est un travail d’équipe par ses nombreux
métiers requérant des compétences pointues et variées. La
réussite d’un projet et la solidité d’une solution mettent en
jeu une équipe constituée de personnes aux profils variés.
Ainsi, à l’instar de n’importe quelle organisation fonction-
nelle ou opérationnelle dans l’entreprise, une direction des
systèmes d’information est un corps constitué de personnes
et doit être le lieu d’exercice de la bienveillance. Elle est
clé dans l’épanouissement de chacun, la bonne gestion
du stress, le déploiement des valeurs d’entreprise et le
respect des collaborateurs. Un management bienveillant
sera source de qualité de vie au travail, d’efficacité des
collaborateurs et donc de résultats.
Mais au-delà des conditions de bonne collaboration,
inhérentes à toute organisation humaine quel que soit

102
La bienveillance au travail

son domaine, y a-t-il une façon spécifique de pratiquer la


bienveillance dans les métiers du numérique ? Attardons-
nous sur différentes dimensions particulières à ces métiers
et voyons comment la bienveillance peut entrer en jeu dans
plusieurs facettes de cette discipline.
Éloignons-nous de l’image d’Épinal du geek sympathique
qui télétravaille seul dans sa bulle. Parlons programmation
et développement dans un premier temps et attardons-nous
par exemple sur ce phénomène que sont les technologies
open source. Elles revêtent un aspect très particulier car elles
mobilisent des communautés quelquefois très nombreuses,
de développeurs qui travaillent ensemble dans l’unique but
de produire, pour l’avantage de tous et gratuitement, des
programmes informatiques utiles et de qualité. L’énergie
mobilisée est celle du partage, de l’écoute, de la co-
construction, et c’est la reconnaissance par les pairs qui
en est la récompense. Cette reconnaissance est une forme
de bienveillance. L’open source est un sujet très spécifique
qui est vu par les grandes entreprises et les administrations
comme un atout d’attractivité des talents, car très propice
à l’épanouissement professionnel.
Par leur évolution à un rythme effréné, les technologies
du numérique ont ceci de particulier que la connaissance
est souvent inversement proportionnelle à l’expérience
et dissociée de celle-ci. Elle est largement détenue par
les plus jeunes. Les plus âgés, n’étant pas en reste, sont
à l’écoute de ce que les plus jeunes peuvent leur faire
découvrir et ce reverse mentoring est une forme toute
particulière de la bienveillance par le partage envers les
aînés.
L’informatique est-elle une science exacte ? Probablement
pas, et il y a maintes façons d’arriver à un résultat. C’est

103
La bienveillance, source d’espérance

donc la culture de l’échec qui est prônée dans les traités de


management. « Fail fast » (échec accéléré) nous disent les
Américains pour pouvoir ensuite recommencer et réussir.
Accepter l’échec, c’est reconnaître que l’effort compte plus
que le résultat pendant le processus de conception. C’est
reconnaître que l’apprentissage se fait par l’expérimenta-
tion plutôt que par le succès immédiatement obligatoire.
C’est reconnaître et accepter avec bienveillance que rien
ne soit parfait du premier coup et qu’il faut laisser le temps
au progrès.
Pour autant, un programme informatique dys-
fonctionnera jusqu’à la résolution du dernier bug. In
fine, il n’y a plus de place pour l’erreur, et la quête de
la perfection est de mise surtout s’il faut, par exemple,
protéger des données personnelles. Sur un autre plan,
la non-qualité de l’ergonomie d’une application ou des
problèmes de temps d’exécution seront des causes cer-
taines de rejet. Dans la livraison d’une application, on
ne pourra donc pas se satisfaire d’un à-peu-près. Le
manager d’équipes informatiques a un devoir d’exigence
qui sera uneforme de respect car il traduira une attente
forte et une reconnaissance des compétences profession-
nelles deses collaborateurs. La bienveillance n’est jamais
loin de l’exigence.
Le risque majeur porté par l’informatique est bien entendu
celui des cyber-menaces. Toutes les entreprises y sont expo-
sées et beaucoup sont touchées. Jamais dans la communauté
des informaticiens on n’a vu du cynisme quand une organi-
sation est terrassée. C’est même plutôt l’inverse, l’empathie
prévaut et c’est avec bienveillance que les compétences,
connaissances, réseaux se mobilisent avec énergie et soli-
darité, même au-delà d’intérêts concurrentiels. Ensuite,

104
La bienveillance au travail

les retours d’expérience sont valorisés et partagés pour


que tous soient plus à même de se protéger. Ces sujets
de cyber-protection sont très complexes, et la fonction
informatique est souvent incomprise par le reste de l’en-
treprise. Le Cigref1 promeut l’appartenance comme une de
ses raisons d’être : les professionnels pouvant échanger et
se soutenir avec suffisamment de compréhension mutuelle
pour être bienveillants entre pairs.
Tournons-nous ensuite vers l’extérieur des organisations
informatiques et commençons en parlant de l’appropria-
tion des solutions informatiques et de l’accompagnement
des utilisateurs. Toutes les entreprises ont des fonctions
support –bien nommées– importantes. Ces équipes
sont sollicitées quand l’utilisateur est perdu, en limite
de connaissances, bloqué dans son travail par l’incom-
préhension de ce qu’un système informatique attend de
lui. C’est avec bienveillance que le sachant l’accompa-
gnera pas à pas pour l’aider à dépasser ses difficultés et
le rendre autonome. Tous les collaborateurs de grands
groupes ont connu des déploiements de grands progi-
ciels de gestion qui ont généré des niveaux de stress
paroxystiques chez les utilisateurs pouvant aller jusqu’au
burn-out. C’est la bienveillance des équipes de projet
et du management envers les utilisateurs qui les aidera
à supporter les conditions quelquefois désastreuses de
certains déploiements.
Ne négligeons pas non plus la nécessité d’une bienveil-
lance réciproque. L’informaticien opère dans un jeu de
contraintes, de limites de compétences, de crises complexes
à appréhender. L’intrication des technologies rend les

1. www.cigref.fr

105
La bienveillance, source d’espérance

investigations parfois longues et fastidieuses. Les phases


d’analyse sont toujours sensiblement plus longues que la
résolution. Ainsi, le collaborateur d’un service informa-
tique est également en droit d’attendre de la bienveillance
de ses utilisateurs. Il a besoin de leur compréhension pour
travailler sereinement au rétablissement du service défec-
tueux. Les colères et escalades menaçantes n’ont jamais
aidé, n’ont jamais été productives et n’ont jamais rendu
personne plus compétent.
La finalité d’une démarche informatique peut, elle-même,
être bienveillante. À titre d’exemple, le groupe Eiffage
a décidé de doter tous ses collaborateurs d’une identité
numérique quelle que soit leur position dans l’entreprise.
Ainsi, ce ne sont pas que les managers et cols blancs qui
bénéficient des ressources numériques mais également
tout le personnel de chantier, jusqu’aux compagnons. Une
borne physique a même été conçue pour leur permettre
d’avoir un accès à tous les services que propose l’entreprise,
réduisant ainsi la fracture numérique entre les bureaux et
les chantiers. Les démarches Tech For Good témoignent
également que le numérique peut être une forme de
bienveillance.
On constate donc qu’il peut y avoir une façon particulière
d’exercer la bienveillance dans l’univers de l’informa-
tique. En revanche, il convient d’être vigilant au regard
des évolutions du monde du travail. La jeune génération
ambitionne de moins en moins de prendre des fonctions
managériales ; or manager c’est servir, servir c’est vouloir
le bien de l’autre. La pénurie des talents accroît le recours
au offshore, exacerbe à outrance des modes dépersonna-
lisés de travail à distance. L’engagement des personnes au
service d’un projet commun glisse dangereusement vers

106
La bienveillance au travail

une simple mise à disposition de temps de cerveau. La


pizza team d’une bande d’amis se mute progressivement
en petits carrés d’écrans de visio qui stérilisent le non-
verbal. Un partage d’écran ne sera jamais un partage de
sentiments. La « mercenairisation » des compétences est un
danger pour la dignité même des collaborateurs.
Pour autant, l’optimisme reste de rigueur car l’humain
saura se réinventer dans un contexte de plus en plus digital.
Ainsi, le monde du développement, en particulier du jeu
vidéo, a récemment dénoncé le principe très fréquent du
« crunch time », ces périodes d’activité longue et intense qui
deviennent la norme et non l’exception dans les processus
de production1. Ou encore ce célèbre site de vente en ligne
qui a fait de la satisfaction client son mantra et a déve-
loppé en conséquence l’expérience utilisateur de manière
extrêmement importante pour arriver à ses fins. C’est là
l’une des clés de leur succès, mais attention toutefois à ce
que cela ne se fasse pas au détriment de la qualité de vie
des collaborateurs, comme on a pu l’entendre récemment2.
On constate aussi que les « réseaux » redeviennent sociaux
quand il s’agit de protéger une démocratie ou d’aider avec
bienveillance des victimes de catastrophes.
Le débat sur la neutralité du progrès ne sera jamais clos et
la finalité de certaines innovations digitales peut porter à
questionnement. Cependant, on peut se rassurer par le fait
que la bienveillance entre toutes les parties prenantes d’ac-
tivités informatiques est déjà un moyen noble de recherche
du bien commun.

1. 01 Net, 21 novembre 2018.


2. L’Usine nouvelle, 29 avril 2019.

107
La bienveillance, source d’espérance

Bienveillance et espérance
dans les ressources humaines,
par Yves Desjacques

Deux conceptions diamétralement opposées du monde


du travail ou, plus exactement, de l’homme au travail,
méritent, à titre de propos liminaire, d’être ici présentées.
Il y a, d’abord, celle qui consiste à dire que l’exercice
d’une activité professionnelle permet la réalisation de
soi par l’accomplissement d’une mission porteuse de sens
et la satisfaction de ses besoins matériels via la percep-
tion d’un salaire juste. Cette vision devrait prévaloir et
animer, également, les parties à la relation de travail,
l’employeur apportant un cadre d’activité propice au
développement de la personne humaine et le travailleur
sa force de travail, d’innovation et sa propre capacité
d’engagement.
Ainsi défini, l’univers professionnel est porteur d’es-
pérance. Une espérance qui résulte d’un équilibre dans
la relation de travail est vectrice de succès. Une espé-
rance qui repose sur une bienveillance qui est, au fond,
mutuelle.
Il me semble que l’on trouve dans l’histoire contemporaine
des illustrations brillantes de cette conception à la fois saine
et vertueuse de la relation de travail. Je fais ici référence à
ces capitaines d’industrie des débuts du siècle dernier, pétris
de convictions sociales, pour lesquels l’homme n’était pas
une simple « ressource », mais un capital précieux, irrem-
plaçable et infiniment respectable. Ils ont construit, avec
et grâce à des générations d’employés qu’ils respectaient,
des grands noms du paysage industriel français (Michelin,
Danone, Casino…).

108
La bienveillance au travail

Mais il est une autre conception, dont on peut craindre


qu’elle ne soit le chemin de plus grande pente vers lequel un
management technocratique et désincarné semble inéluc-
tablement conduire depuis la fin des Trente Glorieuses.
Cette conception, ou plutôt cette réduction, est celle qui
consiste à considérer le travailleur comme une simple
ressource –dit autrement, une « utilité »– à l’égard de
laquelle nulle autre obligation que le versement d’un salaire
ne pèserait sur l’employeur.
Ici, le concept même de bienveillance est perçu comme une
fable, le salarié n’ayant qu’à exécuter les tâches confiées,
peu important ses attentes et besoins. « Et si tu n’es pas
content, la porte est là… »
Des cabinets de conseil, à grand renfort de slides déshuma-
nisés débités dans des réunions de comités exécutifs où l’on
est prié de laisser son cerveau à l’entrée par des consultants
souvent fort jeunes et imbibés d’une culture financière mal
digérée, ont accompagné servilement ou fabriqué coupa-
blement cette conception amorale de l’homme au travail.
Devenu une sorte de bien de consommation d’un ogre
à sang froid, le col-bleu comme le col blanc, redevenus
damnés de la terre, perdent toute capacité d’engagement,
toute envie, toute espérance.
C’est très précisément contre cette seconde conception,
délétère et impardonnable, du monde du travail, que la
fonction appelée « ressources humaines » doit s’engager.
Pour bien y parvenir, elle serait justement inspirée, d’abord,
de se renommer elle-même. Car son appellation porte en
elle une turpitude, celle, je le redis, de considérer l’homme
comme une simple ressource, au lieu de voir en lui un
capital précieux, unique, irremplaçable, à la fois débiteur
et créancier d’une espérance qui, réalisée, est la seule source

109
La bienveillance, source d’espérance

possible d’un développement efficace, profitable et harmo-


nieux de l’entreprise.
Voyons, à présent, comment dans chacun des actes de
la fonction ressources humaines, conjuguer bienveillance,
espérance et performance collective.

Le recrutement

Recruter un collaborateur est, par nature, un acte d’espé-


rance. Espoir d’un emploi digne et porteur pour le candidat,
espoir d’une compétence source de succès pour l’entreprise.
L’erreur qu’aucun recruteur ne doit jamais commettre est
de se croire investi d’une sorte de suprême pouvoir, celui
d’accorder, ou non, l’accès à l’emploi espéré par le candidat.
Car recruter n’est pas, pas du tout, l’exercice d’un pouvoir,
mais l’accomplissement d’un acte subtil qui engage et rend
humble celui qui l’accomplit.
Seules les compétences, techniques autant qu’humaines,
doivent être prises en compte ; peu importe, à l’inverse, le
chemin de vie intime (orientation sexuelle, convictions
religieuses, handicap…) du candidat. Au reste, de ses
compétences et de la diversité de son parcours personnel
résulteront la richesse et la variété de l’apport du candidat
à l’entreprise et au collectif de travail qu’il rejoindra.
Un entretien de recrutement n’est pas un tribunal mais un
moment singulier entre deux personnes humaines, l’une
proposant une palette de compétences, l’autre cherchant
la meilleure adéquation possible entre cette offre et les
besoins de l’entreprise.
L’échange ne doit pas être court (de ce point de vue, les
speed datings, ces entretiens express et bâclés, sont une

110
La bienveillance au travail

insulte tant à l’égard du candidat incroyablement réduit


et contraint dans son envie et sa capacité à se présenter
que du recruteur alors transformé en machine sans âme
ni intelligence).
Il doit être suffisamment long pour permettre un équilibre
bienveillant : se présenter pleinement et sincèrement pour
le candidat, expliquer complètement les attentes du poste
pour le recruteur. Le temps passé par ce dernier ne saurait
être du temps perdu ; tout au contraire, il est la meilleure
garantie possible d’un mariage de raison et de cœur qui
est, à mon sens, le meilleur résumé possible de l’acte de
recrutement. Et le mariage, c’est l’espérance !
Ajoutons que la multiplication récente de tests de recrute-
ment en tous genres, aux vertus faussement scientifiques
(de personnalité, de mise en situation…) et qui ne visent
qu’à ranger artificiellement les candidats dans des boîtes
bien trop étroites pour apprécier la richesse d’une personne
humaine, n’a d’intérêt que pour ceux, fort nombreux, qui
les commercialisent. Ils n’apportent ni garantie, ni préci-
sions, ni fiabilité.
Recruter est un acte humain, pas un déballage de tech-
niques bricolées. Et c’est parce qu’il est un acte humain
que le recrutement est porteur d’espérance.

L’évolution professionnelle

Rejoindre une entreprise, c’est bien, y évoluer c’est mieux


encore.
Qui aurait envie d’accomplir exactement la même tâche,
sa vie durant, sans perspective d’évolution, de variété, de
changement ?

111
La bienveillance, source d’espérance

Le responsable des ressources humaines doit donc bâtir


des dispositifs assurant, par la formation et par l’encoura-
gement au développement des compétences et à l’initiative
individuelle, des chemins d’évolution professionnelle qui
ne résultent pas du copinage de tel collaborateur avec tel
manager.
Ce dispositif dynamique de développement du capital
humain permet d’enrichir les compétences individuelles
et, par conséquent, de garantir à l’entreprise de disposer
d’une force de travail fertile et engagée.
À cet égard, on ne peut que porter un regard attristé
sinon effaré sur le carcan asphyxiant que représentent
les « grilles » de la fonction publique. Structurées en une
floraison funeste de grades et d’échelons, aux appella-
tions qui évoquent une glossolalie impénétrable, elles
ne permettent pas d’offrir de réels parcours balisés et
dynamiques d’évolution interne au sein des collectivités
publiques.
Assurer un mouvement, une respiration professionnelle,
c’est offrir une espérance aussi bien au salarié qu’à l’en-
treprise. Celle d’une dynamique mutuelle, d’une énergie
maintenue, conditions indispensables à la performance
collective.

La rémunération

Il n’est pas nécessaire de développer un raisonnement


complexe pour comprendre que la fixation d’une juste
rémunération à l’embauche et son évolution fondée sur
des critères objectifs sont l’expression du nécessaire respect
de la valeur des compétences offertes par le collaborateur
et de l’intensité de son engagement dans l’entreprise.

112
La bienveillance au travail

La détermination du salaire lors du recrutement est aisée


parce que la référence au marché, c’est-à-dire aux salaires
habituellement pratiqués pour un emploi équivalent, offre
un cadre fiable. Encore faut-il, cependant, tenir compte de
l’équilibre des salaires au sein même de l’entreprise et ne
jamais chercher à tirer avantage d’une demande salariale
trop basse d’un candidat qui privilégierait « à tout prix » son
désir d’être recruté plutôt que la juste valeur de l’apport de
ses compétences. Et contrairement à une idée reçue, cette
démarche n’est pas exceptionnelle. On comprend bien que
le collaborateur recruté à un niveau de salaire inférieur à
celui de ses collègues et pairs en formera rapidement une
amertume liée à la perception d’une injustice, incompatible
avec sa motivation.
La correcte évolution de la rémunération du collaborateur
au fil du temps doit également être soigneusement assurée
et organisée. L’objet de ce paragraphe n’est pas d’entrer
dans la technique (salaire fixe, part variable, attribution
de titres de l’entreprise ou encore intéressement et parti-
cipation). Mais ayons à l’esprit que la fixation d’objectifs
réalistes et donc atteignables et que la juste rémunération
de leur réalisation sont indispensables au maintien de la
motivation et à l’encouragement à agir.
Une discussion ouverte avec le collaborateur sur le sujet
de sa rémunération est aussi toujours porteuse de fruits.
La fixation et l’évolution dynamique et juste de la rému-
nération relèvent tant de la bienveillance managériale que
de l’intérêt mutuel et bien compris des parties à la relation
detravail. Il en va donc de la performance collective de
l’entreprise autant que de l’encouragement à la perfor-
mance individuelle du collaborateur.

113
La bienveillance, source d’espérance

La communication interne

Nous avons tous en tête cette allégorie du promeneur qui


croise sur son chemin, à quelques mètres d’intervalle, trois
hommes qui accomplissent exactement la même tâche,
celle de poser une pierre sur une autre. Pourtant, l’un est
courbé et semble triste, l’autre plus enjoué, le troisième
rayonnant.
Posant à chacun la même question, notre promeneur inter-
roge : « Mon ami, que fais-tu ? » Le premier répond : « Je
pose une pierre sur une autre », le deuxième : « Je construis
un mur », le troisième : « Avec mes collègues, nous sommes
en train de bâtir une cathédrale ».
Que nous enseigne cette parabole ? Que le fait de savoir ce
pourquoi l’on exécute une tâche ou un ensemble de tâches
est un déterminant majeur de sa motivation.
En d’autres termes, la compréhension du sens de son
travail est l’un des plus puissants moteurs de l’envie. Il
est porteur d’espérance. Or, combien d’entreprises font se
succéder, par salves erratiques, les plans dits stratégiques,
le suivant rendant parfois nul et de nul objet celui pourtant
en cours ! Et, surtout, combien d’entre elles ne veulent pas
s’embarrasser du pourtant indispensable effort d’explica-
tion et de partage de ces programmes d’action avec les
collaborateurs, programmes qui conditionnent leur travail
au quotidien ?
Expliquer la stratégie, ses développements, ses éventuels
changements pour s’adapter aux réalités mouvantes du
marché devrait être au cœur des préoccupations des
managers, aidés en cela par les acteurs des ressources
humaines.

114
La bienveillance au travail

Encore une fois, prendre du temps pour expliquer, ce n’est


jamais en perdre. C’est, à l’inverse, traiter avec le respect
qui lui est dû chaque collaborateur et, ainsi, s’assurer de
son engagement.
Une communication interne claire, transparente et régu-
lière est un acte de bienveillance et le ferment d’une
espérance ; celle, pour chacun, d’être considéré non comme
un simple rouage d’exécution mais comme un acteur qui
participe au succès de la pièce, œuvre collective par nature !

Le dialogue social

L’animation d’un dialogue régulier, respectueux et trans-


parent avec les partenaires sociaux est l’une des missions
majeures des acteurs de la fonction ressources humaines.
Imaginer un seul instant qu’il est de bonne politique de
considérer les instances sociales de l’entreprise et chacun
de leurs membres pris séparément comme des « empê-
cheurs de réaliser du profit en rond », si l’on veut bien me
permettre l’expression, m’est toujours apparu comme une
sinistre hérésie.
Dans la très grande majorité des cas, les acteurs sociaux
sont des hommes et des femmes profondément attachés à
l’entreprise et qui se sentent, et sont, investis d’une mission
noble, celle de représenter les salariés, leurs attentes, leurs
inquiétudes auprès de l’employeur. Nombre d’entre eux
ont fait le sacrifice de leur propre évolution professionnelle
au bénéfice d’une cause qui leur apparaît plus noble, celle
de la défense des salariés.
Mon intention n’est pas de faire montre d’une naïveté
béate car je ne méconnais pas les jeux d’appareils, les

115
La bienveillance, source d’espérance

tensions parfois feintes en période électorale où chaque


syndicat entend défendre sa propre « part de marché ».
Non, mon intention est de souligner que l’existence d’un
contre-pouvoir dans l’entreprise est saine et, pour tout dire,
indispensable.
Puisque les partenaires sociaux ont pour vocation onto-
logique de représenter les salariés, alors il faut leur parler
avec loyauté et bienveillance. Cacher une difficulté que
traverse l’entreprise ou un projet qu’elle envisage n’est pas
une erreur ou une facilité mais une faute. Cela ne génère
que tension, suspicion, incompréhension.
Tout comme nous l’évoquions précédemment, prendre
le temps d’expliquer, parfois longuement, aux partenaires
sociaux les intentions de l’entreprise est une démarche
porteuse de fruit. Au mieux, elle peut permettre d’obtenir
l’adhésion du plus grand nombre, à tout le moins, elle évite
d’antagoniser comme elle évite la circulation de craintes
sans objet ou de rumeurs infondées.
De ce point de vue, le dialogue social est porteur d’espé-
rance. Celle d’un corps social renforcé par la confiance,
animé par une direction, c’est-à-dire un sens, compris et,
autant que faire se peut, partagé.

La gestion de l’absentéisme

On dit souvent, et à raison, de l’absentéisme qu’il est une


plaie. Mais une plaie pour qui ? Pour l’entreprise, évidem-
ment, qui se voit privée, par des arrêts le plus souvent de
courte durée, d’une force de travail dont elle a besoin et
d’une capacité à s’organiser pour y faire face. Un arrêt long
permet de trouver, par sa durée, des palliatifs organisation-
nels, des arrêts courts l’interdisent.

116
La bienveillance au travail

On relèvera que l’absentéisme en 2021, qui a concerné38 %


des salariés, était en sensible augmentation par rapport
à 2020 (enquête Malakoff Humanis), et la Covid-19 est
loin d’en être l’unique cause. Observons, en effet, que
51 % des entreprises ont été concernées, en 2020, par
des arrêtsdetravail liés au stress, à des dépressions, à des
burn-out.
Pour l’Assurance Maladie, aussi, qui assume une partie
de la charge financière des arrêts de travail. Mais aussi
pour les collaborateurs eux-mêmes. On voit mal comment
l’arrêt-maladie qui résulte d’une pathologie pourrait réjouir
celui-là même qui en est l’objet.
Mais supposons même, ce qui est indémontrable et discu-
table à maints égards –notamment à celui du corps médical
prescripteur des arrêts de travail– mais qui constitue
souvent une « clause de style » managériale ouRH, qu’une
fraction de ces arrêts-maladie relèverait de la seule volonté
d’un collaborateur de ne pas travailler pendant quelques
jours. Peut-on alors penser que cette démotivation ne
signe pas un échec aussi de l’entreprise ? Le croire serait
une erreur. Les causes de l’absentéisme d’agrément sont à
rechercher et à traiter là où elles résident :
êdans la méconnaissance, par ceux qui en rechercheraient
le bénéfice, des conséquences néfastes qu’il génère, et
pour l’entreprise et pour chaque collègue de l’équipe.
Communiquer factuellement sur cela, mais sans toute-
fois chercher à incriminer tel ou tel, peut permettre une
salutaire prise de conscience ;
êdans la bonne compréhension par l’entreprise que cette
forme d’absentéisme de convenance est un symptôme
alarmant d’une perte d’envie de certains collaborateurs.
Toute personne humaine recherche l’engagement et

117
La bienveillance, source d’espérance

chérit les conséquences favorables qui en résultent pour


elle (satisfaction, plaisir, accomplissement personnel).
Il convient donc, pour les entreprises qui observent le
développement de cette forme d’absentéisme, de redou-
bler d’efforts en matière de communication et de partage
du sens de l’activité de l’entreprise, de ses enjeux, de ses
réalisations qui sont le produit du travail, donc de l’enga-
gement, de chacun.
Autrement dit et pour conclure, la gestion dynamique et
non pas comptable de l’absentéisme est un acte de bien-
veillance et est porteuse d’espérance : celle d’un collectif
humain mû par des intérêts communs et dans lequel l’ab-
sence est le produit d’une contrainte respectable et non
d’une volonté… par absence d’envie.

Le licenciement

Il serait coupable pour leDRH que j’ai si longtemps été de


ne pas évoquer cet acte si singulier qu’est le licenciement
d’un collaborateur. Coupable, car ce serait feindre d’ou-
blier pourquoi la fonction ressources humaines est parfois
crainte, mal aimée.
Vous me permettrez ici de me livrer à vous, lecteur, et,
qui sait, de chercher par l’écriture une forme de catharsis.
Permettez-moi l’usage du « je ».
J’ai dû, dans ma carrière, procéder (le mot même est d’une
coupable froideur) à de nombreux licenciements. À chaque
fois, et même si j’avais bien pris soin de mettre en place les
démarches que je détaillerai plus bas, j’en ai été profondé-
ment, humainement affecté. Car j’ai toujours vu dans le
collaborateur présent dans mon bureau lors de la procédure

118
La bienveillance au travail

de licenciement, celui qui, peu après, se lèverait le matin,


probablement à la même heure qu’à l’accoutumée, mais
alors sans raison. Celui qui n’aura pas osé, avant long-
temps, dire à sa compagne ou à son compagnon, ni à ses
enfants, qu’il avait perdu son job, son salaire et parfois
même toute estime de lui-même. Peut-on être bienveillant
en licenciant, et où est l’espérance dans cet acte ? Retenons
quelques idées essentielles :
êun licenciement est toujours un échec. Pour celui qui
en fait l’objet, pour l’entreprise qui le diligente ;
êun licenciement ne doit jamais être brutal ou infondé.
Il faut, c’est là un acte de bienveillance, permettre au
collaborateur de se ressaisir, de redresser la barre, de
comprendre et d’apprendre de ses erreurs. Chacun a
le droit à une seconde de chance. Chacun doit pouvoir
s’amender, venir à résipiscence, s’améliorer. Il faut
donc avoir le courage de dire à celui qui est dans l’er-
reur pourquoi il l’est, comment s’en extraire, comment
évoluer et l’y aider ;
êsi le licenciement est devenu inéluctable, il faut en
expliquer loyalement les causes au collaborateur tout
comme il convient de lui expliquer précisément ses
droits indemnitaires. La méthode qui consiste à se
débarrasser du sujet en mandatant un avocat qui négo-
ciera avec celui du salarié, sauf à ce que ce soit le choix
de ce dernier, est médiocre et couarde. J’engage à se
parler franchement, simplement, loyalement et avec
toute la densité humaine qu’impose cette circonstance
si particulière. Agir ainsi est un acte de bienveillance
car c’est un acte de respect ;
êenfin, il faut considérer les souffrances psychologiques
que provoque un licenciement, tout comme la difficulté

119
La bienveillance, source d’espérance

que peut rencontrer le collaborateur à retrouver un


emploi. Il est donc sain et respectueux de proposer
soit un soutien psychologique, soit l’aide d’un cabinet
d’aide à la recherche d’emploi, soit, bien sûr, les deux.
Le coût économique de ces prestations, s’il modère un
coût humain, n’est pas une dépense mais une épargne.

Les politiques de responsabilité sociale,


sociétale et environnementale

Depuis une quinzaine d’années, les entreprises, d’abord les


plus grandes, puis de proche en proche de toutes tailles, se
sont saisies des enjeux sociétaux et environnementaux en
complément des sujets sociaux qu’elles ont toujours, par
nature, embrassés.
L’objet n’est pas ici de décrire en détail ces politiques
qui sont désormais bien connues, mais de s’interroger
sur leur pertinence et leurs impacts. Chacun conviendra
qu’une entreprise, en tant qu’elle est un acteur de la cité,
un consommateur de matières premières et transformées,
un émetteur de déchets, un producteur direct et indirect
deCO 2, joue un rôle majeur dans l’équilibre de la société
et l’état de la planète.
Les entreprises se sont engagées sur la voie de poli-
tiquesRSE ou bien par nécessité de se conformer aux
prescriptions nationales et internationales (production
d’un bilan carbone, engagements en matière de non-
discriminations à l’embauche…), ou bien par convictions
militantes (« entreprises à mission ») ou bien, évidemment,
pour les deux raisons cumulées.
Une notation extra-financière des entreprises a vu le jour
(Vigeo étant l’un des pionniers en ce domaine). Et une

120
La bienveillance au travail

véritable course au « scoring » s’est développée, l’objectif


des entreprises étant d’obtenir une note leur permettant
de figurer dans les indicesRSE, notamment des émetteurs
bancaires, et donc d’attirer des investisseurs sensibles à ces
enjeux.
On peut, à raison, affirmer que cette bienveillance socié-
tale et environnementale est riche de sens et porteuse de
l’espérance d’un monde meilleur par l’engagement de ces
innombrables acteurs que sont les entreprises.
C’est une affirmation juste. Mais il y a un mais et de taille.
La comptabilisation des tonnes deCO 2 émises ou évitées,
la mesure de la consommation énergétique, l’intérêt aigu
porté à la structure de gouvernance d’une entreprise
(PDG ou président etDG, sujet très observé par les
agences de notation), la lutte contre la corruption ou
encore le respect de la protection des données informa-
tisées ont progressivement détourné les entreprises, au
moins dans leur course à la notation extra-financière,
des questions de bien-être au travail ou de qualité du
dialogue social.
On m’objectera que mon propos est inexact puisque,
par exemple, et c’est fort heureux, la mesure du taux de
collaborateurs en situation de handicap ou encore du taux
d’accidents du travail fait partie des critères observés par
les agences de notation. Mais pardon à mes objecteurs, je
maintiens mon propos.
D’abord parce que le bien-être au travail, la bienveillance
dans l’entreprise ne se résument pas à des taux ou à des
graphiques.
Ensuite parce que ces agences ont développé leurs propres
activités de conseil pour aider les entreprises à rechercher

121
La bienveillance, source d’espérance

et obtenir le meilleur « scoring » au travers de méthodo-


logies standardisées qui m’apparaissent peu compatibles
avec la subtilité de la relation humaine.
Enfin, parce que courir après une note, un score, un chiffre
consomme une folle énergie que des bataillons de spécia-
listes des servicesRH dédient ou consument plutôt que de
passer du temps avec les hommes et les femmes, engagés
ou désengagés, heureux ou insatisfaits, qui constituent les
forces vives de l’entreprise.
Je plaide donc pour le grand retour du « social », donc de
l’humain, dans sa fragile subtilité, et l’apaisement de la
course aux chiffres du sociétal et de l’environnemental.
Voilà qui serait aussi porteur d’espérance !

La bienveillance intégrale : économique,


sociale et environnementale

La bienveillance consistant à agir pour le bien d’autrui,


qu’on le connaisse ou pas, qu’on l’apprécie ou pas : peut-on
imaginer une vision plus globale de la bienveillance ?

Sur le plan économique

Cette bienveillance ne pourrait-elle pas passer par l’action-


nariat salarié, principal moyen pour permettre aux salariés
de bénéficier des fruits de leur travail ? Dans un article 1
intitulé « En France, la baisse de la fiscalité du capital est
un échec », l’économiste PatrickArtus est très clair : « Il

1. Challenges, 7 juillet 2022.

122
La bienveillance au travail

faudrait rendre obligatoire la distribution, en cinq ans,


de 10 % du capital des entreprises à leurs salariés, afin de
les associer à l’envolée des valorisations. Certes, cela crée
un risque pour les salariés qui peuvent subir un recul de
la valeur de leurs actions. Mais c’est la seule manière de
briser cette concentration des richesses, préjudiciable à
la consommation, à l’investissement et à la croissance. »
Certains groupes, à l’image d’Eiffage, vont encore plus
loin. Chez cet acteur duBTP, près de 80 % des collabo-
rateurs sont engagés dans cette voie, et cela correspond
à20,1 % du capital.

Sur le plan social

La bienveillance pourrait passer par un management bien-


veillant, clé de la santé, en diminuant les effets du stress et
en améliorant la réalisation de soi.
Il contribue également à une meilleure cohésion, une
envie de réussir ensemble plus forte, permettant à l’hu-
milité individuelle de déboucher sur une véritable fierté
collective. Il est aussi source de performance en raison de
son impact positif sur l’engagement, une performance qui
permet d’autant plus à chacun de vivre mieux qu’elle est
davantage partagée.

Sur le plan environnemental

Il pourrait s’agir de contribuer à bâtir un monde décar-


boné. Il s’agit là d’un monde qui va demander des efforts,
des efforts d’autant mieux acceptés qu’ils sont compris et
perçus comme justes.

123
La bienveillance, source d’espérance

Grâce à la bienveillance intégrale, il est possible de


permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même,
de s’épanouir en toute humilité, tout en étant un acteur
d’une fierté collective.

De la bienveillance aux Bienveilleurs

Détecter à temps un collègue, un ami, un collaborateur


qui est en souffrance morale va lui permettre de récupérer
plus vite. En outre, la richesse des échanges favorisés par
les Bienveilleurs va contribuer à un réel apaisement.
Détecter à temps pour aider à récupérer plus vite et tendre
vers un apaisement sont bien des sources d’espérance.

La solidarité de proximité

S’il est une des caractéristiques humaines qui fait toujours


plaisir à voir, c’est bien celle de la solidarité de proximité,
véritable réflexe d’entraide entre les personnes, réflexe
toujours gratuit bien que parfois coûteux.
Ce réflexe est très ancien dans l’espèce humaine, ancré au
plus profond de son instinct de survie. C’est le monsieur
qui aide une dame âgée à monter ses courses, c’est l’auto-
mobiliste qui s’arrête pour porter secours en cas d’accident,
c’est la personne qui va aider dans un cadre humanitaire.
C’est un réflexe toujours gratuit au sens classique du terme,
on ne va pas être rémunéré parce que l’on a apporté de
l’aide, sinon ce ne serait plus de la solidarité mais l’exercice
de son métier. Il y a en revanche un magnifique retour,
c’est le sens que l’on donne à sa vie, c’est le bien-être que

124
La bienveillance au travail

l’on en ressent ; le docteur HansSelye parlait « d’altruisme


égoïste » pour illustrer le bien-être ressenti alors que la
motivation principale est bien sûr altruiste.
C’est un réflexe parfois coûteux. Aider prend parfois du
temps, peut nécessiter de modifier son emploi du temps…
Réfléchissons enfin au prix payé par certains humanitaires
pour aller sauver des vies. Entre les maladies contractées
dans certaines zones géographiques, les blessures morales
ou physiques dans des pays en guerre, il y a bel et bien un
coût qui prouve que l’envie d’aider est supérieure à tout.
Actuellement, dans l’entreprise, la mise en place de
« Bienveilleurs » obéit à ce même état d’esprit. Il s’agit bien
de personnes, riches d’une belle sensibilité, fortes d’une
réelle empathie, qui vont aider un collègue ou un collabo-
rateur en difficulté en s’adressant à lui à temps, en l’aidant
à trouver la voie susceptible de lui apporter des solutions
et donc de l’aider.
La notion de Bienveilleurs nous vient du Québec où l’on
parle de « personnalités sentinelles ». Il s’agit de salariés
qui reçoivent une formation courte dispensée par un
intervenant professionnel et essayent ensuite de détecter
des personnes qui souffrent moralement pour éviter que
celles-ci évoluent mal en les adressant suffisamment tôt à
un organisme adapté. MélanieBoisvert, une personnalité
sentinelle, explique : « On nous apprend à reconnaître les
signes précurseurs… Nous ne faisons pas d’intervention.
Nous sommes plutôt une courroie de transmission… »
Ces personnalités sentinelles existent dans des entreprises
mais aussi dans des établissements scolaires et notamment
au niveau desCégeps. Ainsi, LouiseLemieux, journa-
liste, précise : « Au Cégep Limoilou, des enseignants sont

125
La bienveillance, source d’espérance

devenus sentinelles, mais aussi des agents de sécurité,


des préposés à l’entretien, du personnel de bureau. Une
vingtaine d’autres personnes seront formées sous peu. Le
programme s’implante graduellement dans les Cégeps de
la région. » Ce principe de personnalités sentinelles s’étend
aussi aux agriculteurs.
Cette belle notion de Bienveilleurs qui permet d’asso-
cier fraternité et sens est parfaitement adaptée aux temps
présents. Les Bienveilleurs savent détecter, s’adresser à la
personne concernée et l’orienter vers le bon interlocuteur.

Savoir détecter

Un Bienveilleur sera donc en mesure d’identifier une


personne qui a un niveau de stress trop important, qui
souffre moralement ou qui est proche du burn-out.
Ilconnaîtra les signaux faibles évocateurs de ces états. Il
ne s’agit bien sûr pas d’aider qui que ce soit à faire un
diagnostic, c’est l’affaire des médecins, mais d’inciter à
consulter à temps.
Le contexte actuel, en raison de la Covid-19 –et de ses
conséquences différées, humaines, sociales et écono-
miques–, des conflits en cours, des inquiétudes quant au
climat, des difficultés inhérentes à l’inflation… voit un
nombre croissant de personnes en souffrance morale, les
Bienveilleurs sont donc plus que jamais nécessaires.

Quelques signaux faibles évocateurs


d’un niveau de stress important
Parmi ces signaux faibles, on trouve des signes physiques
comme des tensions musculaires au niveau des trapèzes

126
La bienveillance au travail

ou des muscles paravertébraux (muscles situés de part


et d’autre de la colonne vertébrale), des maux de tête
survenant en période de détente, c’est-à-dire le soir ou
le week-end, une fatigue importante, des troubles du
sommeil avec des difficultés d’endormissement et un
sommeil haché, une modification de l’appétit, un dermo-
graphisme (sensation de démangeaison accompagnée
derougeurs superficielles et d’un léger relief à l’image de
piqûres d’orties).
Il existe également des signes intellectuels : difficultés de
concentration, de mémorisation, de prise de décision…
Il sera en outre plus fréquent de faire des fautes de frappe
sur un clavier d’ordinateur.
On peut aussi constater des signes émotionnels : une plus
grande irritabilité, une agressivité plus importante, une
anxiété plus prononcée, des changements d’humeur…
Enfin, des signes comportementaux sont parfois présents,
à l’image des conduites addictives (tabac et alcool notam-
ment) plus marquées, une tendance à l’isolement, à la
précipitation, au désinvestissement…

Quelques signaux faibles évocateurs


d’un état moral dégradé
Parmi ces signaux faibles, on retrouve une tristesse
importante, difficile à corriger. Souvent, lorsque l’on
échange avec une personne triste, on va parvenir à
dissoudre au moins une partie de sa tristesse. Là, ce ne
sera pas le cas.
Les idées noires devront, elles aussi, alerter. Par exemple,
une personne qui exprime une lassitude par rapport à la
vie ou des moyens de supprimer la souffrance morale

127
La bienveillance, source d’espérance

qui est en elle, est à considérer avec le plus grand des


sérieux.
L’apathie est une autre caractéristique majeure des
personnes en souffrance morale. Il s’agit de l’incapacité
d’agir, même pour des actes simples, comme prendre
un rendez-vous avec son médecin. C’est ce qui fait dire
à certains : « Il faudrait qu’il (elle) se secoue ! » Mais ce
n’est pas une question de volonté : la personne n’est
tout simplement plus capable d’agir. Quelqu’un qui
souffre moralement et qui est apathique ne prendra
pas rendez-vous avec son médecin ; qu’un Bienveilleur
l’aide à prendre rendez-vous peut contribuer à lui sauver
la vie !
Des difficultés de concentration, de mémorisation,
sont également des éléments évocateurs d’un état moral
dégradé. Soyons vigilants devant un collègue, un collabo-
rateur qui ne se souvient pas d’un numéro de poste qu’il
connaissait avant.
À cela s’ajoute une estime de soi basse, difficile à remonter.
Là encore, souvent, en échangeant avec la personne, on
parvient à corriger l’estime de soi. Dans le cas d’un état
moral dégradé, cela est très difficile, voire impossible.
Dans ces situations-là, on constate régulièrement un ralen-
tissement global : la personne marche de manière moins
énergique, s’alimente moins, parle plus lentement et de
manière plus monotone.
Tout comme dans le stress, on retrouve des troubles du
sommeil mais de nature différente : la personne peut
très bien s’endormir normalement mais se réveiller au
petit matin, toujours à la même heure, sans parvenir à se
rendormir. Il convient d’être vigilant devant une personne

128
La bienveillance au travail

qui se réveille par exemple toujours à 2 h 15 ou à 3 h 20 avec


d’énormes difficultés à se rendormir.
Enfin, une fatigue intense est souvent présente, celle-ci ne
régressant pas avec le sommeil.

Quelques signaux faibles évocateurs de la proximité


d’un burn-out
Ici, les signaux faibles peuvent être proches de ceux
d’un état moral dégradé, mais ils sont plus intenses. On
retrouve un épuisement physique, psychique et moral. La
composante physique, à type de douleurs musculaires et
tendineuses au niveau des membres, doit attirer l’attention.
La fatigue est majeure, se lever devient coûteux.
La prise de conscience d’une chute de l’efficacité renforce
encore la souffrance morale de la personne, qui réalise
qu’elle ne peut plus agir comme avant. Rien ne lui fait
envie, que ce soit sur le plan professionnel ou personnel.
Enfin, la tristesse est très intense.
Qu’il s’agisse des signaux faibles évocateurs d’un haut
niveau de stress, d’un état moral dégradé ou de la proxi-
mité d’un burn-out, c’est l’association de plusieurs d’entre
eux qui doit retenir l’attention. Un seul de ces signes n’est
pas significatif.

Savoir s’adresser

Le Bienveilleur sera donc en mesure de détecter ces


signes et saura s’adresser le plus efficacement possible à la
personne en difficulté.
Pour ce faire, il est bien d’éviter de dire : « Comment
allez-vous ? » ou « Comment vas-tu ? » mais préférer :« Vous

129
La bienveillance, source d’espérance

n’avez pas l’air bien, qu’est-ce que je peux faire pour


vous ? », « Tu n’as pas l’air bien, qu’est-ce que je peux faire
pour toi ? »
Il est aussi essentiel d’accepter l’idée d’accorder du temps
à la personne pour réagir : parfois le premier échange ne
donne rien. En revanche, cette première adresse va déclen-
cher un échange plus tardif, mais efficace, durant lequel il
faut autoriser les silences, s’efforcer de peu parler, ne pas
presser la personne de questions.
Enfin, il est essentiel d’avoir un regard bienveillant qui
exprime l’empathie que l’on a vis-à-vis de la personne.
L’empathie, c’est se mettre à la place de l’autre ; de manière
imagée, c’est accepter de prendre un peu de sa douleur
dans son cœur…

Savoir orienter

Le Bienveilleur qui aura détecté et su s’adresser à la


personne en difficulté devra ensuite l’orienter. On va ici
différencier deux cas, selon que les difficultés sont d’origine
personnelle ou professionnelle :
êsi la personne en difficulté a des soucis d’origine person-
nelle : il est possible de proposer de l’aider à prendre
rendez-vous avec son médecin traitant ; si la situation
est perçue comme urgente : aider à prendre rendez-vous
avec le médecin traitant ou, si cela est impossible, aider
la personne à s’adresser à un service d’urgence… ;
êsi la personne en difficulté a des soucis d’origine profes-
sionnelle : le Bienveilleur peut se proposer d’en parler
au manager ou au serviceRH, ou encore au médecin
du travail. En cas de difficultés relationnelles avec un

130
La bienveillance au travail

collègue : le manager peut être le bon interlocuteur et si


les difficultés concernent ce dernier, le serviceRH ou
le médecin du travail peuvent être sollicités.
S’il s’agit d’une urgence, il faut aider à prendre rendez-vous
avec le médecin traitant ou le médecin du travail ou, si
cela s’avère impossible, l’aider à se rendre à un service
d’urgence…

En conclusion

Connaître ces signaux faibles peut permettre de donner


l’alerte à temps. Il ne s’agit pas de faire de tout un chacun
un médecin, mais d’interpeller le plus tôt possible, faisant
de chacun un objecteur de conscience de l’indifférence.
Dans le contexte actuel qui voit l’absentéisme flamber,
notamment en raison de problèmes psychiques, le
Bienveilleur peut aider à détecter plus tôt un collègue, un
collaborateur en souffrance, rendant la consultation chez
le médecin et le traitement plus précoces. Cela pourrait
contribuer à réduire la durée de l’arrêt de travail. Le plus
souvent, le Bienveilleur apportera une aide simplement à
travers un échange riche de ferments de fraternité, il s’agira
d’actes d’humanité. Très rarement, il contribuera à sauver
une vie. Il s’agira là d’un « devoir d’humanité ».
CHAPITRE 3

La bienveillance
au service de la santé

Au niveau de la santé individuelle

Aider à comprendre les mécanismes


du stress afin de mieux s’en protéger

Il est admis que le coût du stress professionnel en


France s’élève, selon le Bureau international du travail
(BIT) –si l’on intègre l’absentéisme, le turnover et la
« perte de qualité »–, à 3 à4 % du PIB, soit plus de
50milliards d’euros. Tout faire pour diminuer le niveau
de stress et ses effets est donc un enjeu humain, social
et économique.
Toutefois, on ne peut demander à une personne de se
protéger des effets du stress si elle n’en connaît pas les
mécanismes. Le stress est certainement l’une des réactions
les plus complexes de l’organisme, il est donc important
de l’aborder avec humilité et d’essayer, avant toute chose,
de le définir.

133
La bienveillance, source d’espérance

Première définition
Selon HansSelye, le chercheur qui, dès 1936, a décrit la
réaction de stress chez l’être vivant, « le stress est la réponse
non spécifique que donne le corps à toute demande qui
lui est faite ».
HansSelye parle de réaction « non spécifique » car,
quelle que soit la cause de stress, il y aura toujours
libération des mêmes hormones : l’adrénaline, la nora-
drénaline, le cortisol, l’aldostérone, les endorphines et
l’ocytocine.
Selon une étude de septembre2019, une autre hormone
interviendrait : l’ostéocalcine qui, semble-t-il, serait
libérée dans le sang deux à trois minutes seulement
après la perception du danger. Cette hormone, libérée
du tissu osseux à partir d’un type de cellules osseuses,
les ostéoblastes, agirait en diminuant le tonus du para-
sympathique. Le système nerveux parasympathique a pour
neuromédiateur l’acétylcholine et antagonise les effets du
système nerveux sympathique dont le neuromédiateur
est l’adrénaline. Le parasympathique ralentit notamment
la fréquence cardiaque ; aussi, si on diminue son tonus,
celle-ci va augmenter. Lors de la libération d’ostéocal-
cine, la fréquence cardiaque, la température corporelle et
la glycémie augmentent.
Cette nouvelle approche permettrait d’expliquer comment
des personnes en insuffisance surrénale ou des animaux
sans glande surrénale, incapables donc de produire de
l’adrénaline, peuvent développer une réponse au stress
aigu.
Le professeur GérardKarsenty, directeur du département
de génétique et développement de l’université Columbia,

134
La bienveillance au service de la santé

à l’origine de l’étude, est très clair : « Chez les vertébrés


osseux, la réponse au stress aigu n’est pas possible sans
ostéocalcine […] Cela change complètement notre façon
de penser à la manière dont les réponses au stress aigu se
produisent. »

Deuxième définition
Pour l’Agence européenne pour la sécurité et la santé
au travail, « un état de stress survient lorsqu’il y a désé-
quilibre entre la perception qu’une personne a des
contraintes que lui impose son environnement et la
perception qu’elle a de ses propres ressources pour y
faire face ».
Cette définition est plus restrictive que la précédente
car elle concerne avant tout le stress vécu dans le cadre
professionnel. En outre, il est possible de subir des
sources de stress sans pour autant « percevoir » quoi que
ce soit. C’est notamment le cas de nombre de sources
de stress d’origine physique comme les variations de
pression…
Cette définition est cependant très intéressante car elle
offre un regard sur les moyens de diminuer le niveau de
stress. Si l’on se réfère à cette définition, pour diminuer le
niveau de stress, on a donc trois possibilités :
êon se contente de diminuer les contraintes, mais la
personne risque de ne pas se réaliser dans son travail ;
êon nie les contraintes, mais en conséquence, on géné-
rera du stress et on n’aura pas la possibilité d’améliorer
la perception des ressources ;
êon diminue les contraintes et on améliore la perception
des ressources pour conjuguer santé et succès.

135
La bienveillance, source d’espérance

Cela renvoie à la belle notion de flow… Selon Mihály


Csíkszentmihályi, si l’objectif est fixé juste au-dessus des
capacités de la personne, celle-ci entre dans un état de flow,
un état de concentration optimale où elle sera pleinement
efficace.
Si l’on regarde maintenant comment le neurophysiologiste
GuyCheron définit l’état de flow, on perçoit bien le juste
équilibre entre contraintes et perception des ressources :
« La combinaison entre le défi et l’habileté à le relever peut
nous conduire à un état de flow susceptible de générer la
meilleure performance. » GuyCheron explique aussi que
l’état de flow est associé au niveau de notre cerveau à des
ondes alpha, les ondes de la sérénité bien sûr, mais aussi du
succès : « Le rythme alpha est à la base de la performance. »
Des objectifs qui sont des défis possibles permettent donc
d’aller chercher de la santé et de la performance. Si l’ob-
jectif général est ambitieux, faire en sorte qu’il bénéficie
d’objectifs intermédiaires qui soient des défis possibles est
indispensable.

Les mécanismes du stress

Une réaction de survie


Il s’agit de comprendre pourquoi une formidable réaction
de survie qu’est le stress peut devenir aussi problématique.
Dans les temps anciens, lorsqu’un être humain était
confronté à un animal sauvage, la réaction de stress avait
beaucoup d’avantages. Ainsi, sous l’influence de l’adréna-
line, notre ancêtre dilatait ses bronches et permettait donc
à l’oxygène de mieux passer dans son sang. En raison de
la libération d’adrénaline, de noradrénaline, de cortisol et

136
La bienveillance au service de la santé

d’aldostérone, la pression artérielle augmentait et le cerveau


était alors irrigué à un plus haut débit par un sang plus
riche en oxygène. La sécrétion d’adrénaline et de cortisol
entraînait une augmentation du taux de sucre dans le sang
fournissant ainsi l’énergie nécessaire au combat.
En outre, si l’animal blessait le chasseur, sous l’influence
de l’adrénaline et de la noradrénaline, les vaisseaux de
celui-ci se resserraient, le risque d’hémorragie diminuait.
Parallèlement à cela, la libération d’adrénaline améliorait
la capacité des plaquettes à coaguler, protégeant encore
plus du risque d’hémorragie.
Enfin, si l’animal était féroce et le chasseur grièvement
blessé, des endorphines étaient sécrétées pour diminuer la
douleur et permettre ainsi de continuer à combattre dans
des conditions optimales.
Une réaction de survie qui est toujours d’actualité. Si l’on
est sur le point d’avoir un accident, la réaction de stress
peut nous sauver la vie. Pendant quelques fractions de
seconde, le fonctionnement de notre organisme va être
optimisé, aidant à avoir la bonne attitude au bon moment.
Le problème est que ce qui est formidable pendant
quelques fractions de seconde ne peut pas être transposé
pendant des heures, des jours, des mois…

Une réaction de survie qui est devenue


problématique
Si cette réaction nous pose aujourd’hui problème, cela
vient essentiellement de quatre raisons.

137
La bienveillance, source d’espérance

Le nombre de sources de stress a augmenté


de manière considérable
L’arrivée des nouvelles technologies de l’information et
de la communication a permis de compresser le temps,
favorisant l’émergence de nombreuses sources de stress.
En outre, l’humain, peinant à trouver le juste équilibre, est
sans cesse tenté d’aller toujours plus loin : il s’agit d’opérer
de plus en plus vite, quitte à sacrifier parfois le temps de
la pensée. La crise sanitaire, l’augmentation du coût de la
vie relative à l’inflation puis le conflit entre la Russie et
l’Ukraine ont encore augmenté le nombre de sources de
stress.

Les facteurs de protection ont diminué


Père de l’expression « facteurs de protection », le docteur
Jean-JacquesBreton précise : « Si on favorise ces facteurs
de protection, les gens peuvent améliorer leur capa-
cité à faire face aux événements stressants. On peut les
outiller. » Cette expression a été aussi utilisée par le docteur
BorisCyrulnik 1 lors de l’épidémie de coronavirus : « Ceux
qui, avant le virus, avaient acquis des facteurs de protec-
tion (une aptitude à bien s’exprimer, une famille stable,
beaucoup d’amis, un logement assez grand), ceux-là
surmonteront à peu près la période de confinement… »
Parmi les facteurs de protection avancés par le docteur
Breton, on retrouve la présence d’objectifs dans la vie, la
spiritualité dans le sens d’une vie intérieure, le sens, les
liens sociaux, les valeurs…
Pour illustrer l’efficacité de ces facteurs de protection,
prenons deux exemples : le sens et les liens sociaux.

1. Médecin, neuropsychiatre et psychanalyste français.

138
La bienveillance au service de la santé

Le sens est un facteur de protection très puissant.


Dans une structure qui fait travailler des médecins urgen-
tistes aux États-Unis, nombre d’entre eux faisaient des
burn-out. Il a alors été demandé à ces médecins detravailler
une demi-journée par semaine sur leur zone de passion.
Ces médecins ont fait avancer les connaissances, ont pris
conscience de leur utilité, ont perçu plus de sens et le
nombre de cas de burn-out a régressé.
Il en est de même pour le lien social.
Nous l’avons vu, des études 1 ont montré qu’une absence de
soutien augmenterait respectivement de 31 % et de 43 %
le niveau de stress et d’anxiété chez les hommes et les
femmes.
Ces facteurs de protection jouent donc un rôle essen-
tiel ; or, dans « nos grands États modernes », ils ont une
fâcheuse tendance à régresser. Là encore, la crise sani-
taire, en restreignant les liens sociaux, a considérablement
aggravé la situation.

L’activité physique est très souvent trop faible


Chez nombre de personnes, l’activité physique est devenue
trop aléatoire. Or, elle permet de freiner la sécrétion
d’hormones libérées en excès en cas de stress. Dans des
entreprises canadiennes, les escaliers avaient été réhabilités
et les collaborateurs encouragés à utiliser ceux-ci plutôt
que les ascenseurs. Au bout de trois semaines, le taux de
cortisol des salariés qui empruntaient les escaliers était plus
bas que celui de ceux qui prenaient l’ascenseur.

1. Stansfeld S.A. et al., « Work and psychiatric disorder in the Whitehall II Study », Journal
of Psychosomatic Research, juillet 1997, vol. 43, n° 1, pp. 73-81.

139
La bienveillance, source d’espérance

L’alimentation n’est pas toujours adaptée


Lors des périodes à haut niveau de stress, l’organisme retient
du sel en raison de la sécrétion de cortisol et d’aldostérone
et libère du sucre sous l’effet du cortisol et de l’adrénaline,
il a donc tendance à avoir plus de sel et de sucre qu’en
temps normal. Or, dans ces mêmes périodes, paradoxa-
lement, l’appétence pour les produits sucrés et salés est
importante. Ainsi avons-nous tendance à consommer plus
d’aliments riches en sel et en sucre, alors qu’il existe déjà
du sel et du sucre en excès dans l’organisme.
L’excès de la consommation de sel dans les périodes de
stress doit être évité, car comme le montre une étude 1
denovembre2022, la production de cortisol augmenterait
de 75 % chez des souris ayant une alimentation très salée…
De quoi amorcer un véritable cercle vicieux.

Comment une réaction au stress se traduit-elle ?


Quelle qu’en soit la cause, la réaction de stress se traduira
par une libération d’hormones. Ces hormones, lorsqu’elles
sont rares et présentes de manière brève, ne sont pas
toxiques et sont mêmes très utiles et peuvent contribuer
à nous sauver la vie. En cas d’hypoglycémie, la réaction
de stress va aider à faire augmenter le taux de sucre dans
le sang et ainsi aider la personne à récupérer. C’est égale-
ment le cas du trac, source de stress aiguë par excellence,
qui aide à se concentrer au début d’une intervention face
à un public.

1. Hannah M. Costello, Georgios Krilis, Celine Grenier, David Severs, Alicja Czopek, Jessica R.
Ivy, Mark Nixon, Megan C. Holmes, Dawn E.W. Livingstone, Ewout J. Hoorn, Neeraj
Dhaun, Matthew A. Bailey, « High salt intake activates the hypothalamic-pituitary-adrenal
axis, amplifies the stress response, and alters tissue glucocorticoid exposure in mice »,
Cardiovascular Research, juin 2023.

140
La bienveillance au service de la santé

En revanche, lorsque ces hormones sont sécrétées de


manière importante et durable, elles peuvent avoir des
effets toxiques.

Bon et mauvais stress


Existe-t-il un bon et un mauvais stress ? Voici une question
très souvent posée. Lors d’un malaise, lors d’un accident,
je l’ai déjà abordé, le stress peut nous sauver la vie ! Dans
ces cas-là, le stress peut avoir des effets positifs.
Le problème vient essentiellement du stress subi, fréquent,
dans un contexte de faible activité physique et de facteurs
de protection inexistants. Là, le nombre de sources est
tellement élevé que cela le rend globalement toxique.
Àl’image du sucre, un morceau est bon pour la santé.
Sil’on en consomme cinquante par jour, il devient toxique
pour l’organisme. La énième source de stress peut donc à
la fois nous aider à survivre en cas d’accident mais s’avérer
en même temps toxique pour notre organisme.
Ce qui est certain, c’est que le stress ne sera pas la clé à
mobiliser si l’on veut obtenir de la performance… durable !
Parfois, on me dit : « Lorsque j’ai un travail compliqué à
faire, je me dis qu’il faut que je sois à tel niveau d’avance-
ment à telle heure, cela me stresse et je suis plus efficace…
c’est du bon stress. » S’il est certain que dans ce type de
situation, la performance est plus grande, il est préférable
d’y voir davantage l’impact de la motivation que celle
du stress, la source de motivation étant alors le facteur
temps. En revanche, s’il est demandé à un collaborateur
de faire une quantité de travail en un temps impossible,
c’est bien du stress qui sera généré chez lui et là, il sera
moins performant.

141
La bienveillance, source d’espérance

Le stress peut aussi entraîner des conséquences diffé-


rentes en raison de son aspect constant, régulier ou non.
Deux études menées chez des souris interpellent… La
première 1, menée par des chercheurs de la Case Western
Reserve University School of Medicine aux États-Unis,
montre qu’un stress constant pendant cinquante-sixjours
d’affilée chez des souris souffrant d’une maladie inflamma-
toire de l’intestin pouvait diminuer l’intensité des troubles
inflammatoires. Dans ces conditions, le stress a stimulé le
système immunitaire. La deuxième, menée par des cher-
cheurs de l’université des Sciences de Tokyo, a montré
que des souris soumises à un stress de dixminutes par jour
pendant dixjours présentaient des symptômes (diarrhée,
hyperalgésie viscérale…) ressemblant au syndrome du
côlon irritable.
La principale différence entre ces deux études est essen-
tiellement le type de stress, constant et régulier dans la
première étude, et irrégulier dans la seconde.
Et chez l’humain, n’est-ce pas également l’irrégularité qui
est source de problèmes ?
Un membre du comité exécutif d’un grand groupe expli-
quait que, dès qu’il avait troisjours de repos, il tombait
malade. N’est-ce pas le passage d’un état de stress
important à un état de relatif repos qui est à l’origine de
l’émergence de maladies ?
Un autre soulignait que la première semaine de ses
vacances se passait souvent mal car il contractait presque
toujours une infection et, en plus, ne se sentait jamais très

1. Yuki Sato, Karina Silina, Maries van den Broek, Kiyoshi Hirahara, Motoko Yanagita, « The
roles of tertiary lymphoid structures in chronic diseases », Nature Reviews Nephrology,
26 septembre 2022.

142
La bienveillance au service de la santé

bien, parfois très fatigué, voire nauséeux, avec une moindre


envie d’agir dans quelque domaine que ce soit.
Or, en période d’activité intense, ces deux personnes ne
tombaient pas malades… Quand on comprend le méca-
nisme de ces problèmes, il est bien sûr possible d’y remédier.

Sommes-nous tous égaux face au stress ?


Les travaux menés par le docteur DeaneAikins 1 présentés
lors de la conférence annuelle de l’American Association
for the Advancement of Science (AAAS) en février2009
prouvent que des personnes résistent mieux au stress que
d’autres, au point de pouvoir continuer à agir efficacement
en cas de niveau de stress important.
Les travaux du docteur DeaneAikins montrent un niveau
de cortisol plus bas chez les personnes résistant naturelle-
ment au stress, lorsque celles-ci sont soumises à des stress
intenses. Parallèlement à cette absence d’augmentation
du cortisol, on constaterait, chez les patients « résistant »
au stress, un taux plus élevé deneuro peptideY, une
substance permettant de réduire les effets du stress.
Une étude à rapprocher de celle menée par l’équipe du
docteur DavidGoldman, parue dans la revue Nature en
avril2008 qui montrait que des « variations héréditaires
de la quantité d’une molécule réduisant l’anxiété aident
à expliquer pourquoi certaines personnes peuvent tolérer
le stress mieux que d’autres ». La molécule qui réduit le
stress et l’anxiété est le… neuropeptideY ! La conclusion
est donc simple : plus le taux de neuropeptideY dont on
dispose est élevé, plus on résiste au stress.

1. Psychiatre.

143
La bienveillance, source d’espérance

Si le fait d’avoir un taux de neuropeptideY élevé est un


atout pour résister au stress, il peut dans certains cas s’avérer
source de difficultés. Lorsqu’on résiste bien soi-même, on
n’imagine pas qu’un proche, un collègue, un collaborateur,
ne résiste pas aussi bien que soi, on ne comprend alors pas
que l’on puisse générer du stress chez lui alors que ce n’est
pas le cas à notre niveau.

Connaître les signaux faibles évocateurs


d’un niveau de stress important

Nous les avons rapidement abordés dans la partie dédiée aux


« Bienveilleurs ». Voyons ici les mécanismes qui sous-tendent
ces signaux faibles.

Des tensions musculaires


Le stress favorise des contractions douloureuses, notam-
ment au niveau des muscles du rachis cervical, dorsal ou
lombaire. Cela va entraîner des douleurs directement
liées à la contraction et parfois de manière indirecte,
en aidant une hernie discale a minima à s’exprimer.
L’expression populaire « j’en ai plein le dos » prend ici tout
son sens.

Des maux de tête


Certaines hormones du stress (adrénaline, noradrénaline)
entraînent un resserrement de nos vaisseaux. Lorsque l’ac-
tion de ces hormones diminue, le soir ou le week-end par
exemple, on peut alors assister à une dilatation brutale
de ces mêmes vaisseaux favorisant ainsi l’émergence de
migraines ou de maux de tête.

144
La bienveillance au service de la santé

Selon une étude 1 menée par l’équipe du docteur


SaraH.Schramm auprès de 5 159personnes pendant deux
ans, l’augmentation du niveau de stress favorise la survenue
de céphalées de tension, de migraines et d’un autre type de
maux de tête. Le docteurSaraH.Schramm explique que
ces résultats « démontrent que le stress « peut contribuer
à l’apparition de maux de tête et en aggraver la sévérité ».

De la fatigue
Lorsque le taux d’hormones diminue après une réaction
de stress intense, on peut avoir une sensation de fatigue
d’autant plus intense que la source de stress a été vive.
Le stress peut aussi contribuer à augmenter la pression
artérielle, cette dernière s’exprimant parfois elle aussi sous
forme de fatigue.

Des plaies qui cicatrisent difficilement


L’équipe de JohnWeinman, chercheur en psychologie du
travail à l’université King’s College de Londres, a montré
à travers une étude 2 que de petites blessures cicatrisaient
deux fois plus vite si la victime était peu stressée, le niveau
de stress étant estimé par le taux de cortisol.
Dans une étude précédente, ce même chercheur avait déjà
montré que la guérison des blessures était améliorée si
l’on associait une aide psychologique destinée à diminuer
le stress.

1. « Le stress est associé aux maux de tête, démontre une nouvelle étude », La Presse,
20 février 2014. Disponible en ligne : www.lapresse.ca/vivre/sante/201402/20/01-4740847-
le-stress-est-associe-aux-maux-de-tete-demontre-une-nouvelle-etude.php
2. « Le stress et l’anxiété influencent la guérison des plaies », Psychomédia, 13 juin 2010.
Disponible en ligne : www.psychomedia.qc.ca/stress/2010-06-13/le-stress-et-l-anxiete-
influencent-la-guerison

145
La bienveillance, source d’espérance

Des troubles du sommeil


En raison de la sécrétion de cortisol, l’hormone de l’éveil,
le stress peut altérer la qualité du sommeil en rendant
l’endormissement difficile et en favorisant les réveils
fréquents.
Physiologiquement, le pic de sécrétion du cortisol a lieu
vers 8heures le matin et le taux va baisser au cours de la
journée pour que, le soir, il soit suffisamment bas pour être
compatible avec l’endormissement. Si, en raison de sources
de stress intenses et tardives, le taux de cortisol est élevé
le soir, s’endormir devient compliqué. Les réveils seront
également plus fréquents, donnant parfois l’impression de
ne pas dormir du tout, ce qui vient renforcer l’inquiétude
d’une potentielle fatigue le lendemain, créant un cercle
vicieux. En outre, le cortisol entraîne souvent une sensa-
tion de chaleur, accentuant les difficultés à s’endormir.

Des modifications de l’appétit


Dans la plupart des cas, le stress augmente l’appétit ; dans
quelques rares cas, il peut le diminuer.
Une étude, menée par l’équipe de CharlottaEriksson du
Karolinska Institutet de Stockholm et publiée début2014,
aborde l’influence du stress induit par le bruit sur le tour
de taille. Pour une élévation de 5décibels du niveau de
bruit pendanthuit à dix ans, le tour de taille augmente-
rait de1,5 cm. Cette augmentation serait liée au stress
provoqué par le bruit et notamment à l’augmentation du
taux d’une des hormones du stress, le cortisol.

146
La bienveillance au service de la santé

Des difficultés de concentration, de mémorisation,


de prise de décision
Le stress chronique a une action néfaste sur les facultés
intellectuelles. Il altère les capacités de concentration, de
mémorisation et l’aptitude à prendre des décisions.
Un article 1 paru en novembre2010 concernant l’étude
menée par l’équipe du docteur ErinGibson de l’université
de Californie à Berkeley révèle l’influence du décalage
horaire sur les capacités à mémoriser chez le hamster.
Dans l’étude concernée, il s’agit d’un décalage horaire
important correspondant à deux voyages de six fuseaux
chaque semaine, et ce, durant quatre semaines. Les cher-
cheurs supposent que les décalages horaires générant du
stress pourraient être responsable d’une atteinte de l’hip-
pocampe, la zone du cerveau impliquée notamment dans
la mémoire.
Le mécanisme semble passer par une augmentation du
taux de cortisol (hormone du stress) dans le sang, lequel
cortisol aurait une action néfaste sur l’hippocampe.
Toujours témoin d’un impact du stress sur nos processus
cognitifs, une étude assez récente, menée par l’équipe de
LisaVizer de l’université du Maryland, a montré que le
stress modifie même la manière dont on utilise le clavier
de notre ordinateur. Cette étude a mis en évidence que
lestress influencerait différemment la manière d’utiliser
le clavier, selon qu’il soit d’origine physique ou psychique.
« Il est alors apparu que le stress cognitif causait plus de
changements au niveau de la manière de taper, et que
le stress physique influençait plutôt les caractéristiques
linguistiques. Par exemple, le stress cognitif entraînait

1. « Jet Lag may cause stupidity », Wired, 16 novembre 2010.

147
La bienveillance, source d’espérance

une augmentation de l’emploi de la touche ‘‘caps lock’’


(verrouillage des majuscules) et réduisait l’utilisation de
la touche ‘‘backspace’’ (effacer). »

De l’irritabilité, de l’anxiété et de la tristesse


Globalement, le stress rend plus agressif, plus irritable,
plus anxieux, plus triste… Le cortisol est certainement
l’hormone responsable de l’agressivité car on retrouve ce
même phénomène lors de la prise de médicaments corti-
coïdes, c’est-à-dire de cortisol de synthèse.

Le stress favorise toutes les addictions


L’alcool
Lorsque l’on subit un niveau de stress important, on aura
plus facilement envie d’une boisson alcoolisée. La raison en
est simple : l’alcool favorise la libération deGABA (acide
gamma-aminobutyrique), principal neuromédiateur apai-
sant de l’organisme. Ainsi, en consommant de l’alcool,
on trouve de manière indirecte le moyen de diminuer les
effets du stress et de se sentir mieux. Le problème est que,
dans le temps, le même effet apaisant sera obtenu avec
une dose croissante d’alcool et que le risque de devenir
alcoolique est réel.

Le tabac
Le stress favorise la consommation de tabac car l’absorption
de nicotine provoque du plaisir qui, à son tour, diminue
les effets du stress. Mais ce qui est juste instantanément
est faux à court terme, car la fumée contient des subs-
tances chimiques qui vont provoquer un stress d’origine
chimique, à l’image du stress provoqué par la pollution.

148
La bienveillance au service de la santé

Et cela va inciter à fumer de nouveau. Une étude 1 est très


claire sur ce sujet. Parue dans le British Journal of Psychiatry
en janvier2013, cette étude montre que si l’arrêt du taba-
gisme entraîne une augmentation modérée du niveau
de stress dans les jours qui suivent, l’effet observé à six
mois est très positif puisqu’il s’agit d’une baisse du niveau
d’anxiété tout à fait significative.
L’augmentation de la consommation de tabac pendant le
confinement est évocatrice. Selon Santé publique France 2,
27 % des personnes auraient augmenté leur consommation
de tabac.
La présence d’un seul de ces signes n’est bien sûr pas
évocatrice. En revanche, si vous présentez plusieurs de ces
signes ou si l’un de vos proches, collègues ou collaborateurs
estdans ce cas, cela peut signifier que son niveau de stress
est important et qu’il y a lieu d’être vigilant.

Intérêts de diminuer les effets du stress


en matière de santé

Les conséquences du stress sur la santé ont souvent été


abordées dans des ouvrages précédents et ne le seront pas
dans celui-ci.
En revanche, qu’il soit permis d’insister juste sur un point:
l’influence du stress sur l’infection à coronavirus.

1. Máirtín S. McDermott, Theresa M. Marteau, Gareth J. Hollands, Matthew Hankins et Paul


Aveyard, « Change in anxiety following successful and unsuccessful attempts at smoking
cessation », The British Journal of Psychiatry, 2 janvier 2018.
2. « Tabac, alcool : quel impact du confinement sur la consommation des Français ? », Santé
publique France, 13 mai 2020. Disponible en ligne : www.santepubliquefrance.fr/presse/2020/
tabac-alcool-quel-impact-du-confinement-sur-la-consommation-des-francais

149
La bienveillance, source d’espérance

Le stress favoriserait bien l’infection


par le coronavirus
Dès le mois de mars, sur mon blog Stress-info 1 et dans les
autres médias, la nécessité d’associer aux mesures barrières
des « mesures terrain » a été prônée, allusion à la célèbre
phrase de LouisPasteur : « Le microbe n’est rien, le terrain
est tout. » Il n’a jamais été dit que le virus n’était rien mais
il apparaissait de plus en plus que le terrain pouvait jouer
un rôle important.
En mars2020, une étude de l’Inserm2 avait en effet mis en
évidence le plus grand risque de contracter une infection
virale quand le taux de deux hormones du stress (adréna-
line et noradrénaline) augmente.
En janvier2022, une nouvelle étude 3 vient confirmer
le lien entre un niveau de stress important et le risque
de contracter une infection à coronavirus. Les résultats
del’étude sont très clairs : « Une plus grande détresse
psychologique au début de la pandémie était signifi-
cativement associée à une infection autodéclarée par le
SRAS-CoV-2 ainsi qu’à l’expérience d’un plus grand
nombre de symptômes plus graves. […] L’infection et les
symptômes de la Covid-19 peuvent être plus fréquents chez
les personnes souffrant de détresse psychologique élevée. »
Le 10août 2022, une nouvelle étude 4 menée par des cher-
cheurs américains montre que le covid long est souvent

1. www.stress-info.org
2. Inserm, « Comment le stress diminue nos défenses immunitaires », Futura,
6 mars 2020. Disponible en ligne : www.futura-sciences.com/sante/actualites/
stress-stress-diminue-nos-defenses-immunitaires-50069/
3. Kieran Ayling, Ru Jia, Carol Coupland, Trudie Chalder, Adam Massey, Elizabeth Broadbent,
Kavita Vedhara, « Psychological Predictors of Self-reported Covid-19 Outcomes », Annals
of Behavioral Medicine, mai 2022.
4. Jon Klein et al., « Distinguishing features of long Covid identifies through immune profi-
ling », Nature, 25 septembre 2023.

150
La bienveillance au service de la santé

associé à un taux de cortisol bas. En effet, une réaction


de stress se traduit par une libération d’hormones dont le
cortisol. On peut aisément penser que lorsqu’une personne
est soumise à un stress intense et durable, elle va « épuiser »
ses réserves en cortisol. D’ailleurs, chez les personnes en
burn-out, le taux de cortisol est souvent bas. Or, quand
le taux de cortisol est trop bas, il y aurait plus de risques
de contracter une infection à coronavirus, plus de risques
que celle-ci soit sévère et plus de risques de développer
un covid long.
On comprend donc bien l’intérêt de tout faire pour dimi-
nuer le niveau de stress des personnes. À côté des « mesures
barrières », des « mesures terrain » destinées à optimiser
l’immunité ont bien leur place.
Dans les mesures terrain, on pourrait donc suggérer de
protéger son immunité en ayant une activité physique
régulière et modérée, en étant respectueux de son temps
de sommeil et, bien sûr, en diminuant son niveau de
stress.

Quelques clés pour se protéger


des effets du stress

Avoir une activité physique régulière et modérée


Une activité physique régulière et modérée qui consis-
terait à marcher au moins 30minutes par jour et à
monter une vingtaine de marches est efficace. Cela peut
paraître peu, mais beaucoup avouent pourtant en être
encore loin. Il s’agit donc d’inciter celles et ceux qui
n’ont pasou ont peu d’activité physique à se mettre en
mouvement.

151
La bienveillance, source d’espérance

Une récente étude 1, publiée dans le European Heart Journal


en octobre2022, montre qu’une activité physique intense
de courte durée, à savoir environ 2minutes par jour ou
quinze minutes par semaine, réduit le risque de décès
prématuré de16 à40 %.
Associer trente minutes d’activité physique modérée à deux
minutes d’activité physique intense chaque jour aurait un
impact bénéfique sur notre stress et réduirait le risque de
décès prématuré de 16 à 40 %.
À noter que si l’on pratique 8minutes d’activité physique
intense par jour, la réduction du taux de mortalité passe-
rait à 50 % et que dix minutes par jour de marche rapide
permettraient de diminuer l’âge biologique de… seizeans 2.
Une étude britannique portant sur 400 000personnes,
dirigée par le professeur Tom Yates, publiée par la Harvard
Medical School et relayée par le site Stylist, montre que
dix minutes de marche rapide par jour réduirait l’âge biolo-
gique de seize années !
La marche rapide aurait un impact sur les télomères, cette
partie des chromosomes qui ne code pas mais qui raccourcit
avec l’âge. La marche rapide freinerait le raccourcissement
des télomères et réduirait ainsi l’âge biologique.
Le professeur Tom Yates, de l’université de Leicester,
est reconnu pour ses travaux sur l’influence de l’activité
physique sur la santé.
Âge chronologique et âge biologique…

1. Matthew N. Ahmadi, Philip J. Clare, Peter T. Katzmarzyk, Borja del Pozo Cruz, I Min Lee,
Emmanuel Stamatakis, « Vigorous physical activity, incident heart disease, and cancer: how
little is enough? », European Heart Journal, 7 décembre 2022.
2. Miranda Larbi, « Just 10 minutes of walking can knock 16 years off your biological age
by midlife - here’s why », Stylist, juillet 2023.

152
La bienveillance au service de la santé

L’âge chronologique est notre âge réel, celui que l’on


obtient à partir de notre date de naissance.
L’âge biologique est calculé en fonction de l’état de nos
cellules, de nos tissus.
Plusieurs paramètres vont jouer de manière positive sur
l’âge biologique : l’activité physique, un faible niveau de
stress, une absence de consommation de tabac ou d’alcool,
un sommeil suffisant, une alimentation saine…

Adapter son alimentation


Le stress tend, lorsqu’il est intense et durable, à faire
augmenter les taux de sucre et de sel dans l’organisme.
Il est donc important d’éviter de consommer trop de
produits riches en sucre et en sel, notamment en dehors
des repas.
Par ailleurs, il est possible de se protéger grâce à une
alimentation adaptée. Selon une étude 1 de 2011, les
aliments riches en vitamineB permettraient de diminuer
le niveau de stress jusqu’à20 %, s’ils sont consommés de
façon régulière sur une période detroismois.
Voici une liste non exhaustive des aliments riches en
vitamineB :
êles aliments riches en vitamineB1 : levure alimentaire,
châtaignes, jaune d’œuf, graines de tournesol, haricots
verts, épinards, petits pois… ;
êles aliments riches en vitamineB3 : poivrons, pommes
de terre, avocats, abricots, noix… ;

1. Baldewicz T., Goodkin K., Feaster D.J., et al., « Plasma pyridoxine deficiency is related to
increased psychological distress in recently bereaved homosexual men », Psychosomatic
Medicine, 1998.

153
La bienveillance, source d’espérance

êles aliments riches en vitamineB6 : foie de volaille,


germe de blé, ail, haricots verts, noix… ;
êles aliments riches en vitamineB9 : tomates, courgettes,
petits pois, avocats, oranges, noix… ;
êles aliments riches en vitamineB12 : huîtres, maque-
reaux, jaune d’œuf, mozzarella, fromage bleu,
champignons…
Une autre étude souligne que les aliments riches en vita-
mineD protégeraient notre organisme des effets du stress
chronique et du vieillissement. On retrouve de la vita-
mineD dans les produits laitiers, les œufs, les levures, les
champignons…
Selon plusieurs études, les aliments riches en probiotiques
réduiraient les effets du stress et amélioreraient l’état moral.
Ainsi, au Canada, on ne parle plus de probiotiques mais
de « psychobiotiques ».
On retrouve des probiotiques dans les yaourts enrichis au
bifidus, les laits fermentés, les olives, les cornichons, les
levures, certains produits carnés (saucisses), la levure de
bière, le pain au levain…
Le stress favorisant l’oxydation de notre organisme, il
est assez logique de compenser cet effet en consommant
des aliments au pouvoir antioxydant : betteraves rouges,
tomates, melons, fruits rouges, papaye, chocolat noir…
À noter que les aliments riches en manganèse protége-
raient les cellules contre le stress oxydatif (haricots blancs
et rouges, pois chiches, petits pois, avocats, noix…).
De même, les aliments riches en cuivre protégeraient
les cellules contre le stress oxydatif (courgettes, haricots
rouges et blancs, petits pois, olives noires, noix).

154
La bienveillance au service de la santé

Enfin, les aliments riches en vitamineE protégeraient des


effets du stress oxydatif (tomates, avocats, huile d’olive,
noix…).

S’apprendre à voir davantage ce qui se passe bien


Si l’on était en mesure, le soir, de penser davantage à ce
qui s’est bien passé dans la journée qu’aux soucis, le stress
serait moindre. Il est donc intéressant de rééduquer notre
cerveau à une telle pratique grâce à un exercice simple.
Lorsque la journée est terminée, il suffit de noter sur une
feuille séparée en deux colonnes, d’un côté ce qui s’est
mal passé, de l’autre ce qui s’est bien passé. Une fois cette
action réalisée, il suffit de repérer les trois choses les plus
positives dans la colonne des éléments qui se sont bien
passés et se forcer à y penser en se couchant. Ainsi, le
niveau de stress diminue, améliorant de ce fait la qualité
du sommeil.
Si certains sont plus sensibles aux outils informatiques qu’à
l’écriture dans un petit carnet, il existe une application,
Bien chaque matin. Vous trouverez facilement l’appli-
cation et son téléchargement est gratuit. Elle reprend
exactement les principes sus-cités et permet également
de constater ses progrès. En faisant cet exercice, que ce soit
au sein d’un petit carnet ou sur l’appli, on va contribuer
à freiner les sécrétions d’adrénaline et de noradrénaline,
diminuant ainsi les effets du stress.

Augmenter son sentiment d’efficacité personnelle


On sait que plus le sentiment d’efficacité personnelle
est élevé, moins les effets du stress seront importants.
Augmenter de manière concrète le sentiment d’efficacité

155
La bienveillance, source d’espérance

personnelle est possible grâce à un moyen simple : le carnet


des petits succès.
Avant de se coucher, il suffit de prendre un petit carnet
–qui pourra être le même que celui utilisé pour l’exer-
cice précédent – et de noter un éventuel petit succès
remporté dans la journée. Cela ne se produira pas forcé-
ment quotidiennement, mais il suffit de noter les petits
succès remportés au fur et à mesure qu’ils apparaissent.
Lorsqu’on note un nouveau succès, on ne peut en général
s’empêcher de relire les précédents et, petit à petit, le senti-
ment d’efficacité personnelle augmente, le stress diminue,
la confiance en soi et vis-à-vis des autres s’améliore, la
persévérance est plus à portée de main et l’optimisme se
développe.
Ici, le mode d’action implique une modification de l’ex-
pression d’un gène : OXTR. Selon une étude 1 menée
par ShelleyE.Taylor et ShimonSaphire-Bernstein de
l’université de Californie, il a été montré que certaines
ressources psychologiques peuvent influer sur l’expression
d’un gène. Ainsi, le sentiment d’efficacité personnelle
augmenterait l’expression du gène codant pour le récepteur
à ocytocine (OXTR) et favoriserait ainsi l’expression de
celle-ci. Or, l’ocytocine a une action apaisante, facilitatrice
de la persévérance, de la confiance en soi, de l’optimisme
et de la créativité.

Recourir au contraste mental


Il s’agit là d’une stratégie mise au point par le professeur
de psychologie GabrieleOettingen. Elle a présenté son

1. Publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).

156
La bienveillance au service de la santé

approche, qu’elle appelle le « contraste mental », dans la


très prestigieuse Harvard Business Review1.
Tout d’abord, on commence par prendre quelques minutes
de silence et sans appareil électronique. Ensuite, on va
identifier un souhait réalisable. Après cela, on prend
2minutes pour imaginer ce qui se passerait si on réalisait
ce souhait, en laissant les images défiler dans notre pensée.
Puis, pendant 2minutes, on imagine le principal obstacle
qui existe entre nous et le souhait. Enfin, on imagine
eton visualise son plan d’action pour dépasser l’obstacle
et obtenir le souhait.
Dans les études du professeur Oettingen, cette pratique
a montré des résultats intéressants tant sur le niveau de
stress que sur la capacité à gérer son temps…

Penser à la respiration
Il suffit de prendre un peu de temps pour déséquilibrer ses
temps respiratoires, à savoir inspirer vite et expirer lente-
ment. Lorsque l’on inspire, on stimule le système nerveux
sympathique, qui stimule presque tout, et lorsque l’on
expire, on stimule le système nerveux parasympathique
qui ralentit presque tout. Si on expire plus lentement que
l’on inspire, le temps de stimulation du système nerveux
parasympathique sera plus long et contribuera à nous
apaiser.
Déséquilibrer ses temps respiratoires pendant quelques
minutes avant un entretien compliqué peut aider à l’aborder
de manière beaucoup plus sereine. De même, déséquilibrer

1. « Stop Being So Positive », Harvard Business Review, 27 octobre 2014. Disponible en


ligne : hbr.org/2014/10/stop-being-so-positive

157
La bienveillance, source d’espérance

ses temps respiratoires après un moment de vives tensions


aidera à réduire la durée de l’inconfort.

Aider son cerveau à passer des ondes bêta


à des ondes alpha
Notre cerveau fonctionne en émettant des ondes de diffé-
rentes natures selon son activité :
êen sommeil profond : ondes delta (0,5 à4 Hz) ;
êen relaxation profonde : ondes thêta (4 à8 Hz) ;
êen éveil calme : ondes alpha (8 à12 Hz) ;
êen veille active : ondes bêta (12 à30 Hz) ;
êdurant une activité intellectuelle : ondes gamma (40 Hz).
Dans la vie de tous les jours, si l’on repense aux émotions
ressenties lors d’un moment de grande fierté, on fait passer
notre cerveau des ondes bêta à des ondes alpha, les ondes
du succès et de la sérénité.

Entretenir la réponse de relaxation : la méditation…


La relaxation, comme la méditation ou le yoga, permet aux
systèmes nerveux sympathique et parasympathique de se
rééquilibrer et de rétablir à la normale le codage des gènes
qui codent par excès ou par défaut.
Dès1976, Goleman et Schwartz ont montré les bénéfices
de la méditation pour réduire le niveau de stress. Ils ont
analysé la conductance de la peau, le rythme cardiaque et
la température corporelle de personnes en état de médita-
tion par comparaison aux personnes d’un groupe contrôle.
Après exposition à un stimulus stressant, les personnes
méditant retrouvaient leur rythme d’origine plus rapide-
ment que les personnes du groupe de contrôle.

158
La bienveillance au service de la santé

Bien plus récemment, durant l’été2018, deux chercheurs


de l’université Deakin en Australie ont mené une étude
pilote 1 dans le secteur public pour identifier comment
mieux gérer son niveau de stress et prévenir les risques
de burn-out. Soixante-cinq personnes ont participé au
programme de 8semaines créé par les chercheurs, avec
une séance de méditation par semaine, d’une durée de
45minutes. Les participants étaient encouragés à égale-
ment pratiquer la méditation sur leur temps personnel.
Les résultats sont clairs, les participants ont constaté une
baisse significative de leur niveau de stress ainsi que de
leur fatigue émotionnelle. Grâce à la méditation, ils iden-
tifiaient plus facilement l’origine de leur stress, ce qui les
aidait à davantage se détacher de cette situation désa-
gréable et augmentait leur calme. Enfin, les chercheurs
ont remarqué que ces participants avaient une meilleure
capacité à gérer leurs priorités au travail.
De même, une méta-analyse publiée en 2017, menée
conjointement par des chercheurs américains et austra-
liens, s’est intéressée aux bienfaits de la méditation chez
des patients insuffisants rénaux. Ils ont constaté que dans la
grande majorité des études, les participants qui pratiquaient
la méditation évoquaient une diminution de l’anxiété, de
leur niveau de stress et avaient moins de risques de faire
une dépression. En parallèle, les participants indiquaient
mieux dormir et avoir une meilleure qualité de vie.
Par ailleurs, une étude 2 a montré que la méditation de
pleine conscience (dite « mindfulness ») augmente

1. Ying Ian Chen et Srikanth Mateti, « Superb storage and energy saving separation of
hydrocarbon gases in boron nitride nanosheets via a mechanochemical process », Materials
Today, Elsevier, juillet-août 2022.
2. James Donald, Baljinder Sahdra, Brooke Van Zanden, Jasper Duineveld, « Does your
mindfulness benefit others ? », British Journal of Psychology, juillet 2018.

159
La bienveillance, source d’espérance

significativement les comportements prosociaux, c’est-


à-dire les comportements qui prennent en compte l’autre
et son bien-être. Les personnes pratiquant cette méditation
ont donc des bénéfices personnels qui servent également
à leur entourage.
Une étude menée auprès de 60professionnels de santé a
montré que leur participation hebdomadaire à des séances
de yoga permettait de réduire significativement leur stress
lié au travail, tandis que dans le groupe contrôle, aucune
différence n’est apparue sur les 12semaines de l’expérience.
Le yoga est donc un bon moyen de réduire notre niveau
de stress.
La méditation et le yoga ont donc des conséquences
positives sur nos gènes. Selon une étude du docteur
HerbertBenson, professeur de médecine à la Harvard
Medical School, la réponse de relaxation modifie l’ex-
pression de certains de nos gènes afin de venir réduire
de manière significative les effets du stress. Elle indui-
rait une expression plus importante des gènes associés à
la fonction mitochondriale (métabolisme énergétique),
àlasécrétion d’insuline et au maintien des télomères ainsi
qu’une réduction de l’expression de gènes liés à la réponse
inflammatoire.
Les gènes en rapport avec la réponse inflammatoire sont
en général très actifs dans un contexte de stress important,
ce qui favorise la survenue de nombreuses pathologies.
La réponse de relaxation va diminuer l’expression de ces
gènes, rendant le risque de développer une maladie inflam-
matoire plus faible.
La réponse de relaxation va donc stimuler des gènes qui
s’expriment moins en cas de stress et en freiner d’autres,
qui s’expriment trop, dans le même contexte.

160
La bienveillance au service de la santé

Exercices simples de méditation


Exercice n° 1 : se concentrer sur sa respiration
pendant quelques minutes
Pour commencer, il faut s’installer confortablement en
position assise et fermer les yeux.
Il convient ensuite de se concentrer sur sa respiration. Il
s’agit de se fixer sur son inspiration et son expiration, sur ce
que l’on ressent au niveau de son thorax, de son abdomen.
Inspirer par le nez et expirer par la bouche peut aider à se
concentrer sur sa respiration.
Si un événement extérieur ou une pensée nous distraient,
il suffit alors de se concentrer de nouveau sur sa respi-
ration. Au bout de quelques semaines de pratique, nous
sommes moins enclins à être perturbés par des phéno-
mènes extérieurs.
Il est conseillé de commencer par 1minute d’exercice puis
de progressivement passer à 3minutes.

Exercice n° 2 : se concentrer sur son corps


L’exercice consiste à se concentrer sur les différentes
parties du corps. Il semble plus facile de commencer par
la tête et de terminer par les pieds mais l’ordre inverse est
tout aussi valable.
Là encore, il est bien de s’installer confortablement en
position assise et de fermer les yeux.
Il convient alors de se concentrer pendant une trentaine
de secondes sur chacune des différentes parties du corps :
êla tête ;
êle visage ;
êles épaules ;

161
La bienveillance, source d’espérance

êle rachis cervical puis dorsal, puis lombaire ;


êle thorax puis l’abdomen ;
êl’ensemble du corps.
On peut bien sûr augmenter le temps passé sur chaque
partie du corps. Il s’agit simplement ici de montrer qu’en
peu de temps (3minutes), on peut déjà avoir des effets
intéressants.

Exercice n° 3 : se concentrer sur ses aliments


et ses boissons lors des repas
L’exercice consiste à se concentrer pendant une minute, à
chaque repas, sur l’aspect et la saveur des aliments. Il est
bien de faire de même avec les boissons.
Avec une pratique quotidienne de5 à 7minutes, il est
possible de ressentir la diminution de son niveau de stress
en trois semaines.

Des activités protectrices


Profiter de la nature
Différentes études ont montré les qualités apaisantes de
la nature. En 2018, en Écosse, des médecins ont même
prescrit des « bains de nature » à leurs patients, comme le
rapporte le journal Science Alert 1.
Dans l’ancienne capitale de l’île, Scalloway, une étude
pilote a été menée avec succès sur les bienfaits de la nature.
De ce fait, aujourd’hui, tous les médecins de l’archipel
peuvent littéralement prescrire des « bains de nature » à
leurs patients comme moyen thérapeutique.

1. Peter Dockrill, « Doctors in Scotland are literally prescribing nature to their patients »,
Science Alert, 9 octobre 2018.

162
La bienveillance au service de la santé

Menée conjointement par l’équivalent de la Sécurité sociale


des îles Shetland et d’une association veillant à la protection
des oiseaux (RSPB Shetland), cette initiative semble être
la première du genre au Royaume-Uni. Les instigateurs
de cette démarche espèrent constater chez lespatients une
baisse de la pression artérielle, une réduction des risques
d’attaque cardiaque, ainsi qu’une amélioration de leur
niveau de bonheur et de leur santé mentale !
Une responsable de l’association explique la raison de
cette démarche : « Les preuves ne manquent plus sur les
bénéfices de la nature sur la santé du corps et de l’esprit. »
Elle ajoute : « Nous avons eu l’opportunité deconcevoir un
dépliant aidant les médecins à décrire les bienfaits de la
nature pour la santé, et fournissant des idées locales pour
les aider à stimuler l’imaginationde leurs patients. »
En plus d’expliquer tous les bienfaits de la nature, ce
dépliant propose un calendrier pour guider les patients
tout au long de l’année sur les richesses de leur territoire
et sur les actions à accomplir. Il propose par exemple, en
novembre, de se rendre sur la formation rocheuse Grind
o’ da Navir un jour de grand vent, ou encore de créer
une sculpture avec des galets. Chaque mois, une dizaine
d’expériences sont proposées pour aider les patients à se
sentir mieux. ChloeEvans, qui a supervisé le programme
pilote, s’explique sur son enthousiasme à le mener : « Je
souhaite encourager ce programme car il fournit de façon
structurée un moyen d’accéder à la nature en intégrant des
solutions thérapeutiques non médicamenteuses. »
Que ce soit en sortant se promener pour écouter la nature,
en notant le nombre d’oiseaux que l’on a pu observer, en
listant le nombre d’espèces aperçues, ou encore en visi-
tant tel ou tel site qui vaut le détour, les possibilités pour

163
La bienveillance, source d’espérance

prendre soin de soi grâce à la nature sont nombreuses.


Porter davantage d’attention à la nature qui nous entoure
est un formidable moyen de réduire notre niveau de stress.
C’est à la portée de chacun d’entre nous, profitons-en !
En 2019, une étude menée par des chercheurs de l’univer-
sité de Michigan va dans le même sens. Ces chercheurs ont
en effet démontré que de simples interactions avec la nature
auraient un impact significatif sur le taux de cortisol. Une
conclusion déjà connue mais dont les mécanismes d’ac-
tion restaient alors flous. Les auteurs decette étude ont
donc souhaité « quantifier » les bienfaits de la nature afin
de pouvoir fournir aux médecins des éléments factuels sur
les bénéfices apportés par celle-ci.
La difficulté de cette étude a été de tenter de modifier les
comportements des participants, ce qui exige plus d’efforts
et de temps que la simple prise de médicaments. Mais ils
ont réussi !
Durant 8semaines, les 36participants de l’expérience
avaient pour consigne : « Toute sortie extérieure qui,
pour le participant, comprend suffisamment d’élé-
ments naturels pour ressentir une interaction avec la
nature. » Ils devaient s’octroyer une « sortie nature » au
moins 3 fois par semaine pour une durée minimum de
10minutes chacune. Rien de plus ne leur était imposé,
ils étaient donc libres du lieu, de la durée de l’expé-
rience tant qu’elle durait plus de 10minutes, et du choix
de l’heure de leur sortie tant que c’était dans la journée.
Pour réduire les biais de l’étude, durant l’expérience les
participants ne devaient pas exercer d’activité physique
autre que la marche, et ils ne devaient ni téléphoner, ni se
connecter aux réseaux sociaux, ni échanger avec d’autres
personnes ou lire.

164
La bienveillance au service de la santé

Avant le début de l’expérience, chaque participant était


suivi pour connaître son niveau de cortisol salivaire moyen.
Aucune différence significative n’est apparue par rapport au
niveau habituellement relevé. Ensuite, durant l’étude, avant
et après quatre « sorties nature », les participants réalisaient un
test salivaire pour évaluer l’évolution de leur niveau de stress.
Le niveau de cortisol salivaire, après une « sortie nature »
d’une heure, diminuait de21,3 %, ce qui est énorme ! Les
chercheurs ont également remarqué que le meilleur rapport
temps passé/baisse du taux de cortisol apparaissait pour des
sorties nature de20 à 30minutes. Au-delà de 30minutes,
le cortisol continuait de diminuer, mais moins rapidement.
Il est donc très bénéfique de sortir prendre l’air dans la
nature quand notre emploi du temps nous le permet.
Les chercheurs concluent que les médecins pourraient
prescrire des sorties en pleine nature à leurs patients
stressés ; si ces sorties sont suffisamment longues, l’effet
sur le niveau de stress est très net.
En 2020, une étude 1 de l’université de Hasselt en Belgique
montre même un lien entre un environnement plus vert et
le quotient intellectuel des enfants : un espace comprenant
3 % de verdure en plus se traduit par une augmentation
moyenne de2,6points deQI.
Si plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer
ce résultat (un stress plus bas, activités ludiques plus
fréquentes, liens sociaux plus réguliers, environnement
plus apaisant), il est intéressant de mettre cette étude en

1. Esmée M. Bijnens, Catherine Derom, Tim S. Nawrot, Evert Thiery, Steven Weyers,
« Residential green space and child intelligence and behavior across urban, suburban,
and rural areas in Belgium: A longitudinal birth cohort study of twins », Plos Medicine,
18 août 2020.

165
La bienveillance, source d’espérance

parallèle avec une autre étude, allemande cette fois, qui


montrait que le stress diminuait leQI. L’équipe du docteur
JakobKaminski de l’université de médecine de la Charité
à Berlin a étudié comment notre mode de vie joue sur nos
capacités cognitives, à tel point qu’il influe sur le gain ou
la perte de points deQI.
Or, notre quotient intellectuel dépend de notre niveau de
motivation, et donc de la dopamine. L’équipe de recherche
a tenté d’en comprendre les raisons. Elle a constaté que
le stress impacte directement la méthylation de l’ADN.
Lorsque des radicaux de type méthyl se greffent sur nos
gènes, ceux-ci ne codent plus de manière normale. Ainsi,
les gènes qui codent pour des récepteurs à dopamine vont
faire en sorte que ces récepteurs soient moins présents,
générant entre autres des difficultés cognitives et un abais-
sement de notre quotient intellectuel…

Penser à la culture
À l’instar des « prescriptions sociales » organisées en
Grande-Bretagne pour diminuer les conséquences
psychiques de la pandémie à coronavirus, des activités
culturelles ont été financées par le gouvernement pour
lutter contre les impacts psychosociaux de la pandémie.

Écouter de la musique
Une étude 1 de2013 menée par l’équipe du professeur
DanielLevitin sur l’influence de la musique sur le stress
et l’immunité montre que la musique améliore la santé et
notamment l’immunité.

1. Agence QMI, « La musique améliore le système immunitaire et diminue le stress »,


Le Journal de Montréal, 27 mars 2013. Disponible en ligne : www.journaldemontreal.
com/2013/03/27/la-musique-ameliore-le-systeme-immunitaire-et-diminue-le-stress

166
La bienveillance au service de la santé

En effet, la musique diminue le taux de cortisol (hormone


du stress) et augmente le taux d’immunoglobulinesA, un
anticorps orienté vers la défense des muqueuses.
Des chercheurs 1 de l’université de Ruhr en Allemagne ont
demandé à 120volontaires, divisés en deux groupes, de
participer à l’étude sur l’impact de Mozart sur le niveau
de stress. Le premier groupe n’écoutait aucune musique et
représentait l’échantillon témoin. Le deuxième groupe a
été divisé en trois sous-groupes de 20personnes, lesquelles
ont écouté durant 25minutes des airs de Mozart pour le
premier, des symphonies de Strauss pour le second, et des
tubes du groupe Abba pour le dernier.
Les scientifiques ont mesuré avant, pendant et après
chaque séance, la pression artérielle des participants, ainsi
que leur taux de cortisol dans le sang.
Les résultats de l’étude révèlent une diminution du taux
de cortisol chez les personnes des trois sous-groupes. En
revanche, seuls ceux qui ont écouté de la musique classique
ont vu leur pression artérielle diminuer considérablement,
contrairement à ceux qui écoutaient Abba.
À noter que la baisse du taux de cortisol était plus impor-
tante chez les hommes que chez les femmes, ce qui laisse
penser que ceux-ci seraient plus sensibles aux airs clas-
siques. En outre, une diminution du cortisol a également
été constatée chez le premier groupe dans le silence, consé-
quence certaine de cette posture de repos.

1. Johanna Amselem, « L’étude santé du jour : Mozart fait baisser votre pression artérielle »,
TF1 Info, 23 juin 2016. Disponible en ligne : www.tf1info.fr/sante/letude-sante-du-jour-
mozart-fait-baisser-votre-pression-arterielle-1513765.html

167
La bienveillance, source d’espérance

Visiter des musées


L’influence bénéfique de l’art se mesure… Des chercheurs
de l’université de Bologne ont demandé à une centaine
de volontaires de visiter le sanctuaire de Vicoforte, où
il est possible d’observer de magnifiques peintures de la
Renaissance, ainsi qu’une gigantesque fresque baroque de
6 302 m² peinte sous sa coupole. Les participants ont été
soumis à un test salivaire, avant et après la visite, afin de
mesurer leur taux de cortisol.
À la fin de l’expérience, les chercheurs ont observé une
baisse de 60 % environ du taux de cortisol dans le sang. En
outre, 90 % des volontaires déclaraient « se sentir beaucoup
mieux », après la visite de 2heures. « Les bienfaits de l’art-
thérapie sont déjà connus depuis plusieurs années. Mais
c’est la première fois que l’on peut vraiment quantifier
l’impact d’une œuvre d’art sur le niveau de stress d’une
personne », précise le professeur EnzoGrossi, principal
auteur de ces travaux.
Au Canada, des visites de musée sont prescrites par
des médecins à des patients stressés, et ont même été
remboursées ! C’est une première mondiale, d’après les
instigateurs de ce projet. Cette initiative est le fruit d’une
alliance entre le musée des Beaux-Arts de Montréal et
les Médecins francophones du Canada. À compter du
jeudi 1 ernovembre 2018, les médecins membres de cette
association pourront prescrire à leurs patients une visite du
musée des Beaux-Arts de Montréal pour 4personnes : le
patient stressé, un autre adulte et deux enfants de 17 ans
ou moins.
Dans leur communiqué de presse, les concepteurs de ce
programme indiquent que « les prescriptions muséales
contribuent au mieux-être et au rétablissement de ces

168
La bienveillance au service de la santé

personnes en leur offrant un accès gratuit à un lieu sécu-


ritaire et bienveillant, une expérience enrichissante et
relaxante, un moment de répit, ou encore l’occasion de
resserrer les liens avec leurs proches ».

Lire
Une étude1 menée par des chercheurs de l’université de
Sussex montre que la lecture est un moyen très efficace
de diminuer le stress. Selon le docteur DavidLewis, la
lecture fait diminuer le taux de stress de68 % : « Il suffit
de 6minutes de lecture en silence pour que le rythme
cardiaque soit calmé et que les tensions accumulées se
démêlent. »

Se réaliser dans sa vie

S’il existe des moyens de se protéger du stress, se réaliser


dans sa vie sera à la fois protecteur en matière de stress et
un soutien sur le plan moral.

Tendre vers un équilibre famille-travail-engagement


Lorsqu’une personne traverse une période difficile, il est
fréquent de constater la rupture de cet équilibre, généra-
lement au profit du travail.
À l’inverse, des dirigeants plus sereins respectent ce type
d’équilibre.
Le terme d’engagement est à prendre ici au sens large et
peut être de nature très variable. Il peut s’agir d’un inves-
tissement en faveur du bien commun, d’une cause qui nous

1. Andy Chiles, « Reading can help reduce stress, according to University of Sussex
research », The Argus, 30 mars 2009.

169
La bienveillance, source d’espérance

tient à cœur… Si notre vie s’appuie sur un seul pilier, tout


va bien tant que ce pilier est solide, mais le jour où il y a un
problème, c’est l’effondrement assuré. Si nous bénéficions
d’un tel équilibre, riche de ces trois piliers, le jour où l’un
d’eux fléchit, les deux autres nous maintiennent la tête hors
de l’eau et nous aident à rebondir.
En outre, chaque pilier aide à relativiser les deux autres.
Que sont des difficultés professionnelles face à la santé d’un
enfant ou lorsqu’on constate qu’une zone de passion, laissée
sous le boisseau un temps, est en train de se concrétiser ?
Que sont les difficultés professionnelles face à la réussite
d’un beau projet humanitaire ou à l’amour d’une famille ?
La famille, à travers les relations d’amour et d’affec-
tion, est très protectrice du stress. Une étude 1 menée par
BeateDitzen et son équipe de l’université de Zurich ont
étudié l’interaction entre l’ocytocine et le cortisol. Il s’avère
que plus le taux d’ocytocine est élevé, plus celui de cortisol
est bas. L’étude montre aussi que l’ocytocine diminue
l’agressivité entre les personnes.
L’équipe de chercheurs a déjà montré dans une précédente
étude que lorsque des personnes recevaient beaucoup d’af-
fection, elles avaient des taux de cortisol plus bas en raison
de l’élévation du taux d’ocytocine.
Une autre étude 2 prouve l’impact bénéfique des repas pris
en famille chez les adolescents. Menée par le professeur
JessicaRassy, de l’école des sciences infirmières de l’univer-
sité de Sherbrooke, elle montre que des dîners en famille

1. Université de Zurich, « Natural Hormone Reduces Stress Hormones in Arguing Couples »,


Science Daily, 9 décembre 2008.
2. Gabrielle Duchaine, « Souper en famille : une protection contre le suicide », La Presse,
17 octobre 2023. Disponible en ligne : www.lapresse.ca/vivre/societe/201310/16/01-4700451-
souper-en-famille-une-protection-contre-le-suicide.php

170
La bienveillance au service de la santé

et des lectures variées protègent plus les adolescents du


suicide que l’activité physique ou l’estime de soi. Selon
le professeur JessicaRassy, l’effet protecteur des repas en
famille passerait par le renforcement du lien affectif entre
enfants et parents. C’est ce qui explique que plus les repas
pris en commun sont nombreux, plus la protection est
efficace.
Le travail, dès lors qu’il est riche de sens, qu’il est en
harmonie avec les valeurs qui nous animent et qu’il s’inscrit
dans un collectif agréable, peut également être un élément
de réalisation.
L’engagement en faveur du bien commun est également
protecteur. Souvenons-nous que HansSelye notait, dès
l’origine de ses travaux, les bienfaits de l’engagement dans
une cause d’intérêt général sur le stress en parlant « d’al-
truisme égoïste ».
Dans un registre analogue d’analyse de situations où des
personnes sont tournées vers les autres, les travaux du
professeur de cancérologie StefanEinhorn mettent en
évidence l’impact extrêmement positif de la générosité
vis-à-vis d’autrui sur la santé. Son ouvrage L’Art d’être bon
(2008) constitue un véritable plaidoyer en ce sens.
Comme le fait remarquer une étude 1 menée par des cher-
cheurs de l’université de Rochester, aux États-Unis, les
sources de bonheur sont plus en rapport avec la réussite de
projets d’intérêt général que de succès personnels comme
la richesse ou la célébrité. L’auteur de l’étude, le profes-
seur de psychologie et de sciences sociales EdwardDeci,

1. « Être beau, riche et célèbre ne rendrait pas heureux », La Dépêche, 15 mai 2009.
Disponible en ligne : www.ladepeche.fr/article/2009/05/15/607118-etre-beau-riche-et-
celebre-ne-rendrait-pas-heureux.html

171
La bienveillance, source d’espérance

enfonce le clou : « Ce qui permet d’être plus heureux, c’est


principalement de se réaliser en tant qu’individu, d’en-
tretenir des relations affectueuses et de contribuer à la
communauté. »
Une étude qui va finalement dans le sens des propos
de JacquelinedeRomilly : « L’engagement de chacun,
en accroissant son zèle, devrait rendre les gens à la fois
plus utiles à la communauté, et aussi plus heureux pour
eux-mêmes. »
Une autre étude 1 menée aux États-Unis montre que les
personnes faisant des dons généreux ont généralement un
taux de cortisol plus faible que la moyenne ; autrement dit
les personnes les plus généreuses ont tendance à avoir un
niveau de stress plus bas. Ce qui va dans le sens de cette
étude2 menée en 2014 par l’équipe d’ElizabethDunn au
Canada qui montre que la façon dont on dépense notre
argent joue sur notre niveau de bien-être et notre santé. Les
chercheurs précisent : « Dépenser pour le bien des autres
crée une récompense pour notre cerveau et notre corps. »
Une étude menée à l’université de Hong Kong par l’équipe
de JerfYeung a pu mettre en évidence que le fait de s’in-
vestir dans une association améliore notre santé mentale et
physique. En outre, cet engagement améliore notre satis-
faction de vie et diminue les risques de dépression. Et selon
des chercheurs 3 de l’université d’Oxford, les personnes qui
font de bonnes actions en s’engageant dans des

1. J.-C. Gerber/cam, « Faire une bonne action profite aussi à son auteur », 20 minutes,
21 mai 2019.
2. Elizabeth W. Dunn, Lara B. Aknin, et Michael I. Norton, « Prosocial Spending and
Happiness: Using Money to Benefit Others Pays Off. », Current Directions in Psychological
Science, 2014.
3. Amena Zehra Ali, Salima Ali, Naima Aslam Khan, « Effect of volunteerism on mental health
and happiness », International Journal of Humanities and Social Sciences, septembre 2018.

172
La bienveillance au service de la santé

associations témoignent d’un niveau de bonheur supérieur


aux personnes non engagées. On voit ici à quel point il est
bon de donner de son temps !
La culture d’une passion est aussi génératrice de plaisir, et le
plaisir est, nous l’avons vu, protecteur du stress. Une étude
a montré que le plaisir diminue le taux d’hormones du
stress (cortisol de 40 %, adrénaline de 70 %) et augmente
la libération d’une hormone protectrice (hormone de crois-
sance) qui protège d’éventuelles conséquences induites par
le stress au niveau de l’immunité.
Chaque composante du triptyque famille-travail-
engagement est protectrice de l’équilibre global. Et si
deux des composantes sont efficaces, leur impact sur la
troisième sera bénéfique. Alors oui, cultivons cet équilibre
entre travail, famille et engagement.

Avoir un rêve et une stratégie pour l’atteindre


avec notamment des objectifs intermédiaires
qui soient des « défis possibles »
Avoir un rêve riche de sens est certainement un énorme
atout pour se réaliser dans sa vie. Ensuite, il convient de
bâtir une stratégie susceptible de nous permettre de l’at-
teindre, stratégie qui nous maintient sur cette voie par des
objectifs représentant des « défis possibles ». Ce rêve peut,
bien sûr, être en dehors du champ professionnel.
« Le but fournit de l’énergie pour la vie », écrit Mihály
Csíkszentmihályi. La poursuite de ce but nous permet de
nous investir au mieux en vue de l’atteindre et nous aide
ainsi à traverser les difficultés du temps présent.
Le rêve pourrait être défini comme un but lointain
qui nous tient à cœur, ambitieux et riche de sens. Si le

173
La bienveillance, source d’espérance

but est riche de sens, il sera en effet encore plus effi-


cace. Gary Hamel, le président-fondateur de Strategos,
un cabinet de conseil en stratégie basé à Chicago,
explique que le sens intervient comme « un catalyseur
émotionnel » alors que « l’optimisation de la richesse
n’a pas le pouvoir de mobiliser pleinement les énergies
humaines ». Cette présence de sens est d’autant plus
essentielle que l’intéressé appartient à la générationY.
L’économiste américaine SylviaAnnHewlett a constaté
que les générationsY attendent des récompenses d’une
autre nature que simplement financière. L’influence de
leur travail sur la société est pour elles un levier majeur.
Blake Mycoskie, le fondateur de Toms Shoes, une
société américaine de chaussures, est un chef d’entre-
prise américain typique de la générationY. Lorsque son
entreprise vend une paire de chaussures, elle en offre
une paire à un enfant vivant dans un pays en voie de
développement…
Il est essentiel de penser le plus souvent possible à son rêve.
Un jeune étudiant en médecine avait cultivé cet aspect en
mettant au-dessus de son plan de travail une photo d’un
chirurgien en train d’opérer. Le support visuel l’a aidé à
penser régulièrement à son but et à trouver ainsi, sans s’en
rendre forcément compte, des astuces pour parvenir à le
réaliser.
Il est tout aussi important de parfaitement formuler son
but afin de bien s’en imprégner et de mieux prendre
conscience qu’il est accessible.

Se fixer des objectifs intermédiaires


Les objectifs intermédiaires nous aident à atteindre notre
rêve. Ces objectifs doivent être ambitieux et réalistes

174
La bienveillance au service de la santé

–c’est-à-dire être des « défis possibles »– et conduire au


rêve en s’appuyant sur une courbe d’allure exponentielle
et non sur une ligne droite.
Si l’on fixe ses objectifs intermédiaires sur une droite,
les premiers objectifs sont très hauts, ce qui risque d’être
source de stress et de découragement.
Sur une courbe d’allure exponentielle, le premier objectif
à un an est possible à atteindre et de ce fait, comme on
verra la réussite de cet objectif se réaliser de jour en jour,
on croira de plus en plus à la possibilité d’atteindre son
rêve. Chaque année, on fixe un nouvel objectif à un an
en s’appuyant sur la même courbe. Il est légitime de s’in-
terroger sur la difficulté de réaliser l’objectif lorsque la
courbe sera dans sa partie rapidement croissante. Cette
partie de la courbe est tout aussi possible à réussir dans
la mesure où d’ici là, si tous les objectifs à un an ont été
menés à bien, des soutiens de différentes natures seront
mobilisés et rendront l’ascension possible. Goethe illustre à
merveille la dynamique qui se met en route dès lors que l’on
agit : « Tant que vous ne vous êtes pas engagé, persistent
l’hésitation, la possibilité de se retirer, et toujours aussi, dès
qu’il s’agit d’initiative ou de création, une certaine ineffi-
cacité. Il y a une vérité élémentaire dont l’ignorance a déjà
miné nombre de grandes idées et de plans merveilleux :
c’est que, dès l’instant où vous vous engagez, la provi-
dence intervient elle aussi. Toute une série d’événements
jaillissent de la décision, comme pour l’appuyer par toutes
sortes d’incidents imprévus, de rencontres et de secours
matériels, dont vous n’auriez jamais rêvé qu’ils puissent
survenir. Quoi que vous puissiez faire, quoi que vous rêviez
de faire, entreprenez-le. L’audace donne du génie, de la
puissance, de la magie. »

175
La bienveillance, source d’espérance

Les objectifs intermédiaires doivent être au bon niveau,


c’est ce qui aidera à entrer dans un état de flow cher à
Mihály Csíkszentmihályi.
Le rêve qui est bénéfique pour la personne qui œuvre à sa
concrétisation est un bel exemple du lien qui existe entre
bienveillance vis-à-vis de soi et espérance.

Cultiver son sentiment d’efficacité personnelle


Plus le sentiment d’efficacité personnelle est élevé, plus la
persévérance est forte et plus l’optimisme est grand, deux
éléments incontournables de la réussite. L’optimisme aide
à croire en son rêve et à fournir les efforts nécessaires à sa
réalisation. La persévérance est la clé de l’excellence.
De nombreuses études attestent de la puissance du senti-
ment d’efficacité personnelle, qui va aider à se fixer des
challenges de plus en plus élevés et à persévérer davantage,
conditions d’un réel bien-être et d’une belle réussite.
Pour développer le sentiment d’efficacité personnelle, il y
a deux solutions : soit avoir dans notre entourage quelques
personnes qui nous encouragent, soit nous appuyer sur un
outil aussi simple qu’efficace, le carnet des petits succès,
abordé précédemment.

S’accorder un juste niveau d’autonomie


Dans la mesure où l’on part du principe que le rêve que l’on
poursuit est indépendant de notre activité professionnelle,
s’accorder un juste niveau d’autonomie va nous aider à voir
comment mener les deux à bien.
Il sera donc essentiel de se prévoir des plages tampons
parce que certains jours, l’activité professionnelle ou

176
La bienveillance au service de la santé

familiale connaîtra des imprévus, c’est inévitable. Si l’on


n’a pas de plages tampons et si des imprévus surviennent
plusieurs jours de suite, cela pourra nous amener à douter
de la faisabilité de la réalisation de notre rêve et à baisser
les bras. Si l’on prend conscience, à l’inverse, qu’il suffit
d’adapter le planning, cela maintiendra notre mobilisation
à un haut niveau.
Il est toujours plus facile de s’accorder un juste niveau
d’autonomie sur un projet relatif à un but que l’on s’est
fixé, soi, que lorsque l’on doit respecter les contraintes
inhérentes à une activité professionnelle.
Le fait d’agir en totale autonomie pour la réalisation de
son rêve est aussi ce qui permettra de développer des
compétences que l’on ne soupçonnait pas forcément.
Pardon de citer de nouveau une phrase sur l’engagement
de Jacqueline deRomilly : « Les Athéniens, lorsqu’ils
travaillaient pour un maître, ne se donnaient aucune peine,
et aussitôt libérés, travaillant pour eux-mêmes, ils firent
un grand effort et connurent de grands succès. Ceci se
traduisit d’ailleurs dans les faits, puisque d’abord la liberté
et l’enthousiasme des combattants rendaient compte de
succès des Grecs contre un envahisseur bien plus nombreux
et que, bientôt, la démocratie à Athènes coïncida avec un
effort extraordinaire dans tous les domaines et en parti-
culier dans le domaine culturel où apparaissent alors tous
les chefs-d’œuvre. »
L’autonomie que l’on va s’accorder contribue à augmenter
notre sérénité et notre envie de réussir. Notre sérénité
viendra de notre conscience de pouvoir agir sur la réalisa-
tion de notre rêve, sur le rythme que l’on s’accorde, sur le
constat que malgré les aléas, on progresse.

177
La bienveillance, source d’espérance

Notre envie de réussir viendra de notre confiance en nos


capacités à avancer, même si parfois des adaptations sont
nécessaires.

Avoir confiance dans le temps


Le temps est de plus en plus réduit, tout va de plus en plus
vite, un peu comme si on manquait de confiance enl’avenir,
et cependant, les grandes réalisations ont parfois mis des
siècles à voir le jour. Plus notre rêve prendra du temps,
plus il nous permettra de nous réaliser sur un temps long.
Aujourd’hui, les outils dont on dispose donnent parfois
l’illusion d’un possible effacement du temps. Les e-mails,
les messageries instantanées font littéralement pleuvoir
une multitude de sollicitations qui sont privatives du temps
nécessaire à l’élaboration d’une pensée structurée. La réac-
tion immédiate attendue ne tolère pratiquement aucun
temps pour la réflexion.
On a parfois l’impression que tout est urgent, et le
problème, quand tout est urgent, est de ne plus voir les
rares mais véritables urgences.
Prendre le temps permet de bien faire, et c’est parce que
l’on va être satisfait de ce que l’on a fait que l’on éprou-
vera de la satisfaction, que l’on aura envie de poursuivre.
En outre, bâtir un rêve se fait sur des années, il y aura
des aléas qui vont retarder certaines avancées, il est donc
impératif d’apprendre à maîtriser le temps. Maîtriser le
temps signifie ici prendre le temps de bien faire sans pour
autant perdre du temps, pouvoir bâtir à long terme sans
être paralysé par l’urgence de l’immédiateté.

178
La bienveillance au service de la santé

S’entourer d’amis fidèles qui nous soutiennent


et nous aident à croire en notre rêve
Tout d’abord, il y a trois catégories de personnes à éviter
pour réussir à mener à bien son rêve : celles qui sont pessi-
mistes et qui vont toujours trouver l’argument qui va faire
douter, celles qui véhiculent en permanence des émotions
négatives, celles qui sont promptes à conseiller alors que
leur réussite est parfois modeste.
Au contraire, il est important de s’entourer d’un ou
deux amis fidèles qui partagent l’idéal de notre rêve, qui
se réalisent en nous voyant progresser, qui trouveront
toujours l’argument pour nous rassurer dans les moments
de doute. Dans les moments difficiles, ces soutiens auront
la possibilité de nous alerter quand ils ont l’impression
que l’on se trompe ou que l’on peut faire mieux. Souvent,
avec ces amis-là, une vraie relation d’amitié va voir le jour,
certainement favorisée par le fait de contribuer à la réalisa-
tion d’une action qui nous dépasse. L’importance de l’ami
fidèle était parfaitement décrite par Euripide : « Un ami
fidèle dans l’adversité est plus doux à voir que ne l’est aux
matelots un ciel pur et sans orage. »
Il est également important de bien s’imprégner des phrases
d’encouragement de personnes dont on n’est pas forcé-
ment très proche, qui ne connaissent pas toujours très bien
notre parcours ou notre rêve mais qui vont aborder, sans
le savoir, l’ampleur de ce que l’on espère un jour pouvoir
réaliser.

Faire des efforts de comportement


Pour se réaliser soi, on doit améliorer son comportement
vis-à-vis d’autrui. Dans ce paragraphe, il ne s’agit pas de

179
La bienveillance, source d’espérance

traiter de grands engagements en faveur de grandes et


belles causes, mais de petits efforts de la vie de tous les
jours, des petits gestes que l’on n’a pas tous les jours envie
de faire, que l’on ne pense pas toujours à faire mais qui
sont indispensables à la réalisation de soi.
Regarder un serveur dans un restaurant et le remercier
afin de ne pas le transformer en un passeur de plats est
souvent bien perçu et génère généralement un retour
agréable. S’intéresser à la vie, à la situation profession-
nelle d’un chauffeur de taxi va complètement transformer
la course en un moment d’échanges riches dont chacun
retirera quelque chose. Aider une dame âgée à monter
ses courses produit le même niveau de satisfaction. On
pourrait multiplier les exemples à l’infini et, à chaque fois,
on constaterait les mêmes effets.
Cela paraît évident mais ces petits gestes, ces éléments de
comportements bienveillants, lorsque la journée a été diffi-
cile, lorsque l’on est fatigué, demandent des efforts, si bien
que parfois, on s’en dispense… C’est ce qu’il est important
d’éviter. Plus on est saturé, fatigué, énervé, plus ces petits
gestes nous apporteront le retour dont nous avons besoin
parce qu’ils apporteront à autrui ce dont lui a besoin.

Au niveau de la santé en général

Modifier le mode de financement


de la santé

Combien de pays envient notre système qui permet à


chacun d’avoir la certitude qu’en cas de besoin, il recevra
les soins nécessaires ! Faut-il que ce soit MichaelMoore,

180
La bienveillance au service de la santé

en février2008, qui nous rappelle son admiration de notre


système de santé ?
Il est en revanche indispensable d’en modifier le mode de
financement. On ne peut pas imaginer que la seule variable
d’ajustement soit les salariés des services de santé, à travers
la réduction de leur effectif ou de celle du temps néces-
saire à consacrer à leurs patients, ou encore l’absence de
corrélation entre leur rémunération et leur investissement.
Nos concitoyens deviennent de plus en plus âgés et on ne
peut que s’en réjouir, les traitements sont de plus en plus
coûteux, les examens complémentaires suivent la même
évolution que les traitements. Il faut donc accepter l’idée
d’agir sur le budget en repensant le financement.

Comment réduire le budget


sans faire porter l’effort
sur les personnels de santé ?

Il faut diminuer le coût de la santé en associant, à une


logique de soin, une logique de maintien en bonne santé.
Pour ce faire, il est indispensable d’apprendre à nos con-
citoyens à prendre davantage soin d’eux. Cela peut passer
par le fait de mieux s’alimenter et de s’efforcer d’avoir une
activité physique régulière et modérée.
Les expérimentations menées par PatrickNegaret, ancien
directeur général de laCPAM des Yvelines et de la Sarthe,
qui s’appuient sur des actions concrètes, sont très intéres-
santes car elles prouvent l’impact de ces optimisations tant
en matière de santé publique que de coûts.

181
La bienveillance, source d’espérance

De la bienveillance pour une santé active


En outre, à la différence des thérapies de lutte contre
les conséquences, les actions de prévention peuvent
se transmettre d’une personne à l’autre et assurer un
bénéfice croissant dans le temps.

Les propos1 , par Patrick Négaret


La démarche Santé Active initiée à la CPAM de la Sarthe
par son directeur Patrick Négaret à partir de 1998, puis
reprise à l’échelon national en 2021, met en évidence le
rôle moteur de la bienveillance pour aider les assurés à
préserver leur capital santé.
L’Assurance Maladie a été conçue à l’origine pour favo-
riser l’accès aux soins du plus grand nombre, mais cela ne
concerne qu’un aspect de la santé qui repose sur d’autres
déterminants. L’OMS estime même que les soins n’inter-
viennent que pour 15 % dans la santé. Ces déterminants
sont multiples : contexte politique et socio-économique,
conditions matérielles, psychologiques, facteurs bio-
logiques et génétiques et aussi les comportements. Ces
derniers concernent la nutrition, l’activité physique, les
addictions, le sommeil, le stress.
La santé est donc une valeur transversale et l’Assurance
Maladie peut, à son niveau, aider à faire évoluer les compor-
tements de la population en lui faisant prendre conscience
des facteurs de risque. Et il est désormais démontré qu’une
meilleure hygiène de vie permet d’éviter ou retarder l’appa-
rition d’affections chroniques et, quand elles surviennent,
d’en limiter les effets, voire d’éviter les rechutes.
La bienveillance s’est d’abord exprimée en misant sur la
responsabilisation plutôt que la culpabilisation. En effet,
l’idée était d’aider chacun à gérer son capital santé par le
biais d’ateliers (ex : santé du cœur, santé du dos, gestion du
sommeil, gestion du stress, alimentation et activité physique).

1. Patrick Négaret, « De l’assurance maladie à l’assurance santé », Fondapol, février 2017.

182
La bienveillance au service de la santé

Cette pratique, accompagnée par des professionnels de


santé la plupart du temps, a mis en exergue qu’il existe
une voie accessible pour retrouver sa liberté d’agir et
reprendre sa santé en main.
Par ailleurs, ces ateliers, comprenant 10 à 15 personnes,
permettent de créer du lien social avec un sentiment
d’appartenance à un collectif qui partage les mêmes
préoccupations et fait naturellement preuve de bienveil-
lance à l’égard de ceux qui poursuivent le même objectif
de se maintenir en bonne santé.
Le partenariat établi à cette occasion avec les profes-
sionnels de santé a permis de sortir du caractère trop
souvent conflictuel des relations pour entretenir des rela-
tions constructives basées là aussi sur la bienveillance.
Enfin, des actions auprès des populations les plus dému-
nies ont également permis de montrer l’attention qu’on
leur portait pour les aider dans leur démarche de gestion
de leur capital santé.
Pour conclure, il est à noter que cette politique de Santé
Active s’est traduite par une différence significative de
consommation de soins pour les adhérents à la démarche.
Une diminution a été constatée sur plusieurs postes de
dépense : médicaments, masso-kinésithérapie, indem-
nités journalières, recours au médecin généraliste. »

Organiser de vastes actions de protection du stress


On a vu l’importance du coût du stress professionnel, il est
donc aisé d’imaginer l’ampleur du coût global du stress.
Sensibiliser dès l’école sur ce qu’est le stress, ses méca-
nismes, ses conséquences et les moyens de se protéger
et de protéger les personnes autour de soi serait un acte
de santé publique. Il serait envisageable d’imaginer des
campagnes menées en partenariat entre le ministère de la
Santé et celui de l’Éducation nationale.
Organiser de vastes campagnes de lutte contre le stress en
commençant par dédramatiser ceux qui en sont victimes
183
La bienveillance, source d’espérance

afin qu’ils ne se sentent pas mal jugés. Tout un chacun


peut traverser une période difficile ! Tout comme il existe
des campagnes de lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme
ou la drogue, imaginons-en contre cette réaction qu’est le
stress, sachant que ce dernier favorise la consommation de
tabac, d’alcool et de drogues.
Conjointement à une alimentation plus adaptée accom-
pagnée d’une activité physique régulière et modérée, ces
actions de prévention permettraient de faire baisser le
niveau de stress et amélioreraient l’immunité.

Avoir une meilleure répartition des personnels de santé


sur le territoire afin d’éviter les déserts médicaux
Le nombre insuffisant de personnels de santé peut
s’avérer anxiogène –pour certains patients qui se sentent
délaissés– et coûteux, humainement et économiquement,
les pathologies étant parfois, de ce fait, diagnostiquées de
manière plus tardive.
Il serait donc opportun que les municipalités, les dépar-
tements et les régions encouragent des soignants à
s’installer, par groupe de deux, dans les déserts médi-
caux, en facilitant leur installation et en leur assurant un
niveau de rémunération suffisant. Briser la solitude des
soignants est essentiel dans cette démarche : celle-ci leur
permet de supporter ce travail difficile, de ne pas assumer
seuls la charge des gardes et d’avoir une vie de famille.
En complément de ce dispositif, le développement de la
télémédecine semble incontournable sur ces territoires,
sans pour autant s’y substituer : la téléconsultation reste
un auxiliaire de médecine, sans remplacer la consultation
en présentiel si les circonstances l’exigent (suspicion d’une
pathologie plus lourde ou plus aiguë, par exemple).

184
La bienveillance au service de la santé

Optimiser le management des personnels de santé


afin de maintenir ceux dont on dispose en bonne
santé et puissamment engagés
Si nombre d’entreprises entreprennent des actions desti-
nées à optimiser leur mode de management, les services
de santé ont été moins prompts à s’intéresser au sujet.
Lorsque les personnels soignants bénéficient d’un mode
de management bienveillant, ils sont en meilleure santé
et donc moins absents, ce qui permet au fragile équilibre
de ne pas se rompre, rupture qui est source de dys-
fonctionnements et donc de dépenses supplémentaires.
Cet aspect est largement sous-estimé, laissant penser, à
tort, qu’il n’y a que le niveau de rémunération insuffisant
qui incite les personnels de santé à changer d’activité.

La nécessité de changer de paradigme

Depuis les années2000, le nombre de personnes stressées


augmente et le nombre de personnes engagées diminue.
En parallèle, l’intensité du stress augmente, favorisant
l’émergence d’un nombre considérable de burn-out.
Le coût du stress professionnel en France est d’environ
51milliards d’euros selon le Bureau international du travail.
En outre, plus le stress augmente, plus l’engagement
diminue. Or, selon une récente enquête réalisée par
Mozart Consulting, le coût du désengagement pour un
salarié sur un an est supérieur à 10 000 euros.
Si l’on prend une hypothèse très éloignée de la réalité dans
laquelle on considère que 50 % des salariés sont désen-
gagés, on aurait un coût du désengagement d’environ
130milliards d’euros. Souvenons-nous que selon la récente

185
La bienveillance, source d’espérance

enquête réalisée par Gallup, le pourcentage de collabora-


teurs engagés en France est de 7 %.
Au niveau professionnel, si l’on continue sur la même
logique, le nombre d’actifs (25 à 26millions en France)
va être amputé du nombre de salariés en burn-out ou en
arrêt de travail pour des pathologies inhérentes au stress.
Ainsi, la même charge de travail va être reportée sur un
nombre de salariés moindre, projetant ceux qui résistent
encore vers des horizons incertains. Tout ceci entraînera
l’augmentation du nombre de pathologies liées au stress, et
par conséquent la charge de travail des personnels de santé
et le coût de la santé, accentuant la déshumanisation des
métiers de la santé et l’hémorragie des personnels.
Cela ne veut pas dire que ce qui a été fait jusqu’à mainte-
nant est mal ; cela signifie qu’il faut ajouter aux stratégies
antérieures des actions adaptées au contexte actuel.
Il est donc essentiel :
êde faire en sorte, grâce à des comportements bien-
veillants, que le travail soit le plus respectueux possible
de la santé des collaborateurs. La société sera gagnante,
et l’entreprise, en renouant avec un niveau d’engage-
ment plus important, aussi ;
êque chacun apprenne à se protéger des effets du stress
dès son plus jeune âge ;
êd’organiser de vastes campagnes destinées à donner
envie à chacun d’agir pour son mieux-vivre ;
êde promouvoir de nouvelles approches de santé à
l’image de celle imaginée par PatrickNégaret.
On voit bien que la bienveillance, en matière de santé, dès
lors qu’elle prend appui sur un autre mode de pensée, peut
être porteuse d’espérance.
Conclusion

J’ai essayé, dans cet ouvrage, de rendre compte du rôle majeur


que peut jouer la bienveillance, que ce soit en entreprise, en
matière de santé ou dans la vie privée ; elle offre de réelles
raisons d’espérer. Il a semblé opportun de montrer à quel
point la bienveillance peut apporter des réponses à des ques-
tions qu’un autre mode de pensée ne permet pas d’imaginer.
Au-delà des différents domaines abordés, il s’agit de
donner envie à chacun de s’engager dans cette voie : elle
est la clé pour offrir de nouvelles opportunités à la société,
aider autrui à vivre mieux et trouver la voie de son propre
épanouissement.
Pour transformer la société et faire infuser la bienveillance,
trois éléments majeurs sont à prendre en compte :
êle contexte sociétal, qui voit le stress augmenter de
manière considérable et l’état psychique se dégrader au
point d’empêcher nombre de personnes d’avoir l’énergie
de « transformer les soucis en défis » ;
êl’effondrementde l’engagement et l’apparition de
phénomènes comme la Grande Démission ou quiet
quitting ;
êla grande sensibilité des jeunes générations à la
bienveillance, vis-à-vis d’autrui mais aussi vis-à-vis
d’eux-mêmes.

187
La bienveillance, source d’espérance

Il est cependant essentiel de trouver un élément déclen-


cheur pour amplifier et surtout accélérer le phénomène.
En 2005, dans son ouvrage L’Élan démocratique dans
l’Athènes ancienne, JacquelinedeRomilly explique : « Nous
avons donc besoin, de façon urgente, d’un peu plus de
participation, d’un peu plus de sens de la collectivité, et
d’un peu plus d’enthousiasme. » Ce passage semble n’avoir
pris aucune ride ! On pourrait dire qu’il s’agit là d’un idéal,
difficile à concrétiser… Et s’il était en train d’émerger !
Lorsque les craintes sur la pénurie de réserves énergétiques
ont été révélées l’hiver dernier, c’est la participation et l’ef-
fort d’un nombre considérable de personnes qui a permis
de diminuer la consommation globale.
Il y a bien eu « plus de participation » et « plus de sens de
la collectivité ».
L’argument financier a sans doute aussi influé sur les
comportements. Mais telle est la vertu de la bienveillance :
que ce soit dans le monde du travail, en matière de santé ou
d’instruction, elle finit toujours par générer des économies!
L’élan démocratique qui accompagne la bienveillance est
bien à portée de main. Il peut changer la vie de nombreuses
personnes si un nombre suffisant s’engage.
Il ne s’agit pas de trouver l’homme providentiel, le parti
politique d’exception… C’est à la fois plus simple et plus
difficile : il s’agit de donner envie à tout un chacun d’agir
et de se comporter le plus souvent possible de manière
bienveillante.
Si l’on parvient à ce résultat, on aura une meilleure compré-
hension des uns et des autres, une meilleure entraide
directe, une plus forte cohésion.

188
La bienveillance au service de la santé

Et in fine, un peuple relativement uni, engagé pour bâtir,


ensemble, un monde meilleur notamment pour ses enfants
est un peuple respecté. Et un peuple respecté fait un pays
respecté. De l’engagement de chacun peut vraiment éclore
un autre regard sur la France.
Merci d’avoir choisi ce livre Eyrolles.
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