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ENTRÉE EN EHPAD :

QUEL RÔLE POUR LES ASSISTANTS


DE SERVICE SOCIAL ?
CERTAINS PRÉALABLES
NE DOIVENTILS PAS ÊTRE
DÉTERMINÉS EN AMONT ?
Vincent Sosthène Fouda-Essomba et Dr Robin Cramer

RÉSUMÉ : L’allongement de la durée de vie a profondément modifié la démographie


des populations des pays occidentaux en raison d’une proportion croissante de
seniors (INSEE, 2020). Malheureusement, même si la durée de vie en bonne santé a
considérablement augmenté, les situations de dépendance sont également en hausse
au niveau à la fois du nombre de personnes concernées (incidence) et de la dépen-
dance (prévalence) (Corpus de gériatrie, 2000). Ainsi, dans un rapport comportant
onze propositions rendu public le 21 mars 2021, les sénateurs Bernard Bonne et
Michelle Meunier préconisent l’arrêt « à court terme de la construction de nouvelles
maisons de retraite1 ». En même temps, suivant les recommandations du rapport
Dominique Libault sur le grand âge et l’autonomie de mars 20192, le gouvernement a
décidé de créer une cinquième branche à la Sécurité sociale, qui s’occuperait exclu-
sivement de l’« autonomie ».

L’ERER des Hauts-de-France a lancé un travail de recherche soutenu par


l’Agence régionale de santé (ARS) qui porte principalement sur les transi-
tions de prises en charge ou d’accompagnement des personnes âgées dans
leurs dernières années de vie, quand les questions éthiques décrites ci-
dessus sont majeures.
La présente recherche examine le rôle qui pourrait être celui des assis-
tants de service social auprès des seniors au moment où le gouvernement
demande de limiter la construction des établissements d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes (EHPAD). Un objectif secondaire consiste à
étudier la place qu’occupe la « santé sociale » dans la lutte contre la perte
de l’autonomie chez les seniors, un travail qui se fait en amont de l’entrée
en EHPAD.
Méthode : les données proviennent d’une enquête menée dans les Hauts-
de-France du 22 septembre 2021 au 28 mars 2022 auprès d’un échantillon
représentatif de 28 personnes âgées de 65 ans et plus vivant soit en EHPAD,

1. Bernard Bonne et Michelle Meunier, « Bien vieillir chez soi : c’est possible aussi ! », rapport d’in-
formation n° 453 (2020-2021), déposé le17 mars 2021. Disponible sur www.senat.fr/rap/r20-453/
r20-453.html.
2. Dominique Libault, « Rapport de la concertation Grand âge et autonomie », 28 mars 2019. Dispo-
nible sur sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf.

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soit à leur domicile. La place qui pourrait être celle de l’assistant de service
social auprès des seniors en EHPAD ou lors de leur maintien à domicile a
été analysée à partir d’une enquête-entretien « multiméthode » au regard de
l’épidémie de la Covid-19 qui couvre toute la période de notre étude. Nous
avons aussi dégagé un échantillon de 71 assistants de service social exerçant
leur profession soit en centre communal d’action sociale (CCAS), soit en USP.
Résultats : la grande majorité des seniors déclarent vouloir vieillir et
vivre jusqu’au bout à leur domicile, une position partagée par leurs familles
(Ennuyer, 2008). La proportion des seniors déjà présents en EHPAD et qui
auraient souhaité continuer à vivre chez eux est de 51 %, tandis que 8 sur
10 seniors vivant chez eux souhaitent y demeurer encore longtemps, et
cela malgré les offres alléchantes des EHPAD depuis la canicule de 2003. Ils
sont 78 % à égalité entre l’EHPAD et les domiciles à plébisciter les services
d’aide à domicile, ces structures agréées par les conseils départementaux
qui proposent des employés formés spécifiquement pour faire le ménage,
les courses, ou tenir compagnie aux aînés.
Conclusion : les résultats de cette étude suggèrent que les seniors
souhaitent rester le plus longtemps possible chez eux, que leurs familles
partagent ce point de vue, mais qu’au-delà de la santé physique, 87 % sou-
haitent une « santé sociale ». La notion de santé sociale est associée à l’état
de bien-être d’une personne selon les conditions de son environnement. Il
existe donc un besoin de santé sociale pour les aînés, ainsi qu’un réel besoin
d’accueil, d’écoute et d’accompagnement qui cadre avec la déontologie et les
attributions des assistants de service social.

INTRODUCTION
Cet article est l’aboutissement d’une recherche qui s’inscrit dans une thé-
matique plus vaste : le grand âge et l’autonomie. En effet, l’intérêt premier
de cette recherche porte sur le grand âge et sur les expériences que celui-ci
peut vivre et qui conditionneraient possiblement l’entrée en structure d’hé-
bergement ou dans une autre forme de réaménagement de la vie au cré-
puscule de cette dernière. Cette étude, qui est épidémiologico-sociologique,
s’appuie sur la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-
sociale. Cette loi vise, entre autres, à accompagner les établissements et
services médico-sociaux dans une recherche permanente de la qualité de
l’accompagnement. Pour tendre vers cet objectif, elle rend obligatoire la
mise en œuvre de différents outils afin que l’usager devienne acteur de sa
prise en charge.
Notre étude, qui se place en amont de l’entrée en EHPAD, interroge les
professionnels des secteurs médical, médico-social ou social, ainsi que les
personnes du grand âge et leurs familles, afin de comprendre toute la com-
plexité de ce qui précède l’entrée en EHPAD. La démarche peut parfois revê-
tir une dimension stratégique, mais elle apparaît le plus souvent contrainte,
pour des raisons multiples qui ne tiennent pas seulement à un état mesu-
rable de santé, mais aussi aux ressources mobilisables, à la perte des sup-
ports relationnels, et surtout, aux limites des solutions mises en œuvre. Ce

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sont ces données que nous mettons en lumière à travers un échantillon
d’une part des personnes du grand âge et leurs familles, d’autre part des
professionnels du médical, du médico-social et du social recrutés dans les
Hauts-de-France.
Il est fort possible que le processus qui mène à l’entrée en institution
mette en évidence les limites du soutien informel, mais aussi celles des capa-
cités d’intervention des dispositifs en présence. La notion de limite que nous
convoquons ici fait référence à des systèmes de représentation régis par des
normes (ce qu’il est possible de faire et ce qui est défini comme outrepassant
la « limite »). Elle implique le jugement d’un acteur ou les jugements croisés
de plusieurs acteurs. Elle renvoie à une gouvernance appliquée à gérer le
risque et l’incertitude en fonction des ressources existantes autant que des
situations rencontrées.
En premier lieu, dans le rapport rendu public le 17 mars 2021, les séna-
teurs Bonne et Meunier notent qu’en 2030 la France comptera 21 millions de
personnes de plus de 60 ans, soit 3 millions de plus qu’aujourd’hui. D’après
l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), près
de 4 millions de seniors vivront une perte d’autonomie en 2050. Il convient
dès lors de trouver la manière de prévenir ce phénomène. « L’enjeu, c’est de
bien vieillir, de permettre au plus grand nombre de vieillir en bonne santé3 »,
un objectif d’autant plus important que la crise sanitaire a mis en lumière la
dureté des conditions de vie dans les EHPAD.
En second lieu, de nombreuses études menées notamment par la Fédé-
ration du service aux particuliers (FESP, 2019 ; rapport Bonne et Meunier,
2021) affirment que 85 % des Français souhaitent « vieillir à domicile »
(Campo et al.). Plusieurs raisons sont avancées pour justifier ce choix : la
maison de retraite, voire l’hospitalisation sont inappropriées aux réels
besoins de la personne (Campo, 2012) ; pour 40 % des Français, les EHPAD
sont un lieu de détresse psychologique pour les aînés (Perrin-Haynes, 2011 ;
Pinquier, 2009) ; 30 % des glissements ont eu lieu en maison de retraite
(Casadebeig, Ruffin, Philippe, 2003 ; Khater et al., 2005). D’autres analyses
et observations rentrent aussi en ligne de compte : l’EHPAD n’a pas bonne
presse, et dans l’imaginaire collectif, il renvoie à un hospice (Trépied, 2016).
Notre étude est originale à plus d’un titre. Elle l’est tout d’abord par
l’approche théorique favorisée, soit une perspective épidémiologico-
sociologique. Elle se veut aussi constructiviste et intersectionnelle. En effet,
en brassant différentes littératures, nous considérons le vieillissement
comme un phénomène construit socialement. Notre approche reconnaît
ainsi que la conception et l’expérience du vieillissement sont conditionnées
par l’accueil qui est réservé à la personne désignée comme telle par la société,
le regard qui est posé sur elle et les conditions qui sont mises en place pour
son accueil et sa vie en société ou en marge de la société. Nous reconnaissons
également l’existence d’autres facteurs tels que le milieu socio-économique,
l’appartenance ethnoculturelle, l’orientation sexuelle, etc. Ces divers facteurs
n’agissent pas de façon séparée, mais au contraire, ils s’additionnent, ils sont
interactifs dans leurs processus comme dans leurs effets (Poiret, 2005). Le

3. Bernard Bonne et Michelle Meunier, op. cit.

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concept d’intersectionnalité (Crenshaw, 1994 ; Krekula, 2007) a justement
été créé pour souligner les effets croisés et les multiples oppressions liés à
l’âge, au sexe et aux contextes de vie. C’est dans cette perspective intersec-
tionnelle que nous appréhendons l’entrée en EHPAD, dans sa globalité et
sa complexité et en prenant en compte les diversités des expériences et des
conditionnements sociaux, ainsi que la position de la famille.
Notre étude est également originale en regard de la littérature sur les
personnes âgées et la famille. En effet, les études se sont surtout intéressées
à l’image que la société se fait de la personne âgée (Ennuyer), à la personne
âgée déjà en EHPAD (Trépied), à la solitude des personnes âgées (Pitaud,
2004 ; Petits Frères des Pauvres, 2020). Plus rares sont les recherches qui,
comme la nôtre, s’intéressent à ce qui précède l’entrée en EHPAD et au rôle
que peut jouer l’assistant de service social non seulement dans la prépara-
tion de cette entrée mais aussi dans le maintien à domicile de la personne
âgée au regard des statistiques qui sont favorables à cette politique. Cepen-
dant, toutes les études qui précèdent la nôtre dans ce domaine constituent
un apport indéniable à la nôtre dans la mesure où elles nous permettent
de saisir un espace qui reste à explorer entre le domicile, l’EHPAD, les rési-
dences services : quel rôle peut jouer l’assistant de service social dans cet
espace ?
La réponse n’est pas simple, et il importe qu’elle ne devienne pas « le mal-
heur de la question » (Blanchot). Il semble peu risqué, en tout cas, d’affirmer
que, pour ne pas écraser le questionnement, il nous faut camper sur trois
positions simultanément.
Tout d’abord, une position éthique : l’assistant de service social, mais
aussi citoyen, il importe qu’il répercute vers le politique ce que le côtoiement
au quotidien de la personne âgée dans son milieu de vie, quel qu’il soit, lui
apprend de cette personne en particulier avant d’aller vers le général. Cela
relève de sa compétence et de son code de déontologie. Il y a ensuite une
position historique : si les politiques penchent vers un arrêt de la construc-
tion des EHPAD et vers un maintien à domicile, du moins le plus longtemps
possible, c’est certainement grâce à une évolution du regard que les cher-
cheurs, les familles et les personnes âgées elles-mêmes portent sur ces struc-
tures d’accueil. De quel fil du temps sont donc issus ces regards ? « Je ne sais
pas où je vais si je ne sais d’où je viens » (Gramsci), et je ne puis le savoir
qu’en mettant mes pas dans la trace de quelques arpenteurs (Foucault et
Gauchet). Que s’est-il passé pour qu’une société comme la nôtre en arrive à
isoler ses aînés ou à les placer sans leur accord ? Il s’agit, enfin, de maintenir
ferme le positionnement scientifique propre à notre champ de recherche,
hétérogène au registre médico-social mais en constante interaction avec
lui. Il importe d’y marquer autant les nécessaires complémentarités que les
irréductibles différences. En effet, là où la vie de l’homme se voit sauvée au
prix de la réduction passagère du sujet à ses organes, il n’y a plus ni temps
ni place pour la santé sociale. En matière de santé sociale, le regard clinique
seul ne peut suffire. Entre la politique d’adaptation et le programme « habiter
facile », et le soutien à l’activité physique et sportive, la cinquième branche de
la Sécurité sociale devrait tenir compte de la santé sociale qui s’inscrit dans
un panorama plus vaste de la « maladie humaine », celle dont les Wolofs du

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Sénégal disent qu’elle n’a précisément d’autre remède que l’homme pour une
meilleure qualité de vie sur les années de vie gagnées.

MÉTHODOLOGIE
Au regard des objectifs que nous nous sommes fixés, de l’émergence de la
cinquième branche de la Sécurité sociale et de l’absence de statistiques en la
matière pour le moment, nous nous sommes tournés vers une méthodologie
qualitative inductive : celle de la théorisation ancrée (Paillé et Mucchielli,
2003 ; Glaser et Strauss, 1967). En effet, elle apparaît des plus pertinentes
pour la collecte, puis l’analyse des perceptions, dans la mesure où elle permet
la saisie de discours sociaux liés à des expériences de vie en mouvance et
échelonnées dans le temps, en l’occurrence celles de seniors qui résident soit
à leur domicile, soit en EHPAD, et âgés de 65 ans.

CRITÈRES DE CONSTITUTION DE L’ÉCHANTILLON


Conformément aux principes de la théorisation ancrée, le principal cri-
tère de sélection de l’échantillon a été la diversification des répondants sur le
plan sociologique, afin de recueillir les perceptions les plus variées possibles
et d’assurer ainsi une richesse de contenu et de points de vue. À cet égard, la
littérature sur les aînés montre des différences dans les expériences vécues
selon le milieu socio-économique, la position sociale suivant le lieu de rési-
dence (quartier, EHPAD public ou privé, domicile), et surtout, selon l’âge qui
renvoie en fait à des différences de générations (Attias-Donfut, 2009 ; Attias-
Donfut et Segalen, 2001 ; Mauger, 2009). Compte tenu de ces constats, nous
avons diversifié l’échantillon des personnes âgées selon trois variables, soit :
• l’âge : nous avons repris les trois générations d’aînés auxquelles plu-
sieurs chercheurs nord-américains et européens (Lalive d’Épinay et
Spini, 2008 ; Caradec, 2001) font couramment appel, soit les 65-74 ans,
les 75-84 ans et les 85 ans et plus ;
• le niveau/bagage socio-économique (hommes et femmes de différents
niveaux de scolarité, avec expérience du marché du travail ou non,
ayant occupé divers types d’emploi, etc.) ;
• la situation conjugale/familiale (veuf/veuve, marié/mariée, célibataire,
avec ou sans enfants/attaches familiales).

MÉTHODES DE RECUEIL ET D’ANALYSE DES DONNÉES


Privilégiant le point de vue des principaux concernés et voulant laisser
les personnes âgées s’exprimer le plus librement possible sur leur situation,
nous avons opté pour des entrevues semi-structurées comme méthode de
recueil des données dans ce que Campbell et Fisk (1959), ainsi que Vanneste,
Routier et d’Arripe (2016) nomment « cas multiméthodes ». Les entrevues,
d’une durée variant de cinquante à quatre-vingt-dix minutes, ont eu lieu au
domicile des répondants et en EHPAD. Nous commencions l’entrevue en lais-
sant la personne âgée répondre à une première question ouverte : « Pour
commencer de façon un peu générale, pourriez-vous me parler de vous ? »

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Cette question ouverte lui permettait d’aborder ses expériences et ses per-
ceptions avec ses mots et ses propres univers de référence. Par la suite, nous
abordions, à des fins de comparaison systématique, les deux thèmes géné-
raux de notre guide d’entrevue, thèmes que nous jugions fondamentaux à la
compréhension du rôle de l’assistant de service social auprès des personnes
âgées avant leur entrée en EHPAD. Il s’agissait d’étudier d’une part si l’entrée
ou la possibilité de rester au domicile relevait d’un choix personnel ou d’une
contrainte, d’autre part si toutes les informations relatives à une éventuelle
entrée en EHPAD avaient été données.
À la fin de l’entrevue, la personne âgée était invitée à remplir un bref
questionnaire visant à recueillir des informations de type sociodémogra-
phique (âge, revenu, statut matrimonial, attache familiale, etc.).
Toutes les entrevues ont été retranscrites et codées au fur et à mesure
de leur réalisation. L’analyse avait d’abord pour objectif de dégager, pour
chacune d’elles, l’ensemble des thèmes abordés (prévus et émergents). Par
la suite, selon les principes de l’analyse par théorisation ancrée (Paillé, 1994 ;
Paillé et Mucchelli, 2003) qui vise l’élaboration d’une théorie enracinée dans
la réalité empirique des faits sociaux peu étudiés, nous avons regroupé ces
thèmes sous des catégories conceptuelles dont les principales sont : « l’in-
formation en amont de ce qu’il faut savoir avant l’entrée en EHPAD », « la
rencontre ou non avec l’assistant de service social », « un choix éclairé
entre mon domicile et l’EHPAD », « l’importance des liens familiaux dans
ce choix », « la dissociation entre liens familiaux et choix personnel ». Enfin,
nous avons réalisé une analyse transversale de l’ensemble des entrevues,
tant sur le plan thématique que sur le plan des catégories conceptuelles, afin
d’établir la récurrence ou non des contenus des discours, en lien avec les
diverses variables (âge, milieu économique, milieu familial).

FIABILITÉ ET LIMITES DE LA RECHERCHE


Tout au long du processus d’analyse, afin d’assurer la fiabilité de nos
résultats, nous avons procédé à un type de triangulation des données, celle
que Denzin (1978) nomme la « triangulation du chercheur » : chaque entre-
vue a été analysée par un de nos membres impliqués dans la recherche et
par les deux chercheurs responsables ; en outre, les résultats ont fait l’objet
de discussions avant d’être validés par le groupe. Cette recherche a permis
d’atteindre une saturation des données (Bertaux, 1996) pour la plupart des
dimensions d’analyse, tant sur le plan empirique (données répétitives après
une vingtaine de récits environ) que théorique (pertinence et solidité des
catégories conceptuelles créées). Cependant, le nombre de personnes âgées
interrogées par catégorie d’âge ne nous permet pas de généraliser nos conclu-
sions à tous les aînés, notamment aux personnes issues de l’immigration. En
effet, un de nos directeurs a attiré notre attention sur leur absence dans les
maisons de retraite des Hauts-de-France. Ensuite, notre échantillon provient
essentiellement de deux EHPAD situés dans les Hauts-de-France.

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PORTRAIT DES PARTICIPANTS
L’échantillon final sur lequel se base cette analyse exploratoire du rôle
des assistants de service social auprès des personnes âgées en amont de
l’entrée en EHPAD se compose de 28 personnes âgées résidant soit en EHPAD
(24), soit à leur domicile (4) : 16 femmes en EHPAD et 2 à leur domicile,
12 hommes en EHPAD et 2 à leur domicile.
Huit répondants ont 65 à 74 ans, 17 ont 75 à 84 ans, et 3 répondants ont
85 ans et plus – ce sont des femmes qui résident en EHPAD.
Sur le plan socio-économique, 18 personnes âgées ont des revenus fami-
liaux modestes ou faibles, 6 se situent dans la classe moyenne, et 4 vivent
dans des milieux sociaux plus nantis. La majorité des personnes interro-
gées sont soit mariées (14), soit veuves (10), les autres étant célibataires
(4). Sur les 28 personnes interrogées, 20 ont au plus 1 enfant, 8 n’ont pas eu
d’enfants.
Sur les 20 qui ont au plus 1 enfant, 13 ont entre 1 et 3 petits-enfants, 5 ont
entre 4 et 10 petits-enfants, et 2 ont respectivement 11 et 13 petits-enfants.
Quatre sont arrière-grands-parents.
Sur le plan des trajectoires professionnelles, des différences appa-
raissent, notamment dans le changement de profession tout au long de l’évo-
lution des carrières : 23 personnes sur 28 ont changé de profession entre 3
et 14 fois au cours de leur carrière, 3 ont changé de profession 4 fois, 2 n’ont
eu qu’une seule profession. Dix-neuf sur 28 ont été dans le secteur ouvrier
avec de petits revenus ou de petites retraites. Douze affirment n’avoir pas
beaucoup cotisé ou n’avoir pas toujours déclaré leurs revenus.
Sur le plan scolaire, 6 sur 28 détiennent un diplôme universitaire, 10 un
diplôme professionnel, 12 n’ont pas de diplômes du tout.
Enfin, 19 sont originaires des Hauts-de-France et/ou se sont déplacées
sur un rayon qui n’excède pas 100 km. Sur les 9 qui ne sont pas des Hauts-
de-France, 7 s’y sont installées pour se rapprocher de leurs enfants et de
leurs petits-enfants. Deux y sont venues après leur retraite parce qu’elles
estimaient « ne pas avoir plus d’attaches ailleurs ».

RÉSULTATS
Cette section présente les principaux résultats issus de nos analyses des
entrevues. Conformément au processus itératif de la théorisation ancrée,
nous avons procédé à un va-et-vient constant avec la littérature. C’est pour
cette raison que des références scientifiques sont intégrées au texte. Bien
entendu, les noms des sujets sont fictifs.

DES QUESTIONNEMENTS DANS LE CHOIX D’UN EHPAD


Il importe d’abord de préciser que la très grande majorité des personnes
âgées de 65 ans et plus qui ont participé à cette étude ne se perçoivent pas
et ne se définissent pas dans le premier échange comme des « personnes

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âgées ». Elles refusent cette étiquette. Elles refusent aussi l’appellation
de « seniors » et de silver à cause des stigmates qui les accompagnent.
(Ennuyer ; Pr Moulias). « Il existe une très forte stigmatisation, du moins dans
notre pays, dès que les difficultés inhérentes à l’âge apparaissent » (Gallarda).
Cependant, avec l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé, la stig-
matisation touche de plus en plus les 80 ans et plus. Vieillir, c’est aussi, au
regard des chiffres des différentes enquêtes, le résultat d’un parcours social.
Les cadres supérieurs ont ainsi huit ans de plus d’espérance de vie que les
ouvriers. C’est également une question de genre : après 85 ans, il y a 4 fois
plus de femmes (Ennuyer).
À la question de savoir : « est-ce que vous vous sentez vieux ? », beaucoup
de participants à notre étude ont commencé par évoquer les générations
précédentes, avant de parler d’eux et de leur état d’esprit et non de leur état
physique. « Je me sens fatigué, j’ai du mal à faire mes courses, mon ménage. »
Très peu ont établi un lien entre cet état et le fait d’avoir pris de l’âge. Nous
avons pensé que le descriptif qu’ils font d’eux-mêmes signifie non pas qu’ils
nient le passage du temps, mais plutôt qu’ils tentent de subvertir la vieil-
lesse en restant actifs, en forme physiquement, éveillés intellectuellement
et ouverts sur le monde qui les entoure.
« Je suis née à Fives, et mes parents travaillaient tous les deux dans les
usines Peugeot. […] Fives, c’était jusqu’à Saint-Maurice Pellevoisin. Je suis
allée à l’école des filles Louise-de-Bettignies qui est devenue l’École de la paix.
Je n’ai donc pas quitté mon quartier. Mon mari habitait une rue après la
mienne. Nous avons toujours vécu ici, et quand j’ai perdu mon mari, je suis
encore restée dans la maison. Dans ma jeunesse, à 50 ans, on était vieux, les
choses ont beaucoup évolué. Je suis entrée en EHPAD parce que la maison
était déjà trop grande pour moi toute seule, faire des travaux, je n’avais pas
de force. Finalement, à 79 ans, je suis venue dans cette maison que je connais
bien pour y avoir travaillé » (Évelyne, 82 ans).
« Je voulais me rapprocher de mes petits-enfants. Je suis venue une fin de
semaine avec mon époux. En passant devant cette résidence, j’ai été frappée
par une inscription. Elle disait : “Si je veux, je découvre mon futur apparte-
ment et la vie qui va avec, si je veux.” J’ai trouvé cela beau, je suis entrée, je
suis revenue visiter avec ma fille, et nous sommes ici depuis six ans. » Cepen-
dant, la vérité est que Marie-Virginie, qui a grandi et fait sa carrière dans
la région parisienne, s’est installée dans le Nord et en EHPAD pour accom-
pagner son conjoint. En France, justement, 18 % des personnes entrent en
EHPAD pour accompagner « leur conjoint atteint de la maladie d’Alzheimer,
et lors de la disparition de celui-ci, aucune ne souhaite retourner à son domi-
cile pourtant conservé » (Guichardon, 2005).
Pour certains résidents et leurs familles, l’entrée en EHPAD est l’abou-
tissement d’une réflexion mûrie et étayée. Cependant, en creusant dans nos
échanges, nous avons découvert qu’elle est souvent aussi motivée par la
perte d’autonomie, que celle-ci soit physique et/ou psychique, l’absence de
possibilité de maintien à domicile par épuisement de l’aidant principal et/ou
inadaptation de l’environnement au handicap. Il y a un autre facteur moins
connu, ou que l’on aborde très peu, soit par pudeur, soit par oubli freudien,
ce qui revient au même : c’est la « souffrance sociale ».

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CONCLUSION
On mesure le chemin à parcourir, les risques encourus et la responsabi-
lité qui pèse sur les professionnels, surtout s’ils n’ont pas la formation initiale
requise, ou s’ils interviennent dans un domaine de compétences qui n’est
pas le leur. L’accompagnement en amont de l’entrée en EHPAD comme au
moment où on y est déjà est apparu tout au long de cette étude.
Aucun texte législatif n’oblige les EHPAD à employer des assistants de
service social, mais une demande est exprimée par les seniors en matière de
santé sociale, qui se situe entre la santé physique et la santé psychologique.
Celle-ci est dans l’accueil, l’écoute et l’accompagnement. L’accompagnement
apparaît alors comme un outil professionnel aux mains des assistants de
service social, et il s’agit de s’en emparer comme d’un lieu possible de retour-
nement : un retournement de l’accompagnement comme « aide » en « res-
source », un retournement de l’accompagnement comme « commande » à
exécuter en « levier » à saisir. Car l’accompagnement ouvre des perspectives,
crée un nouveau champ de réflexion, renouvelle le questionnement sur la
manière dont nous établissons notre relation aux autres. Il invite à concevoir
que nous puissions instaurer des relations au sein desquelles « le besoin de
l’autre » n’est ni disqualifiant ni humiliant. Ainsi l’accompagnement vient-il
introduire une brèche non négligeable dans la société où, très souvent, les
seniors se sentent exclus. Le lien n’est pas perpétuel ; il se fabrique, à travers
l’écoute, l’attention réciproque, l’accompagnement de l’autre.

BIBLIOGRAPHIE
Bonne B. et Meunier M., « Bien vieillir chez soi : c’est possible aussi ! », rapport
d’information n° 453 (2020-2021), déposé le 17 mars 2021. Disponible sur www.
senat.fr/rap/r20-453/r20-453.html.
Libault D., « Rapport de la concertation Grand âge et autonomie », 28 mars 2019.
Disponible sur sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf.

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