Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
RFSS 291 - Entrée en EHPAD Quel Rôle Pour Les Assistants de Service Social - Vincent Sosthène Fouda-Essomba Et DR Robin Cramer
RFSS 291 - Entrée en EHPAD Quel Rôle Pour Les Assistants de Service Social - Vincent Sosthène Fouda-Essomba Et DR Robin Cramer
1. Bernard Bonne et Michelle Meunier, « Bien vieillir chez soi : c’est possible aussi ! », rapport d’in-
formation n° 453 (2020-2021), déposé le17 mars 2021. Disponible sur www.senat.fr/rap/r20-453/
r20-453.html.
2. Dominique Libault, « Rapport de la concertation Grand âge et autonomie », 28 mars 2019. Dispo-
nible sur sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf.
INTRODUCTION
Cet article est l’aboutissement d’une recherche qui s’inscrit dans une thé-
matique plus vaste : le grand âge et l’autonomie. En effet, l’intérêt premier
de cette recherche porte sur le grand âge et sur les expériences que celui-ci
peut vivre et qui conditionneraient possiblement l’entrée en structure d’hé-
bergement ou dans une autre forme de réaménagement de la vie au cré-
puscule de cette dernière. Cette étude, qui est épidémiologico-sociologique,
s’appuie sur la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-
sociale. Cette loi vise, entre autres, à accompagner les établissements et
services médico-sociaux dans une recherche permanente de la qualité de
l’accompagnement. Pour tendre vers cet objectif, elle rend obligatoire la
mise en œuvre de différents outils afin que l’usager devienne acteur de sa
prise en charge.
Notre étude, qui se place en amont de l’entrée en EHPAD, interroge les
professionnels des secteurs médical, médico-social ou social, ainsi que les
personnes du grand âge et leurs familles, afin de comprendre toute la com-
plexité de ce qui précède l’entrée en EHPAD. La démarche peut parfois revê-
tir une dimension stratégique, mais elle apparaît le plus souvent contrainte,
pour des raisons multiples qui ne tiennent pas seulement à un état mesu-
rable de santé, mais aussi aux ressources mobilisables, à la perte des sup-
ports relationnels, et surtout, aux limites des solutions mises en œuvre. Ce
ENTRÉE EN EHPAD : QUEL RÔLE POUR LES ASSISTANTS DE SERVICE SOCIAL ? p. 82-90 83
sont ces données que nous mettons en lumière à travers un échantillon
d’une part des personnes du grand âge et leurs familles, d’autre part des
professionnels du médical, du médico-social et du social recrutés dans les
Hauts-de-France.
Il est fort possible que le processus qui mène à l’entrée en institution
mette en évidence les limites du soutien informel, mais aussi celles des capa-
cités d’intervention des dispositifs en présence. La notion de limite que nous
convoquons ici fait référence à des systèmes de représentation régis par des
normes (ce qu’il est possible de faire et ce qui est défini comme outrepassant
la « limite »). Elle implique le jugement d’un acteur ou les jugements croisés
de plusieurs acteurs. Elle renvoie à une gouvernance appliquée à gérer le
risque et l’incertitude en fonction des ressources existantes autant que des
situations rencontrées.
En premier lieu, dans le rapport rendu public le 17 mars 2021, les séna-
teurs Bonne et Meunier notent qu’en 2030 la France comptera 21 millions de
personnes de plus de 60 ans, soit 3 millions de plus qu’aujourd’hui. D’après
l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), près
de 4 millions de seniors vivront une perte d’autonomie en 2050. Il convient
dès lors de trouver la manière de prévenir ce phénomène. « L’enjeu, c’est de
bien vieillir, de permettre au plus grand nombre de vieillir en bonne santé3 »,
un objectif d’autant plus important que la crise sanitaire a mis en lumière la
dureté des conditions de vie dans les EHPAD.
En second lieu, de nombreuses études menées notamment par la Fédé-
ration du service aux particuliers (FESP, 2019 ; rapport Bonne et Meunier,
2021) affirment que 85 % des Français souhaitent « vieillir à domicile »
(Campo et al.). Plusieurs raisons sont avancées pour justifier ce choix : la
maison de retraite, voire l’hospitalisation sont inappropriées aux réels
besoins de la personne (Campo, 2012) ; pour 40 % des Français, les EHPAD
sont un lieu de détresse psychologique pour les aînés (Perrin-Haynes, 2011 ;
Pinquier, 2009) ; 30 % des glissements ont eu lieu en maison de retraite
(Casadebeig, Ruffin, Philippe, 2003 ; Khater et al., 2005). D’autres analyses
et observations rentrent aussi en ligne de compte : l’EHPAD n’a pas bonne
presse, et dans l’imaginaire collectif, il renvoie à un hospice (Trépied, 2016).
Notre étude est originale à plus d’un titre. Elle l’est tout d’abord par
l’approche théorique favorisée, soit une perspective épidémiologico-
sociologique. Elle se veut aussi constructiviste et intersectionnelle. En effet,
en brassant différentes littératures, nous considérons le vieillissement
comme un phénomène construit socialement. Notre approche reconnaît
ainsi que la conception et l’expérience du vieillissement sont conditionnées
par l’accueil qui est réservé à la personne désignée comme telle par la société,
le regard qui est posé sur elle et les conditions qui sont mises en place pour
son accueil et sa vie en société ou en marge de la société. Nous reconnaissons
également l’existence d’autres facteurs tels que le milieu socio-économique,
l’appartenance ethnoculturelle, l’orientation sexuelle, etc. Ces divers facteurs
n’agissent pas de façon séparée, mais au contraire, ils s’additionnent, ils sont
interactifs dans leurs processus comme dans leurs effets (Poiret, 2005). Le
ENTRÉE EN EHPAD : QUEL RÔLE POUR LES ASSISTANTS DE SERVICE SOCIAL ? p. 82-90 85
Sénégal disent qu’elle n’a précisément d’autre remède que l’homme pour une
meilleure qualité de vie sur les années de vie gagnées.
MÉTHODOLOGIE
Au regard des objectifs que nous nous sommes fixés, de l’émergence de la
cinquième branche de la Sécurité sociale et de l’absence de statistiques en la
matière pour le moment, nous nous sommes tournés vers une méthodologie
qualitative inductive : celle de la théorisation ancrée (Paillé et Mucchielli,
2003 ; Glaser et Strauss, 1967). En effet, elle apparaît des plus pertinentes
pour la collecte, puis l’analyse des perceptions, dans la mesure où elle permet
la saisie de discours sociaux liés à des expériences de vie en mouvance et
échelonnées dans le temps, en l’occurrence celles de seniors qui résident soit
à leur domicile, soit en EHPAD, et âgés de 65 ans.
ENTRÉE EN EHPAD : QUEL RÔLE POUR LES ASSISTANTS DE SERVICE SOCIAL ? p. 82-90 87
PORTRAIT DES PARTICIPANTS
L’échantillon final sur lequel se base cette analyse exploratoire du rôle
des assistants de service social auprès des personnes âgées en amont de
l’entrée en EHPAD se compose de 28 personnes âgées résidant soit en EHPAD
(24), soit à leur domicile (4) : 16 femmes en EHPAD et 2 à leur domicile,
12 hommes en EHPAD et 2 à leur domicile.
Huit répondants ont 65 à 74 ans, 17 ont 75 à 84 ans, et 3 répondants ont
85 ans et plus – ce sont des femmes qui résident en EHPAD.
Sur le plan socio-économique, 18 personnes âgées ont des revenus fami-
liaux modestes ou faibles, 6 se situent dans la classe moyenne, et 4 vivent
dans des milieux sociaux plus nantis. La majorité des personnes interro-
gées sont soit mariées (14), soit veuves (10), les autres étant célibataires
(4). Sur les 28 personnes interrogées, 20 ont au plus 1 enfant, 8 n’ont pas eu
d’enfants.
Sur les 20 qui ont au plus 1 enfant, 13 ont entre 1 et 3 petits-enfants, 5 ont
entre 4 et 10 petits-enfants, et 2 ont respectivement 11 et 13 petits-enfants.
Quatre sont arrière-grands-parents.
Sur le plan des trajectoires professionnelles, des différences appa-
raissent, notamment dans le changement de profession tout au long de l’évo-
lution des carrières : 23 personnes sur 28 ont changé de profession entre 3
et 14 fois au cours de leur carrière, 3 ont changé de profession 4 fois, 2 n’ont
eu qu’une seule profession. Dix-neuf sur 28 ont été dans le secteur ouvrier
avec de petits revenus ou de petites retraites. Douze affirment n’avoir pas
beaucoup cotisé ou n’avoir pas toujours déclaré leurs revenus.
Sur le plan scolaire, 6 sur 28 détiennent un diplôme universitaire, 10 un
diplôme professionnel, 12 n’ont pas de diplômes du tout.
Enfin, 19 sont originaires des Hauts-de-France et/ou se sont déplacées
sur un rayon qui n’excède pas 100 km. Sur les 9 qui ne sont pas des Hauts-
de-France, 7 s’y sont installées pour se rapprocher de leurs enfants et de
leurs petits-enfants. Deux y sont venues après leur retraite parce qu’elles
estimaient « ne pas avoir plus d’attaches ailleurs ».
RÉSULTATS
Cette section présente les principaux résultats issus de nos analyses des
entrevues. Conformément au processus itératif de la théorisation ancrée,
nous avons procédé à un va-et-vient constant avec la littérature. C’est pour
cette raison que des références scientifiques sont intégrées au texte. Bien
entendu, les noms des sujets sont fictifs.
ENTRÉE EN EHPAD : QUEL RÔLE POUR LES ASSISTANTS DE SERVICE SOCIAL ? p. 82-90 89
CONCLUSION
On mesure le chemin à parcourir, les risques encourus et la responsabi-
lité qui pèse sur les professionnels, surtout s’ils n’ont pas la formation initiale
requise, ou s’ils interviennent dans un domaine de compétences qui n’est
pas le leur. L’accompagnement en amont de l’entrée en EHPAD comme au
moment où on y est déjà est apparu tout au long de cette étude.
Aucun texte législatif n’oblige les EHPAD à employer des assistants de
service social, mais une demande est exprimée par les seniors en matière de
santé sociale, qui se situe entre la santé physique et la santé psychologique.
Celle-ci est dans l’accueil, l’écoute et l’accompagnement. L’accompagnement
apparaît alors comme un outil professionnel aux mains des assistants de
service social, et il s’agit de s’en emparer comme d’un lieu possible de retour-
nement : un retournement de l’accompagnement comme « aide » en « res-
source », un retournement de l’accompagnement comme « commande » à
exécuter en « levier » à saisir. Car l’accompagnement ouvre des perspectives,
crée un nouveau champ de réflexion, renouvelle le questionnement sur la
manière dont nous établissons notre relation aux autres. Il invite à concevoir
que nous puissions instaurer des relations au sein desquelles « le besoin de
l’autre » n’est ni disqualifiant ni humiliant. Ainsi l’accompagnement vient-il
introduire une brèche non négligeable dans la société où, très souvent, les
seniors se sentent exclus. Le lien n’est pas perpétuel ; il se fabrique, à travers
l’écoute, l’attention réciproque, l’accompagnement de l’autre.
BIBLIOGRAPHIE
Bonne B. et Meunier M., « Bien vieillir chez soi : c’est possible aussi ! », rapport
d’information n° 453 (2020-2021), déposé le 17 mars 2021. Disponible sur www.
senat.fr/rap/r20-453/r20-453.html.
Libault D., « Rapport de la concertation Grand âge et autonomie », 28 mars 2019.
Disponible sur sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf.