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Étienne Dinet, Passions Algériennes
Étienne Dinet, Passions Algériennes
Étienne Dinet, Passions Algériennes
12 € Étienne Dinet,
passions
algériennes
Étienne
Dinet, Éditorial
passions À la découverte
de l’Algérie millénaire
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Entretien avec
Mario Choueiry, commissaire d’exposition
Propos recueillis par Claude Pommereau
Pourquoi et comment vous êtes-vous intéressé Pourtant sur le marché de l’art, Dinet possède
au peintre Étienne Dinet ? une réelle valeur…
Par la présence, récurrente dans le monde arabe, Dinet a été oublié après sa mort et retrouve une
des images archétypales provenant de son œuvre, vigueur dans les années 80 et 90. Koudir Bentchikou
et pas qu’en Algérie. Et puis, un peintre orientaliste a publié un catalogue raisonné en 1984 au moment
converti à l’islam, c’est peu banal. Son ami Georges où les fortunes du Golfe et du Maghreb se disputaient
Desvallières, lui, resta catholique. Ces deux parcours les plus belles toiles. L’orientalisme rebute moins
en miroir me fascinaient. dans le monde arabe que chez nous.
Comment avez-vous conçu l’exposition ? Dinet s’est passionné pour ce Sud algérien alors
Comme la redécouverte d’un grand artiste que la colonisation française était en marche.
oublié ou comme un témoignage rare d’une époque ? Dinet quitte Paris au moment où les artistes du monde
Les deux. Une histoire de l’art limitée aux avant- entier viennent s’y installer. En 1904, il s’installe
gardes serait incomplète. Dinet vouait un culte pour à demeure à Bou-Saâda et peint les trois âges de la
Rembrandt et Delacroix. Il a regardé Bastien-Lepage vie comme s’il découpait des fragments de réalité.
et les impressionnistes ses aînés, il a exposé avec eux Il n’a pas besoin de magnifier le réel extraordinaire
chez Georges Petit ; comme eux, il attache une grande qu’il a sous ses yeux. En 1912, il obtient de haute lutte
importance à la fraîcheur des coloris, mais l’absence que Bou-Saâda passe d’une administration militaire
de dessin ferme et la dissolution du sujet le gênent. à une administration civile.
Cézanne et Gauguin parviennent selon lui à conci-
lier des exigences contradictoires. Comprendre Quid de sa conversion ?
cela, c’est déjà être un vrai peintre, mais il ne tire pas Il se convertit officiellement en 1913 à l’islam. Au début
d’eux les mêmes conclusions que Matisse ou Picasso. de la Grande Guerre, la mobilisation de conscrits algé-
Cependant, Dinet est plus qu’un peintre, il est une riens provoque chez lui une vive émotion. Il œuvre
énigme politique, un Français dont l’œuvre devient auprès des autorités pour le retour au pays des blessés,
une des identités visuelles de l’Algérie indépendante pour faire respecter les rituels musulmans prescrits
et qui échappe au procès fait au regard colonial. lors des enterrements, remplacer les croix évidem-
ment inadaptées par des stèles tombales dont il dessine
Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui le modèle. En hommage aux musulmans morts pour la
son œuvre en France soit aussi peu connue ? France, il publie La Vie de Mohammed, Prophète d’Allah.
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Le Charmeur de vipères
1889. Huile sur toile,
176,5 × 180,4 cm.
Coll. Art Gallery of New South Wales, Sydney
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Sept grandes dates d’une vie
Claude Pommereau
1861 1883
Naissance à Paris, La découverte de l’Algérie
d’un père avoué Après s’être pris de passion pour la Bretagne, Dinet accompagne
des savants entomologistes, dont son ami Lucien Simon,
dans le Sud algérien. Il y retournera avec deux amis, découvrant
à Laghouat ou à Ouargla que le soleil ne le dérange en rien.
Il peint d’abord des paysages avant de se passionner pour
la description de la population, décidé à s’éloigner quelque
peu du monde irréel coutumier des peintres orientalistes.
Philippe
Léon Dinet,
peint par
son fils
en 1889.
1904
Une maison à Bou-Saâda
La petite ville est à la mode, un quartier
Vue de la ville de Laghouat.
européen s’y est développé. Dinet choisit
une maison de terre à la limite de la ville
musulmane, n’aimant guère les constructions
européennes, étouffantes en été. Il confie
la gestion de sa maison à son ami Sliman
et à sa famille, avouant que, dans ces
conditions, prendre femme serait superflu. 1913
Il y passera les trois quarts de l’année.
Conversion à l’islam
Dinet vivait depuis plusieurs
années au sein de sa petite
communauté musulmane,
dont il avait adopté la langue
et en partie les mœurs, mais
non les tenues vestimentaires,
se refusant à porter le fez ou le
burnous. Cette conversion fut
le fruit d’une longue évolution,
l’influence exercée par son
ami Sliman, mozabite, ayant
Portrait de Sliman
joué un rôle essentiel ; une
1904. Huile sur toile,
45 × 33 cm. adhésion longuement pensée,
La maison d’Étienne Dinet à Bou-Saâda. Coll. particulière esthétique et civilisationnelle.
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Le port d’Alger vers 1924.
1922
Création d’un grand prix artistique à Alger
En janvier, il achète une grande maison à l’ouest d’Alger qu’il va mettre au nom de Sliman.
Douze pièces, un grand jardin, suffisamment vaste pour que tous les ans au mois d’octobre,
le peintre puisse présenter ses œuvres, toutes quasiment prévendues. Il fonde un Grand
Prix artistique de l’Algérie. Déjà on commence à trouver un peu démodé ce symbole voulu
d’une union franco-algérienne réussie. Plus tard, l’Algérie indépendante lui rendra justice.
1929
Koubba à Bou-Saâda
De retour du pèlerinage à La Mecque, Dinet
se repose à Paris. Une crise cardiaque
l’emportera. Il avait préparé sa tombe, une
koubba, à Bou-Saâda. Après être passé par
Alger où toute manifestation en son honneur
fut annulée, le cortège atteignit Bou-Saâda.
Une foule énorme, bigarrée, l’y attendait.
Le discours de Pierre Bordes, le gouverneur
de l’Algérie, fut exemplaire : « La conversion
de Dinet ne touchait en rien sa foi patriotique. »
1929
Pèlerinage à La Mecque
Ce départ pour l’Arabie saoudite de Dinet accompagné de Sliman
ne passe pas inaperçu ; ils sont 27 à s’embarquer avec lui : Port-Saïd,
Suez, Djeddah : on veut refuser l’accès aux lieux saints à cet
Européen ! Sliman en appel au roi Abdelaziz Ibn Saoud, qui reçoit
Dinet, impressionné par la personnalité de ce wahhabite. « J’ai vécu
un rêve sublime… », une foi portée par 250 000 pèlerins. Il en restera
un livre posthume : Le Pèlerinage à la maison sacrée d’Allah. La sépulture d’Étienne Dinet à Bou-Saâda.
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1860-1920
E
n 1900, lorsqu’Étienne Dinet
installe son premier atelier algé-
rien à Biskra, l’oasis est l’une des
destinations les plus courues de milliers
d’hivernants. À proximité d’un noyau
de peuplement ancien et d’une implanta-
tion militaire se sont multipliés hôtels et
établissement divers pour riches oisifs.
La notoriété du site est née de la splen-
deur de ses paysages et de son climat
sec recommandé pour les affections
pulmonaires. S’y ajoute la proximité des
sources chaudes de Hammam Essalihine
connues depuis l’époque romaine, sans
oublier la rencontre avec un orientalisme
pittoresque aux multiples facettes. Les
premières évocations peintes de Biskra
sont présentes dans certaines des cinq
toiles qu’Eugène Fromentin envoie au
Salon de 1849 après qu’il a séjourné dans
l’oasis du 2 mars au 17 avril 1848, lors de
son deuxième voyage en Algérie. Il s’y était
trouvé « plus peintre que jamais ». En cette
même année 1849, loin de Paris et des
souvenirs du peintre se déclenche, à 30 km
à l’ouest de Biskra, dans l’oasis de Zaatcha,
une révolte impitoyablement réprimée.
La « pacif ication » étant accom-
plie, le tourisme peut se mettre en place
PAGE DE DROITE
en toute quiétude. Comme il est écrit
CI-DESSUS L’oued Biskra, qui dans Le Courrier de Biskra du 24 mars
Affiche publicitaire prend sa source 1897, « on a fait l’Algérie militaire, on
vantant les charmes dans l’Aurès, un massif
de Biskra datant de du nord-est de l’Algérie, a fait l’Algérie coloniale. Il faut songer
la fin du xixe siècle. traverse la ville. aujourd’hui à faire l’Algérie agréable ».
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1860-1920 I Biskra, un « Pont-Aven du désert »
Un objectif que facilite en 1888 l’arrivée Tous ces artistes côtoient des hiver-
du chemin de fer reliant Constantine nants tout aussi cosmopolites. Ils sont
à Biskra en 8 à 9 heures avec, bientôt, de originaires de toute l’Europe, ils sont
confortables wagons-lits trois fois par essentiellement anglais, mais également
semaine à la saison d’hiver. D’un chiffre de suisses, scandinaves, sujets du Reich ou
300 touristes en 1879, on passe à 8 000 en des empires russe et austro-hongrois qui
1896. Biskra devient également un rendez- gagnent ce pays enchanteur où, selon
vous d’artistes, peintres et sculpteurs Villiers de l’Isle-Adam, « l’hiver tout en
venus du monde entier. Ils sont français fleurs humilie les printemps des autres
(Gustave Guillaumet, Maxime Maufra, contrées ».
Marie Caire-Tonoir, Henri Matisse…), mais
aussi américains comme Frederick Arthur Un éden touristique
Bridgman, élève de Jean-Léon Gérôme, Fort d’un engouement qui ne se dément
britanniques (Frederick Leighton), belges pas, Biskra voit se construire des hôtels de
(Henri Evenepoel), italiens (Gustavo standing tel le Royal Hôtel en 1895 avec sa
Simoni), polonais (Adam Styka), hongrois tour élevée en forme de minaret d’où l’on
(Ferenz Blaskovits), russes (Alexandre découvre un panorama exceptionnel sur
Roubtzoff ). Ils se retrouvent ou se les sept villages du site et son immense
Carte des principales
succèdent dans ce que certains nomment palmeraie mais aussi le Victoria, l’Hôtel villes d’Algérie à la fin
le « Pont-Aven du désert ». de l’Oasis et le Palace Hôtel. du xixe siècle.
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La grande affaire est l’ouverture en Dinet quitte Biskra
1893 d’un casino reconnaissable à son
style néomauresque et à sa haute coupole. en 1904 et achète
Longtemps le seul en Algérie, il s’ouvre par une maison à Bou-
un vaste hall transformable en dancing Saâda. Il a soif
et comporte une salle de spectacle ainsi
que des espaces dévolus au baccara, au
d’authenticité
chemin de fer et aux petits chevaux, course et veut fuir cette
hippique mécanique prisée des joueurs du affluence de touristes,
début du xxe siècle. Pour ce qui est de véri- ces hôtels de luxe,
tables courses, un hippodrome doté de
tribunes est également construit. ce cosmopolitisme…
L’un des attraits de la ville est aussi
un jardin d’une dizaine d’hectares voulu
par le fortuné comte Landon de Longeville
(1844-1930) qui soigne à Biskra, un asthme Elles sont définies par les guides de voyage
chronique. Il y implante arbres et végé- comme des « danseuses se produisant dans
taux de tous les continents en un parc que les cafés maures » mais font aussi, par
les guides de voyages qualifient de « vrai tradition, commerce de leurs corps.
À 400 km au sud-
paradis terrestre » et que l’écrivain Louis Beaucoup plus fréquentables appa-
est d’Alger, l’oasis Bertrand décrit comme un « lieu de volupté raissent les bachaghas locaux de la famille
de Biskra est un lieu et d’oubli ». Pour d’autres plaisirs conseillés Bengana attachée à la France depuis les
de villégiature prisé
des artistes et des à mots feutrés, le monde des Ouled Naïl origines de la conquête. Ne dit-on pas
touristes européens. fait frémir les concupiscences masculines. de Si M’Hammed ben Gana qui exerce
ses hautes fonctions de 1901 à 1945 et
fait grand-croix de la Légion d’honneur
en 1930 qu’il « convie fort libéralement à
ses réceptions et à ses chasses (au faucon)
les touristes qui lui sont présentés ».
Toutes ces curiosités et félicités
attirent un nombre de visiteurs de plus
en plus nombreux, au point que le guide
Joanne de 1904 met ceux-ci en garde
contre de mauvaises habitudes prises loca-
lement : « L’affluence des touristes et des
hiverneurs a quelque peu gâté la popula-
tion indigène de Biskra ; les enfants ont pris
de fort importunes habitudes de mendicité
et les adultes ont tendance à se faire payer
leurs services beaucoup plus chers qu’ils
ne valent. Aussi fera-t-on bien, lorsque l’on
emploiera quelque indigène, de convenir
d’avance de la rétribution à lui donner. »
La porte du Sahara
Entre les deux guerres mondiales, la
fréquentation de Biskra se transforme
quelque peu. La gentry férue d’orien-
talisme n’y trouve plus son compte et
vogue vers d’autres horizons. De plus en
plus peuplée, l’oasis, dont les quartiers
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1860-1920 I Biskra, un « Pont-Aven du désert »
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Une fascination pour le Sud algérien
« La chose – la circoncision –
se passait dans une maison
arabe, et avait un pittoresque
aussi pur [que celui] de la
noce juive de Delacroix et plus
beau, plus frais de couleur,
plus riche surtout, c’était le soir
– des rouges, des verts, des
fleurs dans des murs blancs, Henri Matisse
éclairés pas de gros cierges. » Rue de Biskra
1906. Huile sur toile, 61 × 50 cm.
Henri Matisse, Lettre à Georges Rouault, 30 août 1906. Coll. Statens Museum for Kunst, Copenhague
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Un peintre
ethnologue
Étienne Dinet se rend pour la première fois en Algérie en 1884.
Ses premières pérégrinations dans le Sud algérien le conduisent
à la lisière du Sahara. Il y découvre une atmosphère surchauffée,
écrasée par un soleil de plomb. Profondément marqué par
la culture naylie, il reviendra plusieurs fois dans cette région,
jusqu’à vouloir s’y aménager un point de chute régulier : Laghouat,
Biskra, puis retour à ses premières amours, Bou-Saâda.
Tout au long de ses voyages successifs, sa peinture va progressi-
vement évoluer vers des compositions où le côté figuratif entrera
de plus en plus dans sa palette. Portraitiste hors pair, il oriente
son style dans la transcription de la figure humaine mettant en
valeur les expressions faciales et la gestuelle pour réaliser de très
ressemblants instantanés photographiques. Son guide et ami
Sliman lui facilite la tâche par le contact direct avec ses modèles
afin de mieux les aborder et trouver en eux complicité et singu-
lière familiarité. Ayant appris la langue arabe, il va se rapprocher de
l’âme profonde de son environnement et réaliser des œuvres d’un
réalisme exceptionnel. Il se définira lui-même comme un « peintre
ethnologue » qui cherche à immortaliser dans ses toiles ce que le
genre de vie et « les progrès de la civilisation finiront par détruire ».
Un regard hypnotisant
Réalisé à Biskra, l’Homme au grand chapeau est l’un des tableaux
les plus célèbres de l’artiste. Il s’agit ici de la captation d’un regard L’Homme au
incrusté dans le faciès d’un travailleur saisonnier marocain vivant dans grand chapeau
la ville ; il témoigne de l’attrait du peintre pour le type expressif où le plan 1901. Huile sur bois,
40 × 32,4 cm.
rapproché accentue chez le spectateur une fascination obsédante malgré Coll. Cité nationale de l’histoire
la simplicité de la composition qui valorise la personnalité du modèle. K. B. de l’immigration, Paris
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Portfolio I Un peintre ethnologue
CI-DESSUS
Le Sahara
1906. Illustration de Mirages, scène de la vie
arabe, livre écrit par Sliman Ben Ibrahim.
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L’immensité
saharienne
Ce paysage se suffit presque
à lui-même. Les deux hommes
et l’âne rappellent que le désert
est le personnage principal
des panoramas de Dinet.
Le peintre propose ici un Sahara
plus austère : une couleur ocre
uniforme, un bleu diaphane,
des variations moindres. Même
dans une évocation de la rudesse,
loin du sublime, transparaît dans
ses œuvres tout l’attachement
que Dinet voue au désert. N. G.
La lumière
à son zénith
Ce paysage s’inscrit dans la lignée
des rares panoramas peints par
Dinet. On y retrouve le cadrage
frontal qui met le spectateur face
à l’oued M’zi prêt à sortir de son
lit, la palette chromatique saturée
qui voit s’affronter les ocres et les
bleus, et la lumière zénithale qui
inonde cet horizon, se réverbérant
sur la montagne, se reflétant dans
les eaux du fleuve, dorant ses berges
sableuses. Hommes et animaux
se font petits, le personnage
principal de cette œuvre n’est
d’autre que ce site grandiose
à proximité de Laghouat. N. G.
PAGES SUIVANTES
Une crue de l’Oued M’zi
1890. Huile sur toile,
44 × 70 cm.
Coll. Galerie Ary Jan, Paris
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Tétière I titre du sujet
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Portfolio I Un peintre ethnologue
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Jeux d’enfants
Ce tableau a été peint un an après la résolution de Dinet de
ne plus représenter que des sujets algériens et témoigne Les Bavards
à Bou-Saâda
de son attachement pour les habitants du Sud, à l’image de
1896. Huile sur toile,
ces enfants qu’il fige sur le panneau avec tendresse, en floutant, 50,8 × 71,6 cm.
estompant certains détails, comme par pudeur. N. G. Coll. Galerie Ary Jan, Paris
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Tétière I titre du sujet
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À Biskra et Bou-Saâda
V
oici quelques années, écrivait
Assia Djebar dans la préface
de son livre Alouettes naïves,
en lisant Le Maghreb entre deux guerres
de Jacques Berque, j’apprenais un détail :
les danseuses des Ouled Naïl en Algérie
près de Bou-Saâda étaient appelées par
les soldats français “alouettes naïves”.
Je demandai un jour à Jacques Berque les
raisons de ce surnom. Il m’expliqua qu’il ne
s’agissait que d’une déformation de pronon-
ciation, Ouled donnant “alouettes” et Naïl
“naïves”. Un quiproquo avait donc fait
jaillir cette image. »
La question de la représentation des
femmes algériennes par des artistes occi-
dentaux a donné lieu à quelques études et
à bien des controverses. Dans Le Harem
colonial, l’écrivain Malek Alloula formule
une critique virulente de l’orientalisme
qu’il qualifie de sous-érotisme. D’autres
intellectuels vont également y voir la mani-
festation d’une idéologie de la domination
culturelle. Curieusement, la méfiance
qui frappe la peinture orientaliste se fait
plus clémente à l’endroit d’Étienne Dinet.
Comment expliquer le traitement de faveur
qui lui est réservé dans une société long-
temps réticente à la figuration humaine
et à la nudité ? Se peut-il que son appren-
CI-DESSUS
tissage de la langue arabe et sa conver- PAGE DE GAUCHE Issues d’une confédération de tribus
sion à l’islam en 1913 aient contribué à Jeune fille de la région, les Ouled Naïl portent
sa réception favorable ? Chose certaine, de Bou-Saâda un costume caractéristique de l’Atlas
1892. Huile sur carton, saharien. Il se reconnaît par une large
Étienne Nasreddine Dinet bénéficie 23 × 15,5 cm utilisation de fibules et par l’importance
d’une respectabilité à nulle autre pareille. Coll. musée d’Orsay, Paris donnée aux bijoux de tête.
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À Biskra et Bou-Saâda I Les « alouettes naïves » et le peintre prodige
le temps. Ses peintures sont notamment tisme. Qualifiées tour à tour de « reines
PAGE DE DROITE
exposées au musée Nasreddine-Dinet à barbares », de « libertines beautés saha-
Deux femmes
Bou-Saâda et érigées comme la survivance r ien nes », ou de « colombes a mou- Non daté. Huile sur toile.
d’un monde perdu. Jamais l’intrusion reuses », ces femmes Naylies souvent Coll. particulière
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À Biskra et Bou-Saâda I Les « alouettes naïves » et le peintre prodige
engagées dans la prostitution incarnent batifolant dans les rivières, il serait tentant
des fantasmes encore persistants. de réduire le Bou-Saâda de Dinet à un
Pourtant, rien ne prédestinait cet harem à ciel ouvert, François Pouillon
artiste issu de la bourgeoisie parisienne parle même d’un « harem accessible »,
à finir ses jours dans le Sahara. Il installe l’artiste lui-même ayant comparé la ville à
d’abord son atelier à Biskra en 1900 puis un paradis terrestre. Malgré ses critiques
élit domicile à Bou-Saâda à partir de 1904. des conditions de vie des Algériens, le folk-
Chose inhabituelle pour un Français, lore qu’il donne à voir dans sa peinture
il habite dans la vieille médina. En obser- ne laisse pas vraiment transparaître la
vateur étranger mais discret, Dinet s’in- réalité coloniale, la misère et le quotidien
tègre progressivement à la société locale rude de ses sujets. De quelle fidélité au
et prend pour modèles des femmes de la réel est-il question ? L’esthétisation des
région. Les mœurs des Nayliat semblent sociabilités locales à travers l’occultation
obséder cet homme de foi. En 1926, il publie des réalités sociales (pauvreté, violence)
avec Sliman Ben Ibrahim un roman laisserait presque entrevoir une Algérie
illustré, Khadra danseuse Ouled Naïl à d’avant les Français. Preuve en est, ces
l’effigie de ces « prêtresses de l’amour » et derniers n’apparaissent nulle part depuis
dans lequel il déplore le sort de ces femmes qu’il peint en Algérie. Les colons (et leurs
et leur réduction à des objets de plaisir femmes) sont les grands absents de son
pour l’industrie du tourisme colonial. œuvre d’inspiration algérienne.
Toutefois, le regard d’Étienne Dinet
aussi empreint d’empathie soit-il, peut Une œuvre à l’épreuve du temps
susciter un certain malaise postcolonial. Aujourd’hui, ce pittoresque rural qui ne
Dans les tableaux qu’il leur consacre, ces se conforme ni aux canons de la moder-
femmes sont souvent souriantes, riche- nité occidentale, ni à ceux de l’orthodoxie CI-DESSOUS
ment habillées et bien coiffées. De lourds islamique, pourrait même être perçu Rue de Biskra abritant
bijoux traditionnels finissent d’étoffer comme une atteinte à la morale et au bon des maisons de
tolérance tenues
leurs tenues d’apparat. À travers ses goût. Dans une interprétation contempo- par des Ouled Naïl.
danseuses lascives et ses baigneuses raine, l’artiste algérienne El Meya revisite Vers 1900.
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certaines œuvres de Dinet et questionne admis, ce qui m’a amenée à m’interro-
par là même le male gaze de l’artiste dans ger sur cette exception. Dans son œuvre,
une démarche féministe. Elle nous confie Étienne Dinet représente l’Algérien et
son approche : « Ma peinture m’a ame- l’Algérienne. On y voit des hommes en
née à travailler sur l’orientalisme et sur prière, des jeunes filles et jeunes garçons
les traces des images coloniales dans jouant dans le village, des femmes au tra-
Danseuse arabe l’imaginaire collectif. Un grand chan- vail. Cependant, il a également peint énor-
aux étoiles tier s’est ouvert et c’est ce qui m’a guidée mément d’œuvres de jeunes filles nues,
Non daté. Huile sur toile, vers Étienne Dinet. […] Dans un pays où au corps d’adolescentes. Ce qui est pour
95,2 × 81,4 cm.
Coll. musée Mainssieux, Voiron le nu est prohibé, celui de cet artiste est moi violent et me pousse à interroger son
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À Biskra et Bou-Saâda I Les « alouettes naïves » et le peintre prodige
CI-CONTRE
La Fuite des
baigneuses
Non daté. Huile sur toile,
74,2 × 69,8 cm.
Coll. particulière
CI-DESSUS
El Meya
Cumulonimbus,
série Jazira
2023. Acrylique sur toile,
230 × 230 cm.
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Tétière I titre du sujet
30
Des portraits attachants
Sur une même toile se retrouvent la palette
chromatique vive du peintre, la lumière forte
du Sud algérien, l’ocre des constructions en pisé,
la magnificence des étoffes, des bijoux, mais
Spontanéité surtout le talent de portraitiste de Dinet. Chaque
personnage de ce groupe de jeunes filles est
Encore une fois, Dinet semble s’inspirer d’un motif individualisé, tant dans son visage que dans
prégnant de l’histoire de l’art, celui de la jeune sa posture. Elles arborent un large sourire et
femme penchée dans l’encadrement d’une leurs yeux pétillants semblent directement
fenêtre pour le transposer au Sud algérien. s’adresser à l’artiste et lui témoigner la réciprocité
Rehaussée des couleurs chaudes d’une palette de leur affection. Car c’est bien l’attachement
chromatique saturée, arborant des yeux noirs sincère et profond que Dinet porte à ses motifs
perçants et un sourire laissant dévoiler des et à ses modèles qui le caractérise. K. B.
dents bien blanches, cette jeune fille s’offre
à nous dans un cadrage si frontal qu’elle paraît CI-DESSUS
se précipiter vers nous. Dinet en saisit toute la PAGE DE GAUCHE Sur une terrasse un jour
Fillette à la fenêtre de fête à Bou-Saâda
spontanéité, la fraîcheur, la naïveté, qu’il accorde
1906. Huile sur toile, 1906. Huile sur toile,
volontiers aux enfants et aux femmes Ouled Naïl 58 × 42 cm. 51 × 61,5 cm.
dont il fait souvent le portrait. Nathan Guilloux Coll. particulière Coll. musée Fabre, Montpellier
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À Biskra et Bou-Saâda I Les « alouettes naïves » et le peintre prodige
Le Printemps
des cœurs
1904. Huile sur toile,
94,5 × 83,5 cm.
Coll. musée des Beaux-Arts
de Reims
Jeux de séduction
Ici les personnages n’apparaissent qu’à demi-corps.
Sur un air d’impressionnisme
Hommes et femmes aux chairs bronzées, aux effets Dans cette scène heureuse, Dinet transpose
vestimentaires pittoresques, se détachent sur fond à l’Algérie un motif déjà traité par Renoir.
de paysage, éden aux verdures printanières fleuries Il se distancie de l’académisme, s’inspire d’artistes
de lauriers roses. Les couples qui s’étreignent semblent novateurs, en retient certains motifs (les travaux
courir éperdument, entraînés sur un rythme lascif. paysans, ménagers chers aux réalistes),
Une intensité de vie se lit sur leurs visages et leur corps certains préceptes (la couleur, la réverbération
est enveloppé d’accoutrement d’une violente coloration. de la lumière initiées par les impressionnistes),
Le titre de cette œuvre est aussi celui d’un livre édité et les applique à l’Algérie. Cette jeune fille
en 1902, richement illustré par l’artiste sur des contes sur une balançoire illustre le septième Salon
sahariens relatés par l’ami Sliman Ben Ibrahim. K. B. des artistes orientalistes français. N. G.
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La Balançoire
Vers 1900. Huile sur toile,
130,6 × 109,7 cm.
Coll. musée des Beaux-Arts de Reims
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Commentaire d’œuvre
Meddah aveugle chantant
l’épopée du Prophète, vers 1922
Cette œuvre témoigne bien de la virtuosité d’Étienne Dinet :
sur la même toile se retrouvent une multitude de portraits, des tons
ocre et chauds, la lumière forte du Sud algérien, la magnificence
des étoffes, des bijoux. Ces jeunes gens dévorent des yeux le conteur
et boivent ses paroles. Nul ne semble importuné par ce peintre
qui les observe : tous connaissent la sincérité profonde de Dinet.
À la différence d’orientalistes d’atelier qui dépeignent une Algérie
fantasmée, Dinet la vit, l’éprouve, la rejoint, en adopte les combats.
Si son style est reconnaissable entre tous, c’est que Dinet se
distingue, et ce à plus d’un titre, des autres artistes orientalistes
de sa génération. Là où Lucien Simon reste très académique,
là où Paul Leroy peut paraître distant et froid, là où Georges Gasté
procède par touches enlevées, estompe et joue sur les flous,
Dinet ne cache rien de sa tendresse pour ses sujets et ses modèles,
et imite la netteté des clichés photographiques d’aujourd’hui.
À se faire le chantre d’une Algérie indomptée et pleine d’audace,
le pays, une fois indépendant, se l’est à son tour approprié.
Dinet, de naissance française, est aujourd’hui un artiste majeur
de l’art algérien : maître de Mohammed Racim, à la source de
l’œuvre de Choukri Mesli et de tant d’autres. Nathan Guilloux
1. Le portrait 4. Meddah,
Chacun des seize personnages, poète errant
est ici individualisé, tant dans ses Depuis sa conversion à l’islam,
traits, sa posture, que dans son en 1913, la foi musulmane et
comportement. Dinet offre ainsi ses manifestations dans la vie
une multitude de portraits réunis du croyant deviennent ses motifs
en un vaste ensemble. de prédilection. Ici, un meddah,
poète errant, raconte la vie du
2. Le détail exact prophète à une foule de fidèles.
La peinture de l’artiste se
reconnaît dans les étoffes 5. Ombres et lumières
et les bijoux que portent ses Dinet maîtrise à la perfection
modèles. Chatoiement et la lumière et les ombres.
brillance s’y côtoient, toujours Le rai de lumière qui éclaire
avec le même désir d’exactitude le visage habité du conteur
et de rendu photographique. le met d’autant plus en valeur
que les personnages qui se
3. Ocres et bruns tiennent à ses côtés sont eux
Les tons chauds d’ocres et plongés dans l’obscurité.
de bruns, les couleurs vives
et saturées, font partie de
sa palette chromatique.
34
35
36
Il choisit le nom de Nasreddine
Un mysticisme flamboyant
Alain Vircondelet
L
’orientalisme débordant d’Étienne terre et ses habitants. Il a vécu comme un
Nasreddine Dinet n’est pas sans musulman pieux, sur des terres livrées
relation avec sa nature mystique au soleil implacable, à des paysages et des
et nerveuse. Ce ne sont pas seulement mœurs encore « sauvages », en tout cas
les visions éblouissantes d’une Algérie indociles à un colonialisme assumé qui,
de « l’intérieur », comme on disait alors, depuis un siècle, excluaient les indigènes
les déserts, les oasis, les villages, leurs de leurs propres territoires.
marchés et les usages de leurs habitants,
qui vont seulement l’occuper, comme cela Un éveil spirituel
fut le cas pour Eugène Delacroix, Eugène La peinture de Dinet ne procède pas pour
Fromentin ou Henri-Émilien Rousseau cela d’un goût prononcé et même à la mode
par exemple. Certes les mœurs des (surtout en ces années préparatoires à la
douars reculés ne manquaient pas alors célébration du centenaire de la conquête
de motifs exotiques que se sont appropriés française) pour tout ce qui est pittoresque
les peintres orientalistes, offrant à l’envi jusqu’au kitsch oriental. Bien au contraire,
des esclaves lascives, de jeunes garçons on assiste à une sorte de ré-ancrage exis-
éphèbes, des paysages ruisselants de tentiel du peintre, délaissant les mœurs
soleil, des fantasias, des couchers de soleil françaises, leur préférant les rites algé-
aux dégradés de mauve et d’or, que Dinet riens jusqu’à sa conversion, inévitable,
a aussi peints (Terrasses de Laghouat, à l’islam en 1913, reçue en France comme
Les Guetteurs, Les Baigneuses…). Mais ce une gifle à l’encontre de la « mère patrie »,
qui lui est singulier, c’est ce lien d’appar- fière d’avoir civilisé un pays qui était livré,
tenance qu’il a voulu créer entre cette avant son arrivée, à la barbarie, aux mala-
dies endémiques et aux bêtes féroces.
La ténacité et la foi de Dinet, nourries non
seulement par la force et l’énergie des pay-
sages algériens et d’une population simple
et naïve, mais encore par la ferveur d’un
ami, le poète Sliman Ben Ibrahim, qui fut
sans nul doute son initiateur en matière de
religion, furent suffisamment puissantes
PAGE DE GAUCHE
CI-CONTRE
Muezzin
Étienne Nasreddine
Non daté. Huile sur toile,
Dinet (3e en partant 100 × 80 cm.
de la droite) au cours Coll. musée des Beaux-Arts,
d’une prière. Marseille
37
Il choisit le nom de Nasreddine I Un mysticisme flamboyant
pour défier toutes les règles que la France vibrionnent, malgré leur apparent empâ-
avait instituées en Algérie et celles, sinon tement, laissant apparaître une paix spi-
imposées du moins respectées, d’un aca- rituelle et une harmonie délivrées de
démisme pictural qui ne trahirait pas toute analyse intellectuelle. Pour autant,
le patriotisme. Dinet n’est pas un peintre prosélyte et
Il n’en tint guère compte et s’aban- religieux. Sa foi seule traverse sa pein-
donna, à travers sa peinture et sa vie quoti- ture par la joie qu’elle diffuse. Sa pein-
dienne dont on dit qu’elle fut exemplaire au ture s’adonne à cette contemplation des
cœur de l’oasis de Bou-Saâda, à la retrans- mœurs locales grâce auxquelles il lui est
cription picturale de son émerveillement donné d’y voir l’œil compatissant de Dieu
spirituel. Certains de ses chefs-d’œuvre que des vieillards, des marabouts, des
parlent d’eux-mêmes et en premier lieu, enfants, des vieillards, révèlent par leur
le féerique tableau intitulé Clair de lune simplicité biblique.
qui, sous une nuit étoilée, révèle la joie Le détachement de Dinet face à la
mystique et profonde de deux amants que société occidentale dont il est pourtant
nul érotisme ne vient troubler. Mais encore un pur produit lui permet d’être accepté
La Prière, somptueux tableau décrivant, par la société musulmane, fait rela- CI-DESSUS
comme disait lui-même Dinet, « le miracle tivement rare dans les années d’après Le Lendemain
du ramadan
de l’islam » qui réalise « loin de toute pompe la Première Guerre mondiale au cours 1895. Huile sur toile,
mondaine, l’union des cœurs devant desquelles les prémisses d’une révolu- 81,5 × 100 cm.
Coll. musée d’Orsay, Paris
l’Unité absolue d’Allah ». tion nationaliste à venir sont pourtant
déjà en marche et dont il décrit une scène PAGE DE DROITE
Paix et harmonie prémonitoire avec Les Guetteurs. Or, Groupe observant
Le sentiment mystique qui l’anime est plus encore que Charles de Foucauld dont le Croissant de lune
transposé ainsi dans cette vibration il est le contemporain, Dinet est reçu, Non daté. Huile sur toile.
27,3 × 21,8 cm.
colorée qui fait sa patte : les couleurs loué, accepté et même admis à peindre au Coll. musée d’Angers
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39
Il choisit le nom de Nasreddine I Un mysticisme flamboyant
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1929, pèlerinage à La Mecque
Entre piété émerveillée et militantisme
En 1929, l’année même de sa mort, Étienne du Coran de quoi nourrir sa soif d’idéal et de pureté.
Nasreddine Dinet, converti à l’islam depuis 1913, Sa conversion sera mise alors au compte d’une mode
entreprend le voyage à La Mecque en compagnie orientaliste. Néanmoins, le pèlerinage à La Mecque,
de son ami, le poète Sliman Ben Ibrahim, avec lequel outre qu’il demeure le devoir de tout fidèle, est à
il partagea d’intenses expériences dans l’oasis ses yeux l’accomplissement du bonheur sur la terre
de Bou-Saâda : le paysage grandiose, la proximité et l’espérance d’un ailleurs illuminé que sa peinture
du désert, la méditation spirituelle, tout se ligua souvent essaie de recréer comme un reflet déjà
pour qu’il se convertisse à une pratique mystique entre-aperçu. Il partit avec son ami Sliman, embarqua
de l’islam. Le pèlerinage, sujet d’un opuscule intitulé d’Alger pour Marseille afin de rejoindre le bateau des
Le Pèlerinage à la maison sacrée d’Allah et cosigné pèlerins. Arrivé à La Mecque, on veut le refouler parce
avec son ami, cherche, non sans souci prosélyte, qu’européen. S’il put poursuivre, c’est grâce à l’habileté
à éclairer ses contemporains occidentaux de la de son ami Sliman qui parviendra à prévenir le roi,
grandeur, de la beauté et de la ferveur de cette religion. le grand Ibn Saoud, qui recevra lui-même le Français.
Dénonçant l’activisme des missionnaires chrétiens Dernier acte de sa vie de converti, il meurt quelques
installés en Algérie, un tourisme folklorique qui mois plus tard à Paris, frappé par une crise cardiaque,
viole la pudeur et l’intimité des mœurs arabes et en pleine rue. Sa dépouille est exposée à la mosquée
une vision appauvrissante et méprisante de la foi de Paris qu’il avait inaugurée trois ans plus tôt et rejoint
et de la culture musulmanes, condamnant enfin Bou-Saâda où il avait eu soin, dès 1925, de faire ériger
un indigénat humiliant, Dinet trouvera dans la lecture une koubba pour y reposer. A. V.
41
Tétière I titre du sujet
42
Monument de la littérature arabe
L
e roman d’Antar, œuvre collective rédigée en prose
poétique est l’un des plus anciens monuments de la litté-
rature arabe. Personnage semi-légendaire et païen d’avant
l’Hégire, Antar est le fruit de l’union illégitime de Chaddâd, fils de
Mouâwiya, et d’une esclave noire, Zabiba. Par sa vaillance guer-
rière, son intelligence et son courage, il sut conquérir la bienveil-
lance de son père qui l’affranchit et le reconnut comme son fils.
Le récit est porté à la connaissance du public français par
Alphonse de Lamartine qui, le premier, en adapte en français
des passages dans son Voyage en Orient (1835), en particu-
lier, l’épisode de la mort d’Antar qu’il décrit comme l’« un des
plus beaux chants lyriques de toutes les langues ». Une traduc-
tion partielle de Louis Marcel Devic, publiée en 1878, sous le
titre Les Aventures d’Antar fils de Cheddad, roman arabe des
temps antéislamiques sera la source d’Étienne Dinet pour
Antar, poème héroïque son ouvrage illustré de 132 planches gravées, publié en 1898.
des temps antéislamiques Les dessins préparatoires aux planches gravées sont
xixesiècle. Carton, plume, encre aujourd’hui conservés au département des Arts Graphiques du
noire, lavis, gouache, 29,6 × 23,5 cm.
Coll. musée d’Orsay, Paris musée du Louvre, qui en possède également les versions gravées.
Ils ont été exécutés au cours des années 1896 et 1897 à Laghouat.
Dinet s’inspirera de l’un de ses habitants nommé Rabah Ben
Abdallah pour donner à Antar ses traits. De très nombreux
croquis préparatoires à la mine de plomb ont été couchés sur le
papier afin d’élaborer les compositions définitives. Les dessins
aboutis sont au lavis gris, au crayon noir et au pinceau, avec des
rehauts de blanc marquant, jusque dans son œuvre graphique,
son tempérament de peintre, le tout sur du papier bristol beige.
Les scènes de batailles illustrent la dette de l’artiste envers
la peinture des maîtres étudiés au musée du Louvre. Dinet alterne
les cadrages des personnages le plus souvent encore dépeints
de loin, à la différence des périodes ultérieures de son œuvre
aux cadrages plus serrés s’attachant davantage à la psychologie
des personnages. Il laisse deviner des paysages désertiques et
parfois des constructions architecturales, qu’il a probablement
pu admirer à l’occasion de son court voyage de 1897 en Égypte. ■
43
44
Commentaire d’œuvre
La Vengeance des
fils d’Antar, 1898
45
De l’ère coloniale à l’Algérie indépendante
« Un maître de la peinture
algérienne »
François Pouillon
C
omment un peintre orientaliste « Ouled Naïl », débris d’une grande tribu
mort à la veille des cérémonies du nomade de la région qui s’exhibent dans
Centenaire de l’Algérie coloniale leur quartier avec leurs costumes carac
a-t-il pu devenir, une fois l’indépendance téristiques auprès desquelles il trouvera
acquise, « un maître de la peinture algé- des modèles peu farouches pour les nus
rienne », selon le titre d’un ouvrage publié qu’il ne manque pas de réaliser. Il loge dans
en 1976 par le ministère de la Culture de la famille de son guide saharien, Sliman
la jeune république ? Ben Ibrahim, qu’il associe depuis quelque
Tard venu dans le champ d’une pein temps à ses périples et à ses œuvres.
ture orientaliste, qui vient tout juste de
se constituer en « école », Dinet s’atta À l’intersection de deux cultures
che à aller plus loin que d’autres, sur les Autre engagement, plutôt rare dans la
marges d’un pays dans lequel on peut colonie de l’époque, Dinet se convertit à
désormais voyager en toute sécurité. Il va l’islam. C’est moins là le résultat d’une
donc y réaliser de longs séjours, au cours démarche mystique qu’une manière de Publié en 1976, ce livre
d’étés brûlants qu’il affectionne, mettant répondre à l’offre d’adoption d’une société reprend l’œuvre
d’Étienne Nasreddine
à profit la technique impeccable qu’il a dont il aime les usages. D’abord discrète, Dinet et consacre
acquise à l’école, pour s’attacher à saisir cette conversion allait trouver une consé le peintre comme
une grande figure
la lumière admirable des paysages saha cration officielle avec sa participation au de l’art algérien.
riens. En rupture avec les illustrations des pèlerinage à La Mecque, qu’il réalise en
touristes pressés, il cultive la connaissance 1929, peu avant sa mort. Il exprime alors
de l’islam arabe, qu’il aborde par exemple de la manière la plus ferme sa volonté
en illustrant une édition du grand poème d’être inhumé selon le rite de l’islam, dans
de l’Arabie préislamique, La Geste d’Antar. le petit mausolée qu’il a fait construire sur
Visant à l’approfondissement, sa place dans un jardin de l’oasis.
démarche se caractérise par quelques Illustrateur d’une Algérie indigène
engagements remarquables. Le premier encore vivante, dont il présente les scènes
fut, après deux décennies de voyages saha avec une précision et une intensité parti
riens, de s’installer à demeure, au tournant culière, Dinet fut pourtant apprécié par
du xxe siècle, dans l’oasis de BouSaâda. la société coloniale. Il y trouve son public
Sur place, il trouve les fameuses danseuses et ses acheteurs, plutôt que dans un Paris
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devenu l’épicentre de toutes les révolu- années de l’indépendance, ses produc-
tions artistiques. Critique lucide d’une tions furent encore volontiers classées
colonisation dont il voyait, mieux que parmi les « croûtes orientalistes ».
d’autres, les excès, il ne pouvait pourtant
pas en ce temps être anticolonialiste et Un retour aux scènes traditionnelles
encore moins nationaliste algérien, des C’est contre certaines tendances de
idées alors à peine pensables. Il représen- la peinture algérienne de l’époque, domi-
tait même dans l’entre-deux-guerres, une née souvent par l’abstraction, qu’un
figure respectée de la dimension musul- influent ministre de la Culture, Ahmed
mane d’une France impériale. Taleb Ibrahimi, de noble ascendance
Malgré l’apothéose qui marqua l’en- religieuse dans l’islam algérien, allait,
terrement de Dinet dans son village comme on l’a dit, le proclamer « maître
d’adoption, une cérémonie où un gouver- de la peinture algérienne ». C’était là sif-
neur général de l’Algérie allait intervenir fler ainsi la fin des récréations face à un
à côté de quelques représentants éminents milieu artistique national jugé top dissipé.
Signe de sa d’un islam réformé, les efforts conjugués Il appelait ainsi à un retour au métier et
popularité en Algérie, de sa sœur et de Sliman pour constituer aux scènes traditionnelles disparues avec
des œuvres un musée à la mémoire du peintre ne la modernisation du pays. Dinet en avait
d’Étienne Dinet sont
présentes jusque devaient pas aboutir. C’est sans doute que méthodiquement fait l’inventaire : enfants
dans le bureau sa peinture paraissait déjà un peu « folk- jouant et hommes en prière, femmes dan-
du président de la
République Abdelaziz
lorique » au regard des révolutions artis- sant dans leurs costumes traditionnels
Bouteflika. tiques de ce temps. Jusqu’aux premières reconstitués… Tout cela était représenté
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De l’ère coloniale à l’Algérie indépendante I Un maître de la peinture algérienne
48
1993 : le musée national
Nasreddine Dinet ouvre
ses portes à Bou-Saâda
49
3 questions à Une publication de Beaux Arts & Cie
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Mathias Ary Jan Tél. 01 87 89 91 00
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« Un pont entre
Éditeur Claude Pommereau
Coordinatrice éditorale et
secrétaire de rédaction Capucine Jahan
deux cultures »
Création graphique Aurore Jannin
Iconographe Alexandra Buffet
chère qui possédait de famille Les Bavards C’est unique ! Son travail est reconnu Beaux Arts & Cie
à Bou-Saâda, un tableau de l’artiste exposé et récompensé de son vivant aussi bien Président Frédéric Jousset
Directrice générale Solenne Blanc
aujourd’hui à l’Institut du monde arabe. en France, obtenant de nombreuses Directeur général délégué
Ce tableau m’a tout de suite séduit par récompenses officielles, qu’en Algérie où Jean-Baptiste Costa de Beauregard
Directrice des partenariats
l’intensité de ses couleurs et le mystère le pays le présente en maître de la peinture et directrice adjointe des éditions
Marion de Flers
des enfants réunis en cercle dont on algérienne. Il deviendra même après sa Responsable éditoriale Solène de Bure
ressent la joie de vivre et l’amitié qui les mort l’ambassadeur artistique de l’Algérie. Directeur artistique Bernard Borel
Responsable de projet partenariats
unit. Depuis, je n’ai cessé de rechercher et éditions Charlotte Ullmann
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P. 16-17 © Universal History Archive/UIG/Bridgeman Images.
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Thomas Hennocque/Galerie Ary Jan. P. 22 © RMN-Grand
Palais/Hervé Lewandowski. P. 23 © Historic Illustrations/
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