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Cours conforme au programme de Sciences économiques et sociales de la classe de terminale, série ES (arrêté du 30 Juillet 2002).
Introduction
On vient de voir à quel point les sociétés démocratiques sont traversées par la tension entre les inégalités et
l'idéal égalitaire (chapitre 3). Inutile de dire que ces tensions se traduisent bien souvent dans la réalité par
des conflits. Les conflits vont donc être notre objet d'étude dans ce chapitre.
Pourquoi s'intéresser aux conflits ? A priori, on a souvent tendance à penser que les conflits ne servent à
rien, qu'il vaut mieux les éviter. Ce n'est pas du tout ce que pensent les sociologues : en effet, si l'on réfléchit
à la dynamique sociale, on est bien obligé de se demander comment elle se fait, et on constate en général
que le changement social ne peut se faire qu'à travers des conflits. Ceux-ci ont donc une vertu
essentielle : rendre le changement social possible. En effet, si l'on ne pensait pas que les changements
sont possibles, ce ne serait pas la peine de se battre. Les conflits sociaux, parce qu'ils mettent les individus
dans l'action, contribuent aussi à forger les identités et à développer des solidarités. La première difficulté,
pour vous, dans ce chapitre est donc de devoir envisager les conflits dans un rôle positif. La deuxième
difficulté sera de ne pas oublier que les relations entre changement social et conflits vont dans les deux
sens : certes le changement social entraîne des conflits, mais les conflits entraînent eux aussi du
changement social.
Reste dans cette introduction à définir ce que l'on appelle “ conflits sociaux ”. Un conflit social met en
jeu des acteurs regroupés, il y a donc une dimension collective dans le conflit social. Ces acteurs doivent
avoir entre eux des relations d'interdépendance : s'il n'y a pas ces relations entre eux, il y a peu de chance
qu'il y ait un conflit car il n'y aurait pas d'objet de conflit. Ces relations d'interdépendance sont dans un
rapport de domination, c'est-à -dire que la question du pouvoir est toujours essentielle dans un conflit
social : les acteurs n'ont pas tous le même pouvoir et ils essaient d'user de leurs pouvoirs respectifs pour
obtenir telle ou telle chose. Enfin, et bien sûr, le conflit social a toujours un enjeu – on peut gagner ou
perdre, quelque chose est disputé -, un objet. Cet objet a deux aspects : un aspect matériel, celui qui est
mis en avant, et un aspect plus symbolique (celui qui va “ gagner ” aura montré le pouvoir dont il disposait).
On le voit, le conflit social se situe entre les tensions, qui peuvent toujours exister entre les individus, et la
rupture : il suppose toujours qu'il y a une discussion possible dans le domaine concerné par le conflit, ce qui
n'est pas le cas dans la rupture. Les formes d'action changent au cours du temps, de la même façon que
change la façon dont la société s'organise pour résoudre les conflits.
Après avoir montré comment, depuis le 19ème siècle, les conflits sociaux ont été liés pour l'essentiel aux
transformations du travail et de l'emploi, nous nous interrogerons sur les nouvelles formes des conflits
sociaux aujourd'hui et nous emploierons le terme “ action collective ”. Quelle différence avec l'expression
“ conflits sociaux ” ? Dans l'action collective, des individus se regroupent pour agir, mais pas forcément pour
entrer en conflit directement avec un autre acteur collectif. Cela peut être pour promouvoir des idées, pour
revendiquer des changements très généraux, etc… Autrement dit, les relations d'interdépendance
hiérarchisées ne sont pas toujours présentes, en tout cas pas explicites. L'action collective intègre donc
les conflits sociaux mais englobe aussi d'autres formes d'action.
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Cours conforme au programme de Sciences économiques et sociales de la classe de terminale, série ES (arrêté du 30 Juillet 2002).
Nous allons d'abord nous demander comment, concrètement, les conflits sociaux se développent à partir de
la question du travail. Puis, à travers l'étude de la classe ouvrière, nous verrons comment les conflits
engendrent des classes sociales, c'est-à -dire comment le conflit agit sur la structure de la société.
Les conflits sociaux, on l'a dit plus haut, mettent en jeu des acteurs collectifs, des groupes. La mobilisation
de ces groupes ne va pas de soi : comment s'entendre sur les objectifs et les moyens d'action ? Qui
organise et dirige le conflit ? Nous nous interrogerons donc sur les difficultés de “ l'action collective ”. Enfin,
nous aborderons la question des syndicats et nous verrons le rôle complexe qu'ils jouent dans la gestion des
conflits sociaux.
1.1.1 - Les inégalités du monde du travail peuvent déboucher sur des conflits.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que les sociétés modernes, et a fortiori les entreprises, sont
traversées par des inégalités nombreuses qui, même si elles tendent à se réduire sur le long terme, restent
encore très importantes. Il y a là un premier motif de conflit dans le monde du travail. Analysons-le plus en
détail :
• Les inégalités suscitent le conflit quand elles ne sont pas acceptées. C'est ce que l'on a vu
dans la troisième section du chapitre précédent – vous pouvez vous y reporter. Les inégalités font
partie du fonctionnement de l'économie, mais on a vu qu'il est très difficile de leur trouver une
justification consensuelle. Il n'est donc pas étonnant que les avantages accordés à une personne ou
à un groupe entraînent la jalousie – ou les justes récriminations ! – de ceux qui en sont privés. Les
inégalités sont souvent l'enjeu des conflits sociaux : on se bat pour accroître la part des salaires
dans la valeur ajoutée au détriment des profits, ou pour améliorer sa rémunération par rapport aux
autres métiers de l'entreprise.
• Mais les inégalités ne suffisent pas à engendrer un conflit social, parce qu'elles peuvent
susciter une compétition entre les individus plutôt qu'entre les groupes. C'est une analyse
somme toute assez classique et assez simple. Si un individu n'est pas satisfait de sa situation
sociale, il peut l'améliorer de deux façons : soit en changeant de position dans la société en obtenant
une promotion individuelle, soit en agissant pour améliorer le sort de tous ceux qui ont la même
position sociale que lui – c'est-à -dire de son groupe social. Dans ce dernier cas, il y a effectivement
un conflit collectif. Mais dans le premier cas, il n'y a qu'une compétition entre individus pour parvenir
aux meilleures places offertes par l'entreprise ou la société. On ne peut pas parler à ce moment-là
de “ conflit social ”.
• La plus ou moins grande mobilité sociale entre les métiers joue aussi sur la capacité de
mobilisation. S'il existe une grande fluidité entre les positions dans l'entreprise, si l'on peut
facilement obtenir une promotion individuelle, alors un individu peut espérer améliorer sa situation
personnelle par son seul mérite, sans agir au profit de l'ensemble de son groupe social. Mais si la
mobilité sociale est faible, si les métiers restent fermés les uns aux autres, alors les revendications
personnelles passeront d'autant plus par une revendication collective. C'est en substance ce que l'on
a vu au chapitre 2 sur la crise du système fordiste : les OS, de plus en plus qualifiés, se sont révoltés
collectivement contre une organisation du travail qui ne leur laissait entrevoir aucune possibilité de
promotion, qui ne témoignait guère de considération pour leurs mérites professionnels.
Vous voyez donc pourquoi les inégalités ne sont pas à elles seules la cause des conflits sociaux. Ce
point-là est important, parce qu'il permet de dissiper un préjugé un peu simpliste qui associe les gros conflits
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aux grosses injustices. Or, ce n'est pas toujours – loin s'en faut ! – là où il y a les plus fortes inégalités qu'il y
a les conflits les plus durs. Par exemple, il y a plusieurs millions de mal logés en France mais on ne les voit
jamais protester.
1.1.2 - Ces inégalités et ces conflits finissent par constituer les individus en
groupes rivaux.
Nous avons abondamment montré dans le chapitre 2 que les différentes organisations du travail aboutissent
toujours à différencier et hiérarchiser les tâches dans l'entreprise, mais cette division horizontale et verticale
du travail est aussi une division des travailleurs, donc une source de conflits potentiels. Comment passe-t-on
de la division au conflit social ? Ce n'est pas si simple qu'on peut le croire. Le point essentiel est que la
division du travail peut renforcer la conscience d'appartenir à un groupe social.
• La division du travail entraîne la différenciation des travailleurs et donc l'émergence
d'identités professionnelles distinctes. Construire son identité professionnelle, c'est revendiquer
certaines appartenances, se reconnaître une certaine position dans le groupe et dans sa hiérarchie,
se sentir différent d'autres individus (n'appartenant pas au groupe, en général). L'identité
professionnelle, c'est aussi les valeurs partagées au sein du collectif de travail, au sein d'un métier.
Ces valeurs peuvent changer en fonction de ce que l'on fait dans l'entreprise (on peut penser à la
solidarité des mineurs face à la pénibilité et la dangerosité de leur métier), mais aussi en fonction de
ce que l'on est (la féminisation d'un métier peut en changer les valeurs).
• Les identités professionnelles deviennent facilement concurrentes dans l'entreprise. On veut
dire par là que les valeurs des groupes sociaux s'opposent sur toutes les questions qui concernent
l'entreprise, et au-delà la société – un peu comme une culture et une contre-culture, revoyez votre
cours de première. Le premier point d'opposition est bien sûr les inégalités de rémunérations.
Chaque groupe a une idée différente de la valeur des métiers, et donc des inégalités “ justes ” ou
“ injustes ” – faut-il par exemple payer plus ceux qui fabriquent le produit ou ceux qui le
commercialisent ? Mais l'opposition s'étend aussi à la façon de gérer l'entreprise : on l'a vu dans le
cas de la fermeture des usines LU dans le nord de la France, où la logique entrepreneuriale de
l'encadrement (recentrer l'activité du groupe sur les productions les plus rentables) s'opposait à la
logique des salariés (maintenir les sites aussi longtemps que possible pour sauvegarder les
emplois). L'affirmation d'une identité professionnelle fait donc non seulement apparaître un
groupe social, mais elle lui donne aussi un adversaire.
• L'organisation matérielle du travail est un autre déterminant de la construction de la
conscience du groupe. Si les individus sont dispersés et travaillent séparément, sans se
rencontrer, il leur sera très difficile de se coordonner pour agir. Marx expliquait ainsi au 19ème siècle
que les paysans français étaient trop dispersés géographiquement pour agir, bien qu'ils aient eu
matière à se révolter. Inversement, le regroupement des ouvriers dans les ateliers puis dans les
grandes usines, où l'on travaille ensemble, fait la pause ensemble, mange ensemble, où l'on se
rencontre en allant au travail et en repartant chez soi, a incontestablement favorisé l'organisation de
la classe ouvrière. Plus près de nous, la connexion des individus sur Internet a facilité la réussite du
mouvement des chercheurs, en permettant la circulation des informations, des mots d'ordre et des
pétitions.
Pour qu'il y ait un conflit du travail, il faut donc qu'il y ait un conflit d'intérêt, autour des inégalités dans
l'entreprise. Il faut aussi qu'il y ait des identités collectives fortement affirmées pour que le conflit prenne
une dimension sociale, et oppose des groupes les uns aux autres. Enfin, il faut que ces groupes se
mobilisent, c'est-à -dire que les individus qui les composent acceptent d'agir ensemble avec des objectifs
communs. Mais la relation entre conflit et identité professionnelle fonctionne également dans l'autre
sens. Ainsi, un conflit peut déboucher sur l'affirmation renouvelée et vivante d'une solidarité retrouvée, et
donc reconstituer un groupe social. Ainsi, le conflit des infirmières, au milieu des années 90, permit à celles-
ci d'affirmer et d'afficher une solidarité qui ne s'était jamais réellement exprimée jusque-là et de s'éprouver
elles-mêmes comme membres d'un collectif de travail.
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1.1.3 - Les conflits portés par ces groupes finissent par déborder du cadre du
travail proprement dit pour concerner l'ensemble de la société --> conflit social.
Dans les chapitres 2 et 3, vous avez trouvé de quoi percevoir et comprendre la réalité de l’opposition entre
les ouvriers d’une part (qui représentent le travail), les dirigeants d’entreprise, les cadres et les contremaîtres
d’autre part (qui représentent directement ou indirectement le capital, et donc les “capitalistes” ou bourgeois,
détenteurs des capitaux). Voyons maintenant comment cette opposition au sein de l’entreprise est devenue
une opposition à l’échelle de la société entière.
• L’opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur politique. Au début du 20ème siècle,
le clivage entre la gauche et la droite s’est progressivement confondu avec le clivage entre
travailleurs et capitalistes. Au fur et à mesure que les ouvriers devenaient numériquement plus
importants (au détriment notamment des agriculteurs, qui avaient une toute autre vision du monde),
le conflit politique s’est cristallisé sur la question de la propriété, la gauche, représentant les salariés,
voulant “nationaliser” le capital, c’est-à -dire exproprier les capitalistes pour qu’ils ne contrôlent plus
les entreprises, et donc pour résoudre le conflit social par la disparition d’un des adversaires !
Symétriquement, la droite défendait le droit de propriété comme principe, et donc le pouvoir des
actionnaires dans l’entreprise. Moins radicalement, l’enjeu politique entre la droite et la gauche était
aussi l’adoption de lois et de règlements qui limitaient le pouvoir des employeurs sur les salariés
(Semaine de 40h, Congés payés, Droit du travail, protection contre les licenciements, mais aussi
indemnisation du chômage).
• L’opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur culturelle. Chaque groupe a affirmé
ses valeurs, et son mode de vie. La “culture ouvrière” était nourrie de la fierté du métier :
essentiellement masculin, le travail ouvrier supposait souvent la force physique, des connaissances
et astuces, essentiellement pratiques, qui se transmettaient au sein de l’atelier. La “culture
bourgeoise” était ce qu’on appellerait aujourd’hui la culture savante, celle qu’on transmet à l’école et
à l’université (littérature, musique classique, sciences, beaux-arts, …). Les loisirs des deux groupes
n’étaient pas non plus les mêmes, d’ailleurs l’obtention d’un droit aux congés payés en 1936 avait
une valeur conflictuelle symbolique : jusque-là les vacances étaient l’apanage de la bourgeoisie.
• L’opposition entre ouvriers et bourgeois a engendré une véritable ségrégation sociale. Elle
était visible dans la structure des villes, où les "quartiers ouvriers” – généralement les banlieues où
la périphérie des villes – s’opposaient aux “beaux quartiers” – le centre-ville. Mais on la retrouvait
aussi à l’école, puisque les enfants des classes populaires et supérieures ne fréquentaient pas les
mêmes cursus scolaires. Il a fallu attendre 1975 et la création du collège unique pour que tous les
écoliers suivent la même scolarité obligatoire.
On voit donc que le conflit social, initialement circonscrit à l’entreprise, s’est étendu à toute la société, ce qui
justifie que l’on parle de classes sociales plutôt que de groupes sociaux, puisque les groupes ne
rassemblent plus seulement, par exemple, les ouvriers d’une entreprise, mais tous les ouvriers de la société.
De même, le conflit social mérite l’appellation de “lutte des classes” parce qu’il prend une valeur générale.
1.1.4 - L'analyse du conflit social peut alors être menée en termes de lutte des
classes.
Karl Marx philosophe allemand du 19ème siècle (mais aussi économiste, historien, sociologue) a été un des
premiers à s'intéresser aux conflits sociaux et à les analyser non pas comme le signe d'un dérèglement
social, mais comme la conséquence normale du fonctionnement des sociétés. Il a aussi lié les conflits
sociaux à l'organisation sociale du travail, ce qu'il appelle les “ rapports de production ”. Il est donc logique
de l'évoquer à ce moment du cours. Dans la société contemporaine, le conflit social - la “ lutte des classes ”
dans la terminologie marxiste - oppose les salariés et les capitalistes, propriétaires des entreprises. Le conflit
d'intérêt repose sur une injustice faite aux salariés par les capitalistes – “ l'exploitation ” – et dégénère en
conflit social quand les groupes s'érigent en classes sociales.
• L'analyse de l'exploitation capitaliste. Les capitalistes sont ceux qui possèdent les moyens de
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production (machines, bâtiments, terrains), tandis que les salariés, que Marx appelle les “ prolétaires
”, ne disposent que de leur force de travail. Or, dans la société industrielle, il n'est guère possible de
produire avec son seul travail. Pour vivre, les salariés sont donc obligés de louer leur travail aux
capitalistes, qui s'accaparent la valeur de la production en échange du versement d'un salaire. C'est
le régime du salariat. Marx pense que cette domination des salariés par les capitalistes permet à ces
derniers “ d'exploiter ” les salariés, c'est-à -dire de leur verser un salaire inférieur à la valeur de la
production et de garder la différence, le profit. Comment est-ce possible ? Les salariés ne sont pas
en mesure de réclamer la totalité de la valeur ajoutée produite parce qu'ils ne sont pas organisés, et
que l'employeur peut jouer de la concurrence entre eux. De plus, un volant perpétuel de chômage,
caractéristique des sociétés industrielles (Marx l'appelle “ l'armée de réserve ” capitaliste), attise la
concurrence entre les salariés : les exclus de l'emploi sont toujours prêts à accepter un salaire plus
faible pour retrouver un travail et échapper à la misère. L'existence du profit est donc pour Marx la
conséquence d'un rapport de force, et donc une injustice parce qu'il estime que seul le travail est
source de valeur – une autre façon de dire que la productivité du capital est nulle, aspect très
critiquable et très critiqué de la théorie marxiste.
• La constitution des groupes en classes sociales. Il ne suffit pas d'un conflit d'intérêt pour que l'on
puisse parler de conflit social, il faut encore que les individus partageant une même situation dans
les rapports de production, ici les salariés, aient conscience de leur similitude et s'unissent pour
revendiquer contre un ennemi commun. Ils constituent alors ce que Marx appelle une “ classe
sociale ”. Cette opération n'est pas spontanée, et les conditions de travail déterminent souvent la
capacité des individus à s'unir. Ainsi, Marx note que les petits paysans français du 19ème siècle,
quoiqu'ayant objectivement des intérêts communs, ne constituaient pas une classe sociale parce
que leur dispersion géographique et la concurrence entre eux sur les marchés ou dans
l'appropriation de la terre les empêchaient de s'unir. De même, les ouvriers dans le système
artisanal médiéval, qui étaient logés chez leur patron, étaient plus proches de celui-ci que des autres
ouvriers et n'avaient donc pas de conscience de classe. Mais le développement des grandes usines
au 19ème siècle, rassemblant de nombreux ouvriers soumis à un contrôle hiérarchique très strict,
leur a fait prendre conscience de leur identité professionnelle, et l'habitude de s'opposer aux
employeurs leur a révélé qu'il constituaient une classe sociale. Il leur restait alors à s'organiser en
syndicats, en partis politiques, pour structurer leurs actions revendicatives et défendre leurs intérêts.
De leur côté, les capitalistes procédaient de même, en se structurant en organisations patronales.
L'analyse marxiste théorise donc les conflits du travail comme source principale de conflictualité
dans la société. Mieux, les conflits du travail structurent la société en groupes adverses, organisent
l'identité professionnelle comme la vie politique. Cette vision de la société peut paraître pessimiste, mais
Marx souligne qu'il en est de même à toutes les époques : dans l'antiquité, les maîtres dominaient les
esclaves, et au moyen âge les seigneurs féodaux dominaient les paysans. Il en va de même chaque fois que
la production est organisée de telle sorte qu'un groupe exerce un pouvoir sur un autre.
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1.2.1 - Les mutations du travail ont réduit le poids des ouvriers, brouillé leur
identité professionnelle et diminué leur capacité de mobilisation.
Les transformations du travail et les mutations de la classe ouvrière remettent-elles en cause la division de la
société française en classes sociales antagonistes ? C'est ce que pensent certains sociologues, et nous
allons présenter leurs principaux arguments.
• La diminution de la part des ouvriers dans la population active. Le recensement de mars 1999
en France met en évidence la poursuite du mouvement amorcé dès le milieu des années 1970 : les
ouvriers étaient encore plus de 7 millions en 1982, ils étaient 6.5 millions environ en 1990 et 5.9
millions seulement en 1999. Cela représente une diminution de plus de 15% des effectifs ouvriers
entre 1982 et 1999, alors que, dans le même temps, la population active occupée augmentait.
Résultat : la part de la P.C.S. “ ouvriers ” dans la population active occupée a encore plus nettement
diminué que ses effectifs : elle est passée de 32.8% de la population active occupée en 1982 à
25.6% en 1999 (Insee, recensements de la population), soit une diminution de 22% environ.
Aujourd'hui, la part des ouvriers dans la population active est inférieure à celle des employés.
• La transformation de la nature du travail des ouvriers : la première grande transformation est
que les ouvriers travaillent de plus en plus souvent dans les services, comme les chauffeurs routiers,
par exemple. Ainsi, en 2001, il y a plus d'ouvriers travaillant dans le tertiaire que d'ouvriers
travaillant dans le secondaire (attention, si ce résultat vous étonne parce que vous pensiez que
les ouvriers travaillaient forcément dans le secteur secondaire, cela signifie qu'il faut que vous
revoyiez comment on répartit les actifs occupés dans les trois secteurs d'activité) en France. Ces
ouvriers sont en particulier des ouvriers d'entretien et de maintenance. “ La classe ouvrière est
désormais disséminée dans les rouages de la société de services et non plus soudée au cœur du
système industriel ” (E. Maurin, Sciences humaines n°136, mars 2003). Même dans le secteur
secondaire, les ouvriers font beaucoup moins souvent qu'avant des tâches de production au sens
strict car celles-ci sont de plus en plus automatisées. On a donc un développement des tâches de tri,
d'emballage et de manutention en général d'un côté, et un développement des tâches de
surveillance, contrôle et réglage des machines automatisées d'un autre côté. La deuxième
transformation touche la qualification des ouvriers : la qualification personnelle des ouvriers s'est
plutôt élevée (il y a davantage de diplômes professionnels) mais ils exercent souvent un emploi dont
la qualification est inférieure à celle qu'ils possèdent (31% des salariés embauchés pour un emploi
ne nécessitant pas officiellement de qualification sont titulaires d'un CAP ou d'un BEP). Le nombre
des emplois d'ouvriers non qualifiés avait beaucoup diminué entre 1982 et 1994 mais il a
réaugmenté entre 1994 et 2001. Au total, la part des emplois d'ouvriers qualifiés dans l'ensemble
des emplois ouvriers progresse cependant.
• Taille des entreprises et du collectif de travail : parce que la nature du travail a changé, la taille
des entreprises dans lesquelles travaillent les ouvriers a beaucoup diminué. Cela s'explique d'une
part par l'automatisation des tâches de production proprement dites : certaines usines sont
aujourd'hui quasi “ désertes ”, d'autre part par le fait que les ouvriers travaillent de plus en plus
souvent dans des entreprises du tertiaire qui sont traditionnellement, en moyenne, de taille inférieure
à celle des entreprises industrielles. Le cadre de travail des ouvriers a donc été bouleversé : les
grands rassemblements ouvriers à l'ouverture des grilles de l'usine ne font bien souvent plus partie
de l'expérience vécue par les ouvriers. Mais le fait que la taille de l'entreprise diminue ne signifie pas
que les ouvriers seront plus proches du patron : en règle générale, ces petites entreprises
appartiennent à de grands groupes industriels et financiers et le pouvoir est en général bien loin du
lieu de production.
• Les transformations récentes du travail et de l'emploi (précarisation du travail, suppression de
certains emplois non qualifiés, par exemple d'ouvriers, individualisation de la carrière des salariés,
etc…) agissent aussi sur l'identité professionnelle : les frontières de l'emploi sont plus floues, les
métiers se transforment, les horaires sont “ à la carte ”, l'individu semble triompher et les collectifs
de travail semblent moins englobants, moins contraignants pour les individus, mais aussi moins
protecteurs. L'identité professionnelle semble donc moins “ imposée ” à l'individu qui doit bien
davantage trouver ses repères seul pour la construire. Dans ces conditions, on voit bien que la
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mobilisation en vue d'un conflit sera sans doute plus difficile à obtenir.
• La culture ouvrière recule avec la transformation du travail ouvrier. La précarisation du travail
et l'expérience du chômage (qui touche proportionnellement plus les ouvriers que les autres P.C.S.)
dévalorisent le travail ouvrier, tandis que le changement de la nature du travail ouvrier (moins
directement en contact avec la matière et la production) attaquent directement sa spécificité. De
même, les conditions de vie des ouvriers se sont transformées, semblant rejoindre celles d'une vaste
“ classe moyenne ” : d'une part, les revenus, et donc la consommation, se sont élevés rapidement
durant les années 1960 et 1970, permettant aux ouvriers d'accéder aux biens de consommation
durables comme la télévision, la machine à laver ou l'automobile ; d'autre part, les modes de vie des
ménages ouvriers se sont également transformés par le développement du travail des femmes
d'ouvriers, l'allongement de la durée de scolarisation des enfants d'ouvriers et le développement de
l'accession à la propriété grâce au crédit. Au final, les conditions de vie semblent s'égaliser avec
celles d'autres groupes sociaux et les éléments qui contribuent à forger et à transmettre la culture
ouvrière semblent peu à peu disparaître.
1.2.2 - Cependant, si l'influence politique et sociale des ouvriers est moins nette,
les raisons du conflit avec les classes supérieures restent fortes.
Il faut nuancer le diagnostic d'une disparition de la classe ouvrière, parce qu'il ne s'agit pas d'une disparition
des ouvriers, mais de la perte de leur statut de classe sociale, c'est-à -dire de la capacité à transposer leur
conflit à l'échelle de la société tout entière. De plus, les sources du conflit social, les inégalités, la faible
mobilité sociale, perdurent toujours et même parfois s'aggravent.
• Le poids numérique des ouvriers dans la population française reste important malgré leur
relatif déclin. Le groupe social des ouvriers disparaîtrait, faute de combattants en quelque sorte ?
Ce n'est pas si évident que cela. En effet, aujourd'hui, près d'un tiers des pères de famille sont
ouvriers et 40% des enfants sont élevés dans un ménage où un des deux adultes au moins est
ouvrier. Ce sont des proportions élevées qui montrent que la transmission de la culture ouvrière
reste toujours possible, au moins en partie. D'autre part, il semble bien que la diminution des effectifs
ouvriers soit stoppée depuis deux ou trois ans.
• La faible mobilité sociale enferme encore la classe ouvrière sur elle-même et la coupe des
classes supérieures. Louis Chauvel a montré à quel point depuis 20 ans, la mobilité sociale nette
est faible : les chances de monter dans la hiérarchie sociale, si l'on enlève les effets des
transformations de l'emploi, sont très faibles, et cela malgré la scolarisation allongée des enfants,
ceux des ouvriers en particulier. Aujourd'hui, on observe de plus en plus fréquemment des enfants
qui ont fait des études bien plus longues que celles de leurs parents et qui, pourtant, intègrent le
marché du travail, d'une part bien plus difficilement, d'autre part à un niveau équivalent, voire moins
élevé. Résultat de cette faible mobilité ascendante : l'écart social entre les groupes sociaux a
recommencé à s'accroître. Et ce d'autant plus que, on l'a vu dans le chapitre précédent, l'accès à
l'enseignement supérieur est encore très inégal selon l'origine sociale, au détriment des enfants
d'ouvriers.
• Enfin, les inégalités, y compris matérielles, demeurent importantes. On en a déjà parlé dans le
chapitre précédent mais on peut en reparler ici sous l'angle des classes sociales. Certes les ouvriers
ont accédé dans leur majorité à la consommation de masse, mais la distinction se porte sur de
nouveaux biens et surtout sur les services : les taux de départ en vacances restent très inégaux (et il
ne s'agit pas des mêmes vacances quand il y a départ), l'accès à Internet reste socialement très
inégalement réparti, les cadres ont largement développé leurs consommation de services à domicile
(femmes de ménage, garde d'enfants, …), l'habitat reste spatialement très différencié, etc.
Conclusion : les ouvriers constituent plus certainement un groupe social qu'une classe sociale au sens
marxiste du terme.
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Cours conforme au programme de Sciences économiques et sociales de la classe de terminale, série ES (arrêté du 30 Juillet 2002).
1.3.1 - Si les syndicats ont favorisé l'émergence de conflits sociaux par leur
capacité d'organisation, ils ont également permis de les régler plus facilement
par l'institutionnalisation (des conflits et des organisations).
Voyons concrètement comment le développement des syndicats peut permettre le développement des
conflits sociaux dans les entreprises, et plus généralement au niveau de la société tout entière.
• Les syndicats rassemblent les moyens matériels et humains de l'action collective. L'action
collective coûte cher, et les syndicats sont d'abord un moyen de la financer. Ils collectent des
cotisations, reçoivent parfois des dons ou des subventions publiques, qui permettent de faire face
aux dépenses nécessaires à la mobilisation des salariés (presse syndicale, tracts, locaux et moyens
de communication, transports des militants, caisse de solidarité pour compenser les pertes de
salaires en cas de grève, …). Mais ces moyens permettent surtout de payer des permanents, c'est-à
-dire des personnes qui travaillent à temps plein pour le syndicat, assurent des permanences pour
informer ou aider les salariés, gèrent les aspects matériels de la vie syndicale, négocient avec les
employeurs. Les permanents et plus généralement les militants syndicaux assurent la coordination
et donc l'efficacité de la revendication. En effet, si on veut par exemple lancer une grève pour faire
pression sur l'employeur, il vaut mieux que tout le monde cesse le travail en même temps pour que
la démonstration de force soit plus convaincante : c'est le rôle des syndicalistes de coordonner les
actions individuelles de revendication. Et si on veut que la grève soit un succès, il faut aussi informer
les salariés à l'avance et essayer de les convaincre de participer, et là encore, les syndicats
fournissent un travail essentiel pour le développement de mouvements sociaux.
• Les syndicats sont un cadre institutionnel qui permet de faire émerger des décisions
collectives et de mener des négociations pour sortir des conflits. Enfin, pour mener une action
collective, il faut s'entendre sur les buts de l'action (que réclame-t-on ?), sur les moyens à mettre en
œuvre (grève, ponctuelle ou générale, manifestation, pétition, …). Pour prendre de telles décisions,
il faut un cadre institutionnel démocratique précis qui offre aux individus les moyens de s'exprimer,
de désigner des représentants, et pour ces représentants, il faut des instances de réunion et de
décision pour aboutir à des choix collectifs représentatifs de ce que souhaitent les adhérents. Pour
mettre un terme au conflit, il faut pouvoir discuter avec un “ interlocuteur ” représentatif, ne serait-ce
que pour savoir quelles sont les revendications de ceux qui protestent ! Il faut aussi pouvoir discuter
pour chercher d'éventuelles solutions de compromis, ou de conciliation des points de vue. Les
syndicats sont aussi nécessaires pour organiser une négociation permanente qui prévienne les
conflits. Avant de prendre une décision, la consultation des syndicats permet de repérer ce qui peut
éventuellement poser problème et susciter le conflit. On peut alors négocier les solutions a priori, et
ainsi faire l'économie d'une grève, par exemple.
• Les syndicats permettent de maintenir le conflit social dans des formes socialement
acceptables. Dès lors que l'on rentre dans un conflit social, la question des méthodes de
revendications se pose. Elle est importante parce que des “ dérapages ” sont toujours préjudiciables
à la cause que l'on défend. Si, par exemple, lors d'une manifestation, des violences ou des
dégradations sont commises par les manifestants, ils auront plus de mal à rallier l'opinion publique.
Les syndicats font ainsi fonction de “ service d'ordre ”, pour maintenir la revendication dans certaines
limites.
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Les conflits antérieurs et les négociations successives ont amené les employeurs et les syndicats, et
souvent l'Etat, à s'entendre pour édicter des règles qui régissent les situations de conflits
potentiels . Ainsi, le droit du travail encadre les licenciements, en précisant quand un employeur peut
licencier et quelles compensations il doit éventuellement apporter. Cela permet d'éviter d'une part une
utilisation arbitraire, voire répressive, du licenciement, mais aussi de le rendre moins contestable par les
salariés. De même, les “ grilles de rémunération ”, qui prévoient quels salaires peuvent être versés en
fonction du métier ou de l'ancienneté, permettent d'éviter que les promotions soient un sujet de conflit entre
l'employeur et les salariés. L'émergence d'un droit du travail a aussi comme conséquence de faire rentrer le
juge dans l'entreprise. Le recours à la justice est en effet un moyen de faire arbitrer les litiges par les
tribunaux sans passer par le conflit social. De ce point de vue, les entreprises ressemblent de plus en plus à
la société, qui se civilise en remettant la charge de la résolution des conflits à une institution judiciaire
indépendante.
L'existence de syndicats facilite donc grandement l'action collective. En ce sens, le syndicalisme peut
être considéré comme un facteur de conflictualité sociale. C'est d'ailleurs en partie pour cette raison que les
grèves en France sont plus importantes dans le secteur public que dans le secteur privé : les syndicats y
sont encore relativement puissants et bien implantés. C'est pour cela aussi que les chefs d'entreprise sont
souvent réticents face à l'implantation de syndicats !
Le paradoxe n'est qu'apparent : les syndicats augmentent l'efficacité de la mobilisation collective et donc
favorisent les conflits sociaux, mais en même temps, ils permettent de “ piloter ” ces conflits et donc de
les rendre moins radicaux et de leur trouver une conclusion. Le syndicalisme rend en quelque sorte les
conflits sociaux plus efficaces, mais plus raisonnables.
1.3.2 - Mais, d'une part, les mutations du travail affaiblissent dans une certaine
mesure les syndicats.
Ce phénomène de la désyndicalisation est important à analyser, parce qu'il permet de comprendre
pourquoi il est nécessaire que les groupes sociaux soient organisés. Cela permet aussi de comprendre que
la “ mécanique ” du conflit social est parfois aussi essentielle que le fond de la discorde. Nous verrons dans
un premier temps la réalité de la désyndicalisation, puis quelques éléments d'explication et enfin les
conséquences sur les conflits sociaux.
• La désyndicalisation est un phénomène général dans les pays industrialisés. Le nombre de
conflits, mesuré par le nombre de journées de travail perdues du fait des grèves, a
considérablement diminué en France depuis 20 ans : entre 3 et 4 millions de journées perdues
par an pour fait de grève à la fin des années 1970, moins d'un million en général depuis 1985.
[faites l'activité située en bas de ce paragraphe !] Cette diminution peut étonner : on a parfois
l'impression, à tort, que les grèves sont plus nombreuses que jamais. En fait, elles ont beaucoup
plus diminué dans le secteur privé que dans le secteur public, où les grèves se “ voient ” plus car
elles touchent souvent des services publics. Mais le secteur public emploie moins de travailleurs que
le secteur privé. Le taux de syndicalisation (part des syndiqués dans la population active occupée) a
beaucoup décru depuis 30 ans. Aujourd'hui, en France, on estime que 8% environ des travailleurs
sont syndiqués (près de 40% l'étaient en 1950). Le taux de syndicalisation reste bien plus élevé
dans le secteur public que dans le secteur privé (où il est d'environ 3.5%), dans les grandes
entreprises que dans les petites, même s'il a diminué partout. La diminution de l'influence des
syndicats se voit aussi au fait que certains conflits, parmi les plus durs de ces dernières années,
démarrent en dehors des syndicats, comme nous le verrons plus loin.
• Premier élément d'explication de la désyndicalisation : la montée du chômage. C'est une
explication conjoncturelle : la montée du chômage peut expliquer que les salariés, craignant pour
leur emploi, renoncent à se mettre en grève ou à entamer un conflit avec leur employeur. Dans ce
cas, on peut penser que si la croissance repartait et si le chômage diminuait sensiblement et
durablement, le nombre des conflits pourrait repartir à la hausse.
• Deuxième élément d'explication de la désyndicalisation : les transformations du travail. Il
s'agit cette fois d'une explication structurelle à la désyndicalisation. La transformation de la
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structure des emplois joue en défaveur de la syndicalisation. En effet, le nombre d'emplois ouvriers,
et plus généralement dans les industries, a considérablement diminué depuis 1975, comme nous
l'avons vu. Or, le syndicalisme a une bonne part de ses racines dans le mouvement ouvrier. De plus,
le travail dans les usines s'est transformé, les horaires se sont flexibilisés, et les syndicats ont plus
de mal à entrer en contact avec l'ensemble des salariés. L'éclatement du collectif de travail fait que
tous les gens qui travaillent au même endroit n'ont pas forcément le même employeur (c'est le cas
quand il y a des travailleurs intérimaires) ce qui rend plus difficile la mobilisation. Et le
développement des firmes multinationales, qui éloigne encore les travailleurs de la direction réelle
de l'entreprise, rend plus difficile l'identification et l'atteinte du groupe avec lequel on peut rentrer en
conflit. Enfin, les emplois du tertiaire, qui se sont beaucoup développés, sont situés dans des
entreprises de taille inférieure à celle des entreprises industrielles. Or le syndicalisme se développe
plus facilement dans les grandes entreprises que dans les petites. Et la féminisation qui a
accompagné cette tertiairisation joue aussi en défaveur des syndicats car les femmes sont, en
moyenne, moins syndiquées que les hommes.
• Troisième élément d'explication : l'institutionnalisation des syndicats. Ce qu'on appelle
l'institutionnalisation, c'est le fait que les syndicats sont reconnus par les employeurs comme des
interlocuteurs légitimes et incontournables. C'est aussi le fait que le nombre de permanents, c'est-à -
dire de personnes qui travaillent à plein temps pour le syndicat, augmente. Cette évolution peut
couper les syndicats de leurs adhérents. Ceux-ci ne se sentent plus représentés réellement par les
permanents syndicaux qui négocient avec les organisations patronales. Les syndicats apparaissent
alors comme des organisations bureaucratiques dans lesquelles les adhérents ne se reconnaissent
plus, d'où la diminution du nombre d'adhésions. Il en résulte que les syndicats encadrent moins
qu'avant les conflits. Ce ne sont pas toujours eux qui appellent à la grève (certains conflits se
déclenchent “ à la base ”, sans appel des syndicats). Leur place est prise par des “ coordinations ”.
De quoi s'agit-il ? Les grévistes élisent des représentants, indépendamment de leur appartenance
syndicale, qui vont aller négocier avec la direction (alors que c'est le rôle traditionnellement dévolu
aux syndicats) et qui viennent rendre compte devant la “ base ” de l'évolution des négociations.
Dans le courant des années 90, on a vu par exemple le conflit des infirmières ou celui des
chauffeurs routiers être géré de la sorte. On peut lire ici une méfiance vis-à -vis des syndicats,
considérés comme des institutions coupées de la base des travailleurs.
1.3.3 - Et, d'autre part, la montée de l'individualisme, par certains aspects, peut
remettre en cause l'action collective.
Pour expliquer pourquoi un conflit social éclate ou pas, on peut d'abord se demander ce que les individus
ont à y gagner. On pourrait de prime abord penser qu'ils ont forcément intérêt à participer au conflit
puisqu'ils pourront de cette façon défendre ou améliorer leur situation. Mais l'analyse se complique dès lors
qu'on intègre les coûts que représente un conflit social pour les individus : par exemple, les journées de
salaires perdues lors d'une grève, le fait que l'employeur donnera sans doute moins de promotion à un
salarié peu accommodant, etc. Cela permet de comprendre les aléas de la mobilisation sociale :
• Les individus se comportent en “ passagers clandestins ” et renoncent au conflit social. Si
les gains tirés d'un conflit (par exemple, une hausse des salaires) profitent à tous (y compris à ceux
qui n'ont pas participé au conflit), les coûts de l'action ne reposent que sur ceux qui l'auront
entreprise (les grévistes, par exemple). Dès lors, il est rationnel pour un individu de ne pas participer
au conflit, même s'il a intérêt à ce que celui-ci réussisse. En effet, s'il s'abstient d'y participer, il évite
le coût lié au conflit mais en retire les bénéfices quand les autres auront fait aboutir la revendication.
Mais comme tout le monde fait le même calcul, personne ne s'engagera dans le conflit parce que
chacun espérera profiter de l'action des autres. Dans ce cas, il y a bien peu de chances qu'un conflit
social éclate.
• Mais alors, pourquoi y a-t-il quand même des conflits ? Pour rester dans la même grille
d'analyse, si des individus participent à un conflit, c'est qu'ils tirent un avantage direct de cette
participation, indépendamment du résultat du conflit. Il peut s'agir bien sûr d'avantages symboliques
(notoriété, reconnaissance des autres, amélioration de l'estime de soi, nouvelles solidarités, etc…).
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Ainsi, par exemple, les mouvements qui se rattachent à la mouvance altermondialiste tissent-ils très
souvent des réseaux d'échanges personnels (produits bio, échanges de services, formations
réciproques, etc…), intéressants à la fois sur le plan matériel et sur le plan des relations sociales.
1.3.4 - Cet affaiblissement des syndicats n'est cependant pas sans risque et il
n'est peut-être que transitoire.
La désyndicalisation peut entraîner une augmentation et surtout une radicalisation des conflits
sociaux. C'est au fond facile à comprendre, puisque l'on a dit plus haut quel rôle pouvaient jouer les
syndicats dans la prévention et la régulation des conflits. Sans présence syndicale, difficile d'organiser une
consultation ou une négociation, difficile de savoir sur quoi céder pour mettre fin à une grève.
2.1.1 - On parle de "nouveaux" mouvements sociaux car ils sont menés par des
groupes définis hors de l'entreprise, sur des thèmes pas forcément liés au travail,
et avec des formes d'action nouvelles.
Les NMS vont mettre en scène de nouveaux acteurs, porter sur de nouveaux enjeux, et utiliser de nouvelles
formes d’action et de revendication.
• Les NMS mettent en scène de nouveaux acteurs : les “ travailleurs ” ne sont plus les seuls à
manifester leur mécontentement. On voit aujourd’hui, les étudiants, les chômeurs, les opposants à
l’installation d’une décharge nucléaire, les femmes, les Corses ou les homosexuels, par exemple,
manifester leur mécontentement. Autrement dit, des acteurs, qui peuvent être par ailleurs des
travailleurs, ont fait irruption sur la scène des conflits au nom d’intérêts non exclusivement matériels,
post-matérialistes comme le dit A.Touraine. Ces nouveaux acteurs se réunissent sur la base d’un
rejet commun d’une situation qu’ils jugent préjudiciable soit à leurs propres intérêts, soit aux intérêts
des générations futures (cas des écologistes, par exemple).
• Les NMS portent sur de nouveaux objets de conflits, qui révèlent des valeurs nouvelles. Ces
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nouveaux mouvements sociaux vont avoir pour objet, par exemple, la défense de l’environnement, la
réalisation de l’égalité entre hommes et femmes, la défense des consommateurs. Derrière ces
objets, apparaissent des valeurs altruistes : c’est au nom d’une certaine idée de l’intérêt collectif,
en particulier à long terme, que les militants se mobilisent, mais c’est aussi au nom de la défense
des minorités (les noirs, les homosexuels, …) ou de la défense des droits (mouvements des sans
papier, des sans logement, des sans …). Les plus grandes manifestations de ces dernières années
ont concerné la défense de l’école privée (en 1985), au nom des valeurs religieuses, et la défense
du service public (en 1995). Par l’affirmation de ces valeurs nouvelles, le groupe cherche parfois à
obtenir la reconnaissance d’une identité particulière (pensez aux revendications régionalistes, par
exemple).
• Les NMS utilisent des formes d’action nouvelles : dans ces nouveaux conflits, la grève
traditionnelle n’est pas toujours possible. L’expression prendra donc des formes différentes : boycott
de certains produits, marches de protestation, barrages routiers, occupations de locaux, destructions
matérielles, grèves de la faim, sit-in, pétitions, etc… Le registre est varié, mais vise souvent à
occuper l’espace public de manière à être visible et en particulier d’être médiatisé. Ces actions sont
destinées à faire pression sur les autorités politiques, seules habilitées à transformer les règles, et à
prendre à témoin le plus de citoyens possible. On peut aussi dire que la plupart de ces nouveaux
mouvements sociaux sont marqués par une méfiance vis-à -vis des organisations traditionnelles
(syndicats, partis politiques, par exemple) et de leurs méthodes, souvent dénoncées comme
centralisatrices et sclérosantes pour la spontanéité et l’initiative individuelles.
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notre société.
2.2.1 - Les NMS sont plus adaptés à nos sociétés individualistes, mondialisées, où
la place du travail se réduit.
Plusieurs éléments peuvent expliquer la montée des NMS et le recul relatif des formes traditionnelles de
conflit social.
• La montée de l’individualisme contribue à ce que les individus se mobilisent de plus en plus
dans une démarche personnelle. Cela ne signifie pas qu’ils défendent uniquement leur intérêt
particulier, mais qu’ils n’agissent pas uniquement en fonction de l’intérêt de leur groupe social. Le
droit du travail encadre aujourd’hui assez strictement les relations professionnelles, ce qui rend
moins nécessaire la défense collective des droits professionnels. De plus, l’expression de l’identité
se fait plus souvent hors du travail. Chacun souhaite construire son identité propre et revendique
qu’elle soit reconnue et prise en compte dans l’espace public, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Ainsi, l’homosexualité a toujours existé mais le fait de vouloir que l’homosexualité soit reconnue
comme une composante “ officielle ”, publique, de l’identité des individus est nouveau.
• La mondialisation des échanges et des firmes peut aussi expliquer en partie l’émergence des
NMS. D’abord parce que la mondialisation génère des conflits particuliers (remise en cause de la
stratégie des firmes, par exemple par rapport aux pays pauvres), mais aussi parce que le cadre
national paraît parfois mal adapté pour revendiquer : ainsi la lutte contre les OGM ou, de manière
plus générale, la lutte pour la protection de l’environnement, dépasse forcément le cadre national.
• La place du travail dans la société se réduit et donc la solidarité se construit aussi en dehors
des relations au travail. Le temps de travail se réduit, tant au niveau de la semaine que de la vie
entière. En conséquence, puisque les individus vivent de plus en plus en dehors du lieu de travail, ils
construisent aussi de plus en plus de lien social sur d’autres bases que le travail. En effet, la
solidarité, si elle naît moins qu’avant des rapports du travail, doit bien être construite quelque part,
car une société, des individus, ne sauraient vivre sans elle. Les individus vont de plus en plus choisir
avec qui ils vont construire ces liens sociaux : voisinage, associations, etc. Ceux-ci seront donc
davantage choisis que subis. C’est ainsi que l’on peut expliquer la vitalité de la vie associative. Les
associations n’ont jamais été aussi nombreuses que ces dernières années en France, et même si on
doit relativiser les chiffres (car ils contiennent les clubs sportifs qui connaissent un fort
développement), ceux-ci sont significatifs d’une nouvelle forme de lien social.
2.2.2 - Mais les NMS ne sont pas si "nouveaux" que ça, et ils se mêlent en fait
aux conflits traditionnels.
Il serait dangereux de croire que les conflits sociaux avant 1968 étaient tous des conflits du travail
traditionnels dans leurs formes et circonscrits aux entreprises. On a vu plus haut que les conflits traditionnels
“ débordaient ” de l’entreprise et influençaient la société tout entière. De même, les NMS influencent aussi
les conflits du travail qui se renouvellent. C’est en fait une modification en profondeur de la conflictualité
sociale à laquelle on assiste.
• Il y a toujours eu des mouvements sociaux sans liens avec le travail. On peut se rappeler que
des mouvements interclassistes pour obtenir certains droits ou au contraire pour supprimer certaines
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inégalités existent depuis longtemps : on peut penser aux mouvements pour l’abolition de
l’esclavage ou de la peine de mort, au mouvement des suffragettes en Angleterre (début du 20ème
siècle) pour obtenir le droit de vote des femmes, par exemple.
• Ces N.M.S., un peu à l’image du mouvement des travailleurs, sont peu à peu reconnus
institutionnellement (vous pouvez penser, par exemple, à la création d’un ministère de
l’environnement). Ainsi, de plus en plus souvent, même au niveau international, dans les
manifestations “ officielles ”, une place est donnée à la tribune aux altermondialistes. Ou encore, la
reconnaissance officielle de certains groupes régionalistes, visible au fait que le gouvernement
négocie des accords avec eux (en dehors de toute représentativité politique, d’ailleurs). Autrement
dit, on peut penser que par certains côtés, ces mouvements s’institutionnalisent, comme l’ont fait les
syndicats de travailleurs dans leur temps.
• Les conflits du travail reprennent certains aspects des NMS. En effet, on observe ces dernières
années un renouveau des conflits du travail, en particulier lié à la fermeture ou à la réorganisation
d’entreprises. Et un nouveau syndicat, Sud, plus proche de ses adhérents et avec des formes
d’action moins traditionnelles, se développe dans plusieurs secteurs de l’activité. Cela montre que
finalement, il y a peut-être une certaine convergence de ces différentes formes de conflit. Et
l’opposition conflits traditionnels du travail / nouveaux mouvements sociaux est peut-être moins
pertinente qu’elle pouvait apparaître dans un premier temps.
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: celles-ci, grâce à leur pouvoir économique, imposent des décisions qui devraient relever, aux dires
des altermondialistes, du domaine politique et du débat démocratique.
• Par quelles méthodes d’action ? Celles-ci sont aussi variées que les revendications. Elles visent
toujours à rendre les actions visibles, en particulier au niveau des médias, de manière à informer le
plus de monde possible.Notons qu’Internet joue un rôle de plus en plus important dans le domaine
de la popularisation de ces luttes (diffusion de l’information sur de très nombreux sites, mais aussi
actions collectives via le net : signature de pétitions, blocage des sites officiels, etc.). On voit en tout
cas ici clairement l’influence des NMS dans le renouvellement et la diversification des formes de
revendications.
• Ce mouvement altermondialiste a-t-il créé du changement social ? La réponse est évidemment
positive : par exemple, les firmes transnationales ont dû prendre en compte les critiques sur le travail
des enfants (certaines ont même réussi à en faire un argument de vente dans leur publicité) et pour
les enfants en question et leurs familles, cela change évidemment quelque chose. Le mouvement
altermondialiste a également créé des solidarités transnationales, si l’on peut dire, et c’est aussi très
nouveau, les mouvements sociaux traditionnels se limitant pratiquement toujours au cadre national.
2.3.2 - Les NMS font émerger de nouvelles valeurs et de nouvelles normes, voire
des modèles culturels alternatifs.
Comment dénonce-t-on une inégalité ? Comment la fait-on passer pour une injustice ? Toujours en faisant
référence à des valeurs. Par exemple, le féminisme fait référence explicitement à l’égalité pour dénoncer le
sexisme de la société. S’il y a conflit, c’est que la ou les valeurs mises en avant ne sont pas partagées par la
société ou entrent en contradiction avec une autre valeur de la société. Les NMS sont donc l’occasion d’une
transformation culturelle de la société, parce qu’ils bousculent et renouvellent son système de normes et de
valeurs.
Pour reprendre encore l’exemple du féminisme, on a bien vu dans le débat autour de la loi sur la parité en
politique que deux valeurs s’opposaient : l’égalité entre les sexes et l’universalisme politique (c’est-à -dire le
fait qu’un citoyen français ne se définit pas par son sexe, son origine ethnique, ou ses croyances
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religieuses). De même, dans le cas du PACS, on a assisté à un conflit entre la revendication d’une
reconnaissance des couples homosexuels au nom de l’égalité (et aussi de l’universalisme dont on vient de
parler), et une vision plus traditionnelle (ce qui ne veut pas dire mauvaise !) de la famille, le débat étant
focalisé sur l’homoparentalité.
Conclusion
En conclusion de ce chapitre, il faut rappeler que les conflits, qu'ils soient du travail ou pas, sont un
passage obligé pour le changement social, on l'a largement montré dans ce chapitre. Il serait donc
complètement utopique de vouloir qu'il n'y en ait pas. On revient à ce que l'on disait dès l'introduction : les
conflits ont un côté très positif. Mais on veut souligner ici que les conflits ne sont pas forcément
révolutionnaires, ils peuvent être aussi conservateurs :
• Il y a des conflits conservateurs, c'est-à -dire qui visent à empêcher le changement de se
produire. Les exemples ne sont pas difficiles à trouver, qu'ils soient historiques (exemple du
mouvement des luddistes, c'est-à -dire des travailleurs qui s'opposaient au 19ème siècle à la mise
en place de machines parce qu'elles prenaient, disaient-ils, la place des travailleurs) ou
contemporains. Parmi ces conflits, il y en a que l'on peut qualifier de corporatistes quand ils visent à
défendre les intérêts d'un petit groupe, une profession par exemple, contre l'intérêt de la majorité. La
plupart du temps, les conflits naissent non pas du changement lui-même, mais de ses
conséquences sur une partie des travailleurs. Refusant ces changements, ces travailleurs se
mobilisent pour essayer de les empêcher.
• Il y a d'autres conflits qui visent à imposer des changements : si l'on pense à la grève générale
qui s'est produite en France en mai 1968, on a un mouvement qui ne vise pas d'abord une
amélioration des salaires. Ce que revendiquent essentiellement les travailleurs, c'est une “ autre
vie ”, c'est-à -dire une diminution du temps de travail et une autre qualité de vie au travail (davantage
de responsabilité, etc…). Le souhait était que la vie ne se résume pas au “ métro, boulot, dodo ”
traditionnel. Même si le conflit de mai 1968 s'est résolu essentiellement dans des hausses de
salaires, c'était l'amorce de changements très importants dans les revendications des salariés et
dans l'organisation du travail à l'intérieur des entreprises.
• Enfin, il est parfois difficile de déterminer si un conflit précis est plutôt porteur de
changements ou plutôt conservateur. Il peut apparaître simplement comme revendiquant une
amélioration des salaires, par exemple. Mais ses conséquences à long terme peuvent être une
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transformation des conditions de travail pas forcément désirée par les travailleurs : ainsi, si la
hausse des salaires impose un partage de la valeur ajoutée davantage en faveur des salariés, le
patron va essayer de mettre en œuvre une transformation de l'organisation de la production qui va
lui permettre d'économiser du travail et d'augmenter la productivité (production en flux tendus, par
exemple). Autrement dit, les changements engendrés par les conflits ne sont pas forcément
consciemment souhaités par les acteurs.
• De la même manière, la sphère du travail et la sphère “ hors travail ” si l'on peut dire, ne sont
pas étanches. Ainsi un changement dans les entreprises, par exemple le passage aux 35 heures,
pourrait générer des changements sociaux importants dans le partage des tâches entre hommes et
femmes. Mais le changement social peut aussi générer des conflits à l'intérieur de l'entreprise. Par
exemple, dans les années 50 et 60, la scolarisation s'est beaucoup développée en France. Les
jeunes arrivant sur le marché du travail, même sans beaucoup de diplômes, avaient tous été
scolarisés au moins huit ans et souvent plus. Leur compréhension de ce qui se passait dans
l'entreprise, leurs connaissances générales, les ont amenés à refuser de plus en plus souvent le
type de relations qui existaient souvent dans les ateliers alors (relations très hiérarchisées où
l'ouvrier n'avait rien à dire). Cela a débouché sur de nombreux conflits mettant en cause en
particulier l'encadrement le plus proche (les contremaîtres, par exemple, pour les ateliers), “ les
petits chefs ”, comme on disait à l'époque. Il faut donc aussi que l'organisation du travail s'adapte au
changement social. Cela prend souvent du temps et cela débouche sur des résistances, donc des
conflits.
Finalement, on voit que les conflits et le changement social interagissent les uns sur les autres : au cours du
temps, les conflits génèrent du changement social et le changement social transforme les conflits.
Aujourd'hui, ni les conflits, ni la société ne ressemblent plus à ce qu'ils étaient au 19ème siècle. Cette
transformation se poursuit évidemment. Mais la remise en cause de la centralité du travail, dont nous allons
parler dans le prochain chapitre, modifie les conflits. De nouvelles formes et de nouveaux objets de conflits
apparaissent, que ce soit dans le domaine du travail, que ce soit dans les autres domaines de la vie sociale.
Ces conflits tissent donc la vie sociale alors même qu'ils opposent les membres de la société entre eux.
C'est la question que nous allons aborder maintenant : comment, malgré ces conflits, et peut-être même
grâce à eux, la solidarité se crèe entre les membres d'une société ?
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