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Charles BAUDELAIRE (1821-1867) Jules LAFORGUE (1860-1887) Stéphane MALLARME (1842-1898)

Spleen Renouveau
La cigarette
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Le printemps maladif a chassé tristement
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Oui, ce monde est bien plat ; quant à l'autre, sornettes.
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort, L'hiver, saison de l'art serein, l'hiver lucide,
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits; Et pour tuer le temps, en attendant la mort, Et dans mon être à qui le sang morne préside
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes. L'impuissance s'étire en un long bâillement.
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris, Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes. Des crépuscules blancs tiédissent sous le crâne
S'en va battant les murs de son aile timide Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord Qu'un cercle de fer serre ainsi qu'un vieux tombeau,
Et se cognant la tête à des plafonds pourris; Me plonge en une extase infinie et m'endort Et, triste, j'erre après un rêve vague et beau,
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.
Par les champs où la sève immense se pavane
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux, Et j'entre au paradis, fleuri de rêves clairs Puis je tombe énervé de parfums d'arbres, las,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Où l'on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des chœurs de moustiques. Et creusant de ma face une fosse à ce rêve,
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,

Des cloches tout à coup sautent avec furie Et puis, quand je m'éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le cœur plein d'une douce joie, J'attends, en m'abîmant que mon ennui s'élève...
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie Mon cher pouce rôti comme une cuisse d'oie. Cependant l'azur rit sur la haie et l'éveil
Qui se mettent à geindre opiniâtrement. De tant d'oiseaux en fleur gazouillant au soleil.
Le Sanglot de la terre 1901(publication posthume)
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Poésies 1866
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Les Fleurs du Mal 1857

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