Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
TA Ï WA N
L’autre
ChineCette démocratie
qui veut exister
M O N T E Z À B O R D D E S F R É G AT E S D E TA Ï WA N page 4
ÉDITORIAL
Taïwan existe-t-elle ?
PAR ZINEB DRYEF ET BAPTISTE TOUVEREY
es cartes sont formelles. En bor- fondée sur le continent par le Dr. Sun façonner l’identité taïwanaise, à la dis-
Rédacteur en chef :
Christophe Deloire
Rédactrice en chef technique:
Sylvie Hamel
Directrice artistique :
Anne Mattler
Rédaction :
Eve Abou Eleinen
DR
Silvère Boucher-Lambert
François Burkard
Marion Brunet
Antonin Chilot
Marion Cocquet DOSSIER TECHNOLOGIE
Zineb Dryef
Roxane Guichard
Marthe Henry
Salomé Kiner
Céline Marcon
Électronique, mon amour
Estelle Maussion
Anne-Sophie Lasserre
23 Taïwan n’est plus un sous-traitant bas de
Maud Noyon gamme. Exit les textiles mal dégrossis et les
Olivier Saretta
Baptiste Touverey jouets qui cassent. L’île fait désormais dans le
Thomas Vampouille high-tech et le miniPC.
Directrice de publication :
Marie Ducastel
Fierté
nationale,
embrouille S
ur les quais du port d’Anping, au
sud-ouest de Taïwan, des lycéens
en goguette se font photogra-
phier devant deux mastodontes mili-
mondiale
taires. 50 mètres de haut, 125 mètres de
long, les silhouettes grises et massives
des bâtiments armés jusqu’aux dents
ont de quoi impressionner. Surtout
quand on sait l’incroyable scandale
En France, elles sentent la magouille. qu’elles ont suscité. Les lycéens d’ici
l’ignorent, mais les Français en enten-
A l’autre bout du monde, elles font dent parler depuis dix ans. Pour nous,
la fierté de la Marine. Visite inédite la simple évocation des frégates de
Taïwan est devenue synonyme de cor-
des célèbres frégates de Taïwan, ruption, de commissions occultes,
objet d’un gigantesque scandale voire de morts mystérieuses.
On les imaginait coulées au fond
politico-financier. d’une rade ou gardées comme les
de nos envoyés spéciaux MAUD NOYON ET THOMAS VAMPOUILLE joyaux de la Couronne. Elles sont là,
113 SPORTS
Jeux Mondiaux
de Kaohsiung
députés siègent Connaissez-vous les Jeux
au Parlement Mondiaux ? Non-
depuis 2004. homologuée par le CIO,
cette olympiade pas
Auparavant, ils étaient
225, mais une réforme comme les autres
a été votée pour regroupe tous les sports
marginaliser les interdits des Jeux officiels.
petits partis. C'est Kaohsiung, la
deuxième ville du pays,
qui les organisera en
98
SALOMÉ KINER
juillet prochain. Au
programme : sauvetage
An , selon aquatique, course
d'orientation, pêche et
le calendrier même frisbee. Un stade
taïwanais. SAVOIR-VIVRE EN PANNEAUX de 50 000 places a été
L’île ne vit pas en 2009. construit, un métro
Taïwan a choisi pour
an I l’année 1911, date
Le code du métro inauguré. Fin mars, la
maire de la ville a
de la chute de la demandé une aide
dynastie Qing, de la fin Propre, spacieux, lumineux, le exceptionnelle au
du pouvoir impérial et métro de Taipei est surtout envahi gouvernement taïwanais.
Il faut bien finir les
de la fondation de la
République de Chine
par les panneaux d’interdictions. travaux…
par Sun Yat-sen. Interdit de fumer, de manger, de
SOCIÉTÉ
boire ou de mâchouiller quoi que Les moines
ce soit… Pas question non plus d’y frondent
-43,1 % embarquer n’importe comment : Des religieux qui
s’époumonent, lèvent le
Les exportations les passagers font patiemment la poing en rythme et
taïwanaises queue le long de lignes blanches dévalisent le stand de
ont enregistré un gadgets. La manifestation
effondrement record
tracées au sol. Et la nuit, une zone contre l’ouverture de
en janvier. La baisse d’attente équipée de caméras de casinos sur l’île de Penghu,
le 15 mars dernier à
des ventes à l’étranger
s’est légèrement
surveillance est réservée aux Taipei, offrait une image
résorbée en février, femmes seules. inattendue de la zenitude
avec une chute de taïwanaise. Aux côtés des
seulement 28,6 %. environnementalistes
– effrayés par la
DITES-LE AVEC DES ORCHIDÉES perspective d’un nouveau
Macao sur le paisible
20/01
Le créateur taïwanais
Taïwan est un grand
exportateur
d’orchidées. Ces fleurs
îlot –, les moines
bouddhistes et taoïstes se
rebellent contre les
Jason Wu a habillé à la conservation machines qui feraient
Michelle Obama d’une délicate, produites en rentrer des sous dans les
robe blanche brodée masse dans le climat caisses de l’Etat. Et
de strass, lors de la tropical du sud de l’île, prédisent un coût élevé
soirée d’investiture de envahissent les pour la société : suicides,
son président de mari, marchés américains, viols, faillites, dépendance
DR
SALOMÉ KINER
1 Le plastique,
c'est chic.
Les Taïwanaises
2 Jamais sans
ma mini.
Pas une fashionista
3 Déhanché
oriental.
On peut voir des
4 Baskets fluo
montantes.
Avec des modèles
5 Couvre-chefs
imprimés…
À messages,
peuvent allègrement qui ne sort sans jeunes filles prendre conçus spécialement à strass, à plumes,
danser sous la pluie, découvrir ses des cours de danse pour Taïwan, Nike les casquettes et
leurs ballerines de jambes. Au-dessous du ventre jusque ou Puma séduisent bérets ne sont
couleur vive du genou, la jupe dans les couloirs les fétichistes de la jamais sobres ou
résisteront. est bannie. du métro. basket. tristes.
ZOOM VROUM
Plus encore que
l’Italie, Taïwan est
le pays des
scooters
Avec 14,2 millions de
deux-roues pour
23 millions
d’habitants, on estime
que chaque famille
taïwanaise dispose en
moyenne de deux de
ces engins, plus
pratiques et
économiques que les
voitures sur de
FRANÇOIS BURKARD
Des pandas
ZOO TAIPEI
pour la
ls s’appellent Tuan Tuan et Yuan
réconciliation
dernier, pas moins de 22 000
personnes sont venues les admirer.
En février, durant les quinze jours
des festivités du Nouvel an chinois,
les files d’attente n’ont jamais faibli.
En famille, en couple ou entre amis,
Le geste est historique. Le les Taïwanais voulaient saluer les
nouveaux arrivants comme on se
gouvernement de Pékin a offert un rend en pélerinage. Le couple a pro-
couple de pandas à celui de Taipei, voqué une véritable pandamania
dans le pays. Au point que nombre
son ennemi de soixante ans. de magasins vendent désormais
Depuis, ces deux mammifères toutes sortes de produits dérivés :
des sacs à main en fausse fourrure et
incarnent le rapprochement inédit des cagoules ornées des deux petites
entre Taïwan et la Chine. oreilles si caractéristiques.
Si ces mammifères géants attirent
autant l’attention, c’est parce qu’ils
par ESTELLE MAUSSION (avec MARION COCQUET) viennent de Chine. Pékin les a offerts
à Taïwan en signe d’apaisement entre
les deux pays rivaux depuis 1949,
quand Mao a proclamé la
leur montrer combien nous apprécions tion », observe Alexandre Chen, Une longue histoire
leur cadeau ». Autre sujet de crispa- directeur de l’Institut Ricci, spécialisé
tion, le nom donné à Taïwan dans les dans les recherches sur la Chine. de tensions
documents officiels. Ils font mention Taïwan doit manœuvrer à pas de
d’un don de « Chengdu, province de velours à chaque tentative de rappro- 1949 : Mao proclame la
Sichuan » à « Taipei, Taïwan », un chement. Les diplomates, comme les République populaire de Chine
terme qui ferait de l’île une province soigneurs du zoo, subissent une (RCP) à Pékin. Tchang Kaï-chek
de Chine. grosse pression. Tout faux pas ou une et les nationalistes du
Au-delà de l’échange de pandas, le simple dégradation de la santé des Kuomintang (KMT) se réfugient
DPP s’oppose au rapprochement pandas créerait un incident diploma- à Taïwan et installent le
avec la Chine dans les autres tique. Pour prévenir tout problème, gouvernement de la République
domaines. Le 15 décembre, les vols les soigneurs personnels des pandas de Chine (ROC) sur l’île.
aériens quotidiens, les liaisons pos- s’entraînent tous les jours pendant
tales et maritimes entre la Chine et quinze minutes à répéter les gestes 25 octobre 1971 : Le siège de la
Taïwan ont repris. En mars, les deux qui vont garantir le bien-être des ani- Chine aux Nations unies,
musées nationaux ont fini par trou- maux. Et la soigneuse en chef s’ap- jusque-là occupé par Taïwan,
ver un terrain d’entente pour échan- prête à suivre en Chine une forma- revient à Pékin.
ger des œuvres d’art. Dernière avan- tion sur leur reproduction. L’espèce,
cée, un projet d’une zone de en voie de disparition, est connue 1990 : Création à Taipei de la
libre-échange entre Pékin et Taipei. pour son manque d’appétit sexuel. Fondation pour les échanges
Le DPP s’y oppose violemment. Il Taipei souhaite que Tuan Tuan et dans le détroit (SEF) et en Chine
dénonce le risque d’une dépendance Yuan Yuan mettent au monde un de l'Association pour les
économique accrue vis-à-vis de magnifique bébé panda. échanges dans le détroit de
Pékin, qui représente déjà 40 % des Sur ce sujet très politique, le person- Taïwan (ARATS), qui gérent les
exportations taïwanaises, et craint de nel du zoo est plus que prudent. questions bilatérales.
voir l’île devenir une future Hong- L’arrivée d’un petit du couple pose-
Kong. « La Chine a évidemment un rait la question de sa nationalité. « On 2000-2008 : Deux mandats du
objectif politique avec la signature de verra quand il arrivera », se rassurent président Chen Shui-bian, qui
l’accord économique, c’est l’unifica- les soigneurs. ■ refuse tout contact avec Pékin.
Le 23 janvier 2009, le maire de Taipei et le président taïwanais 2005 : La Chine adopte une loi
Ma Ying-jeou inaugurent en grande pompe l’enclos des pandas. anti-sécession prévoyant le
recours à des moyens « non
pacifiques » si Taïwan déclare
l'indépendance.
La diplomatie du portefeuille
Si l’essentiel de la communauté internationale a tranché
le choix entre la Chine et Taïwan au profit de la première,
une poignée de micro-états résiste. Bénéficiant, en retour,
des largesses de Taipei.
par SILVÈRE BOUCHER-LAMBERT
lantés dans le hall du minis- nationale de riz du Burkina Faso, nais jugé trop systématique, la
P tère des Affaires étrangères soit 42 000 tonnes, était ainsi pro- Chine faisait monter les enchères.
taïwanaises, les 23 drapeaux duite dans des infrastructures Avec succès. Raflant six pays. En
sont difficilement identifiables financées par des deniers taïwanais. 2005, l’État de Grenade faisait lui
pour le néophyte en héraldique. Désormais, l’effort de coopération aussi défaut : en plus d’une aide
Une ligne or sur fond bleu azur de Taïwan se tourne également vers équivalente à celle jusqu’alors ver-
pour Nauru, trois losanges pour le la pisciculture, autre domaine dans sée par Taïwan, la Chine lui a
drapeau tricolore de Saint-Vincent- lequel l’île excelle. Mais pas besoin offert… un stade de cricket. Un
et-les-Grenadines. Autant de petits d’être aussi important que le must pour une île de 90 000 habi-
pays que l’on imagine mal en Burkina et ses 15 millions d’habi- tants sans le sou. Trois ans plus
grands intrigants de la diplomatie tants pour bénéficier des largesses tard, le Malawi, qui entretenait
mondiale. Mais qui sont, malgré de Taipei. depuis quarante et un ans des rela-
eux, arbitres d’un duel à fleurets Alliés choyés. Les îles Tuvalu ne tions avec Taïwan, au prix d’une
mouchetés entre la Chine et Pékin. comptent que 12 000 habitants sur aide substantielle de 295 millions
Le principe est simple. Un État ne un petit archipel corallien perdu d’euros par an, décidait à son tour
peut reconnaître officiellement dans un océan Pacifique immense. de signer avec le grand frère
Taïwan sans rompre avec la ennemi.
Chine. Or, Taïwan a absolu- Irritée par un racolage taïwanais jugé 23 États ciblés. L’actuel gou-
ment besoin d’entretenir des trop systématique, la Chine faisait vernement, qui se veut l’arti-
relations diplomatiques offi- monter les enchères, san d’un rapprochement his-
cielles pour asseoir son statut raflant six pays. torique avec Pékin, a compris
d’Etat à part entière : au même la leçon chinoise et s’interdit
titre que l’existence d’un territoire C’est, après le Vatican, l’État le désormais tout prosélytisme.
et d’un gouvernement, la recon- moins peuplé au monde. Pourtant, « Nous nous concentrons à présent
naissance par des pays tiers est ce Funfuti, village-capitale des Tuvalu, sur les vingt-trois États car nous
qui définit un État en droit interna- est l’allié indéfectible de Taipei aurions beaucoup à perdre à com-
tional. Lorsque qu’en 1971 Taïwan depuis trente ans. En février der- battre, explique Andrew Hsia, vice-
cesse d’être reconnu à l’ONU au nier, le Premier ministre de Tuvalu ministre des Affaires étrangères.
profit de la République Populaire était reçu en grande pompe à Nous passerions pour des fauteurs de
de Chine, ses ambassades mettent Taïwan où le président Ma Ying- trouble et nous souvenons que nous
les unes après les autres la clef sous jeou lui déclarait son intention de avons récemment perdu six recon-
la porte. Du jour au lendemain, l’île collaborer étroitement et à n’im- naissances dans ce jeu à somme nulle
est ostracisée. porte quel prix avec le petit archi- avec la Chine ».
Aussi, les rares pays pouvant se per- pel polynésien de 26 kilomètres Grand seigneur, le vice-ministre
mettre de bouder Pékin sont-ils carré pour le sauver de la montée des relations avec le continent,
aussi chouchoutés que subvention- des eaux. Chien Min Chao, estime même
nés par Taipei. « Taïwan nous aide Rarement les petits alliés ont été que « si des alliés décidaient de pas-
énormément, notamment en matière autant choyés. C’est que les der- ser à la Chine, rien ne serait fait
agricole dans le développement de nières années ont été difficiles pour pour les en dissuader. Les aides ne
l’irrigation pour la culture du riz », la diplomatie taïwanaise, meurtrie sont en aucun cas liées à la recon-
explique Jacques Sawadogo, ambas- par les coups d’estoc chinois. Au naissance ». Qu’on se le dise, la
sadeur du Burkina Faso à Taïwan. début des années 2000, passable- coopération taïwanaise est totale-
En 2008, 34 % de la production ment irritée par un racolage taïwa- ment désintéressée... ■
ur les cartes, l’île de Quemoy a ristes, d’abord taïwanais, puis chinois servées des bombes et du béton…
FRANÇOIS BURKARD
Sur Quemoy, les fortifications sont omniprésentes, et les plages transformées en champs de mines.
L’impossible
Bataille adhésion à l’OMS
de porcelaine
Plus de trente-cinq ans
après son exclusion,
consécutive à celle de
l’ONU, Taïwan n’a
Autour des œuvres du Musée national du Palais de toujours pas réintégré
Taipei, la rivalité Chine-Taïwan se décline dans une l’Organisation
mondiale de la santé
version plus feutrée. (OMS), malgré ses
par MARION COCQUET demandes répétées.
Si la crise de la grippe
es deux calligraphies étaient Depuis, la Chine exige la restitution
L
aviaire a montré
séparées depuis soixante ans. de ces collections qu’elle estime l’intérêt d’un contrôle
Elle ont été réunies en mars der- volées. Une requête mise en sourdine sanitaire de l’île, la
nier. Sous l’œil des photographes et depuis le début du réchauffement des Chine continue de
des caméras, M. Xienmiao, directeur relations culturelles. bloquer toute
de la Cité Interdite à Pékin, et Mme En attente. Mais à Taipei on reste négociation car elle y
Chou, directrice du Musée National prudent : le musée national du voit les prémisses
du Palais à Taipei, se sont échangé en Palais ne souhaite pas encore prêter d’une indépendance
souriant les reproductions de leurs d’œuvres à la Chine. « Nous avons politique. Le droit
œuvres respectives. besoin de garanties légales qui nous semble lui donner
Pour la première visite du responsa- assurent que les pièces ne seront pas raison : il faut en effet
ble chinois le 2 mars dernier à Taipei, confisquées une fois en Chine, être reconnu comme
les autorités ont soigné le symbole. Il explique Chao Chien-min du un pays indépendant
est vrai que l’évé- Bureau des et souverain par l’Onu
nement est histo- Le gouvernement chinois relations avec pour prétendre à un
rique : après refuse depuis soixante ans de la Chine, c’est statut de membre à
soixante ans de reconnaître la légitimité du une condition l’OMS. Petit détail :
tensions, les deux musée taïwanais sine qua non ». les autorités
musées du Palais Mme Chou a taïwanaises ne
brisent aujourd’hui le silence. Sous beau assurer n’avoir en tête que le demandent pas d’être
l’influence de la diplomatie du prési- rayonnement de ses collections, elle acceptées comme
dent Ma, dont dépend directement le ne peut éviter de reproduire, à son membre à part entière,
musée de Taipei, deux rencontres échelle, les acrobaties diplomatiques mais comme simple
officielles ont eu lieu depuis février de son gouvernement. Le pouvoir observateur. Taïwan
de part et d’autre du détroit. taïwanais récuse le principe « une n’a toujours pas accès
L’événement. Premier résultat de ces Chine, deux régimes », le Musée aux informations de
débuts de collaboration, la Chine a national du Palais refuse de son côté base sur le contrôle ou
accepté de prêter vingt-neuf de ses le concept « un musée du Palais, deux la lutte contre la
œuvres au Musée national du Palais sites », avancé en février dernier par propagation des
pour une exposition consacrée à un responsable chinois. « Cette idée maladies infectieuses.
l’empereur Yongzheng en octobre n’est pas tenable, explique M. Su, Pour sortir de cette
prochain. Le geste va de soi pour tous directeur des relations publiques. impasse sanitaire et
les grands musées du monde. Entre Cela impliquerait que les œuvres de diplomatique, un
ces deux-là, il est sans précédent. Taipei puissent retourner un jour à accord a cependant été
Le gouvernement chinois refuse en Pékin. Or c’est impossible, elles appar- signé en 2005.
effet, depuis soixante ans, de recon- tiennent maintenant à la culture taï- Il autorise les médecins
naître la légitimité du musée taïwa- wanaise ». taïwanais à participer
nais : il n’est à ses yeux qu’une usur- Et elles sont là pour la promouvoir : aux activités de l’OMS
pation de la Cité interdite. Lorsqu’en Taipei compte en effet sur le renom et l’organisation
1949 les nationalistes quittent la de ses collections pour propulser mondiale à envoyer
Chine, ils emmènent avec eux plus d’autres domaines spécifiques de leur des experts sur l’île et
de 600 000 pièces du grand musée de culture. La réconciliation des Palais fournir une assistance
Pékin, pour le recréer à Taiwan. n’en est que plus attendue. ■ en cas de crise.
AFP
Le procès S
a femme, malade, se présente
devant le tribunal en chaise
roulante. Sa belle-fille est tra-
quée jusque chez son dentiste new-
pschiiit
médiatique. L'ancien chef de l’Etat,
qui a quitté son poste en mai 2008
après huit années au pouvoir, est
soupçonné d’avoir détourné plu-
sieurs millions de dollars taiwanais
et attend son procès depuis une cel-
lule de prison.
À peine son mandat terminé, l’ancien La saga juridique qui passionne
président Chen Shui-bian comparait, Taiwan commence en novembre
2006 avec la mise en cause de son
depuis le 25 mars, pour des épouse, Wu Shu-jen. La Première
malversations faramineuses. Le voilà dame de l’époque est poursuivie
pour fraudes impliquant des fonds
en prison. Justice implacable ou publics. A la fin de son mandat, l’im-
vengeance politique ? Polémique. munité de Chen Shui-bian tombe.
L’ancien président doit justifier de
par MAUD NOYON et ESTELLE MAUSSION mouvements de fonds obscurs et se
défendre d’accusations de corrup-
AFP
auraient atterri sur le compte suisse
de sa belle-fille. Wu Shu-jen quitte le tribunal de Taipei, le 12 mars 2009.
Alors que les preuves contre Chen La femme de l’ancien président, en fauteuil roulant depuis plus de vingt ans
Shui-bian s’accumulent, les suite à un accident après un meeting, est elle aussi au centre d’une
Taïwanais approuvent ce procès tourmente judiciaire. Dès l’ouverture du procès, elle a plaidé coupable pour
cathartique, dans un pays où la cor- blanchiment d’argent et usage de faux. Mais elle a nié être impliquée dans
ruption est un mal endémique. Mais des détournements de fonds et avoir reçu des pots de vin, deux chefs
plus que la procédure contre le sim- d’accusation qui ont envoyé son mari en prison.
ple citoyen Chen, c’est sa détention
prolongée qui relance la polémique. accusation de partialité, en faveur du dans une affaire de fraude en février
Début février, après deux appels des parti au pouvoir, le Kuomintang 2007. Simulacre de justice, le procès
procureurs et le remplacement du (KMT), dénoncée par beaucoup au de l’ancien président ne serait qu’un
président de la Cour, favorable à la DPP. Wellington Koo l’explique par moyen pour le KMT de se débarras-
remise en liberté de Chen, le tribu- le poids de l’héritage des ser d’un opposant poli-
nal de Taipei a finalement reconduit tribunaux militaires ins- « On ose enfin tique.
pour deux mois supplémentaires sa taurés par le KMT autre- juger un chef La thèse du règlement
détention conditionnelle. fois, et qui ont exercé la d’Etat » de comptes politique
Règlement de comptes politique ? justice à Taïwan jusqu’en constitue d’ailleurs la
La Cour a justifié sa décision en 1987. Les anciens juges sont toujours principale ligne de défense de Chen
invoquant l’importance des délits en place aujourd’hui. Shui-bian. Le suspect souligne que
commis, le risque de destruction de « Ce procès est une avancée car on ose le parti majoritaire, le Kuomintang,
preuves et de collusion avec d’autres enfin juger un chef d’Etat. Mais le est le grand gagnant de cette affaire,
co-inculpés. Des arguments que problème c’est que la procédure n’est qui éliminerait ainsi une figure
réfute Wellington Koo, ancien pas régulière », renchérit Wu Chih- majeure de son ennemi juré, le DPP,
conseiller juridique de Chen et ex- chung, professeur au département tout en jetant le discrédit sur le
avocat de la Première dame : « Pour de sciences politiques à l’université parti et ses membres.
une affaire de corruption de ce type, le Soochow. Détail révélateur selon Chen Shui-bian, accablé par les
juge demande une caution et laisse lui : le magistrat qui maintient Chen preuves et qui risque la prison à
l’accusé en liberté. Dans le cas de l’an- derrière les barreaux est celui-là perpétuité, pourrait n’être que le
cien président, il ne respecte même pas même qui a innocenté l’actuel pré- premier domino d’une longue
la présomption d’innocence ». Une sident Ma Ying-jeou (Kuomintang) chaîne.■
FOCUS
nature environnante.
Les prisonniers suivants avaient
pour seul horizon les quatre murs de
leur cellule. Une nourriture rare, des
coups et des punitions étaient censés
les rééduquer. La prison de L’Ile
L’ancienne prison, transformée en musée, est désormais ouverte au public. Verte a définitivement fermé ses
our des citadins en manque de années, l’Ile Verte a hébergé une colo- portes en 1987. Aujourd’hui, un
P fraîcheur, un rocher tranquille à la nie pénitentiaire connue pour sa
végétation luxuriante. Pour des mil- dureté. Centre de correction de la
mémorial commémore les victimes
de la prison et les souffrances des
liers d’anciens prisonniers politiques, Nouvelle vie, puis prison de Réforme survivants. Une façon de soulager la
l’enfer sur Terre. Pendant trente-cinq et Rééducation – baptisée par dérision culpabilité de l’île. ■ M. N.
Le Kuomintang, un
dictateur en héritage
Revenu au pouvoir en janvier 2008 après huit ans
dans l’opposition, le Kuomintang concentre aujourd’hui
tous les pouvoirs à Taïwan. Enquête sur un parti
démocratique dont la référence est un ancien dictateur.
par MARION BRUNET
ANNE-SOPHIE LASSERRE
Le mémorial Tchang Kaï-chek à Taipei. Un monument à la gloire du généralissime, inauguré en 1980, cinq
ans après sa mort.
actuel président de Taïwan, sime chinois, fondateur du qui joue le jeu de la démocratie tout
ANNE-SOPHIE LASSERRE
lable de sauvegarder l’indépendance Chine.
de fait d’un tout petit pays.
Un ennemi nommé Mao. Dès le 1947 : La Constitution de la
début des années 20, Tchang Kaï- République de Chine est
chek est proche de Sun Yat-sen, le promulguée le 1er janvier à
père fondateur de la République de Nankin. Le 28 février, un
Chine, et son premier président de soulèvement populaire est
1912 à 1925. En 1923, lorsqu’il est Un mémorial en hommage aux réprimé par les forces militaires
envoyé comme émissaire en URSS, victimes des « incidents » chinoises à Taïwan.
le jeune soldat chinois qu’est du 28 février 1947 a été édifié
Tchang Kaï-chek ressent les pré- en 1997 par le gouvernement 1949 : Le Parti communiste
mices d’une aversion pour le com- du Kuomintang. chinois proclame la République
munisme. Après ce voyage au pays populaire de Chine sur le
des Soviets, son dégoût de la faucille plus d’un million et demi de continent. Tchang Kaï-chek se
et du marteau ne le quittera plus. A Chinois, il y établit le gouvernement réfugie à Taïwan et instaure la
la mort de Sun en 1925, il s’arroge de la République de Chine, la même loi martiale.
la direction du Kuomintang et dénomination, mais sans le terme
lance, l’année suivante, « populaire ». Une installation pro- 1975 : Mort de Tchang Kaï-chek.
l'« Expédition du Nord ». En 1928, visoire à ses yeux, l’objectif étant de
après plusieurs victoires contre les reprendre la Chine continentale aux 1987 : La loi martiale est levée.
« seigneurs de la guerre » et les communistes. Début de la démocratisation de
communistes chinois, il réalise son Pendant près de quarante ans, le l’île.
rêve d’une Chine unifiée sous le Kuomintang va régner en parti
drapeau nationaliste. unique sur un pays en voie d’enri- 1996 : Première élection
A la tête de la République de Chine, chissement. Le KMT monopolise le présidentielle taïwanaise au
Tchang Kaï-chek instaure un pouvoir au profit des Chinois d’ori- suffrage universel remportée
régime combinant les valeurs du gine continentale et instaure en par Lee Teng-hui, candidat du
confucianisme et du fascisme. Il 1949 la loi martiale pour maintenir Kuomintang (KMT).
suspend également sa lutte contre le l’ordre. « Nous étions très fragiles à
communisme pour constituer un l’époque à cause de la guerre contre 2000 : Chen Shui-bian, le
front uni avec ses ennemis de la les communistes. Personne n’a aimé candidat du Democratic
veille face aux attaques des Japonais. la loi martiale, mais elle était indis- Progressive Party (DPP) gagne
Après la guerre de résistance, Mao pensable pour nous protéger face à la les élections présidentielles.
Zedong sera pourtant son principal Chine populaire », affirme
ennemi. aujourd’hui Kuo Yun-kuang, le res- 2004 : Le DPP remporte à
Exode massif. De 1946 à 1949, une ponsable des relations extérieures nouveau les présidentielles.
guerre civile sanglante oppose les du parti.
deux leaders. En octobre 1949, la « Détchangkaïchekisation ». 2008 : Ma Ying-jeou, le candidat
proclamation de la République Durant ces années de terreur, toute du KMT, est élu président de la
populaire de Chine par Mao force le velléité d’opposition est réprimée, République de Chine.
généralissime à se replier avec ses les emprisonnements politiques se
troupes sur l’île de Taïwan. Suivi par multiplient, ainsi que les exécutions
THOMAS VAMPOUILLE
May Chin, cette
aborigène née en 1965
dans le centre
de Taïwan a sorti cinq
albums, tourné dans
des séries télévisées
et des publicités, dès
La chanteuse et actrice Kao Chin Su-mei l’âge de vingt ans.
Garçon d’honneur,
est la première députée aborigène de de son compatriote
Taïwan. Elle raconte pourquoi elle a choisi Ang Lee, Lion d’Or
de défendre la cause de son peuple, qui à Berlin en 1993,
la propulsa sous les
reste largement ignorée. projecteurs. Alors au
sommet de sa gloire,
Qu’est-ce qui a amené l’artiste que conserver. De nombreux habitants May Chin ouvre
vous étiez sur les bancs de sont donc obligés de quitter leurs vil- à Taipei une boutique
l’Assemblée législative ? lages. Ils se retrouvent en ville, sans tra- dédiée au mariage.
Un accident de la vie. Il y a sept ans, on vail. En 1996, un incendie
m’a diagnostiqué un cancer du foie. Les aborigènes réclament-ils un s’y déclare, tuant cinq
Quand la vie est menacée, on pense au statut particulier ? personnes. Ce drame,
sens à lui donner. J’ai choisi de m’en- Il est encore difficile aujourd’hui de puis ses propres
gager en politique. Comme mon parler d’autonomie. Ce que nous vou- ennuis de santé
visage était déjà connu, ça m’a facilité lons pour l’instant, c’est simplement la détournent de la
les choses. Mais je ne me considère pas l’égalité avec les autres citoyens taïwa- scène. Cette fille
comme une figure politique. Je veux nais. Les manuels d’histoire ne parlent d’un soldat Han et
simplement faire avancer la cause des même pas de nous, alors que nous d’une petite tailleuse
aborigènes. vivions ici les premiers ! Les hommes aborigène se lance
Qu’est-ce que la cause au pouvoir nous considèrent comme en politique. Élue sous
aborigène ? un peuple inférieur, ils méprisent la bannière du Non-
Quand le gouvernement distribue son notre culture et notre histoire. Partisan Solidarity
budget, les aborigènes sont systéma- Comment conserver cette Union (NPSU,
tiquement défavorisés, dans tous les identité ? indépendant) en 2001,
domaines. Le problème de la terre est Je pense qu’il est important de pro- Kao Chin Su-mei
primordial. Les aborigènes n’ont pas le mouvoir les langues aborigènes. s’évertue à défendre
droit de disposer de la terre sur laquelle Pendant longtemps, elles ont été les droits de son
ils vivent, dans les montagnes pour la interdites sur l’île. Les autorités vou- peuple, tout en
plupart. Le gouvernement les empêche laient généraliser le mandarin. Or en prônant un
par exemple de cultiver autour des l’absence d’alphabet, notre culture se rapprochement
sources d’eau sous prétexte de les transmet de manière orale. J’aimerais avec la Chine.
ESTELLE MAUSSION
Atayal, l’un des quatorze groupes Nous en ressortons inévitablement
aborigènes de Taïwan. endettés puisque nous n’obtenons
La cause aborigène a-t-elle avancé jamais d’assez bons résultats pour pré-
grâce aux travaux législatifs ? tendre aux subventions publiques! »
En 2006, j’ai réussi à faire adopter Des « vélib » taïwanais. Mais le
une loi-cadre, très générale, sur les Le siège du Green Party à Taipei. GPT refuse de désarmer. Optimiste,
droits des aborigènes. C’était la pre- Pan Han-sheng fait ses calculs pour
mière du genre. Auparavant, les es Taïwanais, qui représentent les élections législatives partielles du
seules lois qui parlaient des abori-
gènes visaient à limiter leurs droits. Il
Lémettent
0,3 % de la population mondiale,
1 % du total des émissions
28 mars prochain à Taipei : « Il faut 15
000 voix pour remporter un fauteuil de
me reste à proposer une vingtaine de de CO2 de la planète. Un chiffre trop député. Atteindre 5 % sera compliqué
lois plus concrètes, sur la terre, l’édu- élevé selon les Verts taïwanais. mais 1 %, c’est possible ! ». Le candi-
cation, l’autonomie, etc. C’est un tra- Pourtant, la conscience environ- dat du parti défend l’instauration
vail difficile, il y a un décalage entre nementale semble avoir gagné les d’une économie verte : création d’une
les discours et les actes. Par exemple, insulaires : un projet de ferme taxe carbone, mise en place de «
le nouveau président Ma Ying-jeou a d'algues est actuellement à l’étude vélib » taïwanais. « Nous ne gagnerons
parlé dans son discours inaugural de pour compenser les émissions de pas en mars, mais nous nous tenons
reconnaissance des autochtones. CO2. Et les entreprises se spécialisent prêts pour les prochaines élections
Mais dans les faits, toujours rien. de plus en plus dans les technologies municipales de 2010, où nous espérons
L’ancien gouvernement avait égale- de l’environnement ou « greentech ». franchir la barre des 5 % », affirme
ment fait des promesses, jamais Composé de 200 membres seule- Pan Han-sheng. ■ MARION BRUNET
tenues.
A l’avenir, allez-vous vous rappro- O R G A N I S AT I O N P O L I T I Q U E
cher d’autres populations abori-
gènes dans le monde, pour faire
front commun ?
Un pouvoir à cinq têtes
Je suis déjà allée plusieurs fois à A Taïwan, la politique repose sur cinq constitution taïwanaise compte égale-
l’ONU. Mais le problème, c’est que pouvoirs. Premier d'entre eux, le Yuan ment un Yuan des examens, chargé du
Taiwan n’y est pas reconnue. Je n’ai exécutif. C’est le gouvernement, dirigé recrutement dans la fonction
donc pas pu participer concrètement par le Premier ministre. Il est composé publique, et enfin un Yuan de
aux discussions. Quand, en 2005, j’ai de huit ministères et d’une trentaine contrôle. Comparable à la Cour des
voulu obtenir des excuses du gouver- de commissions, dont les chefs for- comptes en France, ce dernier vérifie
nement japonais à propos des exac- ment le Cabinet. Le Yuan législatif est les finances de l’Etat et a, en outre, le
tions commises sous l’occupation, je une chambre constituée de 113 élus, pouvoir de destitution et de censure
n’ai pas pu le faire à la tribune. J’ai dû dont une partie à la proportionnelle. des fonctionnaires. Les chefs des diffé-
me contenter de distribuer des tracts Elle rédige, révise et vote les lois. Elle rents Yuans sont nommés par le prési-
en-dehors du bâtiment. ■ supervise aussi les actions des diffé- dent mais doivent être validés par le
recueilli par ANNE-SOPHIE LASSERRE ET rents organismes de l’Etat. Troisième Yuan législatif. Cette organisation poli-
THOMAS VAMPOUILLE Yuan, le judiciaire. Il fait office de cour tique permet de diluer les responsabi-
constitutionnelle et supervise le fonc- lités et d’offrir plusieurs contre-pou-
tionnement des autres tribunaux. La voirs. ■ ANTONIN CHILOT
SILVÈRE BOUCHER-LAMBERRT
ordinaire, se faire compren-
D’
Les géants dre d’un chauffeur de taxi taï-
wanais sans une bonne
connaissance du chinois relève de la
gageure. Mais, c’est bien connu, toute
règle a son exception. À Taipei, elle a
du mini
pour nom Kuanghwa Market, la
Mecque de l’électronique. Sa simple
évocation phonétique suffit à mettre
en mouvement les yellow cabs locaux.
Rénové l’année dernière, le building
est un des symboles du miracle éco-
nomique de l’île et abrite les produits
des plus grands fabricants du secteur.
Longtemps méconnus du grand Smartphones, écrans plasma et autres
public, les fabricants d’ordinateurs PC pullulent sur six étages. Deux
enseignes lumineuses émergent
taïwanais s’imposent désormais pourtant, dès l’entrée, de cette meute
comme des acteurs puissants du numérique. Deux noms qui s’impo-
sent à la vue du visiteur non averti :
marché. En l’espace de deux ans, Acer et Asus sont ici les mâles
ces champions du PC portable à bas dominants.
Quelques mètres plus loin, un des
prix ont bouleversé les règles du jeu. rares stands où les deux fabricants
d’ordinateurs ne font pas chambre à
par OLIVIER SARETTA part est bondé. Les frères ennemis s’y
livrent une guerre sans trêve. Leur
GOOGLE EARTH
tait d’occuper la troisième place au
terme d’un plan triennal. Résultat :
en septembre 2008, Acer s’est arrogé
le podium planétaire.
Asus et Acer : des fantômes. Le site de production d’Acer, noyé dans les 632 hectares du Hsinchu
Ces estimations surprennent, à Sciences Park, est interdit au public.
l’heure où le pays s’enfonce dans la
crise. Chaque jour, ce sont plus de baisse drastique qui mine les expor- téléphone qui aboutissent à des
cinquante entreprises qui viennent tations de l’île – quelque 30 % au répondeurs ou à des responsables
taper à la porte du département pour mois de janvier. Difficile également de la communication toujours
le développement économique taïwa- de le vérifier : les deux sociétés sont absents.
nais, afin de quémander un soutien. aussi performantes qu’insaisissables. Acer et Asus sont des fantômes,
Jusqu’à aujourd’hui, ni Acer, ni Asus dont les sièges sociaux, nichés dans
ne l’ont fait. « Ces deux entreprises Leur crainte de les 550 hectares du parc technolo-
sont bien assez grandes pour faire face l’espionnage industriel gique de NeiHu, sont introuvables.
toutes seules ! Elles n’ont vraiment pas les conduit à n’autoriser Leur crainte de l’espionnage indus-
besoin de notre aide », assure William aucune visite triel les conduit à n’autoriser aucune
Tang, le porte-parole du départe- visite de leurs sites de production,
ment. Pourtant, difficile de croire que A l’instar de l’Américain Apple, jalousement protégés par des murs
les fers de lance de l’informatique taï- elles ne communiquent pas : d’enceinte et des barbelés. Les mys-
wanaise ne sont pas affectés par la aucune adresse, des numéros de tères de l’Orient, sans doute… ■
S U C C E S S S T O RY
Entreprise en crise
recrute travailleurs jetables
Des centaines de milliers de travailleurs d’Asie du sud-est
immigrent chaque année à Taïwan. Malgré la crise,
les entreprises continuent à les attirer, partageant avec les agences
de placement des commissions exorbitantes.
par ÈVE ABOU ELEINEN
C’ économique taiwanais :
350 000 travailleurs immi-
grés, vietnamiens, philippins ou
indonésiens, recrutés par les entre-
prises de l’île pour effectuer le sale
boulot. Ils travaillent dans les sec-
teurs des « 3D », d’après les initiales
des mots anglais « dirty, dangerous,
demeaning ». Bref, les secteurs sales,
dangereux, dégradants : le bâtiment,
l’automobile, l’électronique et l’aide
à domicile. Pour trouver un emploi à
Taïwan, les prolétaires d’Asie s’endet-
tent lourdement. Car il leur faut
rémunérer les intermédiaires. Les
agences de ces derniers ont pignon sur
DR
rue, mais ils n’hésitent pas à encaisser
illégalement jusqu’à 5 500 euros par À Taipei, des travailleurs immigrés manifestent pour leurs droits.
tête. En temps normal, il faut une à
deux années aux travailleurs pour les travailleurs », dénonce Mina Le, quelques mois, mais ils savaient dès le
rembourser cette somme. responsable d’un foyer pour travail- début qu’il n’y avait pas de travail ».
Partage des commissions. Le leurs vietnamiens près de Taipei. Comme si elles ignoraient complai-
système présente un aspect Elles ont donc tout intérêt à embau- samment ce trafic, les autorités
particulièrement pervers. Depuis le cher de nouveaux immigrants, quitte continuent à accorder des quotas aux
printemps dernier, plus de 20 000 à les licencier avant le terme de leurs entreprises qui veulent importer de
travailleurs migrants ont été licen- contrats. » la main d’œuvre. Selon le gouverne-
ciés avant la fin de leur contrat, cer- ment, il n’y a pas de problème.
tains après seulement quelques Pour le gouvernement, « Le nombre de travailleurs étrangers
mois de travail, souvent sans il n’y a pas de problème a effectivement baissé depuis quelques
indemnités. La crise constitue par- mois, reconnaît-on au ministère du
fois un bon prétexte. Certaines Tung est l’un de ces travailleurs. Séduit Travail, mais nous n’avons pas
entreprises trouvent en effet un par les promesses des agents, il a laissé connaissance de licenciements ».
intérêt dans le turn-over de leurs au Vietnam sa femme et son fils nou- Même son de cloche au ministère de
recrues, car d’une certaine manière veau-né pour travailler dans une usine l’Economie, où l’on affirme qu’ « il
cela accroît leur chiffre d’affaires. taïwanaise. Avant de déchanter : y a peut-être moins de recrutements,
En effet, « nombre d’entreprises, « L’entreprise qui m’a embauché était mais aucun licenciement ». À voir. La
notamment les petites et les de mèche avec les intermédiaires, représentation des Philippines
moyennes, partagent avec les inter- témoigne cet ancien coiffeur pour à Taïwan a enregistré 4 700 retours
médiaires les commissions versées par hommes. J’ai été licencié au bout de forcés en moins d’un an. ■
Tapis rouge
pour le vin français
Autrefois inconnu sur l’île, le vin trouve peu à peu une place sur les
tables des Taïwanais. Les bouteilles françaises, étiquetées
qualité et tradition, figurent en bonne place dans leurs préférences.
par MARTHE HENRY
La baguette
se porte bien
MARTHE HENRY
Croustillante à
l’extérieure, moelleuse
à l’intérieur : la
baguette est une
La cave à vin « Le Sommelier », à Taipei, propose des grands crus français. équation délicate à
obtenir dans un pays
oici une décennie à peine, spécialisés de Taipei. Parmi les pro-
V
humide et tropical.
déguster un bon vin à Taïwan duits les plus prisés, le cabernet sauvi- L’enseigne française
relevait encore du rêve. Mais les gnon et le merlot. Les Taïwanais les Paul a réussi ce pari.
Taïwanais sont de plus en plus sensi- plus aisés les ont érigés en signe de Depuis son
bles aux effluves du précieux elixir. reconnaissance sociale. Pour impres- inauguration en
Leurs habitudes de consommation sionner ses hôtes ou faire plaisir, rien septembre dernier, les
changent. La Taiwan Beer ou le kao- de tel qu'un vin français. Tant mieux baguettes s’y vendent
liang de Quemoy, largement consom- s'il coûte cher, le cadeau n’en sera que comme des petits
més dans les soirées branchées de plus apprécié. Le Corton pains. Elles sont
Taipei et les veillées dans les villages, Charlemagne grand cru, à 155 euros fabriquées devant les
voient ainsi un sérieux concurrent la bouteille, fera très bon effet. « Les clients, prêts à payer le
débarquer sur le marché. Taïwanais sont cultivés et ont un fort prix fort pour goûter
L’étiquette d’abord ! À l’origine pouvoir d'achat, note Patrick un peu de tradition
de cette découverte, la libéralisation Bonneville, directeur de l’Institut française. Les prix sont
du marché de l’alcool en 2002. français de Taipei. Ils sont des consom- bien plus élevés qu’en
Depuis, l'Etat taïwanais n'a plus le mateurs avisés, contrairement aux France car 85 % des
monopole sur les ventes de boissons. Chinois qui, même fortunés, ne s’inté- matières premières
Résultat, les importations ont pro- ressent pas au vin. » sont importées par
gressé de 21 % entre 2004 et 2006, Du vin cul sec. La source ne sem- avion. Comme le vin,
pour atteindre 335 millions d'euros. ble pas près de se tarir, même en la baguette symbolise
L'alcool étranger qui se porte le mieux période de crise économique. « Les l’art de vivre à la
est le vin. Les produits français se sont ventes sont restées stables l’année der- française, une image
vite imposés dans ce marché en pleine nière malgré la conjoncture, se féli- romantique qui séduit
expansion. Sur les quelque 17 millions cite Dream Lin, responsable marke- les Taïwanais.
de litres de vin qui débarquent dans le ting de Carrefour Taïwan. Et les
port de Taipei chaque année, plus de importations vont encore augmenter quette ou par mimétisme. Boire son
la moitié sont ainsi estampillés « made quand la crise sera passé. » La verre de vin d'un seul lever de
in France ». Le vin rouge représente 89 consommation de vin entre donc coude après avoir trinqué au son
% des bouteilles écoulées. Bourgogne, progressivement dans les mœurs d'un gan bei, sans le déguster, ne
Bordelais, Alsace, Rhône... Toutes les des Taïwanais. Pour l’instant, ils chagrine personne. Une manière
grandes régions viticoles sont choisissent surtout leurs bouteilles toute taïwanaise d’apprécier cette
représentées dans les rares magasins en fonction de l’esthétique de l’éti- spécialité française. ■
DR
Ces épouses
lles sont souvent très jolies,
«E entre 17 et 22 ans, et à la
recherche d’un niveau de vie
décent. Elles n’ont aucune idée de ce qui
les attend à Taïwan », soupire Ke Yu-
Lin. Cette petite femme énergique
qui viennent
dirige une association de soutien
aux femmes importées, la Pearl
S.Buck Foundation (PSBF). Perdus
dans un vieil immeuble au cœur
d’un quartier populaire de Taipei,
les locaux exigus accueillent chaque
de loin
année des centaines «d’épouses
étrangères » (comme on préfère les
appeler ici) en mal de soutien.
On estime leur nombre à 400 000
aujourd’hui. Venues du Vietnam, de
Chine, du Cambodge, de
Thaïlande, des Philippines ou
encore d’Indonésie, ces fraîches
Le nombre de mariages mixtes à mariées ont cru faire le choix d’une
meilleure vie. « Pour elles, notre île
Taïwan augmente tous les ans. Un est non seulement synonyme d’une
tiers des femmes ayant dit oui pour la existence plus aisée, mais aussi une
assurance de pouvoir aider la famille
vie à un Taïwanais ne sont pas nées laissée au pays, explique Ke Yu-Lin.
sur l’île. Les insulaires en mal Les ennuis arrivent une fois sur
place, quand elles réalisent qu’elles ne
d’épouses « importent » leurs parlent ni n’écrivent la langue, ou
compagnes de pays d’Asie du Sud-est. encore que leur mari confond femme
et domestique. La faute aux agences
matrimoniales qui leur mentent afin
par ROXANE GUICHARD d’empocher le pactole. »
Depuis quelques années, le marché
ROXANE GUICHARD
d’adaptation. « Soit ils ne parlent que
la langue maternelle et se retrouvent
en situation d’échec à l’école, soit ils
parlent chinois et peinent à commu-
niquer avec leur propre mère, sans
Plusieurs centaines de bénévoles de la Pearl S. Buck Foundation compter la honte qu’ils conçoivent de
donnent des cours de langue aux épouses importées. l’ignorance parentale », explique
Shu. Le malaise est renforcé par la
des agences matrimoniales a didates d’Asie du Sud-est afin d’en- mauvaise presse que subissent les
explosé sur l’île. Selon le ministère rayer le trafic ». Le sujet est tellement « femmes importées ». Les médias
de l’Intérieur, l’explication réside délicat que les agences concernées stigmatisent souvent ces « épouses
dans un seul nombre : il y a 7 000 refusent de communiquer, justifiant commandées sur internet », selon une
hommes de plus que de femmes à de leurs « obligations de confidentia- expression désormais consacrée.
Taïwan, un déséquilibre démogra- lité ». Vers une réhabilitation. Ces
phique dû à la tradition chinoise Par nature, les clients des agences quatre dernières années, ces femmes
qui tendait, il y a quelques décen- appartiennent à 99 % aux couches ont cependant vu leur situation
nies, à négliger l’éducation et les défavorisées de la société taïwanaise. s’améliorer. Fin 2005, le gouverne-
soins des petites filles. Mais les diri- Nombre de futures mariées finissent ment a créé un fonds d’ « aide aux
geants oublient les conséquences de déçues. « Certaines, comme cela fut femmes étrangères » de 6,5 millions
l’évolution sociale, qui rend tout mon cas, se retrouvent mariées en d’euros. Une hotline en six langues
simplement les hommes moins quarante-huit heures, regrette Shu. et plus de 500 classes de chinois et
attrayants aux yeux de femmes tout Mais d’autres ont la mauvaise sur- d’adaptation ont été mises en place
aussi qualifiées et ayant la plupart prise de devoir s’improviser aide-soi- dans le pays. Un tissu très dense
du temps des revenus égaux ou gnante pour des vieillards, ou encore d’associations existe aujourd’hui et
supérieurs. bonne à tout faire pour la famille du des milliers de bénévoles s’y pressent
Le business de la misère. Alors nouvel époux. » afin de donner des cours de langue
quand des intermédiaires proposent Des situations sans issue, car la plu- ou de culture.
au quidam esseulé un voyage de part des familles ayant importé des Reste pourtant l’épineux problème
trois jours au Vietnam afin de choi- étrangères veillent à les isoler : « Les de la naturalisation, dont les critères
sir une épouse pour le modeste prix beaux-parents les empêchent souvent sont très stricts : niveau de langue,
de 6 700 ⇔ , peu de Taïwanais s’attar- de s’intégrer, notamment dans les niveau de revenu rapporté au foyer,
dent sur le problème éthique. campagnes. Ils ont payé l’agence preuve de maternité, longévité sur
Ancienne « femme importée » et co- matrimoniale assez cher pour éviter l’île, etc. En 2007, seules 34 % des
responsable de l’association taïwa- que leur nouvelle recrue ne les quitte 400 000 épouses ont obtenu la
naise TransAsia Sisters Association prématurément. C’est d’autant plus citoyenneté taïwanaise. Shu conclut
(TASAT), Shu observe : « Les Etats- facile pour eux que ces jeunes femmes en souriant : « Le combat est loin
Unis ont récemment dénoncé la ne parlent pas la langue ». d’être gagné, mais je pense qu’il y a
« traite humaine » organisée ici. Dès Une intégration laborieuse. eu une prise de conscience. Je ne
lors, le gouvernement s’est saisi du Les épouses importées cloîtrées res- perds pas espoir que d’ici une tren-
problème en refusant d’accorder des tent une minorité, mais, faute de taine d’années, on en vienne à consi-
licences aux brokers (intermédiaires) parler la langue locale, difficile de dérer leur présence comme une
de mariages, et a envoyé un avertisse- trouver un travail. « Un ami de mon chance de mixité et de multicultura-
ment à toutes les agences les enjoi- beau-père avait accepté de m’embau- lisme. Ici, tout peut arriver, c’est le
gnant d’être très attentives aux can- cher, jusqu’à ce qu’il découvre que je miracle taïwanais ». ■
Chasseurs de tempêtes
Un scientifique aventurier pourchassant les cyclones pour larguer
ses instruments de mesure au cœur du monstre. Scénario fiction, bon
pour les blockbusters hollywoodiens ? A Taïwan, terre de typhons,
une équipe de scientifiques se rend au-devant des tempêtes, pour les
ausculter de l’intérieur.
par THOMAS VAMPOUILLE
THOMAS VAMPOUILLE
travail. Taïwan est particulièrement
exposée aux tempêtes tropicales :
plus de 25 par an. Quand les vents
dépassent les 115 km/h, ils devien-
nent des typhons, causant chaque
année plusieurs millions d’euros de
destructions. En 2008, estime Miss Miss Lin et son équipe peuvent mieux alerter la population grâce à un avion.
Lin, directrice du Centre de prévision
météorologique national, les tem- l’université nationale de Taïwan. permettre un vol de sept minutes. Les
pêtes ont été à l’origine de 80 % des Grâce à elle, explique Miss Lin, technologies dont elles sont équipées
42 millions de dégâts causés par les d’énormes progrès ont été effectués mesurent la température, l’humidité,
caprices de la nature sur l’île. dans la prévision des trajectoires des la pression, relèvent leur position
Un avion spécial. C’est d’ailleurs typhons. « En 2008, quand Kalmaegi satellite, et renvoient le tout à l’avion
après une année particulièrement est arrivé par l’est de l’île vers son cen- deux fois par seconde. Une somme
catastrophique que l’idée de monter tre, les prévisions des Américains, qui d’informations considérable, prove-
cette équipe de chasseurs de tempêtes surveillent aussi le Pacifique mais qui nant du cœur du système atmosphé-
est née. En 2001, Taïwan est frappée n’avaient pas survolé cette tempête, rique, en temps réel. Impossible à
par plusieurs ouragans venus de l’est, étaient bien différentes des nôtres… et obtenir de l’extérieur, surtout quand
particulièrement dévastateurs. En erronées. » Les 300 millimètres de les tempêtes se trouvent encore au
juillet, Toraji ravage le centre de l’île, pluie qui se sont abattus en moins de large, loin des capteurs.
faisant 200 morts. Deux mois plus trois heures sur l’île ont bien enten- Le problème, c’est que l’équipe n’a
tard, Nari provoque des inondations du provoqué des inondations. Mais pas les moyens de voler à chaque
majeures jusque dans la capitale. Son grâce à l’avion, les alertes ont été plus tempête. Les technologies sont
bilan s’élève à 200 morts. En août de efficaces, la population mieux pré- chères, et l’avion est loué à une com-
l’année suivante, le Conseil national parée. pagnie privée. Quant au danger…
des sciences (NSC) de Taïwan met en Manque de moyens. A bord de « Nous nous contentons de survoler les
place un programme prioritaire de leur appareil, les scientifiques embar- ouragans, c’est assez tranquille », ras-
recherche sur les typhons, qui prévoit quent une quinzaine de sondes, dont sure Miss Lin. Mais à terme, elle
d’investir 66 millions d’euros sur chacune coûte plusieurs centaines caresse l’espoir d’un plus gros avion,
trois ans. Sept ans plus tard, l’équipe d’euros. Larguées d’une altitude de comme ceux que possède l’armée
existe toujours, au sein du départe- 6 100 mètres, elles sont munies d’un américaine, qui traverserait les tem-
ment des sciences atmosphériques de mini-parachute qui les ralentit pour pêtes au lieu de les survoler. ■
La religion de la télé
Accros à la télévision, les Taïwanais n’ont que l’embarras
du choix : le paysage audiovisuel de l’île compte
plus de 100 chaînes. Pour le meilleur comme pour le pire.
par ZINEB DRYEF
SALOMÉ KINER
Tous les bars de l’île, ou presque, sont équipés de téléviseurs. Les Taïwanais, jamais sans leur télé...
e la banquette arrière du taxi, on ne supportent guère la vue d’un poste avec une prédilection affichée pour les
ANTONIN CHILOT
passion et de l'amour », fondée par longueur de journée, ouvriers,
une association bouddhiste, diffuse chauffeurs de taxis ou routiers. A
ses programmes partout dans le quoi servent-elles ? Cette drogue
monde. En 2007, elle est parvenue à se locale est un excitant, du café puis-
hisser dans le classement des dix sance 100.
chaînes les plus regardées par les Véritable institution culturelle, Même l’emballage est sulfureux...
Taïwanais. James, l'un des milliers de sociale et économique, la noix de
bénévoles soutenant l'association, bétel n’est pas anodine. Les études bétel est également vitale pour de
exhibe les vingtaines de cloches en or montrent qu’elle est dangereuse nombreuses familles. En ville, elle
raflées par Da Ai TV. Le prix le plus pour la santé, car elle provoque se vend dans de petites échoppes. Le
prestigieux de Taïwan. « Ce qui a été notamment des cancers de la long des voies rapides, ce sont de
récompensé, explique-t-il, ce sont les mâchoire. « Mais les gouvernements jeunes femmes, parfois étudiantes,
valeurs que l'on transmet. La télévision n’essayent même pas de la faire inter- toujours en tenues coquines, qui
taïwanaise rivalise de programmes vul- dire, elle est trop ancrée dans notre appâtent le chaland. Récemment,
gaires et violents. Nos fictions, nos talk- société », regrette Jane Len, une une loi leur a interdit les tenues
shows et nos émissions pour enfants journaliste taïwanaise. La noix de transparentes. ■ ANTONIN CHILOT
véhiculent des principes de charité,
d'honnêteté et de foi. »
Téléfilms moraux. Sur Da Ai TV, la BEAUTÉ
foi est dispensée plusieurs fois par jour
par des moines psalmodiant des sutras
et par la fondatrice de l'association,
Shih Chen Yen. Depuis son monastère
Rubis sur ongles
de Hualin, à l'ouest de l'île, elle pro- ous ne craignez ni l’extravagance personnages de bande- dessinée et
fesse deux heures par jour les fonde-
ments de sa philosophie, un boud-
V ni le mauvais goût ? Bienvenue
chez Mei Lan, professionnelle du
messages romantiques, tous les
sujets sont permis.
dhisme ouvert sur le monde. Da Ai « nail art » et poseuse de faux ongles Mei Lan conseille, décrit, dessine. Et
TV ne dédaigne pas non plus l’au- originaux. La jeune femme, à l’aise en cas de panne d’inspiration, elle
dience. Une prochaine série devrait dans sa cabine d’un mètre carré, peut compter sur une dizaine de
faire un carton. Elle raconte l'histoire coincée entre un masseur et un coif- catalogues offrant chacun plus de
de Hu Yu-bei, une jeune aborigène. Le feur, posters au mur et pop musique 300 propositions…
pitch ? James l’explique: « Comme à plein volume, tient l’une des nom- Comptez quarante minutes et un
beaucoup d'aborigènes, cette jeune breuses ongleries de ce quartier budget entre 20 et 100 euros selon la
femme aime boire. Mais une série d'ac- animé de Xinmending. complexité du motif. ■ SALOMÉ KINER
cidents impliquant ses deux fils, son Les Taïwanaises aiment à décorer
mari et son jeune frère l'amènent à s'in- leurs ongles. Les plus discrètes se
terroger sur sa façon de mener sa vie ». contentent d’une « french manu-
Nous ne sommes pas à Hollywood, cure ». Elles accentuent la blancheur
mais cette série se terminera par un du bout de l’ongle. Les autres ajou-
happy end. Yu-bei se rapproche de tent du relief, du strass et des élé-
SALOMÉ KINER
Le prix du bénévolat
Les Taïwanais
se prennent de
passion pour le
bénévolat. Sur
l’île, s’engager
est une
évidence.
âton d’encens dans une main, d’aide humanitaire. Les 1 200 bons à faire leurs devoirs. Après mes
Le prix de l’excellence
Les Taïwanais consacrent leur jeunesse aux études, parfois
jusqu’à l’excès.
par MARION COCQUET et CÉLINE MARCON
MARION COQUET
est libre. Chu-junq, lui, entame sa
seconde journée de classe au buxiban
« Sesame Street », un établissement
privé qui dispense des cours du soir.
Et qui s’est établi juste en face de
l’école, sur Jonghe road, comme une Cours de calligraphie à l’école explique M. Sung Chung-hsing,
vingtaine de ses concurrents. primaire de Zhonghe. sociologue à l’université nationale de
Ces instituts offrent de garder les Taïwan. Mais ils correspondent, avant
enfants après l’école pour les aider tout, à la très forte compétition scolaire
dans leurs devoirs et leur donner des qui existe chez nous, comme ailleurs en
cours supplémentaires. Sur les Asie. »
34 camarades de classe de Chu-junq, A Taïwan, un examen national
seuls trois n’y sont pas inscrits. Pour assorti de numerus clausus détermine
des raisons financières, selon Xiaxia. l’entrée des jeunes dans les lycées et
« Sesame street » facture 175 euros Des militaires dans les universités : les meilleurs
par mois son aide aux devoirs avec à l’école choisissent en premier leur établisse-
cours d’anglais. Un prix accessible à ment. Les enfants grandissent dans
la classe moyenne taïwanaise, mais Face au tableau noir, la l’idée qu’ils doivent apprendre plus,
qui en temps de crise pèse lourd dans discipline conserve une plus tôt, plus vite que les autres pour
le budget de certaines familles. allure martiale. Au s’assurer un avenir. Dans les buxiban,
Passage obligé. Elles n’y renon- lycée, les suveillants on apprend l’anglais avant l’âge
cent pourtant qu’en dernier recours. sont des militaires. Ils prévu par l’éducation nationale. Pour
Pour les parents le buxiban est incon- enseignent aux enfants le sport ou le théâtre, même logique.
tournable, et l’investissement qu’il à marcher au pas. Ne pas fréquenter le buxiban, c’est
représente, prioritaire. Il est devenu Plusieurs fois par prendre le risque de passer pour
un véritable phénomène de société à semaine, les élèves paresseux, en tout cas manquer
Taïwan : de l’école primaire à la fin assistent au lever du d’ambition. Ce discours, les parents,
du lycée, 50 à 80 % d’une classe d’âge drapeau. Au garde-à- les voisins et même les professeurs de
y est inscrite. Entre 1999 et 2008, le vous, ils chantent l’école publique ne cessent de l’assé-
nombre de buxiban enregistrés par le l’hymne national. ner aux jeunes. Mais certains
ministère de l’Education nationale Ces pratiques sont Taïwanais remettent en cause ce sys-
est passé de 4 498 à 1 8632. « Ils ont maintenues avant tout tème. « Mes élèves de primaire étu-
d’abord été créés pour aider les parents pour créer une dient parfois jusqu’à 21heures. Quand
qui ne pouvaient pas s’occuper des conscience nationale ils rentrent chez eux, ils s’écroulent sur
enfants à leur sortie de l’école, taïwanaise. le canapé comme des adultes après une
ANNE-SOPHIE LASSERRE
progresser. « Je suivais des cours sup- peine d’une amende de 40 à 200
plémentaires en maths le soir. A mon euros. Dix-septième pays à mettre en
retour à la maison vers 22 h, j’étais place une loi anti-tabac, Taïwan n’est
trop épuisé pour faire mes devoirs. De que le deuxième en Asie, après le
plus je n’avais plus assez de temps Bhoutan en 2005. L’île pourrait deve-
pour réviser mes cours du collège. » nir un modèle pour la Chine conti-
Manque de maturité. Autre nentale, où la consommation de
conséquence de cette surconsomma- tabac tend à devenir un problème de Les stars s’engagent contre la cigarette
tion scolaire : à passer trop de temps santé publique.
sur les bancs de l’école, les jeunes C’est en tout cas ce qu’espère la John total de 23 millions d’habitants. Pour
s’épanouissent moins. « Les lycéens Tung Foundation, une ONG taïwa- les plus de dix-huit ans, il est encore
taïwanais, qui ont entre 15 et 17 ans, naise qui exerce depuis vingt ans son possible d’allumer une cigarette dans
sont beaucoup plus immatures qu’en influence sur les pouvoirs publics. Ses les bars et boîtes qui n’ouvrent
Europe. Ils n’ont pas assez de sens auto- campagnes, à coups de badges, tee- qu’après 21 heures ou dans certains
critique et ils ont du mal à exprimer ce shirts et affichettes, où pose une star temples, déjà enfumés par l’encens des
qu’ils pensent », témoigne la Française comme Jackie Chan, sont largement fidèles. Et ce n’est pas le seul paradoxe.
Agnès Roussel-Shih, professeur en relayées par les médias. Le président Acheter des cigarettes à Taïwan est
lycée à Kaohsiung et installée depuis Ma Ying-jeou avait lui aussi montré d’une simplicité extrême. Des
dix-sept ans sur l’île. Le sociologue l’exemple lors de son investiture, arbo- échoppes 7-Eleven ouvertes 24h/24 à
Sung Chung-hsing met en cause les rant un badge sur sa veste « Smoke-free chaque coin de rue en vendent. Si vous
méthodes d’enseignement : « On Taïwan. Yes we can ! ». n’êtes pas rebuté par les photos de
demande aux jeunes d’apprendre par Des photos rebutantes. Ce sou- cancer des poumons qui couvrent les
cœur des sommes incroyables de tien à la tête de l’Etat est partagé par paquets, il ne vous en coûtera qu’un
connaissances encyclopédiques et de se presque tous les insulaires. Selon une euro. Si la taxe doit augmenter de 25
concentrer sur leurs examens. Pas assez étude publiée en février, 93% des centimes d’euros d’ici deux mois, c’est
de penser par eux-mêmes et de réfléchir Taïwanais sont satisfaits de la loi anti- une mesure encore bien faible pour
sur ce qu’ils veulent faire de leur vie. En tabac. Il reste pourtant à Taïwan envi- éradiquer totalement la cigarette de
classe il est même mal vu de poser des ron 4,5 millions de fumeurs, sur un l’île. ■ ANNE-SOPHIE LASSERRE
questions ». Au lycée, l’enseignement
de la pensée de Confucius se trouve C A RT O N
réduit à la récitation d’extraits de ses
livres et d’une seule interprétation
officielle de ses textes.
Carte de visite superstar
Le manque de confiance des parents ’ai reçu ce matin mes cartes de optionnelle, mais toujours bienve-
en les capacités de leurs enfants et
l’obsession de la réussite sociale
«J visite de ma nouvelle boîte. nue. C’est à ce moment là que tout
Deux paquets de 250. Qu’est-ce que je peut basculer pour un néophyte occi-
expliquent le succès des buxiban. Le vais bien pouvoir en faire ? », s’inter- dental : surtout, ne pas ranger direc-
phénomène signe un échec de l’édu- roge Jimmy sur son blog. tement la carte de son interlocuteur,
cation nationale. Les pouvoirs Récemment exilé à Formose, le jeune mais prendre le temps de la lire (ou
publics ne s’y trompent pas : la homme fait figure d’amateur. Sur de contempler fixement les mysté-
municipalité de Taipei a décidé, l’an- l’île, l’échange de cartes est un sport rieux idéogrammes) en hochant de la
née dernière, d’autoriser les écoles national. Lorsque l’on rencontre tête d’un air approbateur. Sous
publiques à prolonger jusqu’à 19h, au quelqu’un, on ne lui tend pas la entendu : « Quelle personne impor-
lieu de 18h, leurs services de surveil- main, mais sa carte. Des deux mains, tante ! ». Sinon l’interlocuteur pour-
lance après la classe. Mais les alterna- chacun présente à l’autre son petit rait perdre la face, la pire des avanies
tives à l’école sont encore rares. ■ rectangle blanc. La courbette est en Asie. ■ ROXANE GUICHARD
est un rendez-vous attendu, tre aux sourds d'évoluer en toute sécu- sable des partenariats. Parmi eux :
CÉLINE MARCON
a rue Dihua, située dans le vieux
certifiée
de boîtes en fer contenant des herbes
réputées pour leurs vertus médici-
nales. Telle la racine de Ginseng pour
lutter contre le stress ou l’écorce de
cannelle pour traiter les pertes d’appé-
conforme
tit. Les plantes, originaires surtout de
Taïwan, de Chine, ou du Japon, déga-
gent des odeurs parfois intenses : plus
le produit sent fort, meilleur il sera
pour la santé assurent les connais-
seurs.
Née en Chine il y a 5 000 ans, la
La médecine traditionnelle chinoise, médecine traditionnelle a été impor-
croyez-vous, n’a qu’un effet placebo ? A tée à Taïwan par les migrants chinois.
Taïwan, elle est remboursée par la sécu. Selon ses principes, le corps, le cœur
et l’esprit forment un tout. Les soucis
par CÉLINE MARCON de santé s’expliquent alors soit par un
déséquilibre du Qi, l’énergie vitale,
SALOMÉ KINER
s’obtient à partir de feuilles de thé tor-
réfiées puis compressées et conservées
pendant une longue période pour
favoriser le processus de fermentation.
Commence alors la subtile cérémonie. Pour préparer son thé, Chow Yu suit le rituel des anciens à la lettre.
Des gestes que Chow Yu répète « au
moins trois fois par jour », dit-il en bri- petit bol à bec verseur en raku (pote- vieux, il conseille le thé pu-erh pour
sant un morceau de thé, souvent rie traditionnelle japonaise). ses vertus réchauffantes : « les jeunes
conservé sous forme de disque très « Il y a deux raisons, souligne le maî- choisissent leur thé selon le goût, mais
compact. Il l’émiette à l’aide d’une tre. Cela permet de refroidir le thé, les vieux laissent parler le corps »,
petite spatule avant de le doser dans pour que le convive ne se brûle pas. confesse-t-il. On dit aussi que cette
une balance électrique. Mais c’est aussi un moyen d’équilibrer plante « vintage » procure l’énergie, le
Règles ancestrales. Pour deux l’infusion. Car si je sers successive- « Qi », des forêts des montagnes du
personnes et une petite théière, comp- ment les deux bols, le second sera Yunnan, et la sagesse des grands âges.
tez six grammes. L’eau doit être fré- nécessairement plus fort. » C’est Mais la félicité n’est pas à la portée de
missante, c’est-à-dire à environ 95°C. l’heure de la première gorgée : un tout le monde. Comptez au minimum
Après avoir chauffé les dés à coudre voyage gustatif surprenant, quelque six euros par théière individuelle de
qui font office de tasses, Chow Yu jette part entre une poignée de terre Dong Ding Oolong, culture locale et
les deux premières eaux, très amères, humide mise en bouche et la fraî- premier prix de la Wistaria Tea House.
dans un saladier-poubelle en porce- cheur printanière de la rosée du Si vous avez les moyens financiers de
laine chinoise qui orne toutes les tables matin. En deux heures, le rituel sera prétendre au Nirvana, choisissez le
de la Tea House. Pour un thé récem- reproduit une vingtaine de fois. Hong Yin Xishuangbanna, doyen
ment récolté, c’est aussi une manière Mythes et vertus. Plus de vingt luxueux de la carte. Pour la bagatelle
d’éliminer les potentiels engrais qui variétés sont à la carte. Mais Chow Yu, d’eviron 110 euros par personne, ce
polluent les nouvelles plantations. La plein de cette sagesse qui préfère le thé quarantenaire aux fragrances de
boisson ne coule pas directement de la bien-être à la gourmandise, se laisse camphre libèrera vos organes de leurs
théière à la tasse, mais transite par un guider par la météo. En ce lundi plu- carcans psycho-somatiques. ■
BAPTISTE TOUVEREY
vénérable », décida pourtant d’y
édifier un centre pour accueillir et
former des moines bouddhistes. Fo
Guang Shan est un monastère et
une université à la fois, une sorte de
Mont-Saint-Michel planté en plein
campus à l’américaine. Une 11h30 tapantes, les moines se rendent au réfectoire pour le déjeuner.
Sorbonne où l’on n’aurait pas le Une vie scandée par les prières, la Grâce aux donations, le monastère
droit de tuer les moustiques. méditation et les repas. Tous sont pris continue de s’étendre. Un temple
Les simples étudiants se reconnaissent dans un réfectoire où nonnes d’un gigantesque est en voie d’achève-
facilement : ils ont encore des côté, moines de l’autre se font face. Ils ment. Y sera entreposé ce que
cheveux. Seuls les vrais moines sont y mangent en silence. Viande et pois- Fo Guang Shan possède de plus pré-
rasés. Les nonnes sont beaucoup plus son sont prohibés. Ail et oignon aussi cieux : une dent de Bouddha
nombreuses que leurs homologues car la mauvaise haleine est considérée Sakyamuni, le chef spirituel his-
masculins, pour la bonne et simple comme une forme d’agression. On ne torique. Il n’en existe que quatre dans
raison qu’une fille a moins de valeur gâche rien. Au début du repas, on le monde. Celle-ci est le don d’un
qu’un garçon au sein de la famille désigne de ses baguettes les mets qu’on moine tibétain, qui craignait qu’elle
taïwanaise. Ce n’est donc pas un ne mangera pas. Ils sont récupérés et ne tombe à sa mort dans les mains
drame si elle se retire du monde. distribués à ceux qui veulent du rabe. des communistes. ■
A RT M A RT I A L
J
à 2008, fit exception.
aussi exotique. Il confère au Mais il n’était pas du
personnage une allure d’un Kuomintang…
autre temps. Plus encore peut-être Tchang Kaï-chek et son
que son visage racé de paysan successeur de fils
matois. Ou que sa soutane noire. Il étaient méthodistes,
y a en lui du curé de campagne cher Lee Teng-hui (à la tête
à Bernanos. De saint François- de Taïwan de 1988 à
Xavier aussi bien sûr, ce mission- 2000) presbytérien.
naire parti évangéliser la Chine Quant à l’actuel
au XVIe siècle. président, Ma Ying-
Lui est arrivé à Taïwan il y a vingt-six jeou, même s’il
ans par bateau cargo, fasciné par un s’affiche dans les
Orient que lui avait révélé les aven- temples taoïstes, il a
tures de Tintin dans Le Lotus bleu. été baptisé catholique.
Lui, c’est le Père Legall, un bloc de La confession de ses
catholicisme français comme on leaders a-t-elle eu de
n’en fait plus, y compris en France. l’influence sur les
BAPTISTE TOUVEREY
SALOMÉ KINER
Taipei,
Bars clandestins, bouges décrépis,
la nuit
marchés bondés ou clubs ultraselects…
La nuit taïwanaise fourmille aipei ne connaît pas l’obscu-
de lieux surprenants. Balade dans
les rues d’une capitale chaloupante.
T rité. La nuit, ses néons agres-
sifs invitent à l’errance.
Laquelle débute à l’aveugle le long
de vastes boulevards aux fast-food
aguicheurs dont les portes ne se fer-
par SILVÈRE BOUCHER-LAMBERT, ZINEB DRYEF et SALOMÉ KINER ment jamais. 24/24 le Mac Do.
24/24 les superettes. 24/24 les mas-
seurs. Voici un bar clandestin,
promesse d’une fête s’achevant à décrépies des années 80. Penser être derniers bars à enveloppes rouges.
l’aube. L’enseigne aux ampoules tombé sur un petit bar sordide qui Héritage de la guerre, ils accueil-
roses, plutôt criardes, invite à grim- n’abriterait que des ivrognes et des laient les soldats défaits après la vic-
per au troisième étage d’un immeu- désespérés et finalement trouver toire des communistes en 1949.
ble d’habitation impersonnel. une scène lumineuse. Taipei n’était alors qu’une ville
À côté des tours flamboyantes de triste, sans lumière ni distraction.
PartyWorld, la plus grande chaîne de Pour consoler les exilés chinois, des
karaoké de Taïwan, ce bar du quartier Pour seul salaire, femmes montaient sur scène pour
de la gare centrale est grand comme des billets glissés chanter leurs amours laissées sur le
un cagibi. Mais un cagibi charmant. dans des enveloppes continent.
Derrière une porte blindée sertie d’un couleur chance, Pour seul salaire, les chanteuses
cœur rouge, seulement quatre tables comme celles recevaient des billets glissés dans
et une scène n’excédant pas le mètre que reçoivent des enveloppes couleur chance,
carré. Ce soir un policier donne de la les enfants pour les comme celles que reçoivent les
voix, sans doute aussi grisé par la bière grandes occasions enfants pour les grandes occasions.
SALOMÉ KINER
Jolies filles et chanteuses de charme (Andy Birdy, au centre) donnent la fièvre à Taipei la noctambule.
tiédasse servie en rafales par une Des hommes sont attablés face à Soixante ans après, de ces bars, il ne
patronne hilare que par les vociféra- une estrade en bois. Assis sur des reste qu’une poignée à Taïwan. Les
tions de son « petit frère » Lai. Qui chaises en toile verte, ils regardent, jeunes chanteuses sont devenues de
certifie appartenir aux triades, les solitaires et silencieux, des femmes vieilles dames fardées et les soldats
redoutées mafias locales. Sans jamais chanter des standards chinois. des retraités sans fortune. Plus les
regarder l’heure, on fume à grandes Enserrées dans des robes extrava- années passent, plus les patronnes
bouffées, on titube en distribuant des gantes, elles se succèdent après avoir de ces lieux tentent d’attirer une
accolades, on improvise des rocks fredonné deux ou trois morceaux. clientèle riche en recrutant des
ratés et on se dit qu’à Taïwan, même Andy Birdy, quinquagénaire plantu- jeunes filles.
les gangsters sont sympas. reuse, surgit sur scène. Le temps de Andy Birdy, diva des lieux, règne
Bars à chanteuses. Marcher quatre morceaux, elle transforme ce sur plusieurs de ces bars et, à cha-
plus loin, vers la porte de l’Ouest, ce lieu de mélancolie en bal burlesque cune de ses apparitions, récolte plus
quartier de lycéens à mèches colo- façon Terry Gilliam. d’argent que les autres. Selon la tra-
rées. Entre mille magasins bran- Avec la gaieté tapageuse des femmes dition, les clients écrivent leur nom
chés, apercevoir des visages de déclassées restées fières, Andy sur les enveloppes qu’ils tendent, et,
jeunes femmes sur des affiches raconte ce cabaret étrange, l’un des plus tard, s’ils se sont montrés géné-
SALOMÉ KINER
Rock indé à The Wall, brouhaha des marchés de nuit et rap au Room18 : faites du bruit !
poissons. Celui-là des brochettes pop, The Wall compte aussi un lieu Néons rouges, MC japonais, jardins
d’énormes fraises figées dans une d’exposition, un disquaire, un salon d’hiver et gogo-danseuses, l’am-
vasque de sucre fondu. de tatouage, un magasin de babioles biance est bon enfant dans ce tem-
Dans les travées étroites, on piétine design et des studios d’enregistre- ple festif capitonné de miroirs.
et se bouscule entre les étals de vête- ment. Alors qu’une salle électro taquine
ments criards. Les camelots à la sau- les oreilles des clubbeurs avec ses
vette sont venus en essaim avec Néons rouges, MC grosses basses saturées, le coin
leurs cargaisons rutilantes, prêts à japonais, jardins d’hiver pop fait monter le thermostat à
disparaître à la moindre alerte. et gogo-danseuses dans coups de tubes de Madonna et de
Plus loin, les M16 factices crépitent, ce temple festif Kate Perry.
fichant de petites billes jaunes dans capitonné de miroirs Les couples, rares dans les rues, se
des ballons. La bouche crispée par forment à la faveur des heures qui
la concentration, de petites filles Il est 20 heures, et les mélomanes se passent. Ici, les filles paient peu et
pêchent à l’épuisette des poissons pressent aux portes de la cave bran- les garçons sont charmants, forcé-
aux nageoires irisées. Dans ce chée. Entre deux poignées de main, ment. Taïwan : de la gentillesse
tumulte incessant, seul un temple Orbis accueille les artistes du jour : jusque dans l’ivresse. ■
La culture d’Eslite
a Flûte enchantée berce les clients magasin où l’on vient acheter,
Lmoelleuses
confortablement assis sur les consommer de la culture, mais un
banquettes en cuir. Il est univers où l’on peut découvrir libre-
22 heures et ils sont quelques cen- ment et en toute quiétude livres,
taines à avoir préféré aux bruyants journaux et DVD.
marchés de nuit l’atmosphère feutrée « MAGAZINE » : Les lettres en capi-
du magasin Eslite. Certains étaient tales se détachent sur les rayons, au
venus pour feuilleter quelques pages, troisième étage. Dans ce kiosque
et sont là depuis deux heures. géant, le plus grand de Taipei, presque
D’autres viennent ici comme ils toutes les revues de la planète, grand
iraient à la bibliothèque. La plus public ou spécialisées, sont réperto-
grande librairie de Taïwan, dans son riées. On peut y trouver les vingt-qua-
immense écrin de verre et d’acier, est tre derniers numéros d’un mensuel
un endroit où le temps s’arrête. Chez populaire japonais ou les éditions ita-
DR
ANNE-SOPHIE LASSERRE
plus grand en France qu’à Taïwan. Le en 2008. Comment ont-ils
cinéma de ces réalisateurs est trop été financés ?
intellectuel, trop compliqué pour les Le ministère de l’Information soutient
Taïwanais. Vous savez, 97 % des films une vingtaine de films par an. Il
diffusés sur notre île proviennent finance environ un tiers du budget, les
d’Hollywood. Une loi autorise le producteurs devant trouver le reste.
cinéma américain à envahir nos salles Les jeunes réalisateurs peuvent égale-
sans limite. ment participer à un concours dépar- Winston Lee, directeur du Chinese
Dans le cinéma taïwanais, cer- tageant les meilleurs films taïwanais et Taipei Film Archive.
tains sujets sont-ils tabous ? bénéficier ainsi d’une aide financière.
Les réalisateurs peuvent aborder très Mais les réalisateurs comme Hou leur cinéma, ils arrivent à compléter
librement des sujets comme l’érotisme Hsiao-hsien et Tsai Ming-liang reçoi- leurs budgets. ■ recueilli par MARION
ou l’homosexualité. En 2008, le film vent peu d’argent de leur propre pays. BRUNET et ANNE-SOPHIE LASSERRE
érotique Way word club a explosé le Grâce à la France surtout, friande de
SUCCÈS CANNES
THOMAS VAMPOUILLE
our monter à bord de
Voyage
Un air de « quai 9 3/4 », digne
d’Harry Potter. D’ailleurs très vite,
ses rails se séparent des autres
lignes, comme pour un voyage ima-
ginaire, un voyage d’un autre âge.
Une bouffée d’air, pour les touristes
Plongée dans
les gorges de Taroko
MARTHE HENRY
Resto scato
ESTELLE MAUSSION
Comme souvent à Taipei, le
restaurant est perdu au
premier étage d’un immeuble
bardé de néons au cœur du
quartier Shilin. Heureusement,
un énorme étron rose indique
es falaises de marbre d’une à des sommets de 3 700 mètres.
D centaine de mètres. Des mas-
sifs forestiers qui abritent la moi-
Après une heure de bus, on arrive
dans la petite ville de Tienshang.
le chemin aux gastronomes
téméraires. Un escalier plus
tard, le visiteur pose le pied
tié des espèces animales de Elle fait face à un temple boud- au Modern Toilet. Ici, la table
Taïwan. Ce sont les gorges de dhiste, auquel on accède par un est une baignoire, les murs
Taroko, première destination immense pont suspendu.Pour sont recouverts de mosaïque,
touristique de l’île. les plus aventureux, osez la ran- des peignoirs pendent à une
Pour découvrir les canyons creu- donnée « Baiyang ». Elle mène à tringle ; dans une vitrine, des
sés par la rivière Liwu, il faut sui- de magnifiques cascades et cendriers en forme de crottes
vre une route en lacets qui débute par un tunnel de 380 sont à vendre. A l’arrivée du
sillonne le parc national de mètres. Sensations garanties menu, on hésite entre se taper
Taroko. Il s’étend sur 90 000 hec- mais n’oubliez pas votre lampe violemment la tête contre la
tares, de la côte Pacifique de l’île de poche. ■ ESTELLE MAUSSION céramique ou applaudir. Des
petits étrons parsèment la
grande feuille plastifiée, une
Tainan, la « ville aux cent temples » devant chaque plat, en guise
de rappel. Mais en gourmet
on surnom est trompeur, vent pour jouer aux dames ou
S puisque Tainan compte 220
édifices religieux. La plupart
de jeunes citadins qui, en un
coup de scooter, viennent prier
aguerri, l’aventurier persiste.
Surtout que pour quelques
centimes de plus, il peut
sont concentrés dans le même leurs dieux. Le temple de emporter chez lui l’urinoir
périmètre et un parcours fléché Confucius, avec son parc, dans lequel les boissons sont
permet de s’y constitue une étape servies. Le choix des plats est
retrouver. De la gare, nécessaire pour res- limité, mais qu’importe,
la très animée Minzu pirer loin des l’attention se fixe davantage
Road vous emmène moteurs des taxis sur le contenant que le
ANNE-SOPHIE LASSERRE
Taipei 101,
la tour du
miracle
WWW.CFPJ.COM/CFJ