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AV R I L 2 0 0 9 N ° 3 1 2

Politique La diplomatie du panda


rapproche Taïwan de la Chine page 8
Tourisme. Le train d’Alishan, un
voyage dans le passé page 48
Economie Netbook, smartphone :
MAGAZINE le miracle électronique page 23

TA Ï WA N

L’autre
ChineCette démocratie
qui veut exister

M O N T E Z À B O R D D E S F R É G AT E S D E TA Ï WA N page 4
ÉDITORIAL

Taïwan existe-t-elle ?
PAR ZINEB DRYEF ET BAPTISTE TOUVEREY

es cartes sont formelles. En bor- fondée sur le continent par le Dr. Sun façonner l’identité taïwanaise, à la dis-

L dure de Pacifique, au large de la


Chine, existe une île du nom de
Taïwan. Pas très grande : 35 961 km2,
Yat-sen. Certes, enfin, peu de pays la
reconnaissent comme telle. Mais
Taïwan semble bien, malgré tout, for-
tinguer d’une Chine dont l’économie
resta longtemps à la traîne et où l’on
réprime encore les moindres velléités
soit un peu plus de quatre fois la mer une nation à part entière. démocratiques.
Corse. Avec 23 millions d’habitants, Depuis 1996, les Taïwanais élisent Une identité taïwanaise neuve est en
c’est la plus forte densité du monde, tous les quatre ans leur président de train d’émerger. La nouvelle généra-
après le Bangladesh. Ce sont là des la République au suffrage universel. tion n’a connu que Taïwan et elle a
faits objectifs, vérifiables, incontesta- Des élections libres et pluralistes. Ce grandi au moment du processus d’in-
bles. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est miracle démocratique a pour corol- tense taïwanisation de l’île, initié en
le statut de cette île. laire, peut-être pour moteur, un 1988 par l’ex-président Lee Teng-hui.
Taïwan n’est-elle qu’un bout de Chine, autre miracle. Après avoir été dans Aujourd’hui, le sentiment de former
une « province rebelle », comme con- les années 1970-1980 « l’usine du un Etat souverain est partagé par plus
tinue à la considérer Pékin, destinée à monde » (le fameux « made in de 75 % de la population.
retourner un jour dans le giron con- Taïwan »), la petite île sans Les vaincus d’hier ne regardent plus
tinental ? Ou bien, depuis 60 ans que ressources naturelles a su se recon- les rives chinoises avec nostalgie. Ils
durent la séparation de ces deux vertir dans des secteurs aussi por- ont su faire de leur exil une patrie.
Chines et l’indépendance de facto de teurs que l’électronique et les nan- Comme l’a écrit un poète, ancien sol-
Taïwan, est-elle parvenue à se con- otechnologies. dat du Kuomintang : « Là où le soleil se
stituer une identité propre ? Désormais, ce petit pays de 350 kilo- couche, je fus vaincu/J’ai erré longtemps
Certes, la grande majorité de sa popu- mètres de long représente la 21e sur la lame océane/Jusqu’à l’île aux
lation est chinoise d’origine, de culture économie mondiale, juste derrrière vents cruels/Qu’elle est vide, pauvre et
et de langue. Certes, elle se nomme of- l’Australie, aux portes du G20. Pour les stérile ! […] J’y planterai, j’y bâtirai, j’y
ficiellement « République de Chine », autres pays d’Asie, Taïwan est un aimerai./Ses sommets seront mes cieux
prolongement formel de celle qui fut modèle. Cette réussite a contribué à éternels. »

2 Le magazine du CFJ Avril 2009


SOMMAIRE

Ce magazine est le dernier projet de la


promotion 2009 spécialisée en presse
écrite-multimédia. Quinze jours à
Taïwan : un voyage aux antipodes, une
langue inconnue, un monde différent
pour une expérience inattendue. Et au
final 50 pages, écrites, illustrées et
montées par nos soins.

Rédacteur en chef :
Christophe Deloire
Rédactrice en chef technique:
Sylvie Hamel

Directrice artistique :
Anne Mattler

Premier secrétaire de rédaction :


Nicolas Camus

Iconographie : Véronique Labonté

Rédaction :
Eve Abou Eleinen

DR
Silvère Boucher-Lambert
François Burkard
Marion Brunet
Antonin Chilot
Marion Cocquet DOSSIER TECHNOLOGIE
Zineb Dryef
Roxane Guichard
Marthe Henry
Salomé Kiner
Céline Marcon
Électronique, mon amour
Estelle Maussion
Anne-Sophie Lasserre
23 Taïwan n’est plus un sous-traitant bas de
Maud Noyon gamme. Exit les textiles mal dégrossis et les
Olivier Saretta
Baptiste Touverey jouets qui cassent. L’île fait désormais dans le
Thomas Vampouille high-tech et le miniPC.
Directrice de publication :
Marie Ducastel

Impression : CHINE-TAÏWAN SOCIÉTÉ


Publi Trégor - 22304 Lannion 29 Ces épouses venues de loin
8 Les pandas de la
Merci à tous les Taïwanais qui nous ont
réconciliation 32 La religion de la télé
aidés dans nos recherches d’informa- 11 La diplomatie du portefeuille
tions, aux médias qui nous ont accueilli 14 Quemoy, l’autre « autre Chine » CORPS ET ESPRIT
dans leurs rédactions, ainsi qu’au 38 Médecine certifiée conforme
Bureau de représentation de Taïwan en 41 Une nuit dans un monastère
France. UNE JEUNE DEMOCRATIE
15 Le procès qui ne fait pas pschiiit
18 Un dictateur en héritage CULTURE
21 Regard d’une aborigène 43 Taipei, la nuit
35, rue du Louvre, 75002
47 Cinéma : Nouvelle vague
Paris ECONOMIE
www.cfj.com/cfj/ 26 Travailleurs Kleenex GUIDE
27 Tapis rouge pour le vin français 48 Une virée à Alishan
En une : Dans un bar à chanteuse de Taipei
(photo Zineb Dryef) . 28 Bons à consommer 51 La tour du miracle

Avril 2009 Le magazine du CFJ 3


L’ É V E N E M E N T

Fierté
nationale,
embrouille S
ur les quais du port d’Anping, au
sud-ouest de Taïwan, des lycéens
en goguette se font photogra-
phier devant deux mastodontes mili-

mondiale
taires. 50 mètres de haut, 125 mètres de
long, les silhouettes grises et massives
des bâtiments armés jusqu’aux dents
ont de quoi impressionner. Surtout
quand on sait l’incroyable scandale
En France, elles sentent la magouille. qu’elles ont suscité. Les lycéens d’ici
l’ignorent, mais les Français en enten-
A l’autre bout du monde, elles font dent parler depuis dix ans. Pour nous,
la fierté de la Marine. Visite inédite la simple évocation des frégates de
Taïwan est devenue synonyme de cor-
des célèbres frégates de Taïwan, ruption, de commissions occultes,
objet d’un gigantesque scandale voire de morts mystérieuses.
On les imaginait coulées au fond
politico-financier. d’une rade ou gardées comme les
de nos envoyés spéciaux MAUD NOYON ET THOMAS VAMPOUILLE joyaux de la Couronne. Elles sont là,

4 Le magazine du CFJ Avril 2009


Made in France. Invoquant une clause du contrat,
Six militaires et sept civils ont été Taïwan décida de réclamer le rem-
jugés à Taïwan. Des hommes boursement des commissions distri-
politiques ont été impliqués ici. En buées. Probablement partie émergée
France, le dossier est resté soumis au de l’iceberg, un demi-milliard de dol-
secret défense. lars américains a été retrouvé sur un
compte en Suisse.
Dès les premières révélations, les
morts « par accident » se multipliè-
rent les sigles de grands groupes fran- rent. Le corps du capitaine taïwanais
çais. Car les frégates de Taïwan, c’est Yin, qui enquêtait sur l’affaire, fut
à l’origine un contrat industriel, fruit retrouvé dans un port du nord-est de
d’une collaboration entre le gouverne- l’île. Il n’avait manifestement pas
ment et l’un des fleurons tricolores, plongé seul. En France, le fils d’un
Thomson-CSF (aujourd’hui Thales). ancien directeur général des services
En 1988, le groupe approchait les secrets, Thierry Imbot, qui détenait
autorités françaises en vue de l’opéra- des informations sur le dossier, tomba
tion « Bravo ». Il s’agissait de vendre à de la fenêtre de son appartement de
Taïwan six frégates « La Fayette » pour Neuilly en fermant ses volets. Là
plus de 2 milliards d’euros. encore, peu probable qu’il ait dérapé
Objectif surveillance. Effrayée par les seul.
bruits de bottes qui se faisaient enten- Impossible d’y voir clair. En France, les
dre de l’autre côté du détroit, Taïwan ministres des Finances successifs s’op-
voulait s’équiper pour surveiller ses posèrent à la levée du secret-défense,
côtes. Les frégates étaient l’instrument empêchant ainsi le juge d’instruction
idéal. Aujourd’hui, de l’avis des marins financier Renaud van Ruymbeke
à bord, elles sont en effet les plus per- d’identifier les bénéficiaires des rétro-
formantes en haute mer. À observer commissions. En 2008, le magistrat fut
leur silhouette affûtée, on les imagine obligé de rendre une ordonnance de
sans mal filer à quelque 25 nœuds non-lieu général.
THOMAS VAMPOUILLE

marins. Peinture mate et uniforme, 25 millions d’euros récupérés. La


structure lissée au maximum avec à justice taïwanaise eut les bras plus
peine quelques ouvertures au niveau libres. En tout, six militaires et sept
du poste de pilotage, la machine reste civils, dont des membres de la famille
furtive malgré ses 3 500 tonneaux. du principal intermédiaire Andrew
À l’époque, la flottaison de l’opération Wang, ont été jugés sur l’île. Mais les
« Bravo » n’était pas garantie. La Chine gros poissons nagent toujours. Seul un
astiquées, ripolinées et ouvertes à tout communiste refusait les livraisons subordonné, le capitaine Kuo, qui n’a
vent. En ce jour de parade, la marine d’armes et de matériel de guerre à pas fui son pays à temps, a été
taïwanaise exhibe deux de ses six fré- Taïwan et fit tout pour saborder le condamné à la perpétuité et a dû rem-
gates pour inciter les jeunes à s’enga- projet. Les Français comprirent vite bourser une commission de plus de 25
ger dans l’armée. Sur le ponton, un que pour boucler le dossier, il faudrait millions d’euros. Unique somme récu-
marin en grande tenue indique le sens mettre la main à la poche. Fin 1998, la pérée par Taïwan à ce jour.
de la visite. Le tapis rouge mène direc- dernière frégate arrivait à bon port. L’affaire pourrit les relations entre les
tement au cœur du bâtiment. Parfum Aussitôt, le scandale des commissions deux pays depuis dix ans mais les
d’interdit, pour des journalistes fran- éclata. Trois réseaux avaient été mis en bateaux ont embelli le quotidien de
çais habitués à associer le sujet au place pour fluidifier les relations entre nombreux marins taïwanais. Le capi-
secret-défense. Ici, pas de mystère, une Paris et l’Asie à coups de millions de taine Fang, qui a servi sur une frégate,
ribambelle de moussaillons est prête à dollars. Des sommes colossales qui se souvient avec nostalgie : « Les cham-
livrer tous les détails techniques du n’ont pas servi que les intérêts du bres sont peintes de différentes couleurs ;
bateau de guerre. contrat. Certains hommes politiques ça nous change la vie, par rapport au
Au détour d’une coursive, une échelle et hommes d’affaires se seraient per- gris des bateaux américains » C’est la
de cordes marquée du port de Lorient sonnellement enrichis au passage. Des french touch, « so romantic », conclut
rappelle que les frégates sont « made in rétrocommissions seraient même le capitaine dans un sourire complice.
France ». Au poste de commandement, revenues en France, pour un montant Ces frégates auront décidément fait
les appareils de communication arbo- de près de cinq milliards de francs. beaucoup d’heureux. ■

Avril 2009 Le magazine du CFJ 5


EN BREF

113 SPORTS
Jeux Mondiaux
de Kaohsiung
députés siègent Connaissez-vous les Jeux
au Parlement Mondiaux ? Non-
depuis 2004. homologuée par le CIO,
cette olympiade pas
Auparavant, ils étaient
225, mais une réforme comme les autres
a été votée pour regroupe tous les sports
marginaliser les interdits des Jeux officiels.
petits partis. C'est Kaohsiung, la
deuxième ville du pays,
qui les organisera en

98

SALOMÉ KINER
juillet prochain. Au
programme : sauvetage
An , selon aquatique, course
d'orientation, pêche et
le calendrier même frisbee. Un stade
taïwanais. SAVOIR-VIVRE EN PANNEAUX de 50 000 places a été
L’île ne vit pas en 2009. construit, un métro
Taïwan a choisi pour
an I l’année 1911, date
Le code du métro inauguré. Fin mars, la
maire de la ville a
de la chute de la demandé une aide
dynastie Qing, de la fin Propre, spacieux, lumineux, le exceptionnelle au
du pouvoir impérial et métro de Taipei est surtout envahi gouvernement taïwanais.
Il faut bien finir les
de la fondation de la
République de Chine
par les panneaux d’interdictions. travaux…
par Sun Yat-sen. Interdit de fumer, de manger, de
SOCIÉTÉ
boire ou de mâchouiller quoi que Les moines
ce soit… Pas question non plus d’y frondent
-43,1 % embarquer n’importe comment : Des religieux qui
s’époumonent, lèvent le
Les exportations les passagers font patiemment la poing en rythme et
taïwanaises queue le long de lignes blanches dévalisent le stand de
ont enregistré un gadgets. La manifestation
effondrement record
tracées au sol. Et la nuit, une zone contre l’ouverture de
en janvier. La baisse d’attente équipée de caméras de casinos sur l’île de Penghu,
le 15 mars dernier à
des ventes à l’étranger
s’est légèrement
surveillance est réservée aux Taipei, offrait une image
résorbée en février, femmes seules. inattendue de la zenitude
avec une chute de taïwanaise. Aux côtés des
seulement 28,6 %. environnementalistes
– effrayés par la
DITES-LE AVEC DES ORCHIDÉES perspective d’un nouveau
Macao sur le paisible
20/01
Le créateur taïwanais
Taïwan est un grand
exportateur
d’orchidées. Ces fleurs
îlot –, les moines
bouddhistes et taoïstes se
rebellent contre les
Jason Wu a habillé à la conservation machines qui feraient
Michelle Obama d’une délicate, produites en rentrer des sous dans les
robe blanche brodée masse dans le climat caisses de l’Etat. Et
de strass, lors de la tropical du sud de l’île, prédisent un coût élevé
soirée d’investiture de envahissent les pour la société : suicides,
son président de mari, marchés américains, viols, faillites, dépendance
DR

le 20 janvier dernier. européens et japonais. au jeu et alcoolisme.

6 Le magazine du CFJ Avril 2009


TOP 5 DE LA MODE À TAIPEI

SALOMÉ KINER
1 Le plastique,
c'est chic.
Les Taïwanaises
2 Jamais sans
ma mini.
Pas une fashionista
3 Déhanché
oriental.
On peut voir des
4 Baskets fluo
montantes.
Avec des modèles
5 Couvre-chefs
imprimés…
À messages,
peuvent allègrement qui ne sort sans jeunes filles prendre conçus spécialement à strass, à plumes,
danser sous la pluie, découvrir ses des cours de danse pour Taïwan, Nike les casquettes et
leurs ballerines de jambes. Au-dessous du ventre jusque ou Puma séduisent bérets ne sont
couleur vive du genou, la jupe dans les couloirs les fétichistes de la jamais sobres ou
résisteront. est bannie. du métro. basket. tristes.

MARKETING ET BONS SENTIMENTS


Des brosses à dents aux sous-vêtements, en passant par les
cartes bancaires, Hello Kitty est partout à Taïwan. Importé du
Japon, le petit chat « kawai kawai » (trop mignon) pointe le
bout de ses oreilles sur les accessoires de toutes les filles de
l’île – jeunes ou moins jeunes. En princesse, en abeille ou à
paillettes, Hello Kitty va jusqu’à s’afficher sur les paniers-repas
de vieux messieurs à l’air rigide, sur la carlingue d’un Airbus
DR

ou encore sur ces alléchantes gauffres…

ZOOM VROUM
Plus encore que
l’Italie, Taïwan est
le pays des
scooters
Avec 14,2 millions de
deux-roues pour
23 millions
d’habitants, on estime
que chaque famille
taïwanaise dispose en
moyenne de deux de
ces engins, plus
pratiques et
économiques que les
voitures sur de
FRANÇOIS BURKARD

courtes distances. Aux


feux rouges, c’est une
marée vrombissante
de petites cylindrées
qui part en avant-
garde des taxis.

Avril 2009 Le magazine du CFJ 7


C H I N E / TA Ï WA N L’ AV E N I R D E S F R È R E S E N N E M I S

Des pandas

ZOO TAIPEI
pour la
ls s’appellent Tuan Tuan et Yuan

I Yuan. Ces deux pandas, âgés de


six ans, sont les coqueluches du
zoo de Taipei. Le jour de leur pré-
sentation au public, le 23 janvier

réconciliation
dernier, pas moins de 22 000
personnes sont venues les admirer.
En février, durant les quinze jours
des festivités du Nouvel an chinois,
les files d’attente n’ont jamais faibli.
En famille, en couple ou entre amis,
Le geste est historique. Le les Taïwanais voulaient saluer les
nouveaux arrivants comme on se
gouvernement de Pékin a offert un rend en pélerinage. Le couple a pro-
couple de pandas à celui de Taipei, voqué une véritable pandamania
dans le pays. Au point que nombre
son ennemi de soixante ans. de magasins vendent désormais
Depuis, ces deux mammifères toutes sortes de produits dérivés :
des sacs à main en fausse fourrure et
incarnent le rapprochement inédit des cagoules ornées des deux petites
entre Taïwan et la Chine. oreilles si caractéristiques.
Si ces mammifères géants attirent
autant l’attention, c’est parce qu’ils
par ESTELLE MAUSSION (avec MARION COCQUET) viennent de Chine. Pékin les a offerts
à Taïwan en signe d’apaisement entre
les deux pays rivaux depuis 1949,
quand Mao a proclamé la

8 Le magazine du CFJ Avril 2009


Tuan Tuan et Yuan Yuan sont pour les applaudir. Les journaux
arrivés, fêtés comme des vedettes par retracent heure par heure le parcours
les Taïwanais. Leur nouveau séjour a des stars tout en soulignant la reprise
commencé dans 1 400 m2 aménagés historique du dialogue entre les deux
spécialement pour eux. capitales. Au zoo de Taipei, Tuan
Tuan et Yuan Yuan découvrent un
espace de vie flambant neuf, spéciale-
République populaire de Chine et ment conçu pour eux.
que les partisans de Tchang Kaï-chek Pour accueillir ces ambassadeurs chi- Un geste
se sont réfugiés à Taïwan. Depuis, nois un peu particuliers, rien n’a été lourd de sens
Pékin considère l’île comme l’une de fait au hasard. Taïwan a dépensé plus
ses provinces alors que Taïwan vit de huit millions de dollars américains Les pandas géants
dans une indépendance de fait et pour construire leur bâtiment : servent
voudrait être reconnu comme un 1 400 m2, trois espaces de vie diffé- d’ambassadeurs à la
Etat à part entière. Entre les deux rents, régulateurs de température et Chine depuis
capitales, les problèmes politiques d’humidité. Une équipe de trois soi- le VIIe siècle :
sont loin d’être réglés, mais, pour gneurs, plus la soigneuse en chef, les empereurs
des raisons différentes, la Chine et Chen Yu-yen, s’occupe en perma- offraient déjà ces
Taïwan tiennent à afficher leur nence des pandas et veille à ce qu’ils animaux, considérés
bonne volonté. Il a tout de même comme un trésor
fallu trois ans de négociations Au moindre accident dans la national, pour
pour que l’échange de pandas se vie des animaux, on risque améliorer leurs
réalise, tant l’affaire est délicate. l’incident diplomatique. relations avec
En 2005, le président chinois, Hu l’étranger. La Chine
Jintao, reçoit en grande pompe le communiste a
Taïwanais Lien Chan, chef du reçoivent leur ration quotidienne de conservé la tradition.
Kuomintang (KMT), et propose d’of- bambou (100 kg). « Ils n’en mangent Dès 1955, elle offre
frir les deux pandas à Taïwan. À qu’un tiers, explique Mme Chen, mais à l’URSS un couple
l’époque, le KMT est dans l’opposi- les pandas doivent pouvoir choisir. Le de pandas. Suivent
tion. Le président taïwanais Chen bambou est coupé puis transporté le Japon, la Corée du
Shui-bian, à la tête du parti démo- jusqu’au zoo et humidifié juste avant Nord et l’Allemagne
crate-progressite (DPP), qui défend d’être donné aux pandas. » Coût de fédérale, puis les
ouvertement l’indépendance de fonctionnement de cette maison de Etats-Unis et le
Taïwan, refuse tout contact avec luxe : 222 000 euros par an. Le zoo Royaume-Uni
Pékin, même pour en recevoir un espère atteindre les six millions de en 1972 et 1974.
cadeau. Malgré les demandes des visiteurs tous les ans. Et Taipei faire Plus récemment, un
zoos chinois et taïwanais et de nom- ainsi preuve de sa bonne volonté vis- couple a été donné
breux pourparlers, il s’oppose à la à-vis de Pékin. à Hong-Kong pour
venue des pandas. Cette diplomatie zoologique crée la fêter son retour
Voyage sous escorte. Tout change polémique et déchaîne les critiques dans le giron de la
en mars 2008 avec l’arrivée de son du DPP. Le parti d’opposition voit République populaire,
successeur, Ma Ying-jeou, chef du dans les pandas le cheval de Troie du en 1999.
KMT. L’ancien maire de Taipei veut communisme, c’est-à-dire une La France aussi a eu
engager un rapprochement avec la menace pour la souveraineté et la droit à ses pandas :
Chine. Le lendemain de son élection, démocratie taïwanaises. Il invoque le en 1973 Li Li et Yen
il annonce que Taïwan accueillera les choix des noms des pandas, « Yen emménagent
pandas. En décembre 2008, les deux Tuanyuan » voulant dire « réunion » au zoo de Vincennes.
animaux quittent la réserve naturelle en chinois, une allusion à peine voilée Le premier meurt peu
du Ya’an dans le Sichuan (sud-ouest à l’unification politique revendiquée après son arrivée.
de la Chine). Ils voyagent dans un par Pékin. Lin Shu-fen, conseiller du Yen Yen, lui, coulera
fourgon avec air conditionné et sous DPP, a même proposé en décembre des jours heureux
escorte de police. Une vingtaine d’ex- « que Taïwan rende la pareille à la jusqu’à sa mort en
perts, en plus de leurs deux gardiens Chine en lui offrant deux singes, Tai 2000 à vingt-huit ans,
attitrés, les accompagnent. À leur Tai et Du Du (« Taidu » signifie l’in- un âge très avancé
départ et à leur arrivée, la foule est là dépendance de Taïwan, NDLR), pour pour les pandas.

Avril 2009 Le magazine du CFJ 9


C H I N E / TA Ï WA N L’ AV E N I R D E S F R È R E S E N N E M I S

leur montrer combien nous apprécions tion », observe Alexandre Chen, Une longue histoire
leur cadeau ». Autre sujet de crispa- directeur de l’Institut Ricci, spécialisé
tion, le nom donné à Taïwan dans les dans les recherches sur la Chine. de tensions
documents officiels. Ils font mention Taïwan doit manœuvrer à pas de
d’un don de « Chengdu, province de velours à chaque tentative de rappro- 1949 : Mao proclame la
Sichuan » à « Taipei, Taïwan », un chement. Les diplomates, comme les République populaire de Chine
terme qui ferait de l’île une province soigneurs du zoo, subissent une (RCP) à Pékin. Tchang Kaï-chek
de Chine. grosse pression. Tout faux pas ou une et les nationalistes du
Au-delà de l’échange de pandas, le simple dégradation de la santé des Kuomintang (KMT) se réfugient
DPP s’oppose au rapprochement pandas créerait un incident diploma- à Taïwan et installent le
avec la Chine dans les autres tique. Pour prévenir tout problème, gouvernement de la République
domaines. Le 15 décembre, les vols les soigneurs personnels des pandas de Chine (ROC) sur l’île.
aériens quotidiens, les liaisons pos- s’entraînent tous les jours pendant
tales et maritimes entre la Chine et quinze minutes à répéter les gestes 25 octobre 1971 : Le siège de la
Taïwan ont repris. En mars, les deux qui vont garantir le bien-être des ani- Chine aux Nations unies,
musées nationaux ont fini par trou- maux. Et la soigneuse en chef s’ap- jusque-là occupé par Taïwan,
ver un terrain d’entente pour échan- prête à suivre en Chine une forma- revient à Pékin.
ger des œuvres d’art. Dernière avan- tion sur leur reproduction. L’espèce,
cée, un projet d’une zone de en voie de disparition, est connue 1990 : Création à Taipei de la
libre-échange entre Pékin et Taipei. pour son manque d’appétit sexuel. Fondation pour les échanges
Le DPP s’y oppose violemment. Il Taipei souhaite que Tuan Tuan et dans le détroit (SEF) et en Chine
dénonce le risque d’une dépendance Yuan Yuan mettent au monde un de l'Association pour les
économique accrue vis-à-vis de magnifique bébé panda. échanges dans le détroit de
Pékin, qui représente déjà 40 % des Sur ce sujet très politique, le person- Taïwan (ARATS), qui gérent les
exportations taïwanaises, et craint de nel du zoo est plus que prudent. questions bilatérales.
voir l’île devenir une future Hong- L’arrivée d’un petit du couple pose-
Kong. « La Chine a évidemment un rait la question de sa nationalité. « On 2000-2008 : Deux mandats du
objectif politique avec la signature de verra quand il arrivera », se rassurent président Chen Shui-bian, qui
l’accord économique, c’est l’unifica- les soigneurs. ■ refuse tout contact avec Pékin.

Le 23 janvier 2009, le maire de Taipei et le président taïwanais 2005 : La Chine adopte une loi
Ma Ying-jeou inaugurent en grande pompe l’enclos des pandas. anti-sécession prévoyant le
recours à des moyens « non
pacifiques » si Taïwan déclare
l'indépendance.

26 avril 2005 : Le président du


KMT, Lien Chan, est reçu à
Pékin par le secrétaire général
du Parti communiste chinois
(PCC), Hu Jintao. Une première
depuis 1949.

2006-2007: Taipei est prête à


envisager une réunification avec
Pékin si elle renonce à
l'autoritarisme et au parti
unique. Le Président chinois
appelle à « un accord de paix »
avec Taïwan mais reste opposé
à son indépendance.

Mars 2008 : Election de Ma


Ying-jeou (KMT) à la présidence
REUTERS

de Taïwan. Il relance les


relations avec Pékin.

10 Le magazine du CFJ Avril 2009


C H I N E / TA Ï WA N CHERS CONFETTIS

La diplomatie du portefeuille
Si l’essentiel de la communauté internationale a tranché
le choix entre la Chine et Taïwan au profit de la première,
une poignée de micro-états résiste. Bénéficiant, en retour,
des largesses de Taipei.
par SILVÈRE BOUCHER-LAMBERT

lantés dans le hall du minis- nationale de riz du Burkina Faso, nais jugé trop systématique, la

P tère des Affaires étrangères soit 42 000 tonnes, était ainsi pro- Chine faisait monter les enchères.
taïwanaises, les 23 drapeaux duite dans des infrastructures Avec succès. Raflant six pays. En
sont difficilement identifiables financées par des deniers taïwanais. 2005, l’État de Grenade faisait lui
pour le néophyte en héraldique. Désormais, l’effort de coopération aussi défaut : en plus d’une aide
Une ligne or sur fond bleu azur de Taïwan se tourne également vers équivalente à celle jusqu’alors ver-
pour Nauru, trois losanges pour le la pisciculture, autre domaine dans sée par Taïwan, la Chine lui a
drapeau tricolore de Saint-Vincent- lequel l’île excelle. Mais pas besoin offert… un stade de cricket. Un
et-les-Grenadines. Autant de petits d’être aussi important que le must pour une île de 90 000 habi-
pays que l’on imagine mal en Burkina et ses 15 millions d’habi- tants sans le sou. Trois ans plus
grands intrigants de la diplomatie tants pour bénéficier des largesses tard, le Malawi, qui entretenait
mondiale. Mais qui sont, malgré de Taipei. depuis quarante et un ans des rela-
eux, arbitres d’un duel à fleurets Alliés choyés. Les îles Tuvalu ne tions avec Taïwan, au prix d’une
mouchetés entre la Chine et Pékin. comptent que 12 000 habitants sur aide substantielle de 295 millions
Le principe est simple. Un État ne un petit archipel corallien perdu d’euros par an, décidait à son tour
peut reconnaître officiellement dans un océan Pacifique immense. de signer avec le grand frère
Taïwan sans rompre avec la ennemi.
Chine. Or, Taïwan a absolu- Irritée par un racolage taïwanais jugé 23 États ciblés. L’actuel gou-
ment besoin d’entretenir des trop systématique, la Chine faisait vernement, qui se veut l’arti-
relations diplomatiques offi- monter les enchères, san d’un rapprochement his-
cielles pour asseoir son statut raflant six pays. torique avec Pékin, a compris
d’Etat à part entière : au même la leçon chinoise et s’interdit
titre que l’existence d’un territoire C’est, après le Vatican, l’État le désormais tout prosélytisme.
et d’un gouvernement, la recon- moins peuplé au monde. Pourtant, « Nous nous concentrons à présent
naissance par des pays tiers est ce Funfuti, village-capitale des Tuvalu, sur les vingt-trois États car nous
qui définit un État en droit interna- est l’allié indéfectible de Taipei aurions beaucoup à perdre à com-
tional. Lorsque qu’en 1971 Taïwan depuis trente ans. En février der- battre, explique Andrew Hsia, vice-
cesse d’être reconnu à l’ONU au nier, le Premier ministre de Tuvalu ministre des Affaires étrangères.
profit de la République Populaire était reçu en grande pompe à Nous passerions pour des fauteurs de
de Chine, ses ambassades mettent Taïwan où le président Ma Ying- trouble et nous souvenons que nous
les unes après les autres la clef sous jeou lui déclarait son intention de avons récemment perdu six recon-
la porte. Du jour au lendemain, l’île collaborer étroitement et à n’im- naissances dans ce jeu à somme nulle
est ostracisée. porte quel prix avec le petit archi- avec la Chine ».
Aussi, les rares pays pouvant se per- pel polynésien de 26 kilomètres Grand seigneur, le vice-ministre
mettre de bouder Pékin sont-ils carré pour le sauver de la montée des relations avec le continent,
aussi chouchoutés que subvention- des eaux. Chien Min Chao, estime même
nés par Taipei. « Taïwan nous aide Rarement les petits alliés ont été que « si des alliés décidaient de pas-
énormément, notamment en matière autant choyés. C’est que les der- ser à la Chine, rien ne serait fait
agricole dans le développement de nières années ont été difficiles pour pour les en dissuader. Les aides ne
l’irrigation pour la culture du riz », la diplomatie taïwanaise, meurtrie sont en aucun cas liées à la recon-
explique Jacques Sawadogo, ambas- par les coups d’estoc chinois. Au naissance ». Qu’on se le dise, la
sadeur du Burkina Faso à Taïwan. début des années 2000, passable- coopération taïwanaise est totale-
En 2008, 34 % de la production ment irritée par un racolage taïwa- ment désintéressée... ■

Avril 2009 Le magazine du CFJ 11


C H I N E / TA Ï WA N NO MAN’S ISLAND

Quemoy, l’autre « autre Chine »


À deux kilomètres des côtes chinoises, Quemoy est le bastion avancé de
Taïwan en Chine – à moins que ce ne soit l’inverse. Alors que les
autorités de l’île se réfugient dans la célébration nationaliste du passé
militaire, ses habitants sont majoritairement favorables à la réunification.
par FRANÇOIS BURKARD

ur les cartes, l’île de Quemoy a ristes, d’abord taïwanais, puis chinois servées des bombes et du béton…

S la forme d’un os. Un gros os


en travers de la baie d’Amoy,
dans la province chinoise du
à partir de 2001. En août 2008, le pré-
sident Ma Ying-jeou est même venu
inspecter le site d’un hypothétique
Mais les plages sont minées, et les
campagnes de nettoyage délicates.
Dans certaines zones, explique-t-on
Fujian : à deux kilomètres seule- pont entre Quemoy et son vis-à-vis chez le chef du district, les démi-
ment de la Chine continentale, l’île chinois, la ville de Xiamen. neurs ont retourné les tombes des
est une possession taïwanaise. Une Têtes de mort. Le projet de pont est ancêtres, provoquant la colère des
position stratégique qui lui a valu actuellement au point mort, mais il habitants. Alors, l’armée se contente
d’être l’avant-poste des troupes faut coûte que coûte attirer les tou- de délimiter les zones dangereuses
nationalistes de Tchang Kaï-chek, ristes, afin de faire vivre les 50 000 avec des barbelés et de les annoncer
et l’objet de bombardements inces- habitants de l’île, dont l’économie par d’avenantes têtes de mort.
sants de l’Armée populaire de dépend essentiellement de la pêche Quant aux maisons traditionnelles,
Chine entre 1949 et 1979. et de l’agriculture depuis le départ elles sont souvent à l’abandon,
Depuis, Quemoy a suivi Taïwan sur la des soldats. Pour cela, Quemoy ne délaissées au profit d’habitations
voie de la démocratisation, cahin- manque pas d’atouts : sa tranquil- plus grandes et plus confortables.
caha : abandon de la loi martiale en lité, ses plages de sable fin, ses char- Alors que Quemoy est le dernier en
1992 (cinq ans après le reste du pays), mantes forêts de pins, ainsi que les date des six parcs nationaux taïwa-
départ progressif des mili- dernières habitations traditionnelles nais, le circuit touristique classique
taires (100 000 à l’époque, 5 000 taïwanaises, petites constructions s’intéresse peu à la faune et à la flore
aujourd’hui) et ouverture aux tou- sans étages miraculeusement pré- des îles, mais fait la part belle aux for-

FRANÇOIS BURKARD

Sur Quemoy, les fortifications sont omniprésentes, et les plages transformées en champs de mines.

12 Le magazine du CFJ Avril 2009


C H I N E / TA Ï WA N C O PA I N S D ’ AVA N T

tifications, aux tunnels militaires et


aux champs de bataille. Au détour
d’une rue ou d’un chemin côtier, le
Taipei garde ses distances
promeneur est assuré de tomber sur
la statue martiale d’un illustre géné-
ral, une collection de chars de com-
avec le Tibet
bat ou une inscription solennelle et L’ennemi de mon ennemi est-il mon ami ?
revancharde appelant à la reconquête
du continent. Entre Taïwan et le dalaï-lama, tous deux
Dans le musée consacré à la grande opposés à Pékin, pas si sûr…
bataille de Kuningtou (1949), des
tableaux d’un style naïf exaltent la par MARION COCQUET
grandeur des troupes de Tchang
Kaï-chek, dont on peut admirer par 10 mars le jour du Tibet dans sa
ailleurs la jeep soigneusement bri- ville. Le grand parti d’opposition,
quée. Ici, un bunker voisine avec des DPP, dont elle est membre,
paniers de basket et des balançoires. entend marquer ainsi son désac-
Là, un habile artisan vend des cou- cord avec la politique tibétaine du
teaux fondus dans l’acier d’ancien- gouvernement.
nes bombes. Même l’autre spécialité En se rapprochant de la Chine,
locale, le kaoliang et ses 58 degrés celui-ci a pris ses distances avec le
d’alcool, est distribué dans des chef spirituel tibétain. En février
emballages en forme d’obus. dernier, le président Ma Ying-jeou
La nostalgie, camarade. Quemoy, déclarait que les circonstances
qui vote systématiquement pour la n’étaient pas favorables à une nou-
coalition bleue (celle du velle visite du dalaï-lama, qui en
Kuomintang) est nostalgique de son avait exprimé publiquement le
passé militaire : selon Ruey-Shin souhait.
Chen, dirigeant local du parti Revirements. Il avait pourtant été
démocrate progressiste (DPP, favo- reçu à deux reprises, en 1997 et en
rable à l’indépendance de Taïwan), 2001, par les présidents Lee Teng-
les habitants de Quemoy imputent à hui (KMT) et Chen Shui-bian
DALAILAMA.COM

l’ancien président Chen Shui-bian (DPP). En janvier 2003, le gouver-


(DPP) le départ des troupes qui fai- nement DPP avait créé une
saient vivre l’île. Fondation des échanges entre
Dans leurs locaux exigus, les Tibet et Taïwan, qui devait rem-
quelques militants DPP de Quemoy placer la Commission ministérielle
font preuve d’un désœuvrement fata- Le dalaï-lama n’est plus des affaires mongoles et tibétaines.
liste, regardant d’un œil un match de le bienvenu à Taïwan depuis le retour La commission était une survi-
base-ball à la télé, tout en chassant les du Kuomintang au pouvoir, en 2008. vance de l’époque où le
mouches avec une tapette en plas- Kuomintang voulait asseoir son
tique. Bien sûr, le DPP n’a pas la ls sont quelques centaines à pouvoir sur toute la Chine,
moindre chance de remporter les
prochaines élections ; mais le Kuo-
mintang non plus, se console t-on ici.
I s’être rassemblés dans le grand
parc de Kaohsiung, ce 10 mars
au matin. Tibétains émigrés,
Mongolie et Tibet compris.
Le KMT d’aujourd’hui a mis en
veilleuse ces ambitions. Mais de
Pas assez sinophile au goût des habi- bouddhistes ou simples citoyens, cette tradition historique il lui est
tants, qui lui préfèrent le New Party, les manifestants se sont parfois resté la conviction inébranlable
membre de la coalition bleue qui levés à l’aube. C’est en effet dans la que le Tibet fait partie intégrante
prêche activement pour la réunifica- grande ville du sud de l’île que le de la grande Chine, au même titre
tion avec la Chine. C’est une évidence représentant du dalaï-lama à que Taïwan.
que les habitants de Quemoy expli- Taïwan a choisi de célébrer le cin- Afin de n’être pas complètement en
quent à ceux qui ne parlent pas chi- quantième anniversaire de l’exil du reste des manifestations orches-
nois en situant l’île d’un simple chef spirituel tibétain. trées par l’opposition, le gouverne-
geste : ici, la Chine, là-bas, Taïwan. À Comme ses homologues de ment a décidé, le 10 mars dernier,
200 kilomètres à l’est. ■ Tainan et Pingtung, Chen Chu, la de régulariser la situation d’une
maire de Kaohsiung, a fait du centaine de Tibétains. ■

Avril 2009 Le magazine du CFJ 13


C H I N E / TA Ï WA N L’ A RT D E L A PA I X

L’impossible
Bataille adhésion à l’OMS

de porcelaine
Plus de trente-cinq ans
après son exclusion,
consécutive à celle de
l’ONU, Taïwan n’a
Autour des œuvres du Musée national du Palais de toujours pas réintégré
Taipei, la rivalité Chine-Taïwan se décline dans une l’Organisation
mondiale de la santé
version plus feutrée. (OMS), malgré ses
par MARION COCQUET demandes répétées.
Si la crise de la grippe
es deux calligraphies étaient Depuis, la Chine exige la restitution

L
aviaire a montré
séparées depuis soixante ans. de ces collections qu’elle estime l’intérêt d’un contrôle
Elle ont été réunies en mars der- volées. Une requête mise en sourdine sanitaire de l’île, la
nier. Sous l’œil des photographes et depuis le début du réchauffement des Chine continue de
des caméras, M. Xienmiao, directeur relations culturelles. bloquer toute
de la Cité Interdite à Pékin, et Mme En attente. Mais à Taipei on reste négociation car elle y
Chou, directrice du Musée National prudent : le musée national du voit les prémisses
du Palais à Taipei, se sont échangé en Palais ne souhaite pas encore prêter d’une indépendance
souriant les reproductions de leurs d’œuvres à la Chine. « Nous avons politique. Le droit
œuvres respectives. besoin de garanties légales qui nous semble lui donner
Pour la première visite du responsa- assurent que les pièces ne seront pas raison : il faut en effet
ble chinois le 2 mars dernier à Taipei, confisquées une fois en Chine, être reconnu comme
les autorités ont soigné le symbole. Il explique Chao Chien-min du un pays indépendant
est vrai que l’évé- Bureau des et souverain par l’Onu
nement est histo- Le gouvernement chinois relations avec pour prétendre à un
rique : après refuse depuis soixante ans de la Chine, c’est statut de membre à
soixante ans de reconnaître la légitimité du une condition l’OMS. Petit détail :
tensions, les deux musée taïwanais sine qua non ». les autorités
musées du Palais Mme Chou a taïwanaises ne
brisent aujourd’hui le silence. Sous beau assurer n’avoir en tête que le demandent pas d’être
l’influence de la diplomatie du prési- rayonnement de ses collections, elle acceptées comme
dent Ma, dont dépend directement le ne peut éviter de reproduire, à son membre à part entière,
musée de Taipei, deux rencontres échelle, les acrobaties diplomatiques mais comme simple
officielles ont eu lieu depuis février de son gouvernement. Le pouvoir observateur. Taïwan
de part et d’autre du détroit. taïwanais récuse le principe « une n’a toujours pas accès
L’événement. Premier résultat de ces Chine, deux régimes », le Musée aux informations de
débuts de collaboration, la Chine a national du Palais refuse de son côté base sur le contrôle ou
accepté de prêter vingt-neuf de ses le concept « un musée du Palais, deux la lutte contre la
œuvres au Musée national du Palais sites », avancé en février dernier par propagation des
pour une exposition consacrée à un responsable chinois. « Cette idée maladies infectieuses.
l’empereur Yongzheng en octobre n’est pas tenable, explique M. Su, Pour sortir de cette
prochain. Le geste va de soi pour tous directeur des relations publiques. impasse sanitaire et
les grands musées du monde. Entre Cela impliquerait que les œuvres de diplomatique, un
ces deux-là, il est sans précédent. Taipei puissent retourner un jour à accord a cependant été
Le gouvernement chinois refuse en Pékin. Or c’est impossible, elles appar- signé en 2005.
effet, depuis soixante ans, de recon- tiennent maintenant à la culture taï- Il autorise les médecins
naître la légitimité du musée taïwa- wanaise ». taïwanais à participer
nais : il n’est à ses yeux qu’une usur- Et elles sont là pour la promouvoir : aux activités de l’OMS
pation de la Cité interdite. Lorsqu’en Taipei compte en effet sur le renom et l’organisation
1949 les nationalistes quittent la de ses collections pour propulser mondiale à envoyer
Chine, ils emmènent avec eux plus d’autres domaines spécifiques de leur des experts sur l’île et
de 600 000 pièces du grand musée de culture. La réconciliation des Palais fournir une assistance
Pékin, pour le recréer à Taiwan. n’en est que plus attendue. ■ en cas de crise.

14 Le magazine du CFJ Avril 2009


U N E J E U N E D É M O C R AT I E PRISONNIER SPÉCIAL

AFP
Le procès S
a femme, malade, se présente
devant le tribunal en chaise
roulante. Sa belle-fille est tra-
quée jusque chez son dentiste new-

qui ne fait pas yorkais. Lui brandit ses mains


menottées en signe de défiance
devant les caméras : l’ex-président
taïwanais, Chen Shui-bian, est au
centre d’un affolant tourbillon

pschiiit
médiatique. L'ancien chef de l’Etat,
qui a quitté son poste en mai 2008
après huit années au pouvoir, est
soupçonné d’avoir détourné plu-
sieurs millions de dollars taiwanais
et attend son procès depuis une cel-
lule de prison.
À peine son mandat terminé, l’ancien La saga juridique qui passionne
président Chen Shui-bian comparait, Taiwan commence en novembre
2006 avec la mise en cause de son
depuis le 25 mars, pour des épouse, Wu Shu-jen. La Première
malversations faramineuses. Le voilà dame de l’époque est poursuivie
pour fraudes impliquant des fonds
en prison. Justice implacable ou publics. A la fin de son mandat, l’im-
vengeance politique ? Polémique. munité de Chen Shui-bian tombe.
L’ancien président doit justifier de
par MAUD NOYON et ESTELLE MAUSSION mouvements de fonds obscurs et se
défendre d’accusations de corrup-

Avril 2009 Le magazine du CFJ 15


U N E J E U N E D É M O C R AT I E PRISONNIER SPÉCIAL

tion. Une enquête est ouverte. Elle


implique aussi son fils, sa belle-fille
et certains de ses proches collabora-
teurs. Le tribunal de Taipei place
l’ancien président en détention
provisoire dès novembre 2008, à
peine neuf mois après la fin de son
mandat.
Détention prolongée. Au cœur de
l’affaire, la gestion des deniers
publics et des dons destinés à finan-
cer les campagnes électorales du
parti démocrate-progressiste (DPP),
dont Chen était le dirigeant à
l’époque. Ce dernier admet avoir
utilisé de faux reçus, produits par
son épouse, pour obtenir de l’argent
public, en tout 345 000 euros. Chen
soutient que cet argent était destiné
à des « missions diplomatiques
secrètes » et non à son enrichis-
sement personnel, comme il lui est
reproché. Problème : les sommes
versées – quelque 15 millions et
demie d’euros, gelés depuis –

AFP
auraient atterri sur le compte suisse
de sa belle-fille. Wu Shu-jen quitte le tribunal de Taipei, le 12 mars 2009.
Alors que les preuves contre Chen La femme de l’ancien président, en fauteuil roulant depuis plus de vingt ans
Shui-bian s’accumulent, les suite à un accident après un meeting, est elle aussi au centre d’une
Taïwanais approuvent ce procès tourmente judiciaire. Dès l’ouverture du procès, elle a plaidé coupable pour
cathartique, dans un pays où la cor- blanchiment d’argent et usage de faux. Mais elle a nié être impliquée dans
ruption est un mal endémique. Mais des détournements de fonds et avoir reçu des pots de vin, deux chefs
plus que la procédure contre le sim- d’accusation qui ont envoyé son mari en prison.
ple citoyen Chen, c’est sa détention
prolongée qui relance la polémique. accusation de partialité, en faveur du dans une affaire de fraude en février
Début février, après deux appels des parti au pouvoir, le Kuomintang 2007. Simulacre de justice, le procès
procureurs et le remplacement du (KMT), dénoncée par beaucoup au de l’ancien président ne serait qu’un
président de la Cour, favorable à la DPP. Wellington Koo l’explique par moyen pour le KMT de se débarras-
remise en liberté de Chen, le tribu- le poids de l’héritage des ser d’un opposant poli-
nal de Taipei a finalement reconduit tribunaux militaires ins- « On ose enfin tique.
pour deux mois supplémentaires sa taurés par le KMT autre- juger un chef La thèse du règlement
détention conditionnelle. fois, et qui ont exercé la d’Etat » de comptes politique
Règlement de comptes politique ? justice à Taïwan jusqu’en constitue d’ailleurs la
La Cour a justifié sa décision en 1987. Les anciens juges sont toujours principale ligne de défense de Chen
invoquant l’importance des délits en place aujourd’hui. Shui-bian. Le suspect souligne que
commis, le risque de destruction de « Ce procès est une avancée car on ose le parti majoritaire, le Kuomintang,
preuves et de collusion avec d’autres enfin juger un chef d’Etat. Mais le est le grand gagnant de cette affaire,
co-inculpés. Des arguments que problème c’est que la procédure n’est qui éliminerait ainsi une figure
réfute Wellington Koo, ancien pas régulière », renchérit Wu Chih- majeure de son ennemi juré, le DPP,
conseiller juridique de Chen et ex- chung, professeur au département tout en jetant le discrédit sur le
avocat de la Première dame : « Pour de sciences politiques à l’université parti et ses membres.
une affaire de corruption de ce type, le Soochow. Détail révélateur selon Chen Shui-bian, accablé par les
juge demande une caution et laisse lui : le magistrat qui maintient Chen preuves et qui risque la prison à
l’accusé en liberté. Dans le cas de l’an- derrière les barreaux est celui-là perpétuité, pourrait n’être que le
cien président, il ne respecte même pas même qui a innocenté l’actuel pré- premier domino d’une longue
la présomption d’innocence ». Une sident Ma Ying-jeou (Kuomintang) chaîne.■

16 Le magazine du CFJ Avril 2009


U N E J E U N E D É M O C R AT I E L E P O I D S D U PA S S É

Mémoires d’un prisonnier politique


Victime de la « Terreur blanche » instaurée pendant quarante ans à
Taïwan, Huang Ting-chin en a passé la moitié en prison, dont quatre
dans le bagne de Green Island. Il s’effraie du retour au pouvoir du
KMT, l’ancien parti unique.
rop de souffrances, trop de L’homme au visage décharné et au tentative d’évasion, à Green Island.

T cauchemars. Huang Ting-


chin ne voulait plus parler de
Green Island, l’île où il a croupi
regard fuyant décrit sa détention
dans les moindres détails à tel point
que l’interprète s’interrompt. Une
En 1987, les prisonniers espéraient
attirer l’attention nationale sur leur
sort. Par une grève de la faim, puis
pendant quatre années d’enfer. torture mimée, mains menottées, en tentant de s’immoler. La rébel-
Mais, ces derniers temps, les souve- doigts manquants, restera sans tra- lion fut réprimée dans le sang.
nirs remontent à la surface et les duction. Désigné leader du mouvement,
mots affluent. Le retour du Début de l’horreur en 1984 quand Huang fut condamné à perpétuité,
Kuomintang au pouvoir et les Huang était jeté en prison, victime et finalement libéré au terme d’une
déboires du DPP – parti composé avec 3 900 autres personnes d’une longue procédure.
de nombreux anciens dissidents – vaste campagne d’arrestations d’op- Agé aujourd’hui de cinquante- ans,
l’effraie. Au mutisme, Huang pré- posants politiques. Malgré la levée de l’homme n’est jamais retourné sur
fère désormais la parole. Il évoque la loi martiale en 1987, il restera six l’île, devenue entre temps une des-
les conditions de détention, les pri- années supplémentaires enfermé dans tination touristique. Il refuse de
vations, les sévices en vigueur au les geôles du pouvoir. l’envisager. Trop de souffrances,
bagne de Green Island, qui n’a fermé Car Huang a été accusé d’avoir trop de cauchemars. ■ MAUD NOYON
ses portes que dans les années 80. fomenté une révolte, assimilé à une

FOCUS

Green Island, la culpabilité d’une île


« Oasis villa » –, le bagne de l’Ile Verte
aura vu passer de nombreuses figures
actuelles de la politique taïwanaise.
Dont Annette Lu, l’ancienne vice-pré-
sidente DPP.
Encerclés par l’océan Pacifique, à
quelques encablures des côtes, les 15
kilomètres carré de l’île ont accueilli
les premiers détenus en 1951. Ces
derniers cassaient du rocher à lon-
gueur de journée, et devaient trouver
de quoi survivre des cultures et de la
THOMAS VAMPOUILLE

nature environnante.
Les prisonniers suivants avaient
pour seul horizon les quatre murs de
leur cellule. Une nourriture rare, des
coups et des punitions étaient censés
les rééduquer. La prison de L’Ile
L’ancienne prison, transformée en musée, est désormais ouverte au public. Verte a définitivement fermé ses
our des citadins en manque de années, l’Ile Verte a hébergé une colo- portes en 1987. Aujourd’hui, un
P fraîcheur, un rocher tranquille à la nie pénitentiaire connue pour sa
végétation luxuriante. Pour des mil- dureté. Centre de correction de la
mémorial commémore les victimes
de la prison et les souffrances des
liers d’anciens prisonniers politiques, Nouvelle vie, puis prison de Réforme survivants. Une façon de soulager la
l’enfer sur Terre. Pendant trente-cinq et Rééducation – baptisée par dérision culpabilité de l’île. ■ M. N.

Avril 2009 Le magazine du CFJ 17


U N E J E U N E D É M O C R AT I E AU NOM DU PÈRE

Le Kuomintang, un
dictateur en héritage
Revenu au pouvoir en janvier 2008 après huit ans
dans l’opposition, le Kuomintang concentre aujourd’hui
tous les pouvoirs à Taïwan. Enquête sur un parti
démocratique dont la référence est un ancien dictateur.
par MARION BRUNET

ANNE-SOPHIE LASSERRE

Le mémorial Tchang Kaï-chek à Taipei. Un monument à la gloire du généralissime, inauguré en 1980, cinq
ans après sa mort.

actuel président de Taïwan, sime chinois, fondateur du qui joue le jeu de la démocratie tout

L’ Ma Ying-jeou, n’avait peut-


être pas d’affiche de Chang
Kaï-chek sur les murs de sa cham-
Kuomintang, a toujours été sa réfé-
rence, son général de Gaulle à lui.
Aujourd’hui, Ma Ying-jeou se
en se référant à un passé dictatorial.
Il est difficile de se représenter l’im-
portance historique de Tchang Kaï-
bre d’étudiant. Mais le généralis- retrouve à la tête d’un étrange parti, chek et de son parti. Sans le

18 Le magazine du CFJ Avril 2009


Kuomintang (KMT) Taïwan n’existe-
rait pas dans sa forme actuelle.
Pendant des décennies, ce parti fut
l’essence même de la politique de l’île.
Un mouvement parti pour repren-
dre la Chine aux communistes,
obligé de s’exiler sur une île 250 fois Taïwan
plus petite que le pays tout entier, et en quelques dates
qui a voulu y construire et y perpé-
tuer un Etat. C’est l’épopée parfois 1945 : Capitulation des forces
tragique, un temps sanglante, d’une militaires japonaises basées à
ambition nationale qui se termine Taïwan. L’île devient une
finalement par la volonté inébran- province de la République de

ANNE-SOPHIE LASSERRE
lable de sauvegarder l’indépendance Chine.
de fait d’un tout petit pays.
Un ennemi nommé Mao. Dès le 1947 : La Constitution de la
début des années 20, Tchang Kaï- République de Chine est
chek est proche de Sun Yat-sen, le promulguée le 1er janvier à
père fondateur de la République de Nankin. Le 28 février, un
Chine, et son premier président de soulèvement populaire est
1912 à 1925. En 1923, lorsqu’il est Un mémorial en hommage aux réprimé par les forces militaires
envoyé comme émissaire en URSS, victimes des « incidents » chinoises à Taïwan.
le jeune soldat chinois qu’est du 28 février 1947 a été édifié
Tchang Kaï-chek ressent les pré- en 1997 par le gouvernement 1949 : Le Parti communiste
mices d’une aversion pour le com- du Kuomintang. chinois proclame la République
munisme. Après ce voyage au pays populaire de Chine sur le
des Soviets, son dégoût de la faucille plus d’un million et demi de continent. Tchang Kaï-chek se
et du marteau ne le quittera plus. A Chinois, il y établit le gouvernement réfugie à Taïwan et instaure la
la mort de Sun en 1925, il s’arroge de la République de Chine, la même loi martiale.
la direction du Kuomintang et dénomination, mais sans le terme
lance, l’année suivante, « populaire ». Une installation pro- 1975 : Mort de Tchang Kaï-chek.
l'« Expédition du Nord ». En 1928, visoire à ses yeux, l’objectif étant de
après plusieurs victoires contre les reprendre la Chine continentale aux 1987 : La loi martiale est levée.
« seigneurs de la guerre » et les communistes. Début de la démocratisation de
communistes chinois, il réalise son Pendant près de quarante ans, le l’île.
rêve d’une Chine unifiée sous le Kuomintang va régner en parti
drapeau nationaliste. unique sur un pays en voie d’enri- 1996 : Première élection
A la tête de la République de Chine, chissement. Le KMT monopolise le présidentielle taïwanaise au
Tchang Kaï-chek instaure un pouvoir au profit des Chinois d’ori- suffrage universel remportée
régime combinant les valeurs du gine continentale et instaure en par Lee Teng-hui, candidat du
confucianisme et du fascisme. Il 1949 la loi martiale pour maintenir Kuomintang (KMT).
suspend également sa lutte contre le l’ordre. « Nous étions très fragiles à
communisme pour constituer un l’époque à cause de la guerre contre 2000 : Chen Shui-bian, le
front uni avec ses ennemis de la les communistes. Personne n’a aimé candidat du Democratic
veille face aux attaques des Japonais. la loi martiale, mais elle était indis- Progressive Party (DPP) gagne
Après la guerre de résistance, Mao pensable pour nous protéger face à la les élections présidentielles.
Zedong sera pourtant son principal Chine populaire », affirme
ennemi. aujourd’hui Kuo Yun-kuang, le res- 2004 : Le DPP remporte à
Exode massif. De 1946 à 1949, une ponsable des relations extérieures nouveau les présidentielles.
guerre civile sanglante oppose les du parti.
deux leaders. En octobre 1949, la « Détchangkaïchekisation ». 2008 : Ma Ying-jeou, le candidat
proclamation de la République Durant ces années de terreur, toute du KMT, est élu président de la
populaire de Chine par Mao force le velléité d’opposition est réprimée, République de Chine.
généralissime à se replier avec ses les emprisonnements politiques se
troupes sur l’île de Taïwan. Suivi par multiplient, ainsi que les exécutions

Avril 2009 Le magazine du CFJ 19


U N E J E U N E D É M O C R AT I E AU NOM DU PÈRE

sans jugement, et aucun Taïwanais ont choisi l’alternance dans ce sys-


ne peut quitter le pays sans autori- tème au fort bipartisme, et confié
sation gouvernementale. Après la les trois quarts des sièges du
mort de Tchang en 1975, la loi mar- Parlement au KMT.
tiale restera en vigueur encore Un dossier historique continue tou-
douze ans, jusqu’à ce tefois à ennuyer le
que son fils et succes- Kuomintang. Il
seur, Tchang Ching- Un parti peut-il concerne les « inci- Kao Chin Su-mei
kuo, décide de la lever continuer à honorer dents » du 28 février tient ses origines
et de démocratiser le un dictateur, 1947. Ce jour-là, des aborigènes de sa
pays. responsable manifestations de grand-mère
Près de t rente-cinq de la mort Taïwanais étaient maternelle, de la
ans après sa mort, de milliers réprimées dans le tribu Atayal.
Tchang Kaï-chek reste de personnes, et se sang par le gouverne-
la référence majeure prétendre ment de la
du Kuomintang. Dans démocratique ? République de Chine,
le hall du parti, cer- sous les ordres de
tains de ses objets per- Tchang Kaï-chek.
sonnels sont encore Pendant la « Terreur
exposés comme des reliques. Mais blanche », une vague de répression
cette vénération fait l’objet de polé- qui dura deux ans, des assassinats,
Digne petit-fils
miques. Le Parti démocrate-pro- des arrestations et des emprison- La mémoire des
gressiste (DPP), principal mouve- nements furent commis quoti- ancêtres, c’est sacré,
ment d’opposition, demande diennement. Le gouvernement du fussent-ils dictateurs
régulièrement que les autorités ces- KMT ne reconnaîtra les exactions plus ou moins éclairés.
sent d’honorer un « assassin » et un commises et ne rendra hommage Alors que les
« tyran ». Au pouvoir de 2000 à aux victimes qu’en 1996. monuments en
2008, le DPP avait d’ailleurs engagé Budget verrouillé. Le paradoxe, l’honneur de Tchang
une vaste campagne de « détchang- c’est que le mémorial du 28 février Kaï-chek et de son fils
kaïchekisation », en débaptisant abrite une statue de Tchang. Une Tchang Ching-kuo
notamment les lieux à la gloire du aberration pour le directeur de la foisonnent dans tout le
général. L’aéroport international Fondation pour la mémoire du pays, John Hsiao-yen,
Tchang Kaï-chek de Taipei est 28 février, Lin Kun-chung. fils illégitime
devenu l'aéroport de Taoyuan, et le Combien la « Terreur blanche » a- du second, s’emploie
Mémorial Tchang Kaï-chek, où une t-elle fait de morts ? Les rapports activement à honorer
immense statue de 600 tonnes sur- officiels font état de 28 000 vic- leur souvenir.
plombe une vaste esplanade, a été times, mais la réalité pourrait être Clientélisme,
renommé Mémorial national de la pire. concussion et scandale
démocratie de Taïwan. Dès son Comment savoir ? Le Kuomintang sexuel, il n’est pas un
retour au pouvoir en 2008, le KMT verrouille le budget alloué à la fon- domaine où ce député
est revenu sur cette décision. dation, l’empêchant ainsi de pour- du Kuomintang
Des meurtres inavoués. En dépit suivre ses recherches. Quand il ne n’excelle dans sa
des critiques, le Kuomintang et le bloque pas carrément l’accès aux circonscription
président Ma persistent dans leur dossiers, comme l’en accuse Wu de Taipei. En 2005,
volonté de rendre hommage à Chih-chung, professeur d’histoire tandis que le DPP,
Tchang Kaï-chek. Un parti peut-il politique taïwanaise à l’université alors au pouvoir,
continuer à honorer un dictateur, de Soochow, à Taipei. faisait subir à Taïwan
responsable de la mort de milliers Le 28 février dernier, le chef de une campagne de
de personnes, et se prétendre démo- l’Etat Ma Ying-jeou s’est efforcé de « détchang-
cratique ? C’est là l’ambigüité. Le faire bonne figure lors de la com- kaïchekisation »,
Kuomintang accepte les règles du mémoration. Pour faire taire les le digne petit-fils a
suffrage universel, la liberté d’ex- polémiques, il a promis de verser officiellement ajouté
pression, mais continue à dominer des subventions afin de favoriser les Tchang, le nom
la vie politique. En janvier 2008, recherches historiques. Soixante et de son grand-père,
après huit ans de DPP, les citoyens un ans après. ■ à sa carte de visite.

20 Le magazine du CFJ Avril 2009


U N E J E U N E D É M O C R AT I E M I N O R I T Y R E V O LT

« Nous voulons l’égalité »


Une star
à l’Assemblée
Avant les bancs de
l’Assemblée, Kao Chin
Su-mei fréquentait les
plateaux télé. Sous
son nom de scène

THOMAS VAMPOUILLE
May Chin, cette
aborigène née en 1965
dans le centre
de Taïwan a sorti cinq
albums, tourné dans
des séries télévisées
et des publicités, dès
La chanteuse et actrice Kao Chin Su-mei l’âge de vingt ans.
Garçon d’honneur,
est la première députée aborigène de de son compatriote
Taïwan. Elle raconte pourquoi elle a choisi Ang Lee, Lion d’Or
de défendre la cause de son peuple, qui à Berlin en 1993,
la propulsa sous les
reste largement ignorée. projecteurs. Alors au
sommet de sa gloire,
Qu’est-ce qui a amené l’artiste que conserver. De nombreux habitants May Chin ouvre
vous étiez sur les bancs de sont donc obligés de quitter leurs vil- à Taipei une boutique
l’Assemblée législative ? lages. Ils se retrouvent en ville, sans tra- dédiée au mariage.
Un accident de la vie. Il y a sept ans, on vail. En 1996, un incendie
m’a diagnostiqué un cancer du foie. Les aborigènes réclament-ils un s’y déclare, tuant cinq
Quand la vie est menacée, on pense au statut particulier ? personnes. Ce drame,
sens à lui donner. J’ai choisi de m’en- Il est encore difficile aujourd’hui de puis ses propres
gager en politique. Comme mon parler d’autonomie. Ce que nous vou- ennuis de santé
visage était déjà connu, ça m’a facilité lons pour l’instant, c’est simplement la détournent de la
les choses. Mais je ne me considère pas l’égalité avec les autres citoyens taïwa- scène. Cette fille
comme une figure politique. Je veux nais. Les manuels d’histoire ne parlent d’un soldat Han et
simplement faire avancer la cause des même pas de nous, alors que nous d’une petite tailleuse
aborigènes. vivions ici les premiers ! Les hommes aborigène se lance
Qu’est-ce que la cause au pouvoir nous considèrent comme en politique. Élue sous
aborigène ? un peuple inférieur, ils méprisent la bannière du Non-
Quand le gouvernement distribue son notre culture et notre histoire. Partisan Solidarity
budget, les aborigènes sont systéma- Comment conserver cette Union (NPSU,
tiquement défavorisés, dans tous les identité ? indépendant) en 2001,
domaines. Le problème de la terre est Je pense qu’il est important de pro- Kao Chin Su-mei
primordial. Les aborigènes n’ont pas le mouvoir les langues aborigènes. s’évertue à défendre
droit de disposer de la terre sur laquelle Pendant longtemps, elles ont été les droits de son
ils vivent, dans les montagnes pour la interdites sur l’île. Les autorités vou- peuple, tout en
plupart. Le gouvernement les empêche laient généraliser le mandarin. Or en prônant un
par exemple de cultiver autour des l’absence d’alphabet, notre culture se rapprochement
sources d’eau sous prétexte de les transmet de manière orale. J’aimerais avec la Chine.

Avril 2009 Le magazine du CFJ 21


U N E J E U N E D É M O C R AT I E

que les jeunes reviennent à leur


langue.
Quels sont les rapports des abori-
Les Verts en solitaires
gènes avec les Han (l’ethnie majo- Les écologistes ont désormais un pied à terre
ritaire, venue de Chine) ?
Au début, les aborigènes vivaient à Taïwan. Mais le Green Party Taïwan (GPT)
entre eux. Avec la colonisation japo- peine à exister face au bipartisme.
naise, certains ont été forcés de
déménager et ils ont commencé à se ment, le Green Party Taïwan s’efforce
mélanger avec d’autres ethnies. Puis d’imposer son discours écologique.
il y a eu la modernisation. Une mission quasi impossible,
Aujourd’hui, les métissages sont explique son secrétaire général, Pan
plus fréquents. J’en suis d’ailleurs Han-sheng : « A chaque élection, nous
issue : mon père était un soldat Han, devons présenter au moins dix candi-
qui s’est marié à ma mère de la tribu dats et payer 465 € pour chacun d’eux.

ESTELLE MAUSSION
Atayal, l’un des quatorze groupes Nous en ressortons inévitablement
aborigènes de Taïwan. endettés puisque nous n’obtenons
La cause aborigène a-t-elle avancé jamais d’assez bons résultats pour pré-
grâce aux travaux législatifs ? tendre aux subventions publiques! »
En 2006, j’ai réussi à faire adopter Des « vélib » taïwanais. Mais le
une loi-cadre, très générale, sur les Le siège du Green Party à Taipei. GPT refuse de désarmer. Optimiste,
droits des aborigènes. C’était la pre- Pan Han-sheng fait ses calculs pour
mière du genre. Auparavant, les es Taïwanais, qui représentent les élections législatives partielles du
seules lois qui parlaient des abori-
gènes visaient à limiter leurs droits. Il
Lémettent
0,3 % de la population mondiale,
1 % du total des émissions
28 mars prochain à Taipei : « Il faut 15
000 voix pour remporter un fauteuil de
me reste à proposer une vingtaine de de CO2 de la planète. Un chiffre trop député. Atteindre 5 % sera compliqué
lois plus concrètes, sur la terre, l’édu- élevé selon les Verts taïwanais. mais 1 %, c’est possible ! ». Le candi-
cation, l’autonomie, etc. C’est un tra- Pourtant, la conscience environ- dat du parti défend l’instauration
vail difficile, il y a un décalage entre nementale semble avoir gagné les d’une économie verte : création d’une
les discours et les actes. Par exemple, insulaires : un projet de ferme taxe carbone, mise en place de «
le nouveau président Ma Ying-jeou a d'algues est actuellement à l’étude vélib » taïwanais. « Nous ne gagnerons
parlé dans son discours inaugural de pour compenser les émissions de pas en mars, mais nous nous tenons
reconnaissance des autochtones. CO2. Et les entreprises se spécialisent prêts pour les prochaines élections
Mais dans les faits, toujours rien. de plus en plus dans les technologies municipales de 2010, où nous espérons
L’ancien gouvernement avait égale- de l’environnement ou « greentech ». franchir la barre des 5 % », affirme
ment fait des promesses, jamais Composé de 200 membres seule- Pan Han-sheng. ■ MARION BRUNET
tenues.
A l’avenir, allez-vous vous rappro- O R G A N I S AT I O N P O L I T I Q U E
cher d’autres populations abori-
gènes dans le monde, pour faire
front commun ?
Un pouvoir à cinq têtes
Je suis déjà allée plusieurs fois à A Taïwan, la politique repose sur cinq constitution taïwanaise compte égale-
l’ONU. Mais le problème, c’est que pouvoirs. Premier d'entre eux, le Yuan ment un Yuan des examens, chargé du
Taiwan n’y est pas reconnue. Je n’ai exécutif. C’est le gouvernement, dirigé recrutement dans la fonction
donc pas pu participer concrètement par le Premier ministre. Il est composé publique, et enfin un Yuan de
aux discussions. Quand, en 2005, j’ai de huit ministères et d’une trentaine contrôle. Comparable à la Cour des
voulu obtenir des excuses du gouver- de commissions, dont les chefs for- comptes en France, ce dernier vérifie
nement japonais à propos des exac- ment le Cabinet. Le Yuan législatif est les finances de l’Etat et a, en outre, le
tions commises sous l’occupation, je une chambre constituée de 113 élus, pouvoir de destitution et de censure
n’ai pas pu le faire à la tribune. J’ai dû dont une partie à la proportionnelle. des fonctionnaires. Les chefs des diffé-
me contenter de distribuer des tracts Elle rédige, révise et vote les lois. Elle rents Yuans sont nommés par le prési-
en-dehors du bâtiment. ■ supervise aussi les actions des diffé- dent mais doivent être validés par le
recueilli par ANNE-SOPHIE LASSERRE ET rents organismes de l’Etat. Troisième Yuan législatif. Cette organisation poli-
THOMAS VAMPOUILLE Yuan, le judiciaire. Il fait office de cour tique permet de diluer les responsabi-
constitutionnelle et supervise le fonc- lités et d’offrir plusieurs contre-pou-
tionnement des autres tribunaux. La voirs. ■ ANTONIN CHILOT

22 Le magazine du CFJ Avril 2009


ÉCONOMIE MICRO-COSMOS

SILVÈRE BOUCHER-LAMBERRT
ordinaire, se faire compren-

D’
Les géants dre d’un chauffeur de taxi taï-
wanais sans une bonne
connaissance du chinois relève de la
gageure. Mais, c’est bien connu, toute
règle a son exception. À Taipei, elle a

du mini
pour nom Kuanghwa Market, la
Mecque de l’électronique. Sa simple
évocation phonétique suffit à mettre
en mouvement les yellow cabs locaux.
Rénové l’année dernière, le building
est un des symboles du miracle éco-
nomique de l’île et abrite les produits
des plus grands fabricants du secteur.
Longtemps méconnus du grand Smartphones, écrans plasma et autres
public, les fabricants d’ordinateurs PC pullulent sur six étages. Deux
enseignes lumineuses émergent
taïwanais s’imposent désormais pourtant, dès l’entrée, de cette meute
comme des acteurs puissants du numérique. Deux noms qui s’impo-
sent à la vue du visiteur non averti :
marché. En l’espace de deux ans, Acer et Asus sont ici les mâles
ces champions du PC portable à bas dominants.
Quelques mètres plus loin, un des
prix ont bouleversé les règles du jeu. rares stands où les deux fabricants
d’ordinateurs ne font pas chambre à
par OLIVIER SARETTA part est bondé. Les frères ennemis s’y
livrent une guerre sans trêve. Leur

Avril 2009 Le magazine du CFJ 23


ÉCONOMIE MICRO-COSMOS

arme favorite : le netbook, ce miniPC Acer affiche des ambitions spectacu-


low cost à performances limitées, laires. Le groupe s’est fixé pour objec-
La mobilité
dont ils sont actuellement leaders tif d’écouler cette année entre 25 et 30 de la téléphonie
mondiaux. La bataille est d’ailleurs ici millions d’unités, faisant ainsi jeu égal
savamment mise en scène. Les der- avec son concurrent direct. Apple a du souci à se
niers-nés des deux marques, sortis à faire. Les perspectives
un jour d’intervalle en février – Asus lutte pied à pied de croissance
l’Aspire One pour Acer et l’Eee pour contre son rival Acer exceptionnelles du
Asus – trônent sur des colonnes lumi- et affiche comme lui marché des
neuses à l’entrée de la boutique. Leur des taux de croissance smartphones – ces
succès ne se dément pas. « Nous en à deux chiffres téléphones évolués
écoulons six ou sept par jour », estime aux allures de PC de
un jeune vendeur. Une moyenne qui, Une performance qui lui permettrait poche – aiguisent
étendue à l’ensemble des unités de également de consolider son rang de l’appétit de nouveaux
vente de la planète, se chiffre en mil- troisième fabricant mondial d’ordi- acteurs. Le 18 février
lions d’exemplaires à la fin de l’année. nateurs (derrière Dell et Hewlett dernier, le fabricant
Les raisons de cette réussite tiennent Packard). L’entreprise a toutes les rai- d’ordinateur taïwanais
en quelques chiffres : 10 pouces, sons d’afficher une telle confiance. Sa Acer a lancé en grande
900 grammes et surtout 380 euros. success story, symbole du miracle pompe sa première
« Dans leur travail, les gens ont rare- économique taïwanais, n’a jusqu’à gamme de téléphones
ment besoin de plus qu’un traitement aujourd’hui connu aucun accroc. intelligents, lors du
de texte et Internet. Un netbook en a Créée en 1976 par Stan Shih, avec un Salon mondial de la
largement les capacités. Alors, au lieu capital de 18 500 euros et une dou- téléphonie mobile.
de dépenser une somme importante zaine de fidèles, la société emploie Rejoignant son
dans un ordinateur à haute perfor- désormais 6 500 personnes et a enre- compatriote et
mance dont ils n’exploiteront de toute gistré en 2008 un chiffre d’affaires de concurrent Asus, sur le
façon qu’une infime partie, ils préfèrent 20 milliards d’euros (contre huit pour marché depuis le mois
investir dans un appareil qui se glisse Asus). Des performances dopées il y de janvier, Acer a
dans un sac à main », poursuit le ven- a deux ans par le rachat des fabricants dévoilé une armada de
deur, avant d’ajouter qu’ils sont « dis- américains Gateway et Packard Bell. quatre modèles. Tous
ponibles en quatre couleurs et conver- Autre signe de la volonté de conquête répondent aux figures
tibles au format européen en moins d’Acer : la nomination en 2004 d’un imposées du genre
d’une heure ». étranger à la tête du groupe – fait très (connexion Internet,
Acer, 3e fabricant mondial. Il ne inhabituel dans les sociétés asiatiques wifi, processeur
faut pas s’y tromper. Derrière leurs – l’Italien Gianfranco Lanci. Ajoutez performant...). Seul le
allures de bonbons électroniques, les à cela un partenariat avec Carrefour, DX900 fait l’objet
netbooks sont en passe de devenir les et vous obtenez le dernier terme d’une commercia-
rois des ordinateurs. Dédaignés par les d’une équation expansionniste plané- lisation mondiale.
leaders américains des PC, censés taire. Vendu 469 euros, trois
conquérir à l’origine les classes Asus ne vit pas pour autant dans autres modèles
moyennes chinoises et indiennes, ces l’ombre de son concurrent. Le pion- suivront au début du
ordinateurs portables sous-dimen- nier du netbook – son premier mo- mois d’avril. Leur prix
sionnés, sous performants, ont en fait dèle d’Eee est sorti en 2007 – actuel n’excèdera pas 549
été plébiscités par les consommateurs numéro un du segment, lutte pied à euros. Tous utilisent le
européens et américains. Résultat : pied contre son rival sur le terrain de système opérationnel
l’année dernière, plus de dix millions l’innovation. Avec 29 titres décernés Windows mobile de
d’entre eux ont été écoulés à travers le l’an dernier par la presse spécialisée Microsoft. Au grand
monde. Une marche en avant qui ne récompensant la qualité de ses pro- dam de certains
semble pas près de s’arrêter. Alors que duits, l’autre colosse taïwanais fait habitués d’Acer qui lui
les ventes d’ordinateurs fixes devraient figure de champion national. En préfèrent Linux, un
diminuer de 31,9 % en 2009, celles des témoigne le lancement, au mois de système d’exploitation
netbooks pourraient doubler, et janvier, de sa gamme d’ordinateurs gratuit, que Google
représenter 9 % du parc mondial à VH, entièrement tactiles. Portés par utilise sur son propre
l’horizon 2010, selon une étude le dynamisme de leur branche low smartphone. L’iPhone
publiée le 2 février par l’Institut cost, les deux fabricants ont affiché en n’est décidément
Gartner. 2008 des taux de croissance record : plus seul…

24 Le magazine du CFJ Avril 2009


ÉCONOMIE MICRO-COSMOS

15 % pour Acer et 10,8 % pour Asus.


Ils ne comptent pas en rester là. Grâce
à une politique de diversification tous
azimuts, les rivaux entendent péné-
trer de nouveaux marchés, dépassant
largement le cadre du PC (voir enca-
dré). La palme des prévisions opti-
mistes revient à Acer. Insatiable, la
société envisage une progression de
son chiffre d’affaires de près de 30 %
d’ici à 2011. Un pari risqué dont elle
est coutumière. Fin 2004, alors que le
fabricant occupait le cinquième rang
mondial du secteur, son PDG proje-

GOOGLE EARTH
tait d’occuper la troisième place au
terme d’un plan triennal. Résultat :
en septembre 2008, Acer s’est arrogé
le podium planétaire.
Asus et Acer : des fantômes. Le site de production d’Acer, noyé dans les 632 hectares du Hsinchu
Ces estimations surprennent, à Sciences Park, est interdit au public.
l’heure où le pays s’enfonce dans la
crise. Chaque jour, ce sont plus de baisse drastique qui mine les expor- téléphone qui aboutissent à des
cinquante entreprises qui viennent tations de l’île – quelque 30 % au répondeurs ou à des responsables
taper à la porte du département pour mois de janvier. Difficile également de la communication toujours
le développement économique taïwa- de le vérifier : les deux sociétés sont absents.
nais, afin de quémander un soutien. aussi performantes qu’insaisissables. Acer et Asus sont des fantômes,
Jusqu’à aujourd’hui, ni Acer, ni Asus dont les sièges sociaux, nichés dans
ne l’ont fait. « Ces deux entreprises Leur crainte de les 550 hectares du parc technolo-
sont bien assez grandes pour faire face l’espionnage industriel gique de NeiHu, sont introuvables.
toutes seules ! Elles n’ont vraiment pas les conduit à n’autoriser Leur crainte de l’espionnage indus-
besoin de notre aide », assure William aucune visite triel les conduit à n’autoriser aucune
Tang, le porte-parole du départe- visite de leurs sites de production,
ment. Pourtant, difficile de croire que A l’instar de l’Américain Apple, jalousement protégés par des murs
les fers de lance de l’informatique taï- elles ne communiquent pas : d’enceinte et des barbelés. Les mys-
wanaise ne sont pas affectés par la aucune adresse, des numéros de tères de l’Orient, sans doute… ■

S U C C E S S S T O RY

Quanta, un sous-traitant de luxe


Il est présent partout mais ne s’affiche équipements automobiles étoffent annuel de plus de 18,5 milliards
nulle part. Quanta Computer est l’éventail de prestations de ce sous- d’euros. Le groupe ne compte pas
pourtant le plus grand fabricant traitant de luxe. Car loin d’être un s’arrêter en si bon chemin, comme
mondial de PC portables. Si cette simple assembleur, l’entreprise s’ap- en témoigne l’accord conclu au
société taïwanaise est si peu connue puie sur un puissant département de début de l’année avec Apple. Le
du public, c’est qu’elle ne produit rien recherche et développement, fort de géant américain de l’informatique a
en son nom propre. L’entreprise est 3 500 personnes (pour un total de décidé de faire appel à ses services
en réalité la plus grande des petites 30 000 employés). pour concevoir le tout premier net-
mains des leaders du marché, pro- Une politique d’innovation con- book de la marque. Une autre
duisant sans distinction des ordina- stante qui a créé les conditions de sa société taïwanaise – Wintek – a par
teurs portables pour Dell, Hewlett fulgurante ascension. Parti de ailleurs été chargée de concevoir les
Packard ou encore Gateway. Taipei, le fabricant possède désor- écrans tactiles qui l’équiperont. Le
Depuis quelques années, Quanta est mais des sites de production sur prochain portable d’Apple sera
entré dans une ère de diversification. trois continents et affiche, après donc entièrement... « made in
Smartphones, écrans de télévision et vingt ans d’existence, un revenu Taiwan ». ■ O. S.

Avril 2009 Le magazine du CFJ 25


ÉCONOMIE T R AVA I L L E U R S K L E E N E X

Entreprise en crise
recrute travailleurs jetables
Des centaines de milliers de travailleurs d’Asie du sud-est
immigrent chaque année à Taïwan. Malgré la crise,
les entreprises continuent à les attirer, partageant avec les agences
de placement des commissions exorbitantes.
par ÈVE ABOU ELEINEN

est la face cachée du miracle

C’ économique taiwanais :
350 000 travailleurs immi-
grés, vietnamiens, philippins ou
indonésiens, recrutés par les entre-
prises de l’île pour effectuer le sale
boulot. Ils travaillent dans les sec-
teurs des « 3D », d’après les initiales
des mots anglais « dirty, dangerous,
demeaning ». Bref, les secteurs sales,
dangereux, dégradants : le bâtiment,
l’automobile, l’électronique et l’aide
à domicile. Pour trouver un emploi à
Taïwan, les prolétaires d’Asie s’endet-
tent lourdement. Car il leur faut
rémunérer les intermédiaires. Les
agences de ces derniers ont pignon sur

DR
rue, mais ils n’hésitent pas à encaisser
illégalement jusqu’à 5 500 euros par À Taipei, des travailleurs immigrés manifestent pour leurs droits.
tête. En temps normal, il faut une à
deux années aux travailleurs pour les travailleurs », dénonce Mina Le, quelques mois, mais ils savaient dès le
rembourser cette somme. responsable d’un foyer pour travail- début qu’il n’y avait pas de travail ».
Partage des commissions. Le leurs vietnamiens près de Taipei. Comme si elles ignoraient complai-
système présente un aspect Elles ont donc tout intérêt à embau- samment ce trafic, les autorités
particulièrement pervers. Depuis le cher de nouveaux immigrants, quitte continuent à accorder des quotas aux
printemps dernier, plus de 20 000 à les licencier avant le terme de leurs entreprises qui veulent importer de
travailleurs migrants ont été licen- contrats. » la main d’œuvre. Selon le gouverne-
ciés avant la fin de leur contrat, cer- ment, il n’y a pas de problème.
tains après seulement quelques Pour le gouvernement, « Le nombre de travailleurs étrangers
mois de travail, souvent sans il n’y a pas de problème a effectivement baissé depuis quelques
indemnités. La crise constitue par- mois, reconnaît-on au ministère du
fois un bon prétexte. Certaines Tung est l’un de ces travailleurs. Séduit Travail, mais nous n’avons pas
entreprises trouvent en effet un par les promesses des agents, il a laissé connaissance de licenciements ».
intérêt dans le turn-over de leurs au Vietnam sa femme et son fils nou- Même son de cloche au ministère de
recrues, car d’une certaine manière veau-né pour travailler dans une usine l’Economie, où l’on affirme qu’ « il
cela accroît leur chiffre d’affaires. taïwanaise. Avant de déchanter : y a peut-être moins de recrutements,
En effet, « nombre d’entreprises, « L’entreprise qui m’a embauché était mais aucun licenciement ». À voir. La
notamment les petites et les de mèche avec les intermédiaires, représentation des Philippines
moyennes, partagent avec les inter- témoigne cet ancien coiffeur pour à Taïwan a enregistré 4 700 retours
médiaires les commissions versées par hommes. J’ai été licencié au bout de forcés en moins d’un an. ■

26 Le magazine du CFJ Avril 2009


ÉCONOMIE FRENCH CONNECTION

Tapis rouge
pour le vin français
Autrefois inconnu sur l’île, le vin trouve peu à peu une place sur les
tables des Taïwanais. Les bouteilles françaises, étiquetées
qualité et tradition, figurent en bonne place dans leurs préférences.
par MARTHE HENRY

La baguette
se porte bien

MARTHE HENRY
Croustillante à
l’extérieure, moelleuse
à l’intérieur : la
baguette est une
La cave à vin « Le Sommelier », à Taipei, propose des grands crus français. équation délicate à
obtenir dans un pays
oici une décennie à peine, spécialisés de Taipei. Parmi les pro-

V
humide et tropical.
déguster un bon vin à Taïwan duits les plus prisés, le cabernet sauvi- L’enseigne française
relevait encore du rêve. Mais les gnon et le merlot. Les Taïwanais les Paul a réussi ce pari.
Taïwanais sont de plus en plus sensi- plus aisés les ont érigés en signe de Depuis son
bles aux effluves du précieux elixir. reconnaissance sociale. Pour impres- inauguration en
Leurs habitudes de consommation sionner ses hôtes ou faire plaisir, rien septembre dernier, les
changent. La Taiwan Beer ou le kao- de tel qu'un vin français. Tant mieux baguettes s’y vendent
liang de Quemoy, largement consom- s'il coûte cher, le cadeau n’en sera que comme des petits
més dans les soirées branchées de plus apprécié. Le Corton pains. Elles sont
Taipei et les veillées dans les villages, Charlemagne grand cru, à 155 euros fabriquées devant les
voient ainsi un sérieux concurrent la bouteille, fera très bon effet. « Les clients, prêts à payer le
débarquer sur le marché. Taïwanais sont cultivés et ont un fort prix fort pour goûter
L’étiquette d’abord ! À l’origine pouvoir d'achat, note Patrick un peu de tradition
de cette découverte, la libéralisation Bonneville, directeur de l’Institut française. Les prix sont
du marché de l’alcool en 2002. français de Taipei. Ils sont des consom- bien plus élevés qu’en
Depuis, l'Etat taïwanais n'a plus le mateurs avisés, contrairement aux France car 85 % des
monopole sur les ventes de boissons. Chinois qui, même fortunés, ne s’inté- matières premières
Résultat, les importations ont pro- ressent pas au vin. » sont importées par
gressé de 21 % entre 2004 et 2006, Du vin cul sec. La source ne sem- avion. Comme le vin,
pour atteindre 335 millions d'euros. ble pas près de se tarir, même en la baguette symbolise
L'alcool étranger qui se porte le mieux période de crise économique. « Les l’art de vivre à la
est le vin. Les produits français se sont ventes sont restées stables l’année der- française, une image
vite imposés dans ce marché en pleine nière malgré la conjoncture, se féli- romantique qui séduit
expansion. Sur les quelque 17 millions cite Dream Lin, responsable marke- les Taïwanais.
de litres de vin qui débarquent dans le ting de Carrefour Taïwan. Et les
port de Taipei chaque année, plus de importations vont encore augmenter quette ou par mimétisme. Boire son
la moitié sont ainsi estampillés « made quand la crise sera passé. » La verre de vin d'un seul lever de
in France ». Le vin rouge représente 89 consommation de vin entre donc coude après avoir trinqué au son
% des bouteilles écoulées. Bourgogne, progressivement dans les mœurs d'un gan bei, sans le déguster, ne
Bordelais, Alsace, Rhône... Toutes les des Taïwanais. Pour l’instant, ils chagrine personne. Une manière
grandes régions viticoles sont choisissent surtout leurs bouteilles toute taïwanaise d’apprécier cette
représentées dans les rares magasins en fonction de l’esthétique de l’éti- spécialité française. ■

Avril 2009 Le magazine du CFJ 27


BRÈVES ÉCONOMIE Y’A BONS

Une amende salée


et pas grillée
Le 18 mars dernier, une
amende de 64 000 euros
Distribution de
a atterri sur le bureau de
Carrefour-Taïwan. Émise
par la Fair Trade
Commission (FTC), elle
tickets gagnants
sanctionne une Remède de cheval ou piqûre d’insecte ? Depuis deux
campagne de publicité, mois, le gouvernement offre à tous les Taïwanais
vantant des réductions à
foison à qui viendrait
des bons de consommation. L’effet semble positif.
par MAUD NOYON
dépenser, dans les rayons
de la marque, l’intégralité es hordes de Taïwanais qui se le gouvernement est pourtant
de ses bons de
consommation. Mais
l’offre était beaucoup
D ruent aux caisses des supermar-
chés. Une fièvre acheteuse qui
embrase les centres commerciaux.
patent. « L’opération aura généré une
augmentation de 0,64 % du PIB »,
explique Jiann-Chyuan Wang, éco-
moins alléchante que Une déferlante de dollars taïwanais nomiste à l’Institution pour la
prévue. Le groupe sonnants et trébuchants dans le grand recherche en Economie Chung-
français a d’ores et déjà tiroir-caisse de l’économie du pays. Hua. Mais il met en garde les poli-
annoncé qu’il ferait Les autorités en rêvaient, les bons de tiques : « L’impact sera automati-
appel. consommation l’ont (quasiment) fait. quement diminué si le gouvernement
Devant l’ampleur de la crise écono- renouvelle l’initiative ». Une option
Le mal du pays mique, le gouvernement de Taipei effectivement envisagée par les
Les délocalisations s’est inspiré d’une initiative japonaise autorités qui transformerait l’effet
appartiennent-elles au de 1999 et distribue, depuis mi-jan- « coup de pouce » en une allocation
passé ? Les dizaines de vier, des bons de consommation aux effets modérés.
milliers d’entreprises d’une valeur nominale de 80 euros.
taïwanaises implantées Qui peut les percevoir ? L’ensemble L’assemblée taïwanaise
sur le continent chinois, des 22,7 millions de Taiwanais, sans prévoit une opération de
principalement sur la critères d’âge ni de revenus. bons à l’éducation
côte sud-est, sont dans le Ruée électronique. Objectifs : la
rouge. En plus de la crise confiance, la croissance. Avantage : Pour certains, l’initiative était dan-
mondiale, la Chine a les bons permettent d’accorder des gereuse. Et elle le reste. Chu Hau-
durci en 2007 son droit aides directes sans que les sommes min, professeur d’économie à l’uni-
du travail. Désormais, partent dormir dans les coffres- versité de Chengchi, appelle le
beaucoup forts du pays. Pas question de favo- gouvernement à augmenter ses
d’entrepreneurs expatriés riser l’épargne. « Nous avons décidé aides pour les précaires plutôt que
rêvent de rentrer au que les bons ne pourraient pas être distribuer des bons à tous les
bercail, avec leurs usines échangés contre de l'argent et qu’ils Taiwanais. « Il est peu probable que
dans leurs valises. Le devraient être impérativement l’économie se remette rapidement, le
gouvernement taiwanais dépensés avant septembre pro- gouvernement devrait se préparer à
en attent des embauches chain », détaille William Tang, chef une lutte de longue haleine, plutôt
à l’heure où le chômage du Département du développement que dépenser massivement dans des
technique atteint des économique du gouvernement. projets», a-t-il déclaré au quotidien
sommets sur l’île. Mais La date de lancement de l’opéra- anglophone Taipei Times.
les patrons posent leurs tion, deux semaines avant le début D’autres pays développés du Sud-est
conditions : ils exigent des festivités du Nouvel an chinois, asiatique pourraient suivre l’exem-
des zones franchesl. Un avait été soigneusement choisie. Si ple. Sans attendre, l’Assemblée tai-
sanctuaire où il n’y aurait les Taiwanais se sont rués sur les wanaise veut aller plus loin et pré-
ni salaire minimum ni iPod et autres équipements électro- voit une opération de bons à
nombre limité niques, les économistes ne sont pas l’éducation. Distribués aux diplô-
d’étrangers dans les d’accord sur les effets des bons. més de l’université, ils leur permet-
effectifs… Parmi les Gaspillage inconsidéré en temps de traient de suivre une nouvelle for-
élites, l’idée est acquise crise pour certains, solution-mira- mation ou un stage. Selon le
que la sacro-sainte cle pour d’autres, l’initiative pro- gouvernement, un peu plus d’un
croissance ne sera voque des réactions contrastées. tiers des 540 000 chômeurs de l’île
préservée qu’à ce prix. Deux mois après, l’effet attendu par seraient concernés. ■

28 Le magazine du CFJ Avril 2009


SOCIÉTÉ CHERCHE FEMME...

DR
Ces épouses
lles sont souvent très jolies,

«E entre 17 et 22 ans, et à la
recherche d’un niveau de vie
décent. Elles n’ont aucune idée de ce qui
les attend à Taïwan », soupire Ke Yu-
Lin. Cette petite femme énergique

qui viennent
dirige une association de soutien
aux femmes importées, la Pearl
S.Buck Foundation (PSBF). Perdus
dans un vieil immeuble au cœur
d’un quartier populaire de Taipei,
les locaux exigus accueillent chaque

de loin
année des centaines «d’épouses
étrangères » (comme on préfère les
appeler ici) en mal de soutien.
On estime leur nombre à 400 000
aujourd’hui. Venues du Vietnam, de
Chine, du Cambodge, de
Thaïlande, des Philippines ou
encore d’Indonésie, ces fraîches
Le nombre de mariages mixtes à mariées ont cru faire le choix d’une
meilleure vie. « Pour elles, notre île
Taïwan augmente tous les ans. Un est non seulement synonyme d’une
tiers des femmes ayant dit oui pour la existence plus aisée, mais aussi une
assurance de pouvoir aider la famille
vie à un Taïwanais ne sont pas nées laissée au pays, explique Ke Yu-Lin.
sur l’île. Les insulaires en mal Les ennuis arrivent une fois sur
place, quand elles réalisent qu’elles ne
d’épouses « importent » leurs parlent ni n’écrivent la langue, ou
compagnes de pays d’Asie du Sud-est. encore que leur mari confond femme
et domestique. La faute aux agences
matrimoniales qui leur mentent afin
par ROXANE GUICHARD d’empocher le pactole. »
Depuis quelques années, le marché

Avril 2009 Le magazine du CFJ 29


SOCIÉTÉ CHERCHE FEMME...

ne comprenais pas les caractères chi-


nois », se souvient Fanny Lee, mem-
bre de l’association Tasat. La plupart
d’entre elles se retrouvent donc à
travailler à la chaîne dans des usines.
Difficile de tisser des liens quand on
travaille de 6 à 22 heures, sans
compter que la plupart des épouses
étrangères procréent dans la pre-
mière année suivant leur arrivée.
Conséquence prévisible, les enfants
de ces femmes ont des problèmes

ROXANE GUICHARD
d’adaptation. « Soit ils ne parlent que
la langue maternelle et se retrouvent
en situation d’échec à l’école, soit ils
parlent chinois et peinent à commu-
niquer avec leur propre mère, sans
Plusieurs centaines de bénévoles de la Pearl S. Buck Foundation compter la honte qu’ils conçoivent de
donnent des cours de langue aux épouses importées. l’ignorance parentale », explique
Shu. Le malaise est renforcé par la
des agences matrimoniales a didates d’Asie du Sud-est afin d’en- mauvaise presse que subissent les
explosé sur l’île. Selon le ministère rayer le trafic ». Le sujet est tellement « femmes importées ». Les médias
de l’Intérieur, l’explication réside délicat que les agences concernées stigmatisent souvent ces « épouses
dans un seul nombre : il y a 7 000 refusent de communiquer, justifiant commandées sur internet », selon une
hommes de plus que de femmes à de leurs « obligations de confidentia- expression désormais consacrée.
Taïwan, un déséquilibre démogra- lité ». Vers une réhabilitation. Ces
phique dû à la tradition chinoise Par nature, les clients des agences quatre dernières années, ces femmes
qui tendait, il y a quelques décen- appartiennent à 99 % aux couches ont cependant vu leur situation
nies, à négliger l’éducation et les défavorisées de la société taïwanaise. s’améliorer. Fin 2005, le gouverne-
soins des petites filles. Mais les diri- Nombre de futures mariées finissent ment a créé un fonds d’ « aide aux
geants oublient les conséquences de déçues. « Certaines, comme cela fut femmes étrangères » de 6,5 millions
l’évolution sociale, qui rend tout mon cas, se retrouvent mariées en d’euros. Une hotline en six langues
simplement les hommes moins quarante-huit heures, regrette Shu. et plus de 500 classes de chinois et
attrayants aux yeux de femmes tout Mais d’autres ont la mauvaise sur- d’adaptation ont été mises en place
aussi qualifiées et ayant la plupart prise de devoir s’improviser aide-soi- dans le pays. Un tissu très dense
du temps des revenus égaux ou gnante pour des vieillards, ou encore d’associations existe aujourd’hui et
supérieurs. bonne à tout faire pour la famille du des milliers de bénévoles s’y pressent
Le business de la misère. Alors nouvel époux. » afin de donner des cours de langue
quand des intermédiaires proposent Des situations sans issue, car la plu- ou de culture.
au quidam esseulé un voyage de part des familles ayant importé des Reste pourtant l’épineux problème
trois jours au Vietnam afin de choi- étrangères veillent à les isoler : « Les de la naturalisation, dont les critères
sir une épouse pour le modeste prix beaux-parents les empêchent souvent sont très stricts : niveau de langue,
de 6 700 ⇔ , peu de Taïwanais s’attar- de s’intégrer, notamment dans les niveau de revenu rapporté au foyer,
dent sur le problème éthique. campagnes. Ils ont payé l’agence preuve de maternité, longévité sur
Ancienne « femme importée » et co- matrimoniale assez cher pour éviter l’île, etc. En 2007, seules 34 % des
responsable de l’association taïwa- que leur nouvelle recrue ne les quitte 400 000 épouses ont obtenu la
naise TransAsia Sisters Association prématurément. C’est d’autant plus citoyenneté taïwanaise. Shu conclut
(TASAT), Shu observe : « Les Etats- facile pour eux que ces jeunes femmes en souriant : « Le combat est loin
Unis ont récemment dénoncé la ne parlent pas la langue ». d’être gagné, mais je pense qu’il y a
« traite humaine » organisée ici. Dès Une intégration laborieuse. eu une prise de conscience. Je ne
lors, le gouvernement s’est saisi du Les épouses importées cloîtrées res- perds pas espoir que d’ici une tren-
problème en refusant d’accorder des tent une minorité, mais, faute de taine d’années, on en vienne à consi-
licences aux brokers (intermédiaires) parler la langue locale, difficile de dérer leur présence comme une
de mariages, et a envoyé un avertisse- trouver un travail. « Un ami de mon chance de mixité et de multicultura-
ment à toutes les agences les enjoi- beau-père avait accepté de m’embau- lisme. Ici, tout peut arriver, c’est le
gnant d’être très attentives aux can- cher, jusqu’à ce qu’il découvre que je miracle taïwanais ». ■

30 Le magazine du CFJ Avril 2009


SOCIÉTÉ COUP DE VENT

Chasseurs de tempêtes
Un scientifique aventurier pourchassant les cyclones pour larguer
ses instruments de mesure au cœur du monstre. Scénario fiction, bon
pour les blockbusters hollywoodiens ? A Taïwan, terre de typhons,
une équipe de scientifiques se rend au-devant des tempêtes, pour les
ausculter de l’intérieur.
par THOMAS VAMPOUILLE

ci, quand un typhon s’annonce,

I tout le monde court aux abris.


Sauf trois chercheurs, qui sautent
alors… dans un avion. A bord de leur
« Astra », ces trois scientifiques du
département météorologique de
l’université nationale de Taïwan se
dirigent droit vers la tempête, qu’ils
survolent pour y lâcher des sondes.
Ces chercheurs ne manquent pas de

THOMAS VAMPOUILLE
travail. Taïwan est particulièrement
exposée aux tempêtes tropicales :
plus de 25 par an. Quand les vents
dépassent les 115 km/h, ils devien-
nent des typhons, causant chaque
année plusieurs millions d’euros de
destructions. En 2008, estime Miss Miss Lin et son équipe peuvent mieux alerter la population grâce à un avion.
Lin, directrice du Centre de prévision
météorologique national, les tem- l’université nationale de Taïwan. permettre un vol de sept minutes. Les
pêtes ont été à l’origine de 80 % des Grâce à elle, explique Miss Lin, technologies dont elles sont équipées
42 millions de dégâts causés par les d’énormes progrès ont été effectués mesurent la température, l’humidité,
caprices de la nature sur l’île. dans la prévision des trajectoires des la pression, relèvent leur position
Un avion spécial. C’est d’ailleurs typhons. « En 2008, quand Kalmaegi satellite, et renvoient le tout à l’avion
après une année particulièrement est arrivé par l’est de l’île vers son cen- deux fois par seconde. Une somme
catastrophique que l’idée de monter tre, les prévisions des Américains, qui d’informations considérable, prove-
cette équipe de chasseurs de tempêtes surveillent aussi le Pacifique mais qui nant du cœur du système atmosphé-
est née. En 2001, Taïwan est frappée n’avaient pas survolé cette tempête, rique, en temps réel. Impossible à
par plusieurs ouragans venus de l’est, étaient bien différentes des nôtres… et obtenir de l’extérieur, surtout quand
particulièrement dévastateurs. En erronées. » Les 300 millimètres de les tempêtes se trouvent encore au
juillet, Toraji ravage le centre de l’île, pluie qui se sont abattus en moins de large, loin des capteurs.
faisant 200 morts. Deux mois plus trois heures sur l’île ont bien enten- Le problème, c’est que l’équipe n’a
tard, Nari provoque des inondations du provoqué des inondations. Mais pas les moyens de voler à chaque
majeures jusque dans la capitale. Son grâce à l’avion, les alertes ont été plus tempête. Les technologies sont
bilan s’élève à 200 morts. En août de efficaces, la population mieux pré- chères, et l’avion est loué à une com-
l’année suivante, le Conseil national parée. pagnie privée. Quant au danger…
des sciences (NSC) de Taïwan met en Manque de moyens. A bord de « Nous nous contentons de survoler les
place un programme prioritaire de leur appareil, les scientifiques embar- ouragans, c’est assez tranquille », ras-
recherche sur les typhons, qui prévoit quent une quinzaine de sondes, dont sure Miss Lin. Mais à terme, elle
d’investir 66 millions d’euros sur chacune coûte plusieurs centaines caresse l’espoir d’un plus gros avion,
trois ans. Sept ans plus tard, l’équipe d’euros. Larguées d’une altitude de comme ceux que possède l’armée
existe toujours, au sein du départe- 6 100 mètres, elles sont munies d’un américaine, qui traverserait les tem-
ment des sciences atmosphériques de mini-parachute qui les ralentit pour pêtes au lieu de les survoler. ■

Avril 2009 Le magazine du CFJ 31


SOCIÉTÉ É C R A N P L AT

La religion de la télé
Accros à la télévision, les Taïwanais n’ont que l’embarras
du choix : le paysage audiovisuel de l’île compte
plus de 100 chaînes. Pour le meilleur comme pour le pire.
par ZINEB DRYEF

SALOMÉ KINER
Tous les bars de l’île, ou presque, sont équipés de téléviseurs. Les Taïwanais, jamais sans leur télé...

e la banquette arrière du taxi, on ne supportent guère la vue d’un poste avec une prédilection affichée pour les

D ne s'en rend pas compte tout de


suite. Au volant, le chauffeur,
Leï, ne regarde pas la route. Son
éteint.
Français installé à Taipei depuis neuf
ans, Hubert a toujours du mal à s'y
scandales et faits divers lorsqu'il ne
s'agit pas de discours à la gloire du
Kuomintang (KMT).
regard est tendu vers un petit écran faire : « Lorsqu’un Taïwanais arrive Karaoké et hoquets. Mais la télé-
télé incrusté à l'endroit où, en Europe, chez un ami, il peut très bien allumer la vision taïwanaise ne se résume pas à
grésillerait un poste radio. Il est télé sans même poser la question à son la chose politique. Elle cartonne en
concentré sur les images d'un talk hôte... ça m'étonne encore. » Trois fois matière de divertissement. Sous une
show bruyant et agité, et ne semble moins peuplée que la France, Taïwan pétarade d'applaudissements d'un
guère se soucier des feux qui passent compte 100 chaînes de télévision, soit public en délire, les concours de
au rouge. Comme 98 % des deux fois plus que l'hexagone. Et chants relèvent ici de l'institution. Le
Taïwanais, Leï regarde la télévision à toutes sont accessibles pour l’ensem- phénomène a précédé la Star
longueur de journées, jusque, et y ble de la population puisque le sys- Academy française d'une bonne quin-
compris donc, sur son lieu de travail, tème hertzien, le plus répandu sur zaine d'années. Fous de karaokés, les
dans son taxi. l'île, ne nécessite pas le paiement jeunes taïwanais se battent donc pour
A l'avant des bus, dans les bureaux, les d'une redevance. En dépit de la obtenir une petite notoriété. Laquelle
restaurants, les magasins... Les télévi- variété des programmes, la télévision se solde généralement par l'enregistre-
seurs sont partout, et toujours allu- taïwanaise ne se distingue guère par sa ment de clips sirupeux en bord de
més. Les Taïwanais sont tellement qualité. Pas moins de six chaînes mer. Par ailleurs, les Taïwanais ado-
enivrés à cet opium du peuple qu’ils injectent de l'information en continu, rent les fictions sur l'adultère.

32 Le magazine du CFJ Avril 2009


Phénomène de société, le sujet donne CAFÉ DU COIN
lieu à des drames dans la « vraie vie »,
mais aussi à des tragédies shakespea-
riennes à l’écran. Aucun scénario de
téléfilm ne semble avoir été écrit ici
Affriolantes noix de bétel
sans l'indispensable intrigue de la ans les rues, de petites traînées
femme cachée et de ses enfants illégi-
times.
D rouges barrent le bitume. Ce
n’est pas du sang mais les traces
Dans ce monde hystérique, quelques laissés par les utilisateurs de noix de
chaînes parviennent toutefois à attirer bétel, ces petites boules vertes agré-
sereinement les téléspectateurs. Da Ai mentés d’une pâte ocre enveloppées
Television, la télévision de « la com- dans des feuilles, que mâchent, à

ANTONIN CHILOT
passion et de l'amour », fondée par longueur de journée, ouvriers,
une association bouddhiste, diffuse chauffeurs de taxis ou routiers. A
ses programmes partout dans le quoi servent-elles ? Cette drogue
monde. En 2007, elle est parvenue à se locale est un excitant, du café puis-
hisser dans le classement des dix sance 100.
chaînes les plus regardées par les Véritable institution culturelle, Même l’emballage est sulfureux...
Taïwanais. James, l'un des milliers de sociale et économique, la noix de
bénévoles soutenant l'association, bétel n’est pas anodine. Les études bétel est également vitale pour de
exhibe les vingtaines de cloches en or montrent qu’elle est dangereuse nombreuses familles. En ville, elle
raflées par Da Ai TV. Le prix le plus pour la santé, car elle provoque se vend dans de petites échoppes. Le
prestigieux de Taïwan. « Ce qui a été notamment des cancers de la long des voies rapides, ce sont de
récompensé, explique-t-il, ce sont les mâchoire. « Mais les gouvernements jeunes femmes, parfois étudiantes,
valeurs que l'on transmet. La télévision n’essayent même pas de la faire inter- toujours en tenues coquines, qui
taïwanaise rivalise de programmes vul- dire, elle est trop ancrée dans notre appâtent le chaland. Récemment,
gaires et violents. Nos fictions, nos talk- société », regrette Jane Len, une une loi leur a interdit les tenues
shows et nos émissions pour enfants journaliste taïwanaise. La noix de transparentes. ■ ANTONIN CHILOT
véhiculent des principes de charité,
d'honnêteté et de foi. »
Téléfilms moraux. Sur Da Ai TV, la BEAUTÉ
foi est dispensée plusieurs fois par jour
par des moines psalmodiant des sutras
et par la fondatrice de l'association,
Shih Chen Yen. Depuis son monastère
Rubis sur ongles
de Hualin, à l'ouest de l'île, elle pro- ous ne craignez ni l’extravagance personnages de bande- dessinée et
fesse deux heures par jour les fonde-
ments de sa philosophie, un boud-
V ni le mauvais goût ? Bienvenue
chez Mei Lan, professionnelle du
messages romantiques, tous les
sujets sont permis.
dhisme ouvert sur le monde. Da Ai « nail art » et poseuse de faux ongles Mei Lan conseille, décrit, dessine. Et
TV ne dédaigne pas non plus l’au- originaux. La jeune femme, à l’aise en cas de panne d’inspiration, elle
dience. Une prochaine série devrait dans sa cabine d’un mètre carré, peut compter sur une dizaine de
faire un carton. Elle raconte l'histoire coincée entre un masseur et un coif- catalogues offrant chacun plus de
de Hu Yu-bei, une jeune aborigène. Le feur, posters au mur et pop musique 300 propositions…
pitch ? James l’explique: « Comme à plein volume, tient l’une des nom- Comptez quarante minutes et un
beaucoup d'aborigènes, cette jeune breuses ongleries de ce quartier budget entre 20 et 100 euros selon la
femme aime boire. Mais une série d'ac- animé de Xinmending. complexité du motif. ■ SALOMÉ KINER
cidents impliquant ses deux fils, son Les Taïwanaises aiment à décorer
mari et son jeune frère l'amènent à s'in- leurs ongles. Les plus discrètes se
terroger sur sa façon de mener sa vie ». contentent d’une « french manu-
Nous ne sommes pas à Hollywood, cure ». Elles accentuent la blancheur
mais cette série se terminera par un du bout de l’ongle. Les autres ajou-
happy end. Yu-bei se rapproche de tent du relief, du strass et des élé-
SALOMÉ KINER

l'association Tzu-Chi, qui gère la ments de décoration. Ce peut être


chaîne, y devient bénévole et redonne des couchers de soleil ou des com-
ainsi sens à sa vie. Bienvenue dans le positions florales. L’imagination est
monde merveilleux de la télévision. ■ sans limite : glaces et confiseries,

Avril 2009 Le magazine du CFJ 33


SOCIÉTÉ SOLIDARITÉ

Le prix du bénévolat
Les Taïwanais
se prennent de
passion pour le
bénévolat. Sur
l’île, s’engager
est une
évidence.

par SALOMÉ KINER

Curiosité taïwanaise : les agents de la circulation sont bénévoles.

âton d’encens dans une main, d’aide humanitaire. Les 1 200 bons à faire leurs devoirs. Après mes

B guide explicatif dans l’autre,


Lei alpague les passants. A l’en-
trée du City God Temple de Taipei,
bureaux répartis sur 60 pays
comptent plus de 5 millions de
donateurs mensuels et 150 000
études, j’ai eu envie de continuer à
me sentir utile », explique Jia Han,
qui travaille un jour par semaine
ce jeune homme ne fait pas l’attrape- volontaires formés et financière- pour l’équivalent de l’Armée du
touriste. Vendeur en assurances, il est ment autonomes. De la construc- Salut à Taipei.
féru de culture religieuse et consacre tion d’écoles en Afrique du Sud au La menace de la crise. Ce maga-
une partie de son temps libre à gui- traitement des déchets à Taipei, Tzu sin vend des vêtements et toutes
der les néophytes et les curieux dans Chi n’a qu’une motivation : la con- sortes de futilités et les bénéfices vont
cet antre bouddhiste plein d’of- ception bouddhiste de la charité qui à une association de soutien aux per-
frandes. Ses pourboires, il les remet voudrait que ceux qui la pratiquent sonnes en difficultés. Agents de la
à la communauté. s’enrichissent plus que ceux qui la circulation, maraudes alimentaires et
Influence bouddhiste. La fon- reçoivent. Mais la religion n’a pas propreté de la ville, tous les
dation bouddhiste Tzu Chi est celle nécessairement le monopole du domaines de la vie en communauté
qui représente le mieux cet attache- cœur. Le bénévolat est un des socles sont concernés. Mais à Taipei, les res-
ment à la cause solidaire. Quarante de la cohésion sociale taïwanaise ; ponsables associatifs s’inquiètent : la
ans après sa création par un jeune l’entraide fait partie du quotidien. crise économique pourrait pousser
moine, Cheng Yen, l’association est « A l’école, les bons élèves restaient les Taïwanais à se préoccuper de leur
devenue un gigantesque organe après la classe pour aider les moins argent plus que de leur karma. ■

34 Le magazine du CFJ Avril 2009


SOCIÉTÉ É D U C AT I O N ( PA S ) S E N T I M E N TA L E

Le prix de l’excellence
Les Taïwanais consacrent leur jeunesse aux études, parfois
jusqu’à l’excès.
par MARION COCQUET et CÉLINE MARCON

l est huit heures. A l’école primaire

I de Zhonghe, dans la banlieue de


Taipei, 4 500 enfants en uniforme
bleu et blanc, identifiés par un
numéro brodé sur leur veste, s’apprê-
tent à entrer en cours. Chu-junq,
12 ans, rejoint sa classe de 5e. Au
cours de la journée, les leçons vont
s’enchaîner : sept au total, de qua-
rante minutes chacune.
A 16 heures, Xiaxia, son institutrice,

MARION COQUET
est libre. Chu-junq, lui, entame sa
seconde journée de classe au buxiban
« Sesame Street », un établissement
privé qui dispense des cours du soir.
Et qui s’est établi juste en face de
l’école, sur Jonghe road, comme une Cours de calligraphie à l’école explique M. Sung Chung-hsing,
vingtaine de ses concurrents. primaire de Zhonghe. sociologue à l’université nationale de
Ces instituts offrent de garder les Taïwan. Mais ils correspondent, avant
enfants après l’école pour les aider tout, à la très forte compétition scolaire
dans leurs devoirs et leur donner des qui existe chez nous, comme ailleurs en
cours supplémentaires. Sur les Asie. »
34 camarades de classe de Chu-junq, A Taïwan, un examen national
seuls trois n’y sont pas inscrits. Pour assorti de numerus clausus détermine
des raisons financières, selon Xiaxia. l’entrée des jeunes dans les lycées et
« Sesame street » facture 175 euros Des militaires dans les universités : les meilleurs
par mois son aide aux devoirs avec à l’école choisissent en premier leur établisse-
cours d’anglais. Un prix accessible à ment. Les enfants grandissent dans
la classe moyenne taïwanaise, mais Face au tableau noir, la l’idée qu’ils doivent apprendre plus,
qui en temps de crise pèse lourd dans discipline conserve une plus tôt, plus vite que les autres pour
le budget de certaines familles. allure martiale. Au s’assurer un avenir. Dans les buxiban,
Passage obligé. Elles n’y renon- lycée, les suveillants on apprend l’anglais avant l’âge
cent pourtant qu’en dernier recours. sont des militaires. Ils prévu par l’éducation nationale. Pour
Pour les parents le buxiban est incon- enseignent aux enfants le sport ou le théâtre, même logique.
tournable, et l’investissement qu’il à marcher au pas. Ne pas fréquenter le buxiban, c’est
représente, prioritaire. Il est devenu Plusieurs fois par prendre le risque de passer pour
un véritable phénomène de société à semaine, les élèves paresseux, en tout cas manquer
Taïwan : de l’école primaire à la fin assistent au lever du d’ambition. Ce discours, les parents,
du lycée, 50 à 80 % d’une classe d’âge drapeau. Au garde-à- les voisins et même les professeurs de
y est inscrite. Entre 1999 et 2008, le vous, ils chantent l’école publique ne cessent de l’assé-
nombre de buxiban enregistrés par le l’hymne national. ner aux jeunes. Mais certains
ministère de l’Education nationale Ces pratiques sont Taïwanais remettent en cause ce sys-
est passé de 4 498 à 1 8632. « Ils ont maintenues avant tout tème. « Mes élèves de primaire étu-
d’abord été créés pour aider les parents pour créer une dient parfois jusqu’à 21heures. Quand
qui ne pouvaient pas s’occuper des conscience nationale ils rentrent chez eux, ils s’écroulent sur
enfants à leur sortie de l’école, taïwanaise. le canapé comme des adultes après une

Avril 2009 Le magazine du CFJ 35


SOCIÉTÉ

journée de travail. Et plus ils grandis- SANTÉ PUBLIQUE


sent, plus ils sont fatigués », s’inquiète
Xiaxia. L’institutrice pointe aussi le
manque d’efficacité des buxiban : Le paquet contre la clope
« En général leurs leçons font doublon n janvier, Taïwan bannissait la
avec le programme officiel. Et on leur
fait tellement travailler les cours à
Einterdisant
cigarette de tous les lieux publics,
même d’en allumer une à
l’avance que parfois ils s’ennuient en moins de dix mètres des écoles ou des
classe. » Selon Stanislas, 29 ans, le hôpitaux. Voire d’enfumer un groupe
buxiban au collège ne l’a pas aidé à d’au moins trois non-fumeurs, sous

ANNE-SOPHIE LASSERRE
progresser. « Je suivais des cours sup- peine d’une amende de 40 à 200
plémentaires en maths le soir. A mon euros. Dix-septième pays à mettre en
retour à la maison vers 22 h, j’étais place une loi anti-tabac, Taïwan n’est
trop épuisé pour faire mes devoirs. De que le deuxième en Asie, après le
plus je n’avais plus assez de temps Bhoutan en 2005. L’île pourrait deve-
pour réviser mes cours du collège. » nir un modèle pour la Chine conti-
Manque de maturité. Autre nentale, où la consommation de
conséquence de cette surconsomma- tabac tend à devenir un problème de Les stars s’engagent contre la cigarette
tion scolaire : à passer trop de temps santé publique.
sur les bancs de l’école, les jeunes C’est en tout cas ce qu’espère la John total de 23 millions d’habitants. Pour
s’épanouissent moins. « Les lycéens Tung Foundation, une ONG taïwa- les plus de dix-huit ans, il est encore
taïwanais, qui ont entre 15 et 17 ans, naise qui exerce depuis vingt ans son possible d’allumer une cigarette dans
sont beaucoup plus immatures qu’en influence sur les pouvoirs publics. Ses les bars et boîtes qui n’ouvrent
Europe. Ils n’ont pas assez de sens auto- campagnes, à coups de badges, tee- qu’après 21 heures ou dans certains
critique et ils ont du mal à exprimer ce shirts et affichettes, où pose une star temples, déjà enfumés par l’encens des
qu’ils pensent », témoigne la Française comme Jackie Chan, sont largement fidèles. Et ce n’est pas le seul paradoxe.
Agnès Roussel-Shih, professeur en relayées par les médias. Le président Acheter des cigarettes à Taïwan est
lycée à Kaohsiung et installée depuis Ma Ying-jeou avait lui aussi montré d’une simplicité extrême. Des
dix-sept ans sur l’île. Le sociologue l’exemple lors de son investiture, arbo- échoppes 7-Eleven ouvertes 24h/24 à
Sung Chung-hsing met en cause les rant un badge sur sa veste « Smoke-free chaque coin de rue en vendent. Si vous
méthodes d’enseignement : « On Taïwan. Yes we can ! ». n’êtes pas rebuté par les photos de
demande aux jeunes d’apprendre par Des photos rebutantes. Ce sou- cancer des poumons qui couvrent les
cœur des sommes incroyables de tien à la tête de l’Etat est partagé par paquets, il ne vous en coûtera qu’un
connaissances encyclopédiques et de se presque tous les insulaires. Selon une euro. Si la taxe doit augmenter de 25
concentrer sur leurs examens. Pas assez étude publiée en février, 93% des centimes d’euros d’ici deux mois, c’est
de penser par eux-mêmes et de réfléchir Taïwanais sont satisfaits de la loi anti- une mesure encore bien faible pour
sur ce qu’ils veulent faire de leur vie. En tabac. Il reste pourtant à Taïwan envi- éradiquer totalement la cigarette de
classe il est même mal vu de poser des ron 4,5 millions de fumeurs, sur un l’île. ■ ANNE-SOPHIE LASSERRE
questions ». Au lycée, l’enseignement
de la pensée de Confucius se trouve C A RT O N
réduit à la récitation d’extraits de ses
livres et d’une seule interprétation
officielle de ses textes.
Carte de visite superstar
Le manque de confiance des parents ’ai reçu ce matin mes cartes de optionnelle, mais toujours bienve-
en les capacités de leurs enfants et
l’obsession de la réussite sociale
«J visite de ma nouvelle boîte. nue. C’est à ce moment là que tout
Deux paquets de 250. Qu’est-ce que je peut basculer pour un néophyte occi-
expliquent le succès des buxiban. Le vais bien pouvoir en faire ? », s’inter- dental : surtout, ne pas ranger direc-
phénomène signe un échec de l’édu- roge Jimmy sur son blog. tement la carte de son interlocuteur,
cation nationale. Les pouvoirs Récemment exilé à Formose, le jeune mais prendre le temps de la lire (ou
publics ne s’y trompent pas : la homme fait figure d’amateur. Sur de contempler fixement les mysté-
municipalité de Taipei a décidé, l’an- l’île, l’échange de cartes est un sport rieux idéogrammes) en hochant de la
née dernière, d’autoriser les écoles national. Lorsque l’on rencontre tête d’un air approbateur. Sous
publiques à prolonger jusqu’à 19h, au quelqu’un, on ne lui tend pas la entendu : « Quelle personne impor-
lieu de 18h, leurs services de surveil- main, mais sa carte. Des deux mains, tante ! ». Sinon l’interlocuteur pour-
lance après la classe. Mais les alterna- chacun présente à l’autre son petit rait perdre la face, la pire des avanies
tives à l’école sont encore rares. ■ rectangle blanc. La courbette est en Asie. ■ ROXANE GUICHARD

36 Le magazine du CFJ Avril 2009


SOCIÉTÉ S P O RT S

Le silence des anneaux


En septembre prochain, la capitale taïwanaise accueillera les « Deaflympics »,
les Jeux Olympiques des sourds. Ici, on ne parle que de ça.
par ANTONIN CHILOT

est un rendez-vous attendu, tre aux sourds d'évoluer en toute sécu- sable des partenariats. Parmi eux :

C’ espéré et préparé de longue


date. Taïwan tient enfin un
événement à la résonance internatio-
rité ; chaque équipe aura un interprète Taïwan Beer, 7-eleven (une chaîne de
supermarchés omniprésente sur l’île)
ou Nike. Officiellement, personne ne
nale : les 21e Jeux olympiques des parle de clin d'oeil aux JO de Pékin ;
sourds. « Nous sommes très fiers de cette les organisateurs écartent toute idée de
première en Asie, prévient Chen Wen- revanche sur la Chine continentale. « Il
Sho, délégué du comité d'organisation. n'y a pas de comparaison possible,
Nous voulons des Jeux plus beaux que explique Lin Kuo-Jui, président du
jamais ! » Du 5 au 15 septembre 2009, comité d'organisation. Nous avons par
81 pays et près de 4 000 athlètes répar- exemple tissé des liens très profonds avec
tis sur 20 sports sont attendus. Le stade l'association des athlètes sourds chi-
municipal, en plein centre-ville, a été nois. » Taïwan compte aussi sur les
rénové, et accueillera jusqu'à 20 000 stars. Scottie Pippen, une ancienne
spectateurs. A ses côtés, la Taïpei Le stade sera inauguré en juin. gloire de la mythique équipe de basket
Arena, le Taïpei Gymnasium ou le des Chicago Bulls, ou Yao Ming, le
Sport Center : ce mini-village olym- propre et des étudiants se chargeront plus célèbre des basketteurs chinois,
pique sera le centre névralgique de la d'aider les athlètes au quotidien. devraient être présents dans les tri-
compétition. Plus de 4 500 volontaires Preuve de l'importance de l'événe- bunes. Au Comité d’organisation, on
aideront à l’événement, dont le budget ment, les sponsors se précipitent. « Les murmure qu'un certain Zinedine
s’élève à 23 millions d’euros. Des montants, confidentiels, sont déjà très Zidane pourrait faire partie du
routes ont été sécurisées pour permet- importants », explique Julia Li, respon- voyage. ■

PHÉNOMÈNE BALLON ROND

Baseballmania Football : un rêve taïwanais


arlez de baseball à un Taïwanais et avid Cahmi, Daniel Calvert et enfants de quatre à douze ans, prin-
P il se mettra presque à crier ! « Les DMichael Chandler, un Français et cipalement le samedi, sur un terrain
matchs sont souvent des grands deux Britanniques vivant à Taïpei, se dans le nord de Taïpei. « Mais les infra-
moments entre amis, explique Polo sont fixé un pari fou : faire découvrir structures manquent et nous devons
Liu, un jeune fan de vingt-quatre ans. le football aux Taïwanais. Le résultat parfois changer de stade », regrette le
On se retrouve dans des bars, devant est loin d’être acquis quand ils lan- Français. Des médailles récompensent
des écrans géants. » Rien d’exception- cent, en 2004, la Master Football les progrès des élèves méritants.
nel, direz-vous. Sauf que le baseball Academy. « Nous avons réuni 2 mil- L’école, qui accueille chaque semaine
est le sport national à Taïwan, la fierté lions de dollars taïwanais (45.000 plus de 150 élèves, veut exporter son
de toute une île. Historiquement, le euros), détaille David Cahmi. On modèle dans le reste de l’île. Mais
baseball est un héritage de l’occupa- s’était renseigné sur les programmes l’aventure reste fragile : « Si les
tion japonaise. Les rencontres avec le établis dans des clubs anglais, notam- Taïwanais ont découvert le foot grâce à
Japon sont d’ailleurs électriques. Le ment à Leicester où Daniel a joué pro- la Coupe du monde 2002 en Asie, ils
baseball est même devenu un sym- fessionnel. » n’ont pas l’habitude de la pratique »,
bole sur la scène internationale, Un cours coûte 270 dollars taïwanais explique David Cahmi. En septembre
lorsque, par exemple, l’équipe taïwa- (6 € alors que le corps professoral est prochain, ils devraient lancer un
naise rapporta une médaille d’argent composé de six entraîneurs, tous championnat des clubs de jeunes dans
des Jeux olympiques de Barcelone étrangers. Au programme : des la région de Taïpei. Une vingtaine
en 1992. ■ A.C séances d’entraînement pour les d’équipes devraient participer. ■ A.C

Avril 2009 Le magazine du CFJ 37


CORPS&ESPRIT AIGUILLONNE-MOI

CÉLINE MARCON
a rue Dihua, située dans le vieux

Médecine L Taipei, est le lieu de rendez-vous


des adeptes de la médecine tradi-
tionnelle chinoise. Elle fourmille
d’échoppes où s’entassent des dizaines

certifiée
de boîtes en fer contenant des herbes
réputées pour leurs vertus médici-
nales. Telle la racine de Ginseng pour
lutter contre le stress ou l’écorce de
cannelle pour traiter les pertes d’appé-

conforme
tit. Les plantes, originaires surtout de
Taïwan, de Chine, ou du Japon, déga-
gent des odeurs parfois intenses : plus
le produit sent fort, meilleur il sera
pour la santé assurent les connais-
seurs.
Née en Chine il y a 5 000 ans, la
La médecine traditionnelle chinoise, médecine traditionnelle a été impor-
croyez-vous, n’a qu’un effet placebo ? A tée à Taïwan par les migrants chinois.
Taïwan, elle est remboursée par la sécu. Selon ses principes, le corps, le cœur
et l’esprit forment un tout. Les soucis
par CÉLINE MARCON de santé s’expliquent alors soit par un
déséquilibre du Qi, l’énergie vitale,

38 Le magazine du CFJ Avril 2009


qui circule dans le corps par des voies tion d’aiguilles) ou la moxibustion
appelées les méridiens, soit par un (combustion d’une herbe sur le
A Taipei, on peut se soigner manque d’harmonie entre le Yin et le corps). Mais il utilise aussi des pra-
par acupuncture dans une clinique Yang, deux forces opposées et tiques occidentales, comme la radiolo-
moderne ou acheter des herbes complémentaires. Cette médecine gie ou les analyses de sang.
chinoise connut un coup de frein Fondée en grande partie sur des
médicinales dans une échoppe
pendant l’occupation japonaise entre croyances, la médecine chinoise peut
traditionnelle. 1895 et 1945, et n’a jamais retrouvé laisser dubitatif un esprit cartésien. La
sa suprématie. Devancée aujourd’hui communauté scientifique n’est pas
par la médecine occidentale, elle unanime, même si l’Organisation
La salive de conserve toutefois un statut officiel. mondiale de la santé a approuvé l’uti-
martinet, un bon Ses prestations sont couvertes depuis
vingt ans par la Sécu locale et concer-
lisation de l’acupuncture dans le trai-
tement de soixante-quatre maladies,
coup de fouet nent environ 10 % des rembourse- dont la migraine. Et si la médecine
L’œil profane n’y verra ments d’assurance santé. occidentale domine pour la chirurgie
qu’un amas de A l’écoute du patient. Pour sur- et les secours d’urgences, « la médecine
filaments translucides vivre, la médecine d’antan, réservée chinoise s’avère meilleure pour soigner
ressemblant autrefois à la rue, doit se moderniser. les maladies chroniques, comme
vaguement à des Transmise de génération en généra- l’asthme. Elle entraîne peu d’effets secon-
nouilles. Le négociant, tion, elle occupe désormais une place daires, au contraire de la médecine occi-
lui, connaît la valeur dans les hôpitaux, les universités et dentale. Par exemple, nos plantes contre
cet or diaphane : le nid les laboratoires. Et connaît un nouvel l’insomnie ne rendent pas dépendants »,
d’hirondelle s’arrache essor ces dernières années. En 2004, affirme Chung Hua-hsu, professeur en
autour de 2 000 euros 4 800 médecins exerçaient officielle- médecine chinoise à l’université natio-
le kilo. Car la médecine ment la médecine chinoise, dans 34 nale de Yang-Ming à Taipei.
traditionnelle chinoise hôpitaux et près de 2 900 cliniques Tests en labo. Pour développer une
en a fait une des privées. médecine traditionnelle de qualité à
pierres angulaires de La majorité de ces praticiens ne rejet- Taïwan, les pouvoirs publics ne lésinent
sa pharmacopée. Il n’y tent pas les pratiques occidentales, au pas sur les moyens. « La médecine chi-
a nulle vertu qu’elle ne contraire. « Nous collaborons avec les noise a prouvé son efficacité depuis des
lui attribue : autres services. La médecine tradition- millénaires. Mais nous devons apporter
consommé sous forme nelle peut ainsi être utilisée avant une des preuves scientifiques pour la recon-
de soupe ou de opération pour renforcer le système naissance internationale », explique
compote, le nid immunitaire du malade, et après pour Jenny Wang, chercheuse à l’Institut
d’hirondelle ferait soulager sa souffrance », témoigne national de recherche en médecine chi-
augmenter de façon Chang Hen-gong, vice-directeur du noise à Taipei. Cette scientifique teste
vertigineuse l’énergie centre de médecine chinoise de l’hô- en laboratoire les effets des plantes
vitale, faisant tomber pital de Chang Gung, à Taoyuan, au médicinales.
la fièvre, guérissant les sud-ouest de Taipei. Objectif : publier des travaux scienti-
maladies pulmonaires, Même son de cloche chez Lin Jaung- fiques, et développer des médicaments
fortifiant les os, geng, directeur d’une clinique de plus efficaces. Taïwan veut aussi renfor-
endiguant les cancers. médecine chinoise à Taipei : « Le cer la formation des praticiens. A par-
Mais, au-delà de ses mieux est de combiner les deux méde- tir de 2011, il deviendra obligatoire de
prétendues vertus cines. Rares sont nos patients qui refu- passer par l’université pour exercer la
curatives, ce qui fait le sent les soins occidentaux. » Autorisé médecine traditionnelle.
prix des nids est son à pratiquer les deux médecines grâce Quant aux médicaments à base de
extrême rareté. C’est à un diplôme spécial, le docteur Lin se plantes, le Comité de la médecine et de
en Thaïlande que des fonde d’abord sur les théories de ses la pharmacie chinoises vérifie que les
dénicheurs risquent ancêtres. Son diagnostic repose donc firmes pharmaceutiques respectent les
chaque jour leur vie surtout sur l’observation et l’écoute formules certifiées. L’assurance santé
pour débusquer les du patient : il inspecte, sent, interroge ne rembourse que ces produits contrô-
cachettes de mucus et palpe, en se concentrant sur le lés, vendus uniquement sous forme de
séché, édifiées à flanc pouls et la langue. poudre concentrée. Si l’on achète des
de falaise par une Afin de rétablir l’équilibre énergétique herbes pour préparer soi-même une
sous-espèce de du corps, il choisit un ou plusieurs mixture thérapeutique, on en est de sa
martinet. traitements, telle l’acupuncture (inser- poche. ■

Avril 2009 Le magazine du CFJ 39


CORPS&ESPRIT CÉRÉMONIE DU THÉ

Chow Yu, la science infusée


La tradition du thé est un pilier de la culture classique insulaire.
A Taipei, la Wistaria Tea House conserve et sublime cet art.
par SALOMÉ KINER

ans le quartier de ShiDa, au

D détour d’une ruelle bordée de


maisons traditionnelles japo-
naises – ces vestiges patrimoniaux
menacés par l’appétit des construc-
teurs immobiliers – il y a une maison
au charme discret, toute en fenêtres et
en jardins, la Wistaria Tea House.
Fondée en 1981, elle était classée site
historique de Taipei en 1997.
Plus de dix ans après, le maître des
lieux, Chow Yu, un petit homme de 62
ans, reçoit les visiteurs dans la sérénité.
Dans une pièce aux lumières tamisées,
sur fond de musique traditionnelle
chinoise, Chow Yu déballe un paquet
de Liu An « Sun Yi Shun », produit de
luxe originaire de la région du Yunnan
et spécialement sorti de sa collection
pour l’occasion. Ce thé post-fermenté

SALOMÉ KINER
s’obtient à partir de feuilles de thé tor-
réfiées puis compressées et conservées
pendant une longue période pour
favoriser le processus de fermentation.
Commence alors la subtile cérémonie. Pour préparer son thé, Chow Yu suit le rituel des anciens à la lettre.
Des gestes que Chow Yu répète « au
moins trois fois par jour », dit-il en bri- petit bol à bec verseur en raku (pote- vieux, il conseille le thé pu-erh pour
sant un morceau de thé, souvent rie traditionnelle japonaise). ses vertus réchauffantes : « les jeunes
conservé sous forme de disque très « Il y a deux raisons, souligne le maî- choisissent leur thé selon le goût, mais
compact. Il l’émiette à l’aide d’une tre. Cela permet de refroidir le thé, les vieux laissent parler le corps »,
petite spatule avant de le doser dans pour que le convive ne se brûle pas. confesse-t-il. On dit aussi que cette
une balance électrique. Mais c’est aussi un moyen d’équilibrer plante « vintage » procure l’énergie, le
Règles ancestrales. Pour deux l’infusion. Car si je sers successive- « Qi », des forêts des montagnes du
personnes et une petite théière, comp- ment les deux bols, le second sera Yunnan, et la sagesse des grands âges.
tez six grammes. L’eau doit être fré- nécessairement plus fort. » C’est Mais la félicité n’est pas à la portée de
missante, c’est-à-dire à environ 95°C. l’heure de la première gorgée : un tout le monde. Comptez au minimum
Après avoir chauffé les dés à coudre voyage gustatif surprenant, quelque six euros par théière individuelle de
qui font office de tasses, Chow Yu jette part entre une poignée de terre Dong Ding Oolong, culture locale et
les deux premières eaux, très amères, humide mise en bouche et la fraî- premier prix de la Wistaria Tea House.
dans un saladier-poubelle en porce- cheur printanière de la rosée du Si vous avez les moyens financiers de
laine chinoise qui orne toutes les tables matin. En deux heures, le rituel sera prétendre au Nirvana, choisissez le
de la Tea House. Pour un thé récem- reproduit une vingtaine de fois. Hong Yin Xishuangbanna, doyen
ment récolté, c’est aussi une manière Mythes et vertus. Plus de vingt luxueux de la carte. Pour la bagatelle
d’éliminer les potentiels engrais qui variétés sont à la carte. Mais Chow Yu, d’eviron 110 euros par personne, ce
polluent les nouvelles plantations. La plein de cette sagesse qui préfère le thé quarantenaire aux fragrances de
boisson ne coule pas directement de la bien-être à la gourmandise, se laisse camphre libèrera vos organes de leurs
théière à la tasse, mais transite par un guider par la météo. En ce lundi plu- carcans psycho-somatiques. ■

40 Le magazine du CFJ Avril 2009


CORPS&ESPRIT UNE NUIT DANS UN MONASTÈRE

Ma vie de moine bouddhiste


Fo Guang Shan, le plus grand centre religieux de Taïwan traîne une
réputation de Disney Land bouddhiste. À tort.
par BAPTISTE TOUVEREY

e visiteur découvre d’abord les

L statues. Elles sont partout.


Souvent disposées le long d’allées
parfaitement entretenues. Des nains
de jardin en plus chic. Celle du
« grand Bouddha » s’impose d’em-
blée. C’est la plus haute de l’île. À ses
pieds, 400 répliques miniatures.
Tout est moderne ici. Avant 1967, la
colline, à une heure de Kaohsiung
(au sud de l’île), était jugée inhab-
itable. Hsing Yun, le « maître

BAPTISTE TOUVEREY
vénérable », décida pourtant d’y
édifier un centre pour accueillir et
former des moines bouddhistes. Fo
Guang Shan est un monastère et
une université à la fois, une sorte de
Mont-Saint-Michel planté en plein
campus à l’américaine. Une 11h30 tapantes, les moines se rendent au réfectoire pour le déjeuner.
Sorbonne où l’on n’aurait pas le Une vie scandée par les prières, la Grâce aux donations, le monastère
droit de tuer les moustiques. méditation et les repas. Tous sont pris continue de s’étendre. Un temple
Les simples étudiants se reconnaissent dans un réfectoire où nonnes d’un gigantesque est en voie d’achève-
facilement : ils ont encore des côté, moines de l’autre se font face. Ils ment. Y sera entreposé ce que
cheveux. Seuls les vrais moines sont y mangent en silence. Viande et pois- Fo Guang Shan possède de plus pré-
rasés. Les nonnes sont beaucoup plus son sont prohibés. Ail et oignon aussi cieux : une dent de Bouddha
nombreuses que leurs homologues car la mauvaise haleine est considérée Sakyamuni, le chef spirituel his-
masculins, pour la bonne et simple comme une forme d’agression. On ne torique. Il n’en existe que quatre dans
raison qu’une fille a moins de valeur gâche rien. Au début du repas, on le monde. Celle-ci est le don d’un
qu’un garçon au sein de la famille désigne de ses baguettes les mets qu’on moine tibétain, qui craignait qu’elle
taïwanaise. Ce n’est donc pas un ne mangera pas. Ils sont récupérés et ne tombe à sa mort dans les mains
drame si elle se retire du monde. distribués à ceux qui veulent du rabe. des communistes. ■

A RT M A RT I A L

Ni Kung-fu ni Wushu, simplement Kuo Shu


arlez à un Chinois de Kung-fu, il l’art martial traditionnel en Chine a shu sont largement répandus sur l’île
P ne comprendra pas à quoi vous évolué de façon différente des deux et il n’est pas rare de croiser des
faites allusion. À ce mot, né dans les côtés du détroit. En effet, la révolution adeptes s’y adonnant dans les parcs ou
studios américains, il préfére Wushu culturelle chinoise a vu d’un mauvais sur les dalles de centres commerciaux.
(art chevaleresque). Maintenant par- œil cet art martial accusé de propager Quand bien même le Kuo shu voit sa
lez de Wushu à un Taïwanais. Il vous des valeurs féodales. En revanche, à popularité grignotée auprès des jeunes
rira au nez. Lui ne jure que par le Kuo Taïwan, où plusieurs maîtres ont suivi par le Taekwondo qui a rapporté deux
shu (art national). Tchang Kaï-chek, le sport de combat des quatre médailles taïwanaises aux
Les trois mots sont synonymes, à s’est épanoui en gardant sa visée pre- Jeux Olympiques de Pékin en août
quelques nuances près. Seulement, mière : l’efficacité. Les différents Kuo dernier. ■ SILVÈRE BOUCHER-LAMBERT

Avril 2009 Le magazine du CFJ 41


CORPS&ESPRIT L’ E X PAT R I É

Un catho chez les taos Des présidents


chrétiens pour
Taïwan
Le père fondateur Tchang Kaï-chek s’était
converti au christianisme. Après des C’est l’un des grands
paradoxes de Taïwan
décennies fastes, les ouailles désertent. la bouddhisto-taoïste :
Un curé français, Jean-François Legall, ses dirigeants furent
continue à évangéliser en terre taoïste. presque tous des
chrétiens. Seul Chen
par BAPTISTE TOUVEREY Shui-bian, président de
la République de 2000
amais béret n’aura semblé

J
à 2008, fit exception.
aussi exotique. Il confère au Mais il n’était pas du
personnage une allure d’un Kuomintang…
autre temps. Plus encore peut-être Tchang Kaï-chek et son
que son visage racé de paysan successeur de fils
matois. Ou que sa soutane noire. Il étaient méthodistes,
y a en lui du curé de campagne cher Lee Teng-hui (à la tête
à Bernanos. De saint François- de Taïwan de 1988 à
Xavier aussi bien sûr, ce mission- 2000) presbytérien.
naire parti évangéliser la Chine Quant à l’actuel
au XVIe siècle. président, Ma Ying-
Lui est arrivé à Taïwan il y a vingt-six jeou, même s’il
ans par bateau cargo, fasciné par un s’affiche dans les
Orient que lui avait révélé les aven- temples taoïstes, il a
tures de Tintin dans Le Lotus bleu. été baptisé catholique.
Lui, c’est le Père Legall, un bloc de La confession de ses
catholicisme français comme on leaders a-t-elle eu de
n’en fait plus, y compris en France. l’influence sur les
BAPTISTE TOUVEREY

Il dirige la paroisse de Sanxia. À Taïwanais ? De 1950 à


arpenter les rues de cette grosse ville 1970, le christianisme
de la banlieue lointaine de Taipei, a eu le vent en poupe.
on comprend que le regard nar- Tchang Kaï-chek
quois, mais implacable du Père, son favorisait le dessein
air résolu, sa vision sans concession des missionnaires et
de la modernité, font partie de la Jean-François Legall, curé de certains d’entre eux se
panoplie du curé in partibus : sa Sanxia, est arrivé à Taïwan en 1983. prirent même à croire
paroisse est une enclave catholique en une conversion
en terre taoïste. nent souvent que ceux de leurs mem- massive de l’île.
Son sacerdoce est un combat de bres qui deviennent catholiques vont Mais elle concerna
tous les jours au milieu d’un monde abandonner leurs anciens, ne plus surtout les aborigènes
où ses coreligionnaires sont ultra- faire les sacrifices nécessaires au repos ou resta superficielle.
minoritaires : à peine 300 fidèles de leur âme. Conséquence : aucun Il y eut de nombreux
pour une ville de 100 000 habitants. des paroissiens n’est originaire de « baptêmes de riz » :
Et où la cohabitation n’est pas Sanxia. les réfugiés de 1949,
idyllique. Aucun n’y a la tombe de ses souvent accueillis par
Pression clanique. Pas de persé- ancêtres. Tous sont des nouveaux les missionnaires, se
cutions, bien entendu, contrairement venus sur qui la pression clanique convertissaient
à ce qui se passe de l’autre côté de la ne s’exerce plus. La plupart des davantage par
mer de Chine. À Taïwan, l’intolérance Taïwanais connaissent mal le gratitude que par
n’est pas d’Etat. Elle se manifeste catholicisme. Ils ignorent par exem- conviction. A en croire
surtout au niveau familial. « Pour le ple que depuis 1939, la vénération le père Legall, ce fut
clan, se convertir, c’est trahir », regrette de Confucius et des anciens est le cas des parents du
le Père Legall. Les familles s’imagi- acceptée par l’Eglise. ■ président Ma.

42 Le magazine du CFJ Avril 2009


C U LT U R E TA I P E I D E R N I È R E

SALOMÉ KINER
Taipei,
Bars clandestins, bouges décrépis,
la nuit
marchés bondés ou clubs ultraselects…
La nuit taïwanaise fourmille aipei ne connaît pas l’obscu-
de lieux surprenants. Balade dans
les rues d’une capitale chaloupante.
T rité. La nuit, ses néons agres-
sifs invitent à l’errance.
Laquelle débute à l’aveugle le long
de vastes boulevards aux fast-food
aguicheurs dont les portes ne se fer-
par SILVÈRE BOUCHER-LAMBERT, ZINEB DRYEF et SALOMÉ KINER ment jamais. 24/24 le Mac Do.
24/24 les superettes. 24/24 les mas-
seurs. Voici un bar clandestin,

Avril 2009 Le magazine du CFJ 43


C U LT U R E TA I P E I D E R N I È R E

promesse d’une fête s’achevant à décrépies des années 80. Penser être derniers bars à enveloppes rouges.
l’aube. L’enseigne aux ampoules tombé sur un petit bar sordide qui Héritage de la guerre, ils accueil-
roses, plutôt criardes, invite à grim- n’abriterait que des ivrognes et des laient les soldats défaits après la vic-
per au troisième étage d’un immeu- désespérés et finalement trouver toire des communistes en 1949.
ble d’habitation impersonnel. une scène lumineuse. Taipei n’était alors qu’une ville
À côté des tours flamboyantes de triste, sans lumière ni distraction.
PartyWorld, la plus grande chaîne de Pour consoler les exilés chinois, des
karaoké de Taïwan, ce bar du quartier Pour seul salaire, femmes montaient sur scène pour
de la gare centrale est grand comme des billets glissés chanter leurs amours laissées sur le
un cagibi. Mais un cagibi charmant. dans des enveloppes continent.
Derrière une porte blindée sertie d’un couleur chance, Pour seul salaire, les chanteuses
cœur rouge, seulement quatre tables comme celles recevaient des billets glissés dans
et une scène n’excédant pas le mètre que reçoivent des enveloppes couleur chance,
carré. Ce soir un policier donne de la les enfants pour les comme celles que reçoivent les
voix, sans doute aussi grisé par la bière grandes occasions enfants pour les grandes occasions.

SALOMÉ KINER
Jolies filles et chanteuses de charme (Andy Birdy, au centre) donnent la fièvre à Taipei la noctambule.

tiédasse servie en rafales par une Des hommes sont attablés face à Soixante ans après, de ces bars, il ne
patronne hilare que par les vociféra- une estrade en bois. Assis sur des reste qu’une poignée à Taïwan. Les
tions de son « petit frère » Lai. Qui chaises en toile verte, ils regardent, jeunes chanteuses sont devenues de
certifie appartenir aux triades, les solitaires et silencieux, des femmes vieilles dames fardées et les soldats
redoutées mafias locales. Sans jamais chanter des standards chinois. des retraités sans fortune. Plus les
regarder l’heure, on fume à grandes Enserrées dans des robes extrava- années passent, plus les patronnes
bouffées, on titube en distribuant des gantes, elles se succèdent après avoir de ces lieux tentent d’attirer une
accolades, on improvise des rocks fredonné deux ou trois morceaux. clientèle riche en recrutant des
ratés et on se dit qu’à Taïwan, même Andy Birdy, quinquagénaire plantu- jeunes filles.
les gangsters sont sympas. reuse, surgit sur scène. Le temps de Andy Birdy, diva des lieux, règne
Bars à chanteuses. Marcher quatre morceaux, elle transforme ce sur plusieurs de ces bars et, à cha-
plus loin, vers la porte de l’Ouest, ce lieu de mélancolie en bal burlesque cune de ses apparitions, récolte plus
quartier de lycéens à mèches colo- façon Terry Gilliam. d’argent que les autres. Selon la tra-
rées. Entre mille magasins bran- Avec la gaieté tapageuse des femmes dition, les clients écrivent leur nom
chés, apercevoir des visages de déclassées restées fières, Andy sur les enveloppes qu’ils tendent, et,
jeunes femmes sur des affiches raconte ce cabaret étrange, l’un des plus tard, s’ils se sont montrés géné-

44 Le magazine du CFJ Avril 2009


reux, les chanteuses leur rendent tao irradie son calme sous des des musiciens charitables venus
visite. Elles restent parfois auprès lampions ardents. chanter pour la soirée de soutien au
d’eux jusqu’à la pointe de l’aube. Faire le mur à The Wall. Affalé syndicat des joueurs de baseball.
Marchés de nuit. De l’autre côté dans son fauteuil croco, Orbis, un Room18. Sauter dans un taxi pour
de la ville, les Taïwanais affluent en jeune homme de son temps, parle en rejoindre la jeunesse branchée taï-
masse à Shilin, le plus vénérable des mangeant et rote en parlant. Co-pro- wanaise qui ne va ni dans les karao-
marchés de Taipei. Voilà plus d’un grammateur de The Wall, il présente kés clandestins, ni dans les bars à
siècle que la foule se presse, la nuit avec fierté cette salle de concert de 600 chanteuses démodés, mais dans les
venue, dans ses allées bondées. L’air places à la programmation indépen- clubs select. En contrebas de la plus
lourd exhale des fragrances de fri- dante et pointue. Véritable consécra- haute tour d’Asie, la Tapei 101,
ture et de tofu grillé. Sur des char- tion pour les petits groupes locaux, Room18 est le club le plus fré-
rettes à main, chacun prépare sa c’est aussi un passage obligé pour les quenté de Taipei. A la veille d’une
spécialité. formations rock internationales en fermeture temporaire d’un mois
Celui-ci vend des beignets aux huî- tournée asiatique. Pépite de la contre- pour travaux, plus de 600 per-
tres. Cet autre des croquettes de culture taïwanaise au royaume de la sonnes piétinent à l’entrée.

SALOMÉ KINER
Rock indé à The Wall, brouhaha des marchés de nuit et rap au Room18 : faites du bruit !

poissons. Celui-là des brochettes pop, The Wall compte aussi un lieu Néons rouges, MC japonais, jardins
d’énormes fraises figées dans une d’exposition, un disquaire, un salon d’hiver et gogo-danseuses, l’am-
vasque de sucre fondu. de tatouage, un magasin de babioles biance est bon enfant dans ce tem-
Dans les travées étroites, on piétine design et des studios d’enregistre- ple festif capitonné de miroirs.
et se bouscule entre les étals de vête- ment. Alors qu’une salle électro taquine
ments criards. Les camelots à la sau- les oreilles des clubbeurs avec ses
vette sont venus en essaim avec Néons rouges, MC grosses basses saturées, le coin
leurs cargaisons rutilantes, prêts à japonais, jardins d’hiver pop fait monter le thermostat à
disparaître à la moindre alerte. et gogo-danseuses dans coups de tubes de Madonna et de
Plus loin, les M16 factices crépitent, ce temple festif Kate Perry.
fichant de petites billes jaunes dans capitonné de miroirs Les couples, rares dans les rues, se
des ballons. La bouche crispée par forment à la faveur des heures qui
la concentration, de petites filles Il est 20 heures, et les mélomanes se passent. Ici, les filles paient peu et
pêchent à l’épuisette des poissons pressent aux portes de la cave bran- les garçons sont charmants, forcé-
aux nageoires irisées. Dans ce chée. Entre deux poignées de main, ment. Taïwan : de la gentillesse
tumulte incessant, seul un temple Orbis accueille les artistes du jour : jusque dans l’ivresse. ■

Avril 2009 Le magazine du CFJ 45


C U LT U R E JUKE-BOX

Dans la peau de Teresa Teng


Plus de dix ans après la mort de Teresa Teng, la voix d’or
de la variété asiatique, nous avons rencontré son sosie
dans l’un des derniers bars à chanteuses de Taipei.
u tour de Peggy de faire rêver de variété d’Asie. Ici, les jeunes chan- peu de candidats ce jour-là », dit-elle.

A les vieillards installés face à la


petite scène. La très jeune fille
au sourire interminable et aux yeux
teurs tirent gloire de leur ressem-
blance parfaite avec les légendes de
la musique asiatique. À condition
Un hasard pourtant hérité de mère
en fille. Sa tunique violette, Peggy l’a
obtenue de sa mère, chanteuse, et de
clairs ondule lentement au rythme que celles-ci aient renoncé à la scène. sa grand-mère, chanteuse elle aussi.
des vieilles mélodies chinoises qu’elle Deuil national. Pour Peggy, la voie À la table d’un restaurant oriental, la
chante. Il y a comme de la noblesse est libre, Teresa Teng est morte d’une sosie de Teresa Teng rallume ses fines
dans sa tunique violette brodée de fil crise d’asthme à quarante-deux ans cigarettes légères entourée de ses
d’argent, comme de la fierté dans la a été enterrée par la foule taïwanaise admirateurs interlopes – un ex-pivot
lenteur indifférente qu’elle met à sai- un jour de deuil national en 1995. de l’équipe nationale de basket-ball
sir les enveloppes rouges que lui ten- Pour d’autres, le retour d’une star de taille plutôt moyenne et un beau
dent les clients. Elle donne de la voix disparue rime avec reconversion. quinquagénaire taïwanais du New-
contre des billets qu’elle a plus nom- Peggy raconte l’histoire d’un col- Jersey. Bavarde, elle ne cesse de par-
breux que les autres chanteuses, lègue appelé Jackie Chan, un homo- ler en agitant ses petites mains aux
l’histoire ne dit pas si elle met son nyme de l’acteur karatéka : « Jackie a ongles longs et laids des taïwanaises
corps à contribution. Dans son dû changer de métier parce que son de nuit. Elle s’interrompt pour rire
anglais impeccable, elle ne le dira pas modèle, un chanteur qui ne chantait et exhiber les photos de son chat
non plus, elle racontera seulement plus, a décidé de remonter sur scène. obèse. « Il faut du talent pour imi-
son histoire. Et son âge. La très jeune Vous ne pouvez chanter les textes d’un ter », répète-t-elle. Comme elle
fille a 38 ans et chante le week-end. autre que si vous êtes sûr qu’il ne se répète qu’elle est trop vieille pour
Elle consacre le reste de sa semaine à montrera plus au public. » être une « vraie » chanteuse, de celles
rêver à un métier qui lui plairait, elle Peggy n’est pas toquée de chant, elle qui écrivent. Elle ne dira rien de ses
ne sait pas lequel. s’y est mise par hasard en rempor- années perdues avant le fameux
Son génie à elle est de ressembler tant un concours télévisuel, en 1999. show télé qui l’a révélée. Avant sa
trait pour trait à Teresa Teng, la voix « J’y étais allée pour rendre service à renaissance dans la peau de Teresa
d’or taïwanaise et la plus grande star une amie qui y travaillait. Il y avait Teng. ■ ZINEB DRYEF
LUXE

La culture d’Eslite
a Flûte enchantée berce les clients magasin où l’on vient acheter,
Lmoelleuses
confortablement assis sur les consommer de la culture, mais un
banquettes en cuir. Il est univers où l’on peut découvrir libre-
22 heures et ils sont quelques cen- ment et en toute quiétude livres,
taines à avoir préféré aux bruyants journaux et DVD.
marchés de nuit l’atmosphère feutrée « MAGAZINE » : Les lettres en capi-
du magasin Eslite. Certains étaient tales se détachent sur les rayons, au
venus pour feuilleter quelques pages, troisième étage. Dans ce kiosque
et sont là depuis deux heures. géant, le plus grand de Taipei, presque
D’autres viennent ici comme ils toutes les revues de la planète, grand
iraient à la bibliothèque. La plus public ou spécialisées, sont réperto-
grande librairie de Taïwan, dans son riées. On peut y trouver les vingt-qua-
immense écrin de verre et d’acier, est tre derniers numéros d’un mensuel
un endroit où le temps s’arrête. Chez populaire japonais ou les éditions ita-
DR

Eslite, le concept de librairie a été très liennes, françaises ou américaines de


travaillé. Ce n’est pas seulement un Vogue. ■ MARTHE HENRY L’espace Magazine de la librairie.

46 Le magazine du CFJ Avril 2009


C U LT U R E BOX-OFFICE

Nouvelle vague contre tsunami américain


La Cinémathèque de Taipei rend régulièrement hommage
au cinéma européen. Elle doit en revanche faire face au
désamour des Taïwanais pour leur cinéma national, nous
explique son directeur, Winston Lee.
Tsai Ming-liang et Hou Hsiao- box-office. Il existe aussi des films poli-
hsien sont des réalisateurs tiques, sur le massacre du 28 février
très connus en France. 1947 et la loi martiale qui fut alors ins-
Sont-ils des stars à Taïwan ? taurée. Mais ces films n’intéressent pas
Ils sont très réputés en Europe grâce le grand public. Tout comme les films
aux récompenses obtenues dans les chinois, qui sont trop politiquement
festivals de Berlin, Venise ou Cannes. corrects.
Par exemple Three Times, de Hou Quarante films de fiction
Hsiao-hsien, a connu un succès bien ont été produits à Taïwan

ANNE-SOPHIE LASSERRE
plus grand en France qu’à Taïwan. Le en 2008. Comment ont-ils
cinéma de ces réalisateurs est trop été financés ?
intellectuel, trop compliqué pour les Le ministère de l’Information soutient
Taïwanais. Vous savez, 97 % des films une vingtaine de films par an. Il
diffusés sur notre île proviennent finance environ un tiers du budget, les
d’Hollywood. Une loi autorise le producteurs devant trouver le reste.
cinéma américain à envahir nos salles Les jeunes réalisateurs peuvent égale-
sans limite. ment participer à un concours dépar- Winston Lee, directeur du Chinese
Dans le cinéma taïwanais, cer- tageant les meilleurs films taïwanais et Taipei Film Archive.
tains sujets sont-ils tabous ? bénéficier ainsi d’une aide financière.
Les réalisateurs peuvent aborder très Mais les réalisateurs comme Hou leur cinéma, ils arrivent à compléter
librement des sujets comme l’érotisme Hsiao-hsien et Tsai Ming-liang reçoi- leurs budgets. ■ recueilli par MARION
ou l’homosexualité. En 2008, le film vent peu d’argent de leur propre pays. BRUNET et ANNE-SOPHIE LASSERRE
érotique Way word club a explosé le Grâce à la France surtout, friande de
SUCCÈS CANNES

Cape n° 7, la réconciliation Visages du Louvre


ans l’industrie cinématogra- de la colonisation. Il écrit alors des Pour les besoins du dernier film du
D phique taïwanaise, c’est une lettres à la femme qu’il abandonne,
révolution. Depuis août dernier, les sans les envoyer. Soixante ans plus
Taïwanais Tsai Ming-liang, le musée
du Louvre a pour la première fois
Taïwanais redécouvrent leur cinéma tard, Aga, un jeune Taïwanais ouvert des salles inexplorées et a
national grâce à Cape number seven devenu postier après l’échec de son financé 20 % du film. DansVisages, un
de Wei Te-sheng. Les chiffres sont groupe de rock, les retrouve et réalisateur débarque dans le musée
éloquents : deuxième film le plus vu décide de les livrer. parisien pour tourner un film qui
sur l’île après l’insubmersible En chemin, il rencontre une char- revisite le mythe de Salomé – inter-
Titanic, cette fiction a engendré 13 mante jeune femme et parvient à prétée par Laetitia Casta. L’ex-manne-
millions de dollars américains de faire la première partie d’un grand quin donne la réplique à Jean-Pierre
recettes et provoqué des records de groupe en tournée dans sa région. Léaud, Fanny Ardant et Jeanne
réservations de DVD… Loin de nos Ch’tis, Cape number Moreau. Avec ce nouvel opus, Tsai
Si cette comédie fait la part belle seven croule sous les prix. Une Ming-liang devrait monter pour la
aux scènes cocasses, elle évoque question, donc : la critique taïwa- troisième fois les marches du festival
aussi le douloureux passé de naise est-elle plus sensible au succès de Cannes en mai prochain. The Hole
Taïwan, sous les traits d’un Japonais ou le cinéma taïwanais populaire et Et là-bas, quelle heure est-il ?
d’une quarantaine d’années est-il de meilleure qualité que le avaient été sélectionnés en 1998 et
contraint de quitter l’île après la fin nôtre ? ■ ANTONIN CHILOT 2001. ■ A-S.L

Avril 2009 Le magazine du CFJ 47


GUIDE
TOURISME PROMENADES GASTRONOMIE SHOPPING

THOMAS VAMPOUILLE
our monter à bord de

Alishan P l’Alishan Forest Train, il faut


d’abord dénicher le quai
prévu dans la petite gare de Chiayi,
ville provinciale du centre de l’île.

Voyage
Un air de « quai 9 3/4 », digne
d’Harry Potter. D’ailleurs très vite,
ses rails se séparent des autres
lignes, comme pour un voyage ima-
ginaire, un voyage d’un autre âge.
Une bouffée d’air, pour les touristes

dans le passé en manque de fraîcheur. L’été,


quand la chaleur suffocante écrase
le reste de l’île, la température là-
haut n’excède pas 24° C. Une paren-
thèse aussi. Dans l’île trépidante,
On peut prendre le bus pour atteindre le parc le train détonne avec ses pointes
à 15 km/h.
d’Alishan. Ou prendre le temps. Embarquez Avec deux à trois départs quoti-
dans un des derniers trains de montagne au diens selon les saisons, l’Alishan
Forest Train effectue le trajet vers le
monde. parc naturel, perché à quelque 2
par MAUD NOYON et THOMAS VAMPOUILLE 200 mètres d’altitude, en un peu
plus de quatre heures. De quoi

48 Le magazine du CFJ Avril 2009


prendre le temps de rêvasser, devant peu, signe que le convoi s’attaque une partie de la voie s’est effondrée
un paysage qui défile à vitesse aux premières pentes. En altitude, la à la suite d’un glissement de terrain.
humaine. végétation marque les paliers. Des Les contrôleurs arrachent donc les
Au départ, le tortillard rouge aux palmiers aux conifères, en passant passagers à leur contemplation pour
yeux ronds se fraie un chemin à tra- par les forêts de bambous. Le rideau les mener à travers un village, puis
vers les faubourgs de Chiayi, frôlant de verdure s’écarte parfois, pour le long d’un sentier forestier. Valise à
les constructions en tôle. On se laisser entrevoir des ravins vertigi- la main, en file indienne, la troupe
prend à regarder chez les gens, dans neux. Des vallées s’étendent au loin, rejoint un autre train qui attend
les arrière-cours et les cuisines de la souvent noyées dans la brume, plus haut sur la ligne. Au passage, les
petite ville provinciale. Au détour comme dans un halo de mystère. villageoises ravitaillent les voyageurs
d’un baraquement, un cimetière de Soudain, le convoi s’interrompt. en bananes et en patates douces.
wagons se révèle. Une antique loco- La route est coupée, il faut descen- Conducteur de légende. Les
motive trône au milieu d’un parc en dre. La vie d’une ligne de montagne quatre petits wagons reprennent
bordure de voie, souvenir d’une n’est pas de tout repos. L’été dernier, leur route, poussés par une locomo-
autre époque. tive dont le maniement nécessite
Destination vedette. La une longue formation. Une forma-
ligne date de 1907, quand les tion que certains conducteurs expé-
Japonais, alors occupants de rimentés n’hésitent pourtant pas à
Taïwan, décidèrent d’exploi- suivre, par défi et par goût pour la
ter massivement le bois légende. Les rochers sont bientôt
réputé de la forêt d’Alishan. complètement couverts d’une
Depuis la fin de l’activité épaisse mousse verte, c’est la forêt
forestière, l’endroit est THOMAS VAMPOUILLE d’altitude qui enveloppe tout de son
devenu l’une des destina- humidité persistante.
tions phares du tourisme Au bout du voyage, Alishan
dans l’île. accueille le touriste avec des danses
Le voyage se poursuit à travers traditionnelles. En tenue folklorique
champs. Bananiers, plantations La ligne date de 1907, et en short Nike. La ville manque
d’ananas et d’arbres fruitiers s’éten- quand les Japonais, d’authenticité, mais qu’importe.
dent jusqu’au pied du massif mon- décidèrent d’exploiter le Avec le Alishan Forest Train, c’est le
tagneux. Le roulis s’intensifie peu à bois réputé de la forêt chemin qui fait le voyage. ■

et de chambres aux de souvenirs très Pour de nombreux


tarifs modestes, colorées et de touristes asiatiques,
autour de 24 € la maisons de thé. La elle s’apparente à un
nuit. Le soir, une plus ancienne lieu de pèlerinage.
ESTELLE MAUSSION

population jeune, d’entre elles, rue Les papilles affluent


SALOME KINER

avide de surf, envahit Jishan, offre une par bus entiers de


le marché et les bars déco zen : douce Hong-Kong,
de la ville. (A.C.) fontaine, mobilier en Singapour, Macao
KENTING bois et ambiance La ville fut aussi le ou encore de la
Cap au sud CHIUFEN feutrée. L’hôte lieu du tournage du Chine voisine pour
sur les plages Prendre un thé détaille le cérémonial film de Hou Hsiao- déguster le graal
Petite ville tournée face à l’océan du thé et hsien, La cité des culinaire de la
vers la mer, Kenting Accroché à la recommence douleurs, qui raconte maison : le Fon Li
est un îlot de montagne, Jiofen plusieurs fois si l’occupation Sue (littéralement
tranquillité et de offre un magnifique nécessaire. japonaise. (E.M.) gâteau à l’ananas).
douceur. Elle point de vue sur Aujourd’hui assez Certains aficionados
détonne par son l’Océan Pacifique. Le tranquille, Chiufen FON LI SUE en sont tellement
charme discret et village de 2 000 était très prospère Les gourmets en friands qu’ils en
son ambiance habitants est à moins dans les années 1930 sont babas rapportent de pleins
paisible. La plupart d’une heure de bus grâce à ses mines La boulangerie Vigor caddys. Compter 7 €
des hôtels, en front de Taipei. Dans ses d’or. On la Kobo n’est pas un pour dix Fon Li Sue.
de mer, disposent de petites ruelles, une surnommait la simple « haut lieu de Adresse : 27, Cheng-
terrasses ensoleillées foule de boutiques « Petite Shanghai ». la gastronomie ». Te Rd. Taipei (O.S.)

Avril 2009 Le magazine du CFJ 49


GUIDE TOURISME

Plongée dans
les gorges de Taroko

MARTHE HENRY
Resto scato

ESTELLE MAUSSION
Comme souvent à Taipei, le
restaurant est perdu au
premier étage d’un immeuble
bardé de néons au cœur du
quartier Shilin. Heureusement,
un énorme étron rose indique
es falaises de marbre d’une à des sommets de 3 700 mètres.
D centaine de mètres. Des mas-
sifs forestiers qui abritent la moi-
Après une heure de bus, on arrive
dans la petite ville de Tienshang.
le chemin aux gastronomes
téméraires. Un escalier plus
tard, le visiteur pose le pied
tié des espèces animales de Elle fait face à un temple boud- au Modern Toilet. Ici, la table
Taïwan. Ce sont les gorges de dhiste, auquel on accède par un est une baignoire, les murs
Taroko, première destination immense pont suspendu.Pour sont recouverts de mosaïque,
touristique de l’île. les plus aventureux, osez la ran- des peignoirs pendent à une
Pour découvrir les canyons creu- donnée « Baiyang ». Elle mène à tringle ; dans une vitrine, des
sés par la rivière Liwu, il faut sui- de magnifiques cascades et cendriers en forme de crottes
vre une route en lacets qui débute par un tunnel de 380 sont à vendre. A l’arrivée du
sillonne le parc national de mètres. Sensations garanties menu, on hésite entre se taper
Taroko. Il s’étend sur 90 000 hec- mais n’oubliez pas votre lampe violemment la tête contre la
tares, de la côte Pacifique de l’île de poche. ■ ESTELLE MAUSSION céramique ou applaudir. Des
petits étrons parsèment la
grande feuille plastifiée, une
Tainan, la « ville aux cent temples » devant chaque plat, en guise
de rappel. Mais en gourmet
on surnom est trompeur, vent pour jouer aux dames ou
S puisque Tainan compte 220
édifices religieux. La plupart
de jeunes citadins qui, en un
coup de scooter, viennent prier
aguerri, l’aventurier persiste.
Surtout que pour quelques
centimes de plus, il peut
sont concentrés dans le même leurs dieux. Le temple de emporter chez lui l’urinoir
périmètre et un parcours fléché Confucius, avec son parc, dans lequel les boissons sont
permet de s’y constitue une étape servies. Le choix des plats est
retrouver. De la gare, nécessaire pour res- limité, mais qu’importe,
la très animée Minzu pirer loin des l’attention se fixe davantage
Road vous emmène moteurs des taxis sur le contenant que le
ANNE-SOPHIE LASSERRE

droit au Fort jaunes ou se reposer contenu, soit des mini-


Provincia, édifié par à l’ombre des arbres. toilettes où l’on déguste son
les Hollandais. Ils Il a subi une ving- plat dans la cuvette. Mais, le
furent chassés de taine de liftings plus incroyable au Modern
Tainan en 1662 par Koxinga, un depuis sa création en 1665 mais Toilet se trouve où on ne
guerrier devenu héros national. reste un exemple d’architecture l’attendait plus : dans les
De petites ruelles piétonnes chinoise classique. Poussez la toilettes, où le client au
vous conduisent à des temples promenade jusqu’à Anping, un besoin pressant a le choc
plus discrets mais toujours bon- quartier restauré il y a peu pour ultime de se retrouver face
dés. Les fidèles sont souvent des faire renaître l’ancienne capitale à des commodités…
personnes âgées qui se retrou- du pays. ■ ANNE-SOPHIE LASSERRE à la turque. ■ ROXANE GUICHARD

50 Le magazine du CFJ Avril 2009


GUIDE V E RT I G E E T E X P L O I T

Taipei 101,
la tour du
miracle

’est un des symboles de la réussite


C taïwanaise. 508 mètres de haut, un
ascenseur qui vous emporte au 89 étage en
e

quelque 37 secondes : la Taipei 101 est la tour


de tous les records. Et continue à donner le
vertige aux intrépides touristes du monde
entier. Ouvert au public en 2004, ce gigan-
tesque bambou de verre et d’acier est
depuis plus de cinq ans la tour la plus
haute du monde. Mais la course à la hau-
teur anime toujours les esprits les plus
fous et les projets architecturaux foi-
sonnent pour détrôner la Taipei 101.
Tel ce gratte-ciel d’un kilomètre de
haut prévu à Dubaï. Et si la crise a
calmé ces ardeurs immobilières, la
tour de cent et un étages devrait
quand même perdre sa première
place dans les mois qui vien-
nent. Mais, de combien de
mètres sera-t-elle devancée,
mystère...

Avril 2009 Le magazine du CFJ 51


3 5 , R U E D U L O U V R E , 7 5 0 0 2 PA R I S

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