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Photographies de Nouvelle-
Guinée par Paul Wirz (1892-1955)
par Virginia-Lee Webb
« Ses photographies à lui sont intimistes, particulièrement celles représentant les populations de
Marind ou du lac Sentani. Bien que beaucoup de ses clichés soient conditionnés par les événements
dont ils témoignent, il est absolument évident que Wirz entretient un rapport personnel avec ses
sujets.Vous pouvez le ressentir encore et encore et c’est ce qui rend ses images très particulières. »
P
aul Wirz, ethnologue et grand voyageur, Marind dont la culture s’est considérablement Hommes et
s’intéressa particulièrement à la Nouvelle- modifiée au contact de l’extérieur. Grâce à ses masques aia-
imunu à l’intérieur
Guinée. Il y fit sept voyages, visitant les publications, à ses photographies et à son
d’une maison
populations du sud-ouest (Marind), du lac implication dans la formation de collections (Ravi), 1930.
Sentani, du golfe de Papouasie, des Hautes- muséales, Paul Wirz contribua de manière Papouasie
Terres du sud et de l’est, du fleuve Sépik, de la essentielle à enrichir la connaissance des arts Nouvelle-Guinée,
province du Golfe,
région du Maprik ainsi que des Asmat. de la Nouvelle-Guinée. C’est au Museum der
delta du Purari,
Près de 3 300 des 10 000 photographies de Kulturen de Bâle que l’on peut trouver la village de Kaimari.
Wirz furent prises en Nouvelle-Guinée. Outre majeure partie des documents photogra- Épreuve aux sels
les recherches qu’il effectua sur l’art, la religion phiques de Wirz. Son fils, Dadi, préserve lui- d’argent.
et les coutumes de l’île, il y collecta des sculp- même la collection familiale. The Metropolitan
Museum of Art,
tures, publia livres et articles, tourna des films New York.
et recueilli des documents sonores. Entretien avec Virginia-Lee Webb Fonds provenant
La famille de Paul Wirz était originaire de Associate Research Curator de différents dona-
Suisse, d’une région proche de Bâle, connue Département des Arts d’Afrique, d’Océanie teurs, 1992.
(1992.417.174)
pour sa production de fil de soie. Sa passion et des Amériques
pour les voyages naquit à la suite de deux Metropolitan Museum of Art, New York
visites en Afrique du Nord entre 1912 et 1913.
En 1914 et 1915, il étudie l’anthropologie, Florence Carrie : Pourquoi avez-vous décidé
l’ethnologie, la géographie et la zoologie à de monter une exposition sur les travaux de
l’Université de Zurich. Très marqué par l’ensei- Wirz ?
gnement d’Otto Schlaginhaufen, il cherche à Virginia-Lee Webb : Tout d’abord, parce que
s’établir en Nouvelle-Guinée pour y étudier la Wirz est un personnage important dans le
culture de peuples peu soumis, à l’époque, aux domaine des cultures du Pacifique et des études
influences extérieures. qui s’y rapportent. Ce fut un chercheur proli-
En 1919, il retourne en Suisse pour y étudier fique qui a écrit de nombreux livres.
l’anthropologie, avec Félix Speiser, à l’Université Actuellement, plusieurs universitaires le tradui-
de Bâle. Il y obtient son doctorat l’année sui- sent ou lui consacrent des publications. Par
vante, ayant soutenu une thèse sur les popula- ailleurs, nous possédons un ensemble très inté-
tions de Marind et leur culture. Sur ce sujet, il ressant de ses photographies, quasiment incon-
publie, par la suite, un livre en deux tomes nues du public. En outre, l’année dernière (6
illustré de ses photographies. octobre 2002-27 avril 2003), s’est tenue au
Cet ouvrage reste encore aujourd'hui le tra- Kantonsmuseum Baselland de Liestal, en Suisse,
vail ethnographique le plus important sur les une exposition qui présentait, en quelque sorte
Virginia-Lee Webb
pour la première fois, l’œuvre photographique « artificielles » (des cérémonies traditionnelle- Paul Wirz « Pascha
de Wirz, et c’est en liaison avec ce projet que ment nocturnes se déroulant de jour, par » avant son pre-
mier voyage, 1915.
nous avons décidé de montrer ses travaux. exemple), elles représentent tout de même un
Photographe
Cette exposition se situe dans le cadre de ce témoignage visuel de cette époque... dont inconnu.
que nous appelons une « galerie tournante » nombre des formes artistiques ont disparu ou
dans la mesure où les photographies que nous ont changé depuis, évidemment. Épreuve à l’al-
y présentons sont extraites des collections Wirz est également extrêmement important bumen.
The Metropolitan
même du musée et que nous les changeons en raison des expéditions qu’il entreprit chez les Museum of Art,
périodiquement. Cette galerie est ouverte gra- différentes tribus du lac Sentani et de la côte New York.
tuitement au public, du mardi au vendredi. Nord. Au-delà de leur art, il portait énormément Don de Dadi Wirz,
Nous avons beaucoup de chance car nous dis- d’intérêt aux populations et aux personnes elles- 1999.
(1999.131.2)
posons ainsi de notre propre espace dans l’aile mêmes. Cette attitude lui permit de se déplacer
Michael C. Rockefeller. très librement et se reflète parfaitement dans ses Elisabeth Wirz (au
photographies. C’est une chance qu’il ait vécu et centre) avec deux
F. C. : Peut on considérer Paul Wirz comme un étudié en Nouvelle-Guinée à de nombreuses femmes indigènes
et un enfant, 1917.
pionnier dans le domaine de l’ethnographie ? reprises, ce qui lui a permis de nous renseigner
Indonésie, pro-
V.-L. W : Sa première expédition de 1915 chez sur les évolutions qu’ont connues ces cultures vince de
les tribus Marind, au sud-ouest de la Nouvelle- tout au long de sa vie. Papouasie.
Guinée, fut d’une grande importance : il sou- Épreuve à l’al-
haitait étudier des cultures qui avaient eu très F. C. : À qui devons-nous, en premier lieu, la bumen.
The Metropolitan
peu de contacts avec des civilisations exté- « découverte » de la Nouvelle-Guinée ? Museum of Art,
rieures, en particulier les Européens. Bien sûr, V.-L. W : C’est une question difficile ! La New York.
les Hollandais l’avaient précédé et contrôlaient Nouvelle-Guinée a connu tant de visiteurs ! Don de Dadi Wirz,
nombre des cérémonies traditionnelles aux- Dans chaque région les premiers contacts ont 1999.
(1999.131.4)
quelles Wirz et sa femme Elisabeth eurent l’oc- eu lieu à des moments légèrement différents.
casion d’assister au cours de leur séjour. Il put, Avant la Première Guerre mondiale, les profes-
toutefois vivre avec les Marind et se docu- seurs de Wirz (Schlaginhaufen et Speiser) furent
menter sur leur art, d’une extraordinaire créati- des chercheurs et des écrivains prolifiques. Wirz
vité. Et, quoique ses photographies fussent est certainement l’un des premiers chercheurs
parfois prises dans des conditions quelque peu pour ce qui concerne les régions du lac Sentani
Paul Wirz dans ou Marind. Après les guerres et les grandes expé- établissaient un camp de base et il voyageait à
un canoë tenant ditions coloniales, quoique leurs travaux fussent partir de là. Durant ces premières expéditions, il
une sculpture,
1930.
de moindre portée, apparurent des personnalités était accompagné de sa famille. Elisabeth mourut
Papouasie plus connues, tels Margaret Mead ou Gregory à leur retour en Europe, puis sa seconde épouse
Nouvelle- Bateson. Chaque région détient sa propre histoire l’accompagna également. Wirz se maria plusieurs
Guinée, pro- de ses premiers contacts avec les Occidentaux. fois. Ils ne comptaient que sur eux-mêmes, des
vince du Golfe,
missionnaires, des coloniaux ou les indigènes. Il
rivière Turama.
Photographe F. C. : Dans quel genre de contexte culturel Wirz ne disposait pas d’autre infrastructure.
inconnu. travaillait-il ?
Épreuve aux sels V.-L. W : Fortement influencé par ses professeurs, il F. C. : Que faisait-il en Europe entre ses expédi-
d’argent. évoluait dans un environnement où les études cul- tions ?
The
Metropolitan turelles n’étaient pas prises à la légère. Les V.-L. W : On lui offrit un poste d’enseignant mais
Museum of Art, Universités de Bâle et de Zurich étaient et restent cela ne le satisfaisait pas. Il préférait voyager,
New York. des centres importants de recherche sur l’art du effectuer des recherches et construire sa collec-
Fonds provenant Pacifique. Wirz était très imprégné d’une philoso- tion. Il donna de nombreuses conférences et
de différents
phie de retour à la nature, préservée des influences publia des livres et des articles sur ses recherches.
donateurs,
1992. extérieures, pas forcement primitive, mais un envi- Après son retour de sa première expédition, il
(1992.417.123) ronnement naturel. Je crois que l’art de ces régions obtint son doctorat et publia un livre en deux
l’attirait comme un aimant. Découvrant des volumes fondé sur ses travaux sur les Marind. Il
formes artistiques étonnantes en Nouvelle- disparaissait pour se plonger dans ses écrits.
Guinée, et rencontrant des collectionneurs en
Europe, il fut amené à se concentrer sur cet art et F. C. : Pourriez-vous nous parler de ses talents de
à constituer des collections exceptionnelles. photographe ?
V.-L. W : Il avait une vision très originale. À
F. C. : Comment voyageait-il ? l’époque, les photographies répondaient souvent
V.-L. W : Ou tout seul ou en famille. Parfois ils à une formule — une formule académique
Virginia-Lee Webb
Campement au
bord de la rivière
Torassi, 1917.
Indonésie, pro-
vince de
Papouasie.
Épreuve à l’al-
bumen.
The Metropolitan
Museum of Art,
New York.
Don de Dadi Wirz,
1999.
(1999.131.5)
Danseur dema
portant une coif-
fure représentant
un nuage au cou-
cher du soleil,
1916.
Indonésie, pro-
vince de
Papouasie, peuple
Marind, village de
Kumbe.
Épreuve aux sels
d’argent.
The Metropolitan
Museum of Art,
New York.
Fonds provenant
de différents dona-
teurs, 1992.
(1992.417.14)
Homme marind
tenant un tam-
bour, avec
Elisabeth Wirz en
arrière-plan, 1916-
1917
Indonésie, pro-
vince de
Papouasie, village
de Domandeh.
Épreuve aux sels
d’argent.
The Metropolitan
Museum of Art,
New York.
Fonds provenant
de différents dona-
teurs, 1992.
(1992.417.80)
Virginia-Lee Webb
Homme papou de
Merauke, vers
1915-1922.
Indonésie, pro-
vince de
Papouasie.
Épreuve à l’al-
bumen.
The Metropolitan
Museum of Art,
New York.
Don de Dadi Wirz,
1999.
(1999.131.3)
Homme montrant
une sculpture pro-
venant d’une
maison de chef
(Ondoforo), 1921
ou 1926.
Indonésie, pro-
vince de
Papouasie, lac
Sentani, village
d’Ifar.
Épreuve aux sels
d’argent.
The Photograph
Study Collection.
Department of the
Arts of Africa,
Oceania, and the
Americas.
The Metropolitan
Museum of Art,
New York.
(PSC 2000.2.30)
Poteaux sculptés
d’une maison de
chef (Ondoforo),
1926.
Indonésie, pro-
vince de
Papouasie, lac
Sentani, village
d’Asei.
Épreuve aux sels
d’argent.
The Photograph
Study Collection.
Department of the
Arts of Africa,
Oceania, and the dépendant du matériel utilisé ou du contexte car il n’avait aucune formation photogra-
Americas.
de la photo. Ses photographies à lui sont inti- phique. Il faisait fréquemment des dessins, ce
The Metropolitan
Museum of Art, mistes, particulièrement celles représentant les qui nous permet d’établir des parallèles entre
New York. populations de Marind ou du lac Sentani. Bien ces deux formes de sensibilité artistique. Il prit
(PSC 2000.2.34) que beaucoup de ses clichés soient condi- de nombreuses photos d’objets pour en faire
tionnés par les événements dont ils témoi- un fichier et, dans les régions du lac Sentani et
gnent, il est absolument évident que Wirz du golfe de Papouasie, et accumula de nom-
entretient un rapport personnel avec ses sujets. breuses images montrant le contexte dans
Vous pouvez le ressentir encore et encore et lequel ces objets étaient fabriqués et utilisés.
c’est ce qui rend ces images très particulières. Dans ses photos les plus anciennes, on peut
Ces capacités artistiques étaient intuitives voir des compositions très conventionnelles car il
Virginia-Lee Webb
Virginia-Lee Webb
tions de la vision de Wirz et vecteurs d’infor- que les travaux de Wirz recueillent une certaine
mation relatives à la culture. Dans la sélection attention ?
qui a été faite, vous pouvez voir architecture, V.-L. W : Parfois il faut un certain temps avant
environnement, sculptures et portraits. que le public reconnaisse l’intérêt d’une collec-
tion. En fait, il n’a pas fallu tant de temps que
F. C. : Pouvez-vous nous parler de la collection cela. Wirz est mort en 1955, il n’a donc fallu
d’objets de Wirz ? que deux générations avant que l’on se penche
V.-L. W : C’était un collectionneur complet. Il sur ses travaux. Ses photographies se sont par
possédait un très bon œil ! Je pense que les col- ailleurs avérées d’une grande importance pour
lections des musées, spécialement en Suisse, le les communautés contemporaines de Nouvelle-
prouvent bien. Sa collection a incité beaucoup Guinée dans la recherche de leurs racines et la
de gens à étudier l’art de la Nouvelle-Guinée. Ses régénération de leur art et de leur vie cultu-
photographies n’étaient pas largement diffusées relle.
en dehors de ses propres publications qui furent
le moyen essentiel de faire partager ses connais- F. C. : Quand avez-vous acquis sa collection de
sances. Son objectif principal, quand il allait dans photographies ?
le golfe de Papouasie, était la collecte d’objets. V.-L. W : En 1992. Nous possédons environ 1
Nous savons où se trouvent plusieurs des sculp- 100 images. Je pense que c’est l’une des plus
tures acquises et photographiées dans la région grandes collections de tirages originaux dans
du lac Sentani, par exemple, l’une appartient au une collection publique.
Völkerkundemuseum de l’Université à Zurich. La
célèbre sculpture Maternité est conservée au F. C. : Que contient la collection ?
Museum der Kulturen de Bâle. V.-L. W : Elle comprend des photographies de
Wirz et de Rautenfeld, ainsi que des photos
F. C. : Qui a étudié son œuvre ? acquises par Wirz auprès d’autres personnes,
V.-L. W : Un des principaux chercheurs est le en particulier l’universitaire hollandais A. J.
docteur Andrea Schmidt. Elle a publié une étude Gooszen. Il y a aussi des cartes postales. Elles
sur Wirz et continue à faire des recherches le étaient dans des albums que Wirz et sa famille
concernant. Son travail revêt une grande impor- avaient constitués.
tance dans divers domaines. Il nous aide à
appréhender l’ensemble de ses collections. F. C. : Comment les avez-vous acquis ?
Au Metropolitan Museum, grâce à l’aide de V.-L. W : Ils ont été sur le marché pendant un
la fondation des amis du Musée, nous avons eu certain temps, nous les avons achetés.
la chance de bénéficier des travaux de deux
universitaires, le docteur Terence E. Hays et le F. C. : Wirz avait également tourné des films,
docteur Robert L. Welsch. Ils ont étudié les dif- en possédez-vous aussi ?
férents aspects des recherches et de la collecte V.-L. W : Oui, nous avons des copies vidéo. Il y a
de Wirz. En plus de sa biographie et de ses aussi des films originaux en Europe. Nos copies
photographies, ils examinent maintenant sa proviennent de films appartenant aux archives du
collection, cette étape est très intéressante. National Museum of Natural History de
Washington D C. Il s’agissait de bobines de films
F. C. : Le Metropolitan détient-il des objets de la au nitrate, très inflammables, mais ils ont été pré-
collection Wirz ? servés. Le docteur Andrea Schmidt travaille
V.-L. W : Quatre objets provenant du golfe de actuellement sur la filmographie de Wirz.
Papouasie figurent dans nos collections. À l’ori-
gine, ils furent acquis par Wirz et ensuite passè- F. C. : Le film pourrait-il être utilisé dans une
rent dans la collection de Nelson A. Rockefeller. exposition d’art océanien ?
Ils nous arrivèrent avec le legs Rockefeller en V.-L. W : Nous n’avons pas encore utilisé le film
1979. Une sculpture, une planche (gerua) des sur le Pacifique dans une exposition. Vous
Highlands, Papouasie Nouvelle Guinée, culture noterez qu’un film figure dans l’exposition
Siane, fut collectée par Dadi Wirz, le fils de Paul, d’Alisa LaGamma, Genesis: Ideas of Origin in
et fut donnée par Nelson A. Rockefeller en 1969 African Sculpture (jusqu’au 23 avril), mais c’est
au musée d’art primitif. une nouveauté pour le musée. C’est très
important de montrer au public comment les
F. C. : Pourquoi est-ce seulement maintenant objets étaient utilisés et les gens s’intéressent