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A Rome, l’effet 5 Etoiles est déjà retombé
PAR BENIAMINO MORANTE
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 10 JANVIER 2018
Virginia Raggi lors d'une émission de télévision, avec Beppe
Grillo en fond d'écran derrière elle © Capture d'écran L'unita.tv
Il y a un an et demi, l’élection de Virginia Raggi,
première maire du Mouvement 5 Étoiles à gouverner
la plus grande ville d’Italie, avait suscité la curiosité.
Après un début de mandat très mouvementé, entre
démissions en série, problèmes dans la gestion des
déchets et affaires judiciaires, le bilan de son action est
pour le moins mitigé.
Rome (Italie), correspondance.– Depuis plusieurs
années, Rome traîne la réputation d'être une
ville ingouvernable. Criblée de dettes, gangrénée
par les conflits d’intérêts et plombée par les
dysfonctionnements récurrents des services publics
municipaux, la capitale italienne ressemble parfois
à une équation politique impossible à résoudre.
Plusieurs maires se sont déjà cassé les dents. Parmi
eux, Gianni Alemanno (droite) qui, après cinq années
à la tête de Rome, a été balayé en 2013 par Ignazio
Marino (Parti démocrate), avant que ce dernier ne
termine même pas son mandat, “trahi” et débarqué fin
2015, avec la démission des élus municipaux de sa
propre majorité.
Depuis le 22 juin 2016, c’est donc Virginia Raggi
qui a pris la relève. Inconnue du grand public et
sélectionnée par le Mouvement 5 Étoiles (M5S) au
moyen d'une vidéo de présentation (voir ci-dessous)
et de primaires sur le site du mouvement (3 862 votes
exprimés en tout), cette jeune avocate – âgée de 37 ans
à l’époque – a remporté 67 % des suffrages au second
tour. Un score impressionnant pour une femme dont
la seule expérience politique était un demi-mandat de
conseillère d’opposition.
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Dix-huit mois plus tard, interviewée en marge d’une
conférence de presse, Virginia Raggi donne son
sentiment : « Est-ce que je vais briguer un deuxième
mandat ? Arriver vivante à la fin de celui-ci serait
déjà un grand succès. » La plaisanterie résume bien la
première année et demie de la maire de Rome, qui a
été pour le moins mouvementée.
D’emblée, la formation de son équipe pour diriger
la ville lui a pris l’essentiel de son temps. Selon La
Stampa, après un an de mandat, 149 délibérations
sur les 227 approuvées par la maire concernaient des
nominations, des révocations, ou des délégations de
pouvoirs attribuées à des adjoints au maire ou à des
dirigeants. Un remaniement permanent qui a vu les
remplacements de l'adjoint à l'environnement, de celui
au bilan (deux fois) et de celui chargé de l'urbanisme.
Plus récemment, début octobre 2017, Massimo
Colomban, adjoint chargé des partecipate (sociétés
mixtes publiques/privées romaines, qui gèrent par
exemple les transports ou les déchets), a lui aussi
quitté le navire. Michela Di Biase – leader du groupe
d’opposition municipal du Parti démocrate – évoque
un manque d’autorité de la maire, dont les adjoints
seraient en réalité sélectionnés « par la Casaleggio
associati [société qui gère le site du Mouvement 5
Étoiles – ndlr] sur la base de l'image et de la fidélitéàla
ligne de Beppe Grillo ». C'est une critique récurrente:
les représentants du M5S, Virginia Raggi et Luigi
Di Maio (le leader actuel du M5S) ne seraient que
des pantins aux ordres du “garant” du Mouvement 5
Étoiles, Beppe Grillo lui-même.
Mais les problèmes liés à l’équipe municipale de
Virginia Raggi ne se limitent pas à un simple turn-
over chaotique. Fin 2016, Raffaele Marra, d’abord
vice-chef de cabinet du maire, puis chef du service du
personnel de la capitale, est arrêté par les forces de
l'ordre, accusé de corruption. Celui qui a souvent été
décrit comme le bras droit de la maire a également
été accusé d’avoir obtenu une promotion illégale pour
son frère, Renato Marra, lui aussi employé de la
mairie. Sur cette affaire, Virginia Raggi a été elle
aussi poursuivie par la justice, puisqu’elle est accusée
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d’avoir voulu couvrir Raffaele Marra. La polémique Un sentiment d’inaction et d'impuissance

a entaché l'image d'un mouvement ayant fait de
l'honnêteté son étendard.
Une autre épée de Damoclès pèse sur la tête de la
maire de Rome depuis le début de son mandat: la
gestion des ordures. Voici plusieurs années que la
capitale italienne fait face à des périodes dites de
« crise des ordures », durant lesquelles les structures
de traitement des déchets sont surchargées et les sacs-
poubelle restent dans les rues.
Opposée à la construction de nouvelle décharge,
Virginia Raggi a annoncé vouloir combattre ce
fléau en portant le pourcentage de tri différencié
à 70 % à l’horizon 2021, en limitant ainsi le
recours aux décharges et aux incinérateurs. Cette
solution écologique très ambitieuse est pour l'instant
restée lettre morte, le pourcentage de tri différencié
Pour résoudre ces problèmes, la maire de Rome va
continuant à stagner autour de 40 %, un taux similaire à
devoir s’attaquer aux défaillances des deux grandes
ce qui se faisait déjà sous le mandat d’Ignazio Marino.
sociétés “partecipate” de la ville. AMA, qui gère
En attendant, Rome est obligée de payer une facture
les ordures et ATAC, qui s’occupe des transports.
très salée pour apporter son surplus de déchets non
Ancien attaché de presse d’Ignazio Marino et auteur
triés vers d’autres régions italiennes, voire d’autres
du livre Roma Kaputt, qui raconte les problèmes de la
pays.
capitale, Marco Bettini a connu ces deux structures de
Deuxième problème loin d’être résolu, celui des l’intérieur et résume l’ampleur de la tâche de Virginia
transports. Dotée de seulement trois lignes de métro Raggi :
(dont une, la ligne C, qui n’est pas encore terminée
« À Rome, tous les pouvoirs sont présents. La
ni raccordée aux deux autres) pour une population
commune, mais aussi le gouvernement, les syndicats,
intra-muros supérieure à celle de Paris, Rome souffre
les associations de branche et d’industriels, détaille
d’un trafic perpétuellement congestionné. À en croire
l’écrivain. Tous veulent avoir une influence et, dans le
Paolo Ferrara, président du groupe 5 Étoiles au conseil
temps, chacun a créé son réseau de “fidèles” dans ces
municipal, la maire se serait déjà penchée sur la
structures. Du coup, si quelqu’un arrive et proclame:
question. « Nous avons prévu 480 millions d’euros
“Àpartir de demain on change tout!”, beaucoup de
d’investissements dans les prochaines trois années
gens vont essayer de s’opposer par tous les moyens. »
pour la mobilité, souligne-t-il. Dont 19 millions pour
acheter des nouveaux bus. » Un chiffre qui paraît Néanmoins, si Virginia Raggi n'est pas la principale
dérisoire face au 1,3 milliard de dettes qu’enregistre coupable des deux grands problèmes qui affligent la
la société de transports romaine, dont la commune est capitale, elle est pleinement responsable du sentiment
actionnaire. d’inaction et d'impuissance qui émane jusqu'ici
de son mandat. En effet, après dix-huit mois de
gouvernement, on peine à se rappeler d'une mesure
marquante qu'aurait prise la maire d'un mouvement qui
se veut en rupture totale avec le passé.

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« Jusqu'ici, l'équipe de la maire a ététrop timide,
il aurait fallu faire plus avec plus de force, estime
Luca De Carolis, journaliste spécialiste des affaires
romaines au Fatto quotidiano, un journal proche du
M5S. Ce qui a manqué,c’est LA grande idée, comme
celle qu’avait eue Ignazio Marino de piétonniser la
Via dei Fori Imperiali [l’avenue qui relie le Colisée
au Forum romain – ndlr]. » Cependant, le journaliste
n’hésite pas à défendre certains résultats obtenus par
Raggi: « Avoir résolu la question de la construction
du stade de l'AS Roma, avoir votéle budget de la Ville
dans les temps ou encore avoir dit non àla candidature
de Rome aux Jeux olympiques, ce qui est une décision
cohérente avec ce que le Mouvement avait annoncé. »
Néanmoins, pour De Carolis, le mérite principal de
la maire est ailleurs : « Elle a recommencé à faire
fonctionner les appels d'offres. Dans les dernières
années, c'était devenu assez rare et ça, c'est un grand
signal de transparence. »
Virginia Raggi lors d'une émission de télévision, avec Beppe
Grillo en fond d'écran derrière elle © Capture d'écran L'unita.tv
Au-delà des jugements positifs ou négatifs, une
donnée est incontestable. L'attention médiatique pour
cette première grande expérience de gouvernement
local (avec la municipalité de Turin) du Mouvement
5 Étoiles n'est jamais retombée et les nombreuses
mésaventures de la maire ont été largement rapportées
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par la presse. Aujourd'hui, à trois mois des élections
législatives, la question que tout le monde se pose est
la suivante : y aura-t-il un effet Raggi sur le vote 5
Étoiles aux législatives du 4 mars ?
Paolo Ferrara parle d'un effet positif déjà visible en
novembre lors de l'élection du maire d'arrondissement
à Ostie (qui compte 230 000 habitants et fait partie
de la capitale) sur fond de gangrène mafieuse,
« oùle Mouvement 5 Étoiles a gagnéaprès un an
d’administration Raggi ». Michela Di Biase, elle,
préfère pointer « l'énorme perte » par rapport à
l'élection municipale romaine. Le mouvement grilliste
était alors sorti du premier tour avec 43,6 % des
suffrages contre “seulement” 30,21 % lors de cette
tournée électorale.
Aujourd’hui, grâce à ou malgré Virginia Raggi,
le M5S demeure le premier parti italien dans les
sondages. Pourtant, à l'approche des élections, un
épisode pourrait fragiliser le parti de Beppe Grillo. Il
s'agit du procès de Virginia Raggi, accusée de “faux
idéologique” dans le cadre de la promotion accordée
à Renato Marra.
Si la maire de Rome venait à être condamnée, ceci
entacherait l'image de pureté politique dont se targue
le Mouvement 5 Étoiles et qui fait son succès. Virginia
Raggi a demandé à se faire juger selon la procédure
appelée en Italie le «rite abrégé». Elle lui permettra
de voir son audience reportée après le 4 mars, jour
des élections législatives, évitant ainsi à son parti
une focalisation médiatique à haut risque en pleine
campagne électorale. Souvent décrite comme une
sorte de Cendrillon au milieu de la jungle politique
italienne, Virginia Raggi n'est peut-être plus si naïve
que ce que certains veulent croire.
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