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Dickinson Poemes Choisis PDF
Dickinson Poemes Choisis PDF
POÈMES CHOISIS
EMILY DICKINSON
POÈMES CHOISIS
Traduction, préface
et bibliographie par
P. MESSIAEN
Professeur agrégé d e l'Université.
AUBIER
ÉDITIONS MONTAIGNE
INTRODUCTION
I. V I E D ' E M I L Y D I C K I N S O N (1830-1886)
brouillée avec elle, la dépeint comme une petite vieille ensuite à Vacademy d'Amherst qui était une manière de
toute ridée, ayant de fausses dents, des mains déformées collège. Cette academy avait environ deux cents élèves.
et sales, portant des bas de coton blanc, toujours habillée L'année scolaire était partagée en quatre trimestres,
de la même robe de flanelle bleue. Elle vivait avec une septembre, janvier, mars, juin, avec une quinzaine de
bonne aussi âgée qu'elle-même, d'origine irlandaise, Maggie vacances entre chaque trimestre. Emily y étudia l'anglais,
Maher ; toutes deux mangeaient dans la même salle à le latin, le français, l'allemand, l'histoire, la botanique,
manger, mais chacune à une table différente et en se la géologie, la philosophie. Chez elle, elle apprenait le
tournant le dos pour observer les distances. Vinnie mourut chant et le piano avec une de ses tantes. Elle dut plusieurs
le 31 août 1899, treize ans après sa sœur. fois, notamment durant l'automne et l'hiver de 1845 et de
1846, interrompre ses études à cause de rhumes persis-
Enfance et jeunesse. tants, de crises de toux. Durant ces vacances forcées, elle
apprit à coudre, à cultiver le jardin, à cuire le pain.
Emily Dickinson n'aimait pas les déménagements et Besognes où elle fut engagée toute sa vie. En 1847-1848,
emménagements ; elle les trouvait pires que la peste, bien elle fut pensionnaire au séminaire (école supérieure) de
que toutes ses affaires, à ce qu'elle dit, pussent tenir dans Mount Hôlyoke.
un carton à chapeaux. Elle habita deux maisons. De 1830 Les premières lettres d'Emily que nous ayons sont adres-
à 1840, la maison bâtie par son grand-père, située dans la sées à deux anciennes compagnes de Vacademy d'Amherst,
grand'rue ; de 1840 à 1855, une maison dans la rue du Jane Humphrey et Abiah Root.
Nord ; de 1855 à sa mort, de nouveau la maison de son De ces lettres on neuf inférer qu'au séminaire de Mount
grand-père. Dans les deux cas de grandes maisons en Holyoke Emily Dickinson fut une élève laborieuse, réus-
briques. Celle de la grand'rue comportait une haie de sissant dans ses examens, de santé délicate, célèbre auprès
sapins noirs, deux portes donnant sur la rue, une large de ses camarades pour son indépendance d'esprit, ses dons
porte à battants ombragée d'un pin, sur la droite une de conversation, son amour de la solitude. Elle refusa de
porte plus petite. Derrière, se trouvaient un jardin, une se faire inscrire parmi les converties, que tentait d'encou-
grange, où logeaient un domestique et un cheval, plus loin rager la directrice, puritaine dévote ; elle refusa d'aller
une prairie appartenant aux Dickinson. Cette prairie jouera voir une ménagerie. Elle était attachée à ses maîtresses et
un rôle important dans la publication des poèmes. O n se à ses compagnes ; elle était plus attachée à sa famille, aux
chauffait au bois chez les Dickinson, on s'éclairait à souvenirs et aux habitudes de son home. Ecrivait-elle déjà
l'huile ou à la chandelle. des vers ? Il semble bien. Elle rentra chez elle, en 1848,
Nous n'avons guère de détails sur l'enfance d'Emily. pour vivre des années tragiques.
D'après ses poèmes, c'était une fillette très sensible à la
nature et aux saisons, de santé délicate ; elle aimait les Histoires d'amour et d'amitié.
papillons, les abeilles, les oiseaux, les grenouilles ; elle
faisait avec son frère et sa sœur des promenades dans les De l'hiver 1847-1848 au début de 1850, Edward Dickin-
prés et les bois ; elle avait peur des vipères ; elle n'était son employa dans ses bureaux un secrétaire nommé Benja-
pas toujours obéissante ; alors on l'enfermait dans une min Franklin Newton, né à Worcester, le 19 mars 1821,
pièce de débarras où il faisait froid. Une fois, étant à étudiant en droit, jeune homme atteint de tuberculose
un endroit qu'elle n'ose indiquer, une araignée se glissa pulmonaire, cultivé, unitarien, très pieux, épris . d'idées
sur elle. socialistes. Une grande sympathie s'établit bientôt entre
> Bien qu'elle ait dit elle-même qu'elle n'avait pas reçu le secrétaire et les deux sœurs Dickinson, spécialement
d'éducation, elle alla jusqu'à onze ans à l'école primaire, Emily. II leur prêtait des livres nouveaux, entre autres
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les poèmes d'Emerson ; il les éclairait sur le mouvement cions un trésor qu'après l'avoir vu glisser entre nos
littéraire et philosophique, leur parlait de la nature, de doigts, qu'il existe un livre donné par un ami qu'elle ne
Dieu, du monde spirituel. Emily lui lisait ses poèmes ; peut lire sans interrompre sa lecture de larmes. Et les
il les aimait, disait qu'un jour elle serait honorée comme lettres qu'elle écrit à son frère, en 1853, sont teintées
un grand poète. Elle l'appelait son précepteur, son répé- de mélancolie.
titeur, son frère aîné. A quel point leur amitié fut-elle A u printemps de 1854, Emily passe trois semaines à
proche de l'amour ? Une légende veut qu'il passait à Emily Washington avec son père, membre de la Chambre des
des livres en les cachant dans un arbre près de la porte ; représentants, sa mère, sa sœur Vinnie. D'après une lettre
une autre légende qu'ils eurent des rendez-vous dans le à Mrs. Holland, elle s'est bien amusée à Washington ;
jardin et qu'un soir Edward Dickinson surprit sa fille elle a vu beaucoup de beaux messieurs et de belles dames,
et son secrétaire en tendre conversation sous le clair entendu de beaux concerts de musique chantée ; elle a
de lune. Il mit opposition à tout projet de mariage. Sur pris le bateau sur le Potomac pour aller voir à Mount-
quoi B . F. Newton retourna à Worcester, s'en fut travailler Vernon la tombe et la maison d général Washington.
u
chez un autre avoué, B . F. Thomas. Un an après, le Durant le retour, elle s'arrête à Philadelphie. Elle y
4 juin 1851, de plus en plus malade, il épousa miss Sarah rencontre ce qu'on pourrait appeler la grande aventure
Warner Rugg qui avait douze ans de plus que lui. Il sentimentale et poétique de sa vie. Elle entend prêcher
s'installa à son compte, fut nommé procureur (states à l'église presbytérienne d'Arch street le Révérend Charles
attorney) ; sa maladie s'aggravant, il mit ordre à ses Wadsworth, pasteur de l'église.
affaires et mourut le 24 mars 1853. H semble qu'Emily Elle avait vingt-quatre ans, lui quarante ans. C'était
et Newton continuèrent de correspondre ; elle apprit sà un homme de grande taille, une grosse tête ronde, de grands
mort sans doute par une notice publiée dans le Spring- yeux noirs derrière des lunettes ; il était marié à une
field Republican, le 26 mars 1853. L a nature et la profon- femme qu'il aimait beaucoup, père de deux enfants, pasteur
deur du sentiment d'Emily pour B . F. Newton apparaissent très apprécié de ses paroissiens pour ses sermons soignés
dans une lettre qui ne fut publiée qu'en 1933. Elle et sévères, sa vie discrète, sa bienveillance. Emily allâ-
porte la date du 13 janvier 1854 et fut adressée au t-elle le trouver pour lui demander conseil sur sa vie spiri-
Rev. Edward Haie, pasteur de l'église unitarienne de tuelle ? Nous ne savons quasiment rien de ce qui se
Worcester. Emily veut s'assurer que Newton est mort en passa entre eux. L e fait certain, c'est qu'Emily devint
acceptant la volonté de Dieu, qu'il est au paradis. Emily amoureuse de lui, amoureuse jusqu'à la fin de ses jours.
avait des moments d'incroyance, elle avait aussi des Il lui inspira ses poèmes les plus émouvants. Elle conserva
moments de foi convaincue. dans sa chambre le portrait de Wadsworth entouré d'un
e r
Dans une autre lettre, à Thomas Wentworth Higginson, cadre doré. Il mourut le I avril 1882, et cette date devint
25 avril 1862, Emily reparle d'un ami qui lui enseigna pour Emily la date suprême. Elle ne consentit à croire
l'Immortalité ; « mais s'en approchant lui-même trop près, au paradis que dans l'espérance de le revoir. Elle garda
il ne revint jamais. Bientôt après mon répétiteur mourut comme sa relique la plus précieuse le volume des sermons
et pendant plusieurs années mon lexique fut mon seul de Wadsworth que ses amis avaient publiés. Us échangèrent
compagnon ». Quel lexique ? Sans doute le dictionnaire des lettres, des fleurs, des boucles de cheveux. Combien
de Webster, qu'Emily ne cessait de consulter. de lettres s'adressèrent-ils — une boîte d'ébène toute
Si l'on peut affirmer que B . F. Newton fut pour Emily remplie, dit un poème — et quels en étaient la teneur,
un précepteur intellectuel et métaphysique, on ne peut le ton ? Sur l'ordre d'Emily leur correspondance mutuelle
affirmer qu'elle le considéra jamais comme un mari fut brûlée par Vinnie aussitôt après la mort de sa sœur.
possible. Il y a des poèmes où elle dit que nous n'appré* Si l'on s'en rapporte aux poèmes, cet amour fut, chez
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Emily, aussi intense que platonique, si réellement il dans divers poèmes, doit dater de ce moment-là. S'en alla-
demeura platonique comme les poèmes le donnent à t-il pour s'éloigner d'une amitié pressante et importune ?
entendre ; ce fut surtout un amour d'imagination. Il Proposa-t-il à Emily de s'enfuir avec lui et refusa-t-elle ?
semble tout de même bien que le pasteur s'y prêta quelque Autant d'inconnues. A cause de la guerre civile, il fit route
peu, au moins dans les débuts. L e biographe d'Emily, par Panama ; son voyage dura trois semaines.
C. F. Whicher, distingue trois phases : Emily espéra, Emily ne revit le pasteur Wadsworth qu'en 1880, dix ans
craignit, désespéra et continua d'aimer, se réfugiant dans après qu'il était revenu de San Francisco à Philadelphie.
l'idée d'un mariage spirituel après la mort. Elle s'était remise à lui écrire, confiant ses lettres à une
Sur les faits eux-mêmes la famille Dickinson, le frère amie qui mettait sur les enveloppes l'adresse du pasteur.
d'Emily, sa sœur, sa belle-sœur, s'est montrée réticente. C'est donc que Wadsworth ne lui écrivait plus et ne lui
Du texte même des poèmes il est difficile de tirer aucune avait pas indiqué sa nouvelle adresse. L a visite de 1880
conclusion précise sinon qu'en imagination Emily aima le était inattendue. C e fut Vinnie qui reçut le pasteur et qui
pasteur Wadsworth, de 1854 jusqu'à la fin de sa vie. dit à Emily : « Emily, le monsieur qui a une grosse voix
Combien de fois alla-t-elle le voir à Philadelphie si jamais désire te voir. » Emily lui demanda d'où il venait et
elle l'y alla voir ? Combien de lettres échangèrent-ils ? On pourquoi il n'avait pas annoncé sa visite. « Je ne savais
ne sait pas. pas que je viendrais, répondit-il. Je suis descendu de ma
En février ou mars 1860, le pasteur Wadsworth vint chaire pour prendre le train. » Elle lui demanda combien
rendre visite à un ami, James Dixon Clark, qui habitait de temps avait duré le voyage. « Vingt ans », répondit-il,
à Northampton, tout près d'Amherst, et qui était aussi un voulant sans doute indiquer qu'ils ne s'étaient pas revus
ami des Dickinson. Il en profita pour aller voir Emily ; depuis 1861. On n'a pas de détails sur leur entretien, sinon
Vinnie était absente, à Boston, chez ses cousines Norcross. qu'il lui dit que son fils cadet lui rappelait Emily et que
Il faisait très froid ; Emily nous dit, dans un de ses son plus jeune fils s'intéressait beaucoup aux grenouilles.
poèmes, qu'elle était réchauffée, non par son châle Emily répliqua qu'elle avait toujours pensé aux enfants
de mérinos, mais par l'ardeur de son cœur. Le pasteur de Wadsworth comme « à ses chiens de garde ». Sur
était vêtu de deuil. Emily imagina-t-elle un instant qu'il quoi ils se séparèrent. Charles Wadsworth mourut à
e r
était veuf ? Elle lui demande : « Quelqu'un est mort ? » Philadelphie le I avril 1882. Emily devait encore vivre
Oui, répondit-il, ma mère. S a mère, en effet, était morte quatre ans. Emily désormais regarda le 1™ avril comme la
le 1 " octobre 1859. date sacrée, le jour de deuil.
Thomas Wentworth Higginson, conférencier, critique la guerre civile. Elle n'y fait allusion dans sa eorrêSpôn*
écrivant dans Y Atlantic Monthly, jouissait d'une haute dance que pour regretter qu'elle entraîné tant de morts ;
considération auprès du public américain. Durant la guerre on rie saurait même dire âî elle â ptis parti pour le Nord
de Sécession, il recruta un régiment et fut nommé colonel. Ou pour le Sud.
Emily lui écrivit pour la première fois le 15 avril 1862, E n 1864, Higginson est blessé ; Emily écrit qu'elle est
lui avoua qu'elle faisait des vers, lui envoya quelques à Boston, ses yeux sont malades, Carlo n'a pu l'accompa-
poèmes, demandant si ces poèmes lui paraissaient gner ; iî mourra en 1865. L a même année, elle réinvite
vivants (olive). Leur correspondance continue jusqu'en Higginson à venir la voir à Amherst ; elle a toujours mal
1884, se fait de plus en plus familière et intime. Elle signe aux yeux, mais son père veut la garder auprès de lui ;
toutes ses lettres : votre élève (your scholar). L a seconde elle regrette Carlo. Nouvelle invitation en 1867, qu'il ne
lettre est datée du 25 avril 1862. Emily répond à diverses s'attende pas à trouver une femme extraordinaire. « M a
questions ; elle refuse de dire son âge, avoue qu'elle écrit vie a été trop simple et trop sévère pour embarrasser qui
des poèmes « depuis l'hiver dernier ». Ses lectures ? Keats, que ce soit. » Elle ne sort jamais pour aller dans une autre
Robert et Elizabeth Browning, Ruskin, surtout la Bible et maison ou une autre ville.
Shakespeare. Elle n'a jamais lu Whitman ; on lui a dit
L a première visite d'Higginson a lieu le 16 août 1870.
que Whitman était inconvenant. Elle n'a pas appris
Nous avorts deux lettres de lui à sa femme concernant
grand'chose à l'école. Toute jeune elle eut un ami qui lui
cette visite. « Petite ville tranquille, dit-il en substance,
« enseigna l'Immortalité » (B. F. Newton). Puis elle eut grande maisôfi de brique avec un jardin, grand salon frais
un second ami ; celui-là ne voulut pas qu'elle fût son et austère. Arrive une femme petite, toute simple, pas
élève et quitta le pays (C. Wadsworth). Ses compagnons, belle, deux bandeaux de cheveux roux, un corsage de
actuels sont les collines, le coucher du soleil, un chien piqué blanc et un châle vert. » Elle lui tend deux lis d'une
nommé Carlo, grand comme elle-même. Elle fait ensuite manière enfantine et lui dit qu'elle est intimidée. Elle se
des confidences sur sa famille, son frère ; sa mère est met à parler abondamment. Entre autres choses, elle lui
indifférente à toute pensée ; son père ne s'occupe que de dit que la poésie est ce qui l'émeut au point de lui donner
ses papiers d'affaires ; il lui achète des livres, mais lui froid, de lui donner l'impression physique qu'on lui scalpe
demande de ne pas les lire, « de crainte que cela ne lui la tête. L a seule sensation de vivre est pour elie une joie.
dérange l'esprit ». Elle n'éprouve pas le besoin d'aller voir d'autres gens. Son
Une lettre de juillet 1862 renferme d'autres confidences. père est un homme sec et silencieux ; c'est eîle qui lui
Elle refuse d'envoyer son portrait ; elle se contente de le fait son pain et ses puddings^
dessiner en quelques mots. Elle est petite comme le
roitelet ; ses cheveux sont brun roux comme la bogue Autres confidences : elle n'a pas su lire l'heure avant
du marron, ses yeux comme le sherry que l'invité laisse l'âge de quinze ans ; sa mère n'a jamais été une mère
au fond du verre. Elle redit que ses compagnons préférés pour elle. Dès que ses yeux lui ont permis de se remettre
sont le papillon, le lézard, l'orchidée. De nouveau elle s'en à lire» elle a relu Shakespeare. « Il n'est pas besoin d'autre
rapporte aux bons conseils d'Higginson. Celui-ci lui repro- livre. »
chait des fautes d'orthographe, des irrégularités de gram- Il y eut deux entretiens. Higginson conclut : « Jë n'ai
maire et de métrique ; à quoi elle répond qu'elle ne peut jamais été avec personne qui m'ait autant Usé les nerfs.
écrire qu'à sa façon. Dans une autre lettre de la même Sans me toucher elle m'épuisait. Je suis contint dë rie pas
époque, elle fait l'éloge de son chien Carlo « parce qu'il vivre auprès d'elle. »
est muet et brave ». D'après d'autres lettres, Higginson là Considérait côrnftié
Higginson ne put aller la voir en 1862-1863 à cause de un mélange dê poète et de demi-toquée (pârtially crackcd).
i8 EMILY DICKINSON INTRODUCTION
L a solitude où Emily s'était consignée lui faisait peur et va se remarier avec une femme de lettres. Elle le félicite
horreur ; maintes fois il lui conseilla d'en sortir. d'avoir, comme Christophe Colomb, trouvé la route des
A cette époque (1870) Mrs. Higginson est malade. Emily Indes, Elle le remercie d'un livre récent de critique, Short
lui écrit qu'elle voudrait bien la connaître et la conseiller ; studies in American literature. Ses commentaires sont
elle joint à sa lettre un brin de fougère. brefs : « Poe, je le connais trop peu pour avoir une opi-
L a seconde visite du colonel Higginson a lieu le nion ; Hawthorne effraye et attire ; sur Howells et James
3 décembre 1873. Emily le reçoit encore habillée de blanc on hésite. »
et de nouveau lui offre un lis. .En février 1880, Higginson devient père d'une fillette,
En juillet 1874, elle lui raconte la mort de son père. Louisa : « Je ne connais que peu de chose aux poupons,
C'est avec elle qu'il a passé son dernier après-midi à la dit Emily, mais je les aime tendrement. Ils me paraissent
maison ; c'est elle qui l'a réveillé pour qu'il allât prendre être une nation en peluche, une race en duvet. Roucoule-
le train. « Je suis contente, dit-elle, que l'Immortalité t-elle discrètement ? »
existe. Mais j'aurais aimé m'en assurer moi-même avant L a correspondance cesse en 1884, deux ans avant la mort
de lui confier mon père. » d'Emily.
Un an après, elle lui annonce que sa mère est paralysée
et a perdu la tête. « L a maison est si loin de la maison, On a dit qu'Higginson n'avait pas compris grand-chose
dit-elle, depuis que papa est mort. » Elle écrit toujours au caractère et au tempérament poétique de son élève. Il
des vers, elle n'a pas d'autre compagnie (I have no other « lui déconseillait la solitude, il la considérait comme une
playmate). Elle n'a pas lu Tourgueniev, qu'Higginson lui personne excentrique, un génie rebelle à toute discipline.
. avait conseillé ; elle vient de lire M en and Women, de Pour lui c'était une poétesse comme mainte autre poétesse
Robert Browning, « c'est un grand livre », et ajoute en anglaise ou américaine de son temps. Bien qu'elle eût
post-scriptum une phrase qu'Edgar Poe aurait pu signer : coutume de se dire son élève, il n'exerça sur elle aucune
« L a nature est une maison hantée, mais l'art est une influence. Toutefois, il aida Mrs. Mabel Loomis Todd dans
maison qui essaie d'être hantée. » (Nature is a haunted son travail de classement et de recopie des manuscrits
house, but art a house that tries to be haunted.) d'Emily ; il l'aida également à trouver un éditeur, tout
E n 1876, elle envoie à Higginson Daniel Deronda, en ne manifestant pas grande confiance dans le succès de
de George Eliot. Elle mène toujours la même existence, l'entreprise. L a remarque la plus intéressante qu'il ait
de brèves promenades, quelques lectures, sommeil. laissée sur l'œuvre d'Emily, ce fut lors du succès inattendu
Mrs. Jackson lui a suggéré de publier des vers ou de la du premier livre de poèmes (1890). Il en parlait avec une
prose dans une anthologie ; elle a refusé. Elle écrit encore femme qui avait publié deux recueils de vers, Mrs. Ford.
à Mrs. Higginson ; elle lui envoie des fleurs et le volume Celle-ci lui disait que les poèmes d'Emily étaient beaux,
d'Emerson, Représentative Men, « un livre de granit pour concentrés, mais qu'ils la faisaient penser aux orchidées,
qu'elle s'y appuie ». plantes qui se dressent en l'air sans racines visibles dans la
Elle remercie Higginson du dernier livre qu'il a publié, terre. Higginson répondit que ces poèmes devaient être lus
mais en parle fort peu distinctement. Elle le prie de revenir dans leur suite, dans leur ensemble, qu'ainsi ils s'expli-
la voir. quaient l'un l'autre et montraient ce qui avait été pour
Mrs. Higginson meurt le 2 septembre 1877. Dans sa lettre Emily Dickinson « la philosophie de sa vie ».
de condoléances, Emily écrit : « Etre humain, c'est plus
qu'être divin, car lorsque le Christ était divin il ne fut Les lecteurs d'Emily Dickinson doivent une dette
pas satisfait jusqu'à ce qu'il eût été humain. » immense à Mrs. Mabel Loomis Todd. C'était une charmante
En janvier 187g, elle apprend que le colonel Higginson jeune femme, épouse d'un astronome qui dirigea l'observa-
EMÏÏ,Y DÏCMÏNSON
INTRODUCTION. ai
faite du collège d^Am&éràt, très êultMêj ayant beaucoup
voyagé, connaissant là musique, jouant admirablement du La vérité est w$$} «tViSe Dm, -
piano. U l ë vint s'installer à Amherst en ïS8t, dans le voisi- Sa double, identité,
nage des deux ménages Dickinson, Emily et sa soeur, Austin Et durera aussi longtemps que Lm f
et sa femme. Elle fut aussitôt de leurs intimés. Elle connut Une co-éternitê.
donc Emily pendant cinq ans. Elle venait souvent jouer du
piano dans le salon des Dickinson, des musiques qu'Emily Une lettre d'un dimanche 1855 conte le remménagemént
né connaissait pas, Bach, Haydn, Chopin, ScarlattL Emily de la famille dans la maison du grand-père quittée en 1840.
descendait de sa Chambre, Vêtue de blanc, elle restait à Elle vient de relire l'Apocalypse et suppose que le paradis,
écouter dans le vestibule. Elles s'envoyaient mutuellement c'est un ciel plus bleu et plus vaste que le plus vaste ciel
dés billets, des cadeaux, dès fleurs naturelles ou des fleurs qu'elle ait vu en juin. On nettoie la maison. J'aime mieux
peintes. L e s billets d'Emily sont assez contournés. A l'envoi la peste, dit E^ity- C'est plus classique et moins cruel.
d'un panneau où. sont peints des lys (Indian pipes) elle D'autres lettres renferment des poèmes. En 1876, Emily
répond : « Donner du bonheur, c'est sacré, peut-être le observe que c'est l'automne ; les zinnias sont morts ; Diek,
travail des anges, dont les occupations sont cachées. » le jardinier des Dickinson, a perdu sa petite fille de la fièvre
(Hiver 1882.) scarlatine. « A h ! démocratie Death ! », s'écrie Emily.
Le D Holland meurt en 1881. « Dans quelque temps
r
nouvel an, 1859, joint aux vœux habituels un baiser brun avec les visiteurs, faisait des promenades avec son chien
de Carlo et un baiser gris et blanc de Pussy. Carlo, accompagnait son père, son frère, sa sœur, sa belle-
sœur dans leurs visites, dans leurs excursions en voiture.
En 1864, elle envoie à Mrs. Bowles un volume de Robert
A partir de 1862 son existence devient de plus en plus
Browning, un volume de Charlotte Brontë. Elle avait une
solitaire. En 1864 et 1865, ses yeux malades l'obligent à
grande admiration pour les Brontë, surtout pour Emily
passer quelques mois à Boston dans une pension de famille
qu'elle qualifiait de « gigantesque ».
où se trouvent ses cousines Louisa et Frances Norcross ;
L a même année, Mrs. Bowles tombe malade. Emily lui elle évite toute autre compagnie. Elle comptait y retourner
écrit qu'elle prie pour elle, « un humble sanctuaire, nos en T866 ; son père, dit-elle, « ne le veut pas parce qu'il
genoux, mais la Madone regarde d'abord le cceur ». Il est a l'habitude de moi ». Dès lors on peut dire qu'elle
curieux de trouver chez une Puritaine comme Emily s'enferme dans sa maison et dans sa chambre ; elle ne
Dickinson une tendre et confiante dévotion envers la sort de chez elle que pour les réunions annuelles du collège,
Vierge Marie. à quoi elle renonce dès 1870. Elle continue de faire le pain
Les lettres d'Emily à Mary Bowles sont parmi les plus et les puddings de la famille, elle écrit et reçoit beaucoup
affectueuses qu'elle ait écrites ; elles sont émaillées de de lettres ; mais sa réclusion devient de plus en plus
citations bibliques. En 1880, elle parle à Mary Bowles de absolue, à tel point que les gens d'Amherst la disent
son père, Edward Dickinson. Puis ajoute : « L'immortalité « intelligente mais bizarre ». Pour quelles raisons ? Durant
est un hôte sacré, mais quand elle devient pour vous ét sept ans, de 1875 à 1882, elle doit s'occuper de sa mère
pour nous un membre de la famille, le lien est plus vif. » paralysée ; ensuite elle ne veut plus voir personne. On ne
L a seule amie d'Emily qui la poussa vivement à publier peut que supposer qu'elle préférait s'abandonner à ses
ses poèmes fut Mrs. Helen Hunt, qui devint ensuite regrets d'amour déçu, à ses rêves de poèmes qu'elle
Mrs. Jackson, son premier mari ayant été tué dans la accumulait dans une malle en bois de camphrier. En outre,
guerre civile. Helen Jackson, entre 1870 et 1884, était un elle était souvent malade ; elle souffrait de troubles rénaux
écrivain connu ; elle avait publié des poèmes, des romans, et avait des troubles de la vue. Elle ne descendait même
des anthologies. Elle sollicita des poèmes d'Emily en 1876, • plus de sa chambre pour accueillir un ami aussi cher que
1878, 1884, et demanda, en 1884, d'être l'exécutrice testa- Samuel Bowles. Dans des lettres qu'on a publiées, il n'y a
mentaire d'Emily, qui était gravement malade, mais elle presque point d'autres allusions à la guerre de Sécession
mourut en août 1885, près d'un an avant Emily. que la mort de trois jeunes gens originaires d'Amherst ;
on dirait que la crise politique de son pays n'existe pas
pour elle. Elle garde son affection pour les enfants. C'est
La nonne d'Amherst.
de sa fenêtre qu'elle s'entretient avec eux, qu'elle leur
Emily Dickinson, dans ses dernières années, devient la fait passer des caramels et des bonbons. Elle avoue que
légendaire nonne d'Amherst, la vieille fille excentrique de trop près les tout petits lui font peur, qu'elle préfère
toujours habillée de blanc, celle qu'on ne voit plus en ville, les jeunes garçons silencieux, pas trop remuants.
qui ne se montre plus aux visiteurs, qui ne sort plus qu'au Il y a beaucoup de tristesse dans les poèmes qui semblent
jour tombant pour aller soigner ses fleurs dans le jardin. être les derniers qu'elle ait écrits. La pensée de la mort
Ce portrait devient à peu près exact en 1862, après le la hantait. Six mois après la mort de sa mère, un an après
départ du pasteur Wadsworth pour la Californie. la mort du pasteur Wadsworth, elle écrivait à Charles
Jusqu'alors elle avait témoigné un grand goût pour la H. Clark : « Etes-vous certain qu'il y a une autre vie ?
solitude, mais elle n'était pas une recluse ; elle n'assistait Alors qu'ils désirent tant le savoir, je crains que peu en
guère aux offices du dimanche, tout de même elle causait soient sûrs. »
24 EMILY DICKINSON INTRODUCTION
Qu'est-ce qui suit la mort ? Les disparus sont vite Emily déclare qu'elle préfère sa solitude inconnue à
oubliés. Nous nous demandons à quoi ils peuvent s'occuper la renommée, nourriture volage sur une assiette éphé-
dans ces étranges auberges que sont les cimetières (74) ; mère (2 à 5, 20). Elle possède une certitude ferme d'être
ils doivent regretter leurs besognes terrestres (124). Nos une créature vivante, douée de volonté, à certains moments
imaginations de l'autre monde se figurent un chaos animée d'enthousiasme ( 1 1 ) . Mais elle ne tient pas à ce
effroyable et immobile (75, 77). qu'on scrute sa vie, car la biographie survient après la
Les critiques américains, peut-être scandalisés par ces mort ; d'ailleurs toute biographie est plus vaste qu'un
poèmes, ont parlé de l'humour sceptique d'Emily Dickinson. roman, nous ne pouvons exprimer la réalité (12 et 13).
Il y avait parfois chez elle un poète réaliste à la fois Pas même connaître la réalité ; on ne connaît l'âme de
tendre et sceptique. Dans d'autres poèmes le ton redevient personne, on ne se connaît pas soi-même (25). Vouloir
chrétien. Emily admet que la passion et la résurrection pénétrer en son âme, c'est comme si le fini cherchait à
du Christ expliquent la mort, la justifient.. embrasser l'infini. Une maison ne se rappelle pas comment
Ici, comme dans ses poèmes d'amour, elle est tour à tour elle fut bâtie, avec quels matériaux, par combien
croyante et incroyante, résignée dans la foi, dressée dans d'ouvriers (25). Incertitude, la genèse de notre vie (29) ;
la révolte. plus grande incertitude, le sort de notre vie après la mort,
Le dernier poème de la série, un des plus beaux quoiqu'il car il nous arrive d'avoir la sensation de l'immortalité (33).
ne soit pas fondé sur une image originale, compare la Examinons notre connaissance de la nature. L a nature
mort au débarquement paisible après la tempête (141). est si vaste que nous ne pouvons l'exprimer ; ses spectacles
Il faut redire qu'Ëmily Dickinson est à la fois croyante et harmonies nous dépassent, sa beauté nous accable ; nous
et incroyante. Son intelligence n'est plus chrétienne, son n'en saisissons que là pellicule extérieure, chacun d'une
cœur a des révoltes qui ne sont pas chrétiennes. C'est manière différente (37 à 45).
dans la foi en Jésus-Christ qu'elle retrouve l'apaisement, Pour voir à plein la vanité de nos conceptions terrestres,
la confiance. Elle n'est pas sûre du paradis, elle essaie d'y il suffit de visiter un cimetière, de songer que la mort de tel
croire parce que la réalité est trop cruelle, ou tel individu ne modifie en rien la marche des choses (74,
75). Emily n'ignore pas le contenu des dogmes chrétiens.
36 EMILY DICKINSON
INTRODUCTION 37
On lui a enseigné que les morts vivent d'une vie plus écla- T Si je chantais ou dansais, dit-elle, je surpasserais
tante que la vie terrestre, qu'il y aura la résurrection
toutes les célébrités à la mode, la salle serait pleine
finale, que l'âme va au-delà de la chair (90). A cela elle
comme l'Opéra (6). L a plus belle chose du monde pour
oppose des questions et des négations : « Gardons-nous
notre personnalité après la mort ? » (91). L a Bible ne moi et la plus puissante, c'est la poésie (9 et 10). Ma
nous apporte aucune certitude religieuse ; c'est une collec- poésie, c'est la conscience de mon âme dans la solitude par
tion de légendes et de personnages symboliques figurant l'effort et la patience (14).
des préceptes moraux qu'illustrent de sévères sanctions Suivent quelques méditations sur la vie de l'âme. C'est
(104). L'Eden, c'est l'image de la vie, et nous en sommes une prison, mais nous nous y accoutumons, nous nous y
chassés (108) ; l'amour, nous n'en atteignons que de menus résignons. Le prisonnier arrive à aimer sa cellule ;
incidents ; la parole n'est pas plus expressive que le silence. l'enfant se croit roi de l'univers, en grandissant il se
Enfants, on nous a enseigné Dieu le Père et Dieu le Fils ; résigne à flatter les hommes qui l'entourent (21). Tout
nous n'y avons compris qu'une chose, c'est que c'étaient homme porte en lui un drame, le possible plus beau que
des figures redoutables ( m ) . L e fin fond de tout, c'est la le réel, l'espérance supérieure à la satiété. C e drame a
poussière et la mort, et ce fin fond demeure un impéné- toujours le même dénouement, la mort ; nous nous en
trable secret (106). allons comme une baraque foraine (31), et sans avoir rien
compris à la création des êtres, à la disparition des
C'est par une telle négation s'achevant en pirouette
hommes (35).
d'humour qu'Emily proclame son scepticisme intellectuel.
Nous nous accrochons à notre être par le mariage, cette
Scepticisme qui n'eut jamais rien d'absolu ; d'autres poèmes
montrent que son cœur était resté chrétien. L e dernier hérésie à deux ; par la croyance au paradis, perspective
poème montre qu'à travers les difficultés et obscurités de bien monotone, toujours le même dimanche sous la même
la vie — montagnes, fleuves, déserts, mers à traverser — surveillance de Dieu (37) ; par le recours à la prière, les
Emily espérait atteindre une réalité divine, une personne enfants eux-mêmes s'aperçoivent que la prière ne sert à
divine. rien (38, 39) ; par la foi en l'infini après la mort, décep-
tion suprême :
Nous savons qu'elle lisait la prose et les poèmes
d'Emerson. Le Lévrier solitaire contient maints échos du
Vers les morts
christianisme libéral d'Emerson. Ce qui en est le plus
Il n'est point de géographie (42).
apparent, c'est l'incroyance, la protestation contre une
famille trop dévote, une éducation trop étroitement biblique.
Après ces poèmes où domine la note incroyante et pessi-
miste, Emily se met en quête de consolations. L a nature
:&' est si belle que nous ne pouvons l'exprimer ; les jours
de lumière, les fleurs, les oiseaux reviennent à chaque
L'accueil enthousiaste que suscitèrent les lettres d'Emily
printemps. L a foi est toujours là, éclairante et féconde
Dickinson, parues en 1924, entraîna la publication, en 1929
comme le soleil, décisive comme le chant des oiseaux dans
et 1935, de nouvelles séries de poèmes. On ne peut assigner
de dates à ces poèmes, on peut seulement y distinguer un jardin matinal. Alternances du scepticisme et de l a
divers thèmes moraux, sentimentaux, psychologiques, religion, du désespoir et de l'appel au Dieu chrétien, telle
métaphysiques. a du être la vie d'Emily Dickinson, tel est constamment
le double son de sa poésie.
Emily affirme qu'elle ne voudrait pas chercher à gagner
D'autres poèmes reprennent des thèmes semblables. ïïs
de l'argent en publiant des livres (2) ; elle a conscience de
sa valeur immortelle d'écrivain (3) : décrivent la mort irréparable, le corps raide et froid, tom-
bant à la fosse comme une pierre, la maison bruyante des
33 EMII.Y DICKINSON INTRODUCTION 39
occupations habituelles malgré le départ d'un être chéri. papiers de toutes sortes avec peu ou point de ponctuation,
Entre le défunt et les vivants il n'existe plus aucune des variantes ou des ajouts dans les marges, les mots
communication. En face de cette désolation Emily revient importants commençant par des majuscules. Mrs. Todd et
aux perspectives chrétiennes. L a mort nous acquiert le sa fille, Mrs. Millicent Todd Bingham, se mirent à l'œuvre
bonheur éternel ; le Christ garantit l'immortalité et la pour préparer une édition de tous ces inédits. Mrs. Todd
résurrection finale. Nous portons en nous notre double mourut en octobre 1932. Sa fille continua le travail, déchif-
immortel qui est notre conscience et notre conscience frant et ponctuant les poèmes du mieux qu'elle pouvait,
implique la foi, non pas une certitude absolue, mais une disposant ensemble les poèmes qui se ressemblaient, les
espérance nécessaire et invincible : classant et leur donnant une sorte de gradation ascension-
nelle d'après des titres empruntés à certains vers. Cette
La foi est le pont sans piles gradation est-elle conforme aux intentions de l'auteur ?
Soutenant ce que nous voyons On ne saurait le dire, pas plus qu'on ne saurait regarder
Vers le paysage que nous ne voyons pas (116). comme définitif le choix de telle ou telle variante.
8. L'aurore infinie (the infinité aurora) rassemble des i l et 12. Les deux dernières séries de poèmes — la
poèmes d'amour sans doute suggérés par le vain amour campagne insondable, un domaine éphémère (the inscrut-
d'Emily pour le pasteur Wadsworth. Elle n'a connu de able campaign, an ablative estate) — portent sur divers pro-
printemps que lorsqu'elle se crut aimée (256). Il lui sem- blèmes de métaphysique et d'esthétique. De même les frag-
blait, même dans la solitude, que son bien-aimé contemplait ments inachevés adjoints à ce second volume. Beaucoup
tous ses gestes (257). Elle l'attendait à la gare avec une de ces poèmes sont obscurs, de construction assez lâche, de
telle impatience qu'elle croyait que le train n'arriverait forme hésitante. Quelques-uns peuvent être des premiers
jamais ; elle avait préparé de belles choses à lui dire ; une essais d'Emily ; la plupart, par un ton désabusé, doivent
fois qu'il était là, elle ne trouvait plus de paroles (258). appartenir à ses dernières années, lorsqu'elle était malade,
remâchant son amour déçu et ses années si monotones en
Ici se place un poème alambiqué qui semble insinuer
compagnie d'une mère paralysée. Ce sont des premières
qu'Ëmily faillit devenir la maîtresse du pasteur Wads-
versions auxquelles elle n'a pas eu la force ou le temps
worth (263). Le dernier vers du poème est :
de donner leur achèvement, leur gradation.
Retenons-en quelques poèmes fondamentaux. Emily se
We didn't do it though ! demande ce que peut être la poésie, d'où elle vient, quelle
est sa portée. L a poésie est une vision, une émotion, une
Eaut-il traduire par : Nous n'allâmes pas jusqu'au bout lampe ; elle vient du cœur, car c'est le cœur qui nourrit
néanmoins ? l'esprit ; il faut l'écouter avec l'oreille intérieure plutôt
qu'avec l'oreille verbale. Chaque siècle en tire lumière selon
Les poèmes suivants sont des plaintes d'amour déçu. Son
amour ne changera jamais ; elle demeure attachée à son une perspective différente (432).
bien-aimé comme l'abeille à la fleur, comme le rouge-gorge L a poésie, comme la musique, c'est la fleur de l'âme.
au printemps (274). On ne peut dire qu'elle conduise directement à Dieu ; c'est
l'infini dans le fini ; elle nous rend étrangers à la terre
Les séries 9 et 10 — l'exploit blanc et la lumière vitale quotidienne, « elle v a vers quelque chose de supérieur qui
(the white exploit, vital lighi) — se composent de médi- nous attire » (452). Aussi le poète ne doit-il pas rechercher
tations sur la mort et l'au-delà, la pensée la plus constante la fausse gloire. Il doit se contenter d'être un éclair, un
d'Emily en même temps que celle de son amour déçu. germe, d'exprimer son cœur avec modestie. Modestie vaut
mieux que décevante renommée. Une image campagnarde
Les morts sont tellement immobiles, tellement lointains, illustre cette affirmation (456) :
qu'il vaut mieux aimer les vivants que pleurer sur eux ;
les morts n'existent plus pour ceux qui sont de ce monde. Le simple renom, d'une touffe de trèfle
On ne peut rien contre la mort ; elle approche peu à Dont la vache se souvient
peu, puis vous emporte brutalement dans l'inconnu. Cepen- Est plus doux que les royaumes entaillés
dant l'âme domine le corps ; il est permis de croire à son De la notoriété (456).
immortalité. L e tombeau, maison sans ' mesure ni fin, le
cimetière, ville de squelettes silencieux, ne renferment pas Elle avoue de nouveau que maintes choses lui demeurent
le dernier mot des choses. Jésus nous a certifié que la mort inexplicables, insondables. Pourquoi la souffrance ? Pour-
était morte ; nous n'en savons pas davantage. Les sque- quoi notre incertitude à l'égard de Dieu et de la vie
lettes sont infiniment au-dessous de nous, les âmes infi- future ? Elle ne peut accepter la loi biblique du travail dans
niment au-dessus. L a science nous le confirme comme la la peine, le Dieu biblique jaloux des hommes et de leur
religion (396). bonheur. L a crucifixion du Christ a été un épisode répété
INTRODUCTION 45
44 EMILY DICKINSON
de Robert Browning, une grande admiration pour son être chrétienne comme ses ancêtres. Quels tourments de
mariage romanesque. Elle a un véritable culte pour l'oeuvre la conscience ? En vraie puritaine, elle s'aperçoit que tout
et la vie de George Eliot ; œuvre et vie tristes, dit-elle, homme est un roman extraordinaire, un rêve permanent
la foi leur manque qui en eût été la fleur et le bonheur. d'éternité, un secret impénétrable de personnalité. Nous
nous connaissons nous-mêmes si peu, nous ne pouvons
nous rappeler exactement notre passé.
Maximes morales et poèmes introspectifs. Même incertitude à l'égard de la nature. Nous croyons
Emily est puritaine. L a qualité de l'âme qu'elle conseille la voir et l'entendre. Chaque phénomène de la nature a
avant tout, c'est la maîtrise de soi-même. Elle préfère le pour chaque être une apparence différente, un son diffé-
vaincu indompté au vainqueur triomphant, le martyr au rent, un but différent. L e matin n'a pas le même sens
bourreau ; ses sympathies vont aux naufragés plutôt pour le paysan et pour l'amoureux ; pour le paysan, c'est
qu'aux rescapés, à ceux qui souffrent sans se plaindre. Que l'heure de traire les vaches, pour l'amoureux l'instant
les choses demeurent ou disparaissent, gardons notre soli- d'écrire à sa belle. Nous ne pouvons pas plus exprimer
tude comme notre bien le plus précieux. Emily dédaigne notre sentiment de la nature que nous ne pouvons commu-
l'orateur applaudi par la foule, les vertueuses pharisiennes niquer la conscience de notre individu (34).
si contentes d'elles-mêmes qu'elles passent leur temps à D'ailleurs l'habitude oblitère notre sentiment de la
médire d'autrui et de Dieu. Elle n'aspire qu'à de modestes nature. Nous ne prenons pas garde à des spectacles mer-
trésors, le bonheur de manger quand elle a faim et d'être veilleux comme le lever et le coucher du soleil, le retour
dans la lumière, de lire un beau livre, d'écouter le rouge- du printemps ; et quand notre émoi est vif, nous ne pou-
gorge le matin et, le soir, d'entendre un homme qui chante vons en faire part ; souvent le silence est plus expressif
dans la rue. Les trésors les plus simples sont ceux auxquels que la parole. L'art comporte plus d'inexprimé que
elle tient le plus, une guinée qu'on lui donna dans son d'exprimé, la conscience plus d'intuitions vagues que de
enfance, une étoile qu'elle admira au crépuscule. Si nous notions distinctes. L a conscience est une compagne mysté-
l'en croyons, il faut que nous connaissions et acceptions rieuse ; elle n'a pas les mêmes réactions morales chez
notre condition humaine qui est faite de douleurs autant l'homme vertueux et chez le criminel ; elle ne peut expli-
que de joies, d'oublis autant que de souvenirs. Il est trois quer nos rêves, mauvais rêves de celui qui est dans la peine,
grandeurs qu'Ëmily place au sommet de l'âme, les gran- charmants rêves de celui qui est amoureux. L a mémoire est
deurs chrétiennes de la foi, de l'espérance, de la charité. un des domaines étranges de la conscience ; elle est faite
L a foi est la richesse suprême ; il ne faut l'enlever à de lumière et d'ombre, elle a ses confins nets et ses terroirs
aucun être, ce serait le réduire à la mendicité. Cependant indéterminés ; elle nous attache plus fort aux bonheurs
Emily ne fait point cas de la prière ; elle transforme Dieu disparus qu'aux joies présentes. C'est elle qui construit les
en médecin et le Ciel en budget. paradis de nos espérances ; elle est vaincue par la souf-
L'espérance est la vertu qui réchauffe tout le monde france ; une vive douleur semble avoir toujours existé et
(I, 90). ne devoir jamais prendre fin ; un grand bonheur abolit
les mesures du temps et de l'espace.
L'espérance nous console des chagrins quotidiens. C'est
par elle que nous nous voyons dans l'éternité, à côté des Enfin, Emily Dickinson exalte la fermeté de carac-
anges (I, 16). tère, le martyr qui subit la torture en gardant les yeux
Emily proclame qu'on ne saurait dire assez de bien de la fixés sur la foi, l'homme qui ne se laisse abattre ni par
chanté ; c'est elle qui donne valeur à la vie (I, 16). les épreuves ni par les désastres. L a souffrance est une
S'il n'y avait pas les tourments de la conscience et les loi implacable de la vie. Nous portons tous nos croix ; la
incertitudes en face de la mort, Emily n'hésiterait pas à plus lourde est le désespoir. Nous essayons de nous
4 8 E M ï t Y DICKINSON
INTRODUCTION 49
Consoler en nous disant que les croix d'autrui ressemblent
aux nôtres. Rien ne peut détruire notre soif de bonheur ; de n'avoir pas mieux remarqué le printemps, que l'été
C'est pourquoi nous rêvons tous et toujours du paradis. Il soit si court. L'automne est la saison des couleurs ardentes,
suffit qu'il fasse chaud et que les oiseaux chantent; aussitôt du rouge vif comme le sang. En hiver la blancheur apai-
nous croyons à la vie nouvelle, à l'endroit où nous sante de la neige nous console de la grise désolation. Sur
connaîtrons enfin la vérité (I, 82). les feuilles Emily note qu'elles sont remuantes et bavardes
comme les femmes, comme les femmes semblent se confier
des secrets qu'elles proclament à tout venant (I, 2, 32).
Culte de la nature.
Elle célèbre souvent les fleurs. Son choix est pour celles
Emily Dickinson ne dessine pas comme Whitman de qui sont modestes comme elle-même, qui ont un parfum
vastes paysages, montagnes, vallées, forêts, ondulation discret, la pâquerette, la violette, l'églantine, la gentiane,
illimitée de la mer-et de la prairie. Celles-ci n'apparaissent l'orchidée, une fleur ronde qu'elle ne nomme pas, qui est
qu'à travers des impressions quotidiennes, le soleil qui dore la première au printemps à montrer son ferme petit visage
les cimes grandioses et immobiles, la neige qui aplanit et rond (I, 2, 66).
blanchit les contours, Un coup de vent suivi d'un orage où Elle aime les champignons, tout en s'attristant de leur
l'on dirait que les maisons vont s'enfuir dans la pluie. Ce destin si bref et si méprisé. Elle Voudrait être aussi
à quoi elle est le plus sensible, ce sont les variations de insouciante_ que l'herbe des champs sous le soleil et sentir
la lumière et de la couleur, l'éclosion des fleurs, le bour- aussi bon dans la grange en hiver.
donnement des insectes, les chants des oiseaux. Que de Les oiseaux dont elle parle le plus souvent sont le rouge-
fois elle a redit l'invasion du jour levant, l'immense gorge, le roitelet, l'oiseau bleu (blue-bird), le geai, le
lumière de midi, les nuances multiples du soleil qui se pivert, le loriot (bobolink). Le rquge-gorge est le héraut
couche ! Son horizon est émerveillé, étroit, minutieux du printemps ; il chante pour le plaisir de chanter (I, 2;, 6).
comme celui d'un enfant. Le jour qui commence avec A u roitelet Emily donne toujours une miette ; il ne la
sa symphonie de splendeurs et d'oiseaux est demeuré pour remercie pas tout de suite, file vers une branche, avale la
elle le miracle des miracles (I, 2, 4). miette, dit sa reconnaissance en une mélodie argentine.
Du jour, du soleil, Emily aime toutes les nuances. L e Emily lui reproche de chercher son habitation au sommet
soleil fait la beauté de l'univers, la lune et lés étoiles celle des arbres ; que ne se contente-t-il comme l'alouette du
dé la nuit. Que serait midi sans la lumière immense et sillon à ras du sol (I, 6, 7 1 ) .
universelle ? Emily ne sait si elle aimé mieux lé cré- Parmi les insectes, Emily a fait choix de l'abeille,
puscule du matin où domine le violet, le crépuscule du soir du papillon, de l'araignée, de la mouche. L'abeille, c'est
où triomphe le jaune. Elle respire l'air avec bonheur ; ne l'activité bourdonnante du printemps et dp l'été, la bravoure
plus respirer, ce sera une des lourdes tristesses du tom- qui pille et viole les fleurs ; il y a du guerrier dans
beau. Les saisons l'enchantent.- Le printemps est sa saison l'abeille. Le papillon, c'est l'exultation souriante et désin-
préférée ; il arrive sans qu'on s'en aperçoive ; le rouge- téressée. L'araignée, Emily n'en saurait dire du mal ; il
gorge l'annonce en chantant sur les branches encore nues, n'est point de filandière plus adroite, encore qu'elle vienne
puis c'est une éclosion universelle de feuilles, de fleurs, parfois déranger notre solitude.
d'herbes, d'insectes, d'oiseaux. Elle ne fait point fi de l'été,
de sa chaleur, de sa lumière, du foin qui sent bon, des Emily ne sait pourquoi elle porte en elle ce culte de la
épis qui mûrissent. Il y a deux étés, le premier plus écla- nature.
tant de juin à octobre, le second où il est sensible que tout C'est sa façon de communier avec l'univers. C'est égale-
s'efface et va mourir, l'été de la Saint-Martin. On regrette ment sa façon d'honorer Dieu. Elle ne va point à l'église
le dimanche ; son verger lui sert de temple, le loriot de
«
50 EMItY DICKINSON ÎNÏJSODUCÎIÛN
sonneur et de chanteur ; c'est Dieu en personne qui importe le mauvais temps si son mari est auprès d'elle ;
prononce le sermon. peu lui importent les querelles, car elles s'achèvent en
réconciliations.
Amour et déception. A partir du poème 30, le ton est plus désespéré. L e
bonheur d'Emily a disparu. Tandis qu'elle dormait, elle a
Amour renferme cinquante-sept poèmes. Emily affirme perdu son bijou. Pourtant l'amour demeure le principe et
qu'elle a choisi un homme ; il est à elle de par l'élection et la substance de la vie (I, 3, 37). C'est en vain qu'elle
de par le veto. Elle n'indique pas de quel veto il s'agit ; recommande à son cœur d'être calme, qu'elle essaie
nous savons que l'homme choisi était déjà marié. d'oublier, qu'elle range, son amour au tiroir comme un
Rien, le tombeau lui-même, ne peut changer ce choix ; vieux costume. Son cœur a été brisé, transpercé. Elle ne
c'est un amour si entier qu'il contenterait le Père Céleste, peut pas ne pas se souvenir, cesser d'aimer, de se rappeler
c'est une somme de souffrances immenses comme la mer. l'émoi qui la fit vivre dans un bonheur sans borne (I, 3, 52).
Ce choix occupe toute son âme ; elle n'en sera jamais Tous ces poèmes sont dénués de sensualité ; une seule
rassasiée. Elle a donné à son bien-aimé tout ce qu'une allusion à un seul baiser. Cet amour est un sentiment
femme peut donner ; elle ne demande plus qu'à le rejoindre immatériel, mais tout-puissant, une blessure inguérissable.
dans quelque paradis lointain. Les saisons, ni les ans, ni L a séparation entraîne une souffrance telle qu'Ëmily la
les siècles ne compteraient plus pour elle si elle pouvait nomme un calvaire.
aller vivre avec lui ; elle ne peut que lui offrir sa vie, Dans le Temps et l'Eternité, Emily déclare qu'elle ne
son immortalité. Si le bien-aimé doute de ce don entier, voudrait pas que son bien-aimé meure sans la revoir, sans
Emily n'a point d'autre issue que le Calvaire (I, 3, 8). prononcer le nom de celle qu'il aime.
Qu'est-elle pour lui ? Un petit ruisseau de mars qui peut Son amour fut-il coupable ? Elle ne saurait y renoncer,
se dessécher en été, une rivière qui attend d'être absorbée même dans l'autre monde. Les souffrances du cœur ne
par la mer. s'apaisent point avec le temps, bien que l'amitié de Dieu
Après ces poèmes où brillent quelques lueurs d'espé- soit un mariage survivant aux amours terrestres (I, 4, 89).
rance mêlées de crainte viennent les poèmes issus de la Les poèmes des recueils ultérieurs sont plus directement
déception. personnels. Emily se rappelle l'enthousiasme des premiers
Emily et son bieii-aimé ne peuvent vivre ensemble. Pour- aveux (I, 6, 122). Elle déployait les grâces et la modestie
ront-ils mourir ensemble ? Pourront-ils revivre ensemble d'une fiancée, sollicitait un sourire, préparait des bouquets.
dans la vie éternelle, ciel ou enfer peu importe' pourvu L e poème 128 renferme une image inattendue, celle du
qu'ils soient ensemble ( 1 , 3 , 12). Mélange insolite de foi pionnier parcourant un pays inexploré où peuvent surgir
chrétienne et de rébellion blasphématoire. des ennemis ; elle est.le fusil chargé qui sauvegarde la
L a dernière fois qu'Ëmily et son bien-aimé se sont vie de son bien-aimé.
vus pour ne plus se revoir, c'était par un jour d'été. Puis Emily en vient à des thèmes plus courants. L'amour
Désormais chacun d'eux est voué à la souffrance, porte envahit tout l'être humain parce qu'il se rattache à une
un crucifix. Leur contrat d'amour était plus sacré que le force infinie. Aussi n'est-il pas étonnant qu'une femme
baptême, que les liens de la famille ; il partait de la trouve dans son bien-aimé le bonheur de la terre et du
volonté libre d'Emily, il faisait d'elle une ?eine. Contrat ciel, qu'elle oublie tout pour lui y compris son destin et
céleste qui transforme la jeune fille en femme. sa famille, qu'elle soit prête à tout donner, à tout risquer
Elle se suppose, mariée secrète et furtive, fermant bien pour lui. Sait-on pourquoi l'on aime ? L'amour est une
sa porte pour lire à elle seule la lettre de son bien-aimé. force inexplicable, irrésistible (I, 6, 137),
Elle se figure les bonheurs d'une femme mariée ; peu lui L'amour, c'est bonheur d'être ensemble, malheur d'être
INTRODUCTION 53
52 EMILY D I C K I N S O N
Peut'On supposer que ce poème si poignant fut.écrit
séparés. C'est, pour, une femme, joie d'être belle et bien après la rriort du pasteur Wadsworth ? Etrange complexité
habillée, modestie d'obéir et de se dévouer. d'une puritaine qui demeure chrétienne malgré lés doutés
Et voici les confidences les plus directement personnelles. ' de la raison et les égarements de la sensibilité.
L a loi a empêché leur mariage. Contre cette loi elle ne Le poème 85, même sérié, résume de nouveau le bref
peut rien, elle est contrainte de pratiquer le renoncement, bonheur d'Emily et tout son long malheur. Jusque-là elle
Je choix contre soi-même pour se justifier envers soi-même. avait mené une vie ordinaire, avec mainte amertume.
Il n'est plus d'autre alternative pour elle que de souffrir. L'amour vint ; tout était changé \ elle était riche ; elle
Dans sa peine est-elle allée, comme donne à l'entendre le habitait un palais, son être n'était que joie, légèreté, plaisir
poème 155, dans une église catholique brûler un cierge à
débordant et généreux. L e palais s'est écroulé ; la voici
Notre-Danie-des-Sept-Douleurs ? (ï, 6, 155).
mendiante, portant le ciliçe, ayant suspendu au clou du
Les angoisses et Jes gémissements se prolongent. S a vie mur soft vieux jupon.
maintenant est un état perpétuel de stupeur, de langueur, Les poèmes sur son amour déçu sont; avec les poèmes
d'obscurité, Comme les autres femmes elle accomplit stir la mort, les plus fermés et les plus émouvants qu'ait
chaque jour des besognes ménagères, mais ses mains sont ('.crits Emily Dickinson.
vides, son amour a péri. Elle ne peut que se rappeler Jes
étapes de son bonheur écroulé. Quand elle espéra, c'était
l'hiver, il faisait froid, son cœur avait chaud. Quand elle Dans les Flèches de mélodie, quatre-vingt-trois poèmes,
craignit, l'été régnait, son cœur était glacé. Quand elle rassemblés sous le titré de l'Aurore infinie, orit encore pour
désespéra, ce fut la chute des ténèbres : sujet l'amour. S'agit-il d'âmdur simplement, imaginé ou
de l'amour qu'Emily éprouva pour le pasteur Wadsworth ?
Parfois l'accent est plus littéraire que direct, parfois il
Des glaçons sur mon âme est tellement direct, tellement naïf ou douloureux qu'il
Piquaient, durs et froids ; donne la certitude d'une réalité vécue. Gomme aucun de
Les oiseaux chantaient partout, ces poèmes n'est daté, il est difficile de faire le départ
Seule ma. voix était muette. entre ce qui né fut que souhaité et ce qui est émoi transcrit
tout vif. Lés premiers poèmes sont presque familiers.
Il est regrettable de ne pouvoir rattacher des accents L'amoureuse n'apprécie les saisons que si son bien-aimé
si poignants à telle date, à telle circonstance précises. est auprès d'elle ; lors même qu'il est absent, elle a sans
Depuis lors le désespoir d'Emily est tellement entier que cesse l'impression d'être sous le regard de son, bien-aimé ;
sa vie est devenue mécanique, insensible, indifférente. Elle rien ne peut exprimer l'amour qu'elle porte au fond du
marche sans émoi dans la chambre où marcha le bien-aimé, coeur, ni les paroles ni les yeux.
elle reHt sans émoi les lettres qu'il lui écrivit ; elle prie Alors l'accent s'élève jusqu'au lyrisme le plus roman-
sans émoi, Dieu lui paraît trop lointain, trop haut pour tique. EHe voudrait que lé tëttlps dë son émoi se prolongé
prendre quelque intérêt au malheur d'une minime créa- dans l'infini. Elle était affamée ; la voici Comblée d'abon-
ture (I, 6, 166). Tant mieux si des besognes ménagères dance (262); Le temps avait pitié de leur délire. Son cœur
viennent aider à l'oubli, occuper l'indifférence (I, 6, 167). d'amoureuse chantait l'éternité ; il bourdonnait comme une
L a confiance en Dieu semble renaître dans le poème 170. abeille, embaumait comme une fleur (274).
Emily s'adresse au Seigneur, s'excuse de L'avoir oublié ;
elle L u i apporte son cœur, petit mais lourd, car il contenait Du délire exalté elle passé tour à tour à la plainte, ati
un cœur impérial, et son cœur est plus lourd depuis que tendre bonheur et à la fierté des jours qu'ils auraient pu
ce cœur impérial est parti. passer ensemble, « transmués, plus vivants s» (276). Que
EMILY DICKINSON 1 NTR0DUCT10N 55
54
peut-elle faire ? S e souvenir, fermer les yeux et supposer coudra plus, la bourgeoise qu'on ne verra plus passer en
que le bien-aimé est présent (296). Leur amour fut infini ; chapeau.
il a disparu, bien que Dieu lui-même n'eut pu l'anéantir. Sur ce thème de la mort universelle Emily est aussi
L e bien-aimé s'en est allé ; ils n'ont plus vécu ici-bas ; abondante que la Bible. De même sur le moment d'angoisse
revivront-ils dans l'immortalité (282). qu'est la mort et sur les souffrances qui l'accompagnent.
L e s poèmes d'amour déçu sont beaucoup plus nombreux L a mort arrive peu à peu ; des maladies l'annoncent,
que les poèmes d'amour satisfait. L'espérance d'Emily, si puis vient l'heure décisive. L e s pieds se refroidissent, les
jamais elle exista, ne dut pas durer bien longtemps ; son doigts ; le front se fait dur comme pierre, les yeux se
désespoir se perpétua jusqu'à sa mort. On peut regretter congèlent, vitreux, éteints, aveugles, les paroles et les pen-
des redites, une certaine monotonie dans cette tristesse sées sont incohérentes. Nous remarquons certains détails
tant de fois ressassée. L e s images n'ont rien de spéciale- extérieurs autour des mourants, qu'ils ont soif, qu'ils lèvent
ment original, la faim rassasiée un bref moment, le jour les mains sans pouvoir exprimer leurs désirs. L e corps et
bientôt remplacé par la nuit, la vie devenue indifférente l'âme se désunissent. C'est le silence. Dès cet instant, la
et pareille à la mort. L a sincérité du ton est si poignante coupure est infranchissable entre nous et ceux qui ne sont
qu'Ëmily Dickinson, dans la littérature américaine, plus; ils sont rigides, muets. Nous essayons de combler la
demeurera le poète de l'amour déçu. Peut-on, selon la for- coupure en croyant au Ciel, à la résurrection finale. Nous
mule de T . W . Higginson, tirer de ces poèmes une « philo- supposons que la mort est un jour levant, une rentrée au
sophie de la vie » ? L a philosophie d'une vieille fille qui n'a bercail. Nous croyons que Jésus nous accueillera, nous
pas connu la sensation et le bonheur de vivre parce qu'elle expliquera ce que nous n'avons pas compris sur la terre.
n'a pas été mariée. Emily demeurera aussi le poète de Jésus a voulu connaître les pires souffrances de la mort,
l'inquiétude, de la foi chancelante, en face de la mort. mais affirmé en même temps qu'il avait vaincu la mort.
Nous imaginons le paradis comme un séjour charmant.
U n e pelouse fleurie où chantent des anges, où dansent des
Le temps et l'éternité. jeunes filles. Nous en sommes assurés d'une certitude incer-
C'est le titre donné par les premiers éditeurs d'Emily taine. Nous demeurons interdits devant le fait inéluctable
aux poèmes sur la mort. Un terme moins philosophique de la mort. Nous nous souvenons des morts, de tel trait,
— quelque chose comme : nos regrets et nos vœux en face de tel geste ; nous souhaitons de les avoir mieux aimés de
de la mort — eût été préférable. Ces poèmes sont aussi leur vivant. Les sciences nous affirment que rien ne dispa-
nombreux que ceux de l'amour déçu, d'une intensité aussi raît. L'effacement des morts est définitif ; ils dorment au
directe, aussi poignante. Il est impossible de les dater, de cimetière, leur immobilité ne donne aucun signe de réveil.
les classer. Certains semblent avoir été suggérés à Emily Où sont-ils ? Que font-ils ? Se souviennent-ils de nous ?
par la mort de son père, de sa mère, du pasteur Wadsworth. Ont-ils acquis des idées plus cohérentes que celles qu'ils
Ils comportent beaucoup de redites. Essayons d'en indiquer avaient ici-bas ?
les thèmes essentiels. L a pensée d'Emily Dickinson balance entre la foi et
l'incrédulité, entre le fait universel de la mort et le senti-
Pour tout homme il est un jour plus solennel que tous ment irrépressible de l'immortalité. Elle accueille l'espé-
les autres, le jour où il meurt, où il est enterré. L'âme du
rance, une espérance qui doute. Elle se demande si la vie
mort est située entre deux mondes, la vie qu'elle délaisse,
future est une harmonie ou un chaos, si notre personne
l'immortalité dont nous ne savons rien.
demeure, si notre cœur ne sera point changé. Personne n'a
Il n'est personne qui ne meure ; l'herbe recouvre l'amant résolu l'énigme ; des martyrs sont morts pour affirmer leur
de la beauté, le philosophe de la vérité, la ménagère qui ne solution. , 1
«rt-a ^;
ÊMILY DICKINSOX INTRODUCTION
Emily ne petit dépasser cette réalité tangible, quoti- révolte de notre personne devant le néant; Nous ne savons
dienne, les cadavres muets dans le cimetière et le soleil pas avec certitude ce que les morts sent devenus; mais nous
qui continue dè luire; les gens qui s'activent comme si sentons qu'ils sont au-dessus de là lumière en même temps
rien në s'était passé. Elle sourit de nos conceptions concer- que sous la terre ; l'âme humaine est plus ample que la
nant l'autre monde: Le paradis, c'est délicieux; mais si nature, même au Ciel elle ne sera pas comblée. L a tombe
SMgé, Si monotanë, de quoi s'enfuir d'ennUi, Elle voit le de chacun est un domaine plus vaste que le soleil ; nous
fëvefs dé ftas croyances chrétiennes. Depuis le temps croyons invinciblement à Dieu, au paradis :
qu'elle était petite fille et qu'elle së demandait comment
lê eiël peut tenir ferme âu-dessus de notre tête parmi la La vie que nous avons est grande)
entité des atomes, aucune doctrine religieuse où métaphy- La vie que nous verrons
sique n'a pu 'la satisfaire! Qu'est-ee que l'infini sinon le Surpasse celle que nous connaissons parce que
fini multiplié au-delà de toute numération ? Qu'est-ce que C'est l'infini... (Elèches de mélodie, 465).
lë Dieu chrétien sinon l'addition dë l'Un et du multiple; de
l'implacable sévérité et de la miséricordieuse bienveil-
lance ?
D'autre part, elle ne peut s'àfffànehir de son éducation
Chrétienne, Il n'est peint de pîuS belle perspective que la
résurrection finale. Les morts sont muets, Dieu est un IV. L ' O R I G I N A L I T E P O E T I Q U E
nuage ; mais nous avons besoin de prier, nous sentons que
nous sommes immortels, nous savons que les beautés de
la nature sont les signés d'une éternelle vie lumineuse,
rien ne peut détruire notre conscience de l'immortalité. La langue et le versi
On aurait tort de rattacher Emily Dickinson au mou-
vement trànscendantaliste. Elle n'en prêche point le L a vraie et grande passion d'Emily Dickinson fut d'écrire
christianisme libéral; détaché de tout dogme proprement des vers. Ce devait être pour elle un besoin comme de
chrétien, dë toute Eglise spécialement chrétienne: Elle se cultiver des fleurs; Elle n'a laissé là-dessus aucune décla-
laissé guider par ses émotions dè femme et de puritaine. ration. Comme les romantiques, elle croyait à la mission
Amoureuse déçue, elle së rabat sur l'idée d'une union divine de la poésie dans l'histoire des hommes. Elle ne
spirituelle dans l'autre Vie. Chrétienne peu croyante, mesu- s'est jamais prise pour un mage, un prophète. Elle demande
rant la naïveté des paradis imaginaires; elle s'en tient à simplement à Higginson s'il trouve sa poésie vraie,
l'espérance d'immortalité que notre cœur, në peut détruire vivante ; c'est le seul point de vue qui l'intéresse j elle se
ët dont ces paradis ne sont que la transcription. Est-elle sent l'égale des grands écrivains féminins de son temps,
fermement incroyante ? Non. Est-elle résolument croyante ? Emily Brontë ou George Eliot.
Non; Sa balance penche vers la croyance. Elle dit et redit Les thèmes de son chant ne présentent aucune nou-
lê fait brutal de la mort ; elle dit êt redit que le fait de veauté, ni son vocabulaire, ni ses images. Ce sont la nature,
l'espérance en l'immortalité n'est pas moins impérieux que le cœur humain, l'amour, nos angoisses et nos espérances
celui de la mort; en face de la mort.
Peu de poètes ont exprimé avec autant d'intensité le Tout ce qu'on peut affirmer,. c'est que. son vocabulaire
moment où nous périssons, où nous perdons nos sens et notre est très saxon, parfois semé de mots français, souvent
pensée pour nous transmuer en cadavre silencieux, voué à émaillé d'américanismes dans le choix et le sens dés
l'oubli. Peu de poètes ont proclamé avec autant de forée la termes, dans la conjugaison des verbes qui ne prennent
58 EMILY DICKINSON INTRODUCTION 59
pas d's à la troisième personne du singulier de l'indicatif C'est qu'elle a le souffle court. Sa forme est constam-
présent, souvent émaillé d'archaïsmes tels que l'emploi du ment brève, quelque peu monotone ; un quatrain, deux
subjonctif et l'omission du pronom relatif. quatrains, un huitain, au maximum une dizaine de qua-
L'influence prédominante est celle des vieilles hymnes trains. Les vers les plus fréquents sont ceux de quatre
qu'elle entendit chanter à l'église congrégationaliste accents et de trois accents. Elle commence brusquement
d'Amherst durant le temps qu'elle y assista aux offices, et finit brusquement. Elle ne redoute pas l'allitération. Elle
de sept à vingt-cinq ans. Elle en a gardé le goût des réduit le plus souvent la rime à des assonances de voyelles
quatrains moraux en octosyllabes avec des accents toniques ci de consonnes.
nettement frappés, des rimes faibles ou de simples asso- Sa langue est classique, malgré des irrégularités gram-
nances, l'énoncé d'un thème ou d'une impression en maticales que l'on a citées. Il est sensible que ses livres
quelques strophes. Il est rare qu'elle se laisse aller, comme de chevet était la Bible, Shakespeare et le dictionnaire de
les romantiques, aux développements, quoiqu'elle ne Webster. On a remarqué sa prédilection pour les images
craigne pas d'enjamber un vers sur un autre vers, une domestiques et villageoises, pour les termes religieux et
strophe sur la strophe suivante. juridiques : elle habitait une petite ville puritaine, elle
L e seul inconvénient extérieur de son message — au était fille d'un avoué.
dire de Thomas Higginson et de nombreux critiques Mais les mots sont parfois déviés de leur sens courant et
anglais et américains — c'est l'irrégularité de la forme. chargés d'une signification plus large. Le poète, dit-elle,
Emily n'a jamais admis que cet inconvénient pût exister.
Elle recherche l'expression vivante, dense, rien de plus. disitts amasing sensé
Peu lui importe qu'elle aboutisse à l'obscurité, faute de from ordinary meanings (autres poèmes, X )
logique apparente ; peu lui importe de faillir à la gram-
maire en n'observant pas certaines règles de conjugaison, L'adjectif loiv est appliqué aux regards indistincts d'un
en abusant du subjonctif ; peu lui importe de rimer très homme qui va mourir, puis aux yeux d'un mort, enfin aux
faiblement avec de vagues similitudes de voyelles ou de traits décomposés d'un cadavre dans sa tombe. Ces mots
Consonnes, ou bien de ne pas rimer du tout ; peu lui qui font image soulèvent de grandes difficultés à la tra-
importe d'employer le masculin ou le féminin là où l'on duction. Une clef, c'est a companion steel, un fuchsia qui
attendait le neutre, le singulier alors qu'il faudrait le commence à fleurir, ce sont des coutures de corail qui
pluriel, ou le pluriel alors qu'il faudrait le singulier ; peu s'entrouvrent, une gentiane de couleur pâle est une gen-
lui importe que tel mot soit archaïque, tel autre mot tiane puritaine, a covenant gentian. C'est cet emploi si
emprunté au langage quotidien de la Nouvelle-Angleterre. constant du mot pittoresque, expressif, qui explique, ainsi
Ces légères bavures grammaticales ne la préoccupent pas. que M . L e Breton l'a remarqué dans son Anthologie de la
Ce qui la préoccupe, c'est d'exprimer directement, exacte- Poésie américaine, l'ascendant et l'influence d'Emily
ment, ce qu'elle veut dire. Dickinson chez les poètes américains et anglais du dernier
D'ailleurs si sa grammaire n'est pas toujours sans fautes, demi-siècle.
on peut dire que sa métrique est sûre. Son vers est chan- Cette recherche de l'intensité, de l'image, aux dépens de
tant, les accents toniques placés où il faut ; elle n'abuse la grammaire parfois, peut aller jusqu'à l'obscurité. Ainsi
point du trochée ni de l'anapeste ; ses strophes sont bien lorsque Emily supplie son amoureux de lui réserver ses
équilibrées lors même qu'elles se prolongent dans la strophe derniers moments, plusieurs vers demeurent énigmatiques
suivante. Elle manie avec autant d'aisance le vers à quatre (v. poèmes additionnels, 78).
accents et le vers à trois accents. Elle emploie rarement Elle n'en demeure pas moins un des grands poètes de
le long vers de Shakespeare et de Milton. l'Amérique puritaine. P o e s'est évadé du puritanisme par
00 EMILY DICKINSON
BIBLIOGRAPHIE
I. TEXTES
II. BIOGRAPHIES
IV. T R A D U C T I O N S FRANÇAISES
1
Quelques poèmes dans les anthologies, d e M' " "Villard ( B o r d a s 1945),
de M . LE BRETON ( P a r i s D e n o ë l , 1948), d e C H . CESTSB ( P a r i s , 1944).
Polmes, avant-propos et traduction, de JEAN SIMON, Paris, P i e r r e S e g h e r s ,
1954.
POÈMES
d'EMILY DICKINSON
L LA VIE
I. L I F E
20
46
; ! 46
A thought went up my mind to-day
Une pensée m'a surgi en l'esprit aujourd'hui
That I have had before, Que j ' a i eue auparavant
But did not finish,—some way back,
Mais n'avais point achevée, il y a quelque temps,
I could not fix the year,
Je n'ai pu fixer l'année.
Nor where it went, nor why it came
Ni où elle s'en alla, ni pourquoi
The second time to me,
Elle m'est revenue une seconde fois ;
Nor definitely what it was,
Et de dire exactement ce qu'elle était,
Have I the art to say.
Je n'en ai point l'art.
But somewhere in my soul, I know
Mais quelque part dans mon âme, je le sais,
I've met the thing before;
J'ai déjà rencontré la chose ;
It just reminded me—'twas ail—
Elle m'a fait souvenir, c'est tout,
And came my way no more.
Et vers moi n'est plus revenue.
53
53
God gave a loaf to exery bîrd,
But just a crumb to me; Dieu donna un pain à tous les oiseaux,
I dare not eat it, though I starve,— A moi rien qu'une miette ;
My poignant luxury Je n'ose la manger, même quand je meurs de faim ;
T o own it, touch it, prove the feat Cette miette est mon luxe émouvant.
That made the peîlet mine,— L a posséder, la toucher, c'est preuve légale
Too happy in my sparrow chance Que cette boulette est mienne ;
For ampler coveting. Je suis trop heureuse de mon sort de moineau
It might be famine ail around, Pour en désirer davantage.
I could not miss an ear, Il pourrait y avoir la famine autour de moi,
Such plenty smiles upon my board, Je ne manquerais pas d'un épi,
My garner shows so fair. Tant l'abondance sourit sur mon buffet,
I wonder how the rich may feel,— Tant mon grenier paraît garni.
A n Indiaman^-an Earl? Je me demande ce que peut éprouver un riche,
I deem that I with but a crumb Un prince hindou, un comte.
A m sovereign of them ail.. Je pense qu'avec rien qu'une miette
Je suis leur souveraine à tous.
72
72
Heart not so heavy as mine,
Wending late home, Un cœur moins lourd que le mien,
S'en retournant tard chez lui,
LA V I B
LIFE
74 74
80 80
Prayer is the little implement La prière est le petit instrument
Through which men reach Par quoi les hommes atteignent
Where présence is denied them. Où la présence leur est interdite.
They fling their speech Par elle ils lancent leur discours,
B y means of it in God's ear ; Dans l'oreille de Dieu ;
If then H e hear, Si Dieu l'entend,
This sums the apparatus Cela résume l'appareil
Compris ed in prayer. Compris dans la prière.
82 82
88
88
Heaven is what I cannot reach !
L e Ciel, c'est ce que je ne puis atteindre !
The apple on the tree,
Provided it do hopeless hang, L a pomme sur l'arbre,
That "heaven" is, to me. Pourvu qu'elle pende inespérée,
Cela, c'est le Ciel pour moi.
MCFE LA V I S 73
go 90
9ï 9i
It's such a little thing to weep C'est si petite chose de pleurer
So short a thing to sigh ; Si brève chose de soupirer ;
A n d yet by trades the size of thèse Pourtant c'est dans des métiers de cette taille
W e men and women die ! Qu'hommes et femmes nous mourons.
95 95
Could any mortal lip divine Si une lèvre mortelle pouvait deviner
The undeveloped freight L a charge implicite
Of a delivered syllable, D'une syllabe prononcée,
'Twould crumble with the weight. Elle s'écroulerait sous le poids.
100 ÏPO
W h o has not found the heaven below Qui n'a pas trouvé le ciel en bas
Will fail of it above. L e manquera en haut,
God's résidence is next to mine, L a résidence de Dieu est proche de la mienne,
His furniture is love. Sa demeure, c'est l'amour.
UF1Î 3,A VIE 75
106 116
119
119
120
126
126
126
T h e brain is wîder than the sky, L e cerveau est plus vaste que le ciel ;
For, put them side by side, Car mets-les côte à côte,
The one the other will include L'un inclura l'autre
With ease, and you beside. Facilement, et toi en plus.
The brain is deeper than the sea, Le cerveau est plus profond que la mer,
For, hold them, blue to blue, Car tiens-les, bleu contre bleu,
The que other will absorb, L'un absorbera l'autre,
A s sponges, buçkets do. Comme une éponge un seau.
The brain is just the weight of God, Le cerveau a exactement le poids de Dieu,
For, lift them, pound for pound, C a r pèse-les, kilo par kilo,
A n d they will differ, if they do, Ils diffèrent, s'ils diffèrent,
A s syllable from sound, Comme une syllabe d'un son.
LA VIE 79
7 8 Ml'E
130 130
i i
Nature, the gentlest mother, L a nature, la plus douce des mères,
Impatient of no child, Qui ne s'impatiente avec aucun enfant,
The feeblest or the waywardest, - Le plus faible ou le plus capricieux,
H e r admonition mild Sa tendre leçon
In forest and the hill Dans la forêt ou la colline
B y traveller is heard, Est entendue par le voyageur ;
Restraining rampant squirrel Elle apaise le fougueux écureuil
Or too impetuous bird. Ou l'oiseau trop impétueux.
H o w fair her conversation, Combien aimable son accueil
A summer afternoon.— Par un après-midi d'été,
H e r household, her assembly ; Sa maison, sa société ;
And when the sun goes down Et quand le soleil descend,
Her voice among the aisles Sa voix dans les allées
Incites the timid prayer Incite la timide prière
O f the minutest cricket, Du plus petit grillon,
The most unworthy fiower. De la plus humble fleur.
When ail the chidren sleep Quand tons les enfants dorment
She turns as long away Elle se détourne aussi longtemps
A s will suffice to light her lamps Qu'il suffit pour allumer ses lampes ;
Then, bending from the sky, Puis se penchant du haut du ciel,
With infinité affection A v e c une affection infinie,
And infiniter care, Et un soin plus infini,
Her golden finger on her lip, Son doigt d'or sur sa lèvre,
Wills silence everywhere. Elle réclame le silence partout.
NATURE LA N A T U R E
4 4
T h e day came slow, till five o'clock, L e jour arriva lentement, jusqu'à cinq heures,
Then sprang before the hills Puis bondit devant les collines
Like hindered rubies, or the light Comme des rubis emprisonnés, ou la lumière
A sudden musket spills. Que répand un soudain mousquet.
T h e purple could not keep the east, L a pourpre débordait de l'est,
T h e sunrise shook from fold, Le lever du soleil s'élançait de son enclos ;
Like breadths of topaz, packed a night, On eût dit un collier de topazes, enfermé la nuit,
The lady just unrolled. Que la dame venait de dérouler.
T h e happy winds their timbrels took ; Les vents joyeux prenaient leurs tambourins ;
T h e birds, in docile rows, Les oiseaux, en rangs dociles,
Arranged themselves around their prince Se mettaient en ordre autour de leur prince ;
(The wind is prince of those). C'est le vent qui est leur prince.
T h e orchard sparkled like a Jew, — Le verger étincelait comme un Juif ;
H o w mighty 'twas, to stay Quelle merveille de se trouver
A guest in this stupendous place, En invité dans cet endroit magnifique,
T h e parlor of the day ! L e salon du jour !
6 6
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' A n altered look, about the hills ; Un aspect changé dans les collines ;
A Tyrian light the village fills ; Une lumière tyrienne emplit le village ;
A wider sunrise in the dawn ; Un lever de soleil plus large à l'aube ;
A deeper twilight on the lawn ; Un crépuscule plus profond sur la pelouse ;
A print of a vermilion foot ; Une empreinte de pied,vermillon ;
A purple finger on the slope ; Un doigt dé pourpre sur la pente ;
A flippant fly upon thé pané ; Une mouche insolente sur la fenêtre ;
A spider at his trade again ; Une araignée de nouveau à son métier ;
A n added strut in chanticleer ; Un orgueilleux pas de plus chez chantecler ;
A flower expected everywhere ; Une fleur attendue partout ;
A n axe shrill singing in the woods ; Le chant aigu d'une hache dans les bois ;
Fern-odors on untravelled roads, — Des odeurs de fougères dans les routes peu fréquentées
A i l this, and more I cannot tell, Tout cela, et d'autres choses que je ne saurais dire,
A furtive look you know as well, Un regard furtif que tu connais aussi bien que moi,
And Nicodemus' mystery Et le mystère de Nicodème
Receives its annual reply. Reçoit sa réponse annuelle.
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20 20
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Un oiseau passa sur le sentier ;
A bird came down the walk : Il ne savait pas que je le voyais ;
H e did not know I saw ; Il mordit en deux un long ver
He bit an angle-worm in halves Et le mangea tout cru.
And ate the fellow, raw. Puis il but une goutte de rosée
And Oien he drank a dew Sur une herbe toute proche ;
From a convenient grass, Puis il sauta de côté vers le mur
And then hopped sidewise to the wall Pour laisser passer un scarabée.
T o let a beetle pass. Il jeta de rapides coups d'œil
He glanced with rapid eyes Qui embrassaient tout l'horizon ;
That hurried ail abroad, — Ses yeux ressemblaient, pensai-je, à des. peries qui ont
They looked like frightened beads, I thought [peur ;
NATURE LA N A T U R E 89
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24
A narrow fellow in the grass
Quelqu'un de mince dans l'herbe
Occasionally rides;
Passe au hasard ;
Y o u may have met him, — did you not T u l'as sans doute rencontré,
His notice sudden is. On le remarque tout à coup.
T h e grass divides as with a comb, L'herbe se divise comme avec un peigne,
A spotted shaft is seen ; On voit une flèche tachetée ;
And then it closes at your feet Puis à tes pieds l'herbe se referme
And opens further on. Et s'entrouvre un peu plus loin.
H e likes a boggy acre, L a bête aime un champ marécageux,
A floor too cool for corn. Un parquet trop frais pour le maïs.
Y e t when a child, and barefoot, Pourtant dans mon enfance, étant pieds nus,
I more than once, at morn, Plus d'une fois le matin
H a v e passed, I thought, a whip-lash J'ai passé, à ce que je croyais, près d'une lanière de fouet
Unbraiding in the sun, — Qui se déroulait au soleil ;
When, stooping to secure it, Et me baissant pour m'en emparer
It wrinkled, and was gone. Elle se recoquillait et avait disparu.
Several of nature's people Je connais plusieurs personnes dans la nature
I know, and they know me ; Et elles me connaissent ;
I feel for them a transport Je ressens pour elles un transport
O f cordiality ; De cordialité ;
But never met this fellow, Mais, accompagnée ou toute seule,
Attended or alone, Je n'ai jamais rencontré cette bête
Without a tighter breathing, Sans avoir l'haleine oppressée •
A n d zéro at the bone. Et un froid glacial dans les os.
25 25
T h a mushroom is the elf of plants, L e champignon, c'est l'elfe des plantes ;
A t evening it is not ;
L e soir, il n'existe pas ;
NATURE LA N A T U R E
32 32
The leaves, like women, interchange Les feuilles, comme les femmes, échangent
Sagacious confidence ; De sagaces confidences ;
Somewhat of nods, and somewhat of Elles se font des signes, elles tirent
Portentous inference, De graves conclusions.
The parties in both cases Dans les deux cas les parties
Enjoining secrecy,— S'enjoignent le secret ;
Inviolable compact Contrat inviolable
T o notoriety. De notoriété.
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Bring me the sunset in a cup, Apporte-moi le coucher du soleil dans une coupe,
Reckon the morning's flagons up, Compte les flacons du matin
And sây how many dew ; Et dis combien sont remplis de rosée ;
Tell me how far the morning leaps, Dis-moi jusqu'où bondit le matin,
Tell me what time the weaver sleeps Dis-moi à quelle heure dort le tisserand
W h o spun the breadths of blue ! Qui fila les espaces de l'azUr !
W r i t e me how many notes there be Ecris-moi combien de notes il y a
NATURE
LA NATURE 93
In the new robin's ecstasy Dans le transport du nouveau rouge-gorge
Among astonished boughs ; Parmi les branches frappées de surprise ;
How many trips the tortoise makes,
Combien de voyages fait la tortue,
How many cups the bee partakes,—
Combien de tasses boit l'abeille,
The débauchée of dews ! Cette biberonne de rosée !
Also, who laid the rainbow's piers, Dis-moi aussi qui installa les ponts de l'arc-en-ciel,
Also, who leads the docile sphères
Aussi qui conduit les sphères dociles
B y withes of supple blue ?
Avec des baguettes de souple azur ?
Whose fingers string the stalactite,
Quels doigts enfilent la stalactite,
W h o counts the wampum of the night,
Qui compte les perles de la nuit
T o see that none is due ?
Et voit qu'aucune ne manque ?
Who built this little Alban house
Qui a construit cette petite maison blanche
And shut the W i n d o w s down so close
Et en a si bien fermé les fenêtres
My spirit cannot see ?
Que mon esprit ne peut rien voir ?
Who'll let me out some gala day,
Oui m'emmènera dehors quelque jour de gala
W i t h implements to fly away,
Avec des ailes pour m'envoler,
Passing pomposity ?
Plus belle que toute pompe ?
50 ,50
54 54
T h e murmur of a bee L e murmure d'une abeille
A witchcraft yieldeth me. Me donne un enchantement.
If any ask me why, Si l'on me demande pourquoi,
'Twere easier to die Il serait plus facile de mourir
Than tell. Que de le dire.
The red upon the hill Le rouge sur la colline
Taketh away my will ; Emporte ma volonté ;
If anybody sneer, Si quelqu'un s'en moque
Take care, for God is here, Qu'il prenne garde, car Dieu est ici,
That's ail. Voilà tout.
The breaking of the day L e lever du jour
Addeth to "my degree ; Ajoute à ma dignité ;
If any ask me how, Si l'on me demande comment,
Artist, who drew me so, L'artiste qui me façonna ainsi
Must tell ! Doit le dire !
57 57
Some keep the Sabbath going to church ; Certains observent le dimanche en allant à l'église ;
I keep it staying at home, Je l'observe en restant chez moi,
With a bobolink for a chorister, A v e c un loriot comme chanteur,
And an orchard for a dome. Et un verger comme cathédrale.
Some keep the Sabbath in surplice ; Certains observent le dimanche en surplis ;
I just wear my wings, Moi je porte mes ailes
And instead of tolling the bell for church, Et, au lieu de sonner la cloche pour l'office,
Our little sexton sings. Notre petit clerc chante.
God preaches, — a noted clergyman, — Dieu prêche — clergyman bien connu —
And the sermon is never long ; Et le sermon n'est jamais long.
So instead of getting to heaven at last, Ainsi, au lieu d'aller enfin au ciel,
I'm going ail along ! Je vais mon train.
60 60
65 65
Like trains of cars on tracks of plush Comme des trains de wagons sur des rails de peluche
I hear the level bee : J'entends l'abeille à ras du sol ; '
A jar across the flowers goes, Une vibration traverse les fleurs;
Their velvet masonry Leur maçonnerie de velours
Withstands until the sweet assault Résiste jusqu'à ce que le tendre assaut
Their chivalry consumes, Epuise leur bravoure ;
While he, victorious, tilts away L'abeille victorieuse s'en va joutant
T o vanquish other blooms. Pour vaincre d'autres fleurs.
His feet are shod with gauze, Ses pieds sont chaussés de gaze,
His helmet is of gold ; Son casque est d'or ;
His breast, a single onyx Sa poitrine rien qu'un onyx
With chrysophrase, inlaid. Serti de chrysoprase.
His labor is a chant, Son travail est un chant,
His idleness a tune ; Son repos un air de musique ;
Oh, for a bee's expérience Qui me donnera l'expérience qu'a l'abeille
Of clovers and of noon ! Des champs de trèfle et de l'heure de midi ?
70 70
73 73
Fil tell you how the sun rose,— Je vais te dire comment le soleil s'est levé,
A ribbon at a time. Un ruban à la fois.
The steeples swam in amethyst, Les clochers baignaient dans l'améthyste,
T h e news like squirrels ran. Les nouvelles couraient comme des écureuils.
The hills untied their bonnets, Les collines enlevèrent leur chapeau,
The bobolinks begun. Les loriots se mirent à chanter.
Then I said softly to myself, Alors je me dis à voix basse :
"That must have been the sun !" — Ce doit être le soleil !
But how he set, I know not. Mais comment il s'est couché, je ne le sais pas.
There seemed a purple stile On eût dit une barrière de pourpre
Which little yellow boys and girls Où grimpaient sans cesse
Were climbing ail the while Des garçonnets et des fillettes vêtus de jaune.
Till when they reached the other side, Quand ils eurent atteint l'autre côté de la barrière
A dominie in gray Un maître d'école en gris
Put gently up the evening bars, Mit doucement les verrous du soir
And led the flock away. Et emmena le troupeau.
06
96
What mystery pervades a well ! Quel mystère imprègne un puits !
The water lives so far, L'eau vit si loin,
Like neighbor from another world Tel un voisin d'un autre monde
Residing in a jar. Habitant dans une jarre.
The grass does not appear afraid ; L'herbe n'a pas l'air, d'avoir peur ;
I often wonder he Je m'étorme souvent qu'elle
Can stand so close and look sa bold Puisse se tenir si près et regarder si hardiment
IOO NATURE LA N A T U R E IOI
99 99
103. 103
The moon was but a chin of gold L a lune n'était qu'un menton d'or
A night or two ago, Il y a une ou deux nuits,
And now she turns her perfect face Et maintenant elle tourne son visage complet
Upon the world below. V e r s le monde ici-bas.
Her forehead is of amplest blond ; Son front est du blond le plus vaste,
Her cheek like béryl stone ; Sa joue pareille à une pierre de béryl ;
Her eye unto the summer dew Son œil, de tous ceux que j ' a i connus,
The likest I have known. Est le plus semblable à une rosée d'été.
W NATURE
NATURE
Ses lèvres d'ambre jamais ne se disjoignent ;
Her lips of amber never part ; Mais quel serait le sourire
But what must be the smile Qu'à son ami elle pourrait donner
Upon her friend she could bestow Si telle était sa volonté d'argent !
Were such her silyer will ! Et quel privilège d'être
And what a privilège to be - Rien que la plus lointaine étoile !
But the remotest star 1 Car certainement son chemin pourrait passer
For certainly her way might pass Près de ta porte clignotante.
Beside your twinkling door. Son chapeau est le firmament,
Her bonnet is the firmament, L'univers sa chaussure,
The universe her shoe, Les étoiles des bijoux à sa ceinture ;
The stars the trinkets at her belt, Elle est vêtue de bleu.
Her dimities of blue.
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2 2
Y o u left me, sweet, two legacies,— T u m'as laissé, mon chéri, deux legs,
A legacy of love Un legs d'amour
A Heavenly Father would content, Qui contenterait un Père Céleste
Had He the offer of ; S'il en avait l'offre ;
Y o u left me boundaries of pain T u m'as laissé des confins de souffrance
Capacious as the sea, Immenses comme la mer,
Between eternity and time, Entre l'éternité et le temps,
Y o u r consciousness and me. Ton âme consciente et moi.
3 3
Alter? When the hills do., Changer ? Quand les collines changeront.
Falter ? When the sun Hésiter ? Quand le soleil
Question if his glory Se demandera si sa splendeur
Be the perfect one. Est la splendeur parfaite.
Surfeit ? When the daffodil Etre rassasiée ? Quand la jonquille
Doth of the dew : Sera rassasiée de rosée,
Even as herself, O friend ! Tout comme la jonquille, ô mon ami,
I will of you ! De toi je serai rassasiée.
4 4
Elysium is as far as to Le paradis est aussi loin que
The very nearest room, L a chambre la plus proche
If in that room a friend await Si dans cette chambre un ami attend
Felicity or doom. L a félicité ou la damnation.
U>Vfi I
AMOUR
5 S
Doubt me, my dim companion !
Why, God would be content Douter de moi, mon lointain compagnon !
With but a fraction of the love Certes, Dieu serait content
Poured thee without a stint. De rien qu'une fraction de l'amour
The whole of me, forever, Qui t'est versé sans une restriction.
What more the woman can, — Toute ma personne à jamais,
Say quick, that I may dower thee L a femme peut-elle faire plus,
With last delight I own ! Dis-le moi vite afin que je puisse te doter
It cannot be my spirit, Du dernier bonheur que je possède !
For that was thine before ; Ce ne peut être mon esprit,
I ceded ail of dust I knew,— Car mon esprit était à toi déjà ;
What opulence the more De la poussière j ' a i cédé tout ce que je connaissais,
Had I, a humble maiden, Quelle opulence de plus
Whose farthest of degree Avais-je, humble jeune fille,
W a s that she might Dont la dignité extrême
Some distant heaven, Etait de pouvoir,
Dweîl timidly with thee ! Dans quelque paradis lointain,
Demeurer timidement avec toi !
6
6
If you were coming in the fall,
I'd brush the summer by Si tu venais en automne,
With half a smile and half a spurn, Je balayerais l'été
A s housewives do a fly. Moitié avec sourire, moitié avec dédain,
I f I could see you in a year, Comme les ménagères font d'une ' mouche.
I'd wind the months in balls, Si je pouvais te voir dans un an,
And put them each in separate drawers, J'enroulerais les mois en boules
Until their time befalls. Et les mettrais chacun dans des tiroirs séparés
If only centuries delayed, Jusqu'à ce que leur temps soit échu.
I'd count them on my hand, Si seulement les siècles nous tenaient à distance,
Subtracting till my fingers dropped Je les compterais sur ma main,
Into V a n Diemen's land. Les soustrayant jusqu'à ce que mes doigts tombent
Dans la terre de van Diémen.
AMOUR
IOTE
8
8
12 12
' '-5
15
T w a s a long parting, but the time
F o r interview had corne ; C e fut un long adieu, mais le moment
Before the judgment-seat of God> D'une entrevue était arrivé ;
The last and second time Devant le tribunal de Dieu
Thèse fleshless lovers met, Pour la dernière et seconde fois.
A heaven in a gaze, Ces amoureux sans corps se rencontrèrent,
A heaven of heavens, the privilège Un ciel dans un regard,
O f one another's eyes. Un ciel des cieux, le privilège
No lifetime set on them, Des yeux de l'un pour l'autre.
Apparelled as the new Aucun espace de vie ne s'établit pour eux,
Unborn, except they had beheld, Revêtus comme les êtres nouveaux
Born everlasting now. Oui ne sont point nés, sauf qu'ils avaient vu
W a s bridai e'er like this ? Que maintenant ils étaient nés éternels.
A paradise, the host, Y eût-il jamais mari'pge comme celui-là ?
And chérubin and seraphim Un paradis, l'armée céleste,
T h e most familiar guest. Et Chérubins et Séraphins '
Les invités les plus familiers.
8
LOVE
AMOUR i
16
ï6
I'm wife ; I've fïnished that,
That other state ; Je suis épouse ; j ' a i fini l'autre,
I'm Czar, I'm woman now : L'autre état ;
It's safer so. Je suis le tsar, je suis une femme maintenant,
How odd the girl's Iife looks C'est un état plus sûr.
Behind this soft éclipse ! Combien étrange paraît la vie de la jeune fille
I think that earth seems so Derrière cette douce éclipse !
T o those in heaven now. Je crois que la terre semble telle
This being comfort, then A ceux qui maintenant sont au ciel.
That other kind was pain ; Cela étant le bien-être, alors
But why compare ? L'autre état était une souffrance ;
I'm wife ! stop there ! Mais pourquoi les comparer ?
Je suis épouse, tenons-nous-en là !
J
7
i7
She rose to his requirement, dropped
The playthings of her life Elle se leva selon son désir à lui, laissa tomber
T o take the honorable work Les jouets de sa vie
Of woman and of wife. Pour accepter le travail honorable
If aught she missed in her new day De la femme et de l'épouse.
Of amplitude, or awe, Si dans sa vie nouvelle il lui manqua quelque chose
Or first prospective, or the gold De l'amplitude, de l'admiration,
In using wore away, Des premières perspectives, si l'or
It lay unmentioned, as the sea A l'usage se ternit,
Develops pearl and weed, O n n'en a point parlé ; ainsi la mer
But only to himself is known Développe des perles et des algues,
The fathoms they abide. Mais à elle seule sont connues
Les profondeurs où elles habitent.
18
18
Corne slowly, Eden !
Lips unused to thee, Viens doucement, paradis terrestre !
Bashful, sip thy jasmines, Les lèvres qui ne sont point accoutumées à toi
A s the fainting bee, Sucent, timides, tes jasmins ;
Reaching late his flower, Ainsi l'abeille pâmée,
Round her chamber hums, Atteignant tard sa fleur,
Bourdonne autour de la chambre,
AMOUR
txm Compte ses nectars, entre
Et se perd dans les parfums !
Counts his nectars — enters,
A n d is lost in balms!
22
22 ,
Je me suis donnée à lui
I gave myself to him, E t en paiement j e l'ai pris.
And took himself for pay. L e solennel contrat d'une vie
T h e solemn contract of a life A été ratifié de cette façon.
W a s ratified this way. L a richesse pourrait décevoir.
Moi-même me trouver plus pauvre
T h e wealth might disappoint,
Que ce grand acheteur ne le soupçonne ;
Myself a poorer prove
L a possession quotidienne de l'amour
Than this great purchaser suspect,
Pourrait déprécier la vision ;
T h e daily own of Love
Mais jusqu'à ce que le marchand achète,
Depreciate the vision ;
Telle une fable aux îles des épices,
But, till the merchant buy,
L a subtile cargaison s'étend.
Still fable, in the isles of spice,
D u moins, c'est un risque mutuel !
T h e subtle cargoes lie. Certains ont trouvé que c'était un gain mutuel
A t least, 'tis mutual risk,— Douce dette de la vie, être débiteur chaque nuit
Some fouhd it mutual gain ;
Insolvable chaque jour.
Sweet debt of Life, — each night to owe,
Insolvent, every noon.
24
24 L a manière dont je lis une lettre est celle-ci ;
D'abord j e ferme la porte à clé,
The way I read a lettef's this :
Puis je la pousse avec mes doigts
'Tis first I lock the door,
Pour qu'elle protège mon émotion.
A n d push it with my fingers next,
Puis je m'éloigne le plus possible
For transport it be sure. Pour me prémunir contre qui viendrait frapper ;
A n d then I go the furthest off
Puis j e tire ma petite lettre
T o counteraçt a knock ;
Et doucement l'entrouvre.
Then draw my little letter forth
Puis je jette un regard étroit au mur,
A n d softly pick its lock.
U n regard étroit au parquet,
Then, glancing narrow at the wali,
Croyant ferme à une souris
And narrow at the floor,
Qui n'aurait point été exorcisée auparavant.
For firm conviction of a mouse
Je lis combien j e suis infinie
Not exorcised before,
Pour... personne que tu connaisses !
Peruse how infinité I àm
Et j e soupire faute de ciel, non pas
T o — no one that you know !
L e ciel que donnent les credos.
A n d sigh for lack of heaven, — but nôt
T h e heaven the creeds bestow.
1,0 vs AMOUR
26 26
T h e night was wide, and furnished scant L a nuit était immense et maigrement meublée
With but a single star, D'une seule étoile
That often as a cloud it met
Qui, chaque fois qu'elle rencontrait un nuage,
Blew out itself for fear.
S'éteignait tant elle avait peur.
T h e wind pursued the little bush,
L e vent poursuivait le petit buisson
A n d drove away the leaves Et chassait les feuilles
November left ; then clambered up Que novembre avait laissées, puis il grimpait plus haut
And fretted in the eaves. Et s'agitait sous le toit.
No squirrel went abroad ; On ne voyait point courir d'écureuil ;
A dog's belated feet Les pattes attardées d'un chien
Like intermittent plush were heard Comme une peluche intermittente se faisaient entendre
Adown the empty street. A u long de la rue vide.
T o feel if blinds be fast, Tâter si les volets sont bien fermés,
And closer to the fire Rapprocher du feu
Her little rocking-chair to draw, Son petit fauteuil,
And shiver for the poor, Grelotter pour les pauvres,
The housewife's gentle task. C'est l'aimable tâche de là ménagère.
" H o w pleasanter," said she Combien plus agréable, disait-elle,
Unto the sofa opposite, A u canapé en face,
" T h e sleet than May — n o thee !" L e gel que le mois de mai sans toi !
S» 50
Not with a club the heart îs broken, C e n'est pas avec un bâton que le cœur est brisé,
Nor with a stone ; N i avec une pierre ;
A whip, so small you could not see it, C'est avec un fouet, si petit que tu ne pourrais le voir,
I've known Que je l'ai connu
T o lash the magie créature Cingler la créature magique
Till it fell, Jusqu'à ce qu'elle tombât ;
Y e t that whip's name too noble Pourtant le nom de ce fouet est trop noble
T h e n to tell. Pour le redire.
Magmanimous of bird Il est magnanime, l'oiseau
B y boy descrîed, Visé par le gamin,
T\> sing unto the stone De chanter pour la pierre
O f which it died. Dont il est mort. ' ; > *
IX» VE AMOUR 121
52 52
He touchée! me, so I Hve to know Il m'a touchée, je vis pour savoir
That such a day, permitted so, Qu'à tel jour où ce fut permis
I groped upon his breast. Je tombai sur son cœur.
It was a boundless place to me, C'était pour moi un lieu sans borne,
And silenced, as the awful sea J'étais réduite au silence ; ainsi la vaste mer
Puts minor streams to rest. Met au repos les petits fleuves.
And now, I'm différent from before, Et, maintenant, je suis différente d'autrefois,
A s if I breathed superior air, Comme si je respirais un air supérieur
Or brushed a royal gown ; Ou étalais une robe royale ;
My feet, too, that had wandered so, Mes pieds aussi, qui avaient tellement erré,
My gypsy face transfigured now Mon visage de gipsy maintenant transfiguré
T o tenderèr renown. Pour une gloire plus tendre.
55 55
I envy seas whereon he rides, J'envie les mers sur lesquelles il vogue,
I envy spokes of wheels J'envie les jantes des roues
Of chariots that him convey, Des chariots qui le portent,
I envy spegçhless hijls J'envie les muettes collines
That gaze upon his journey ; Qui contemplent son voyage ;
H o w easy ail can see Combien facilement toutes peuvent voir
What is forbidden utterly Ce qui est entièrement interdit,
A s heaven, unto me ! Comme le ciel, à moi !
I envy nests of sparrows J'envie les nids de moineaux
That dot his distant eaves, Qui parsèment son toit lointain,
The wealthy fly upon his pane, La riche mouche sur sa vitre,
The happy, happy leaves Les heureuses, heureuses feuilles
That just abroad his window Qui, au long de sa fenêtre,
Have summer's leave to be, Ont en été la permission de rester,
The eam'ngs of Pizarro Permission que les boucles d'oreilles de Pizarre
Could not obtain for me, Ne pourraient obtenir pour moi.
I envy light that wakes him, J'envie la lumière qui le réveille,
And bells that boldly ring Et les cloches qui hardiment sonnent
T o tell him it is noon abroad, —• Pour lui dire qu'au dehors il est midi ;
Myself his noon could bring. Moi aussi je pourrais lui apporter son heure de midi.
Y e t interdict my blossom Pourtant je mets l'interdit sur ma fleur
And abrogate my bee, Et je chasse mon abeille
Lest noon in everlasting night De crainte que l'heure de midi dans la nuit éternelle
Drop Gabriel and me. N e laisse tomber Gabriel et moi.
122 AMOUR
57 57
Title divine is mine, L e titre divin est à moi ;
The wife without L'Epouse sans
The sign. L e Signe.
Acute degree Condition aiguë
Conferred on me— Qui m'est conférée,
Empress of Calvary. Impératrice du Calvaire.
Royal ail but the Toute royale
Crown— Sauf la couronne,
Betrothed, without the swoon Fiancée sans l'émoi
God gives us women Que Dieu donne à nous autres femmes
When two hold Quand deux êtres tiennent
Garnet to garnet, L'anneau contre l'anneau,
Gold to gold— L'or contre l'or.
Born, bridalled, Née, mariée,
Shrouded— Mise au linceul en un seul jour,
In a day Triple victoire.
Tri-Victory. — Mon mari —
— M y husband, Disent les femmes
Women say Caressant la mélodie.
Stroking the melody. Est-ce bien ainsi ?
Is this the w a y ?
IV. T I M E A N D E T E R N I T Y
IV. L E T E M P S E T L ' E T E R N I T E
i
i
One dignity delays for ail,
One mitred afternoon. Il est une dignité qui s'attarde pour tous,
None can avoid this purple, Un après-midi mitre.
None évade this crown, Personne ne peut éviter Cette pourpre,
Coach it insures, and footmen, Personne échapper à cette couronne.
Chamber and state and throng ; Elle assure une voiture et des valets,
Bells, also, in the village, L a chambre à coucher, la salle d'apparat, la foule ;
A s we ride grand along. Des cloches aussi dans le village
What dignified attendants, Tandis que nous avançons, majestueux.
W h a t service when w e pause ! Quelle suite respectueuse,
H o w loyally at parting Quel service lorsque nous nous arrêtons !
Their hundred hats they raise ! A v e c quelle loyauté au départ
How pomp surpassing ermine, Ils lèvent leurs cent chapeaux !
When simple you and I A h ! la pompe surpassant l'hermine
Présent our meek escutcheon, Lorsque tout simples, toi et moi,
And claim the rank to die ! Nous présentons notre modeste écusson
E t réclamons notre rang pour mourir !
%
4
Safe in their alabaster chambers,
Untouched by morning and untouched by noon, Sains et saufs dans leurs chambres d'albâtre,
Sleep the meek members of the résurrection, Insensibles au matin, insensibles au midi,
Rafter of satin, and roof of stone. Dorment les calmes membres de la résurrection,
Light laughs the breeze in her castle of sunshine Poutrelle de satin et toit de pierre.
Babbles the bee in a stolid ear ; Légère rit la brise dans son château de soleil ;
Pipe the sweet birds in ignorant cadence,— L'abeille bavarde dans une oreille impassible ;
Ah, what sagacity perished here ! Les tendres oiseaux chantent selon leur cadence ignorante.
Grand go the years in the crescent above them ; A h ! quelle Sagacité a péri ici !
Majestueuses passent les années dans le croissant au-dessus
[d'elles;
TIME AND ETEENITY t E TEMPS ET L'ÉTERNITÉ 127
Worlds scoop their arcs, and firmaments row, Les univers creusent leurs arcs, les firmaments font leur
Diadems drop and Doges surrender, [course ;
Soundless as dots on a disk o f snow. Les diadèmes tombent et les doges sont vaincus,
Sans plus de bruit que des taches sur un disque de neige.
10 10
I died for beauty, but was scarce J'étais morte pour la beauté, mais étais à peine
Adjusted in the tomb, Disposée dans la tombe
When one who died for truth was lain Qu'un homme qui était mort pour la vérité fut couché
In an adjoining room. Dans une chambre contiguë.
He questioned softly why I failed ? Il me demanda doucement pourquoi j'avais disparu.
" F o r beauty," I replied. — Pour la beauté, répondis-je.
"And I for truth, — the two are one ; — Et moi pour la vérité, les deux ne sont qu'une,
W e brethren are," he said Nous sommes frères, dit-il.
And so, as kinsmen met a night, Et ainsi, comme des parents qui se rencontrent dans la nuit,
W e talked between the rooms, Nous conversâmes d'une chambre à l'autre,
Until the moss had reached our lips, Jusqu'à ce que la mousse eût atteint nos lèvres
A n d covered up cur names. E t recouvert nos noms.
II 11
H o w many times thèse low feet staggered, Combien de fois ces pieds modestes ont-ils chancelé,
Only the soldered mouth can tell ; Seule la bouche soudée peut le dire ;
T r y ! can you stir the awful rivet ? Essaye ! peux-tu remuer le terrible rivet ?
T r y ! can you lift the hasps of steel ? Essaye ! peux-tu soulever le loquet d'acier ?
Stroke the cool forehead, hot so often, Caresse le front glacé, si souvent chaud,
Lift, if you can, the listless hair ; Soulève, si tu peux, les cheveux apathiques ;
Handle the adamantine fingers Manie les doigts de métal
Never a thimble more shall wear. Qui plus jamais ne porteront un dé ;
Buzz the dull Aies on the chamber window ; Les mouches insensibles bourdonnent sur la fenêtre de
Brave shines the sun through the freckled pane [la chambre ;
Fearless the cobweb swings from the ceiling — Eclatant luit le soleil à travers le carreau tacheté ;
Indolent housewife, in daisies lain ! Sans crainte la toile d'araignée se balance au plafond ;
Indolente ménagère, couchée parmi les pâquerettes 1
19 19
T o know just how he suffered would be dear ; Savoir au juste comment il souffrit me serait cher ;
T o know if any human eyes were near Savoir si des yeux humains étaient proches
LE TEMPS E T L ' É T E R N I T É 129
20
20
L a dernière nuit qu'elle vécut,
The last night that she lived, C e fut une nuit ordinaire
It was a common night, Excepté qu'elle mourait ; pour nous cela
Except the dying ; this to us Rendait la nature différente.
Made nature différent. Nous remarquions les plus petites choses,
W e noticed smallest things, — Des choses jadis inobservées,
Things overlooked before, Mises, pour ainsi dire, en italiques
B y this great light upon our minds Dans notre esprit par cette grande lumière.
Italicized, as 'twere. Que d'autres puissent exister
That others could exist Alors qu'elle devait finir d'être,
While she must finish quite, Il s'en élevait pour elle une jalousie
A jeâlousy for her arose Quasiment infinie.
So nearly infinité. 9
T I M 1 Î AND ETERNITY
13° LE TEMPS ET L ' É T E R N I T É
22 22
The bustle in a house Le remue-ménage dans une maison
The morning after death Le matin après la mort
Is solemnest of industries Est la plus solennelle des activités
Enacted upon earth, — Accomplies sur la terre ;
The sweeping up the'heart, Il faut balayer son cœur,
A n d putting love away Il faut ranger l'amour
W e shall not want to use again Que nous n'aurons plus besoin d'employer
Until eternity. Jusqu'à l'éternité.
23 23
I reason, earth is short, Je raisonne : la terre est brève, 1
A n d anguish absolute, L'angoisse infinie,
And many hurt ; Beaucoup sont blessés ;
But what of that ? Mais qu'importe ?
I reason, we could die : Je raisonne : nous pourrions mourir ;
The best vitality L a plus belle vitalité
Canot excel decay ; Ne peut dépasser la destruction ;
\But what of that ? Mais qu'importe ?
I reason that in heaven Je raisonne qu'au ciel,
Somehow, it will be even, D'une façon ou de l'autre, tout s'arrangera
Some new équation given ; Une nouvelle équation nous sera donnée ;
But what of that ? Mais qu'importe ?
TIME AND ETERNITY LE TEMPS ET L'ÉTERNITÉ 1
24 24
27
27
Because I could not stop for Death, Comme je ne pouvais m'arrêter pour la mort,
H e kindly stopped for me ; Aimablement elle s'arrêta pour moi ;
The carriage held but just ourselves L a voiture ne contenait que nous deux
And Immortality. Et l'Immortalité.
W e slowly drove, he knew no haste, Nous avancions lentement, elle n'était pas pressée,
A n d I had put away Et moi j'avais rangé
M y labor, and my leisure too, Mon travail, et aussi mon loisir,
For his civility. A cause de sa politesse.
W e passed the school where children played Nous passâmes devant l'école où des enfants jouaient
A t wrestling in a ring ; A lutter dans un cercle ;
W e passed the fields of gazing grain, Nous passâmes devant les champs de grains attentifs,
W e passed the setting sun. Nous passâmes devant le soleil couchant.
W e paused before a house that seemed Nous nous arrêtâmes devant une maison qui semblait
A swelling of the ground ; Une éminence du sol ;
The roof was sçarcely visible, L e toit à peine visible,
The cornice but a mound. L a corniche une butte.
Since then 'tis centuries ; but each Depuis lors il y a des siècles ; mais chaque siècle
Feels shorter than the day Paraît plus court que le jour
I first surmised the horses' heads Où je commençai à deviner que la tête des chevaux
Were toward etemity. Se dirigeait vers l'éternité,
TIME AND ETERNITY LE TEMPS ET L'ÉTERNITÉ
32 32
It was too late for man, Il était trop tard pour l'homme,
But early yet for God ; Mais encore de bonne heure pour Dieu ;
Création impotent to help, L a Création ne pouvait plus apporter d'aide,
But prayer remained our side. Mais la prière restait de notre côté.
How excellent the heaven, Combien excellent le ciel
When earth cannot be had ; Quand on ne peut plus avoir la terre ;
H o w hospitable, then, the face Combien hospitalier alors le visage
Of our old neighbor, God ! De notre vieux voisin, Dieu !
39 39
I shall know why, when time is over, Je saurai pourquoi, quand le temps sera fini,
A n d I have ceased to wonder why ; Et que j'aurai cessé de me demander pourquoi ;
Christ will explain each separate anguish Le Christ expliquera chaque angoisse une à une
In the fair schoolroom of the sky. Dans la belle école du ciel.
H e will tel me what Peter promised, Il me dira ce que Pierre a promis,
A n d I, for wonder at his woe, Et moi, m'étonnant de sa douleur,
I shall forget the drop of anguish J'oublierai la goutte d'angoisse
That scalds me now, that scalds me now.
Qui me brûle maintenant, qui me brûle maintenant..
54
I went to heaven, 54
' T w a s a small town,
Lit with a ruby, Je suis allée au ciel,
Lathed with down. C'était une petite ville
Stiller than the fields Eclairée d'un rubis,
A t the full dew, Plafonnée de duvet,
Beautiful as pictures Plus tranquille que les champs
No man drew. Sous la rosée,
People like the moth, Belle comme des tableaux
O f mechlin frames, Qu'aucun homme n'a dessinés.
Duties of gossamer, Des gens comme la phalène,
And eider names. Des formes en dentelle de Malines,
Almost contented Des lois comme des fils de la Vierge,
I could be Des n o m s d o u x comme l'eider.
'Mong such unique Je pourrais presque
Society. Etre contente
Parmi une telle unique
Société.
TIME AND ETËRNITY LE TEMPS ET L'ÉTERNITÉ 137
61 61
62 62
67 67
69 69
One need not be a chamber to be haunted, Il n'est pas besoin d'être une chambre pour être hantée,
One need not be a house ; Il n'est pas besoin d'être une maison ;
The brain has corridors surpassing Le cerveau a des corridors qui surpassent
Material place. Tout endroit matériel.
F a r safer, of a midnight meeting Il est bien plus rassurant de rencontrer à minuit
Ëxternal ghost, Un fantôme extérieur
Than an interior confronting Que de faire face en son intérieur
That whiter host. A cet hôte plus pâle.
Far sager through an Abbey gallop, Bien plus rassurant de galoper à travers une abbaye
The stones achase, En dispersant les pierres
Than, moonless, one's own self encounter Que de se rencontrer soi-même, sans clair de lune,
In loneserme place. Dans un endroit solitaire.
T I M E A N D ETEENITY
LE TEMPS ET L'ÉTERNITÉ 141
Soi-même, caché derrière soi-même,
Ourself, behind ourself concealed, C'est cela surtout qui doit faire tressaillir ;
Should startle most ; Un assassin, caché dans notre appartement,
Assassin, hid in our apartraent, Est le moindre objet d'horreur.
B e horror's least. L'homme prudent porte un revolver,
T h e prudent carries a revolver, Il ferme la porte au verrou ;
1
H e bolts the door, Oubliant un spectre plus redoutable
O'erlooking a superior spectre Et plus proche.
More near.
83
83
Ce monde-ci n'est pas une conclusion';
This world is not conclusion ; Il y a une suite au-delà,
A sequel stands beyond, Invisible comme la musique,
Invisible, as music, Mais réelle comme le son.
But positive, as sound. Elle nous fait signe et elle nous déconcerte ;
It beckons and it baffles ; Les philosophies ne savent pas
Philosophies don't know, Et, à travers une énigme, enfin,
And through a riddle, at the last, L a sagacité doit aller.
Sagacity must go. Deviner quelle elle est, les savants en sont embarrassés ;
T o guess it puzzles scholars ; Pour la gagner, des hommes ont témoigné
T o gain it, men have shown Le mépris des générations
Contempt of générations, Et connu la crucifixion.
And crucifixion known.
86
, 8 6
Nous te couvrons, cher visage,
W e cover thee, sweet face.
Non pas que nous soyons las de toi,
Not that w e tire of thee,
Mais parce que toi-même tu es fatigué de nous ;
But that thyself fatigue of us ;
Souviens-toi, tandis que tu t'enfuis,
Remember, as thou flee,
Que nous te suivons jusqu'à ce que
W e follow thee until
T u ne prennes plus garde à nous.
Thou notice us no more,
Et alors à contre-cœur nous nous détournons
And then, reluctant, turn away
Pour t'observer encore et encore
T o con thee o'er and o'er,
Et pour blâmer le maigre amour
And blâme the scanty love
Que nous nous contentions de témoigner,
W e were content to show,
Augmenté, cher visage, au centuple
Augmented, sweet, a hundred fold
Si maintenant tu voulais l'accepter.
I f thou would'st take it now.
M M E AND ETERNITY EE TEMPS ET i/ÉTERNITÉ 143
142
125 125
128 128
I heard a fly buzz when I died ; . J'entendis bourdonner une mouche quand j e mourus ;
The stillness round my form Le silence autour de mon corps
W a s like the stillnes in the air Etait comme le silence dans l'air
Between the heaves of storm. Entre les éclats d'un orage.
The eyes beside had wrung them dry, Les yeux à côté de moi s'étaient séchés,
A n d breaths were gathering sure Les haleines s'affermissaient
For that last onset, when the king Pour le dernier assaut, quand le roi
B e witnessed in his power. Apparaît dans sa puissance. /
I willed my keepsakes, signed away J'avais légué mes souvenirs, j'avais assigné
What portion of me willed L a portion de moi-même que
Could make assignable, — and then Je pouvais assigner, et alors
There interposed a fly, S'interposa une mouche
With blue, uncertain, stumbling buzz, A v e c un bourdonnement bleu, incertain, trébuchant
Between the light and me ; Entre la lumière et moi ;
And then the Windows failed, and then Et alors les fenêtres s'effacèrent, et alors
I could not see to see. Je n'y vis plus assez pour y voir.
130 130
There's been a death in the opposite house Quelqu'un est mort dans la maison d'en face,
A s lateîy as to-day. Aujourd'hui même.
I know it by the numb look Je le sais par l'aspect engourdi
Such houses have alway. Que de telles maisons ont toujours.
The neighbors rustle in and out, Les voisins entrent et sortent sans faire de bruit,
T h e doctor drives away. I<e docteur part en voiture ;
L
TIME AND ETËRNITY LE TEMPS ET L'ÉTERNITÉ 145
A window opens like a pod, Une fenêtre s'ouvre comme une gousse,
Abrupt, mechanically ; Brusquement, mécaniquement.
Somebody flings a mattress out,— Quelqu'un soudain étale un matelas dehors ; .
The children hurry by ; Les enfants passent à la hâte ;
They wonder if It died on that, — Us se demandent si le cadavre est mort sur ce matelas ;
I used to when a boy. C'est ce que j'avais coutume de faire quand j'était petit
T h e minister goes stiffly in [garçon.
A s if the house were his, Le pasteur entre à pas raides
A n d he owned ail the mourners now, Comme si la maison était à lui,
A n d little boys besides ; Comme s'il était le maître des gens en deuil
A n d then the milliner, and the man Et aussi des petits garçons ;
O f the appalling trade, Et puis voici la modiste, et l'homme
T o take the measure of the house. A u métier effrayant
There'll be that dark parade Qui va prendre la mesure de la demeure.
O f tassels and of coaches soon ;
Il y aura bientôt le sombre cortège
It's easy as a sign, — Des plumets et des voitures ;
T h e intuition of the news C'est une enseigne facile à reconnaître,
In just a country town. L'intuition de la nouvelle
Dans une petite ville de province.
137 137
A toad can die of light ! Un crapaud peut mourir de lumière !
Death is the common right L a mort est la loi commune
Of toads and men,— Des crapauds et des hommes,
O f earl and midge Le privilège
T h e privilège. Du noble et du moucheron.
W h y swagger then ? Alors pourquoi te pavaner ?
T h e gnat's supremacy L a suprématie du moucheron
Is large as thine. Est aussi vaste que la tienne.
139 r
39
A long, long sleep, a famous sleep Un long, long sommeil, un fameux sommeil
That makes no show for dawn Qui ne donne aucun signe d'aurore
B y stretch of limb or stir of lid, — En étendant les membres ou en remuant les paupières,
A n independent one.
Un sommeil sans souci.
W a s ever idleness like this ?
Y eut-il jamais paresse comme celle-ci ?
Within a hut of stone
Dans une hutte de pierre
T o bask the centuries away
Rester oisif pendant des siècles
Nor once look up for noon ?
Et pas une fois ne lever les yeux vers l'heure de midi ?
10
V. T H E SINGLE HOUND V. L E L E V R I E R S O L I T A I R E
12 12
No romance sold unto, Aucun roman que l'on vend
Could so enthrall a man Ne peut captiver un homme
A s the perusal of Comme la lecture
His individual one. D e sa personne individuelle.
'Tis fiction's to dilute L e rôle de la fiction, c'est de diluer
T o plausibility Des choses plausibles.
Our novel, when 'tis small enough Notre roman à nous, quand il est assez petit
T o crédit, —'tisn't true ! Pour être croyable, n'est pas vrai.
20 20
Glory is that bright tragic thing, L a gloire est cette chose brillante et tragique
That for an instant Qui pendant un instant
Means Dominion, Signifie la Domination,
Warms some poor name Réchauffe quelque pauvre nom
That never felt the sun, Qui n'a jamais senti le soleil ;
Gently replaeing Puis doucement elle le replace
In obîivion.
Dans l'oubli.
22 22
His mind, of man a secret makes, Son âme fait d'un homme un secret.
I meet him with a start, Je tressaille quand je le rencontre,
He carries a circumference Il porte une circonférence
In which I have no part, Où je n'ai point de part ;
Or even if I deem I do — Même si je crois y prendre part,
He otherwise may know. Il peut savoir qu'il en est autrement,
Impregnable to inquest, Imprenable à toute recherche,
However neighborly. Si voisin qu'il puisse être.
148 THE SINGLE HQTJND LE LÉVRIER SOLITAIRE 149
26 26 "
The props assist the house Les étais aident la maison
Until the house is built, Jusqu'à ce que la maison soit bâtie,
And then the props withdraw — Et alors on retire les étais,
And adéquate, erect, Et adéquate, debout,
The house supports itself ; L a maison se soutient elle-même,
Ceasing to recollect Cessant de se rappeler
T h e auger and the carpenter. L a tarière et le charpentier.
Just such a retrospect Tel est le souvenir
Hath the perfected life, De la vie achevée,
A past of plank and nail, U n passé de madriers et de clous,
And slowness, — then the scaffolds drop — De lenteur ; puis les échafaudages tombent,
Affirming it a soul. Affirmant que cette vie est une âme.
34 34
Nature is what we see, L a Nature est ce que nous voyons,
T h e Hill, the Afternoon — L a Colline, l'Après-midi,
Squirrel, Eclipse, the Bumble-bee, L'Ecureuil, l'Eclipsé, le Bourdon ;
Nay — Nature is Heaven. Oui, la Nature, c'est le Ciel.
Nature is what w e hear, L a Nature est ce que nous entendons,
T h e Bôbolink, the Sea — Le Loriot, la Mer,
Thunder, the Cricket — Le Tonnerre, le Grillon ;
Nay, — Nature is Harmony. Oui, la Nature, c'est l'Harmonie.
Nature is what w e know L a Nature est ce que nous savons,
But have no art to say, Mais nous n'avons pas l'art de le dire ;
So impotent our wisdom is Tellement impuissante est notre sagesse
T o Her simplicity. En face de sa simplicité.
74 74
This quiet Dust was Gentlemen and Ladies, Cette paisible poussière, ce furent des. Messieurs et Dames,
A n d Lads and Girls ; Des jeunes gens et des jeunes filles,
W a s laughter and ability and sighing, Ce furent des rires, des aptitudes,, .des. soupirs,
And frocks and curls. Des robes et des frisettes. .
This passive place a Summer's nimble mansion, Ce lieu passif fut une agile, maison d'été.
Where Bloom and Bees Où des fleurs et des abeilles .
Fulnlled their Oriental Circuit, Ont accompli leur circuit oriental,
Then ceased like thèse. Puis comme ces créatures ont cessé d'être.
THE SINGEE II0UND
LE LÉVRIER SOLITAIRE I5l
104
104
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106
Dust is the only secret,
Death the only one La poussière est le seul secret,
Y o u cannot find out ail about L a mort, la seule personne
In his native town : Sur qui tu ne peux tout découvrir
Nobody knew his father, Dans sa ville natale ;
Never was a boy, Personne n'a connu son père,
Hadn't any playmates Elle n'a jamais été un enfant,
Or early history. N'a jamais eu de camarades de jeux
Industrious, laconic, N i d'histoire de ses premiers jours.
Punctual, sedate, Active, laconique,
Solder than a Brigand, Ponctuelle, calme,
Swifter than a Fleet, Plus hardie qu'un brigand,
Builds like a bird too, Plus rapide qu'une flotte,
Christ robs the nest— Et elle fait un nid comme un oiseau ;
Robin after robin L e Christ dérobe le nid ;
Smuggled to rest ! L'un après l'autre les rouges-gorges
Passent en fraude vers leur repos.
VI. PLTRTHER POEMS VI. A U T R E S POEMES
6 , 6
I carmot dance upon my toes, Je ne sais pas danser sur mes orteils,
N o man instructed me, Aucun homme ne m'en a instruite,
But often times among my mind Mais souventes fois dans-mon âme
A glee possesseth me Un délire me possède >
That had I ballet knowledge Qui, si je connaissais le ballet,
Would put itself abroad Se déploierait
In pirouette to blanch a troupe, En pirouettes à faire pâlir une troupe
Or lay a Prima mad ! Et à rendre folle une Prima Donna !
And though I had no gown of gauze Et quand je n'aurais point de robe de gaze
No ringlet to my hair, Ni de boucles dans mes cheveux,
N o r hopped for audiences like birds, Quand je ne sauterais point pour les spectateurs comme
One claw upon the air, — [les oiseaux,
Nor tossed my shape in eider balls, Une serre dressée dans l'air,
Nor rolled on wheels of snow Quand je ne lancerais point mon corps en boules de duvet
Till I was out of sight in sound, Ni ne roulerais sur des roues de neige
The house encored me so — A en former une musique invisible.
N o r any knew I know the art Et à me faire bisser par tout le théâtre,
I mention easy here — Si personne ne connaissait que je connais l'art
Nor any placard boast me, Que je mentionne ici avec aisance,
It's full as opéra ! Si aucune affiche ne me vantait...
L a salle est pleine comme l'Opéra !
14 14
Growth of Man like growth of Nature L a croissance de l'homme comme la croissance de la nature
Gravitâtes within. Gravite -à l'intérieur ;
Atmosphère and sun confirm it L'atmosphère et le soleil la soutiennent,
But it stirs alone. Mais elle avance toute seule.
Each its difficult idéal Chaque croissance doit achever elle-même
AUTRES POÈMES
PURTHER P0EMS
18 , 18
21 21
25 25
Drama's vitalest expression L'expression la plus vitale du drame,
Is the Common Day C'est le jour ordinaire
That arises, sets about us ; Qui se lève, se couche autour de nous ;
Other tragedy L'autre tragédie
Perish in the recitation, Périt avec la représentation ;
This the more exert Celle-ci est d'autant plus active
When the audience is scattered, Que l'assistance est dispersée
And the boxes shut, Et les loges fermées.
Hamlet to himself were Hamlet Hamlet pour lui-même serait Hamlet
Had not Shakespeare wrote, Si Shakespeare n'avait pas écrit ;
Though the Romeo leave no record Quand bien même Roméo n'eût laissé aucun souvenir
Of his Juliet, De sa Juliette,
It were tenderer enacted Ce souvenir serait plus tendrement figuré
In the hurnan heart — Dans le cœur humain ;
Only theater recorded L e théâtre a seulement raconté
Owner cannot shut. Que le propriétaire du cœur ne peut être fermé.
27 27
The sprèading wide my narrow hands Etendre toutes larges mes étroites mains
T o gather Paradise. Pour embrasser le Paradis.
35
35
Il est facile d'inventer une vie,
It's easy to invent a life, Dieu le fait tous les jours,
God does it every day — L a Création n'étant qu'un caprice
Création but a gambol De son autorité.
O f His authority. Il est facile d'effacer une vie,
It's easy to efface it, L'économe Divinité
The thrifty Deity N e pourrait guère accorder l'éternité
Could scarce afford eternity A la spontanéité.
T o spontaneity. Les modèles péris murmurent,
T h e Perished Patterns murmur, Mais le plan imperturbable de Dieu
But His perturbless pian V a de l'avant, ici insérant un soleil,
Proceed — inserting here a Sun — L à effaçant Un homme.
There — leaving out a Man.
37
37 Je ne me suis jamais sentie chez moi ici-bas,
Et dans les beaux cieux
I never îelt at home belovv, Je sais que je ne me sentirai jamais chez moi,
And in the handsome skies Je n'aime point le Paradis.
I shall not feel at home I know, Parce que c'est dimanche tout le temps
I don't like Paradise. Et qu'il n'y a jamais de congé,
Because it's Sunday ail the time Et l'Eden sera si solitaire
And recess never cornes, A u x brillants après-midis du mercredi (1).
A n d Eden'll be so lonesome Si Dieu pouvait aller rendre une visite
Bright Wednesday afternoons. Ou parfois faire une sieste
If God could make a visit, De façon à ne pas nous voir, mais on dit
O r ever took a nap —
So not to see us — but they say ( 1 ) I l y a c o n g é d a n s l e s é c o l e s américaines l e mercredi après-midi.
EURTHËR POEMS
AUTRES POÈMES
Himself a télescope
Perennial beholds us, — Que Dieu est un télescope
Myself would run away Qui nous regarde sans cesse.
From Him'and Holy Ghost and A i l Moi, j'aimerais à m'enfuir
But — there's the Judgment Day ! Loin de Lui et du Saint-Esprit et de Tous,
Mais il y a le jour du Jugement dernier.
38
38
Of course I prayed —
And did God care ? Bien sûr, je priais ;
He cared as much Dieu s'en souciait-il ?
A s on the air Il s'en souciait autant
A bird had stamped her foot Que d'un oiseau qui dans l'air
A n d cried "Give me !" Eût frappé du pied
My reason, life Et crié : — Donnez-moi cela.
I had not had, M a raison, ma vie,
But for Yourself, Je ne les aurais pas eues
'Twere better charity Sans vous, mon Dieu,
T o leave me in C'eût été meilleure charité
T h e atom's tomb, D e me laisser dans
Merry and nought L a tombe de l'atome,
A n d gay and numb, Joyeuse et insignifiante,
Than this smart misery. Gaie et engourdie,
Que dans cette poignante misère.
42
42
W e pray to Heaven,
W e prate of Heaven — Nous prions le Ciel,
Relate when neighbors die, Nous bavardons du Ciel,
A t what o'clock to Heaven they fled. Racontons, quand nos voisins meurent,
W h o saw them wherefore fly ? A quelle heure ils ont fui au Ciel.
Is Heaven a place, and Sky a face ? Qui les a vus s'envoler et dans quel but ?
Location's narrow way L e Ciel est-il un lieu, le Paradis un visage
Is for ourselves ; L'étroit chemin de l'emplacement
Unto the Dead C'est nous que cela concerne ;
There's 110 geography. V e r s les morts
Il n'est point de géographie.
AUTRES POÈMES
1Û2 EURTHER PGËÎUS
43
43
— V e r s moi ?
"Unto Me ?"
— Je ne te connais point,
"I do not know you —
Où peut être ta maison ?
Where may be your house ?" — Je suis Jésus, jadis de Judée,
"I am Jésus — late of Judea, Maintenant au Paradis.
Now of Paradise." — As-tu des chars pour m'y transporter ?
"Wagons have you to convey me ? L e Paradis est loin d'ici-bas.
This is far from thence" — —• Mes bras sont un cocher suffisant.
"Arms of mine sufficiènt phaeton, . Aie confiance en la Toute-Puissance.
Trust Omnipotence." — Je suis, pécheresse.
"I am spotted." — Je suis le Pardon.
"I am Pardon." — Je suis petite.
"I am small." — L e plus petit
"The least A u Ciel est estimé
Is esteemed in Heaven L e plus grand.
T h e chiefest. Viens occuper ma maison.
Occupy my house,"
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50
Ma foi est plus vaste que les collines ;
M y faith is larger than the hills,
Aussi quand les collines disparaissent
So when the hills decay,
Ma foi doit prendre la roue de pourpre
My faith must take the purple wheel Pour montrer au soleil son chemin.
T o show the Sun the way. D'abord il s'avance sur la girouette,
' T i s first he steps upon the vane Ensuite sur la colline ;
And then upon the hill ; Puis à travers le monde il marche
And then abroad the world he goes Pour accomplir son vouloir doré.
T o do his gloden will. Si ses pieds jaunes ne marchaient plus,
A n d if his yellow feet should miss, Les oiseaux cesseraient de se lever,
T h e birds would not arise, Les fleurs s'endormiraient sur leur tige,
The flowers would slumber on their stems, Les cloches ne sonneraient plus le Paradis.
No bells have Paradise. Comment donc osé-je restreindre une foi
H o w dare I therefore stint a faith De qui dépend une telle immensité,
On which so vast dépends, De peur que ne me manque le Firmament,
Lest Firmament should fail for me — Le rivet de la chaîne.
The rivet in the bands.
FURTHËR POEMS AUTRES rOÈMES
59 59
When they corne hlack, Quand elles reviennent,
If blossoms do — Si les fleurs reviennent,
I alway s feel a doubt Je me demande toujours
If blossoms can be born again Si les fleurs peuvent renaître
When once the art is out. Une fois que l'art en est passé.
W h e n they begin, Quand ils commencent à chanter,
If Robins may — Si les rouges-gorges peuvent commencer,
I always had a fear J'ai toujours eu une crainte
I did not tell, it was their last Que je ne disais point, que ce ne fût leur dernière
Experiment last year. . Expérience l'an dernier.
W h e n it is May, v
Quand c'est le mois de mai,
If May return — Si le mois de mai revient,
Had nobody a pang Personne n'a-t-il eu une angoisse
Lest on a face sa beautiful Que vers un visage si beau
H e might not look again? Il ne pourrait encore regarder ?
If I am there — Si je suis là, —
One does not know On ne sait pas
W h a t party one may be D e quel groupe on pourra être
To-morrow, — but if I am there Demain, — si vraiment je suis là,
I take back ail I say ! Je retire tout ce que je dis !
71 71
For every bird a nest, Pour tout oiseau il y a un nid ;
Wherefore in tirnid quest Pourquoi donc, en timide quête,
Some little wren goes seeking round ? Un petit roitelet cherche-t-il de-ci de-là ?
Wherefore where boughs are free, Pourquoi, là où les branches sont libres,
Households in every tree, Où il y a des logis dans tous les arbres,
Pilgrim be found ? Rencontre-t-on ce pèlerin ?
Perhaps a home too high — Peut-être désire-t-il une maison trop haute,
The little wren desires. L e petit roitelet.
A h , aristocracy ! — A h ! aristocratie !
The lark is not ashamed L'alouette n'a pas honte
T o build upon the ground De construire sur le sol
Her modest house. Sa modeste maison.
Y e t who of ail the throng Pourtant qui de toute la foule
Dancing around the Sun Qui danse autour du soleil
Does so rejoice ? S e réjouit autant ?
AUTRES. POÈMES 167
FURTIIER POËMS
74
74 Combien de fleurs meurent dans le bois
How many flowers fail in wood, Ou périssent sur la colline
Or perish from the hill Sans avoir le privilège de savoir
Without the privilège to know Qu'elles sont belles !
That they are beautiful ! Combien de fleurs jettent une gousse sans nom
How many cast a nameless pod A la brise la plus proche,
Upon the nearest breeze, Inconscientes de la richesse ccarlate
Unconscious of the scarlet freight Que la gousse porte à d'autres yeux !
It bears to other eyes !
84
84
Les mourants regardent le lever du soleil
The doomed regard the sunrise A v e c une joie différente
W i t h différent delight Car, la prochaine fois qu'il flambera,
Because when next it burns abroad Ils se demandent s'ils en seront témoins.
They doubt to witness it. L'homme qui doit mourir demain
The man to die to-morrow Découvre l'oiseau de la prairie
Detects the meadow bird, C a r la musique de cet oiseau met en branle la hache
Because its music stirs the axe Qui réclame sa tête.
That clamors for his head. Joyeux celui pour qui le lever du soleil
Joyful to whom the sunrise Précède le jour de l'amour,
Précèdes enamored day — Joyeux celui pour qui l'oiseau de la prairie
Joyful for whom the meadow bird Chante tout sauf une élégie !
Has aught but elegy !
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89
Il était d'abord chaud comme nous,
T w a s warm at first like us, Mais un froid se glissa sur lui
Until there crept thereon Comme le gel sur une fenêtre
A chill, like frost upon a glass, Qui fait disparaître tout le paysage.
T i l l ail the scène be gone. L e front copia la pierre,
T h e forehead copied stone, Les doigts devinrent trop froids
The fingers grew too cold Pour avoir mal et, tel un ruisseau où l'on patine,
T o ache, and like a skatei^s brook Les yeux vifs se congelèrent.
The busy eyes congealed. Il "se raidit, voilà tout,
Its straightened — that was ail — Il amassa le. froid sur le froid,
It crowded cold to cold —
FURTUER POEMS AUTRES POÈMES 169
90 90
95 95
Life is what we make it, L a vie est ce que nous la faisons ;
Death we do not know ; La mort nous ne la connaissons pas ;
Christ's acquaintance with him L'intimité du Christ avec la mort
FURTIIER P0EMS
AUTRES POÈMES
ioo ioo
N o crowd that has occurred Aucune foule qui a existé
Exhibit, I suppose,
N'offre, je suppose,
The gênerai attendance
L'immense multitude
That Résurrection does.
Qu'offre la Résurrection.
Circumference be full,
L'espace est plein,
The long-subjected Grave
L a tombe longtemps assujettie
Assert his primogeniture,
Affirme sa primogeniture,
The Dust adjust and live.
L a poussière se compose et vit.
On atoms features place,
Sur les atomes les traits se placent,
A i l multitudes that were
Toutes les multitudes qui furent
Efface in the comparison,
A s suns annul a star. S'effacent en comparaison ;
Sblemnity prevail, Ainsi des soleils annulent une étoile.
Its individual doom L a solennité prévaut ;
Chaque conscience distincte
Possess each separafe consciousness,
Possède son destin individuel
August, resistless, dumb.
Auguste, irrésistible, muet.
W h a t duplicate exist —
Quel double existe,
What parallel can be —
Of the stupendousness of this Quel parallèle peut-il y avoir
T o universe and me ? De la grandeur stupéfiante de cela
Pour l'univers et pour moi ?
122
122
It was a quiet way
C'est d'une façon paisible
H e asked if I was his.
Qu'il me demanda si j'étais à lui,
PURTI-IER P0ËMS AUTRES POÈMES
125 125
I came to buy a smile to-day, Je suis venue acheter un sourire aujourd'hui,
But just a single smile, Rien qu'un seul sourire,
T h e smallest one upon your cheek Le plus petit sur ta joue
Will suit me just as well, Me conviendra tout aussi bien,
The one that no one else would miss Celui que tout le monde obtiendrait
It shone so very small — Tant son éclat est petit.
I'm pleading at the counter, Sir, Je plaide près du comptoir, monsieur,
Could you afford to sell ? Vous voulez bien me vendre un sourire ?
I've diamonds on my fingers-— J'ai des diamants à mes doigts,
Y o u know what diamonds are ! Vous savez ce que sont des diamants !
I've rubies like the evening blood, J'ai des rubis rouges comme le sang du soir,
And topaz like the star ! ^ J'ai des topazes pareilles à des étoiles !
'Twould be a bargain for a Jew — Cela ferait une bonne affaire pour un Juif.
Say, may I have it, Sir ? Alors, puis-je avoir le sourire, monsieur ?
130 130
Love, thou art high, Amour, tu es élevé,
I cannot climb thee, Je ne puis te gravir,
But, were it two, Mais à deux
174 FUETIIEK POEMS AUTRES POÈMES 17
W h o knows but we, Qui sait si nous,
Taking turns at the Chimbarazu, Prenant chacun notre tour au Chimborazo,
Ducal at last, stand up by thee ? Seigneurs, enfin, ne pourrions nous tenir près de toi ?
Love, thou art deep, Amour, tu es profond,
I cannot cross thee, Je ne puis te franchir,
But were there two Mais si l'on était deux
Instead of one, A u lieu d'un seul,
Rower and yacht some sov'reign summer, Rameur et bateau, par quelque été souverain,
W h o knows but we'd reach the sun ? Qui sait si nous ne pourrions aller jusqu'au soleil ?
Love, thou art véiled, Amour, tu es voilé,
A f ew behold thee — Quelques-uns te voient,
Smile and alter, Sourient et changent,
Prattle and die. Bavardent et meurent.
Bliss were an oddity without thee, L e bonheur sans toi serait une chose étrange
Nicknamed by God Eternity. Surnommée par Dieu Eternité !
132 i3 2
T h e love a life can show below, L'amour qu'une vie peut montrer ici-bas
Is but a filament, I know, N'est qu'un filament, j e le sais,
O f that diviner thing De cette chose plus divine
That faints upon the face of noon Qui se pâme sur le visage de midi
A n d smites the tinder in the sun Et frappe l'amadou dans le soleil
And hinders Gabriel's wing. Et entrave l'aile de Gabriel.
' T i s this in music hints and sways, C'est lui qui dans la musique s'insinue et s'éploie,
And far abroad on Summer days Et bien loin aux jours d'été
Distills uncertain pain. Distille une vague tristesse.
'Tis this enamors in the East, C'est lui qui attendrit l'orient
And tints the transit in the West Et qui teint les nuages à l'occident
W i t h harrowing iodine. D'une rougeur angoissée.
'Tis this invites, appals, endows, C'est lui qui invite, fait peur, enrichit,
Flits, glimmers, proves, dissolves, Vole, brille, raisonne, détruit,
Returns, suggests, convicts, enchants — Revient, suggère, persuade, enchante,
Then flings in Paradise ! Puis soudain apporte le Paradis !
133 133
Forever at his side to walk A jamais me promener à son côté,
The smaller of the two, L a plus petite des deux,
Brain of his brain, blood of his blood, Cerveau de son cerveau, sang de son sang,
FURTHER P0EMS AUTRES POÈMES
T w o lives, one Being, now. Deux vies, rien qu'un Etre maintenant.
Forever of his fate to taste, A jamais goûter son destin,
I f grief, the largest part — S'il y a tristesse, la plus grande part,
I f joy, to put my pièce away S'il y a joie, mettre mon morceau de côté
For that beloved heart. Pour ce cœur bien-aimé. • •
A i l life to know each other — Toute la vie nous connaître l'un l'autre,
Whom we can never learn, Nous qui ne pouvons jamais nous comprendre,
A n d by and by a change called "Heaven" — Et "bientôt un changement appelé Ciel,
Rapt neighborhood of men, Voisinage d'hommes joyeux,
Just finding out what puzzled us Et nous découvrirons ce qui nous déconcertait
Without the lexicon ! Quand nous n'avions pas de lexique !
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Although I put away his life,
A n ornament too grand Bien que j'aie écarté sa vie
For forehèad low as mine tQ wear, Comme un ornement trop grandiose
T h i s might have been the hand Pour qu'un humble front comme le mien le porte,
That spwed the flowers he preferred, Cette main que voici aurait pu être celle
Or smoothed a homely pain — Qui sèmerait les fleurs qu'il préfère
O r pushed the pebble from his path, Ou qui adoucirait une modeste souffrance,
O r played his chosen tune Qui repousserait le caillou de son chemin,
On lute the least, the latest, Qui jouerait sa musique choisie.
But just his ear could know Sur le luth, le moindre air, le plus récent,
T h a t what soe'er delighted it Afin que son oreille, reconnaisse
I never would let go. Que ce qui la réjouit,
The foot to bear his errand, Je ne voudrais point l'oublier.
A little boot I know Je serais le pied qui fait ses commissions;
"Would leap abroad like antelope Un petit soulier que je connais
With just the grant to do. Bondirait comme une antilope
His weariest canimandment Pour lui remettre ce qu'il désire.
A sweeter to obey Son ordre le plus sévère,
Than "Hide and Seek," or skip to flûtes, 11 me serait plus doux d'y obéir
Or ail day chase the bee. Que de jouer à cache-cache, de danser au son de la flûte,
Y o u r servant, Sir, will wçary, De poursuivre tout le jour les abeilles.
T h e surgeon will not corne, Votre servante, monsieur, s'activera ;
T h e world will have its own to do, Le médecin n'aura pas à venir,
T h e dust will v e x your fanie. Le monde s'occupera de ses affaires,
The cold will force your tightest door L a poussière tourmentera votre renom,
Some February day, Le froid vaincra votre porte la mieux fermée
But say my apron bring the sticks Quelque jour de février,
T o make your cottage gay, Mais pensez que mon tablier apportera le bois
That I may take that promise Pour réjouir votre chaumière.
T o Paradise with me — Que je puisse emporter cette promesse
T o teach the angels avarice A n Paradis avec moi
Y o u r kiss first taught to me ! Et enseigner aux anges la convoitise,
C'est votre baiser qui lé premier me l'a appris.
ISS
"<55
Only a shrine
But mine ; Rien qu'un sanctuaire,
I made the taper shine. Mais à moi ;
J'ai fait briller le cierge.
AUTRES POÈMES <
FURTHER POEMS ,
Pâle Madone, vers qui
Madonna dim, to whom Tous les pieds peuvent venir,
AH feet may corne, Regarde une nonne.
Regard a nun.
T u connais toutes les douleurs,
Thou knowest every woe,
Il est inutile de te les dire,
Needless to tell T h e e so,
Mais peux-tu accomplir
But canst Thou do
L a grâce qui vient ensuite,
T h e grâce next to it —
Heal > Guérir ?
Cela paraît un art plus difficile,
That looks a harder skill,
Pourtant bien facile, si telle est
Still — just as easy, if it be
T a volonté.
T h y will.
Accorde-moi,
-Grant me —
Mais tu le sais,
Thou knowest though,
Alors pourquoi te le dire ?
So -why tell Thee ?
164
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Quand j'espérai, je me rappelle
When I hoped, I recollect Bien l'endroit où je me trouvais
Just the place I stood Dans une pièce faisant face à l'ouest
In a chamber facing West — L'air le plus rigoureux m'était bon.
Roughest air was goorî. L e verglas ne pouvait me mordre,
Not a sleet could bite me, Le gel me donner froid ;
Not a frost could cool, C'était l'espoir qui me donnait chaud,
Hope it was that kept me warm - - Non point mon châle de mérinos.
Not merino shawl. Quand je craignis, je me rappelle
When I feared — I recollect Bien le jour que c'était ;
Just the day it was — Les mondes nageaient dans le soleil,
Worlds were swimming in the Sun, Pourtant comme la nature était gelée
Y e t how Nature froze ! Des glaçons sur mon âme
Icicles upon my soul Piquaient, durs et froids ;
Prickled raw ,and cool, Les oiseaux chantaient partout,
Birds went praising everywhere, Seule ma voix était muette.
Mine alone was still. Et le jour que je désespérai ;
And the day that I despaired — Ce jour, si je l'oublie,
This i f I forget, Veuille la nature que ce soit la nuit
Nature will that it be night Quand le soleil est couché.
When the sun is set. L'obscurité prendra la colline,
Dark shall overtake the hill, Prendra le ciel ;
Overtake the sky, L a nature hésitera devant
Nature hesitate before Le souvenir et devant moi.
Memory — and me.
EURTHER'POEMS
AUTRES POÈMES 185
172
172
A wife at daybreak I shall be ; Â u point du jour je serai une femme mariée ;
Sunrise, hast thou a flag for me ?
•Lever du soleil, âs-tu un drapeau pour moi ?
A t midnight I am yet a maid —
A minuit, je suis encore une jeune fille ;
H o w short it takes to make it bride !
Comme cela prend peu de temps de faire une mariée !
Then, Midnight, I have passed from thee
Alors, minuit, j ' a i passé loin de toi
Unto the East and Victory.
Vers l'Orient et la Victoire !
Midnight, "Good night 1"
Minuit, bonne nuit !
I hear them call.
Je les entends qui appellent.
The Angels bustle in the hall,
Les anges s'activent dans le salon,
Softly my Future climbs the stair,
Doucement mon Avenir monte î'èscaliêf.
I fumble at. my childhood's prayer—•
Je récite en hésitant les prières de mon enfance,
So soon to be a child no more !
Moi qui tout à l'heure ne Serai plus une enfant !
Eternity, I'm coming, S i r , —
Eternité, j'arrive, monsieur,
Master, I've seen that face before.
Maître, j ' a i déjà vu ce visage.
174 174
A s if the sea should part Comme si la mer se partageait
And show a further sea —
Et montrait une autre mer,
A n d that a further, and the three Et celle-là une autre mer, et ces trois mers
But a presumption be Une simple présomption
O f periods of seas De périodes de mers
Unvisited of shores — Que ne visitent point de rivages,
Themselves the verge of seas to bê — Ces mers elles-mêmes le bord de mers futures,
Eternity is thèse. L'Eternité, c'est tout cela.
VII. ADDITIONAL POEMS
VII. POEMES ADDITIONNELS
14
W e grow accustomed to the dark
When light is put away, Nous nous accoutumons à l'obscurité
A s when the neighbor hold the lamp Quand on éloigne la lumière ;
T o witness her good-by Si la voisine tient la lampe
A moment we uncertain step Pour nous dire au revoir,
For newness of the night, Pendant un moment nos pas sont incertains
Then fit our vision to the dark A cause de la nouveauté de la nuit,
And meet the road, erect ! Puis nous adaptons notre vue à l'obscurité
And so of larger darknesses — Et marchons droit au-devant de la route' !
Those evenings of the brain Il en est de même des ténèbres plus sombres,
When not a moon disclose a sign, Ces nuits du cerveau
Or star corne out, within. Où pas une lune ne montre un signe,
The bravest grope a little Où pas une étoile ne luit en notre for intérieur.
And sometimes hit a tree Les plus braves tâtonnent un peu
Directly in the forehead,— Et parfois cognent contre un arbre
But, as they learn to see, Directement sur le front ;
Either the darkness alters — Puis ils apprennent à voir.
Or something in the sight C'est que l'obscurité change
Adjùsts itself to midnight — Ou bien quelque chose dans la vue
And life steps almost straight. S'adapte à minuit,
Et la vie avance presque tout droit.
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29
They shut me up in prose —
A s when, a little girl, On m'enferme dans la prose,
They put me in the closet Comme du temps que j'étais petite fille
Because they liked me "still." On me mettait au cabinet
"Still !" Could themselves have peeped Parce qu'on voulait que je reste tranquille.
Tranquille ! S'ils avaient pu jeter un coup d'ceil
POÈMES ADDITIONNEES I
ADDITIONAI, POEMS
Et voir mon cerveau qui voyageait,
A n d seen my brain go round, Us eussent aussi sagement logé un oiseau
They might as wise have lodged a bird Pour rébellion dans la cage !
For treason in the pound ! L'oiseau lui-même n'a qu'à vouloir
Himself has but to will, Et alerte comme une étoile,
And, easy as a star, A mépriser la captivité
Look down upon captivity Et à rire. Je suis comme lui !
And laugh. Nor more have I !
31
3i
Jamais il ne cherchera
Never for society En vain la société,
One shall seek in vain Celui qui cultive la connaissance
W h o his own acquaintance De soi-même. D'hommes
Cultivate. Of men Plus sages l'oreille peut se lasser,
Wiser ear may weary, Mais l'homme intérieur
But the man within N ' a jamais connu la satiété.
Never knew satiety, Il vous intéresse plus
Better entertain Qu'une vieille ballade
Than could border ballad Ou qu'un hymne lointain ;
Or Biscayan hymn ; Et vous n'avez pas besoin
Neither introduction D e lui être présenté.
Need you unto him.
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32
J'ai parfois entendu un orgue bavarder
I've heard an organ talk sometimes Dans une nef de cathédrale,
In a cathedral aisle Je ne comprenais pas un mot de ce qu'il disait,
And understood no word it said, Pourtant je retenais mon souffle.
Y e t held my breath the while Me relevant et m'en allant,
A n d risen up and gone away J'étais une jeune fille plus religieuse,
A more Bernardine girl, Pourtant je ne savais pas ce qu'on m'avait fait
Y e t knew not what was done to me Dans cette vieille nef sanctifiée.
In that old hallowed aisle.
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58
Dans une boîte d'ébène, quand les ans ont coulé,
In Ebon Box, when years have flown, Regarder avec respect
T o reverently peer,
ADDITIONAL POEMS
POÈMES ADDITIONNBLS ICI
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81
81
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8 S
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109
T o die takes just a little while —
They say it doesn't hurt ;
Mourir, cela ne prend qu'un petit moment ;
It's only fainter by degrees,
On dit que cela ne fait point mal ;
A n d then — it's out of sight.
C'est s'affaiblir peu à peu
A darker ribbon for a day,
Et puis être hors de vue.
A crape upon the hat ;
Un ruban plus noir pendant un jour,
And then the pretty sunshine cornes
Un crêpe au chapeau ;
A n d helps us to forget
Et puis le joli soleil arrive
The absent, mystic Créature,
Et nous aide à oublier
L a créature absente et mystique
POÈMES A D D I T I O N N E L S 197
•ADDIÏÏONAI, POEMS
Qui, hormis son amour pour nous,
That but for love of us, Se serait endormie au meilleur moment
Had gone to sleep that soundest time Sans éprouver de fatigue.
Without the weariness.
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116
Le matin après le deuil,
The morning after woe, C'est fréquemment la coutume,
'Tis frequently the way, Surpasse tout ce qui arriva jadis
Surpasses ail that rose before En joie entière ;
For utter jubilee ; Comme si la nature n'en avait point souci
A s Nature did not care Et amassait ses fleurs
And piled her blossoms on, Afin d'étaler plus avant une joie
The further to parade a j o y Que sa victime contemplait.
Her victim stared upon. Les oiseaux déclament leurs airs,
The birds declaim their tunes, Prononçant chaque parole
Pronouncing every word Comme des marteaux. S'ils savaient que ces paroles
Like hammers. Did they know they fell [toîritent
Like Litanies of lead Comme des litanies de plomb
On here and there a créature, Sur çà et là une créature,
They'd modify the glee ils modifieraient leur mélodie
T o fit some Crucifiai clef, Selon une clef crucifiante,
Some key of Calvary ! Une clef de calvaire !
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117
120 120
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The Mob withïen the Hear t. La foule à l'intérieur du cœur
I was the slightest in the house, Jetais la plus petite dans la maison,
I took the smallest room, J'occupais la plus petite chambre ;
A t night, my little lamp and book L a nuit, ma petite lampe, mon petit livre
A n d one géranium, Et un géranium.
So stationed I could catch the mint Ainsi placée, je pouvais recueillir la monnaie
That never ceased to fall, Qui ne cessait de tomber,
And just my basket, let me think, Et aussi mon panier, je m'en souviens ;
ï'm sure that this was,ail. Je suis sûre que c'était tout.
I never spoke unîess addressed, Je ne parlais jamais si l'on ne m'adressait la parole,
A n d then 'twas brief and low, Et ma réponse était brève et à voix basse ;
I could not bear to live aloud Je ne pouvais supporter de vivre bruyamment,
T h e racket shamed me so. Tant le tintamarre me faisait honte.
A n d if it had not been so far, Et si la chose n'avait pas été si loin,
And anyone I knew Si quelqu'un que je connaissais
Were going, I had often thought Etait parti, j'aurais souvent pensé
How noteless I could die. Que je pouvais mourir sans qu'on y prît garde.
257 257
The Infinité Aurora. L'aurore infinie
A i l that I do is in review Tout ce que je fais se trouve sous le regard
T o his enamored mind ; De son âme énamourée ;
204 BOLTS OF MELODY F L È C H E S DE MÉLODIE 205
I know his eye where'er I ply Je sais, partout où je m'avance, que son ceil
Is staring close behind. De près me contemple derrière.
Not any port, not any pause Point de geste, point d'arrêt
But he doth there préside — Qu'il n'y préside ;
What omniprésence lies in wait Quelle omniprésence est à l'affût
For an impending bride ! D'une prochaine mariée !
260 260
276 276
The world stands solemner to me L'univers est plus imposant pour moi
Since I was wed to him ; Depuis que j e suis mariée avec lui ;
A modesty befits the soul Une modestie convient à l'âme ;
That bears another's name ; Qui porte le nom d'un autre ;
A doubt if it be fair indeed Un doute s'il est vraiment juste
T o wear that perfect pearl De porter cette parfaite perle
The man upon the woman binds Que l'homme noue à la femme
T o clasp her soul for ail ; Pour agrafer son âme aux yeux de tous ;
A prayer that it more angel prove, Une prière qu'elle soit plus angélique,
A whiter gift within, A u oœur un don plus immaculé
T o that munificence that chose Pour cette munificence qui choisit
So unadorned a queen ; Une reine si pauvre ;
A gratitude that such be true — Une gratitude que cela soit vrai ;
It had esteemed the dream 1
Mon âme avait estimé le rêve
Too beautiful for shape to prove Trop beau pour qu'il prenne forme,
Or posture to redeem ! Pour qu'un geste le rachète.
BOLTS OF MELODY FLÈCHES D E MÉLODIE
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389 389
393
393
Under the light, yet under,
Under the grass and the dirt, Par-dessous la lumière, encore par-dessous,
Under the beetle's cellar, Par-dessous l'herbe et la boue,
Under the clover's foot, Par-dessous la cave du scarabée,
Further than arm could stretch Par-dessous le pied du trèfle,
Were it giant long, Plus loin que le bras ne pourrait s'étendre
Further than sunshine could S'il avait la longueur d'un géant,
Were the day year long - r Plus loin que l'éclat du soleil
Over the light, yet over, Si le jour avait la longueur d'une année ;
Over the arc of the bird, Par-dessus la lumière, encore par-dessus,
Over the comet's chimney, Par-dessus l'arc de l'oiseau,
Over the cubit's head, Par-dessus la cheminée de la comète,
Further than guess can gallop, Par-dessus la tête de la coudée,
Further than riddle ride — Plus loin que ne peut galoper la conjecture,
Oh, for a disk to the distance Plus loin que ne peut chevaucher l'énigme,
Between ourselves and the dead A h ! je cherche un disque vers la distance
Entre nous et les morts.
429
429
There is a morn by men unseen,
Whose maids upon remoter green 31 est un matin que les hommes n'ont pas vu,
Keep their seraphic May, Où des jeunes filles sur des pelouses lointaines
And ail day long, with dance and g Célèbrent leur mai séraphique
And gambol I may never name, Et à longueur de journée avec des danses et des jeux
Et des ébats que je ne saurais nommer
210 BOLTS 0 P MELODY FXÈCHES DE MÉLODIE 211
END FIN
TABLE DES MATIÈRES
Introduction ... 5
Poèmes d ' E m i l y D i c k i n s o n :
I. La Vie. Life 65
II. L a Nature. Nature 81
III. Amour. Love 105
IV. L e T e m p s et l'Éternité. T i m e and E t e r n i t y . 125
V. L e lévrier solitaire. T h e single h o u n d . . 147
CHANTENAY, IMPRIMEUR
(ÉDITIONS MONTAIGNE)
N ° d'impression 1536.
N» d'édition 845.
D é p ô t légal, l « t r i m . 1956.
Imprimé en France.
X.ITTÉKATUEE ANGLAISE
• GLUSC'i iO"i BiLiaGUli
l t S l'illllllMIMIlJI IS I V I 1 I S I H . M.illllil .. •
A i 1 i s il I i \ i i s m u li ( u i i it i
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L o i liiD(.i'. - l i r t ' . f - r i / » . " o ^ / i ' •> vî t i ' H IIIJÎ' s t >
V \ . C n v h i i ' - i F . — l e Tr'mn il.i ilo-it.e l\ Hijcuii)
1
k . l N S l ) N . - - l'ui IIH •> l / l W > H i l ' - M l - . M i l » •• •
1
1)|INM - l'OUUt* f/.illM» ' I . If.fi.IIM
DlMDLN - l'tn tut\ < / w i » . f" Ij'ïiUllSI
. 1 M I n « o > . - - J . ' l n n anglti'ic (M. hii'Umi
"î l ' i l L O . — Le ( H'III fr//^" ( ï i ] ) ! • I l l l
•'• \ « . r i x i i . N . —(unies i ( i i C i " l i n
KC*I"Î — / ' m ' / n f i t A m w t (A LaiTa} i
•.•h n . o i n , M t i . m t . - /.<• .'(< i . i d n <( ( - ' . ' î u < \ i - M D u b o i s !
\ I » " . H J » I ' i ( I I < I M « . — / / m el l.iiiium l]-li l'nili
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V ' i ' r u k . " - - I' IUgro, Il | ) f i n d « u i , Snin^fii tgomi'c» IT. D c l . i t l r f ) .
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