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GEORGES DIDI-HUBERMAN
de Balzac, 1985.
LA PEINTURE INCARNÉE, suivi de Le chef d'œuvre inconnu par Honoré
DEVANT L'IMAGE. Question posée aux fins d'une histoire de l'art, 1990.
CE QUE NOUS VOYONS, CE QUI NOUS REGARDE, 1992.
L'ÉTOILEMENT. Conversation avec Hantaï, 1998.
R Gar
betta et M. Morgaine). Ed. Adam Biro, 1994.
SAINT GEORGES ET LE DRAGON. VERSIONS D'UNE LÉGENDE (avec
19 65334-l(-
-ISBN 2-7073-1628-8
APPARAISSANT, DISPARATE
recherche en tant que demande quant au savoir -, elle en fait raissante, si ténue soit-elle, mériterait sa propre monographie,
don ailleurs et autrement : dans une ouverture heuristique, son propre livre Du moins en sort-on avec le sentiment de
dans une expérimentation de la recherche en tant que ren n'avoir pas tout oublié.
2•
déjà, que nous ne comprenions pas encore. A ce moment, la joujoux, textes mystiques, fragments de tableaux, insectes,
désorientation de l'accidentel fait apparaître la substance taches d'encre, récits de rêves, comptes rendus ethnogra
même du parcours, son orientation la plus fondamentale. phiques, sculptures, plans cinématographiques, et la liste ne
Devant ces choses fortuites - choses de passage, mais saurait être close - sous la rubrique Phasmes. Comme si les
choses apparaissantes -, nous prend soudain l'envie dérai animaux sans queue ni tête que sont les phasmes pouvaient
sonnable de tout abandonner et de nous consacrer, sans perdre donner leur nom à la classe indéfinie de ces menues choses
une minute, à leur pouvoir de fascination. Légère angoisse, à apparaissantes, évidemment en prise sur la souveraineté du fan
ce moment, d'oublier trop vite leur poésie intrinsèque, de tasme. Comme si des animaux sans queue ni tête pouvaient
reclore trop vite leur capacité à provoquer, à ouvrir une pen donner leur nom à un genre acczdentel de connaissance et
sée. Légère angoisse symétrique de mettre en danger la cohé d'écriture. Qui trouverait peut-être à se situer entre le mou
rence du parcours que cette chose fortuite vient tout juste d'in vement cristallisateur du document (comme un symptôme
terrompre. d'objet, émis depuis le réel) et celui, plus erratique et centri
La solution, fatalement imparfaite, consiste à offrir quelques fuge, de la disparate (comme un symptôme de regard, émis
heures, quelques pages tendues vers cette connaissance acci depuis l'imaginaire).
dentelle : façon de marquer sa dette à l'égard de la générosité Le risque est évident (mais s'y dérober serait, une fois de
propre aux choses apparaissantes. Façon, aussi, d'expérimen plus, sauver les meubles de la présentation académique) : il
ter sa propre position de regard - saisir et être dessaisi - concerne, non seulement l'unité de la recherche, mais encore
face à une telle générosité. Façon, enfin, de reposer la ques
tion d'une écriture qui, à chaque fois, devrait pouvoir
s'involuer dans le style même de l'apparition. Mais de telles 2 . Un seul parmi les textes brefs versés dans ce recueil (in/ra, p. 217-227) a
légères, trop elliptiques, tant il est vrai que chaque chose appa-
G. Didi-Huberman, Le Cube et le visage. Autour d'une sculpture d'Alberto
Giacomettt� Paris, Macula, 1993.
12 PHASMES
RESSEMBLER
1
LE PARADOXE DU PHASME
règne habituellement dans ces lieux - qui sait si les bêtes les
plus méchantes ne seraient pas aussi les plus silencieuses ?
Aujourd'hui, cependant, le vivarium retentit de charmantes
petites clameurs : un enfant s'y amuse à frapper de l'ongle,
voire des poings, contre cette vitre qui le sépare à peine d'un
grand scorpion noir. Puissance véritable que donne la vitre,
16 RESSEMBLER LE PARADOXE DU PHASME 17
frontière sûre et frontière invisible : l'enfant jubile devant le tique m'eût contraint de décréter cette vitrine-là vide de tout
faux danger. Sa main contre le verre caresse un dard mortel, animal. Or, la suivante - phasmes encore -, avec ses
d'une caresse théorique et fascinante que lui permettent feuillages pour moitié pourris (signe d'aban
quelques millimètres seulement de dure transparence. Tout à brun, ne recelait ni la tête de quelque serpentdon) et virant au
, ni la queue de
l'heure, l'enfant brisera net, en constatant que la vitre est fen quelque scorpion... Pas âme qui vive, pour autant que l'âme
due : l'animal ennemi, lui aussi, caresse la frontière, mais c'est se puisse signaler par une tête ou par une queue.
pour y franchir la faille dans l'autre sens, et c'est bien sûr pour Mallarmé, dans sa préface au << mystère >> d'Hérodiade,
se venger de toi, enfant coupable, enfant inquiet. _
nomme - substantivemen t apparue la tête coupée de saint
Toujours le vivarium exhibe un décor, minéral ou végétal. Jean-Baptiste lorsque, déposée sur cette << vacuité louche
muette d'un plat >>, sa terrible hantise commence juste d'yet
-
un mot qui, pour une raison quelconque, peut être présenté par
cette image. Ainsi réunis, les mots ne seront plus dépourvus de
sens, mais pourront former quelque belle et profonde parole. Le
rêve est un rébus (Bilderriitsel), nos prédécesseurs ont commis la
faute de vouloir l'interpréter en tant que dessin (als zeichnerische
Komposition) 1• »
eu ses , p � bles,
oins. vraisembla plctu- _inusée hongrois des Beaux-Arts, XXIV, 1964, p. 47-64. A. Chastel, Musca depicta,
- . plu s ou mo ms s de l'illusion , met
es - sur les pouvmr
'Milan, F. M. Ricci, 1984.
ou moms aP_ocrypfhort e la .mperiedeexsaercpercep
tro ee 4. L. Bufiuel et S. Dali, «Un chien andalou», La Révolution surréaliste, n°
raie : pouvoirspect s sl s, dit-on, qu em en t, ex 1ge a nt . - 12, 1929, p. 35-36 : « La femme s'approche et regarde à son tour ce qu'il a dans
le cor�s d u a t eur en mo uv tilité. Ma ls tent d'un trou noir. [. .] Quand le personnage est sur le point d'atteindre la jeune
.
la main. G. P de la main, au centre de laquelle grouillent des fourmis qui sor
qu �' e le ser , ag e. � ll� �! nte spon;anément d'é vacuer disparaît dans la chambre contiguë, mais pas assez rapidement pour pouvoir
à de po uss ier er 'Im ,lt surtout comme obstacle ou ·mtru-1 prisonnière, prise par le poignet. A l'intérieur de la chambre, serrant la porte de
s'enfermer. La main du personnage ayant réussi à passer par la jointure y reste
d'affronter l 'autre. Il
7. A. Breton, Mant/este�· du surréalisme (second Manifeste, 1930), Paris,
Gallimard, 1979, p. 146: «Nous ne parlons si longuement des mouches que parce semble que Jam. ais
.
que M. Bataille aime les mouches. Nous, non : nous aimons la mitre des anciens trouver en face de l 'im nous ne pourrons nous
. age grand '
10se d 'une decompos1t10n
évocateurs, la mitre de lin pur à la partie antérieure de laquelle les mouches ne se "'·''Pltsqtle Intervenant à chaq ue souff1e dont
�
. .
posaient pas, parce qu'on avait fait des ablutions pour les chasser. » vie que nous préférons, est pourtant le sens
mêrne
nous ne savons pourquoi
, à celle
32 RESSEMBLER IMAGES-CONTACTS
33
d'un autre dont la respiration pourrait nous survivre. De cette
image nous ne connaissons que la forme négative, les savons, les
brosses à dents et tous les produits pharmaceutiques dont l'ac·
cumulation nous permet d'échapper péniblement chaque jour à
la crasse et à la mort. Chaque jour, nous nous faisons les servi�
teurs dociles de ces menues fabrications qui sont les seuls dieux
d'un homme moderne. Cette servitude se poursuit dans tous les
lieux où un être normal peut encore se rendre. On entre chez le
marchand de tableaux comme chez un pharmacien, en quête de
remèdes bien présentés pour des maladies avouables 8. »
vous pourriez ê
silhouette n'est pas une ombre projetée, mais un contact -
·
tenté de rn obJecte C
t
.,
•
ment de toucher - n'a pas vraiment touché la mouche. Il y tian vous appele �
li i o Je 1 a p � ��� �;
elle
senta
extenston. [ ] Car,
mienn e- et 1·e l'ai 1.u selon
a eu l'interposition de la vitre, comme ailleurs il y aura l'în 5t"f' ' -
1 lee
' � la
� = f �:: � �
JOue omme ne
que là où dan 1 l . .'
chimique, d'une matière de frottage, d'une machinerie il est homme, et îl
· s t
..
� c7p on de ce mot
conque, d'un montage, d'un dépli où s'écarte le co;"fulct .. où il joue •. » a ait omme que
là
images-contacts ne sont donc pas des images
.
(genre qui, d'ailleurs, n'existe probablement pas). Plutôt . année, à l'approche de l'Épiphame,
. se
. la place
images qui imposent à la distance optique un ., en une bJ"en cuneu fo1r Navone
symptôme d'adhérence, en sorte que nous puissions sentir romain, avec ses fa ades raffme . , e.e , L'ecrm
, · solaire du
cher notre voir. Ou qui imposent au contact physique le et ses fontaînes de lég�nde, dIspar : son antique plan
.
Invra an en quelq ues )ours
- tranchant ou inframince - d'une mise à distance ag<en,céç , isemb lable de c h oses si. nombreus
·
qu'il faut
1943 (éd. 1992\ /2��q;{1 ��;;:em�/1795), trad.
Lettres sur l'éducation
e h,
A ubier. R
.
RESSEMBLER REVENANCE D'UNE FORME 37
36
p etit Jésus et la munificen ce tagnes de <<Mars>> ou de << Twix>> ; Pinocchio en tous for
la nms san ce
pour bien feterois mages. Tout ce qu'il faut pour
•
du s'amuse e r, fair mats avec Goldorak transformables ; panoplies de gladiateurs
. avec voitures électriques; carbone dolce - ces magnifiques
A
.
A
La fontame e ut scultte,� �a G ovanni Antonio Man u- en ballons de football; barbes à papa avec mitraillettes à eau ;
de savoir qu'ell � � disparaît derrière le lll:o balais de sorcière avec masques pour la Guerre des Étoiles;
ode l e d u er i es bouquets de fleurs sèches avec maquettes de bombardiers ;
1654 sur un. m
des coc h ons r oses du manège, des cit.rowll marionnettes napolitaines avec tracteurs télécommandés...
vement 1anC1n d s che aux capd��çonnés des camlO uee
ant ns d
sans compter les chaussettes géantes remplies de bonbons, les
de Cendrillon, hehc ; opter� es pseudo-Ferrari,petits chaq
pompiers, uee des re tint am arre. Là, . et jeux de fléchettes, les étals de sucre d'orge, les cochons en
, de so n P : P
<< figure» do quelques dlO sla. ques grand-mères nap yeux) ohtam es plastique, les guitares miniatures ou ces géantes écharpes en
grands, voire . ;'Y mmutes de mes propres réglisse qui pendent aux plafonds des baraques. Sans comp
al· v u il a cmq
(comme Je l' s'étomdls. dent u hme de ritournelies satu
y - ter l'Internationale des pistolets, des animaux en peluche et
et
s'esclaffent autre pomt e vu� �maîs à condition de lever des poupées Barbie.
rées. D'un menton au dessus de la foule - la fontainepein des Mercato di figurine, donc : un désordre festif et figuratif, un
très haut son ;œuvre du Bernin' fmerge à e bric-à-brac où les enfants sont rois, une kermesse à inlages.
Quatre F Ieuve s , che f -d leine de vrale p
. aill e et de importe que ces images, une fois acquises dans notre main
d'une crèche en gran deu r nat ure,
. s, sorte de "basse-cour pour persoennage
p s en car- : ri�� ;���;��� de près, se révèlent si <<pauvres>> (grossièreté de
fausses rumechée es qu lw. 1ance un légèreté du plastique, laideur du coloris). Ce qui
des pleces de 'tm-on onnai munificence est leur agglutination, leur nombre inca!
ton-pât. e jon
d Sans dout e vol en core l'obélisque cen- ue : •cwao1e, leur entassement, leur exposition saturée qui - sous
enar
pubhc gogu taine, la mam du <<Rio de la Plata>> tenddans guiirlandes multicolores, les boules de Noël et les clochettes
on . . e h t du palmier scu1pte'
·
tra1 de 1a f de Borromml,
·
vers l'église 1
� ais ju ste au-dessous,tris'effi i/dorées - les fait ressembler à des autels baroques. Même les
arm om s d a p l ·
la pierre, les fouillis� e l:: ions �t de câbles élec en ques, : j:)!JOs•es à manger sont ici figuratives : le chocolat se vend sous
loche tout un appent les /umets gras d'une porchetta de faux sesterces, le sucre d'orge sous forme de fausses
tandis que s'éch �)onnes, les gelées synthétiques sous forme de fausses tétines.
Pleine cuiss on. v . sueIle qui, de loin, confi ne !u�:�� étals sont remplis des· traditionnelles figurines en
. d one . Une
Une .f01re, poz'kilon d'un vers!colore . masse 1 . ou " me ,d le- ia qui imitent fruits et légumes avec la même effica
au subi.1me d'unresque chaque objet · ttelle. me: nt, · donc le même imperceptible décalage, la même frange
, rega rd'e it,,\lvidporam K;irtqu.iétanl:e étrangeté>>- que les figures de cire au musée
val, mals ou P mauvaiS. gout sl'd'eral et très contem . .
.
'
, '1e d'un
se reve . sur, n'admet pas de classl'f'1cat1cri:ar 0n.
A
ment, b�en
tel entasse au plus re arq:'er que les couleurs sesdles.
A
;:
pourrait tout les chosesr;>a volt, et le sucre dans les cho
'
dominent dans .!ston· en, icl, éprouver,a sans doute quel que ve:rtütè
manger. Lh . lement, c lon - devantel t un ]:>ensi'e me traverse, au milieu de cette foire à images,
effroi ou é';'e rve!l �;�i��s, devantla Fort un W'admti!. ici, aurait eu probablement l'esprit- son esprit
désordre de V!achra Slons et de . tea �fques roues de une et d'anthropologue nietzschéen - en alerte et les
_
d
� sme
Disn. ey; angesdedelaRa]Jhai ''l>ror•rl.< ouverts. Comment, au milieu de ces chevaux de
bruyant de �
monstres
l'a
sortis du erme � � alt ces effigies sans nombre, ne pas penser au mercato
farces et attraohes., , olives sorcières que constituait, à la Renaissance, l'agglutination des
avec araignées de en p l astiq ue n siciliennes devant l'image miraculeuse de la Santissima
avec . Ba tman
, tra d'tio
1 nn elle pizza bianca avec des
machmes a
•
pop -corn .
RESSEMBLER REVENANCE D'UNE FORME 39
38
n
pas voir dans cette faço
Ann unzia ta 2 ? Comment, donc , ne solennelle et bar
Befàna une « coutume
romaine de fêter la que Warburg reco nnais sait déjà dans
alogu e à celle ne pas
bare >> an
ntin e de fêter l'An nunziata 3 ? Comment ême
la façon flore ocessus de sécularisa
tion >>, au m
songer au même << pr de profane » pour des choses qui
mon
<< terrain de jeu du religieuses 4 ? Comment ne pas recon
demeuren t avan t tout es >> et de
mêm e nœu d de << résurgences philologiqu de cir
naître ce d'<< arts
dans une telle kermesse
<< racines populaires » n'y pas constater ce même tress age de
constance >> ? Comment ire et [de] l'élément
romantique
ent enfan tin-po pula ies » que
<< l'élém magie fétichiste des effig
e cette m ême << laire » de
artistiqu »,
seule ment dans l'art << popu
Warburg dé couvr it, non uctions l'en-
de
e, m ais enco re dans les plus hautes prod
Florenc
le Magnifique 5 ?
tourage de Laurent le musée ?
secret entre la foire et tombé là
Y aurai t-il donc un lien
ne où,
figurine de la place Navo ctions vaticanes
Entre ce mercato di les colle
bule sans but, et
par hasard, je déam le but par excellence,
le tesoro delle
com me
visitées ce matin ? Et comment
artisti ques ? Mais où discerner un tel lien théorique ?
aussi
vacarme , une question
figure
soutenir, dans un tel son chemin : l'histo ire de l'art elle
t, la qu estio n fait iolée de choses
Pourtan comme une masse bar culations et
n'app araît -elle pas
même et de changements,
de cir
et d'événements, d'états ment, dans cette masse, voir le deve
de rumeurs ? Mais com pas seulement se demander ce que
aut
nir des formes ? Il ne f les formes. Il
nnen t , m ais aussi comment deviennen t di,,u:·<br•ent
devie
seule ment se dema nder comment elles se
faut pas ment, en se
l'esp ace et dans le temps, mais aussi com propre
, au rP<'""'; <
dans r
elles transforment leu
tribuant sans cesse, ort à l'usag e, à la valeur
rapp
anthropologique, leur ment les fo,rmes
fau t pas seule m ent se demander com
Il ne
florentine. DomeiU<
du portrait et la bourgeoisie
2. Cf. A. Warb
« L'art son
urg, Laurent de Médicis et de
ndaio à Santa Trinita. Les portraits de , Klincks iek, 1990,
Ghirla Paris
Muller, Essais florentins, ée et resserr1bla
rage » (1902) , trad. S. uberm an, « Ressemblance mythifi
et 124 -127. G. Didi-H
le vif" » , Mélan ges de
110
Vasari : la légen de du portrait "sur 2, p. 405-4 32.
oubliée chez
Italie et Méditerranée,
CVI, 1994, no
française de Rome - art. cit., p. 109.
« Lart du portrait»,
3. Cf. A. Warburg,
et 123.
4. Ibid., p. 107
121, 123.
5. Ibid., p. 109, 118,
RESSEMBLER 41
40
Plus d'un outil qui
gsprozesses weiterlebt).
laufenen Entwicklun la survie de l'humanité
la fronde, 1' arc ou
combat
le dur pour
trouve sa source dans la crécelle, est deve
nu,
exemp le lit
primitive, par pour enfant s. La vieille
s culturel, un jouet cours
dans notre univer des chev aliers des
e, qui fut la lecture
térature romanesqu dans les couches les plus
basses
plus que
médiévales, ne subsiste sous forme de livres popu
aniques et latines,
des sociétés germ ertures bariolées et cria rdes,
, le démon de
alors que vient frapper, une fois encore rd
C'est
to romain, ce sont d'abo ns
\:analogie. Les figuri ne du merca artisa
crèche . Des
les figurines de la
Epiphanie oblige - baraq ues et proposent
nap olitai ns ont installé leurs
locaux ou es en miniature
ons des personnages bibliqu
différentes versi a faire office
qui, dans l'inst allation familiale, pourr
avec tout ce palmiers, cha
de comp osition : ruines orientales,
de décor et ns, pastèques,
peau x de moutons, poules, dindo
meaux , trou quelquefois
oque s ... Tout cela en terre cuite -
angelots bar ion y demr�ure
-, et riche de couleurs vives . La tradit
plastique de la ville et de la
les petits métiers
vivace de représenter
légumes du marché.
pagne, les fruits et les é en mrnilrtu.rec
de ce marché en abyme - march
Au milie u apparaît sou<datn
é réel de la place Navone -
dans le march xte de sm1nnes
absol umen t étran ge dans un tel conte
une form e Forme étranr>e
et de culte du nouveau-né (fig. 6).
familles moins qu'une
qu'elle semble un peu .
soi, d'abord parce indéfin issable, 11nnoo<}lle
tas. Une mass e oblongue,
Plutôt un ement pâXetJse
e à la fois, bizarr ement contournée , vagu
et agité on dire : moins
miniature, pourrait-
De l'informe en terre cuite
ur. C'est fabriqué en
centimètres de haute nu. Cela semble
et verni d'un rouge plus soute
peint
extrême mauvais goût. connais par
ruité formelle, je la
Or, cette petite incong de la foule
Je la reconnais ici ?
milieu
rusquement - au
qui appr oche - avec la ser1s ati<
e vers l'Epip hanie
rée, tendu
trad. É. Pommier,
Histoire du portrait en cire (1911),
7. J. von Schlosser,
Macula , 1997, p. 8.
42 RESSEMBLER lŒVENANCE D ' UNE
43
FORME
..
e re;ou ,ement même l' oublt'
s de sa ge,ne,alogie co
''·� mm e de'
Pichois, Paris, Gallimard, 1975, 1, p. 581-587. W. Benjamin, Paris, capitale
9. Cf. C. Baudelaire, « Morale du joujou » (1853), Œuvres complètes, éd. "lltation de'gouta
. ' ntes.
à cet oubli une coh , .
xrxe siècle. Le livre des passages, éd. R. Tiedemann, trad. J. Lacoste, Paris, ,
erenc e semantique ou ico-
.
minima1e, il aura d ' atlleu
Cerf, 1989, p. 65-87, 704-708, etc. S. Kracauer, « Das Ornament der rs fallu procéder à
(1927), trad. angL T. Y. Levin, The Mass Ornament. Weimar Essays, Cambridg un
Londres, Harvard University Press, 1995, p. 75-86.
44 RESSEMBLER lŒVENANCE D 'UNE
FORME
45
autre déplacement, qui n'est pas d'échelle, mais de référence. lu - et annoté 12 - l'
oAenologie du dégoût
n. - essa1 etonnant d'A
. •
Dans les ftgures votives étrusques, les viscères sont humains. ure l Kolnai sur la
d
phé-
.
Ce sont des humains qui ont modelé dans la terre cuite une u
e l'.unp essJon
par�ounr cet essai, on retir
forme pour leurs propres souffrances charnelles, l'image .. u .degout serai
tion d� 1 ,art, a; la
t à la ques]' que le p roblème
votive se référant par définition au lieu de la guérison sou c� que le problème de question esth étiqu
e
haitée : la forme est construite - fût-elle paradoxale,
amorphe, viscérale - pour faire apparaître en l'humain << là
B!nswanger - est à la
� y lq e en général : que :��� � !
� se
;-::- se on Heidegger, p ui;
r a la question
d r� 1
à savoir un << rn Ontolo
o
où ça fait mal >>. Et le dieu aux pieds de qui l'image sera dépo
sée est prié d'agir contre cela, de faire médecine. Dans la figu
e a situation
», une << rév"la .
dédie, non par
hasar d
���!a e on
. ;un_ental du sentiment
rwileg1ee de l'êt
. re-là 14 ».
rine chrétienne, au contraire, la médecine est devenue très Plt enti
. entr e dégoût �t ang . i� er de son livre à
moralisante et très métaphorique : nativité égale rédemption Disse . Ses anal
·
viscérale que son animalité pure - son non-sens fondamen j'en s persuadé, ètre
. de descriptions
di/tgurine : <<
de cette pug lues comme
tal, sa valeur de symptôme, sa simple nature de chairs expo
.
. nante p etite forme
danse Vltale abstra du mer-
vtta1e », ou bien
.
sées. Et c'est, logiquement, dans un contexte d'accessoires de
-
boucherie boudins, saucissons, tranches de bœuf, morceaux »... La revenance
<-< "bflc "
lte démonstratiV
. b'rac lnextnc
. � a-
e mais sans
:
·
able de la
·
dans la plaie, je veux dire dans un cauchemar typique de prendre une Sing
ularité minuscule,
toire de l'art traditionnelle. Ce cauchemar est celui de
sentielle, de la fondamentale participation des /ormes vzsuez:te
au dégoût. S'il faut parler d'une << efficacité
- comme Lévi-Strauss a pu parler d'une << efficacité
ligue » en général 11 -, alors il faut commencer par
ger la répulsion autant que l'attraction, les images faites
éloigner autant que les images faites pour attirer. La
de l'informe ou de l'abjection n'est pas plus << cotltemr>orain<
qu'une autre en ce domaine, comme l'imaginent assez
ment les critiques d'art qui découvrent la chose chez
artistes d'aujourd'hui. Bataille, de cette question, avait
pris le caractère essentiellement anthropologique, lui qui
18. Ibid., 1, p. 1 .
6
ts;,�t;�:}�:;���;��'
tout le jour il en faisait des tresses, en marmonnant
une phrase incompréhensible. Il s'essayait,
�� prononciation de cette phrase, de toujours inspi-
donnait à tout son corps un rythme étrange, presque
à voir. Il s'imaginait peut-être qu'il absorbait avec l'air
la substance de ce qu'il proférait. Il s'imaginait peut-
mangeait la lumière du lieu. Il détestait ce moment,
're1;piratior1, où l'on rejette son souffle, car il avait alors
de se de retomber, de recracher dans l'air
·
araît discrètementcom done renoncé pour 1'll vie . a, toute sensuelle fluidité,
divin>> - y appt par hes qui posed'une nt son
pitres ou plutôpages agrap seul emen t, au milie u foule de noms
doute :
comm e s avatt
,�puré, unique, intact devoulu l'anc
garde� 1e souve
.
renne tmmersion
en quel ques anges que lui,desans . vou
étranges , noms d'hom mes aussi étr
doque, Jean assius,athos
Carp ,. qm. l avait, fait naître Il '
aurait 1 u ne p1us J·_amrus.
Cassie n, Hés ychiu s, Nil, Dia Jean qt;t· avait. eprouvé l'ivresse d'u?e _seu1e plongee. Le
·
Évagre, esse, Maxime le Confesseur,cdic Thal reVIent toujours dans ses rar�s ecnts est le mot. nèp-
Théodore d'Éd n, Thé ognos te, Élie l'E os, Théophane signifie la sobriété et, au-dela ' une esp'ec� de jeune A
Dam ascè ne, Phil émo cène, Macaire,pte,Sym éon le
Pierr e le D amas e du corps et jeûne de l" me. Le dessein en était
helle , atos, Théole Calliphor
Nicé
.·
de l'Éc en, Nicét as Stéth parfaite vigilance . œil ;�u��urs ou,vert, œil pur.
Nouve au Thé ologi mas,
ire Pala Syméon ste
l'Hésichaste, Grégoi re le Sinaite, Grégo e Cata phygiotès, petit à petit dévêt� rejet ' ��bU1ll, ". comme peau
hop oul<?ï, Callist son troisième Chapztre de , la rzete, Philothée Je
Igna ce
alo
des Xant
niqu e, Mar c d'Ep hèse , Maxime le Cavsocalybite... �Jd:tOrite son lecteur mais a qut. s,adresse-t-il, lU1" qut.
Théss recouverts de, sable a, sa mort . ? , il
_
L:homme dans une grande vasque de marbre s� nourrissait-il que de f�r�es petnftees evoquant
jour plongé refractant la 1umiere " : ce sont les gouttes durcies
XIII, 439, du XIVe siècle d'arbre. Elles ont r la transparence et la couleur de
1. C'est le manuscrit
Nanian us 95), folios
Marcianus gr. C.I.II!LX
93t0 -125r0 , compr ena
d'autres copistes, d'
nt
autres
quat
époq ues - setr(���;����:���
re de ses écrits . dureté ne LODd pas rnais· s'.emiette dans la
faut une longue masticatton
"
·
� '
que l'édition des écrits un incend ie.
dans
entièrement détruite
par Migne, ait été
«*v �\
52 APPARAÎTRE . CELUI QUI INVEN
TA LE VERBE << pHOfü
. GRAPHIER >>
53
son suc amer. Les auteurs latins ont nommé cela gutta, en l'as .. Ce sont les corps
sociant aux larmes de la Vierge sur le tombeau du Fils, ainsi à corps fabuleux
'
Images contre images r Im . d 'Images en mêlées.
qu'aux aromates de l'ensevelissement. La gutta se brûlait ; bli, les unes passant !�
�
ur te
h
a es d� souve u contre images d'ou
d'ailleurs en encens dans les synagogues et les vieilles basi secon des à tenter les po rc asser les autr
liques d'Orient. Philothée avait-il fait vœu de ne manger que prem e C�
�: � es, et les
ilest ams1. que Philo
:concevait toute la vie d
ce qui se brûle ? Peut-être néanmoins mangea-t-il un ou deux
thée
� ���� � J��
c
·
t
oignons crus que lui portait de temps en temps un vieux cara
ce qu'il appelle l s
e
�
de l'e prit. D 'un côté
bres . eur pouv ,
; Jillllnens.,, redoutabl Oir est
e leur << encha'mement
''I faut
vanier d'Égypte sûr d'apprendre quelque chose à le voir éplu aux deux sens de la >> _ mot qu 1
cher lentement chacune des membranes, jusqu'à ce qu'il n'y .
liaison et de 1a captation
'"''cr<ses et sataniques le -, per-
ait plus rien, et pleurer en silence, sourire aux lèvres, le visage urs conse'quences :
tourné vers l'escarpement, laissant sécher sa larme. <� Cela com
mence par la
sentiment, la captivité sug estio mue par la liaison, ras
. n et con�.
,,
continuité de l'habi �\ b
et fir I �r la passwn,
caractérisée par la
la victoire du men
tude. Et vo a remp ortée
songe 5. »
L'homme qui mventa le verbe << photographier >> désirait -
donc se transformer lui-même en une image, une image dia
phane. Il eût voulu ne jamais boire et ne jamais fermer l'œil.
Il attendait, au fond, de << quitter son corps >>, comme il écrit
lui-même. L'œil pur, l'<< œil perpétuellement ouvert >>, l'absti
nence et le << silence avisé des lèvres 3 >> - tout cela équivalait
pour lui à un grand acte de Mnèmè, la mémoire, ce fil tendu
entre l'eau de sa naissance (où ses paupières submergées
s'étaient un instant refermées) et la lumière de sa mort dont
il tentait précisément d'acquérir ce qu'il nomme une mémoire
(et où jamais plus il ne clignerait des yeux devant le soleil
ardent). Philothée le Sin:iite a maudit l'oubli comme on mau
dit le diable, il pensait d'ailleurs que l'oubli est une ma-chùoe- ,
rie satanique. Nous nous tromperions donc lourdement
cherchant dans ses Chapitres de la sobriété une littérature
sage quiétude. Tout, au contraire, y dénote le combat
merci du souvenir avec l'<< oubli maudit >> :
« Il se déroule en nous un combat plus ardent que la
visible. [ . . .] C'est une guerre secrète dans laquelle les esprits
vais guerroient contre l'âme à coups de pensées . Comme
est incorporelle, ces puissances du mal l'attaquent imJ:naltérielle
ment, suivant leur nature. On voit s'affronter armes et fronts
batailles, embûches et engagements terribles, il y a des
corps [. .. ] 4• »
donc - peut-être un
ayant trop longtemps midi l bruÏant s�r on escar
fixe, e ' so1eJ1 -, il m
�
venta le
3. Ibid., X, 6 et 25 (p. 111 et 114).
4. Ibid., X, 1 et 7 (p. llO et 112).
APPARAÎTRE CELUI QUI INVENTA LE VERBE « PHOTOGRAPHIER
>> 55
54
S. Mallarmé, Igüur, V.
pot.sst·ere en suspens
t;àp<Jm;suère nous montre qu'existe la lumière. Dans le rai
ton1be au sol, du haut d'un oculus, la poussière semble
montrer l'idéale existence d'une lumière qui serait épu
objets qu'elle rend visibles : entre un vent d'éther et
sans but d'infimes particules. Il ne s'agit que d'une
bien sûr, car l'objet, loin d'être épuré, est bien là, et
poussière elle-même. Mais il s'agit d'une fiction tan
ou presque, insaisissable précisément, quoique tactile.
a · r� nous montre surtout qu'existe un lien profond
\l ������·��� avec la suspension, avec le suspens. Le suspens
comme la substance même de cette lumière-là.
)et•sicm et suspens, mots très proches, en appellent un troi
cet ordre d'idées d'un quelque chose suspendu en
1 ><w<u, sans socle, au-dessus ou tout autour de nous : c'est
<< superstition >>, qui signifie d'abord le fait de se tenir
le fait de surplomber.
nous obsède ou nous menace n'a pas toujours la
épée suspendue au-dessus de nous, mais peut tout
bien exister, et même souverainement, dans la poussière
au-dessus, autour de nous, la poussière en suspens
rendue visible dans un rai de lumière, cette pons
respirons même. Or, suspens veut dire menace.
po:uss:ièr·e nous invite à imaginer une espèce de prédiction
58 APPARAÎTRE SUPERSTITION
59
qui ne profère ni ne se voit vraiment, une prédiction éparse,
en particules infimes, dansantes et silencieuses, comme autant
d'aléatoires pointillés : des points de futur. Ainsi, lorsqu'une
image sous mes doigts vient à révéler sa connivence secrète
avec la poussière, je me prends malgré moi à rêver en elle de
diffuses superstitions.
Auréolée de noir
Il existe une photographie de Victor Regnault (fig. 8) que
rien au départ ne semblera distinguer de la série, admirable et
banale, où elle prit place : images familiales, intimes, portraits ·
able
,
negatt·1s a, eux-mêmes
J'abandonne mes
, ' ·
saire. »
60 APPARAÎTRE
61
L ll�sait tactilement
vement, se révélera. Mais, pendant ce temps, les visages, eux,
auront déjà vieilli.
sur la feuille nég Ive
lumière sur l'image posit
�
. est �evenu une intan
On ne connaît aucun tirage ancien de ce négatif et de cette ,,,�-��·c poudreux i e. u, plutot, une auréole de
latence . .r.; attendrissante feuille translucide est restée au secret est une lumière parad
�
. Lumière fauss done,
« s�rnat re�e »
d'un tiroir de famille. Sans légende, sans indication aucune qui oxale une lumie, re d�arl!fi. en ce
: une lumière d'effacem ce, plus
nous permette de donner un nom à ces deux femmes. C'est que •mr sem . ent. 'Non seulement << né
mms encore négatrice dans ative >>
l'intimité n'avait pas besoin de le retranscrire. Intime, il était n'est que pour consommer 1 �
ses effets isuels'
déjà là, comme en dedans : chacun le portait . Victor Regnault chose ou de quelqu' un. a suppression de
n'a probablement jamais montré cette photo à qui que ce fût. . dep _ ot, de
poussière, graphite p ul , . , ,
Aujourd'hui que nous restituons l'image positive extraite de 1� vense, etale, sur la
,
aura néanmoins illumzne,
e. par un etran
.
rs
par la série, des bribes visuelles de cette intimité. Ainsi le m<>m>:: - anéantissait ]à tout . ' l'"mstrument du trait - le
clos de ces photos ne nous est plus absolument inciéc:hif±rBLbh� : Ut aspe:ct. Par 1 "t . Signe, toute forme discernable
e range et Simp le vertu du negati , "f, 1,.
cette femme, debout, à gauche, auréolée de noir, dessin devenait poudre . . Instru-'
de portraits en portraits, comme l'héroïne mi�latlCc>lic[ue 1ummeusement magi que à glori fi"er - Je veux
un di p .tion .
· ·
familial. Les enfants lui ressemblent. C'est Madame �;,�r:_��f : : �; Regnault a quelque
·
Elle émerge du continent obscur des robes, elle fait à l_iéjgatif mais c'ét i ouche au crayon nou
o ' pour discrètement sur
: � ��� ��:
· ·
LE SANG DE LA DENTELLIÈRE
La Dentellière, vers
« Fragments dramaturgiques » en postface à J. Audu reau, Félicité - Édition
tot']e. pans,
.
maturgique, Paris, Comédie-français�, 1983, p. 173-215. 1670 (détail) Huile sur
2. Denise Gence. UJuvr·e. Photo. D.R. ·
d
est un� �ecromancte
_ et chaque visage qu'on aim le �
e >> de Fél icit é ; , '
Loulou << tomba sur l'épaul u passe . »
du ma l à s'en remettre, ou plutôt ne s'en
chaîner << elle eut i<lll<�:
elle était sourde 5• >> Et, qu.o spectasle �ui composerait donc les intimes renverse-
jamais .. . Trois ans plus tard,
presque antith étique, cette de la memotre exaltée en désir. De la solitude exaltée
langue d' Audureau lui soit une ,. .
s et très brèves fait comme Du demi exalte_ en 1 msouciance de la decision
- . enfan-
tian de durées très longue
ture à tout le mouvement
dramatiqu e de Fél icit é. ,
�
"""'"'"'"'' a, coup es decisions,
:
dans ce spectacle, seraient
toutes tmmottvees, msensées - absolues pour cela.
at1çant,
n leur souvenir : << Ici dev
( ... ) Actes perpétrés ou bie
remémorant, au futur, au pas
sé, sous une app are nce �
f lgura;ions temporelles seraient fulgurations du lieu.
,
llar mé l'exige du geste théâtral '. . C est 1 un des secrets de la fascination . Or il
présent >>, ainsi que Ma
serait l'espace quotidien
de nos personnages. La dur
ée un tel secret le jeu du proche et du lointain . Reg�rd �
? - Fil tissé
s. Rien ne se passe
demi-siècle de leurs parole été s pou r ne
uvements trop rép . a. venzr, Paris, Gallimard, 1959
l'ennui, rouet du temps, mo commenté par M Blanchot , Le Lzvre
.
·
Trois contes », Travail de Flau Œuv res com plètes, Par is, A la recherche du temps per.du. Le cote de Guermantes, Paris,
• ,
(188 6),
6. S. Mallarmé, « Mimique » 1954, p. 140.
1945, p. 310 .
69
68
Ce sont là, di;ais-je, ,comme des points d'hypnose. Le détail
tout petit tableau. Il nous parle
encore La Dentellière. C'est un devore 1 œil, et alors il s'ouvre comme un ciel.
i - somnambule, plutôt -, le . ,
de la proximité. Le geste assoup � son rour s'approfondira, s'étrécira comme un puits
nature presque morte. Mais resu�e_ au déchet d'une tache colorée. Lambeau d�
regard en dedans . Still !ife, une là,
tapis vert où la couleur, juste
dans les pans minuscules du écis, !urnaf(e proJete, comme une entière constellation ou comme
s, s'ouvre un moment ind .
- contment. Tout vol, transfiguré en chute. Et 'route chute
fait de lumineuses gouttelette la
e s'ouvre sous la paupière de . une chute dans le c1e!.
liquéfié, s'éloignant. Un paysag
« Félicité » sonne à notre
·
ce qui rapproche proche et loin mals ja chose meme dans son fait et sa fatalité -
lieu ou un temps, mais cha:
A
.
tuables, jamais donnés dans un
et de lieu 11 >>
cun, son propre écart de temps
; 1
C'est- -dir un e_sp �ce que concernerait le fantasme. Et
que a, me ancohe s y falt extensive, lumineuse, cet espace
La ressemblance interminable �
n est as un e�tensum (une grandeur repérable et
plat ventre l'eau des mares •_sUJtat>le, un P �n) , mals b!�n un pur spatium, une profon
( ... ) Félicité, enfant, « buvait à
voir de l'or. Chaque vitre mdeclse
_ mals mtensive I5, dont l'effet pour-
Pleurant, elle croyait peut-être . . .
méditation où l'espace un de pan, d'Ital-Je, vmre de panique : vertiges
était, j'imagine, hameçon pour une
ait avec lenteur, et re<:n<,!WH1
,
m>ure:s. Il est d'ff1 !Cile d en rendre compte, parce que cela
mement s'ouvrait. << Elle mange .
,a !� fms
de son pain >>. Et ces la pure surface (la carte de l'atlas, le tissu
du doigt sur la table les miettes .
une constellation d'étoiles. dentelhere, la peute tolle colorée de Vermeer) et que1que
lui étaient peut-être comme
rivière, << à saisir des comme un appel vertigineux de la profondeur.
aidait les enfants, près de la
tait >>. Et ces flocons lui
d'écume que le vent empor
mer désenlacées, et vives Ce serait do_nc comme une espèce de perspective
peut-être comme des taches de
éraire, écrit Flaubert, se >> - aJUsl qu'on parle d'états seconds , 1a mlse en
le ciel . Toute son éducation litt
·
e en estampes. Mais, des surfaces �em�s ou notre regard ira, captif, dange-
tait aux images d'une géographi
A •
(... ) Rêver, certes, est se mouvoir dans un espace de solitude. des << perceptions vraies du
dec, e el da mond e du reAve >>
- . roquem
ns le reve
A une hyperesthésie du ,
·
22.
•
l'image en tant que puissance. << Elle avait rêvé rouge. Elle sais ce qm rn arnve écrit Binswa haut
>>
. << Rêve r signi. -
gna 19• >> Freud distinguait soigneusement le rêve du sornnar t cmtolc)gi. tt
A e de l'ang
q e est ee]Ul-' ]a' mem
,
nger " . Mais
r:
oiss e an a
bulisme et le somnambulisme du délire 20• Peu importe, ne se pos as la quest << Q
�
•
la fiction distribue autrement les cartes, pour cette raison "'"acre, celm?-la? tente certaion Où suis-je ? ,; lo�sq ,.tl
·
inement d'oubi1er ' ce qu'est
moins que la << croyance en la réalité >> ne lui est pas un
tère. La fiction sait élargir à tout l'espace le << gr<)ssissemt!O 127. Cf. P. Fédida " L'h
ypocon dne. du
,
d'haIluctnatwn, Inse s'élancer
20. Cf. S. Freud, « Complément métapsychologique à la théorie du ree dans un cadre re
el, que nous
,nous voyons la chose.
(1915), trad. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Métap�ychologie, Paris, »
J ,
:
1968, p. 133. �;:;:; L Espace littéraire, Paris , Gallimard
� ;, « Le 1955 , P· 366.
rêve et l'exi·stence» , '
art. dt., p . 224.
72 APPARAÎTRE LE SANG DE LA DENT
ELLIÈRE
73
le théâtre. Paradoxale veille, regard de la nuit. Et le rêve : ni
veille, ni sommeil, les deux, plutôt, mêlés. Et encore ce trait
ontologique de l'angoisse : << I.:angoisse rend étranger », dans
le moment même où le sentiment de la situation nous révèle,
dans l'angoisse, « où l'on est 26 » - mais comme une intermi
nable question.
mais vertigineuse - profondeur absolue. Effet de pan. on;biltc de Ja �lSlon - ainsi que Freud parlait : vis ion d'a n
.
reve - �u 1 mterrninable ressemblance s'écro de l'c m
(. ..) Les mourants parlent au sang qui les fuit. Ils parlent à un dans un dts se�blable essentiel, l'image même deulenotou tre
t
mur ou bien ils parlent à la lumière. Connivence du pan, de_ la dtslocatwn, l'envers de notre visage, la
lumière et du sang. << Le pan de mur est en face, pour conju ''Ju'rm·e, souffrante, rouge,
�n p leine lum ièr e, spa
chair
rer le cercle de ton rêve. Mais l'image pousse son cri 30• >> Les _
(notre corps jusque-la 1 enserrait), ruisselan cie use tou tà
mourants parlent à des petits pans de murs lumine':'x peints va. Et ce renver ent est aussi celui de l' te de la vie
sur de la toile : << Enfin il fut devant le Ver Meer... enfm la solatr_ e et sanglant.sem
Un reg ard d'O rph ée au
œ
il ébloui,
cieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étcmrdisseé est perdu n'e s seulement Eurydice, ma in jour ple
ments augmentaient ; il attachait son regard, comme un enliant .'mëm.e. Et ce renverstsempaent est enfin écroulement du is Orphé�
à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit temps.
mur. "C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derni.en; l:imaginaire sait atteindre lui-même ses pro
livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de cela . po�e la questlon de l'écrire. Si écrire pres limites.
couleurs rendre rna phrase en elle-même précieuse, comme ,a la fascm atlon de l'absence de temps 36 >> _ au- , c'est << se
petit pa� de mur jaune". Cependant, la gravité de ses fascmatlon, et comme son destin propre, il delà de
dissements ne lui échappait pas... Il se répétait : "Petit pan Geo!ges Batatlle : << La nécessité d'é y aura ceci,
mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune". Lepe1t1d:ut�
il s'abattit sur un canapé circulaire... Il était mort 31• >>
•vcugJter peut etr � exprimée dans l'affirmation qublo 'en
uir et
der
analyse le soletl est le seul objet de la descri
37. >> Parler de cela au théâtre est un défi au thé pti on litté-
(. .. ) La pièce d'Audureau également compose un parcours ausst une exzgence quant au théâtre. âtr e, ma is
taches, de petits pans de couleur jaune sur plumes ou
de saignements et d'éblouissements lumineux. D'un bout
l'autre du drame, les yeux de Félicité saignent 32• Av·euigle1mer (1983)
nocturne - l'image d'un voile noir déposé dans son
comme sur le corps du perroquet - et aveuglement
mêlés : l'ultime passion de voir ses rêves en /ace d'elle
pour Félicité, la décision, terrible et enfantine, de fixer le Ma.llarmé, « Un coup de
dés » 0897), Œuvres com1:'t•/ètes, op. ct!.,
·
p.
Blanchot, [;Espace littéraire
, op. dt., p. 25.
3 1 . M. Proust, A la recherche du temps perdu. La Przsonntere,
30. Saint-John Perse, « Le mur», Œuvres complètes, op. ��t., p. 12._ .
p. 22.
.
IL Paris,
op. ct!., p. « La nécessité d'éblou
32. J. Audureau, Félicité, op. cit., p. 15, 80, 120, etc. ir» , Œuvres complètes,
140.
UNE RAVISSANTE BLANCHEUR 77
L'expression est ambiguë : << voyant », cela veut dire que quel
q_u'un exerce, pour connaître ce qui l'entoure, sa faculté
VIsuelle ; mais cela veut dire aussi que quelqu'un est vision
n�i�e, prophète en son genre, et donc, très vite, capable de
delzrer. Ce qui, en deçà d'une telle ambiguïté, demeure incon
9
testable, c'est que Freud a fort bien compris en quoi Charcot
abordait la maladie mentale, l'hystérie en particulier, à travers
UNE RAVISSANTE BLANCHEUR des catégories visuelles. , En tant que catégories, elles visaient
un au-delà de la simple description : elles avaient l'ambition
philosophique de l' eidos, et Charcot les avançait pour consti
Freud « non voyant » ? tuer une forme du symptôme, non seulement au sens d'une loi
r un point de vue hisncetor, iqu e lorsqu'on de son aspect _(de son apparence), mais encore au sens plus
Si l'on désire adoptence ou la nor;-existe il faulatval eur ou la radical de sa loi morphogénétique (loi de son apparition) ' voire
s'interroge sur l'ex<<iste
esthétique freudienn e >>, commencer son étiologie, de sa cause essentielle.
non-valeur d'une rap ts de Freud avec Chdir.arce,ot. Alors qu_e Freud a introduit, avec l'idée d'un Charcot << voyant >> le
par interroger les is por peut de toute pre - justifié - d'une << avidité » épistémique prop;e à
Freud arrivait à Pariqu<<e,vieChrgearc»,ot,s1 1'on
lm, venait de fonisan der une clini<]ue instaurée par Charcot dans les murs de la
occupa tion esthét
' · ue la toute première tte esthetiq
esthetiq du gen re
,
-. ue avait. tpoulesr
util Cette avidité, on pourrait la résumer ainsi : voir,
(t<>U}ou:rs voir, toujours voir plus. Et toujours, en voyant, cher
concepts de la psychoent pathologie. Ce _fonctionnement à identifier la forme de ce que l'on voit, même si ce que
de rendre compte, du Jau
_
ambition, non seulem is, éventuellement, dana en ger la valeur. voit est le fugitif, le flou, l'informe par excellence Me
des œuvres d'art, ma ud, ses coupes ta?m1q ues �e .�er. ,,.t,vi<ent en mémoire un cas soigné par Charcot, celui d'un
4
En 1885, moment oùs leFrebra s, << débarque » 1mlameSalsepewu�h er�, foudroyé. La foudre, plus exactement, était tombée
veaux d'enfant souuis bien des ées une voh � près de lui. Or Charcot, pour tenter de soigner cet
Charcot dirige dep nographte an � �
zcale et artzsttq';'e : ou ? . n �ornme, tenta d'abord d'objectiver ce qu'il avait put voir il
cation sous-titrée Icod'un milliermed
1
pages consacrees a ladepem- demanda donc de dessiner la /orme exacte de l'éclair
:
ne trouve pas moins1885, travaillededéj la rédactiOn , aussi des expériences sur lui-même, en se malmenant
5•••
ture. Charcot, enLes Démoniaques danàs àl,art, marque 1 espérant découvrir et reproduire la /orme exacte de ce
curieux ouvrage, itable << critique médicale » qm
·
Progrès
ue de la Salpêtrière, Paris, _
1 Iconographie photographiq
.
la Nou velle tcon ographze de
-1880, s1_1ivie par
Del�haye et Lecrosnier, 1876 . Didi-Huberman, Invention de l'hystérie. Charcot et l'Iconographie
Salpêtrière Paris Delahaye et
Lecrosmer, 188 8-19 18.
� � ,
ques a�s l'a (.1887), édltlon
. .
!og•'apiiiqtte de la Salpêtrière, Paris, Macula, 1982.
2. J.-M: Char �ot et P. Richer, Les Dém onia
berman, préface de P. Fed
lv!
1da, l ar1s, acula, Charcot, Leçons du mardi à la Salpêtrière, 1888-1889, Paris,
présentation de G. Didi-Hu par J. Laplanc he, Resu ltats, médical, Lecrosnier et Babé, 1889, p . 438-442.
trad. dirigée
3. S. Freud, « Charcot » (189 3),
PUF. 1984, p. 62.
p,0blèmes, I. 1890-1920, Paris,
78 APPARAÎTRE UNE RAVISSANTE BLANCHEUR
79
réponse classique, c'est que Freud aurait substitué l'écoute à
la vision. Façon de dire qu'il aurait refusé au visuel toute valeur
de vérité, parce que le visuel est porteur de fascination, et que t
la fascination a à voir avec l'illusion, avec la tromperie. On
soutient également que Freud aurait été en cela cohérent avec
la religion de ses ancêtres, qui est une religion de l'<< interdit
de la représentation >>, comme on dit. Puis, symétriquement à
ce refus de la visualité, on a coutume d'affirmer que Freud a
inventé un art nouveau de l'interprétation, dont les critères ne
sont pas figuratifs, mais symboliques : non pas une esthétique
des surfaces, en quelque sorte, mais une sémiologie des pro
fondeurs. Une anamnèse cherchant, non des formes, mais des
contenus et, même, les contenus les plus cachés qui soient...
Tout cela aboutissant à l'idée d'un Freud qui serait, en somme,
l'ascétique praticien d'une << non-voyance >>.
On peut cependant se demander si cette idée - cette
image - d'un Freud << refusant de voir >> pour mieux se main
tenir, divan oblige, dans la dimension de l'invocant, de
l'écoute, n'est pas à nuancer, ou même davantage. Et cela, pour
deux raisons principales. D'une part, à s'en tenir à une telle
idée, on s'interdit de comprendre pourquoi le développement
intrinsèque de la théorie freudienne, à un moment crucial de
son histoire - l'année 1910 - a pu exiger un rapport aux
œuvres d'art, en l'occurrence la peinture de Léonard de Vinci,
,
de même << la seule belle chose qu'lill eût jamais écrite 8 >>. sion utilisée "dans ce colloque par
Fedtda - quant a' nos
ctat>leau, P,ar ex�mple �n tableau deman Léo
ieres d'envi· sager un
nard de Vinci. Il me
•scmrJJe necessaire, enfm, d'interroger l'esp èce de freudisme,
6. S. Freud, Un Souvenir d'en/ance de Léonard de Vinci (1910), trad.
J. Altounian et al., Paris, Gallimard, 1987.
7. Id., cité par E. Jones, La Vie et l'œuvre de Sigmund Freud (1953), trad. c�;;:�nication de �ferre Fédida
� ul
n'apparaît malheureusement pas
A. Berman, Paris, PUF, 1958 (éd. 1970), Il, p. 369. oque, Un Stec!e de recherches freudi dans
8. Ibid. ennes en France 1885186-
w , , 1986
ouse, Eres . '
80 APPARAÎTRE UNE RAVISSANTE BLANCHEUR
81
implicite ou explicite, qui �':j ?urd'h�i traverse - travail e - ! U,Interpr�tation des rê�es, où on peut lire
une grande partie de l'activite des h1stonens et des cntlques d anamn�se << doit proced que le travail
er en détail, et non pas en masse
d'art. Je n'aborderai pas tous les aspects de la question, b1en On smt egalement que les deu 13 »
. . x grandes règles classiques de.
sûr (faute de temps, je laisserai de côté, entre autœs, le pr? la si:uatw analytique revien
, ails) et �a << ne nent à << tout dire >> (surtout
blème de la psychobiographie). Le point sur lequel Je �oudra1s det nen om les
. ettre dans l'interprétation » (surto
m'interroger surtout, en ce qui concerne ce suppose mlheu pas le� détails ) . Le d�tail, cependant, demeur ut
freudien dans lequel l'histoire de l'art, à :rav�rs sa �eth , e un objet de
?de conna1ss�nce extraordinairement
. fourbe et dangereux. Là où
iconologique << renouvelée », vivrait ou ne v1�ra1t pas, c est 1 ex les htstonens de l'art se précip
itent sur le détail et l'envisage
trême attention, l'avide passion que cette methode porte, dans volonue:s c mm b fz,n, la pom nt
� te du mouvement interpréta
la peinture, aux détails. tif - hb�_ res ��tma .
gment -ils, des trop généraux
:
fJ!
�ents » wolf m�ns -, Freud au contraire orient
<< fonde
ait l'analyse
a partzr du detail. Telle serait
Au-delà du principe de détail un premier malentendu dan
lequel l'Iconologie, aujourd'h s
La question n'est pas simple. D'un côté, l'attention au� ui, aurait envisagé sa propre
. accessiOn au << frel!dlsme » .
détails est une chose extrêmement posmve, dans 1� mesure ,ou . Freud interprétait le détail
la prise en considération des élément� les plus dŒcrets d un dans une chaîne dans un
déf ilé », je dirai même dans un file
tableau permet de s'interroger plus fmement, vmre de faue li� �ourlant, dans bien des textes hés àt de signifiant;, Ce qu'on
.
vaciller l'idée qu'on se faisait, au départ, du << sujet >> de ce hentee - de Panofs la méthode iconologique
. ky, c'est la recherche - toute
tableau. Ainsi, c'est un historien de l'art ayant plus ?u moms 'est opposée - de quelque différente si ce
lu Freud qui, dans la Nativité de Lorenzo Lotto, a S1enn�, .comme un chose comme un /zn m;t ou
signifié ultime : la solution d'une
découvre ce détail : l'enfant Jésus a encore son cordon ombi d'art serait censée avoir proposée. énigme que l'œ�vre
De pui s qu'on s'est avisé de
lical. Et la présence d'un tel cordon ombilical nous apprend
quelque chose, sans doute : quelq�e chose de pl�� sur la �ms�
�
la pre, sence, ans le Portrait des
époux Arnol/tnt; de Van Eyck,
cette espece de marque subject
en œuvre picturale de la matermte dlVme ou de 1 mcarnat10n , miM, ir convexe -
ive, laissée dans l'image du
avec la porte entrouverte, les deu
quelque chose de plus, sur Lorenzo Lotto lui-même 10• De l'irlscfip,ticm du peintre signant x silhouettes
même, c'est grâce à l'entremise ou à l'aval de la p �ychanalyse son témoignage dans la scène
(elle-:mêmé -, on s'est mis à rec
que des méthodes d' attribut�on passablement oubhees, comme hercher, dans l'abyme des jeux
. la repre,�entatwn (de la représent
celle de Morelli - qui attnbualt tel tableau a_ tel pemtre en . ation de la représentation,
un detml qut. nous parlerait, qui
vertu de critères de détail : la façon dont les ongle� sont de� nous dirait exactement
du << sujet » ou du << moi » dans
sinés, ou les paupières peintes, ou les lobes des or�1lles œpre le dispositif du tableau.
l'on retlfe l'impression qu'être
sentées 11 -, ont pu être réévaluées, à tout le moms re1mÜ;es .tao1eau, ce serait identifi r cette place en
<< freudien », devant un
. question, ce qui est
a. l' ordre du Jour 12 . ontoncjre su;et et 1dent1t�e nomma
, de <<
Voilà qui ressemble, effe�t1vement, � une metho ble, lieu et place assignable.
�n parle de la carafe dans le coi
•
Panofsky, dans un texte célèbre sur l'Allé?orie de la Prud�nce /J>ensic•n aux details. Je pense not
du Titien, a, sans le vouloir, donné le modele de �e !'enre d en amment à Vermeer dont la
Delft montre bien la part fantomatiq
quête en cherchant une solution �u �ableau � a. 1 emgme , d� ;,;,,,AllA propose ue de l'e;périence
, : le fameux « petit pan de mur
tableau - derrière le tableau lm-meme, celUI-Cl etant cens� un pan de mur - parce que jaune >> n'est
cacher quelque chose : un trésor, bien sûr. Moy�nnant qum, c'est plutôt un toit -, ni
:/)!<orne, exactement, un toit jaune
il ne dit pas grand-chose sur la pemt�re elle-meme (sa cou - parce que c'est en réa
une espèce de « couche sur cou
leur, sa texture, son travail), me?'e , s il � t beaucoup sur la che >> de deux 'couleurs
ijnjff'é !nt<es où le jaune n'est pas
·
; absolument prédominant. On
représentation que cette pemture mstaure . Dans le hvre plus surtout un rose liquéfié, en dessou
récent de Carlo Ginzburg sur Piero della Francesca, le modèle . s, et puis, par-dessus,
:S)nOJments de Jaune grumeleux.
<< freudien >> - mal entendu - est plus explicite 15 • omme <: Ce qui est sûr, en revanche
qu'il s'agit bien d'un petit pan, un
pan de peinture (c'est:
si Freud à l'instar de Sherlock Holmes, ne cherchait qu a !den,
tifier de� coupables 16• Comme si le tableau avait fatalement sa �
. (c est-
�
une ati re indistincte), plus que
d'un détail de repré
rztm�ion a-drre rendant visibles des objets
plus juste signification dans la signification la plu,� cachee, , swuu:•oJ"es) 18 distincts et
moins visible, la plus << hors-tableau >>. Je per.'se qu a un pratique du détail dont je parle
�
théorique on pou�rait compren re cette mepn�e comme Ch!m2ily1;e - elle le fait souvent
s'autorise en fait de la
?
espèce de scotomzsatzon du materzau, ouble. d une cOJlfulsio'll :!tetnerrt - s r la base de deux
�
plus implicitement qu'ex
idées, de deux idéaux qui
entre représentations de mots et representatiOns de cnoS<:s. - i contradictiOn flagrante avec le poi
nt de vue freudien
ce qu'il a de plus per
tinent, à mon sens, pour l'histor
Il y a d'abord un idéal de la ien
description exhaustive
14. Cf. E. Panofsky, I.:Œuvre d'art et ses signi/lcations. Essais sur les
visuels » {1955), trad. M. et B. Teyssèdre, Paris, Gallimard, 1969, p. 257
15. Cf. C. Ginzburg, Enquête sur Piero della FranceJca (1981), �
. .. Cf. egalement td., « L'art de
Di i-Huberman, La Peinture
M. Aymard, Flammarion, Paris, 1983.
incarnée, Paris, Minuit, 1985, p. 28-6
�
. . 2.
ne pas décrire. Une aporie
16. Id., « Traces. Racines d'un paradtgme mdtctalre » (1979), trad. », La Part de l'Œil, n° 2, 1986, du détail
Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammanon, p. 102- 119 [repris dans Dev
(;/U<?Sti<'m' posée aux fins d'une histo ant
p. 139-180. ire de l'art, Paris, Minuit, 1990
,
APPARAÎTRE UNE RAVISSANTE BLANCHEUR 85
e le détail » d'un <:·exige ces de vérification >>, dont l'enjeu concerne la << réus-
84
e eptstemtque qm ext ge
puis les lettres). Cee des objets représdel Er: d'autr es terme s, questwnnell], ent métapsyc!Jologique et la relativité de sa
la stabilité logiqu i voudrait que, danents és. on
la pemture, Il s'aglt pm sse psychanalyse appliquée >>.
c'est un idéal qu« non », « c'est » ou « ce pas >>. Quelle est donc la cheville métapsychologique de la posi-
dire « oui » ou viste à peine déguisé. n'est � de la �tse en quest10? - freudienne sur le détail ? Je
là d'un idéal positi t un idéal du sens caché : sens q�t. attend, deJa nommee : c ,est la notion d'un << appât pour le regard >>
Il y a d'autre parqu'on le décèle - qu'on le d�scelle - chez Freud prend l'exact contre-pied de la position d�
derrière le détail,. C'est là un idéal qui croit pouvotr exhaus <,�,Jhal:cot, pou: qm tout . ce qui était flou et imprécis, il fallait
comme un trésorle visible, comme on épuiserait un champ �e que conte en f.alte le détail >>. Freud propose ceci, qui
tivement creuser it qu'on pourrait arriver, en creusant systt;� tout simpl_ement l mverse : tout ce qui est détaillé, il faut
«
ruines ; et qui cromettre au jour quelque chose c?m�e 1� :re que conte le relever, au sens hégélien du terme - ou
matiquement, à ion. Cet idéal est, lm, un m�de�e :J exegese. il faut le faire s'effondrer pour Je mieux déconstruire.
sor de la significatpar-dessus tout, c,est la stab!lite semantique trouve cette pensée dans un certain nombre de textes
Ce qu'il souhaiteentés dans la peinture. Par exemple, tout per, celm sur les souvenirs-écrans, où le détail apparaî;
des objets représ nt, quelque part dans les pans de sa robe, tout comme un eff�t :Je _déplacement, de compromis, de
sonnage barbu aya t Pierre >>, et l'on n'e n parlera plus. ; �n heu ou, ecrlt Freud, « la représentation s'es
une clé sera déclaré <<ancsain << iconologique >>. Et il. ajoute que représenter quelque chose en détail
ien : c'est un idéealRip
20
Cet idéal-là est trèss que lui nait Cesar a, ue en 1593, psychtquement parlant, l'équivalent de la formule :
justement. Au senIconologia,don dictionnaire << bilingpour>>jus:deternellt l;lttes-.le avec des fleurs >>. r; exemple qu'il en donne est
le début de son qui étaien d'une scèni? irreprésenta�le : une scène de défloration,
21
et d'images : imagesr une choset fait es, disait-il, qm �lent se. concretiser dans le détail trop précis
traduire, << signifie oit, au bout dufércom
dif ente de �:lle quese - pissenht Jaune - surgissant au milieu d'un sau
voit 19 >>. On s'aperç pte, qu a trop ourt �eur
d
enfan�e. Et Freu� de co�dure qu'on ne peut pas dire,
ail on court le dourer
cipiter sur le détten ble risque - on en.c ce cas-la, que 1� detail << emerge >> : il faut dire que le
le double malen rhédu - de restau un ancien poûtivi:;m1 se /orme, ce qm est tout à fait différent On peut éga
et une ancienne torique. ,atrouver
_
des mdtcatlons de cette mise en question du
22•
dans
e, qu'y a
grave pour un analyste, erreurs d mterpretatwns sy�bo . Une femme au-dessus de gigantesques montagnesles? por
liques 24• Mais le problème... est que ce n'_est pas le p robleme, donc dans le ciel. C'est, disons, une /emme flottante.Elle La
si l'on veut bien suivre Freud dans ses exigences metapsycho d'inquiétante étrangeté, le jeu du proche et du loin
logiques et méthodolog!ques plutôt . que dans se� nous sont donnés immédiatement, sans égard au nom
espoirs de résoudre une emgm� h1stonque. Leyrobleme du Ils sont donnés dans la simple - mais
tableau ne se résout pas lorsqu on y a 1denuf1e tel ou tel 'de,rtzj;iab,ie - situation de la figure dans l'esp
ace - dans
sonnage ; le problème de la Joconde n'est pas fmld,,m,entalec npossablle lieu - où celle-ci apparaît.
23. Id., « Le fétichisme » (1927), trad. dirigée par J. Laplanche, La Vie sexueue" 1 : la tautologie du visible
Paris, PUF, 1977, p. 133-138.
, . . son livre sur Léonard de Vinci, Freud a donné
précieuses indication pour que soit repensée une
)tervetJticm plus juste de la spsyc
24. Cf. M. Schapiro, « Léonard et Freud : une etude d hrstOlre de
•
. .
(1956), trad. J.-C. Lebensztejn, Style, artiste et société, Pans, Gallimard,
p. 93-138.
hanalyse - je dirai plus
88 APPARAÎTRE UNE RAVISSANTE BLANCHEUR
89
volontiers : de la métapsychologie - dans le champ de l'his
toire de l'art. Toutes ces voies définissent, à mon sens, un mou
vement qui serait définissable comme au-delà du principe de
détail. Car elles concernent toutes, non pas la question de ce
que j'appellerai la figure figurée - la forme, l'aspect, l'eidos,
bref tout ce qui faisait l'objet de la quête de Charcot -, mais
celle d'une figure en acte, ce que j'appellerai la figure figu
rante : figure en suspens, en train de se faire, en train d' ap
paraître. En train de << se présenter >>, et non en train de
« représenter >>. C'est exactement là que Freud se réfère à la
situation du rêve et au travail de la figurabilité. Je note en pas
sant que les textes importants pour toutes ces questions font,
très souvent, la conjonction de la question du rêve et de celle
de l'hystérie : deux domaines où, en réalité, Freud n'aura
jamais cessé d'être << voyant >>, s'interrogeant sans relâche sur
le statut de ce que je nommerai la visualité symptomale 25•
Quant aux indications repérables dans le Léonard, j'en indi
querai, brièvement, trois.
La première, je la nommerai la tautologie du viszble, le
truisme du visible. Arrivé aux deux tiers de son livre, Freud
envisage - enfin - la question de l'efficacité picturale. Il se
met alors, dit-il, << à penser au tableau de Léonard >>. Et là,
il produit un texte qui n'est fait que d'évidences abruptes et
26
ce tableau, elle répondit de façon confuse. Enfin, elle dit : dinaire acuité - théorique, mais également visuelle - ce fait
symptomal qualifié, au départ, d'<< incompréhensible >>, bien
<< la Madone >> 32• >> du détail. Les deux élé que celui-ci puisse se présenter de façon très spectaculaire : il
Voilà qui ne constitue aucunement blanch eur >>, << la Madone ;> s'agit de l'identification contradictoire à deux images dans un
ments que j'évoque - << ravissante s confuses, logi même corps et à un même moment 35 • Comme si le corps de
- forment, au contraire, un ensemble de chose iques, comme en l'hystérique pouvait être - tel un camélia dans le rêve - à la
quement repliées sur elles-mêmes, aporétfondamentales
arrêt. Elles ouvrent cependant des pistes que cette espècepour de
fois rouge et blanc, à la fois homme et femme, à la fois por
teur et martyr d'une même violence.
l'interprétation du cas. Pourquoi ? Parce t la cheville même Dans le cas de Dora, nous retrouvons exactement ce
fermeture logique devant l'objet visuel fourni
d'une ouverture phénoménologique dont l'analyse se doit de moment, ce nœud de contradiction, lorsque Freud en arrive à
tenir compte. Davantage : elle donne unsemble départ fondamental l'idée que l'effet de fascination produit par la << blancheur
à l'interprétation, même si, d'emblée,. elle vidée ?e se?�· ravissante >> du corps de Madame K. peut manifester, ou visuel
nous attemt
La << turbulence >> de la pensée freudtenne e chose comme 1c1 ven lement incarner, le nœud indémêlable d'un amour et d'une
tablement, et elle le fait à partir de quelqu que de supporune rivalité. La << turbulence >> de la pensée freudienne peut, ici
phénoménologie du sensible, avant mêmequelconque. ter encore, atteindre l'historien de l'art, en ce deuxième sens que
nous devons tenir compte - de façon sublogique ou paralo
une signification - une iconographie - gique, en quelque sorte - de ce que je nommerai les figures
figurantes. Les figures figurantes, qui figurent de manière tou
Figurabilité, 2 : la contradiction des figures jours contradictoires. Qui admettent, et même exigent, leur
La deuxième indication est donnée dansraila laprise en consi antithèse constamment maintenue. Qui n'ont pas encore
dération, par Freud, de ce que je nomme nous indiqueiction décidé à quoi elles vont s'identifier.
des figures. Une simple note en bas de page cette La peinture met aisément en jeu de telles << figures figu
contrad
affirmé que
voie dans le livre sur Léonard, lorsqu'est Louvre, re semble à le tableau rantes >> - et nous sommes, là encore, << au-delà du principe
représentant La Vierge et sainte An,ne, auen sorte qu;il. est dif . de détail >> - par le simple fait que les corps, dans la pein
des << figures de rêve mal condensees >>, commence 33. Freud ture, ne sont jamais matériellement isolés, ne sont jamais iden
ficile de dire où Anne finit et où Marie repéré dans le rêve tifiables tout à fait, ou détaillables tout à /ait, comme les corps
met ici le doigt sur un point capital, déjà ment, dans leur réels dans l'espace, ou comme les mots écrits noir sur blanc
et dans le symptôme hystérique : très précisé dans une phrase. Cela, pour une raison toute bête, à savoir
commune capacité à mettre en œuvre la des métamorphose, mais 'lue c'est une même matière la matière peinture - qui sup
aussi la << simultanéité contradictoir e >> figures. Dans le porte la représentation d'une chose et celle de son contraire.
-
rêve, la possibilité pour un caméli a d'être e� tant ,que Ainsi en est-il, dans le tableau qui intéresse Freud, de la main
dans la vtsuahte du
rouge
camélia mais d'être présenté comme es contradictoir es du
rêve, p�rmet de nouer les caracté ristiqu
blanc
péché et de la virginité 34• Il en est de même dans la cnse hys 35. Id, « L�s fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité » (1908),
térique. Deux années avant la publica tion du livre sur Léonar d, Jrad. dirigée par J. Laplanche, Névrose, psychOJe et perversion, op. cit., p. 155 :
Freud avait écrit un article sur << Les fantasm es hystéri ques et -�( [un exemple de cette contradiction est fourni par] certaines attaques hysté
14. Léonard de Vinci, La Vierge, l'enfant Jésus et saznte Anne vers 1510
36. S. Freud, Un Souvenir d'enfance de Léonard de Vinct; op. cit., p. 60-61.
37. Id., « L'analyse avec fin et l'analyse sans fin » (1937), trad. dirigée par
�
(détail). Huile sur bois. Paris, musée du Louvre. Photo du usée.
J. Laplanche, Résultatj� idées, problèmes, IL 1921-1938, Paris, PUF, 1985,
p. 231-268.
96 APPARAÎTRE UNE RAVISSANTE BLANCHEUR
97
cherche pas encore à identifier quoi que ce soit. Freud a bien
raison d'y découvrir une image, une préfigure de Dora elle
même. Or, ce n'est pas un hasard si ce tableau précisément a
été élu par Dora pour une telle fonction (comme il l' avait été
par la Lisa des Démons, entre autres 38) . Dans son mouvement,
dans sa structure mêmes, le tableau de Raphaël répond exac
tement à cette visibilité flottante qu'exigeait, en somme, Dora,
afin de pouvoir situer son désir. Comment le tableau de
Raphaël représente-t-il la « ravissante blancheur >> de la Vierge
flottante ? En s'agitant de vents, c'est-à-dire de choses vir
tuelles, contradictoires (ainsi ce vent n'atteint-il, au centre du
tableau, que les cheveux de l'enfant). Surtout, on s'aperçoit
que le ciel, qui est véritablement le fond, le milieu dans lequel
apparaît et avance la Madone, est fait de nuages où l'on décou
vrira bientôt qu'ils sont eux-mêmes faits de visages (fig. 15) :
visages à peine lisibles, visages virtuels d'anges. Leur pouvoir
de regard - je veux dire leur pouvoir de << regarder >> Dora
regardant le tableau - est fait de cette virtualité même. Cette
virtualité offre ici l'indice et même le mouvement souverains
du visuel.
On comprend alors que, si l'œuvre de Freud a pu exiger, à
un moment de son développement, une telle rencontre avec
la peinture de Léonard, c'est que le travail spécifique de cette
peinture comportait exemplairement ce que j'appellerai une
heuristique de la /igurabilité. Je veux dire une expérimentation,
et aussi une théorie, de la façon dont les figures non pas seu
lement « représentent » mais « se présentent »,
combinent et se contredisent pour raconter plusieurs nu;Lotre:>
à la fois, pour décrire plusieurs objets à la fois.
déjouer constamment la << mise au détail >> du monde vi>lLJl'''P
Enfin, cette prise en considération du travail de la ugur•.•, ,
bilité possède la vertu de nous mettre en face d'une an · ncwu,x
majeure pour toute esthétique, qu'elle soit << freudienne >>
non. D'un côté, nous avons besoin d'un point de vue
tura! pour aborder la pertinence théorique de la peinture, Raphaël, La Madone Sixtine,
1513 -151 4 (détail). Huile sur
est d'une extraordinaire finesse, et dont la méthode lCC>nO.lofu Gemhldegalerie. Photo Giraud toile.
on.
gique de Panofsky a ouvert, en quelque sorte, la c01mprétuen'''
tonnant ; ce n'est pas là un trompe-l' œil, car l' aphanisis, éva _J' fond d'invisibilité qui est le point même d'indivisibilité >>' écrit'
nouissement, agit aussi bien dans la vision rapprochee, et exige Bonnefoi 3 •
même au toucher (le tableau entre mes deux doigts - quelque
chose comme le videre in manibus eius de saint Thomas). Il - Mais en quoi consiste une telle invisibilité (cette épreu
ve,
reste qu'en chacun de ces trois ten:ps le ambeau � ait me! c� fond) ? La question en ressortit d'abord à la problématiqu
e
contraindre aux deux autres : alors meme qu il d1spara1t, Je ne d un lzeu de la pemture. << Reste la question contemporaine du
peux pas ignorer qu'il continue, dans les dessous, à faire struc véritable lieu. De cette question, depuis un siècle, la peinture
ture mais aussi bien à faire incision dans la structure. Ce boucle, à différents moments, de différentes manières, la
fic
tabl�au me contraint donc à une mémoire de ce je ne vois déjà tion de son origine : que la peinture aurait un fond et que
ce
plus en lui. fond s'appellerait "surface". Ce fond sur quoi rebondit
ce
qu'on veut bien y jeter alors que l'intention a toujours été de
- Il y a un entrelacs au point de fortune où chaque coup le crever ou tout au moins d'en voir son envers , dans l'hypo
d'œil se poserait, dans ce tableau, de pan en pan. chaque A , (on se la perme
these t) que "ce sera son véritable endroit" >>
4
lieu et à chaque moment de ce tableau, il y a un phénomène Il y a là quelque chose comme une visée heuristique. Pour
(quelque chose se manifeste) doublé, entrelacé plutôt, d'un << connaître >> la peinture, Frenhofer avait soulevé << couche par
phénomène-indice : << On entend par là des événement� cor couche >> les tableaux du Titien 5• Bonnefoi, de son propre
porels qui se manifestent et qui, da?s et par leur mamfest� tableau, fait de même, soulevant, quelquefois perceptiblement,
tion, "indiquent" quelque chose qm ne se mani/este pas _lm quelquefms Imperceptiblement, les cent pellicules où << la
>>
même. L'apparition de tels événements, leur J_Oamfestatlo�, toile se constitue. Mais il n'y aura toujours qu'un soulèvement
marche de pair avec l'existence de troubles qm ne se mam partiel, labile, comme indécis : mi-heuristique, mi-énigmatique.
festent pas eux-mêmes. Le phénomène, comme phénomène Il ne s'agit peut-être pas tant d'un problème de préséa
nce (l'en
indice de quelque chose, ne signifie donc pas simplement : ce vers sur son endroit) que celui de l'entrelacs des faces
où
qui se manifeste soi-même, mais l'annonce de quelque chose s'abîme toute notion de la surface : un nœud indéfectlble,
gui ne se manifeste pas par quelque chose qm se mamfeste. structurel, qui constitue le pan de toile, de toiles plutôt, comm
e
Etre indiqué par un phénomène-indice, c'est ne pas se mani un jeu d'intrications, de coupures et d'indiscernabilités. Qui
/ester. Cette négation ne doit néanmoins aucunement être ne constitue donc pas, de toute façon, le tableau comme sur
confondue avec la négation privative qui détermine la struc face. Yve-Alain Bois évoquait, à propos de cette constitution
ture de l'apparence 2• >> C'est ce qui, non pas présuppose, mais inextricable de la trame, les << labyrinthes tressés >> des collage
s
induit le relatif aveuglement à quoi ce tableau, d'une certame de Mondrian 6. C'est qu'effectivement le devenir-visible
de
façon, me contraint. Éprouver, donc, mener l'expérience d� ce l'endroit manifeste quelque chose comme l'efficace de son
paradoxe : un tableau fait de jours et d'entre-deux, de cla1es, envers. Ou plutôt : l'entrelacs produit une labilité des plans.
de fascines (faisceaux, ligatures des épaisseurs) - ce tableau La << destruction de l'entité de surface >> consisterait moins
est fait pour anéantir aussi toute idée de clairvoyance. d�ns sa réversion, ou inversion, ou réflexion - que dans
sa
Paradoxe d'une incision de la toile pensée et amenée au sta m1se en passage : motilité et Au/hebung. << Chercher de-ci,
tut d'un indiscernable. Conséquence paradoxale : une indis
cernabilité amenée mise au jour à travers une sorte d'épreuve
p
d'invisibilité. << La einture se soutient et se pense à partir d'un 3. C. Bonnefoi, « À propos de la destruction de l'entité de surface
» Macula '
n' 3-4, 1978, p. 165. '
4. Ibid., p. 163.
5. H. de Balzac, « Le chef"d'œuvre inconnu » (1831-1837) La
Comédie
2. M. Heidegger, I.:f3tre et le temps (1927), trad. R. Boehm et A. de Wadhens, humaine, X É'tudes philosophiques, Paris, Gallimard, 1979, p. 424
.
Paris, Gallimard, 1964, p. 46. 6. Y.-A. Bois, « Le futur antérieu r», Macula, ll0 5-6, 1979, p. 233.
104 APPARAÎTRE ÉLOGE DU DIAPHANE 105
de-là c'est-à-dire devant-derrière, à côté, etc., jusqu'où il y a qualités de surface peinte et de ses qualités d'excroissance
enco �e peinture dans cette opposition à l'entité d'origine 7 >> colorée faisant ombre au plan, coloré autrement, qu'il sur
que serait la surface comme plage de fixation, immobilisation plombe (cela se repère un peu dans les différences de deux
et identité, pour << la >> peinture. photographies prises à deux moments de la journée). Voici
donc, déjà, trois qualités du gris dans ce petit pan gris du
- << Coller, épingler, traverser, sécher : hommage à Picasso 8 >>. tableau. Au moins trois. Car il y a encore autre chose. Il y a
Ce pan du tableau est effectivement épinglé en haut, comme les traversées, subreptices ou irruptives, de trois autres cou
pour ne pas tomber hors tableau ; et puis, sans doute collé ou leurs : !flle apparition déchirante de jaune, une pointe (à l'ex
:
encollé, traversé par son propre << fond >>, en bas (et la, d devient trême cap d'une autre déchirure) de bleu, et une aura très sub
l'indiscernable substance, même s'il continue un moment à tile, une sous-jacence plutôt, de rouge. Donc, l'ombre
figurer, à mimer la coupure). Entre l'épinglage et la traversée, elle-même du lambeau sur le plan (ce plan d'où surgit le lam
il y a donc une espèce d'aporie en acte de la notion de sur/ace beau et que le lambeau surplombe), une telle ombre se colore
en tant que celle-ci serait situable. C'est que, d'abord, le feuille quelquefois de passages, de labilités très ténues ; ici, du rouge.
tage, l'encollage et la saturation des couches admettent des Qu'elle déchire le plan du dessous ou bien qu'elle y déploie
moments de réelle transparence : si je retourne le tableau, Je une obombration très atmosphérique, la couleur de toute
vois un plastique transparent ; si l'éclairage s'aventure en deçà façon ne se pose pas vraiment, toujours elle est en état de tra
du plan normal d'exposition, il y a alors une déflagration de versée. Elle n'est donc jamais collée à la surface : elle n'est
déchirures, de jours, de mises à vide absolument imprévues, tout simplement pas une qualité de la surface. Plutôt la qua
car elles ne recoupent pas celles qu'à la surface picturale on voit lité d'un passage dans les surfaces.
retracées. Scission de la << surface réelle >> et de la << surface pic
9
turale >>. Et, si vous posez l'œuvre contre un miroir, il vous - C'est à peu près ce que Hegel exigeait du matériau sensible
arrivera sans doute de voir passer une ombre dans ce tableau de la peinture, à l'extrême pointe de son effet coloré : au-delà
- votre reflet passant derrière lui. C'est donc bien d'une trans de la perspective aérienne (Lu/tperspektive) et même au-delà
parence réelle du tableau qu'il s'agit (elle est efficace). Mais, du problème de l'incarnat (Karnation), Hegel nomme magie la
dans les conditions usuelles de son accrochage, on ne la vmt procédure qui, dans l'œuvre, consisterait à << traiter toutes les
pas comme telle (elle n'en reste pas moins efficace). couleurs de façon à produire un jeu d'apparence sans objet
(objektloses), ce qui constitue la pointe extrême et évanescente
- Il y a plus. Cette aporie de la surface ne prend effet que du coloris ; c'est une interpénétration des couleurs (ein
dans l'événement coloré du tableau. C'est aussi d'une épipha Ineinander von Fiirbungen), un jeu de reflets qui sont eux
sis-aphanisis de la couleur qu'il s'agit. Et encore, quant à la mêmes des reflets de reflets, le tout étant d'une finesse, d'une
couleur : une ouverture mi-énigmatique, une fermeture ml instantanéité, d'une plénitude de vie et de sentiment telles
heuristique. La première entrevue avec les Dessins de Bonnefoi qu'on se sent presque transporté dans le royaume de la
me fut l'épreuve d'une confusion, à tous les sens du mot musique 10• >> Le pan gris du tableau de Bonnefoi prendrait ici
- une confusion colorée, l'impossibilité de discerner ce qui l'exacte mesure de cette exigence de l'Ineinander : l'Un-dans
faisait couleur-pigment et ce qui faisait ombre colorée dans ces l'Autre, la traversée, l'entrelacs, la finesse, l'instantanéité. Mais
œuvres. << Mon >> lambeau, par exemple, fait ici dilution de ses avec cette différence toutefois : l'entrelacs est ici travaillé et
pensé dans une dimension où il apparaît justement comme
cit.,
7 . C. Bonnefoi, « À propos de la destruction de l'entité de surface », art.
10. G. W F. Hegel, Vorlesungen über die Asthetik, Francfort, Suhrkamp, 1970
p. 166. , 1980), III, p. 80-81. Trad. S. Jankélévitch, Esthétique, Paris, Flammarion,
(ed.
8. Ibid., p. 163.
9. Id., « Sur l'apparition du visible », art. cit., p. 201. 1979, III, p. 273.
APPARAÎTRE ÉLOGE DU DIAPHANE 107
106
incompatible avec toute notion du reflet. Vlneinander s 'éla qui croyaient que la couleur n'est qu'une qualité de surface
bore en fait comme l'efficace d' obombrations ou de lumines (super/�ete) et contre Platon qui croyait que la couleur se
cences sans << objets >> (et même sans partis pris formels), de résume à une pure qualité lumineuse (!ume), Aristote, plus per
passages colorés à travers un labyrinthe diaphane d'épaisseurs. t�nemment, a tenté de dialectiser cette notion de coloris, Il l'as
signe à quelque chose qu'il nomme en grec to diaphanés, et
- Ce serait en quelque sorte la peinture la plus luczde qui soit. 13•
que Dolce traduit en italien : la luczdezza Exiger la peinture
la plus << lucide >> qui soit revient donc, déjà, à la penser selon
Peut-être, comme telle, conscience déchirée. Parce qu'elle
f
s?� ond d'invisibilité. Le point crucial de l'hypothèse aristo
pense la constitution du visible non dans les termes d'une pure
déposition chromatique ou signifiante sur la toile, mais dans teliCienne --:- et qu'elle ,soit << péri;née >> au regar de la phy
_ nen : c est precisement parce qu elle est pré
?
ceux d'un avènement transperçant de la couleur, en tant que sique n� lm ote
lux ou bien en tant que lumen. Elle exige d'elle-même un newtomenne, refuse la distinction de la couleur-pigment et de
déploiement de la couleur qui soit << d'un autre point de vue la couleur << naturelle >>, par exemple, qu'elle est intéressante
que chromatique 11 >>. Son lieu, son là, n'est dès lors plus une aujourd'hui dans le champ pictural -, ce point crucial consiste
évidence, mais quelque chose comme un avènement-évidement à distinguer la puissance et l'acte de la couleur. << On peut
de densités : ce serait d'abord une << irruption de la densité en
sance >>, écrit Aristote 14, « Diaphane >> est le nom de la cou
prendre chaque sensible en un double sens : en acte et en puis
place de l'image >> ; ensuite l'« apparition à la surface d'un effet
de l'effacement 12 >>. J'y ajouterai une troisième << dimension >>, leur en_ puissance. C'est une pure dynamis. « Là où le diaphane
doit être l'incolore, comme celui du son, le silencieux 16• >> Or,
strictement parlant, a lieu dans une portion d'espace comprise telle, de l'apparition du visible. « Le réceptacle de la couleur
entre le plan devant lequel est posé le tableau (le mur derrière
lui : car, s'il est coloré, ou miroir, ou source lumineuse, ou ce « réceptacle >> est pensé comme une nature mixte (koinè
autre chose, tout change) - et d'autre part ce là, lui-même physis) de l'air et de l'eau : l'atmosphérique et ]'aqueux, les
équivoque, d'où je le regarde. Que la visualité de ce tableau deux élét;J�nt� dont l' œil lui-même est constitué. Le diaphane
_
sera eleve _
a 1 acte par la pmssance du feu qui lui est imma
nent : son actualisation, c'est la lumière. r;événement coloré
ne soit pas assignable à un plan (une distance fixe, une super
ficie, un extensum) mais à un espace labile (un spatium), cela
porte avec soi la conséquence d'une motilité, d'une inquiétude _i
en const tuera la détermination singulière, selon les corps,
du regard. Entre savoir (mi-ouverture heuristique) et obnubi selon qu ils renferment plus ou moins de feu ou de terre, de
lation (mi-fermeture énigmatique). l'élément brillant ou de l'élément obscur. << La lumière est
comme la couleur du diaphane >>, mais la couleur en tant que
14. Aristote, Du sens et des sensibles, III, 439a, trad. }. Tricot, Paris, Vrin,
l'opposition entre couleur et coloris au XVI' siècle. Ludovico
Dolce résumait ainsi le problème : contre les Pythagoriciens 1951, p. 13.
15. Id., De l'âme, II, 7, 418b, trad. ]. Tricot, Paris, Vrin, 1972, p. 107.
16. Ibtd., 418b, p. 109.
1 1 . C. Bonnefoi, « Sur l'apparition du visible », art. cit., p. 199. 17. Ibid., 418b, p. 107.
12. Ibid., p. 207, 213, 227.
APPARAÎTRE ÉLOGE DU DIAPHANE 109
d��a �isibllitécorps 19 ». tactile. Sauf que l'espace haptique, tel que le définissait Riegl 23,
parce qu'il conti e bien la limit e du , . trouve ici un renversement de rous ses paramètres - la « cer
Autrement dit : la cou ieur « exl � dans
Ce qui ouvr e titude de l'impénétrabilité » et la disparition des ombres, entre
mais n'.est p�s d 1 ama moms· 1a ltmtte du corps 20 te · '>
'
extrême autres choses -, pour la simple raison que ce dont nous nous
ble de la « poin
la posslblhte decolorts, ».duLatrou
u et
,
cou le � r existe aussi subtil ement; ar>pt-ochons, là, ce petit pan gris, n'est pas une surface stable
évanescen te du , u e n deçà du co�ps coloré, et re)Jréserltati'on. C'est précisément la pénétrabilité poten
nt act ua hse e, un pe
différemme a de 1 · et 1·usqu'à mo·t, et au-dela' de moi support qui fait pan, et c'est précisément l'équivoque
un peu au-de1,sée à !a s fac s o eIle est un jeu et de l'ombre colorée qui appelle le
· .
m,
n'est pas dépolle vacllie de pla�� e� ;f:�s dans l'espace. ' à un aheurtement (choc et achoppement) face au
de la hmue, e .
ons par ' l a qu el q ue chose de l'effe t Ce mot de pan est donc là (il faudrait en construire la
Nous saisiss
. aissen t mieu x son effilcacité, sa puissa. nc
de ce pan gn s . Appar , pan de grts ) pour essayer, vaille que vaille, de rendre compte de
il'tte, sa subtilité . Ce petit
_
de trouble et de mot une acte mais aussi une existence « aporétique » du tableau : entre densité et
feste non s�ulemendtans l���r:�de'::'x de � es effets de iMMI'PnrP endroit et envers, incision et indécision, plan et
leur en pmssance,
439a, p. tâme, op. cit., III, 12, 435a, p. 215.
des sensibles, op. cit., Ill,
18. Ibid., 418a, 105. Id Du sens et
P· Londres-Ca mbridge, 12, 435b, p. 217.
Hett ,
co/oribus, II, 792a-I V, 792b , trad . W. S .
·• Riegl, SpiitrOmische KunJtindustrie, Vienne, Üsterr. Staatsdruckerei,
De Cf. H. Maldîney, Regard, parole, ôpace, Lausanne, VÂge d'homme,
p. 8-21.
Classical Library, 1936,
418a, p. 106. . 196.
19. Id., De l'âme, op. cit., . 14.
Du sens et des senstbleJ� op. at., III, 439a, p.
20. Id.,
110 APPARAÎTRE
trelacs (le << pan est aussi une sorte de filet pour capturer les
animaux sauvages). Le lambeau gris du tableau est tout cela
>>
(1984)
11
Ressouvenir d'écume
Un jour - cela se pass il y a bien longtemps, au IV' siècle
avant Jésus-Christ -, le epein tre grec Apelle, dans un geste
de fureur, projette, contre un table
miner, une éponge imbibée d'eau,audegu'coul il n'arrivait pas à ter
organiques, peut-être du blanc d'œuf mêléeurs à du
et de liants
quelque obscure semence animale. En un instant, enlaitunoucri,à
le tableau explose et se défigure. Une écume blanche a envahi
l'image, la striant par endroits de filets, d'aléas, d'éclabous
sures rouges. La figure peinte, Aphrodite, gu'Apelle a détes
tée, ou plus vraisemblablemen t trop aimée, la figure peinte a
presque disparu. Voilà gue cette grande tache d'écume l'a en
partie recouverte et vient faire flott er tous ses contours. Le
tableau, naguère inachevé, semble bien << achevé >>, à présent :
niais au sens d'un meurtre. Il ne se donn e plus gue comme
Une large surface d'indécision.
C'est alors gue le peintre Apelle contemple, comme en
- avec ce caractéristiqu
et d'un impossible auqueleonméla ne
nge d'un réel gui s'im-
saurait oser croire -,
{! procl!ge qu'il vient malgré lui de susciter
représentée, et pourtant elle : Aph rodite a bien
le.
est
présente devant lui. Elle est là en ce sens pluslà, gue
aut·ette naît. Non pas comme une forme formée, puisque l'évé extrême
;t�emetat de la tache a tout bouleversé dans le tableau. Mais
cela : comme la formation même du corps
dans le remo d'écume, les gouttes de sang et
� sp,ern1e d'un dieu - leusCiel
''"'l"" vu'"
sait y donner l'angle de chaque ligne qui se brise. Tout lui de quoi il est question - la mer, le corps d'Aphrodite, l'île
devient discernable, tout lui est un détail. de Cythère -, << mais quand même... >>, se dit-il. Car il sent
Mais, au lieu de se satisfaire, son désir de voir s'affole et aussi que tout ce qui accorde les éléments visibles entre eux
finalement se pervertit, devient insupportable. Car chaque répond à un travail souverain de l'énigme. Par exemple, lors
détail est un point qui accuse ou qui renie les autres. Le lien qu'il suit du regard la hanche d'Aphrodite, très vite ce qu'il a
lui échappe. Il a beau chercher le fin mot de l'image dans pris pour une hanche se met à ruisseler partout, à rouler en
chaque partie, chaque partie aussitôt éclairée lui renvoie écume, et l'écume dessine le rivage, et la terre du rivage fait
l'énigme de toutes les autres. Il enquête, il accuse : qu'y a-t-il comme une hanche de femme. Là, donc, plus d'espace à mesu
donc « sous >> chaque détail, qu'est-ce qui tente de s'y cacher ? rer : le lointain ne cesse de s'approcher tandis que le proche
Et l'arpenteur du visible ne sera plus jamais satisfait de tout dessine jusqu'à l'horizon lui-même.
ce qu'il a vu - bien qu'il ait été capable de tout voir. Il vou C'est ainsi que l'arpenteur du visible découvre la contradic
dra donc aiguiser toujours plus son œil de veilleur, et son œil tion des figures : une figure sait être autre chose que ce qu'elle
deviendra cruel, vrille ou foret : il creuse le tableau comme on figure. Elle est même faite, lui dira Aphrodite, pour cela exac
ouvre un corps. C'est alors qu'il se voit lui-même dans le bois tement. Tout ce à quoi répugne le réalisme de la réalité
du tableau, par-delà l'image. Jamais Aphrodite ne lui a sem -:- qu'une hanche de femme soit d'écume et de rivage -, la
blé plus lointaine et invisible. Il comprend combien le détail figure, elle, n'est faite que pour le produire, comme des
fut un appât pour son regard. Et il constate avec horreur qu'il << images de rêve mal condensées >>, ainsi que le disait Freud
se meut dans les fibres du bois comme le ver qui ravage un devant un énigmatique tableau de Léonard. Grâce à la contra
chef-d' œuvre d'Apelle. diction des figures, le monde peint s'est débarrassé de tout
<< quant à · soi >> ontologique : les corps, dans la peinture, ne
sont pas séparés. Voilà ce que découvre notre héros devant
Le regard pour s'endormir cette hanche qui fait rivage. Les figures jouent et se jouent de
L'angoisse, donc, chemine en lui. Il voudrait incliner sa tête la contradiction, elles savent jouer l'être et son autre en même
et refermer ses cent yeux, mais il connaît son destin - destin temps, jouer l'être avec son non-être. Elles ont jeté au diable
d'Argus - s'il s'abandonne à dormir : une épée recourbée lui la limite, la séparation exigible de toute chose identifiable.
trancherait le cou, et les cent yeux éparpillés ne seraient plus L'arpenteur du visible comprend alors en quel sens un disciple
qu'une constellation d'ocelles sur le plumage d'un paon. Alors, · de Platon avait pu parler, autrefois, du tableau d'Apelle comme
il appelle Aphrodite, il gémit, se repent. Il dit : « J'ai discerné d'un << entrelacement de l'être et du non-être >>.
l'aspect des moindres choses, et voilà que ma lucidité m'a porté Devant cet entrelacs, la logique s'ouvre comme une boîte de
bien au-delà de tout ce que je désirais regarder. Voilà que ma Pandore. Un logicien dirait sans doute qu'elle se perd, ou
lucidité m'épuise. Ce n'est pas en voyant toute chose, je le même qu'elle se referme. Comment raisonner ouvertement sur
comprends désormais, que l'on regarde un seul objet. Le une image de peinture dont on ne peut pas affirmer, en fin de
regard du veilleur n'est pas mon lot, il me tue. Donne-moi au compte, ce qu'elle est, sinon qu'elle est une image de peinture ?
moins de quoi m'endormir. >> Cela s'appelle une tautologie : une << fermeture >> logique. Mais
Aphrodite l'exauce en lui donnant un regard qui ne saisit �ela s'appelle aussi une fascination : une ouverture ontologique.
déjà plus et qui sombre déjà : c'est le regard de qui s'endort A présent, l'arpenteur peut cesser d'arpenter le monde visible
sans dormir encore. La sensation en est celle d'une chute très puisque la peinture - la matière peinture - le tient rivé à
lente et de quelques éblouissements. Les objets n'y ont pas elle dans la fascination. Elle le tient devant elle comme l'évi
. denee et
vraiment perdu leur consistance réaliste, mais la logique qui l'énigme mêlées d'une tache d'écume qui fait un corps,
les relie se met à flotter, presque à divaguer. Devant le tableau la mer et son rivage tout à la fois. Elle le tient devant elle comme
d'Apelle qui lui réapparaît, l'arpenteur du visible « voit bien >> l'évidence et l'énigme de la figure figurante, de la figure-ques-
118 REGARDER LA PARABOLE DES TROIS REGARDS 119
tion, et cette question est sans fond. Elle le tient devant elle L' arpenteur comprend alors le mot << soif >> prononcé tout à
comme la simplicité d'une matière en acte : la peinture, la pein l'heure par la déesse apparaissante. Mais il aura compris trop
ture faite d'eau (une mer en puissance), de pigments terreux tard : le voilà livré à l'épreuve d'une étrange noyade, où son
(un rivage en puissance) et de liants organiques (des corps en corps devient l'eau qui le noie. Ses cheveux flottent comme
puissance). Elle lui donne à comprendre pourquoi ce tableau des algues autour de son visage, l'enveloppent d'un froid gla
ci fut nommé Aphrodite anadyomène : c'est parce qu'il dési cial. Et dans ce froid il n'y a plus que l'intense ballottement
gnait le mouvement même de sa matière, l'écume (aphros, en de ce qui surgit et sans cesse replonge. En sombrant, le pauvre
grec) qui fait éclore une forme, retombe dans les dessous, resur héros n'a que le temps de penser à Ophélie car, sombrant, il
git, roule en vagues sur le sable. Et elle lui donne à entendre regarde tout ce qu'elle dut voir. A ce moment - moment du
la rythmique rumeur de l'œuvre. plus profond de son sommeil -, il sentira l'éparpillement de
tout son corps : c'est une gigantesque turbulence qui le met
en pièces, ou plutôt en milliers de trajectoires liquides, de
Le regard pour songer
vagues, de jaillissements, de gouttelettes et d'embruns. Dire
Enfin, Aphrodite exauce un troisième vœu que l'arpenteur qu'il se sent mourir n'est qu'une approximation de ce qu'il
du visible n'a même plus à prononcer. Elle lui donne le regard ressent - il le ressent en tout cas comme le prix à payer pour
pour songer, regard de l'au-delà du visible, et cet au-delà, elle avoir regardé la déesse Aphrodite. Il serait plus juste de dire
le nomme le visuel parce que c'est un mot qui sonne bien, qu'il est devenu lui-même, tout simplement, une grande écla
dit-elle, avec le mot virtuel. Notre héros plonge alors dans un boussure d'écume et de sang.
rêve de blancheurs. Non pas des blancheurs étales, mais des
mouvements, des remous de blancheurs : où cent corps, cent
jaillissements liquides, cent rivages peuvent surgir et attendent, Épilogue de la petite sirène
virtuels, qu'on les effleure, qu'on les touche du doigt ou des L'aube le réveillera. Son œil s'ouvre sur un lointain estompé,
paupières. Chaque brassée de l'espace devient le nœud d'une où la rosée noie encore tous les contours du monde réel. Elle
myriade de figures virtuelles dont la vie serait, justement, ana a aussi humecté son visage d'une froidure déjà automnale. Par
dyomène. delà les brumes, une grande raie rouge traverse l'horizon.
L'arpenteur ne se tient donc plus devant l'image, mais en L'arpenteur du visible se relève et, machinalement, il penche
elle - comme en un milieu de blancheurs vivantes. Ondes, à nouveau son visage au-dessus de l'eau du puits. Il ne par
marées, vapeurs, auras ou tourbillons, qu'importe puisque tout vient toujours pas à se voir distinctement, sauf ses cheveux qui
ici n'existe qu'en se métamorphosant. L'œil du héros a perdu font dans l'eau quelques sinuosités d'ombre. Lorsqu'il
tout objet à << saisir >>, au sens du visible. Désormais, il est en remarque trois petits poissons qui nagent innocemment au
lui-même perdu dans le visuel comme on se perd dans le désir fond du puits, il se demande un instant s'ils ne sont pas sor
ou le dessaisissement de tout repère. L'œil - qui n'est, après tis de son propre cerveau.
tout, qu'une grande goutte d'eau vibratile, traversée de nerfs, Voulant chasser cette idée, il se souvient du temps de son
de quelques fines zébrures sanguines et d'une couronne enfance où il aimait sans fin à contempler les poissons, et à
d'iris -, l'œil rejoint son remous natif, il se recueille dans le s'imaginer quelque amour romanesque et malheureux avec la
milieu de l'image comme le poisson replonge dans la mer ; petite sirène d'Andersen :
puis il s'y laisse aller, rêveusement. Visualité flottante, à tous
les sens de ce mot. Non, les corps ne sont pas séparés dans « Tout devint silencieux, La petite sirène, appuyée sur ses bras
l'image, pour la simple raison que c'est une même matière, un blancs au bord du navire, regardait vers l'orient, du côté de l'au
même remous, qui leur donne naissance et constitue l'espace rore ; elle savait gue le premier rayon de soieil allait la tuer.
de leurs séparations. Soudain ses sœurs sortirent de la mer, aussi pâles qu'elle-même ;
120 REGARDER
reviens ! Vois-tu cette raie rouge à l'horizon ? dans quelques Voir au-delà des corps ?
lever du soleil, il faut que l'un de vous deux meure. Tue-le, et
minutes le soleil paraîtra, et tout sera fini pour toi ! Puis, pous
"
> )JesCie< de Brouwer, 1947-1982, voL I-LXXII). Pour les textes non encore tra
de la « Bibliothèque augustinienne » (saint Augustin, Œuvm,� Paris,
ontologique - désir et défi mêlés en une sorte de corpsdeà une ligne continue où Augustin « n'a eu qu'à ajouter à l'in
corps. Comme si Augustin, révoquant tous les « fantômes e telligentia de Cicéron le qualificatif de divina pour obtenir une
splendeurs », n'avait pour autant jamais renoncé à poursuivr définition chrétienne de l'Idée 4 >>. Il est hors de doute que
une splendeur qui ne fût ni vide, ni spectrale, ni m,ême l'océan philosophique sur lequel navigue saint Augustin s'iden
« visible >>. Comme si Augustin avait cherché dans l'Etre, tifie globalement avec l'idéalisme néoplatonicien : comme
opposé au visible trompeur, quelque chose comme un réel de Plotin, comme Platon autrefois, ]'évêque chrétien admoneste
la splendeur. Mais qu'est-ce que cela peut signifier, un réel non sans répit tous ceux qui « se refusent à viser plus haut >>, plus
visible de la splendeur ? haut. que leurs yeux - ce qui, soit dit en passant, « leur per
Il faut se souvenir - et le livre IV des Confessions nous le mettrait de juger pourquoi les objets visibles sont agréables >> :
rappelle lui-même - que le tout premier ouvrage composé
par Augustin traitait de la beauté corporelle comme d'un accès « Supposons que je demande à un maçon (arti/ex : un artisan ou
privilégié à la vérité de l'être : si la beauté nous attire tant, un artiste) qui vient de construire une arcature pourquoi il en
c'est que nous voulons nous unir à elle ; et si la beauté suscite TI répondra, je pense : "Pour que, dans ma construction, les par�
entreprend une seconde toute pareille, en face, du côté opposé.
leur indivision originaire, leur qualité d'essence... Au moment cisément cette disposition, il dira que cela convient, que c'est
respondeant). Si j'insiste et lui demande pourquoi il adopte pré
des Confessions - œuvre pourtant vouée à l'exercice de la beau, que cela plaît aux regards (delectare cementes) ; il ne se
mémoire -, saint Augustin aura non seulement renié son hasardera pas plus loin. Courbé vers la terre, il s'en remet à ses
ouvrage, mais encore il l'aura « perdu, égaré loin >>, ne se sou yeux sans comprendre le principe 5• »
venant même pas en combien de livres ou parties il était com
posé 3. Entre Augustin perverti par le visible et Augustin Et à quoi revient ce principe que l'artisan ne comprend pas,
converti par la foi chrétienne, la distance n'est pourtant que alors même qu'il le met en œuvre ? Quel est le pourquoi de
celle d'Augustin à Augustin : il y a dans son écriture un reste, cette symétrie, de cette similitude entre les parties, de leur
un relief>> de l'oubli, il y a dans ses élaborations les plus tar répons agréable aux yeux ? Tout revient, dit saint Augustin, à
dives et les plus conceptuelles cent « flots d'images >> qui ren
<<
l'« unité d'une harmonie >> unitas et convenientia, dont le
:
dront bien vaine la tentative critique de « remettre les méta principe transcendant sera à son tour nommé « l'unité unique
phores à leur place >>, c'est-à-dire d'abstraire le texte de qui découle toute unité >>. Idéale unité, donc, que cette
augustinien des figures visuelles qui le circonviennent en son ultime « unité unique >> par rapport à laquelle tous les êtres
principe. du monde, si beaux et parfaits soient-ils, n'existent que comme
La façon la plus simple et la plus classique - mais, on le les traces imparfaites, les indices, les « vestiges >> (vestigia)
verra, insuffisante - d'expliciter l'attitude d'Augustin à épars 6. Le monde peut bien faire « les délices de mes yeux >>
l'égard du monde visible, serait évidemment d'en appeler à la par tout ce qui m'entoure - « les formes belles et variées, les
leçon idéaliste et néoplatonicienne : saint Augustin faisant couleurs vives et fraîches >> -, ce monde n'en restera pas
sienne la reconquête par Cicéron d'une part, Plotin d'autre moins, et pour la raison même qu'il m'est visible, le lieu
part, d'une Idea ou « forme intérieure >> (endon eidos) dont oppressant, trop terrestre, d'une perpétuelle dissémination,
toute beauté, toute forme visibles ne seraient que les copies que nomme justement le mot vestige.
- des « reflets >>, inférieurs bien sûr en dignité ontologique.
C'est ainsi que Panofsky développe les prestiges de l'Idée selon 4. E. Panofsky, Idea. Contribution à l'histoire du concept de t'ancienne théorie
l'art (1924), trad. H. Joly, Paris, Gallimard, 1 983, p. 198.
5. Augustin, De vera religione, XXXII, 59.
3. Id., Con/essionum, IV, 13, 20. 6. Ibid., XXXII, 59 à XXXVI, 67.
124 REGARDER LES PARADOXES DE L' ÊTRE A VOIR 125
Lorsque je vois avec plaisir ces << couleurs vives et fraîches » de l'exigence qui lui était soumise : voir au-delà des corps
du monde, j'oublie qu'à ce moment même je ne vois pas la visibles - puisque telle semble bien être, en ce contexte, l'in
lumière, reine des couleurs » qui, pourtant, inondan « t t?ut jonction maîtresse.
ce que nous distinguons, où que je sois durant le jour, s.e ghsse Le paradoxe, c'est que la visée de l'<< unité unique >> ne
«
vers moi de mille manières et me caresse alors que Je fmsvoir autre puisse faire autre chose qu'engendrer la dissociation du sujet
chose et ne lui prête pas attention ». li faudrait donc la dépositaire d'une telle visée, la bifidation de l'acte de voir
envers et contre lui-même . L'œuvre d'Augustin, il est vrai, ne
7
il exigeait, inventait ce qu'on peut nommer un corps chrétien « Eh quoi ! Je suis assis chez moi, et un lézard qui cherche à
organique Il faut se souvenir qu'au temps d'Augustin les
9
• prendre des mouches, une araignée qui les entortille dans ses toiles
corps - disons, pour commencer : la cohésion globale du
tion 1 1 ! »
dès qu'elles s'y jettent, suffisent souvent à capter mon atten
corps social - ne venaient pas au monde chrétien comme dans
un élément immémorial, stable et unitaire. L'édit impérial par
lequel le christianisme avait été porté au statut de religion d'É . Faudrait-il
Pire
alors méditer la mort en la dévorant des yeux ?
est encore la perversion lorsque la curiosité se satisfait
tat, cet édit était tout récent (il date en effet de l'an 3 80). Aussi d'expérimenter dans le visible ce qui pour l'homme le plus
n'effaçait-il pas la mémoire du temps des martyrs, dont on souvent signifie le pire - ainsi, << regarder dans un cadavre
continuait de retranscrire les Actes. Et le fait que le culte païen déchiqueté cela même qui te fait frémir d'horreur » (vzdere in
se soit vu interdire à Rome, en 391, n'aura pas pesé bien lourd latziato cadavere quod exhorreas) ... Pourtant, il accourent bien
lorsqu'en 410 le Barbare Alaric mit à sac la Ville éternelle. les badau?s, . les cur�eux, à la vue de ce corps qui gît au sol:
D'autre part, le christianisme lui-même se débattait dans la tous fremissent d horreur, et tous << craignent même de le
convulsion de ses propres hérésies - le manichéisme avant r<eva,H· en dormant, comme si, éveillés, quelqu'un les avait for
tout, qui avait « séduit Augustin avant d'être pourfendu par
>>
s�s � le voi , ou qu'utze rumeur de beauté les y eût engagés »...
lui, et l'arianisme qui pervertissait en profondeur les assises du
dogme trinitaire. Enfin, le monde antique, le monde païen des (Üns1 sont-:�s tous la, de leur propre fait, yeux écarquillés,
grandes philosophies et des grandes idolâtries, continuait demeurant la-devant, comme pour éprouver la pâleur qui les
d'exister en face de l'âme chrétienne, comme cette chose étran >!Wif!ne (ut palleant) 12
.
gement familière qu'il fallait bien sûr renier, mais comme on réalité, âli�sant, ils ne s'aperçoivent pas de leur propre
renie sa langue maternelle - c'est-à-dire dans le démenti ou é11id,en<:e : qupils tmttent la mort. Car, si la passion du visible,
la << tourmente de la conscience ». en boucle à la passion des corps, se nomme perversio
Voilà pourquoi, dans les milliers de pages écrites par saint ne,qut''tia, c'est bien parce que l'homme ne tourne là son
Augustin, nous en trouvons des centaines consacrées à cet ,J;e:ga1td que vers le néant. Nequitia - la << dissipation » du
<< homme en lutte contre lui-même » qui cherche la forme - doit son nom, écrit Augustin, à l'expression ne quid
d'un désir inédit en sacrifiant toutes les formes de ses désirs c'est-à-dire rien, << et c'est pourquoi les grands pervers
anciens, nommés ici << tentations », là « concupiscences », appelés des hommes de rien » (et tdeo nequissimi
ailleurs << perversions ». Car c'est bien de perversion fJO<"!t1tes, nzhili homines appellantur) La thèse majeure de
13
•
s'agit lorsque, fasciné par l'indéniable beauté des stattwes Augustin, en la circonstance, sera donc que l'homme
antiques, l'homme idolâtre se rend incapable de discerner ', vers le visible comme vers le néant thèse radicale au
:
avec eux tous les désirs de la chair (malignus spiritus... tene fait en realite que pour le déchirer de l'intérieur :
brat sensus... nebulis implet) Les « âmes plongées dans les
15•
affections de la chair >>, écrit ailleurs Augustin, « ressemblent « Car le poisson aussi se réjouit quand ne voyant pas l'hameçon
ainsi à des bois remplis d'eau (ligna humore saginata), où le il dévore l'appât. Mais, lorsque le pêcheur commence à le tirer
'
feu ne vomit (vomit) que de la fumée et ne peut avoir de . ses entrailles sont d'abord déchirées, ensuite, par cette nourriture
cause de sa joie, il est entraîné de la joie à la mort. Ainsi il en v;
'
Entre « se remplir >> et « vomir >>, la métaphore augusti de tous ceux qui pensent trouver leur bonheur dans les biens tem
nienne - même lorsqu'elle concerne des éléments aussi sub p�rels. Ils ont mordu à l'hameçon et ils errent avec lui çà et là.
tils que feu, lumière ou fumée - ne cessera plus de juxtapo rés avec avidité 18• »
VIendra un temps où ils sentiront quels tourments ils ont dévo
Ibzd., VII, 8.
15. Id., De diversis quaestionibus, XII. Ibid., II, 2.
16. Id., De agone christiano, XVI, 18.
130 REGARDER LES PARADOXES DE LÊTRE À VOIR 131
Retraçons l'essentiel de cet argument : l'être, affirme fie généralement de nomen substantiae - en l'impliquant, en
Augustin, se définit principalement par ce qui ne �hange pas. l'involuant dans son écriture. La langue latine, certes, se prê
Mais qu'est-ce qui ne change pas ? Ta pupille se retracte, ton tait moins que l'hébreu à l'espèce d'agglomération temporelle
corps vieillit, et ton âme elle-même se modifie, passe d'un état nécessaire pour rendre compte d'une entité qui « n'est pas
à l'autre, s'assombrit quelquefois jusqu'à s'éteindre presque. faite, mais est comme elle fut, et ainsi sera toujours >> : entité
Ce qui ne change pas, le seul esse verum, c'est Dieu. Parce dans laquelle l'avoir été et le devoir être sont contenus, noués
qu'il cumule les deux attributions de l'éternité �! de l'im?'u « dans l'être seulement, puisqu'elle est éternelle >>. Augustin
20
tabilité Dieu se donne non seulement comme 1 etre supreme a. donc forgé un signifiant, évident et original tout à la fois,
(summ �m esse) ou la suprême essence (summa essentia), mais pour ce présent d'éternité qui devait ici fonctionner comme
encore comme le seul être qui soit « pleinement véritable >>. Nom propre de Dieu « à la troisième personne >> :
Le texte biblique lui-même ne suggérait pas autre chose lors
qu'il fondait l'énonciation princeps du sujet doué de l'être dans « Qu'est ceci, ô Dieu, notre Seigneur ? Comment te nommes-tu ?
une espèce de boucle tautologique mise, si l'on peut dire, dans -Je me nomme Est, répond-il. - Mais encore, que veulent dire
la bouche même de l'Autre absolu, ce Dieu qui ne parlait là, nité [ . . ] 21• »
ces mots : Je me nomme Est ? - Que je demeure dans l'éter
.
évidemment,. qu'en) 19son Nom propre : «Je suis celui qui suis >>
(ego sum quz sum . Ainsi, l'idée d'un Nom propre de Dieu aura-t-elle dû exi
Or, le << Nom propre >> en question n'est pas donné sous une ger, produire dans l'écriture quelque chose comme un hapax
autre forme que celle d'un segment verbal : qui sum - c'est humain, symétrique de l'imprononçable ego sum divin. En
cela que je suis, c'est comme cela que je m'appelle, dit cet être affirmant de Dieu qu'il « est l'Est >>, saint Augustin pensait par
qui n'est pas un être humain. Le Nom propre de D1eu se pro venir à. une nomination qui n'objective rien, propulse à l'in
nonce donc d'abord (et de façon interdite à toute bouche fini le « sujet >> du Verbe, et ne s'entende que selon la tempo
humaine) comme un verbe en première personne où s'affirme ralité d'un présent bien particulier, qui n'est pas le présent
le pur « est >> d'un ego divin. On ne s'étonnera donc pas que historique du deest latin mais celui, éternel, éternellement
le Nom propre de la personne en question - au sens strict actuel, d'un est épuré. C'est un présent qui a toujours été pré
que donne à ce mot toute la théologie trinitaire - soit le Nom sent et le sera toujours, un présent sans passé qui lui aurait
Verbe. Le Nom de Dieu, c'est d'abord son Verbe, terme pour préexisté, sans devenir ni avenir. C'est donc une présence sans
lequel il convient d'adopter la majuscule, puisqu'il dénote ici contamination d'altérité, sans « faille de néant >> : lorsque mes
le nom propre d'une personne. Souvenons-nous que, pendant cheveux blanchissent, dit Augustin, c'est la couleur de mes
des siècles, les chrétiens, entrant dans leurs églises, se sont age cheveux qui change et donc qui meurt, admet l'altération,
nouillés et s'agenouillent encore devant les figures d'un enfant penche vers le néant. Or, rien en Dieu ne change ni ne s'al
qui tient entre ses mains le phylactère de la certitude d' exis tère et, lorsque saint Jean écrit qu'« au commencement était
ter ego sum. Ainsi, l'existence vraie, sous sa forme apodic
: lç Verbe >>, ce temps n'est au fond qu'une manière de rejouer
tique, était-elle sur terre confiée au seul Fils de Dieu, au seul J'imparfait d'essence, le to ti èn einaï aristotélicien : ce n'est
Sauveur du monde - ego sum lux mundi -, et ce Fils, cette donc, du point de vue d'Augustin, qu'une figure du présent
lumière, la théologie les nomme encore Verbe. d. 'éternité, qui englobe l'imparfait puisque, dès le commence
Parce qu'il n'était pas seulement glossateur de doctrmes, .
et pour toujours, le Verbe est, « ne progressant pas parce
mais aussi inventeur et écrivain, saint Augustin a tenté d'ex est parfait, ne déclinant pas parce qu'il est éternel >>
22•
Cette insistance à concentrer la nomination de Dieu, son Augustin demande que l'on s'interdise de penser qu'est ce
« nom de substance >>, dans quelque chose qui n'est justement Dieu, parce que nous pouvons dire seulement qu'il est, par
pas un nom grammatical, mais se donne plutôt comme une excellence, au-delà de toute attribution. En quoi l'exigence
pure temporalité de cristal - un verbe sans sujet et sans déter augustinienne se déploie sur le fil d'un rasoir : à l'exacte limite
minant -, cette insistance comporte pour nous une consé d'une théologie positive et d'une théologie négative, soit à
quence majeure, encore une fois paradoxale : la divinité y est l'exacte limite d'une affirmation absolue (il est l'Est) et d'une
postulée comme perfection, comble de la présence (qu'est-ce condamnation de la pensée à un silence non moins absolu du
qui, en effet, pourrait être plus que cette chose qui se nomme négatif (ce qu'est l'Est, jamais vous ne le saurez, vous, les
Est ?) ; et cependant, pour la raison même qu'une << tempora vivants de la terre).
lité de cristal » exclut toute mise en corps, toute étendue, tout Or, ce fil du rasoir, Augustin le nomme très précisément :
espace, cette présence absolue n'est nulle part. << Dieu n'est pas il le nomme /ruitio, la jouissance, et même per/ruitio, mot où
quelque part », écrit Augustin, pour la raison qu'il n'est pas s'exprime que la jouissance comme telle ne saurait être qu'in
un corps 23• Au comble de la présence se superpose donc le finie 25• On s'aperçoit ici combien fut essentiel au discours
comble - disons, pour faire classique : la transcendance - théologique le rabattement terme à terme de la valeur sym
d'une absence. Ce Dieu est postulé comme Verbe, il est appelé bolique extrême - Dieu comme Verbe - sur la position d'un
Est... mais qu'est-ce qu'un verbe sans sujet grammatical Réel absolu : Dieu, unique Réel de l'être, son infinie et soli
situable, énoncé ou visible ? Quant à l'infinité de ce Est, ne taire << plénitude », Dieu impensable se voit invoqué comme
suppose-t-elle pas que, quel qu'il soit, il sera infiniment loin l'unique objet possible de la jouissance. Sans lui, << qui seul suf
et que, fût-il infiniment près, présent contre ton visage, jamais fit >>, l'âme humaine, dira saint Augustin, << ne se suffit pas et
tu ne le verras ? Augustin, inlassablement, ressasse le paradoxe rien ne lui suffit 26• >>
- et même il l'interpelle, comme parlerait un aveugle à quel Mais ne jouit-on pas des choses humaines ? Augustin
qu'un qu'il ne peut pas toucher : répor;d en avançant une nouvelle dissociation : c'est qu'il y a,
parmi toutes les choses du monde, celles qui sont faites pour
« Mais toi, très élevé et très proche (altissime et proxime), très la jouissance (/ruitio) et celles qui sont faites pour l'usage
secret et très présent (secretissime et praesentissime), toi dont les (usus) :
membres ne sont pas les uns plus grands et les autres plus petits,
ceci ou comme cela, revient à situer sa qualité de présence au route ou le balancement des véhicules nous charment et nous
23. Id., De diversis quaestionibus, XX. 25. Id., De doctrina christiana, I, 10, 10.
24. Id., Con/essionum, VI, 3, 4. 26. Id., De trinitate, X, 5, 7.
134 REGARDER LES PARADOXES DE L'ÊTRE A VOIR 135
voudrons pas de sitôt finir notre voyage et, enveloppés d'une dou� sans fin qui ne viendra qu'à la fin, et dans laquelle tout est pro
ceur perverse (perversa suavitate implicatz), nous nous dét?urne� mis, tout sera contenu : vision, béatitude, inhérence à la« »
rons (alienaremur) de la patrie dont la douceur nous rendrait heu cause 30. . Jouissez sans fin au lieu de jouir partiellement, vous
dit la religion. Et elle ajoute : mais attendez, pour jouir sans fin,
.
fiancé, qui a fait cette bague pour elle, ne surprend-on pas, dans nous ne sommes pas le Dieu que tu cherches" , disent-ils. Et j'ai
cet attachement au cadeau du fiancé, un cœur adultère 29 ? >> dit à tous les êtres qui entourent les portes de ma chair : "Dites
Qu'est-ce que la bague ? c'est le monde. Qui est le fiancé ? c'est lui au moins quelque chose" (dicite mzhi de illo aliquid)[ . ] n >>
moi sur mon Dieu, puisque vous, vous ne l'êtes pas, dites-moi sur
.
le Verbe. Il ne faut donc ni aimer le monde contre son Créateur,
.
ni jouir du monde avant de jouir de la substance divine. Que Ce << quelque chose >> que diront les êtres sur l'Est qui les
faut-il faire, alors ? Il faut attendre. Attendre cette JOUissance domine sera énoncé, exclamé d'une immense voix (exclama-
27. Id., De doctrina christiana, I, 4, 4. 30. Id., De doctrina christiana, I, 10, 10, où sont juxtaposés les trois verbes
28. Ibid., l, 5, 5. per/ruere, penpicere et inhaerere.
29. Id., In primam Iohannis, II, 11. 31. Id., Con/essionum, X, 6, 9.
136 REGARDER
toute noire de l'Adoration (graphiquement ouverte, mais chro autres et de << creuser >> en quelque sorte le sens de cette scène
matiquement opaque) ; c'est l'espace liturgique et strictement biblique par-delà son apparence anecdotique.
architecturé de la Circoncision, de la Dispute au Temple ou de Quelque chose, en tout cas, se jouait là entre un devant
la Cène ; ce sont les effrayants cubes minéraux dans lesquels le visible et un dedans qui ne l'était plus. Qu'y avait-il, d'ailleurs,
Christ se fait injurier et flageller, cubes ouverts devant nous, dans l'armoire en question ? Il y avait d'étranges objets liés
mais si resserrés sur les corps qu'ils semblent devoir se refer justement au mystère - et à l'angoisse - des corps. C'étaient
mer sur eux ; ce sont les vides ouverts mais infranchissables du de précieux ex-voto que les riches Florentins (mais aussi les
tombeau christique ; ce sont les Limbes, antres montrés béants princes de l'Europe entière, les papes eux-mêmes) venaient
d'un monde qui n'est pas le nôtre ; c'est, enfin, l'extraordinaire déposer en offrande devant l'image miraculeuse de la
clôture lumineuse de la porte qui protège la Pentecôte. Santissima Annunziata, pour la salvation de leur corps.
Nous sommes donc, devant ces << cases >> subtilement géo Réchappait-on d'un attentat politique (comme ce fut le cas de
métriques, comme devant les tiroirs faussement ouverts (<< sous Laurent le Magnifique, en 1478) ou désirait-on guérir de
une apparence fausse d'ouverture >>, aimerait-on dire) d'une quelque maladie, que l'on offrait au sanctuaire marial des simu
armoire où se raconterait, mais en réseau tabulaire autant lacres de son corps, tableautins, morceaux de cire, portraits
qu'en narration, toute la mémoire du mystère de l'Incarnation : entiers ou objets de métal précieux, ces argenti que l'armoire
cela même qu'exigeait de toute image un grand dominicain du peinte avait pour fonction de conserver 4 Or, ces bras, ces
XIV' siècle, Giovanni di Genova 3• Nous n'en sommes pas cœurs, ces écrins d'or et d'argent, les images du peintre domi
moins devant I'Armadio comme devant le fichier borgesien nicain avaient d'abord pour enjeu de les recueillir et tout à la
d'un mystère toujours visuellement agencé, mais jamais visi fois de les celer au regard. Façon d'attester leur valeur et de
blement décrit ni expliqué : le tiroir est ouvert, nous lisons leur conserver quelque aura (le mystère de ce qui est dedans) ;
clairement la << fiche >> - sorte de résumé où l'Annonciation, façon aussi de présenter l'armature allégorique et dogmatique
par exemple, s'expose dans sa plus claire symétrie -, mais au d'un tel mystère d'écrin en disposant devant les yeux de cha
centre de l'image quelque chose vient nous indiquer que cette cun une mémoire figurative du mystère dont tous les autres
fiche en cache mille autres, comme la rangée d'arbres qui étaient censés procéder, le mystère de l'Incarnation.
fuient en rangs serrés derrière ce qui semble n'être, toujours
dans l'Annonciation, qu'un unique cyprès. La modestie et la
Figura : le passé raconté et la mémoire du futur
rigueur - la profonde et très particulière simplicité - de Fra
Angelico auront donc donné lieu à quelque chose qui se révèle Mais les images de l'Armadzo ne se contentent pas de don
pour être un véritable exercice de la subtilité figurale. ner une manière d'interface entre un devant et un dedans :
Et cette subtilité nous enseigne déjà ce qu'un peintre comme elles développent aussi une subtile dialectique du temps passé
l'Angelico pouvait attendre d'une image, lorsque cette image
servait d'abord comme clôture - et, plus rarement, comme 4. Cette armoire fut peut-être commanditée par Piero de' Medici en 1448
ouverture - pour un espace liturgique : donner, mais jusqu'à (selon la Cronaca de Benedetto Dei) pour l'église de la Santissima Annunziata à
un certain point seulement, les signes visibles et clairement Florence. Une première série de tableaux fut réalisée par l'Angelico entre 1450
et 1452. Mais, en 1461, sous les ordres de Piero de' Medici, l'armoire fut dépla
<< lisibles >> de choses connues de tous (une porte, un cyprès, cée et son décor pictural redistribué, donnant lieu à de nouveaux panneaux.
une Vierge, un ange aux ailes multicolores), puis, au-delà, don L'armoire était dans le « chiostrino dei Voti » lorsqu'elle fut déplacée en 1687
ner la dialectique visuelle d'une relation qui exigeait, pour dans la chapelle Feroni, puis dans la chapelle Galli. Les panneaux furent démem..
comprendre une seule scène représentée, d'avoir vu toutes les brés en 1782, et placés dans la bibliothèque de l'église, d'où ils passèrent en
1810 à l' Accademia. Ils sont aujourd'hui conservés au Musée de San Marco. Sur
toutes ces transformations, cf. surtout E. Casalini, « L'Angelico e la cateratta per
3. Giovanni di Genova (Giovanni Balbi), Catholicon (XIVe siècle), Venise, rArmadio degli Argenti alla SS. Annunziata di Firenze », Commentarz; XIV,
Liechtenstein, 1497, fol. 163 V0• n' 2-3. 1963, p. 104-124.
142 REGARDER L'ARMOIRE À MÉMOIRE
143
et du temps futur, dont le << présent >> de l'image donnerait, là diat, pas d'information
encore une manière d'interface. Loin de « raconter >>, pure u_que s�btilité « théoriquevisi>>.ble
Pas
sans le support d'une authen
ment �� simplement, leur série d'anecdotes biblique�, les tee, vo1re reconfrgurée, par l'exégèdesenar(lesratisold
on qui ne soit orien
ats de la Montée
scènes de !'Armadio degli Argenti procèdent en effet a une au Calvaire, exemple parmi d'a
utr es, arb ore nt
opération très dialectique sur le statut mên;e de ce que nous commentaire, invraisemblable historiquement, qui uue armoirie
devons appeler désormais - parce que c est ams1 que Fra scorpiOns). De ce point de vue, le sens narratif les vêt en
Angelico devait lui-même les nommer - des figures. représentées n'est fait que pour s)ouvrù; justement - des scènes
Il y a d'abord le côté évident, le côté avenan:, le cote clazr surce que saint Augustin nommait l'« admirable pro s'ouvrir
• •
ont la clarté du légendier médiéval, elles se « hsent >> d�ns 1� se met au serv1ce de que lqu e cho nta
sens aisé de la gauche vers la droite, comme une h1stoue (� mystère. Et il faut dire que cette
se gui rest e et rest era
l'exception des trois panneaux peints par Alessio Baldovm_ �lll: nou vel le opé
recouvre exa�tement la définition la plus technique rati on dia
·
qui procèdent du haut vers le bas). Elles s'_apparentent, amsl mot figura, tel gu on pouvait le prononcer dans
_
qu'on l'a souvent dit, à une sorte de catechisme en 1mages (le domu;icair; du XV" siècle. Cela, d'ailleurs, nous obl un cou
dernier panneau inscrit d'ailleurs les paroles du Credo), dans ,_()n,stater 1 umte ngoureuse du propos iconograp ige à
lequel l'aspect narratif semble, toujours comme chez Jacques :� - tout au moms dans son princip hique, dû
de Voragine, passer au premier plan. '#����f�,��� lm-i-:même, gui put ensuite déléguer l'exécuetion deà
Mais on ne dit pas assez que la Legende doree elle-meme panneaux à quelqu ns de ses disciples, Zanobi
_
.
constitue bien plus qu'un simple recueil d'histoires saintes .: menico di Michelino ou encore
son ordre n'est pas historique, et l'organisation de son texte r';tam(�UX « Maître de la cellule
2 >> identifié ic/ par Pope-
règle entièrement sur des exigences très rigour�uses: d:ordre 7
étymologique, liturgique et doctrmal. Bref: la szmpüczte donc gu'une figu en ce sens spécifique, le seul
rairement agencée par Jacques ?e Vor�gme n,allMt. pas, - lom d,Alberu -raaux
encore sans l'élaboration ommpresente d une subtzlzte - exégète néo-scolastique du xv<yeu sièc
x d'un dominicain ou
gétiqu� et théologique - extrêmement concertée Le loJtsgue s?int Paul écrit de certains leévé?nem Qu'est-ce qu'une
!ls av.aie:nt heu zn figura ? Pas plus gue l'iment
5
phétisme de Savonarole devall, lm aussi, alher ces deux s bibliques
apparemment contradictoires. O:, d�ns so? « recue!l >> ago, la figura
_
n'est une chose : c'est une relation, et plus précisément c'est te; le même titre ou presque que l'ouvrage publié par un
une relation temporelle. C'est une mémoire du passé tendue célèbre prédicateur dominicain, Giovanni di San Gimignano :
vers un futur. Elle définit l'un des enjeux fondamentaux du non pas une Summa theologica à strictement parler, mais plus
christianisme, qui fut l'absorption de la Bible hébraïque et la !Jlodestement une << somme d'images >>, une petite Somme
certitude que la Loi nouvelle << réalisait >> et se trouvait déjà d'exemples et de similitudes concernant les choses du Christ 9•
contenue, << figurée >> ou préfigurée, dans la Loi ancienne Or, 8. � · -·;\:.Ce n'est, certes, ni un codex, ni un volumen. Ce n'est que
les images de l'Armadio sont exactement et obstinément struc ]a chatoyante porte imagée clôturant le volume mystérieux
turées par ce type de relation : ce qui est à voir - l'historia d�un trésor d'objets votifs. Mais c'est tout de même l'exten
représentée - n'est que l'entre-deux d'un rapport, d'une sion tabulaire d'une sorte de thesaurus de figures, disposé en
figura (cela même que le spectateur est requis de comprendre, qamier. Tout est là, présenté, attendant que l'œil passe d'une
peut-être de contempler), matérialisée par le double bandeau scène à l'autre pour établir des relations figurales (par exemple,
de textes canoniques qui encadre, en haut et en bas, chacune très naïvement, en regardant l'enfant de la Fuite en Égypte, et
des scènes peintes. Qu'est-ce à dire ? Que tout ce qui advient .tous ceux du Massacre des Innocents, juste à côté, qui lui res
dans le temps sacré ouvert par l'Incarnation du Verbe avait semblent tant), et finalement pour prendre la mesure escha
été énoncé dans le verbe prophétique (<< Voici, une vierge tologique du temps chrétien. L'art de la mémoire, disait Albert
concevra et enfantera un fils >>, lit-on dans Isaïe et sur le ban le Grand, concerne surtout le futur, c'est le pont à établir entre
deau supérieur de l'Annonciation peinte par Fra Angelico) ; et une mort passée et une vie à venir, celle-là même que l'Armadio
que tout cela se trouve replacé dans l'histoire rédemptrice par représente au bout de son parcours (comme chez Dante) avec
l'événement nouveau que rapporte le verbe évangélique Ja gloire lumineuse de deux visions célestes, le Jugement der
(<< Voici, tu concevras et enfanteras un fils >>, dit l'ange à la nier et le Couronnement de la Vierge.
Vierge dans le récit de saint Luc, que l'on retrouve sur le ban ''- .LV1"'1> à cette mémoire eschatologique répond aussi une sorte
deau inférieur de la même Annonciation). mémoire théorique, qui aura produit, dans le cycle lui
Telle est, sommairement présentée, la dialectique des une exigence iconographique nouvelle : c'est ce qui
figures : telle est donc la perpétuelle mise en relations que les Çltmrre le début et la fin de tout, c'est ce qui nous fait passer
scènes conçues par Fra Angelico, sévèrement << gardées >> par texte p_rophétique à la vision (qui se dit théôria, en grec),
leurs cadres textuels (et temporels), tendent à exiger d'un de la vrs10n au texte doctrinal. Le premier panneau, en effet,
regard qui sur elles voudrait bien ne pas seulement se poser, v.,pepr:és,enl:e sur une sorte de ciel textuel (qui se déroule sur les
mais s'approfondir ou, mieux, s'ouvrir en elles. y<Jru>, un peu comme les anges de Giotto déroulaient leur ciel
(ug:enzet.>t, à la chapelle Scrovegni) où s'inscrit la vision pro
Tabula la vision disposée et la mémoire de la loi nzectnel (fig. 1 7). Vision d'images et de mots mêlés
:
cela que dit le mot théorie) qui se déploie en une double
Cette pensée exégétique que proposait la série de ses devant la figure renversée du visionnaire : roue des
<< tiroirs >> figuraux, Fra Angelico, enfin, la nommait proba Hl?l•trian:h<" et des prophètes, au cœur de laquelle se resserre
blement un ars memorandz; un art de la mémoire. TI produi un point de pure lumière la roue des évangélistes...
sait là encore, mais en tant que peintre, ce que bien d'autres encore, nous comprenons que l'image - par exemple
de ses coreligionnaires dominicains avaient développé littérai « dissemblable >> de saint Jean, avec sa tête d'aigle -
rement au XIV' siècle. Son << armoire >> pourrait sans doute por-
8. Cf. E. Auerbach, « Figura », Archivum romanicum, XXII, 1938, p. 45<o-415>. Cf. Giovanni di San Gimignano, Summa de exemp!is et simi!itudinibus
G. Didi-Huberman, « Puissances de la figure. Exégèse et visualité dans l'art De Gregori, Venise, 1499. Cf. G. Didi-Huberman, Fra Angelico -
tien », Encyclopaedia Universalis - Symposium, Paris, E.U., 1990, p. 596-609. i/Jis.semb/a;za et figuration, Paris, Flammarion, 1990, p. 64-83.
146 REGARDER L'ARMOIRE À MÉMOIRE 147
»
tuellement toute l'étendue du dogme chrétien. Non, parce
-
tropologie de valoir pour chacun comme le plus intime de ses plaies (le quali sono vermiglie di sangue, e sono molto grandi e
viatiques, et où l'anagogie, elle, sera requise de faire sortir grosse), qui donnaient là le signe majoré d'une vérité de la foi
- comme par un rebondissement physique à partir de la page et comme le résumé de toute l'Écriture (abbreviata tutta z;
elle-même, sa materialis manuductio - le lecteur hors de soi 1• Scrz'ttura) 3 .
Au trente-sixième chapitre de son Specchio della Croce, livre Voilà bien le don réciproque que la page et son sujet s'ac
extraordinaire qui eut une influence déterminante sur la poé cordaient ici l'un à l'autre, moyennant l'exercice - mais
tique de sainte Catherine de Sienne, Domenico Cavalca en extrême - d'un regard.
sera, lui, arrivé à boucler la boucle imaginaire du corps cru
cifié qu'il exaltait jour après jour, et du volume même
- tranche rouge, reploiement du papier, noirs caractères, (1994)
papillon blanc de la page ouverte - sur lequel il œuvrait, grat
tait, jour après jour. Dans ce chapitre, il recompose dans le
Crucifié une figura di libro : comme si, ne voyant pas (pas assez,
pas assez immédiatement) le corps écartelé, l'instrument de
bois, le sang, le supplice à la fois trop loin dans sa violence et
trop loin dans sa divinité, il prenait le risque, tout à coup, de
baisser juste le regard sur le livre qu'il est en train d'écrire.
Alors, ce qu'il a sous les yeux, sous la main, prend corps de
quelque chose qu'il ne voit pas, mais qui se prend, par une
sorte d'hallucination matérielle, à le regarder.
Vediamo se è cosi /atto, écrit-il : « Voyons si le Crucifié est
ainsi fait qu'un livre Voyons : il y a le parchemin, c'est-à
2 >>.
dire la peau d'un agneau, que l'on a rasée pour que des signes
puissent s'y inscrire lisiblement ; le Christ aussi, Agneau para
digmatique, a bien été << rasé avant de monter sur la croix,
>>
lorsque les Juifs lui tiraient la barbe en dérision de sa royauté.
Voyons encore : les pages sont ici reliées entre deux
<< planches >> (legate /ra due tavole), comme la peau du suppli
cié fut clouée entre les deux bois de la croix (questa pelle cosi
nuda... con/itta /ra due legni della croce). Considérons, enfin,
les marques que la page reçoit et qu'elle donne en retour, à
tous, comme signes de la vérité même : ces signes sont alter
nativement noirs (le texte) et rouges (la rubrique, les têtes d'ali
néas gli principali capoversi sono lettere grosse vermiglie) ; or,
:
la chair du Dieu crucifié fut en même temps, écrit Cavalca,
annegrita par les coups reçus, puis ponctuée de cinq grandes
t
Songeons d'abord, précédant l'ouverture d'un livre devan
nos yeux, au << sacrifice dont saigna [sa] tranch e rouge >>.
.'TI n'y a �ans doute pas d'offrande poétique sans << campo-
Songeons à l'<< introduction d'une arme, ou coupe-papier, pour : .. de heu , », et le lieu par excellence, le lieu d'expé
dans
établir la prise de possession ». L'arme, ou lame, a fendu de celui qui l'écrit n'est autre que la page elle-même
te déjà, mais
la feuille, intimement, selon son pli : page ouver laquelle il la tend. La page supporte une expérience : elle
s'ouvr e enfin le
pas encore offerte. Quand à notre regard se contente pas d'en recueillir les signes volontaires elle
s qu'il installe ,
volume, le << reploiement du papier et les dessou aussi, l'engendre même, lui donne forme sel;n sa
l'ombre éparse en noirs caractères >> -
tout cela vient s'offrir
•( Ç:onfig1uration propre - extrême simplicité du donné de
'?P'W'm ,
e,
et nous regarder << comme un bris de mystère, à la surfac un champ blanc orienté, extrême arborescence de ce
ence la lec
dans l'écartement levé par le doigt » ... Alors comm .
donne pour_ finir -, selon sa virtualité kinesthésique,
ture, ce << va-et-vient successif incessant du regard ». Alors pmssance ·de m1se en mouvement, de mise en regard.
nous oublierons peut -être la page, puis avec elle cette sorte ce qm se passe, par exemple, dans les manuscrits
d'<< attention que sollicite quelque papillon blanc 1 ». connus de Victor Hugo où le poète ne s'est pas contenté
la
Est-ce tout ? Non, bien sûr. Car le papillon ouvert de .,.-_ ----- jo 'er à la plume, à l'encre, à la page, leur tradition
à quelqu e
page, fût-il purement blanc, fût-il vraiment mort, :
fonctiOn mstrumentale. Car l'instrument, ici, délivre lui
pagne r l'im
moment bat de l'aile, ne serait-ce que pour accom .Jn.err>e les conséquences de son maniement ouvert et démul
nt,
périeux et discret battement de nos paupières. A tout mome
•
bait la pluie sur le papier humide [ ...] . Ces barbes en plume d'oie font
délicatement de ses lèvres la barbe de sa plume et en crevait un nuage d'où
Taches avec empreintes de doigts vers
. , 1864-1865 . Enere
aux nuées des torrents de larmes. Tous les moyens lui sont bons, le fond sur papter. Pan.s, Bibl
. "' 1.,".'" ,
iothèque nationale de France Mss
·· 13345, f. 28. Photo D.R.
tasse de café versé sur une feuille de vieux papier vergé, le fond d'un ' '
versé sur du papier à lettre, étendus avec le doigt, épongés, séchés, repris
avec une grosse ou une fine plume, lavés par-dessus avec de la gouache
vermillon, rechampis de bleu, rehaussés d'or. Parfois l'encre de la Petite
traverse le papier à lettre : au revers, naît un second dessin vague. » Cités · �
de l'encr'; pro uira donc, lutôt qu'u
p n signe
une « forme agitee >> ; 1 agitation petr
p. 95-96. ie fera masse sur
5. Ibid., no 14, 37, 40, 69, etc. Sur l'absence de « haut » et de « bas
_ lera tete
�
; et la n;asse, regar ée dans un sens
, , crane ou dans l'autre,
ces images, cf. le texte de J.-J. Lebel, « Hugo et la chaosmose », ibid., p. reve ou visage, bref quelque chose
156 REGARDER DON DE LA PAGE, DON DU VISAGE 157
20. V. Hugo, << Dentelles et spectres >>, vers fin 1855. Plume, encre brune
et lavis, fusain, application de dentelle sur papier. Paris, Maison Victor
Hugo, 878. Photo D.R.
6. « Taches avec empreintes de doigts », ibid., no .38. comme un trésor ou comme un livre ; lorsqu'elle s'offre
7. « Dentelles et spectres », ibid., no 27. nouveau, selon un jeu du fermé et de l'ouvert, du caché et
158 REGARDER DON DE LA PAGE, DON DU VISAGE
159
du montré qu'affectionnent les enfants, elle révèle une symé
trie de taches - un ordre de désordres - où le poète aura,
par quelques rapides surlignements, repéré et produit pas
moins de treize ou quatorze visages, de face ou de profil, tra
giques ou grotesques, en positif ou en négatif : c'est alors
comme si la page, aléatoirement maculée mais très volontai
rement verticalisée, regardait de toutes parts, regardait mul
tiplement dans le seul jeu de sa symétrie chaotique 8• Cenere
n'a rien écrit sur cette page, mais le geste de la replier, puis
de l'ouvrir, aura magiquement fomenté là un véritable don de
visages 9 •
n'ose décrire (fig. 22) - quelque chose comme quatre-vingts regardé, dans
<< lectures >> ou reconnaissances d'objets, dont on sent bien que vmgt-sept personnes seulemelant.liste d'exemples don
visuel et fortuit,
la liste forme un système relativement clos d'éléments répéti Et il n'est pas indif
tifs (symptomatiques pour cela, sans doute), mais capable qaueuncette hste en son long puisse transiter d'un papillon
de s'ouvrir à l'invention d'éléments toujours inattendus VIsage humain :
doute symptomatiques pour cela).
Recopier transversalement, sur une ou deux pages, la · « Un papillon ; la partie médiane en
forme de colonne et les ailes
en question revient à produire une taxinomie qui n'est Un or�ement en haut d'un meuble, plan
·
che redressée.
en haut le bassin en b·as 1e
. .
moins fascinante que cette encyclopédie chinoise >> admira<
Une fontaine mdtenne à éléphants,
« socle Une queue d''msecte. Deux femm
blement revisitée par Borges 10 -, sauf qu'ici un aspect
'
�Ul es avec des voile
. ·
. s flottants
dansen� autour d'un puits. Des petit
extraordinaire encore consiste dans le fait que cette taJdntonnie" ?
Jete e ch1en . U cœur dégénéré.
es pattes de cheval. Une
ne décrit pas une classe d'objets, mais un seul objet, un � Un animal, deux ailes. Un
Esqmmau. Un mmal du fond des mers
� . , un genre de seiche. Une
". de f ntatne, Il Y a là quelqu'un d'assis sur un
� bâton. Des
us�gees. Des serpents. Une feuille de
�
8. « Tache d'encre retouchée sur papier plié », ibid., n° 35. lierre. Maurice tombé
la pate, comme ans le livre de Busc
9. Rappelons que la majeure pattie de cette production visuelle était h, Max et Maurice. Un
rot de conte �u1 salue deux reines
par Hugo dans l'optique du don, de l'offrande, de l'envoi amoureux. venant de droite et de
"""c'>e (avec des voiles flottants).
taches et pliages de V. Hugo, cf. les propos introductifs de J. Petit dans Un cygne qui nage le long de la
logue de l'exposition Soleil d'encre. Manuscrits et dessins de Victor Hugo, Une �Ietlle fem e courbée devant
:n un tombeau. Deux têtes,
Bibliothèque nationale/Musée du Petit Palais, 1986, p. 118-119. profils accentues avec barbe en pointe.
Deux interlocuteurs
10. Et qui fait, on s'en souvient, l'ouverture du livre de M. Foucault, Les se tournent le dos. Un monstre, car
ça embrasse tout. Un
et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. Une femme avec un sac plein de bois.
Un polype, Un bla-
160 REGARDER DON DE LA PAGE, DON DU VISAGE 161
son. Un crocodile. Un serpent. Une tête de chien. La tour du jeu la lecture de ces notes me livre à l'étrangeté de
d'échecs. Un satyre ou un moine. Un griffon vu par devant. Une
ne pas recon
naître devant moi, sur l'image, ce qui est écrit avoir été vu. Un
femme courbée sur un livre. Des gerbes réunies. Un peuplier. Un seul détail, mais fragile, et concernant la même planc
visage de clown. Quelque chose d'un éléphant. Deux branches he IV, me
donne à penser qu'il pourrait s'agir de moi. Cependant
noueuses. Ou des chenilles. La partie du corps d'un papillon. Une la cer
titude est loin d'être entière, je préfère quoi qu'il en
peau d'animal. De chaque côté un Esquimau dormant dans un sac soit lais
ser planer un doute sur cette page trouvée, ce possible
de couchage. Une figure sur un fauteuil. Une femme courbée qui et indis
cernable autoportrait qui n'est pas de ma main - page
marche. Des découpures faites avec une scie à chantourner. Une dont
j'espère honorer l'offrande en la recopiant moi-même,
peau d'animal. Deux figures avec des voiles flottants, accourant fût-ce
vers la colonne médiane, ce sont les déesses de la Vengeance. Des dans le sentiment, qui persiste, de sa non-reconnaissan
ce :
belettes. Deux petites figures qui appuient la main sur quelque
chose. Des cygnes. Un monstre en peau de mouton avec des « (Perplexe) Je n'arrive à rien dire. Vu d'en haut. Et c'est le dos
grosses bottes. Une plante quelconque ou quelque chose comme d'un animal. Une peau. Ces animaux descentes de lits. La tête en
ça. Deux petites têtes (tache noire à l'intérieur de la surface noire). haut et les quatre pattes, et il faut bien le dire une très grosse queue.
Un corps maternel, à cause des deux petites têtes qui sont dedans. Je suis étonnée [sic : je suppose qu'ici la belle jeune femme qui pre
Un kangourou, parce qu'à peu près au centre de la surface noire nait note a laissé son automatisme d'écriture à la première per
on verrait quelques têtes et que le kangourou a une poche abdo sonne s'involuer dans le fe du locuteur] de cette queue. La Belle
minale de ce genre. Comme un Gambrinus sur les enseignes d'au et la Bête. Une bête-tête (global). Yeux fermés qui pleurent inté
berge. Des phoques. Un tapis de fantaisie. Un ours, il se penche. rieurement, et la bouche fermée malgré le blanc. Une bête à poil,
Des menottes. Une brodeuse assise. Deux jambes. Une puce. Un espèce de lion. Un visage tout fermé. Extrême limite. Dans le blanc
os. Une chauve-souris. La forme a quelque chose d'une personne, deux caricatures qui se tournent le dos ... nostalgiques, simples
.
:
mais la représentation n'est pas bonne, une figure assise. Une mécontents, srmples. Ils regardent en l'air, cheveux frisés. »
figure de frise. Une colonne vertébrale. Des poissons. Deux têtes
de chiens. Un géant avec d'énormes pieds est assis là. Un ours *
nte
pothèse intéressaabl vlsue1s pour projeter son hallucination >>... bien qu'elle
de rendre compteterdenes et même objeclé
···
tifs) dans l'hallucin intéressent not re propos dan sio s la mesure est d'aller. toujours
riences qu'il évoque revoir un procesexe sus de loin JÙ�red Bmet aura done pou , h' r d i
où elles nous font ent
��� � i 2 � �! � �
ver n
mple
con
l'es pac e rep e > j i � Ï:
·
s. C'est par
surfaces donnant lieu à visage
ne ph otogra ph ie de paysage �� 1; �h:;�;�;�����d��s r��� . e, � . � �� t , ne
pectif et accidentétivd'u - quoique de faç on su:<gé1rée pas 1a encore que le sujet hypnotlse pmsse ." voir >> dans
reconnue << objec enemchaentcun>> de repères visuels, comme simple feuille de p ap i er bi
, 1es taches de rousseur qui le visage
anc son propre avec les
donc délirante - se voit, et seses voit nu : memes, P arsement
,
. . prenne ap l· sur ; le
portrait où le sujet troublant sera que cette h a Ilucmatlon
pêtrière, le
. hyperesthésie du support du subjectJ'U
authentique e, . hors
nde, le chimiste de la Sal
« Nous tenons de M. Lo som nam bulisme, il toute marque représentationnelle' ho'rs de toute « fIgure
» -. le sUJe' t reconnaissant en son grain même n
: Wit . . . étant en
suivant, qui vient à l'appui rése ntant une vue
photographie rep
cette page-ci (et pas une au�r:, ;:�
montre le cliché d'une
·
; en mê me
tid.ents microscopiques,
volt d,abord, lm, strictement identique)
gravissant une côte
Pyrénées, avec des ânes vou s êtes toute nue" .
t votre por trait,
lui dit : "Regardez, c'es
son réveil, la malade ape
rçut par hasard le cliché
voi sin de la
et, furieuse
nat ure, elle
son image umque, son don de visage :
un état trop
s'y voir représentée dans tiré de ce cliché
is on ava it déjà .
dessus et le brisa . Ma ées avec « On présente au sujet un carton de papier complètement blanc
ues, qui furent conserv ,
�; � j
'
épreuves photographiq et on lui dit .· "Regard ez, c est votre p t l·t " A lt t,
igne de
�ff �: i
su et
· "
'
s
. . soit , ,
Il y a tou'ours dans un car
ton de pap ier, si bla nc q u'il
que lui offre cette << vraie rétine >>, là où l'halluciné, lui, le
d
quelq�es étails particuliers
; nous pouvons les trouver aveA
c un :
.dise<ernte parfaitement. Le lieu d'observation serait-il capable
.
peu d attention ., la malade les
aperçoit instantanéme
ces cl · il
r. �� : ��
nt, gra
·I 1 servent!
ce
tel déplacement psychique 18 ? Et celui-ci à son tour serait
son sens visuel hyperesth ésié ; �e so � :� .w ,car>aoie de faire en sorte que l'objet vu - la page - soit
·
concernant l'acte des, voi r et l'o,ftran<jt 'iJ.t<�rr<)g<�antt son paradoxe, mieux accéder à cet ordre de réa
Bien des évidences gén éral sont ouverte e.boCar,verdan
ule sees, complexe que l'on nomme un anthropomorphisme. Qu'est
du monde visible teensituatio raordmatr s, donc que cette forme, cette morphè, qui n'a besoin que d'un
le. rés.ultat de cet iseur - na_ ext savmr le tenantCite . _ relauseve
s up po
sttua.tlon, l'hypnot ard » - deco ' l'in capa
«sanputss ancest. du reg d'un sujetuvre dont
<<
ceil luc de en facecapable, par son eta " t », sujet
endormi « L'homme dans la nuit s'allume pour lui-même une lumière, mort et
pourtant. Dormant, il touche au mort... » Héraclite, fragment 36, corn"
sens visuel se rendsies prodigieuses Le /zeu 1u s':)�:�1 P. Fédida, << Le rêve a touché au mort », Crise et contre-transfert, Paris,
somnambulisme -!-
applications à l'industrie et à la science, Paris, Masson, 1896, p. 546. Cf.
ger ce à quoi il veut ressembler, br?f à ma�ger ce qu:zl veut être: Une page et une seule, mais qui semblepre déjà
à
I.;Indien Kobeua presse donc 1 œtl qu il voudrait etre,
, celm l,t�::��;:, sur les quelque deux ou trois mille que com
du faùcon, sur le sien propre : œil pour œil - en ce sens de la o , de Frazer, suff1ra pour nous rouvrir les yeux : pte
préposition pour qui << sert à marquer le rapport entre une chose
qui affecte et la personne affectée En ce sens également que
la procédure symbolique et l'opération du tenant-lieu se réait_ 1 Australre) varent coutume de
4 >>. <: Les guerriers des tribus Theddo
ra et Ngarigo (sud-est de
sent ici dans un acte d'absorption, une intimité qu'on imagine . � . manger les pieds et les mains des
ennemts qu ils avm
bouleversante. A strictement parler, l'Indien mangeait pour voir. �es qual.ités des mor
ent tués ; ils croyaient ainsi acquérir
certaines
1 Austr�1e centrale, uand un cond
ts et leur courage. Dans la tribu Dier
Car c'était déjà une façon de manger - ou plutôt, ici, de boire execut rs o�fict llernent désignés
.� amné avait été mis à mort par
i de
3. Cf. Hippocrate, DeJ lieux dans l'homme, XLII, 2, éd. et trad. R. Joly, de sa v:ctune et en mangea une partie,
pendant qu'un soldat essayait
4. É. Littré, Dictionnaire de la langue française (1866), Monte-Carlo,
Les Belles Lettres, 1978, p. 72. devorer cru un autre morceau . Les
. Chinois avalent dans une
l <iint<ontion analogue la bile de bandits
du Cap. 1966. III, p. 4897. , fameux qui ont été exécutés.
. , . Les Dayaks de Sarawak mangeai
chair �es genoux de ceux qu'ils avai
5. ]. G. Frazer, Le Rameau d'or, op. cit., p. 284. : . ent les paumes des mains et la
6. Ibzd., p. 283-284. Il commence à aller de soi que manger, a contrarto. ent tués, afin d'avoir la main
chair d'un poulet rend peureux - ou que manger la chair d'une tortue plus sure et les genoux plus robustes.
Les Tola1akis, fameux chas
de courir (ibtd., p. 282). seurs de têtes du centre des Célèbes,
boivent le sang et mangent
172 DISPARAÎTRE DISPARATES SUR LA VORACI
TÉ
173
le cerveau de leurs victimes pour devenir braves. Les Italones des br��n����ur ��r idéalement du pouvoir de te
Philippines boivent le sang des ennemis qu'ils ont tués et mangent e qJa tu me mangeras. tuer et d'être
une partie de leur occiput et de leurs entrailles, tout cela cru, pour 0r, dans la logique même du récit de Frazer
.
't
acquérir leur courage. Pour la même raison, les Efuagos, autre tribu
e re un dzeu que tendrait
en f de otnpte, cet ' c'est bien a'
Kais de la Nouvelle-Guinée mangent le cerveau de leurs ennemis
des Philippines, sucent la cervelle de leurs ennemis. De même, les
rituelle. Le rêve ultime en' serai peut�et� re, tou te voracité
· m
més et la bouche ouverte, assis entre les jambes du guerrier. Avant la face irri.te'e dU Cle
. s
chaque expédition guerrière, les habitants de Minahassa (Célèbes)
prenaient les mèches de cheveux d'un ennemi tué et les trempaient ,
dans de l'eau bouillante pour en extraire le courage ; les guerriers
buvaient alors cette infusion de bravoure 7• »
gnito, bien sûrvo-isinceauJupa rad l s. L � Ba al � Tov �e d�gm ] : grossiers gros ronflements. Le matin, il épie son
ser a son fut ur d , ha bit ud e ( d ailleurs, il ndea pacess ii
do nc en me nd ian t, com me part P<;u: un e� : grossiers gros grognements (mais pas de phylactères au
grand-chose à chesando ger à sa mise) -:- �Jui� fil est si genereux . B� il touJours pas la moindre prière). Puis il reprend l'infer
lon gs vo yag nt le lég en da ire absorptiOn contmue.
trè s après des_ marchesezhamir;ser a;santes, le v1e
des semaines plusvetarded,van t la ma iso n, ass able, de celm la fin, dég�ûté, 1� Baal She_m Tov prend congé du per
ho mm e se retrou nt de bavarder ffle pour touJours sonn<lge et se prepare a rentrer tnstement dans son village. Sur
qu'il veut voir unu-d e fois vivant avaive fort, nous pas de la porte, il glisse un rouble de plus dans la main dif
avec lui dans l'a e etelàla. C'e st l'h r, le ventaissou tout, ce sou et demande, comme un ultime recours : < De tous ces
sommes en Russi bbat, lenumo it va tomber. M les, sur retrou derme�s, nous ne nous so_mmes pas dit < grand-chose,
est un soir de shale repos sacrémeduntsep où tous Juifs nsse cha que mi,;m:'" tu.,n as presque pas cesse de manger. Mais, avant de
me jour. Da
vent pour fêter soir-là, c'est la joie tièdu repas partage_ , de 1� e; quit1ter, J al une question à te poser quand même pourquoi
:
maison juive, ce ume dt; pain q�e yon consacre. �e soir-la, tu manges tout ça ? Où cela ira-t-il ? » Et l'homme
bougie qu'on all c pe; che. Ce so1r-la, route table reserve brusquement : << Bien sûr, à toi je peux le dire : quand
tristesse rime aver de passage. enfant, mon père_ a été pris par les cosaques. Ils lui ont
place au voyageu Tov frappe donc à la porte, heureux un cr':'Clf�x - et lui, un Juif pieux, il a refusé,
Le Baal Shem de sainteté qu'il va partager '"ttuellelment.
'·• Alors, ils 1 ont battu, mais il a continué de refu
. 1,ont couvert
avance du moment nt que lui. C'estntrun pas très lourd !ls de pétrole et ils ont mis le feu. J'ai
ment avec plus sai rte s'e ouvre - car elle yeux, mon �ère _brûler .- mais très peu de temps,
résonne alors et�tqu-an, dunlae po tête obèse , pre squ e mé chante, imJore:ndls-tu : mo� pe�e �tall tres maigre, il n'avait que la
trouvre seulem sser son chem Le Baal Shem Tovbbresatte? ! �ur les os. Il s. est etemt b1en trop vite, comprends-tu ?
demande de pa refuse l'hospin.italité soir de sha me sms Ju�e de brûler longtemps, très longtemps, et
péfait : quel Juifi pas où dorm1r cetteunnmt. .. Je te payerai. .. une torche s1 grasse que les cosaques eux-mêmes trou
insiste : «Je n'a à contrecœur ouvre sa porte et - mon feu beau et généreux. >> Le Baal Shem Tov lui dit ·
Le mastodonte e l'argent. Dans tout ce qui suit, le à présent, et je te remercie. .. Mais nous e�
péché t - il emposurchpri en effare�ents erece de de. cepllo?� 11lrl<'"otis plus tard. »
Shem Tov ira des. I.:homses ,
n'est qu une esp vicdetua�ille orac1te son bel ouvrage sur le messianisme juif, Gershom
angoisses réelle n dans me meure que de� re. Pas uns s1gnale un commentaire hassidique du Psaume CVII
acte. Il n'y a rie , déjà pusaande . Pas un seul hv ps, 11 m nge verset (« Ils avaient faim et soif et leurs âmes s'en:
sées en désordre mange, il tes nge tout le tems de pn_�ere, pp:aiei1t »), sans doute compilé vers 1760 par le prédica
delier. I.:hommeugie à allumma er, pas de joie, pae
·JVHmdel d� Bar, ami et disciple du Baal Shem Tov - mais
tout. Pas de bo ranger. Juste e, un tradlllonnellement au grand rabbi lui-même :
de place pour l'étd'engloutir. une obtus
solitaire volontéait être la sainteté de cet hon_;me ?, Le
et la botsson dont 1 homme a besoin ? La raison est que celles-ci
Voici �n grand m stère : pourquoi Dieu a-t-il créé la nourriture
Quelle pourr son reve n a pas
�
t
de la natur e, les mm�raux, les végét cher
mange, sa << chair >>, constitue déjà une répétition (mot à
domaines s'atta
a retourner et à
.
·
mes. Elles aspirent mamtenan et bott
prendre dans tous les sens, anticipatif et théâtral, ou anamné
les hom . . l'homme mange
ame
. d� l a sam" teté· Amsr' ce que estaure r.
s�m1e et rituel), une mnémotechnique de sa mort à venir. Enfin,
a u dom . n de r
quand il écrivait
es prop es qu'il a l'obligatio
1mis
relève de ses. euncell � : : Ils
renverse in extremis le sens lugubre de toute cette
· te fa1sa1t all uston
. '·
C'est à qum le psa , · _ elle s s'enve-
1opp azen
avaient /atm . et soz. f et l�lurs âmes s enve . . . " que
qui slgntfte
nt far·m et soif' ce
jour pour un Banquet éternel où ils ne cesseront plus de
. e dont 1 s avate .
loppa1ent dans c mes et des vêtements
etran-
·
·
d e
·
de vous me de Marhleu ; < Q e1 'un qui a plongé de vie... Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui
Marc. Et celle s le p at, VOl a. �el�i g�� va me livrer >> de ce pain vivra à jamais. Et même le pain gue je don
moi la mam dangm va etre , une fois pour toutes répandu, ma chair pour la vie du monde... En vérité, en vérité,
u.
20. Ibid., Ilia, 79, 7. Matthieu, XXII, 1-14. Cf. H. de Lubac, Corpus
cum, op. cil., p. 27 .
21. Thomas d'Aquin, Summa theologiae, Ilia, 79, 1.
22. Jean, VI, 56.
23. Hugues de Saint-Victor, De Sacramentù� II, 8, PL, CLXXVI, col.
182 DISPARAÎTRE DISPARATES SUR LA VORACITÉ
183
Ces quelques phrases, dues à la Bienheureuse Camilla Ilhomme
Battista da Varano (1458-1524), ces quelques phrases intenses
qui mangeait pour mieux pourrir
qui déclinent l'acte de manger comme celui d'entrer dans ce Je raconterai pour , finir une plus brève hIs. tmre . , apparen
qu'on mange pour s'en faire digérer, héritent bien sûr de,toute , 0i
ll_1 t; s gra ve. C_est l'histoire d'un homme très doux et1-
�a!lnalt que ': m1el. Toute sa vie, il ia passait à prodig�er
·
une tradition qui connut son apogée à la fin du Moyen Age 27• 1
ouceurs et a ma r du miel Au bout de que
Les exemples en sont innombrables et aussi stupéfiants les uns
que les autres. Songeons aux << famines eucharistiques >> (esu ; �lltlée>s, ses e�cre-ments nge eux -me me s étai ent dev enu
1gues
s du
,
ries) de sainte Catherine de Sienne, qui se faisait vomir à l'aide 1e m1t daness un cercueil de pierre, complètement PÏ��u�
d'une baguette prévue à cet effet pour mieux jouir de l'unique
festin de chair et de sang divins qu'elle s'offrait avec une pas 7 mtel. Cent années passèrent, pendant lesquelles s/!n
sion unilatérale ; au point qu'elle mordit un jour le calice qu'on m�; par,;.e f<mdre dans le miel. Alors on rouvrit le cer
lui tendait avec tant de force que l'empreinte de ses dents se �. . · et
,,_ g�ens on lstn. bua cette substance aux malades, par
_
grava dans le métal, et que le prêtre eut bien de la peine à le ;. � salt toutes sortes d'affections. ce
lui retirer de la bouche. Songeons aussi à Dorothée de Montau . se t ouve dans un ouvrage chinois intitulé Tcho-
(1347-1394), dont le procès de canonisation signale que l'ab et date! de. 1366. L'�ute ur précise qu'elle n'est pas
�U!lO<:ht_one . En chmms vulgaire, nou
•
sorption des espèces eucharistiques << l'agitait comme une eau mot �trafger est mou-nat�yi >> Or, ces dis
<<
ons homme de miel .
bouillante >> ; que, << si on le lui avait permis, elle aurait volon momie. e miel >> de l'histoire est sansnieaucr ter der me désign�
tiers arraché l'hostie des mains du prêtre pour la porter à sa un
(ou �ne :_:op bonne) traduction de l'arabe dou te une
<<
I-ioly Feast and Holy Fast. The Religious Significance of Food to Medieval
����e��I���
h
' •
il sera impur jusqu'au soir. » Tho
Berkeley, University of California Press, 1987. mas d'Aquin, Summa the
28. Cité par A. Vauchez, « Dévotion eucharistique et union mystique », H Franke, « Das chinesische Wor
��:�:�;:
cit., p. 296-298. On pourrait comparer ce passage avec la question - jugée t für Mumie » Orr·ens, X 1957
' ) ,
fisamment importante par Thomas d'Aquin pour donner lieu à un article « Di�cours d la mumie [sic]
de la Somme théologique - de savoir si la pollution nocturne empêche � » 0582), Œuvres complètes
p -'
. e: Geneve, Slatkine Reprints éd
' ,1970 III p 476 Cf auss
.
:
de momœ.
,
a sumptione corporis Christi). La réponse (positive, bien sûr) se base sur 1981.
184
pas n Importe comment. Manghistoire). Mang al'de à mieux ' . DANS LES PLIS DE I:OUVERT
____ -
r o
: ��de q:d�! �hose co�me une heur:tstlqu;
« Un bandeau sur les yeux, un bandeau tout serré,
::::n ;� : s� ��t: cousu sur 1 'œil, tombant inexorable comme volet
de la mort. de fer s' abattant sur fenêtre. Mais c'est avec son
bandeau qu'il voit. C'est avec tout son cousu qu'il
découd, qu'il recoud, avec son manque qu'il pos
sède, qu'il prend. »
wn, le véhicule
Morphogenèse et imaginaire, Paris, Lettres modernes, 1978.
3. Thomas d'Aquin, Summa theologiae, Ilia., 57, 1.
4. Cf. l'analyse classique de M. Schapiro, « The Image of the Disap['e' XL, 38 : « Car, le jour,
Christ » (1943), in Late Antùjue, Early Chrùtian and Mediaeval Art. . la nuée de Y:ahve, etm.t
il y avait dedans un feu . sur la Demeure
aux yeux de toute la
,
Le
18 9
(vehiculum) de sa disparition, mais son signe (signum) : en tant montage - ubiquités
que telle, la disparition du Christ fut pensée comme une façon de l'organe
d'« ouvrir le chemin>> aux hommes, et non pas de refermer le « L� plénitude de sa
divin sur lui-même 6• Quand le Christ monte aux cieux hors "
patlt
plaie l'isole de l'acc1"dent
comme on règne. » . Il
cation réversive, cette étrange symétrie qui articule la gloire l'historre, tej est le point de vue
vue. de
vestige de la gloire : les pieds, frontalisés et stigmatisés, du de vu e de la vision, ,qdr· suppose une totale
leur chair (n'oublions pas que c'est en tant que corps �conhguration symbolique
Christ accède ici à la droite du Père 8), ont laissé ici-bas l:e:Ké!;èse médiévale nomm-e p�'ectse � st-�- Ire un déplacement
preinte (vestigium) de leur passage fulgurant. C'est transgresse. bien souvent ses j·1m1tement figura -, 1a p1ale·
empreinte pour le regard humain : matérielle, noire, vue .. alors e11e devren . s corporel!es nor-
t cette c h ose
maintenue par deux ang ?Ï;.erte, cette chose-ouver-
perspective. Elle est bien de l'ordre de la vue (on
comme relique, indéfiniment la revoir), et non de l'ordre comme l'objet cen��afd�u�:��d��:ti��s��'d�is à
la vision (comme ce qui la surplombe immédiatement, et "'"'"PlaiJlon sur 1e sacnfice du Sauveur (JZ'"g. 24). vmct . . doune
fut donné aux seuls apôtres). Elle s'inscrit en creux du côté <<recentrée>> sur 1e cœur, sur "
nc
pierre, là où le Christ laisse entrevoir, une dernière fois >>. La croix érigee , qm. surp1ombe le <<noyau de
la fin des temps), sa dernière extrémité corporelle. C'est central de la lance etrd� la ptqu . e, cette vrsto· r;, 1e croise-
·
le roc d'une montagne (celle de l'historia), mais c'est position tout .a' 1a 101s ouvrantetout et
cela vtent confir-.
axr ·
forme régulière de quelque chose qui évoque presque un
(une figura liturgique). Elle est comme le négatif de la
'IStJIQule comme obJet de VIsion, comme « plia1e odue «lacatas
. . plale
»
-
originelle, qu'elle pérennise. Ce qui reste aux humains
imaginer le futur franchissement glorieux de leurs à la fig�re de ceux qui
limites terrestres 9• par les pteds de Jésus
le posaient. Une pre v
-Christ, c ,est qu ,on vmt� : que cet. endroi.
t avait été
et que 1a terre conserve tmpr-'
unes , des vestiges de
encor
gravés " . » Jacques de Vo
e u
�ff
.
�re qut res�emble à des pas qui y
6. Thomas d'Aquin, Summa theologiae, Ilia, 57, 4 et 6.
7. Ibid, Illa, 57, 2, cirant les Psaumes, LXXXIII, 6.
ragine
Pari�, Garnier-Flammarion ' /�
, 196
�
g nde oree (c. 1290),
trad. J.-B.
p . 358-359. Plus tard
8. Ibid., Ilia, 57, 5.
9. Jacques de Voragine rapporte ainsi la légende de cette empreinte : «
..., tailleurs de pierre se ré .
c<eigneur », faisant de
__
'
cette empreinte, srgm
'
umront en « Confréries d
. .1. . e l'Ascenswn de
·
les
'
trophe >> mystiques. Les Arma Christi - les trente deniers, les
191
��� �%��h,"
�1�- couleur-obstacle, le ro�ge intense et saturé ie ouverte
denden Kunst, VI, 1955, p. 35-152. R. Suckale, « Arma h
zur Zeichenhaftigkeit Mittelalterlicher Andachtsbilder », S ;
1977, p. 177-208. , c�tte plaie
nous dit qu elle est donnée à l'exact
pla1ellhnstJque, �ette plaie sera aussi unee me sure
13. Cf. S. Ringbom, leon to Narrative. The Rùe of the Dramatic
rasser
mentée, 1984). bou
192 DISPARAÎTRE P{INS LES PLIS DE L'OUVER
T
lèvres à lèvres 14• Elle sera encore un sexe féminin, explicite
193
sexe, la double lèvre qui nous fait face n'a pas de statut réa
liste, ni même métaphorique au sens strict : elle agit plutôt
comme un inlassable déplacement métonymique, où toute par
tie organique n'échappe à la « vue >> descriptive que
mieux convoquer notre vision, c'est-à-dire nous regarder
contre œil, larmes de sang contre larmes de piété.
,.1 re
t' nt serr es contre l i , tels u
gui se déploie comme le tressage de trois échelles au
truments qu r
en;a .f nt a, naître
habzte le gzron " de
co mme un s' est donne - les trois échelles contradictoires d'un espace externe
hoch ets - d":eu des Chrétiens
eule ent 1 e .i.\sacr:ific:e (le Golgotha, la croix érigée), d'un gros plan cor
mère. Non � � seulement il s'est
rmmaculee � non (les mains et les pieds stigmatisés) , et enfin d'un lieu mor
mère une Vrerge 18 mal's encore il s'est
même la fonction
· d"te re mere joueront toutes ll!.é.nétiq•te et destina! (giron où tout se forme, cœur trans
e�c�re,' b"r sûr
la mort po ur mère . Et là
;d
uterus e u c;,ur' ,
du cœur et tout se meurt) que l'histoire christique, elle,
·
ce qu a , m t i
prétation duph ? (fibres ca<;>>•o�.
ce d un r�ane lein
en effet à la cons rstan
-l
men°t lrqur e du
matriciel G. Didi-Huberman, Fra Angelico - Dissemblance et figuration, Paris,
la lance) auta nt qu 'à
d
. - S
J'élé
rvm. an interprété
eucnansŒqw;'. 1990, p. 226-241 (éd. 1995, collection " Champs », p . 356-381).
notion médiévale du locus comme opérateur de morphogenèse, cf.
gulé par
dans d'aut
le
res
sem
rma
en
ges d u m �
, e ype, qui disposent sous
em De natura loa; éd. P. Rossfeld, Opera omnia, V-2, Münster,
p. 1-46. Cf. également l'étude de A. Delorme, « La mor
n'Idhe·" le Grand dans l'embryologie scolastique », Revue thomiste,
ortance considérable du
Lorsqu'on réfléchit à l'imp
uelles de la dévotion
gravure dans les pratiques vis
ficilement s'empêcher de
et renaissante, on peut dif
erminée aura réuni le
qu'une connivence surdét
message » religieux. Il y a,
d'image avec sa fin, son << rrnr
init, dans le cadre d'une srr·n
la reproductibilité, qui déf "�
iel de la gravure sur -1'' "''"
croyance, un avantage essent
resque de l'image gravée
visuel s. Ainsi en serait-il p v•oi
ristie : c'est un même pou
la monnaie ou de l'eucha
s tous les cas prolifère, se
jamais appauvri - qui dan
e, et ce n'est pas un ua:saru
se rend présent, disponibl
ée ici [fig. 26]) se donnent 22•
hosties (telle celle rep résent
>>, généralement estampées
des « monnaies du Christ e,
ve, c'est-à-dire qu'il se livr
il y a plus : le graveur gra aut é
du cuivre, à un acte de cru
voile compact du bois ou Sebald Beham Chrzst
• .
.
· au calice et à thostte,
1520. Gravure sur
Albertina Photo du musee.
·
203.
21. H. Michaux, op. cit., p. le pouvoir et
stique dans sa relation avec
22. Sur le paradigme euchari Mar in, Le Por trait du roi, Paris,
s de L.
de la monnaie, cf. les analyse
198 1, p. 145-168.
DISPARAÎTRE DANS LES PLIS DE L'OUVERT 199
198
s�n�, d;> mur qui fuit vers la droite .
interposés. La représe lons
ntation 1 , 1e tronc ravage de la croix
•
illier
extraordinairement pr
olifique : plus d'un m e - une deplacements figuraux . il a 1a consonance des nervures tour
au -d elà de Dü rer , dont il fut le discipl �
rnentées de l'arbre se� n uds et ses fentes, avec les nervures
manifestent - nt comme
e dont les plaques sorte du corps et les nœ�ds du e onzum ; il Y a le traitement aber-
nt gr ap hi qu t resserrés
sorte d'ach ies, réseaux infinimen à l'hos
ar ne me
23• ra_nt du nimbe ourlé tnt�eneurement d'une rangee
str ;zz
s M illion s de ,.. de stries
martyrisée t au calice et
'
tion, et ses co ns éq ue nc lée _ d'un sang par- de a 1 tmage du cal"lee dont 1a base, elle,
'
religieux traditionnels
Mais il su ffi t d'u n
.
pr em ier coup d'œil, presque
naïf, pour
graphique
i. . s'ou•vre à nos yeux comme une i
: ces ob stinées ca ta stro : ���
h
es ue pl.�te ou�erte. Il y
]l
e a matle�e bnsures de
ment la prolifération
·
e co m
·•• .
an ch
•
ns
ent la surcharge du tra nne s'affole, ]
Pour constater comm dü re rie ' .. qui dramatisent froiddment, �omme a /aux, 'arti-
age. La minutie
sentielle noirceur de l'im - dans l'apparente gratuité chrétienne de la foi e l'esperance et de la mort
'
nt
complexifie étrangeme rs ce réseau figurati/ qui est aussi Fhlristiqcte.
e - à tra ve
« maniérism e de cette
»
r re nd re
chelle et finit pa
verse intimement l'é
H. Michaux, La Vie dans les plis 24.
faut
rtionné et surligné (il
: un co rp s di sp ro po
oisés , le dessin, attribué à Fra Ange1tco
· 25
exagère, en traits recr dont la ·
oppressan t .
der comment l'artiste ctu ra ux nous retrouvions - 1om des << orgamsmes
; des pans archite · des montages decomposants
du dos et de l'épaule) ue quelque ch os e comme une " ' ya[>les >>, ]om
"O; . que ]'art du
ais ré pé té) ac ce nt
rerie (le bi rayée en
iré e de l'e sp ac e ; la texture énigmatique,
ture chav . _ H. Michaux, op.
cit., p . 189-190
L. D�uglas (Fra Angelico, Lond�es, G. B ell, l900, p. 199) le considérait
une etude pour le Chn"st en craz·x du corndor de San Marco. B . Berenson
Verzeichnis
. Ein kritisches
ns Sebald Beham
23. Cf. G. Pauli, Ha chnitte, éd. complé tée par H.
· OJ; the Florentine Painters, Ch.
DrawmP,s .
tiche, Radierungen und Holzs
,
, Icago, The Umversity of Chicago
Kupfers
1974.
Baden-Baden, Koerner,
200 DISPARAÎTRE DANS LES PLIS DE L'OU
VERT
201
nord déploie dans la longue durée de son « automne du Moyen
Âge >> -, l'échelle vitruvienne, équilibrée, non maniériste,
l'échelle sobre et convenante du corps christique. C'est une
échelle humaniste où rien ne semble biaisé : le corps se pré
sente frontalement ; la croix admet une construction perspec
tive << légitime >> ; l'indication architecturale, sur la gauche, est
d'un classicisme parfait. Enfin, tout effet de rébus, de sur
charge symbolique, a disparu. C'est donc une Cruet/ixion mini
male, ouverte simplement au regard du dévot (dominicain ou
artiste, ou les deux à la fois) , qui semble n'appeler aucun tra'
vail interprétatif, où rien ne semble << voilé >>, où rien dans la
signification ne semble faire << repli >>.
Mais, comme souvent chez l'Angelico - voire chez les
meilleurs de ses disciples -, la simplicité même possède cette
vertu complexe où, peu à peu, se révèle un travail extraordU
nairement subtil du déplacement, du repli, un travail qui
opère là où l'iconographe ne l'attend jamais. La nudité
l'image, dans toute la théologie négative relayée au M<wen
et à la Renaissance par certains commentateurs
du Pseudo-Denys 26, cette << nudité >> est un travail co;>npb:B
qui << feuillette >> l'image de l'intérieur, si l'on peut dire.
le petit dessin de l'Albertina se contente d'une ret)réserlta:tio(
du Crucifié qui exclut la dimension liturgique omnif>ré�:ent
dans les fresques de San Marco, où des témoins
Martyr ou saint Dominique, donnés comme figures "'''""'""
fication gestuelle pour le religieux dans sa cellule 27 ) sont
jours associés à la Crucifixion. Il n'y a là qu'un dieu
hors histoire - pas d'indication narrative, pas de <<
locale >> -, hors témoin, offert simplement à la solitude
signe vers le registre liturgique - mais sur un mode qui n'est J�onpl�su for maitre, Il faut entendre le mot mémoire dans son
,
•
Mais il y a plus. Ce travail de la tache, comme atteinte ges « Emplie des voiles
tuelle du subjectile, nous demande d'être plus attentifs au sup Emplie de phs.. sans fin de vouloirs obscurs
port tendu de l'image : or, c'est sur un voile déjà maculé que
·
Emplie de nuit.
l'artiste a décidé de faire jaillir sa fictive matière sanglante. Le Empl�e des plis indéfinis, des plis
support semble abîmé ; mais les restaurateurs de l'Albertina
de ma vigie.
Emphe de plui_e.
suspectent depuis quelque temps que les taches brunâtres, Emplie de bris, de débris de mon
.
De ens aussi,. surtout de 'cris.
.
ceaux de de"bns.
délavées, qui envahissent cette page ont précédé le dessin lui Emplie d'asphyxie.
même ; en tout cas elles ont précédé à l'évidence la peinture Trombe lente. »
rouge qui vient dessus. Qu'est-ce à dire ? Que le peintre, id,
a intégré une pluie de taches à sa propre volonté d'image et H. Michaux, La Vie dans les p lis Jo.
à sa propre volonté d'y représenter les taches sanglantes du
sacrifice divin. Ce qu'un mauvais restaurateur voudrait peut (1995)
être << nettoyer >> pour rendre la figure plus lisible a fait partie �id�-Huberman, Fra Angelico, op. cit. p 17-l ll
- fût-ce fortuitement - du travail de l'image. Et même a pu 28.G
nnt di Genova, Cathozzcon
C�. G.
· [XIIIe sled
·
folio
· e], Venise, Liechtenstein, 1497,
infiniment éloigné, absent par excellence) vaut en effet pour
163 verso.
30. H. Michaux, op. cit., p. 74.
DANS LA LUEUR DU SEUIL 205
l'obscur désigne oy pe;stste a nom Tel serait donc l'objet par excellence du << réalisme de l'obs
haute exigence, que-ell lque chose q�e Bonne , alors,
une clarté fût e << àimpserati cable >> ? Et qu est-ce r l��::
cur >>. Les historiens pourtant - du moins à ma connais
uer ? e lec tlu sance - n'ont pas réservé à ce tombeau l'attention qu'il méri
�sa�·ns�nedouclarte téau�uimorésndeisted'oxymoprarestiqque �
deplote a t
��
tait : trop familier en un sens par son iconographie, puisqu'on
ne'gative' et qu'Yvespre Bonnefoy sem' ble justement mettre en- s'est habitué à l'évidence qu'un tombeau est la domus aeterna
' · · '
<< poesie destree 'etra :· Mangets <<dta.Les tom
. e du mort ; puisqu'on se souvient que les nécropoles préhisto
arallèle avec sa pro>> offriro
8
nt, à cet te bte n lec uqt riques du premier âge du fer ont livré une quantité impres
b a de Ravenne clarté, un support plus palpable, une p us sionnante d'urnes cinéraires imitant les types divers de
d: r�bscur et de lante matière à penser. cabanes ; puisqu'on regarde les stèles funéraires des Celtes
concrète et toucha comme l'image réduite de l'habitation du mort ; puisqu'on
retrouve dans les grandioses hypogées étrusques une disposi
Dimage tion qui reproduit exactement le plan des demeures, comme
tes les idées du
réversive
Car il est des objets plus abyssaux queplutou s ver t�gmeux que
dans la célèbre << Tombe des stucs >>, à Cerveteri, où sur les
et à toucher
monde des objets àlavoirhér tor parois intérieures sont représentés en bas-reliefs les ustensiles
ique (ce serait entree;restune
toutes les figures dechez Yves Bon peu t-e
en (
�es
ter e domestiques qui, dans la réalité, étaient accrochés aux murs
raisons Poét. iques, de l'histoire nef oy, de son , , de la maison Mais le tombeau de Leyde est sans doute éga
de. .l'ar� t. '� dan s attentive fre- 10 •
be, venue d'un c�:np r��ain de échelle, la particularité de l'objet décrit par Yves Bonnefoy.
èce la plus grosstere. J.st une
« Rien dans l'aspect de cette tom
Rhénanie qui ne soit de l'esp
la . �' Je ne sais pas e nom
en friche:M_E�le paraî�
n ale comme la paroi d'une cave .
�: ��� ��:
t� rre terreuse, dont la surface
a roulé
est
sur un corps. ais le cou�
9. Ibid., p. 19-20.
tout utilitaire, vieux drap qu'on 10. Cf. F. Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, Paris,
: 0<:uthner, 1942, p. 351-456. Id., Lux perpetua, Paris, Geuthner, 1949, p. 24-25.
;���:::;,:t�.
tombeau en question, dit de Simpelveld (lieu de sa découverte), fut
r évoqué par F. Cumont, Lux perpetua, op. cil:., p. 25, et par
:.j Tomb Sculpture. Fout Lectures on Its Changing Aspects from Andent
�- ! f!�:�:�ritet dede veill
b une poésie désirée,
e. Aux théologies négatives. À éd. H. W Janson, Londres, Phaidon 1964 (éd. 1992), p. 32.
pluies, d'attente ven » Ibzd., p. 7.
t.
208 DISPARAÎTRE DANS LA LUEUR DU SEUIL
209
comme << cette impression de réalité enfin pleinement incar révèle l'opération du deuil. Elle nous dit aussi la fondamentale
née qui nous vient, paradoxalement, de mots détournés de l'in - et si difficile à penser - connivence du psychique et du
carnation 12 >> ? Incarnation et détour définiraient alors deux minéral 14•
opérations conjointes de l'image, ce par quoi l'espace, une fois Chaque texte d'Yves Bonnefoy appelle sans doute la lecture
œuvré, se rendra capable d'accéder au statut de lieu, et de tol)s les autres. Je ne puis plus, quant à moi, lire le poème
le visible, une fois figuré - c'est-à-dire transfiguré, trans << Dans le leurre du seuil >> sans que ne s'impose l'image men
formé -, de se livrer au vertige visuel d'un petit monde t le du to bea de Leyde décrit une vingtaine d'années plus
retourné en doigt de gant. t?�t. J� vols� la �Jeune femme allongée dans << cet à jamais de
s1lenc1euse respiration nocturne >> ; je vois le couvercle du sar
cophage et la petite porte en bas-relief dans la << porte scel
Seuil, lueur, ornement lée >>, dans l'<< absolu des pierres >>, dans cet << avant de
La réversion est une question de seuil. Dans la réversion, en l'image >> que dit le poème ; je vois l'étrange choix du com
effet, un seuil se chanto urne sur lui-mê me, un dedans touche manditaire en deuil dans cet objet << où l'antique espérance se
presque un dehors , et le entre les deux s'ou penche sur 1 Les lèvres de l'image 15 >>. Je vois enfin une théo
Les images les plus intenses rie de l'image esquissée dans les vers interrogatifs :
t virtuel
t
contac
vrage, s'ouvre, devien on du seuil - en
les image s où la questi
visuel.
ne seraient-elles pas
seuil
jeux de plis, de replis, de déplis conjoi nts - se voit le plus [ . . .] Et pourquoi l'image
<<
intensément œuvré e ? Et la tombe ne donne rait-el le pas le para Qui n'est pas l'apparence, qui n'est pas
digme même de l'imag e, s'il est vrai que, dans tous les cas, une En dépit du déni de l'être 16 ? >>
Même le rêve trouble, insiste-t-elle
souven ir et la
: ici
en son
sèma
demeure - en moi qui me recuei lle
tera. Aucun repos, déjà, ne subsiste pour moi, si ce n'est l'image défunte (nisi
· · natre
·
des images dans l'Occident médiéval, dir. J. Baschet et J.-C. Schmitt, , De architectura IV 1 7 Cf S D . . ..
Léopard d'or, 1997, p. 185-218. n.mtqu.l!es grecques et roma ' ' · · · ortgny' « Stngrhs », Dzctwn
' ines
' VIII parts, Hachette, 1902, p. 1534
'
.
-1535.
216 DISPARAÎTRE
19
, 'f d'u souvenir d'enfance ou
Par 1e �etour: Par l'e. ffet revers! SUR LES TREIZE FACES DU CUBE
les crêtes d'un espace fait· d'�-
' _
•
et Y main eït une vre. ' · V, cl. d ne une << vie qm. ne s,ef re
mallarméen, au moment oùdesodonnuzene tqu
·
Jo .
fraie pas Se .a �ort ] et �� ;ess�isi� dans la mort m�me dans la sombre demeure d'Igitur. les douze coups de minuit,
.
• .
comme l'écnt onnef"oy pour finir' conscient que, lom Giacometti, pourtant, ne s'est pas co
concept - mais pas lom que ce1a , il parodie en<:Or<!_ ,, n<>mi'Jre des fac es d'u n dé ou ntenté de doubler le
Hegel 31•
SI
complexifier la géométrie. L'objet, réa d'u n cu be no rmal, et donc d'en
.
29. « 1 mseau chanta. Je devra1s dtre pour être juste, qu'il parla, sens introuvable
,
·1
crête de ses brumes, pour un mstant de solitude parfaite. » lbt·d., p.
grande masse
· '
raissent moins, dans ce contexte, comme les reponses ade polygones s'orgamsent en facettes internes dans l'approxima les
quates ou les clés interprétatives pour aborder l'œu:r: de
e tion toujours inquiète d'une volumétrie du visage.
Giacometti, qu'ils ne sont à prendre �omme des mots a mte:
préter eux-mêmes - parce qu,ils viennent d; 1, a;tlste lm
même, qui sut si bien les tra�smettre, les �uggerer � to':_ls ses Face de la cage et du cristal transparent
grands exégètes - et à toujours requestl?nner, c est-a-d1re D'un autre côté, ce même polyèdre apparaît dessiné en 1932
approfondir et critiquer, devant l'œuvre v1s1bl ?. . du �ube dans une vue générale de l'ate
Alors pourra-t-on envisager le moment partlcuher tout près de la Femme cuzllère,lierunoùobje
Giacometti mit en scène
t polyédrique dont le�
comme une pliure et non plus comme une parenthese : arêtes ne définissaient pas les pliures d'un
moment où deux choses contradictoires au moms se rabattent mals les tlges ou les barreaux multiples d'unvolu
e
me compact,
espè
l'une sur l'autre, se cristallisent avant de se séparer à nouveau. dans laquelle s'affolait une version tourmentée decel'ho de cage
mme
Moment qui obéirait à la logique plus !n�éressante, plus e�u vitruvien.
bérante aussi, du et... et non pas un ep1sode plus ou moms Alors s'impose la sens n, renforcée par les rapports avec
creux dans l'histoire d'une œuvre, mais le cristal à facettes, le d,autres œuvres comme atio
:
prisme de tout un destin artistique qui constamment se cher la Cage, le Palais à quatre heures du
matin ou bien encore l'étude faite en 1933
chait, et peut-être à ce moment-là plus qu'à tout autre. texte de Re�é Crevel, que le Cube aurait étépou r illustrer un
rêvé
c�mme le cristal t�ansparent �t la prison subtile d'unparcorpavance
s en
deroute, qm en lm ne cesserait plus jamais - fût-ce virtuelle
ment - de s'affoler, de rir et de retomber à son existence
d'os ou de fossile, chu, mou
Face du dessin qui cherche son volume
Giacometti on le sait cherchait avec le dessin. Et à ce épars et enfermé.
midable >> ou;il de la re�herche, comme il_ le disait lui�même
<<
à ce moyen jamais remis en cause, 11 demandrut Face des corps qui se dé/ont
C'est comme si tout al - géométrie d'arêtes vives, archi
3. Cf. M. F. Brenson, The Barly Work of Alberto Giacometti : VLJ->no,
Ph.D., Baltimore, The Johns Hopkins University, 1974, p. 176-17 8 �t
.
': tecttire de couteaux trancrist
sparents - ne pouvait se penser, chez
,
4. A. Giacometti, « Entretien avec P. Schne1der » (1961), Ecrtts, op.
p. 263. Ibzd., p. 114 (vers 1924).
222 DISPARAÎTRE SUR LES TREIZE FACES DU CUBE
223
Giacometti, que dans l'atroce contrepoint d'un corps qui se Compacte et aveugle au-delà de sa nature de cristal : c'est là
déchire, se défait, se disloque en lui ou en face de lui. Voilà sa magie, sa force, son coup de dé pour nous atteindre ou non
qui se repère dans un dessin de 1935 où le même objet poly et donc aussi son fragile équil
édrique flotte presque dans l'unique main d'une figure anthro ce pouvoir paradoxal de nous ibre. C'est là, en tout cas dan�
fixer, que réside son esse�tielle
pomorphe dont toute la volumétrie est pourtant mise à mal, teneur anthropomorphique.
ici aplanie en page blanche, là creusée en gouffre noir, déchi Mais paradoxale, je le te. Donc dépassant et transfor
rée ou démembrée. Déjà, en 1933 , la Table surréaliste confron mant sa propre _référence répè anth morphique. Ce n'est pas là
tait un petit polyèdre à la tête << célibataire >> (sa demi-bouche, affa!re de << stylisatiOn >> : avecropo
son œil unique) et à cette main coupée qui échouait tout à fait llmetres de hauteur, le Cube n'estsestoutquatre-vingt-quatorze cen
à saisir quoi que ce fût. Très certainement, le Cube, dans ce (bien plu_s que cela), ni un monument simp (bien
lement ni un objet
contexte, n'est pas éloigné de la problématique où se pensa N1 un cadiou, un corps humain. Peut-êtremoin
m
leur
s que cela).
entre-deux
fantasmatique, sous l'espèce d'un monolithe inquiétan
maternel. On sait que Giacometti lutta toute sa vie contr�t l'im non
l'Objet invisible.
Car il en est peut-être de tout cristal - de toute géométrie,
selon Giacometti - comme de tout corps : l'affirmation et la possibilité de saisir la dimension juste de ce qu'il disait voir. Le
dureté de ses arêtes ne seraient qu'un moment du cristal lui Cube n' �chappe pas à cette inqu
même en perpétuel danger de diffraction interne, et plus fut place, en 1935, sur un socle <<iétud e fondamentale, puisqu'il
cérém
encore de cassure, d'ouverture, de dislocation. r.;artiste dessi ber définitivement à son assise de corpsonie l >> avant de retom
brut enté dans le sol.
nait exactement cela, en 1934 (c'est la composition pour l'al
bum Jakovski), juste après avoir compacifié son polyèdre en
statue. Face des têtes mortes
Nous comprenons alors que le Cube ne fait masse qu'à sup
poser un vide en lui, qui d'ailleurs s'entend concrètement . Or,ns1on
d1me �e q�i voue les objets ou les corps au paradoxe d'une
1mposs1ble, c'est,
lorsque nous interrogeons du doigt l'une de ses faces comme l'advenue ou l'insistance de àlaenmort croire Giacometti lui-même
on frapperait à une porte inconnue. Mais c'est sur le mode de la mort de T. nous montre l'artiste en aux
eux : le fameux réci;
prises avec un corps
d'une mise en regard que ce vide réellement s'éprouve. mort qui << était partout >>, << n'avait plus de
D'abord sur le mode allégorique, dans le dessin de 193 3 que même que sa pauvre tête était devenue << commlimit e
es >> - alors
un objet quel
Giacometti intitula Lunaire : ici, le corps humain est vraiment conque >> pendant que Giacometti lui passait une
devenu << l'objet invisible >>, mais il a transformé sa propre autour du cou en guise de toilette funéraire 6• Bien pluscrava te
tard
absence dans la mise face à face d'un masque - le creux par - et lui-même près de mourir -, l'artiste conviendra que le
excellence, en l'absence du visage - et d'une masse - le plein mot mort aura toujours été pour lui quelque chose de << presque
à première vue, mais le plein inquiété, inquiétant, peut-être abstrazt 7 >>.
faux, d'un polyèdre qui, d'un coup, sera passé de son �chelle
d'objet à la stature plus anthropomorphe d'une espece de . Obje
b1en
t sans échelle familière, le Cube nous regarde peut-être
comme un objet de mort laten
colossos funéraire. question n'a plus à se poser, dès lors quete. Abstrait ou non - la
l'�nchâsse dans une série de dénégations répé Giacometti lui-même
lm demandant s'il avait jamais fait << une sculptées.ture
James Lord
Face de l'impossible dimension abstraite >>, l'artiste répondit : <<Jamais, à l'exceptionréellement
du grand
Tel est le Cube devant nous : une masse qui nous regarde
abruptement, sur un mode qui ne peut plus désormais se rat
tacher à quelque allégorie visible. Et elle nous regarde, nous
fait face, dans la mesure même où elle se donne aveugle.
6. Ibid., p. 30 (« Le rêve, le sphinx et la
mort de T. », 1946).
7. Ibtd., p. 9 (1965).
225
224 DISPARAÎTRE SUR LES TREIZE FACES
DU CUBE
que j'ai fait en 1934, et encore je le considérais en réa tée dans un marbr
péfiant qui aura poertéblaGincacoenme192 7 ,. o� 1e reno ce;nent stu
Cube
lité comme une tête. De sorte que je n'ai jamais rien fait de ?
véritablement abstrait 8• » dans une Tête du père réduit a, o1a meme annee, a trancher
tti,
Exception et non-exception, polyèdre abstrait et tête d'une de facette sur laquelle un dess�n d� �dexlste nce de �ce: voire
es profondes !eta
dimension impossible pour une tête, le Cube offre donc son s'entailler. it venu
étrangeté monolithique, inquiétante par sa seule taille. Il fut
construit comme une tête, mais dans la subversion d'espace
- et de signification - que supposait la dimension d'une Face de l'opacité et du crz'stal
mort. Tête d'une mort, donc - mais laquelle ? La référence
aveugle
Mais le visage ,
formelle avec la Tête cubiste s'impose en un sens, parce que nuait sans d0 dispagru deu perlace,omsaettface retranchée, conti-
les analogies formelles y sont frappantes (surtout lorsqu'on dissemblance �� �fè;: r= � �e serait a1�r� i dep�is son fond de
regarde celle-ci de dos), et parce que le rapport au crâne, ce le cristal de cette rabs en�e et cle �ett� opame ;a etpensaser comme
cristal creux, y demeure évident. Mais ce n'est pas encore tout même comme le ' géom
ose, �, l artlste pour recueillir -étrie
dire. ce un temps - celzeuvisimpage de l absence. fût-
Face perdue, face du père Face de l'ombre et de l'expec
tatz've
En 193 3 , le visage qui disparaît tout à coup pour Il est arrivé que Giacometti voie dans un .
Giacometti, le visage qui devient crâne dans la terre, est le
visage du père. Son œil ne surplombera plus l'œuvre du fils
. temps un << crista l
(t�l est: d'ailleurs, leà fac ette . v. olent, tenvisduage, ranen même
:assé
, hbre, à la douleCuurbe l�i���el 10 et une vocatwn au
>>
et le fils lui-même - cet œil auquel Giacometti accordait le deseqm , au << gouffre >>. Dans s .
privilège exclusif, comme sacré, d'un savoir sur les vraies d b e
dimensions de toute figure représentée 9• Giovanni Giacometti u fr e
p�rad��� �!��l:bl�� fa�! ou masse d'bien
peu t-être l'inquiét�d: � ���
meurt en juin 193 3 au moment même où Alberto expose sa om
en respect depuis son an s a re. bre. qui nous tient
trop calme pour n'être étr f�h� d� ,1'-Pavillo
· ·
>>,
>>
>>
- ce sera au frère d'en être plus tard l'objet -, qui n'est . Ainsi, le Cube nous tient-il peut-être en
sans rapport avec le travail spécifique mené dans le son mventeur lui-même, arrêté devant respect comme il
suffira d'évoquer la massification polyédrique de la tête "'""" pa:caI!Ve - entre d 11 d ' · - de sav lui dans l'ex-
de plus, réinven�� l'��pa��� oir comment, une
8. J. Lord, Un Portrait par Giacometti (1965), trad. P. Leyris, Paris, Gallinm_<J,,
1991, p. 116. Dans son grand livre, Yves Bonnefoy évoque le double mélancolique
ment d'une « résistance intérieure » de la forme à toute mimèsis, et d'un
peut-être faudra l nommer mélancolie 1a �lo . 1ence ,
d une telle attente-t-i: par
cement incessant de l'abstraction vers autre chose : « La forme ne peut pas
ter abstraite longtemps chez Alberto, quel qu'ait pu en être, à des moments, �rre-
ce que le deuil du pere ouvrait
désir. Il faut tout de suite qu'elle redevienne la vie, c'est-à-dire, vers 1934,
obsession de la mort. » Y. Bonnefoy, Alberto Giacometti, biographie d'une
la
Paris, Flammarion, 1991, p. 217.
9. Cf. A. Giacometti, « Entretien avec D. Sylvester » (1971), Écrits, op. · Ibid., p. 208 (vers 1959).
p. 289. Ibid., p. 154 (vers août 193
3).
226 DISPARAÎTRE SUR LES TREIZE FACE
S DU CUBE
brec, he d'un danger capab1e de faue . prendre à Giacometti le remisa dans son atelier derrière d'a
227
deuil de soi-même en ta�\qu'ar;'·st · trace parmi d'autr es de utres plâtres, comme une
que Giacometti, ascme e� 1933 par la Mélancolie de tant d'act es
.On
. sait
Durer, commença d'onenter son propre polyèdre en. gestation
même comme manqués, marqués parintimes qu'il pensait lui
vers un sens que la mort du .
e pouvait que précipiter, ens- Mais, entre-temps, une forme avait Je manque 13•
travail que Giacometti comparait lui- été fixée. Fixée selon un
e�, avec sa facies nigra, médite
• .
talliser. Le personnage de b�; - une transformation, une transpmême au travail d'un rêve
devant un obj�t de la ll_éom�, n.:l'a ��, un iconographe attendra!l incessant, une condensation (ou crisosition, un déplacement
surtout de volt un crane. r, i l . regarde avec attention �a << synthèse comme il disait 14, qui tallisation), une sorte de
face qui regarde le persznnage penslf on constate qu'à la dlffe >>,
supérieure de son Cube corn��' la page de plâtre où tracer Oublier quoi ? Peut-être : qu'à la m
tombé dans un état de prost ort de son père, il était
- en profondeur, en enta son autoportrait. Il prend rati on telle,
lui avait été impossible d'être présent ou de catalepsie, qu'il
bien soin, comie lour Pl�s��� tous ses autoportraits (mals que le visage aimé disparaissait à l'enterrement. Pendant
aussi comme 11 e lt avec réelle du cadavre de T.), d� devenait une statue. dans le sol, Giacometti, lui,
nouer . une cravate autour de ce buste esquissé. Plus bas, il Mais ce qui
redessme 1e Cube lui-même comme si l'objet .impersonnel d'autres objets dereste souverain, dans Je Cube comme
était capable de prodm.le son' pro re autoportra!l. Giac
très simplement, à savoiomett i, c'est ce que Jean Genet énodans
On comprend alors a ten��� taradoxale qui agite cette un mort 15 Objet de deuil, r que ces statues, toujours, << veillnça
sculpture. : entre un lzeu pure t géométrique et un portrait >>. ent
le Cube le fut peut-être à un degré
' tl·que. Inquiété et problé, spécial, entre 1933 et 1934
toujours
. " ' , touJOurs prohlerna
mqmete, Giacometti rêvait d'une sculpture . Genet raconte aussi que
,
mal!que parce que condamne lu!·-même à la tension géné•!lo. rêva-t-il spécialement du Cube aprèsà enterrer 16. Peut-être le
gique d'un pere e: d'un fis, d'un visage trop absent et
•
1 • érigé pour son père une pierre tom qu'il eut, en été 1934,
visage qui reste, ne de cette b nee Giacometti, on le bale de stature analogue.
v?u1ut mourir - et effectlve�:�t m�urut - à l'âge de
pere. C. omme s ,.1 n'avait cessé d'éprouver sa propre gr,ande'"\
1
ou pelltesse au regard de 1 a dimension paternelle. .. (1 991)
.
; r��:;;:��
13. lbzd., p. 133 (vers
1932). Cf. également, p.
ne puis parler qu'in 17, le fameux texte de
s. L . ] L'objet une fois
Face pour en finir avec l'objet directement de mes sculptu 1933 :
, un Il VIsua1Ite
«
magie des lieux. Songeons aux immenses murs babyloniens 1es camps nous oblig · - du heu
ent-ils .
' C'
·
d'Intolérance, aux toits obliques de Caligari, aux souterrains de bien d'autres, que Claude Lan�� n hdeva a te e qu est ion, parmi
Métropolis, aux gratte-ciel de King-Kong, au labyrinthe de glaces t�ute la longueur �h ' une rep n pr po
� ser, dans
de La Dame de Shanghai; au palais oppressant d'Ivan le Terrible, reponse filmique quidedemsoneurefilmdmiroa dble
onse, une
et, da ns son
.
ou encore au monolithe noir de 2001 . . Même les << décors natu absolument indép able. Que fa re, o genre,
rels >>, comme on dit - les statues géantes de North by ces lieux de destrass :
uction eux-men;es general � c, ave c ces lieux-
;re qu en faire- �n;ent détruits
.
cinéma, en ce sens, nous offrirait quelque chose comme une per Cincinnati, lui dit : Interroger jusqu'à
pétuelle fête, un perpétuel festin d'espaces possibles.
Mais je ne puis, s'agissant du lieu - et d'autres choses «Mais, qu ,est-ce que je ver
rais ?
encore -, qu'en revenir à un autre genre d'inoubliable, plus a ? L . .]
Comment affronter cel
lourd à porter. C'est celui qui aura contraint un homme, il y Comment puis-je retourn
er à ça, visiter ? 3
a une vingtaine d'années de cela, à commencer un film sur la Et cette femme dit aussi que le u�eu;
»
base du refus, ou d'une vitale impossibilité, devant toute cette grands-parents furent � . . , re de Lodz, où ses
chatoyante règle du jeu scénique et cinématographique. Il refu détruit, rasé et donc ent errés' est UI-meme en passe d'être
sait le décor >> et sa magie - disons, pour faire bref : le lieu
«
œuvré par la fable -, non exactement par choix esthétique, serme· nt encor' e localisabeles]'a>>, ou
qu
1
ses morts d'avant guerre
']� ne 1e seront bientô
,
de l'abyssale et brutale constatation · d'une Madame Pietyra, filmer cela exactement : que rien n'ait bougé
23 1
. '
citoyenne d'Auschwitz, q�i exphque P?urquo: !e ��metière 'uif dan� le fait que Lan . Vessentiel gît
de son VI'Ilage est « ferme . « On n enterr pl , là-bas � ». zm ann a tro uvé la jus
ner à voir cette consistance, ce paradoxe, et pou te pour don
' . Que pourraient nous
/orm
doxe en retour, immédiatement, durablement r que ce para
e
Alors, pourquoi retourner sur 1es lleux
>> •
i .
« dire » de tels 1eux dans un s'il n'y a plus rien à y vozr. ?
film
'1
les lieux détruits ont maintenu dans son film, ma, nous regarde :
Lanzmann, qUI· flt 1e pas - le voyage - en 1978, avait d'abord gré eux, l'indestructible mémoire de leur office lgré tout, mal
ressenti la Pologne: e: toute la géographie des camps, comme cette destruction dont ils furent, par l'histoirede destruction,
l re d j'' agmalre par exce!!ence ' . Sa quête ressem- demeurent, par ce film, le lieu pour toujours. , et dont ils
l�t �: �·7� à� �� db��l :! t i e e e u s .
� du chemin de fer, la pancarte indiquant au Comme la voie
>>
bparce qu s :reu t a u : ��� l� �h �l� �n� �1:, ��:� arrive à Treblinka est toujours là. Treblinka est voyageur qu'il
si ce là n ,existe plus, a e, , défi uré est devenu, que srus-Je, cela signifie que la destruction est toujours toujours là. Et
1
une autoroute ou sup::marc�é. Mais la quête du cinéaste telle est l'œuvre du film - qu'elle est ici, là, ou plutôt -
était d'une aut;e sorte,. b . , . Lanzmann revenait sur les ici pour toujours,
un
tout cela � Pourquoi. �es rleux de la destruction sont-ils « 1e n'est perceptible que grâce à une sorte dei-même, [le lieu]
<
'
'
lieu malgre tout », le lieu paf hnxcellence, le lieu absolument ? hybride que n'accompagne point la sensation raisonnement
·
Parce
.
que Lanzmann: en !es i ant _ selon des règles intran on y croire. C'est lui, certes, que nous aperce ; à peine peut
s1geantes qu'1� faudrall ana
. lyser en de'tail -, leur découvre. une
. un rêve 9 »... Or, c'est bien exactement le vons comme en
terrible consistance, qm bien
va . au-delà
, de cet « imagma1re cherche ici : le lieu n'a pas à être « épuré », contraire qui se
x Il n auquel d avait pense d' abord. C'est la cousis-
:'a�c� d: c: ;�i, détruit lu dé��r , parce que l'histoire s'est déjà chargée de le déftout simplement
« raser » ; il ne se donne pas dans un igurer ou de le
>>
« Le choc n est pas ;;eu emen �o�����;��:�� �'::eb:é:f:r� hybride », mais dans une sorte d'évidence abr« raisonnement
géographj9ue dt meme �ok��rathi:bue �récises à des noms d'exclure la sensation, l'impose justement com upte qui, loin
devenus e,gen alr � ob or helmno, Treblinka, distance et de proximité tout à la fois, sensat me sensation de
etc. -, 1. est au� i-;;t :urto�t de p�rcevoir que rien n'a l'étrange et - plus insupportable encore - du ion mêlée de
bo �, , » . de ce lieu-là n'a plus rien d'« imaginaire » ni d'ofamilier ; enfin,
V� s��tiel gît dans le fait que Lanzmann n'a pas cramt qu'il s'impose comme le document, toujours nirique, parce
généralisable) et toujours incarné (jamais apaisab singulier (jamais
lision entre un passé de la destruction et un préle), de la col
4. Ibid., p. 29. sent où cette
5 . Id., « J'al enquete en po1ogne » (19781 ' Au sujet de Shoah, le film de Claude
• •
7. Id., « J'ai enquêté en Pologne », t.btd., p. 213 . Cf. également td., « Le métaphysiques. C'est un film nses idéologiques ou
;:
de géographe, de topographe.
et la parole » (1985), ibtd., p. 299. 9. Platon, Timée, 52b. »
1
232 DISPARAÎTRE LE LIEU MALGRÉ TOUT
233
destruction même, bien que défigurée, << n'a pas bougé >>. Plus au lieu, au stle ce du lieu, et construire cinématographique
personne n'est là ou presque, plus rien n'est là ou J?resque, se ment la v1sualne� de ce silence,
dit-on et pourtant le film nous montre dans de d1screts ves parole vraie. Ainsi en fut-il parpour exem
que le lieu délivrât de la
tiges �ombien tout, ici, demeure, dev�nt nous. r.;œuvre de l'un des deux rescapés de èhelmno, etplea;ecdequiSimo nou
n Srebnik
s entron�
Lanzmann est d'avoir pu constrmre, 1rrefutablement, VIsuelle dans le film. Lanzmann a clairement exposé le problème : ce
ment, rythmiquement, ce devant-là. que Srebmk pouvait di�e �'ét�it d�abord rien, ce n'était que
c nfuswn, fohe, m apaClte- a dJre, silence de plerre. << Il y avait
d�abord la difficultse de les fatre
Le silence du lieu parler. Quelques-uns sont fous parl et
er. Non qu'ils refusent de
inca pables de rien trans
<<J'ai filmé les pierres comme un fou >>, dit Lanzmann mettre. Mais ils avaient vécu des expérienc es tellement limites
quelque part 10 Comment cette phrase ne résonnerait-elle pas 9J aJu.'ils ne pou�aient pas les communiquer. La première fois
étrangement pour le spectateur de son film, qui s'ex;rait de la Srebmk, le survivant de Chelmno (qui avait treize que ans
projection bouleversé par tant de paroles, tar:t de rec1ts, tant à l'époque, c�étaient des gens très jeunes), il m'a fait un récit
vu
de visages ? Cette phrase, 1! nous la faut peut-etre compren�re d'une confuswn extraord e, auquel je n'ai rien compris. Il
au regard de la difficulté première où Shoah s'es;, d emblee, ava1t te!lemen; vécu dans inair
affronté. Il s'agissait de prodmre en ce flim une remmlsc,�nce procede _ par talonnementsl'hor
. Je
reur qu'il était écrasé. J'ai donc
me
qui fût radicale, qui fût donc le contra1re, pour chacun, d evo et je me suis aperçu qu'il fallait suis com
rendu sur les lieux seul
quer des souvenirs déjà prêts. Il s'agissait, avant même que de sa,voir et voir, et il faut voir et savoir.bine r les choses. ri fau�
Indi ssolublement. [... ]
les faire entendre de faire parler les surviVants de cette des C est pourquoi le problème des lieux est capi tal " >>.
truction - victi�es survivantes, bourreaux encore là - à u? Le cinéaste avait compris que, devant l'incapac ité à recueillir
degré de précision telle que faire venir une parole so';ls l'œil un récit normalement articulé, la question du lieu
de la caméra s'apparentait presque à la gageure ---: 1� vwlence compris à la fois comme site interrogatif de la paro- le
le lieu
insensée' mais nécessaire : une violence par conszderatzon - tion de son énonciation, et comme question à toujou;scond repo
i
de faire parler des pierres. Chacun, dans ce film, , se voit ser, toujours plus précisément, dans les dialogues filmés c'est
contraint, par l'impératif catég?nque �u fdm lm-mer,ne, de à-dire comme élément central de tous les énoncés -' cette
délivrer une parole dont la proferauon, a chaque fœs, uent de question était celle que le film devait d'abord prenclre en
la brisure - miracle, symptôme, lapsus, écroulement, forclu charge, construire et développer jusqu'à l'impossible. Il suffit
sion - parce que chacun, dans ce film, s'est, e� _tant que sur; de se remémorer les quelques minutes du début de Shoah pour
vivant et pour des raisons à chaque fœs smguheres, eprouve ommencer de comJ?rendre l'exi
�llque
comm� un fou ou comme une pierre 11• Fou de douleur, ou de toute cette Immense consgenc
truc
e, la logique et l'esthé
tion filmique.
refermé à sa p �opre histoire comme une pierre le serait à sa Il Y a d'abord, souvenons-nous, un
nom tracé c'est le titre
propre rivière. . . , a du film, ce nom de Shoah, ce mot étranger non traduit et :
Lanzmann a donc tenté d'ouvrir des p1erres, et le cmem _ dont l'exergue, dans le mêm , ne dit qu'une chose'
était là pour cela. Mais, pour cela même, il fallait en revemr qu'il est un impérissable nome, plan parc
nous la destruction des hommes 13 • eSilen qu'impérissable est en
cieux le nom tracé
silencieux le générique, silencieux aussi le texte qui suit immé:
10. C. Lanzmann, « Le lieu et la parole», Au sujet de Shoah, �P· cit., � · 299.
?
11. Tel est, par exemple, ce qu 'on pourrait nommer le « sounre e pterre »
de Mordechaï Podchlebnik, au début du film : le bouleversant so�nre du sur· 12. C. Lanzmann, « Le lieu et la parole », Au sujet de Shoah, op. cil., p. 294.
vivant (« Tout est mort, mais on n'est qu' un homme... »). Franz Su�ho�el, le .
13. « Et Je leur d�nnerai un nom impérissable » (Isaïe, LVI, 5). Sur l'impé
SS Unterschar/ührer de Treblinka, est une pierre d'un autre genre, qm volt tom
ber les gens (( comme des pommes de terre ».
.
�
�tss_a le et .la destruction, cf. M. Blanchot, « L'indestructible », dans L'Entretien
tn/tnz, Pans, Gallimard, 1969, p. 180-200.
234 DISPARAÎTRE LE LIEU MALGRÉ TOUT
235
diatement : c'est un récit déroulé, c'est le récit sans affect d'un à fond lat glissa?! surJa rivière. La première image du film est
lieu nommé Chelmno, qui « fut en Pologne le site de la pre d<;ille �1 pun chant elo g_ne, un
mière extermination des Juifs par le gaz << Sur les quatre cent
». ans esp�ce, qm s:el,01gne chan de
t éloigné dans le temps comme
1� caméra mais se rapproche de
mille hommes, femmes et enfants qui parvinrent en ce lieu >>, nous en glissant sur 1 eau, tand1s qu'une voix polonaise un
dit encore le texte silencieux, << on compte deux rescapés >>. paysan de Chelmno - dit se souv enir.
Et puis, nous voici à même la lisièr
_
Le premier est Simon Srebnik, dont l'histoire nous est briè e du lieu :
vement présentée, son père abattu sous ses yeux au ghetto de un vzsage clos, celui de Simon Srebnik, timi c'est d'abord
Lodz, sa mère asphyxiée dans les camions de Chelmno, et lui, toussottant un peu, ne sachant où regarder dans de,. trop neutre,
enfant de treize ans, enrôlé dans la << maintenance >> du camp, �e s� propre destruction, marchant en lisière dece lasiteforê détruit
et pas moins promis à la mort que les autres. Mais le récit s arrete et regarde encore, puis, en allemand le plus t.durIl
nous apprend l'étrange destin qui le fit << être épargné plus ch01x pour partager ces mots -, il prononce les premières_
longtemps que les autres >> grâce à sa voix, sa mélodieuse voix phr�ses. d� �e qui va devenir, dans
d'innocent. << Plusieurs fois par semaine, quand il fallait nour tretien 1nfm1 avec le réel de la destrtout le film, une sorte d'en
uction :
rir les lapins de la basse-cour SS, Simon Srebnik, surveillé par
un garde, remontait la Ner sur une embarcation à fond plat,
jusqu'aux confins du village, vers les prairies de luzerne. Il
« Difficile à reconnaître, mais c'était ici.
Ici, on brûlait les gens.
chantait des airs du folklore polonais et le garde en retour Beaucoup de gens ont été brûlés ici.
l'instruisait de rengaines militaires prussiennes. Tous à Oui, c'est le lieu Oa, das z'st das Platz) 15 ».
Chelmno le connaissaient >>. Juste avant l'arrivée des troupes
soviétiques, en janvier 1945, Simon Srebnik fut, comme les Que� li u (/ig: 33) ? C'est un espace ouvert, absolument vide,
autres <<Juifs du travail >>, exécuté d'une balle dans la nuque. marque d�u�e hgne de fondation déjà mangée par l'herbe, et
Mais << la balle ne toucha pas les centres vitaux >>, et il survé q.u� la ca�era emb.rasse d,un lent panoramique. Sur cette
cut 14• VISion du heu, �a VOIX de Srebnik continue, bien que chaque
C'est dans le silence, donc, que ce terrible fragment phrase sonne desormais comme l'impossibilité d'en dire plus :
d'histoire, à la fin touché par l'étrangeté d'un miracle de conte
oriental, nous aura été donné. Lanzmann n'a pas requis Srebnik « Personne n'en repartait vivant 16 ».
de raconter cette histoire (comme n'importe quel auteur de Tel est donc le li u de Skoah, }e lie�, pour nous, aujour
documentaires l'eût fait). Cette histoire nous est offerte, bien d,hm, de la Shoah : 1�explorat
sûr, mais elle restera en Srebnik, à Srebnik, comme sa pierre ses 1namov1bles ve�tiges ; l'expionlorat
necessaire de ce << vide >> dans
intouchable d'enfance et de silence. Lanzmann n'a voulu
qu'une chose, mais radicale : que Srebnik, non pas raconte, mais sonne >> dans ses mnombrables destioninsnéce;
ssaire de ce << per
l'exp
revienne. Qu'il revienne avec lui sur les lieux, et d'abord sur saire de ce << Jamais >> dans sa leçon pour toujoloraturs.
ion néces
Lanz mann
cette rivière où il chantait, où désormais il remémore et pour c�tte exploration dut << revenir sur les lieux seul
transmet pour toujours - pour un film de la mémoire - ce co?'me il le dit l�i-même. Puis il dut revenir sur les lieux e�>>
chant de Shéhérazade qui est aussi un fragment de l'histoire des ex1geant des surviVants - qu'il avait recherchés partout la
hommes. La première image du film sera donc, entre allégorie _ uve que leur épreuve exigeait, celle
f;ule epre d'être transmise
_
et vérité, entre passé et présent, celle d'un homme qui chante ut-ce en nommant un lieu : «fa, das ist das Platz
doucement (d'abord imperceptiblement) sur une embarcation accompagne donc Simon dans le champ ouvert, quiLanz ». man�
n'a jamais
15. lbtd., p. 18.
14. C. Lanzmann, Shoah, op. cil., p. 15-17. 16. Ibid., p. 18.
236 DISPARAÎTRE LE LIEU MALGRÉ TOUT
237
bougé, de ce camp qui a disparu après avoir tant fait dispa
raître. Puis il laisse Simon dans le lieu, éloigne la caméra et
laisse à la voix, triste et étonnée, toute proche et presque inté
rieure, le soin d'énoncer ceci : le silence d'aujourd'hui (le
« calme >> de la campagne visible) est à l'aune du silence d'hier
(le << calme >> inimaginable des morts).
«] e ne crois pas que je suis ici.
Non, cela, je ne peux pas le croire.
C'était toujours aussi tranquille, ici. Toujours.
Quand on brûlait chaque jour 2000 personnes, des Juifs,
c'était également tranquille.
Personne ne criait. Chacun faisait son travail.
C'était silencieux. Paisible.
Comme maintenant 17 ».
aisément suscitée, énonçable, que la mémoire même de ce pour et cet appartement appartenait aussi à des
quoi ces lieux étaient faits : << Nous avons compris que ce que
, Juifs.
�ais, d afrès les informations dont nous dispos
d/ }�sc_hwztz ont é!é « réin�tallés », puisque c'est le ons,
les Allemands étaient en train de construire ne servirait pas les
les ]uzfs
mot, pas loin
hommes >>. Ou, dans la bouche de Franz Suchomel : << Ça puait
_
d tcz, a Benztn et a Sosnowtecze, en Haute-Silésie.
inoubliables noms de lieux suffisent, dans les réponses don qui sont venus ici, qui ont été dirigés ici.
incapable de s'énoncer par signes, vient au jour symptomale l'Autrefois, sans mythifier l'Autrefois se rassurer du
ment, ne serait-ce que dans un panoramique sur la clairière vide Maintenant :
m
pas un) en reconnaissant, dubitatif, que « c'était ici >>. Objet, l.Autref01s rencontre le Mamtenant dans un éclair pour former
parce que le lieu devient l'une des questions et l'un des actes �n� c�nstellation . .En d'autres termes : l'image est la dialectique
essentiels de ce film, ce que le film interroge sans cesse en a 1 arret. Car, tand1s que la relation du présent au passé est pure
film, parce que le champ visuel qu'il ouvre simplement - tou figurative (bildlich): Seules les images dialectiques sont des images
dialectique : elle n'est pas de nature temporelle, mais de nature
<< reconstituer >>) que furent les camps. Le<< champ >> filmique de Voilà donc un film - de nature évidemment figurative -
Lanzmann est donc bien le contraire du champ polonais de qm aura tenu le pari dialectique d'être un << film de présent
Treblinka : sa bordure, pourtant construite dans une distance de pur 30 >>, mais aux seules fins de développer ce << moment cri
quarante ans, n'est pas celle du renoncement à témoigner, mais tique et périlleux >> qui fait de lui un ensemble d'<< images
celle par quoi un lieu présentement interrogé, filmé, parvient à authentiquement historiques >>, c'est-à-dire une œuvre de
nous mettre face au pire, proches des visages survivants, face à << connaissabilité >>. li est significatif que, dans cette << fiction
qui a eu lieu. L'attention au lieu, le travail du lieu dans Shoah, de réel 31 >>, Pierre Vidal-Naquet ait pu reconnaître une << mise
n'étaient sans doute aux yeux de Lanzmann que le seul moyen
ce
en mouvement de la mémoire >> qui procéderait, sur la connais
possible, la seule forme possible pour << diriger sur l'horreur un sance historique elle-même, à une décision équivalen celle
regard frontal 28 ». q�e. Marcel Prou�t prit avec la forme romanesque 32•teOr,de cette
S'il n'y a pas d'images d'archives dans ce << documentaire >> d oswn_ <� �roustlenne >> tient tout entière dans le déploiement
sur la Shoah, c'est aussi que les lieux de la destruction furent d�une vente que permet le temps du retour au lieu
constamment pensés par Lanzmann dans une tension dialec tout entière dans la posture de Srebnik lorsqu'il dit : elle tient :
tique que j'ai déjà évoquée : << tout est détruit >> (comment alors
<< C'était
Sans doute le contre-mythe de Shoah se désintéressa-t-il 4. « Images-contacts >>, texte d'introduction à l'exposition
d'abord de l'histoire du cinéma, en ce qu'il avait à affronter [;!mage-contact, galerie Michèle Chomette (Paris), 1997.
une Histoire autrement plus redoutable que celle de nos habi
tuels festins d'images. Mais la /orme de cet affrontement, dans 5. « Revenance d'une forme >>, inédit (1996-1997).
les neuf heures d'images et de paroles, ne pouvait que modi
fier le cours même du cinéma dans sa conscience, c'est-à-dire 6. « Celui qtü inventa le verbe "photographier" >>, Antigone.
dans son histoire. , de photographie, n° 14, 1990, p. 23-32.
Revue lttterazre
7 � « Superstition >>, Antigone. Revue littéraire de photographie,
n 8, 1987, p. 22-52.
(1995)
12. << Les paradoxes de l'être à voir >>, I.:Écrit du Temps, n° 17,
1988, p. 79-91 (publié sous le titre : « Le paradoxe de l'être à
voir, fragment >>).
13. « L'armoire à mémoire. L'Armadio degli argenti de Fra
Angelico >>, FMR, XI, no 54, 1995, p. 107-126.
14. « Une page de larmes, un miroir de tourments >>, Nouvelle TABLE
Revue de psychanalyse, no 49, 1994, p. 238-240.
15. « Don de la page, don du visage >>, Po&Sie, n°67, 1994, Apparaissant, disparate .. .. . . . . ... . .. .. ... . ... ... .. . . ... . .. . . . . ... ... . . 9
p. 95-105. Repris dans Poétique du _texte offert, dir. J.-M. I.
Maulpoix, Fontenay-aux-Roses, ENS Editions, 1996, p. 57-75. Ressembler
1. Le paradoxe du phasme ................................. . ............. 15
16. « Disparates sur la voracité >>, Po&sie, no 58, 1991, p. 32- 2. Similaire et simultané.................................................... 21
42. Édition américaine dans MLN, CVI, no 4, 1991, p. 765- 3. La solitude partenaire................................................... 23
779. 4. Images-contacts ............. . ............................................... 28
5. Revenance d'une forme .. . ............................................. 35
17. « Dans les plis de l'ouvert >> : notices (en allemand) pour II.
le catalogue Glaube, Hoffnung, Liebe, Tod, dir. C. Geissmar Apparaître
Brandi et E. Louis, Vienne, Kunsthalle-Graphische Sammlung 6. Celui qui inventa le verbe « photographier >> ............. 49
Albertina, 1995, p. 140-141, 150-151, 253-257, 460-461. Texte 7. Superstition.................................................................... 57
français dans Contretemps, no 2, 1997, p. 238-249. 8. Le sang de la dentellière .... ...... .. ...... ...... ........ ...... ........ 64
9. U?e ravissante blancheur........................................ . ..... 76
18. « Dans la lueur du seuil >>, inédit (1995). 10. Eloge du diaphane ...................................................... 99
III.
19. « Sur les treize faces du Cube >>, Alberto Giacometti - Regarder
11. La parabole des trois regards..................................... 1 13
Sculptures, peintures, dessins, Paris, Musée d'Art moderne de
la Ville de Paris, 1991, p. 43-46. 12. Les paradoxes de l'être à voir.................................... 121
13. L'armoire à mémoire................................................... 137
20. « Le lieu malgré tout >>, Vingtième siècle - Revue d'his 14. Une page de larmes, un miroir de tourments ....... . .. 149
toire, n° 46, 1995, p. 36-44. 15. Don de la page, don du visage.. . ............................... 152
IV. Disparaître
16. Disparates sur la voracité ........................................... 169
17. Dans les plis de l'ouvert ............................................. 185
18. Dans la lueur du seuil ................................................ 204
19. Sur les treize faces du Cube ............. .. . . .......... . .......... . 217
20. Le lieu malgré tout ..................................................... 228
Références des textes ................................ . ....................... . 243