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« Cette semaine, a dit Pelosi lors d’une courte


allocution, le président a demandé au président
Les démocrates lancent l’«impeachment»,
ukrainien de lancer des actions susceptibles de
la Maison Blanche leur donne raison lui bénéficier politiquement. Les agissements de la
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 25 SEPTEMBRE 2019 présidence Trump révèlent l’indignité d’un président
qui trahit le serment de sa fonction, de notre sécurité
Malgré un amas de conflits d’intérêts, de corruption et
nationale et de l’intégrité de nos élections. »
d’obstruction judiciaire sans précédent de la part d’un
président américain, les démocrates ont longtemps « Personne n’est au-dessus des lois », a-t-elle martelé.
hésité à lancer la procédure d’« impeachment » contre
Trump. À la faveur d’un nouveau scandale impliquant
l’Ukraine, ils ont enfin franchi le pas. Un document
publié par la Maison Blanche accable le président
américain.
New York (États-Unis), de notre correspondant.–«
Il n’en vaut pas la peine. » Pendant des mois, Nancy
Nancy Pelosi à la Chambre des représentants, le 24 septembre 2019. © Reuters
Pelosi, la puissante « Speaker » de la Chambre des
représentants, à majorité démocrate, n’a rien voulu La raison du revirement des chefs démocrates est
entendre. Pas question, disait-elle, de faire le cadeau un scandale révélé il y a une semaine par la presse
à Donald Trump de lancer la rarissime procédure américaine.
d’« impeachment » contre le président, prévue par la L’affaire implique un coup de fil entre deux chefs
Constitution des États-Unis. d’État – le président américain et son homologue
Pour décortiquer ses multiples conflits d’intérêts et ukrainien –, un lanceur d’alerte au sein des services
les lourds soupçons de corruption qui pèsent sur de renseignement, ainsi qu’un magot de 400 millions
lui, les leaders du parti démocrate avaient préféré de dollars : le montant substantiel d’une aide
lancer toutes sortes de batailles devant les tribunaux, financière à l’Ukraine, que le 45e président américain
ainsi que des auditions parlementaires, auxquelles la est soupçonné d’avoir « gelée » pour l’utiliser
majorité des proches du président n’ont d’ailleurs pas comme monnaie d’échange auprès de son homologue
déféré. ukrainien. Ceci dans le but d’obtenir une enquête sur
les investissements en Ukraine du fils de Joe Biden,
Malgré les demandes de plus en plus pressantes d’élus
le vice-président de Barack Obama, et un de ses
– notamment de la gauche du parti démocrate –,
principaux adversaires démocrates à la présidentielle.
Pelosi et la direction du parti démocrate, collées aux
sondages d’opinion, estimaient que l’impeachment Dans ce scandale à rebondissement, la présidence
risquait de leur nuire. Que les électeurs, préoccupés américaine semble commencer à s’enliser : mercredi
par des sujets plus concrets, leur reprocheraient de 25 septembre, la Maison Blanche a publié un
rejouer légalement la bataille politique perdue de la document de cinq pages censé dédouaner Donald
présidentielle. Que Trump se poserait nécessairement Trump. En réalité, il établit clairement les pressions
en victime d’une « chasse aux sorcières » menée par directes de Trump sur le président ukrainien.
« l’État profond », expressions qui figurent parmi ses Exactement ce que lui reprochent les démocrates :
favorites « HARCÈLEMENT PRÉSIDENTIEL », a tweeté
En une semaine, pourtant, tout a changé. Mardi 24 Trump, qui va s’atteler dans les prochaines semaines
septembre, Nancy Pelosi a fait volte-face et annoncé le à décrire un grand complot destiné à empêcher sa
lancement d’une procédure officielle d’impeachment réélection en novembre 2020. « Je suis en tête dans
contre Trump à la Chambre des représentants. les sondages [ce qui est faux – ndlr], et ils ne savent

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pas comment m’arrêter », a-t-il dit ce 24 septembre en Trump n’a jamais nié cet appel, ni même avoir
marge de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU à évoqué Biden. Il s’en est même vanté ces derniers
New York. jours. Depuis des mois, Rudy Giuliani, ancien
Ce nouveau scandale de la présidence Trump a éclaté, maire de New York et avocat personnel de Trump,
d’abord sans un bruit, le 12 août dernier. Ce jour-là, plaide publiquement pour une enquête des autorités
un lanceur d’alerte non identifié au sein des services ukrainiennes sur la famille Biden.
de renseignement américains dépose un signalement – Récits parallèles
son identité et les termes exacts de la plainte n’ont pas Mercredi 25 septembre, au lendemain de l’annonce
été dévoilés, pas même au Congrès, la Maison Blanche du lancement du processus formel d’impeachment
et le Département de la justice s’y étant opposés. contre Trump, la Maison Blanche a donc publié
Plus d’un mois plus tard, le Washington Postrévèle une retranscription, partielle et reconstituée, de
l’existence de ce signalement. La plainte en question, l’entretien présidentiel. S’il pensait que ce document
apprend-on, implique le président Trump lui-même, allait le dédouaner, Trump s’est lourdement trompé –
ainsi qu’une « promesse » faite à un « leader étranger la preuve, peut-être, que l’affabulateur en chef a fini
». par croire à ses propres mensonges.
Au fil des révélations, les faits commencent à se Au cours de cette conversation téléphonique dans la
préciser. Les médias américains révèlent que le pays « situation room » de la Maison Blanche, Trump, qui
concerné est l’Ukraine et que l’affaire concerne parle à Zelenski pour la deuxième fois, cite en effet
directement l’ancien vice-président de Barack Obama, nommément Joe Biden.
Joe Biden. « On parle beaucoup du fils de Biden, on dit que Biden
a stoppé l’enquête du procureur [ukrainien], beaucoup
de gens veulent savoir, donc tout ce que vous pouvez
faire avec le general attorney serait bien », suggère
Trump.
Il incite avec insistance le président ukrainien
à se mettre en relation avec son avocat Rudy
Le président ukrainien, Volodymyr Zelenski, lors
Giuliani (qui n’a aucune responsabilité officielle dans
d'une visite à Paris le 17 juin 2019. © Reuters l’administration) et le general attorney William Barr,
D’autres médias révèlent peu à peu d’autres morceaux un de ses fidèles à la tête du Département de la justice.
du puzzle. Propriété de Rupert Murdoch, un ami « Monsieur Giuliani est un homme très respecté,
de la famille Trump, le Wall Street Journalaffirme il était maire de New York, un grand maire, et je
ainsi que le 25 juillet dernier, lors d’un coup de voudrais qu'il vous appelle. Je vais lui demander de
fil au président ukrainien tout juste élu, Volodymyr vous appeler avec le general attorney. Rudy connaît
Zelenski, « le président Trump a fait pression de très bien ce qui s’est passé et il est très capable. Si vous
manière répétée sur le président ukrainien pour pouviez parler avec lui, ce serait bien. »
qu’il enquête sur le fils de Joe Biden, demandant
Trump ajoute : « Nous allons aller au fond de cette
à Volodymyr Zelenski environ huit fois de travailler
histoire. » Et encore : « Tout ce que vous pouvez faire,
avec [son avocat] Rudy Giuliani sur une enquête qui
c’est très important que vous le fassiez, si possible. »
pourrait entraver » Biden dans la course à la Maison
Blanche. « Ce compte-rendu en soi est un “smoking gun”,
s’est écriée sur Twitter la sénatrice Elizabeth Warren,
candidate à l’investiture démocrate en vue de la

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présidentielle de novembre 2020. Si telle est la version président que si le Sénat, qui se constitue alors en
des faits que le président juge favorable pour lui, il est tribunal, juge aux deux tiers le président coupable de
en situation très délicate. » certains crimes.
Selon les médias américains, le département de la Avec un Sénat à majorité républicaine et totalement
justice a refusé cet été de donner suite à des alertes aligné sur Donald Trump, cette hypothèse est
des services de renseignement faisant état de cette inenvisageable. À ce jour, seuls trois présidents,
conversation. Andrew Johnson (en 1868), le président républicain
Et d’ores et déjà, les démocrates insistent pour du « Watergate » Richard Nixon (1974) et, beaucoup
consulter la totalité de la plainte du lanceur d’alerte. plus récemment, le démocrate Bill Clinton, ont été
Selon le New York Times, elle pourrait dénoncer « empêchés » par la Chambre des représentants.
d’autres agissements problématiques de la part du Jamais le Sénat américain n’a destitué un président en
président. exercice : en 1974, Nixon avait démissionné avant que
le Sénat ne se prononce.
Procédure juridique, l’impeachment a aussi un sens
politique important. Au-delà de la protestation ou des
joutes politiques, il matérialise le fait que le Congrès
demande officiellement des comptes au président et
enquête sur ses agissements.
Au printemps, lorsque l’ancien patron du FBI Robert
Donald Trump à l'ONU, le 24 septembre 2019. © Reuters
Mueller, au terme d’une enquête de deux ans, avait
Une autre question, non évoquée dans la estimé que Trump avait à au moins dix reprises tenté
retranscription présentée par la Maison Blanche, va de faire obstacle à son enquête, il avait d’ailleurs
très vite se poser. Trump a-t-il suspendu une aide explicitement passé le relais au Congrès.
financière destinée à être versée à Kiev pour parvenir Devant les parlementaires, Mueller avait clairement
à ses fins ? Le Washington Post rapporte que Trump dit que s’il n’avait pas décidé de poursuivre lui-même
lui-même a exigé le « gel » d'un paquet d'aide de le président américain – en vertu d’une jurisprudence
400 millions de dollars à l’Ukraine, juste une semaine contestée du Département de la justice –, il ne l’avait
avant de téléphoner à Zelinski… pas pour autant exonéré. Son message était clair : la
À présent que le feu vert de l’impeachment est Constitution prévoit une mesure, l’impeachment, un
donné, c’est un processus incertain qui s’ouvre. processus à la fois politique et légal permettant au
L’impeachment est inscrit dans l’article II de la Congrès d’enquêter officiellement sur les actions du
Constitution américaine. Il prévoit que « le président, président.
le vice-président et tous les fonctionnaires civils des D’ores et déjà, une guerre des mots et de l’information
États-Unis seront destitués de leurs fonctions sur s’annonce. En plus de dénoncer une cabale du «
mise en accusation [« impeachment » – ndlr] et Deep State », des démocrates et des médias contre le
condamnation pour trahison, corruption, ou autres président, Donald Trump et ses amis vont s’échiner à
crimes et délits majeurs [« Treason, Bribery, or other
high Crimes and Misdemeanors »] ». Ces termes ne
sont pas définis par la Constitution.
L’impeachment, s’il est lancé puis voté par la Chambre
des représentants au terme d’une série d’investigations
et d’auditions, ne débouche sur une destitution du

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raconter dans les prochains mois la seule histoire qui Derrière cette agitation, le clan Trump essaie de
compte à leurs yeux : celle de la corruption supposée mettre en scène un affrontement à venir entre Trump
de la famille Biden. et Biden. Le vice-président démocrate de Barack
Obama, caricature anachronique du parti démocrate
néolibéral des Clinton, semble être le candidat que
Trump rêverait d’affronter.
Il est mis en cause de toutes parts pour ses liens
avec de riches donateurs de l’industrie fossile ou
des banques, a voté pour la guerre en Irak, plaidé
dans les années 1980 des politiques pénales qui ont
L'avocat et ami de Trump Rudy Giuliani, ancien maire de New York,
lors d'un dîner à la Maison Blanche le 20 septembre. © Reuters contribué à enfermer davantage les pauvres et les
Ce récit parallèle est déjà largement diffusé par les Noirs, a tenu dans les années 1970 des propos sur leur
médias conservateurs américains et les proches de ségrégation aujourd’hui inaudibles pour leur racisme.
Trump. Selon eux, Joe Biden, alors vice-président de Il s’est illustré ces dernières semaines en racontant des
Barack Obama, aurait tout fait pour obtenir en 2016 histoires fabriquées qui indiquent, à tout le moins, une
la destitution d’un procureur ukrainien trop curieux, certaine distraction mentale.
dont le tort aurait été de se pencher sur les comptes Pour toutes ces raisons, il est en déconnexion
de Burisma Holdings, la plus grande société privée de importante avec la base du parti démocrate, celle qui
gaz en Ukraine. Or le fils de Joe Biden, Hunter Biden, manifeste, organise et mobilise. Pour Trump, celui
était un membre (très bien) rémunéré du conseil de qu’il appelle « Sleepy Joe », actuel favori des sondages
direction de Burisma. de la primaire démocrate, est de toute évidence le
Une pure « théorie du complot », selon le candidat préféré. Une sorte d’Hillary Clinton version
site d’investigation The Intercept, pourtant guère 2020, qu’il a tout intérêt à installer comme son
sympathique envers Biden, qui rappelle que le adversaire principal.
procureur en question a été limogé pour son peu Boite noire
d’empressement à combattre la corruption du clan L’article, publié mercredi 25 septembre au matin, a été
de l’ancien président Viktor Ianoukovitch, dont le actualisé après la publication par la Maison Blanche
conseiller fut… Paul Manafort, l’ancien directeur de de la retranscription partielle et reconstituée de la
campagne de Trump. conversation téléphonique du 25 juillet entre Trump et
En parallèle, Giuliani et un groupe de propagandistes Zelenski.
proches de Steve Bannon, l’ancien conseiller
d’extrême droite de Donald Trump, ont également
lancé d’autres théories sur les activités de Hunter
Biden en Chine.

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