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Or,
cette familiarité même est cause de nombreux malentendus,
prétexte à mauvais procès. L’étude — sans concession — que
propose ici Jean-Marie Schaeffer doit aider à sortir de ce brouillard.
L’image photographique est d’un statut complexe : d’une part, et
avant tout, elle est l’empreinte laissée sur une surface sensible par
l’objet qu’elle représente ; d’autre part, comme image, elle entretient
un rapport analogique avec la vision humaine. Entre empreinte et
analogie se tissent des relations difficiles. D’où quelques vrais et
faux problèmes — par exemple celui-ci : qu’en est-il de
l’« objectivité » photographique ? D’où aussi la multiplicité des
usages de la photo, et la diversité, autour d’elle, des stratégies de
communication.
L’art photographique est l’art de tous les dangers. En témoigne la
tentation permanente de construire l’image selon des modèles
picturaux, de la saturer de stéréotypes visuels et culturels. Comme si
la photo avait peur d’elle-même, et de sa spécificité : art précaire et
irréductible, art de la trace, indifférent à toute surenchère
interprétative, art profane qui se contente de donner à voir.
Avec l’Image précaire, la collection « Poétique » ouvre son champ
à l’ensemble des pratiques artistiques.
JEAN-MARIE SCHAEFFER
L’IMAGE PRÉCAIRE
DU DISPOSITIF PHOTOGRAPHIQUE
ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris VIe
Sommaire
Couverture
Présentation
Page de titre
Dédicace
Avertissement
1 - L’arché de la photographie
1. Remarques préliminaires
2. Empreinte et image photonique
3. Production et reproduction du visible : photographie et
camera obscura
2 - L’icône indicielle
1. En deçà et au-delà de l’image photographique
5. De l’« objectivité »
6. L’image photographique comme signe de réception
8. Le signe photographique
3 - L’image normée
1. Situations de réception
4. La thèse d’existence
4 - La question de l’art
1. Un art précaire
2. Le beau et le sublime
Bibliographie
Jean-Marie Schaeffer
Notes
Copyright d’origine
Achevé de numériser
A Christian Metz
CE LIVRE
EST PUBLIÉ DANS LA COLLECTION
POÉTIQUE
DIRIGÉE PAR GÉRARD GENETTE
Avertissement
Si mon texte est dédié à Christian Metz, c’est parce qu’il lui doit
l’essentiel, son existence même : sans ses encouragements, sans
ses critiques tout à la fois exigeantes et bienveillantes, je ne l’aurais
jamais mené à terme.
1
L’arché de la photographie
1. Remarques préliminaires
8. La fonction indicielle
L’icône indicielle
J’ai insisté dès le premier chapitre sur le fait qu’il faut distinguer
l’information transmise par la photographie canonique de celle
transmise par l’image photonique. Du même coup, il faut distinguer
la réception analogique de la réception cybernétique.
La tentation d’aborder la question de l’information analogique dans
une perspective cybernétique est grande. D’une part, il est
indéniable qu’au niveau de la matérialisation de l’image
photographique nous nous trouvons en face d’une codification
binaire discontinue : les grains d’halogénure n’existent que dans
deux états, sensibilisés ou non, et la trame de l’image n’est rien
d’autre qu’une série de bits, d’où évidemment la facilité de sa
traductibilité dans le système binaire des images digitales. Par
ailleurs, une approche cybernétique aurait l’avantage de permettre
une quantification de l’information photographique, impossible au
niveau analogique.
Mais je pense qu’il faut refuser de céder à la tentation. Et pour
cela, il faut d’abord distinguer entre la théorie cybernétique au sens
strict du terme, qui étudie les systèmes physiques, et les diverses
moutures de la théorie de l’information qui prétend transposer le
modèle physique au plan de l’information humaine intersubjective.
Lorsqu’on aborde l’image au plan de sa structure photonique, elle
est descriptible et analysable par le modèle cybernétique : l’image
photonique peut en effet être étudiée comme système. clos, canal
d’information dont l’input (le rayonnement lumineux) et l’output
(l’empreinte formée par les grains d’argent transformés) peuvent être
quantifiés et mis en équation. De même, on peut l’étudier comme
codification informationnelle cybernétique, c’est-à-dire comme
codification énergétique définie par la discontinuité des quanta
d’énergie constituant le « message » photonique : le rayonnement
photonique est porteur d’informations concernant la structure
moléculaire de surface des corps empreints, voire, dans le cas d’un
rayonnement dont la source est l’objet empreint lui-même,
d’informations concernant la composition physique du corps
empreint (photographie spectrale des étoiles par exemple). A ce
niveau, mais à ce niveau seulement, l’image photographique peut
être étudiée dans une perspective mathématique, puisqu’elle
accepte comme limite idéale le canal déterministe, respectivement le
canal sans bruit, donc, comme nous l’avons déjà vu, le concept
d’image bi-univoque 46.
Par contre, je le rappelle, cette définitition est inapplicable au
niveau de l’image analogique : même si, à strictement parler, l’image
photographique n’est autre chose qu’un ensemble d’informations
physiques sur la surface moléculaire des corps, ce n’est pas cette
information que nous traitons au niveau analogique. De même, nous
ne traitons pas l’information cybernétique digitalisée et discontinue,
mais l’information analogique qui implique des formes continues et
globales. Je ne nie pas que la quantité de l’information analogique
dépende de la quantité de l’information cybernétique, mais cette
dépendance quantitative n’est pertinente que comme rapport entre
l’information analogique et sa matérialisation physique (il n’y a donc
pas de traductibilité entre deux systèmes informationnels qui
seraient logiquement équivalents). La relation entre l’image
photonique et l’image photographique, comme relation entre deux
systèmes informationnels, est pertinente uniquement lorsqu’on
aborde la question de la preuve photographique : j’y reviendrai lors
de la discussion de l’« objectivité ».
Les théories de l’information prétendent cependant qu’on peut
extrapoler à partir du modèle physique sur les échanges
communicationnels humains. Ainsi, A. Moles définit la
communication comme un « transfert par des canaux naturels ou
artificiels d’un fragment des aspects du monde, situé en un lieu et à
une époque donnés, vers un autre lieu et une autre époque pour y
influencer l’être ou l’organisme récepteur dans le déroulement de
ses comportements 47 ». Moles soutient qu’en partant de cette
définition, il est possible de quantifier l’information humaine et, entre
autres, l’information photographique. Ceci présuppose implicitement
qu’il est possible de réduire l’information photographique à
l’information photonique, présupposition qui me semble fausse.
Mais admettons provisoirement la possibilité d’une telle réduction.
Dans ce cas, c’est la définition de la communication qui n’est plus
valable. En effet, Moles la définit explicitement comme procédant
d’une intentionnalité émettrice : or, si l’information photographique
est réductible à l’information photonique, elle échappe à tout
encodage intentionnel, puisqu’il serait manifestement absurde
d’admettre que le photographe est capable d’encoder l’image
photonique. Donc, si on reste à l’intérieur de la logique de Moles, ou
bien il faut admettre que l’information photographique n’est pas
réductible à l’information photonique, ou bien il faut changer la
définition de la communication. Mais on doit aller plus loin et rejeter
à la fois l’entreprise de réduction et la définition de la
communication. Lorsque Moles aborde la communication visuelle, il
en donne la définition suivante : « Les images visuelles servent à
assurer une communication entre l’observateur, ou le créateur de
cette scène (= une scène réelle ou mentale), et un utilisateur
éventuel, ceci en vue de conditionner ou d’organiser les actions
ultérieures de ce dernier 48. » Il ne postule donc pas seulement une
intentionnalité communicationnelle, mais encore une visée très
spécifique de celle-ci : conditionner ou organiser les actions
ultérieures du récepteur. Or, il n’est pas besoin d’être grand clerc
pour se rendre compte qu’il existe de nombreuses images qui
circulent dans le tissu social sans qu’on puisse postuler une visée
communicationnelle de la part de leur auteur. Qu’on pense, par
exemple, aux portraits des prostituées de Storyville réalisés par
Bellocq : leur fonction était entièrement privée et ils ne visaient
certainement pas à « conditionner ou organiser » les actions de qui
que ce soit. Pourtant, par un hasard heureux ou malheureux, ces
images sont entrées dans la circulation sociale : dès ce moment, il
leur correspond sans doute une visée intentionnelle, mais ce n’est
pas celle de leur auteur, et il n’est pas sûr qu’elle soit toujours
communicationnelle.
Cela m’amène à un dernier point, et qui concerne l’image
photographique canonique, à savoir la nécessité de distinguer entre
information et message intentionnel. L’information photographique
est essentiellement d’ordre indiciel et en tant que telle, c’est du
moins ce que j’espère avoir montré antérieurement, elle doit être
définie comme fait réceptif instituant une relation de renvoi entre
l’image et son imprégnant. La relation d’intentionnalité émettrice n’y
intervient pas, ou plutôt, elle est entièrement facultative et non
transmissible par l’image. Autre chose est le message, qui,
contrairement à l’information, doit être défini du côté de l’émetteur : il
constitue un acte communicationnel intentionnellement émis comme
tel et dirigé sur un récepteur qui est censé en comprendre la
signification. Le message ne transmet pas seulement de
l’information, il « veut dire quelque chose », il possède une
signification. Il implique toujours ce que Grice appelle une
signification non naturelle, c’est-à-dire une signification qui n’est
transmise que pour autant que le récepteur se rend compte que
l’émetteur a l’intention de la lui transmettre 49. Signifier
intentionnellement, c’est signifier au moyen de la reconnaissance
par le récepteur de l’intention qu’on a de signifier ; avoir l’intention de
le signifier, c’est avoir l’intention de le signifier au moyen de la
reconnaissance de cette intention 50. Ou, pour citer Searle : « ... la
communication humaine a quelques propriétés extraordinaires, que
ne partagent pas la plupart des autres types de comportement
humain. L’une des plus extraordinaires est la suivante : si j’essaie de
dire quelque chose à quelqu’un, alors (certaines conditions étant
satisfaites) aussitôt qu’il reconnaît que j’essaie de lui dire quelque
chose et ce que j’essaie de lui dire, j’ai réussi à le lui dire. De plus,
tant qu’il ne reconnaît pas que j’essaie de lui dire quelque chose et
ce que j’essaie de lui dire, je ne réussis pas entièrement à le lui
dire 51. »
Le message est un processus beaucoup plus complexe que la
collecte d’informations, puisque non seulement il exige l’existence
d’une intention de signifier, mais encore la reconnaissance par le
récepteur du fait de cette intention et de sa visée spécifique. La
notion même de message (humain) est liée de manière indissoluble
au langage. Vouloir transmettre un message à l’aide d’autres signes
pose toujours des problèmes plus ou moins importants. Ceci est
apparent dans tous les signes dont la relation à l’objet est de l’ordre
de la manifestation, et qui par là même risquent toujours de court-
circuiter le message éventuel, à moins que la manifestation ne soit
une monstration entièrement codée, c’est-à-dire, en réalité,
traductible dans des messages langagiers. Je l’ai déjà dit, le gouffre
entre une image analogique et un énoncé verbal est tel, que
l’acceptation même d’une définition générale du signe les englobant
tous les deux pose sans doute plus de problèmes qu’elle n’en
résout, ne serait-ce que parce qu’elle nous pousse à chercher un
fondement commun à des actes qui sont foncièrement irréductibles
les uns aux autres. En tout cas, lors de la discussion de l’éventuel
statut de message de l’image photographique, il faudra se souvenir
de cette triple contrainte : émission intentionnelle, reconnaissance
du fait de cette intention comme étant de l’ordre d’un « vouloir dire »,
et reconnaissance de ce qui est visé dans le « vouloir dire ». S’y
ajoute une contrainte propre à la nature indirecte de ce « vouloir
dire » éventuel : capacité de traduire ce que l’image montre en
support d’une signification qui y serait « déposée » par le créateur
de l’image. Aucune de ces contraintes n’intervient au niveau de la
définition purement informationnelle de l’image, que celle-ci soit
comprise indiciellement (relation de renvoi) ou iconiquement
(reconnaissance des formes intra-mondaines), puisque cette
information est transmise par une manifestation visuelle analogique
que le récepteur construit comme étant de l’ordre d’une information
quasi perceptive.
5. De l’« objectivité »
L’image photographique transmet une information quasi
perceptive. Mais quel est le statut empirique de cette information ?
Pour tenter de répondre à cette question, le plus simple est de se
référer au photojournalisme, c’est-à-dire à l’utilisation de l’image
photographique pour la transmission d’informations ayant un statut
de témoignages visuels. Ici, l’image est souvent considérée comme
possédant la fonction d’une « preuve » pour l’ensemble des
informations verbales qui l’accompagnent : « Regardez cette image :
elle prouve qu’il en est (qu’il en a été) ainsi que je le dis. » Bien
entendu, nous savons parfaitement que, dans un certain nombre de
cas, l’image est sans le moindre rapport avec le message verbal
qu’elle est censée « prouver » : elle est une illustration plausible,
souvent tirée d’un contexte tout à fait différent de celui auquel se
réfère le message verbal.
Il faut bien voir que ce qui est en cause ici ce n’est pas la relation
entre l’image et son imprégnant, mais celle entre l’image et une
affirmation verbale identificatrice. Si on ne tient pas compte de cette
distinction cruciale, on tombe dans le faux débat de l’« objectivité »
de l’image photographique.
C’est un faux débat, mais auquel correspond un problème bien
réel : du fait du savoir de l’arché, toute image photographique est
d’une certaine manière auto-authentifiante ; en même temps, cette
auto-authentification est compatible avec des identifications et des
interprétations complètement erronées concernant l’imprégnant (que
ces erreurs soient accidentelles ou volontaires). C’est la possibilité
d’erreurs volontaires, c’est-à-dire de manipulations, qui a surtout
retenu l’attention des photojournalistes, puisqu’elle illustre bien la
fragilité de leurs témoignages. C’est ainsi que Gisèle Freund
dénonce le manque d’« objectivité » de l’image photographique :
« L’objectivité de l’image n’est qu’une illusion. Les légendes qui la
commentent peuvent en changer la signification du tout au tout 52. »
Et pour démontrer la justesse de son jugement, elle donne plusieurs
exemples issus de sa propre expérience journalistique. Il peut être
utile d’en analyser un de manière plus détaillée : « Avant-guerre, la
vente et les achats de titres à la Bourse de Paris se passaient
encore en plein air, sous les arcades. Un jour, j’y faisais tout un
ensemble de photos, prenant comme cible un agent de change.
Tantôt souriant, tantôt la mine angoissée, épongeant son visage
rond, il exhortait les gens à grands gestes. J’envoyai ces photos à
divers illustrés européens sous le titre anodin : Instantanés de la
Bourse de Paris. Quelque temps plus tard, je reçus des coupures
d’un journal belge, et quel ne fut pas mon étonnement de découvrir
mes photos sous une manchette qui portait : Hausse à la Bourse de
Paris, des actions atteignent un prix fabuleux. Grâce aux sous-titres
ingénieux, mon innocent petit reportage prenait le sens d’un
événement financier. Mon étonnement frisa la suffocation quand je
trouvai quelques jours plus tard les mêmes photos dans un journal
allemand sous le titre, cette fois, de Panique à la Bourse de Paris,
des fortunes s’effondrent, des milliers de personnes ruinées. Mes
images illustraient parfaitement le désespoir du vendeur et le
désarroi du spéculateur en train de se ruiner. Il était évident que
chaque publication avait donné à mes photos un sens
diamétralement opposé, correspondant à ses intentions
politiques 53. »
Une première remarque s’impose d’entrée de jeu : comme je l’ai
dit, toute la discussion autour de l’« objectivité » semble présupposer
qu’on devrait pouvoir s’attendre que l’image photographique
fonctionne comme « preuve » de son imprégnant. Il va de soi que
cela est impossible pour au moins deux raisons. D’une part, toute
« preuve » n’est pertinente que par rapport à une théorie et un
corpus d’hypothèses explicites, et plus précisément dans le cadre
d’une expérience dont les divers paramètres sont maîtrisés par
l’expérimentateur. Inutile de dire que ni le photographe ni le
récepteur n’agissent dans le cadre de contraintes aussi précises. En
deuxième lieu, l’image photographique ne peut être une preuve
qu’au niveau photonique, puisque c’est le seul niveau auquel on
peut réellement établir une relation quantifiable et calculable entre
l’imprégnant et l’empreinte. Les deux raisons sont d’ailleurs liées :
c’est parce que l’interaction est quantifiable et calculable au niveau
photonique qu’on peut y penser en termes de preuve, contrairement
à ce qui se passe au niveau de la photographie canonique. Le
témoignage photographique ne vise pas à prouver une relation
énergétique quantifiable entre les points images et les points
physiques correspondants : il veut transmettre une vue quasi
perceptive concernant un état de fait ou une entité de l’univers
perceptive concernant un état de fait ou une entité de l’univers
perceptif humain. Autrement dit, sa visée, non seulement ne
concerne pas l’image photonique, mais encore transcende
Lorsqu’on analyse de plus près l’exemple, on remarque qu’il ne
concerne pas seulement le problème de l’image, mais encore celui
du savoir du photographe au sujet de la situation empreinte, ainsi
que celui de l’identification verbale réalisée par les récepteurs. Je
pense que c’est faute de distinguer clairement ces instances que
Gisèle Freund en est venue à accuser l’image de ne pas être
« objective ».
La confusion la plus apparente est celle entre l’image et le savoir
du photographe, c’est-à-dire entre une information quasi perceptive
et un acte verbal assertif (implicite ou, lorsque la photo est légendée,
explicite). Cette non-distinction entre l’image et son interprétation
identifiante repose sur une confusion encore plus fondamentale :
celle entre l’acte perceptif et son interprétation, confusion qui
transforme l’univers de la perception sensible en catalogue
nominatif. Mais l’arbre que je vois ne porte pas de fanion sur lequel
serait inscrit qu’il est un arbre et quel arbre il est. Il en va exactement
de même de l’image analogique d’un arbre : elle ne me dit pas de
quoi elle est l’image. Par conséquent, parler de l’« objectivité » d’une
image photographique n’a pas plus de sens que parler de
l’« objectivité » d’un arbre. Si l’on tient absolument à garder le terme
d’objectivité, il faut au moins savoir à quoi il peut (éventuellement)
s’appliquer : à l’interprétation du réel, à l’interprétation de l’image. On
oublie trop souvent que voir une image photographique d’un arbre a
plus de choses en commun avec le fait de voir un arbre qu’avec
celui de lire ou de rédiger une description de ce même arbre.
Seule la description peut être dite objective ou non, alors que
l’arbre ne peut être que bien ou mal perçu ; quant à l’image
photographique, à condition qu’elle ne soit pas manipulée, elle ne
peut être que réussie ou ratée (on peut bien ou mal voir l’arbre).
Lorsqu’on dit qu’une image peut tromper, on ne distingue pas
toujours selon quelles modalités elle peut le faire : elle peut me
tromper parce qu’elle est « maquillée » (elle se présente comme
image photographique canonique, alors qu’en fait elle n’obéit pas
aux normes communicationnelles de cette image), elle peut me
« tromper » parce qu’elle est ratée (de même que je peux me
tromper lorsque les conditions de la perception sont défavorables) et
elle peut me tromper parce que je l’interprète mal (ou parce que
celui qui me propose son interprétation l’interprète mal). Or, cette
dernière « tromperie », qui est celle qui intéresse G. Freund, n’est en
rien l’œuvre de l’image : en réalité, c’est l’interprète qui erre (ou qui
vise à tromper un autre interprète). L’identification assertive est une
activité judicatrice de l’interprète et non pas une « qualité »
intrinsèque de l’image : « L’indice n’affirme rien ; il dit seulement :
Là 54 ! »
La confusion entre l’image et l’interprétation identifiante (donc le
savoir latéral) aboutit à un manque de différenciation entre l’acte
interprétatif du photographe et celui du récepteur. Ainsi, Gisèle
Freund est déçue parce qu’elle s’attendait que son savoir
concernant la situation de la Bourse fût transmis par l’image au
récepteur. Ce savoir est double : d’une part, il constitue une
extrapolation globalisante à partir de la conjoncture spatio-
temporelle imagée, d’autre part, il est orienté selon une visée
spécifique, celle du témoignage. Or, si le savoir et la visée peuvent
en effet motiver la prise de l’empreinte, il n’en reste pas moins qu’ils
ne sont jamais transférés dans l’image : elle n’est ni leur
« illustration » ni leur « encodage communicationnel ». L’interprète,
même s’il le voulait, ne saurait « retrouver » le savoir latéral et
l’intentionnalité du photographe, quelle que soit la peine qu’il se
donne à scruter l’image. Le savoir concernant l’état de fait empreint
doit lui être fourni par surcroît (à côté de l’image), s’il n’en dispose
pas déjà d’entrée de jeu. Quant à l’intentionnalité, à moins d’être
encodée par des stéréotypes visuels ou d’être communiquée
verbalement, elle ne peut donner lieu qu’à une reconstruction
hypothétique à partir du contexte de réception.
Si la confusion est regrettable, elle n’en est pas moins
compréhensible. D’une certaine manière, le statut même du
dispositif photographique y invite : l’image qu’il produit est, du fait de
l’arché, auto-authentifiante ; mais en même temps sa production est
motivée « humainement », c’est-à-dire que son existence même
obéit à une finalité interprétative et, dans le cas de la photographie
de témoignage, communicationnelle. Or, l’auto-authentification
concerne uniquement le statut « épistémologique » de l’image
comme champ quasi perceptif, et non pas l’information analogique
transmise : elle joue au niveau de la fonction indicielle (pour être
précis : elle en est la conséquence), mais elle ne saurait garantir
l’adéquation de l’interprétation réceptive de l’information analogique,
ni au niveau des formes intra-mondaines, ni au niveau du renvoi de
ces formes à un état de fait particulier postulé comme réel.
Autrement dit, la force auto-authentifiante de l’image photographique
n’est pas une fonction de l’image mais une fonction du savoir de
l’arché : elle concerne le statut de l’information analogique, mais non
pas son interprétation. Mais comme il n’y a d’information
qu’interprétée, la confusion des deux aspects semble presque
inévitable. C’est ainsi que le photographe travaille spontanément en
identifiant l’image à sa constellation motivante. Le récepteur, de
même, identifie l’image à son interprétation réceptive. Ces deux
activités, celle du producteur et celle du récepteur, n’ont souvent pas
grand-chose à voir l’une avec l’autre. Mais comme l’image ne
transmet pas la constellation motivante du photographe, tout le
monde s’en accommode fort bien, sauf lorsqu’à l’occasion d’un feed-
back communicationnel le gouffre s’ouvre : on réalise soudain avec
stupéfaction la malléabilité interprétative de l’image, fût-elle
indicielle.
La tentation du postulat communicationnel peut encore être
décrite autrement. Dans la mesure où l’imagé photographique se
propose comme vue quasi perceptive, nous avons tendance à lui
supposer une puissance informationnelle qui serait du même ordre
de grandeur que celle de la perception. En fait, elle est
incommensurablement plus pauvre. D’une part, elle est immobile :
elle est donc condamnée à la manifestation de conjonctures spatio-
temporelles instantanées qui laissent largement indéterminée leur
interprétation en termes de situations complexes. D’autre part, elle
est purement imagée, non liée à des stimuli autres que visuels.
Enfin, différence fondamentale : elle est sans mémoire, et, pour la
traiter, le récepteur doit l’insérer dans son propre univers
interprétatif, puisque c’est dans cet univers seulement qu’elle peut
être transformée en témoignage d’une situation complexe.
Pour résumer, on peut dire que la discussion autour de
l’« objectivité » mélange deux problèmes. Il s’agit d’abord du
postulat, endossé par le récepteur, que l’image correspond à un
événement réel : c’est ce que j’appelle la thèse d’existence. Elle est
le préalable de toute réception de l’image dans sa spécificité
photographique. L’autre problème est celui des assertions
interprétatives concernant la substance iconique, et plus
précisément l’identification de l’état de fait ou de l’entité empreints.
Voir une image photographique n’est pas réductible à un ensemble
d’énoncés assertifs, qu’il s’agisse de descriptions indéfinies ou
définies. La motivation pour une telle activité interprétative est
essentiellement contextuelle et doit être située en relation avec les
différentes dynamiques réceptives, comme on le verra plus loin. On
dira donc que la thèse d’existence détermine la classe des
assertions descriptives recevables comme étant la classe des
assertions référentielles. Ce qui signifie que si le contexte réceptif
exige une interprétation identifiante de l’image, celle-ci sera de
l’ordre d’une assertion référentielle. Mais de nombreux contextes
réceptifs n’exigent pas une telle interprétation, sans pour autant
neutraliser la thèse d’existence. Autrement dit : l’« objectivité » de la
photographie est liée à la thèse d’existence, sa « subjectivité » à
l’interprétation.
8. Le signe photographique
L’image normée
1. Situations de réception
4. La thèse d’existence
(1)i ⊃ e ;
c’est-à-dire :
(la) ~ i v e ;
ou encore :
(1b) ~ (i.~e).
La question de l’art
1. Un art précaire
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
2. Le beau et le sublime
Si l’on veut se rendre compte du rôle central que joue l’es thétique
de la présentation ontologique dans certaines réflexions parmi les
plus stimulantes sur la photographie, il suffit de relire les idées
exposées par Edward Weston au début des années trente dans son
journal, les Daybooks. Les notations théoriques y sont assez rares,
mais celles qu’on trouve s’inscrivent bien, même si c’est de manière
ambiguë, dans l’horizon de l’esthétique de la présentation.
L’ambiguïté est due au fait que Weston affirme avec force que
l’image photographique n’est pas une interprétation du monde : on
pourrait donc croire qu’il quitte le sémantisme de l’esthétique
romantique. Il n’en est rien, car ce qu’il appelle « interprétation »,
c’est en réalité uniquement une vision subjectiviste et arbitraire. Et
s’il la rejette, ce n’est pas en faveur d’une théorie de la trace
photographique, mais d’une pensée de la révélation ontologique
réalisée par l’image : « Il est essentiel de voir la chose elle-même : la
quintessence révélée de manière directe, à l’exclusion de tout
brouillard impressionniste - notation factuelle d’une phase
superficielle, ou d’une disposition (mood) transitoire. Ceci donc :
photographier un roc, l’amener à avoir l’air d’un roc tout en étant plus
qu’un roc - une présentation signifiante, et non pas une interprétation
(significant presentation - not interpretation) 89. » On reste donc bien
à l’intérieur du Sens, de la présence révélatrice : l’image
photographique révèle l’essence des choses dans leur apparaître.
Épiphanie iconique qui rejoint parfaitement la révélation symbolique
telle qu’elle est postulée par l’esthétique romantique : dans les deux
cas, l’idée fondamentale consiste dans l’affirmation d’une
coalescence du signe et du sens, de l’apparaître et de l’être, du
particulier et de l’universel. La théorie de Weston est ainsi un écho
lointain de celle de Goethe qui disait : « Le véritable symbole est
celui où le particulier représente l’universel, non en tant que rêve ou
ombre, mais en tant que révélation vivante et instantanée de
l’inexplorable », et encore : « C’est l’objet même sans être l’objet ;
une image concentrée dans le miroir de l’âme, et néanmoins
identique à l’objet 90. »
Lorsque le photographe américain rejette le « brouillard
impressionniste », « la notation factuelle d’une phase superficielle,
d’une disposition transitoire », ce rejet reflète fidèlement sa
conception esthétique : la photographie ne doit pas être un simple
protocole d’expérience d’un état de choses à un moment donné,
reposant dans sa factualité empirique, à la fois spatiale et
temporelle ; il faut au contraire qu’elle transcende sa propre
temporalité, son arché, afin de présenter l’essence de la chose sub
specie aeternitatis. Pourtant Weston, en grand photographe qu’il est,
réalise parfaitement qu’il est condamné à agir dans et avec le temps.
D’où évidemment le recours à une conception du « moment
décisif » : il existe des instants privilégiés qui, une fois fixés sur la
pellicule, transcendent leur propre contingence empirique et se
haussent vers la plénitude d’une présence immuable, définitive 91.
Saisir un de ces moments, c’est saisir la présence de l’essence
atemporelle dans l’empiricité contingente et transitoire. Cette vision
mystique du temps, on la retrouve notamment dans la description de
la genèse des célèbres Coquillages Nautilus (photo n° 9) ou encore
dans celle des Poivrons : d’une manière générale, la préférence
pour les paysages et les natures mortes, le recours à des temps
d’exposition extrêmement longs (dépassant la vingtaine de minutes
dans le cas de la série des Coquillages Nautilus), ainsi que le
recours aux grandes profondeurs de champ, ont sans doute renforcé
cette conception d’une incrustation de l’essence intemporelle des
objets sur la pellicule, d’une mutation de la phénoménalité en une
présence hiératique.
Weston a eu le malheur d’expérimenter personnellement le gouffre
séparant sa conception théorique du statut communicationnel effectif
de ses images. L’occasion en fut fournie par cette même série des
Coquillages Nautilus, véritables images-emblèmes de son art. En
vertu de sa théorie, ces images devaient présenter l’essence du
coquillage Nautilus, et, de manière plus fondamentale encore,
l’essence de la « choséité », de la « Nature ». Or, les Daybooks
nous apprennent que les amis de Weston, pour la plupart artistes
eux aussi, et partageant manifestement son idéologie d’un
sémantisme iconique, ont réagi de manière parfaitement inadéquate
(selon Weston), ressentant essentiellement un choc physique,
érotique, voire sexuel. Weston nous communique leurs réactions :
« ... ils (les coquillages) me dérangent non seulement
intellectuellement, mais encore physiquement... si purs et en même
temps si pervers... l’innocence des choses naturelles et la morbidité
d’un esprit sophistiqué... des lys et des embryons... mystiques et
érotiques... très sensuels... biologiques... je pense à l’acte
sexuel 92. » Ce qui voulait être l’épiphanie de la nature devient donc
le prétexte à des divagations érotiques. Weston aurait d’ailleurs dû
prévoir ces réactions : la mise en valeur iconique de l’antre des
coquillages, ainsi que l’idée, passablement absurde il faut bien
l’avouer, qu’il avait eue de présenter deux coquillages
s’interpénétrant, sans même parler de la connotation linguistique du
terme shell, pouvaient difficilement ne pas donner naissance à des
associations sexuelles. Bien entendu, il proteste contre ces
interprétations : « Non, je n’avais pas de pensées physiques, je n’en
ai jamais. Je travaillais selon une vision plus claire, celle de la forme
esthétique pure. Je sais ce que je réalisais de l’intérieur, mon
sentiment de la vie tel que je ne l’avais jamais encore enregistré. Ou
plutôt, lorsque les négatifs étaient développés je réalisais ce que
j’avais ressenti - car en travaillant j’avais été on ne peut plus non
conscient de ce que je faisais 93. » L’épiphanie de la vie qu’avait
ressentie Weston, cette expérience existentielle d’une révélation
ontologique de l’être du monde, n’est pas déposée dans l’image. Si
pour le photographe l’organisation iconique avait été le résultat d’une
vision intérieure mystique, cette même organisation iconique, sans
mémoire de l’expérience qui avait motivé sa genèse et son
organisation spécifique, constitue pour les récepteurs le point de
départ d’un certain nombre d’associations érotiques. Quiproquo
cocasse, mais qui résulte du statut même du signe photographique
et de son incapacité de se constituer en objet esthétique, du moins
tant que l’on définit ce dernier, selon la logique romantique, comme
message symbolique. L’image photographique est la résultante d’un
acte où un regard et le « monde » se sont rencontrés : mais cette
résultante garde la trace de la « réponse » du réel au regard et non
pas ce regard lui-même dans son intentionnalité spécifique.
Quelques années avant que Weston ne communique ses
réflexions, Laszlo Moholy-Nagy, photographe, peintre constructiviste
et collaborateur du Bauhaus, proposait une théorie de la
photographie qui semble être l’exact opposé de la théorie du
photographe américain. Elle se voulait purement fonctionnaliste, tout
en puisant largement auprès de la Lebensphilosophie alors en
vogue : l’art photographique est une potentialisation de notre
expérience perceptive, et plus largement vitale, du monde. C’est la
raison pour laquelle la fonction reproductrice (en quelque sens qu’on
prenne ce terme) de la photographie intéresse beaucoup moins
Moholy que ne le fait sa fonction initiatrice : l’image photographique
nous propose une Vorstellung autonome, irréductible à la vision
humaine. Elle est donc une manifestation originaire et ne possède
aucune fonction représentative.
Cette définition de la photographie comme outil perceptif permet à
Moholy de voir dans sa technicité un véhicule artistique à part
entière, revendiqué comme tel, alors que Weston, et d’une manière
générale les défenseurs d’une conception présentative de l’image,
ont tendance à minimiser l’aspect technique qui risquerait de
contrecarrer l’utopie de la transparence du signe et l’idéologie de la
création démiurgique. Il en vient ainsi à célébrer l’autonomie des
processus physico-chimiques et l’aspect mécanique de la genèse de
l’image : son esthétique n’est pas une esthétique de la création,
mais une esthétique du produit. Beaumont Newhall 94 rappelle que
Moholy abordait le problème du beau photographique uniquement
du côté du produit fini et se désintéressait de la manière dont la
photographie avait été conçue et a fortiori d’une quelconque
intentionnalité du photographe : il n’admettait aucune différence de
principe entre « photographie d’art », photographie scientifique ou
cliché d’amateur. Ce qui importait pour son esthétique de l’inédit et
de la surprise était uniquement la révélation de configurations
optiques nouvelles, non isomorphes à celles de la perception
humaine : « ... l’appareil photographique nous a livré des possibilités
surprenantes. [...] Ces surprises de l’opticité qui gisent en latence
dans le processus photographique nous sont souvent rendues
accessibles par des réalisations fortuites d’amateurs, par des
photographies " non artistiques " et objectives de physiciens,
ethnologues, etc. 95. » Newhall en conclut que Moholy n’était pas un
véritable photographe. Mais rien n’est moins sûr : tout ce qu’il
soutient, c’est que l’image photographique, si elle peut être produite
par une intentionnalité artistique forte, peut tout aussi bien être
intéressante esthétiquement en l’absence de toute l’intentionnalité
correspondante de la part de son créateur. Les collections des
musées de photographie, faut-il le rappeler, lui donnent au moins
partiellement raison. Il reste que sa position n’est défendable que si
on se place au niveau de l’image isolée : or, nous avons vu que
l’œuvre photographique dans sa spécificité esthétique est une
catégorie applicable non pas à l’image isolée, mais uniquement à un
corpus, à une série.
L’esthétique fonctionnaliste est une esthétique cognitive, mais elle
postule un savoir des formes et non pas un savoir des objets. C’est
la forme photographique qui est cognitive, c’est-à-dire les
configurations et relations spatiales qu’elle exhibe. Les contenus,
eux, ne sont pas spécifiquement photographiques ou optiques : ils
sont référables à notre découpage du monde en objets, actions, etc.,
c’est-à-dire qu’ils sont référés à un savoir extra-photographique déjà
constitué. L’image change notre manière de voir les choses, c’est-à-
dire l’ensemble des relations et connexions qui sont « entre » les
choses et qui les structurent dans la globalité d’un « monde vital ».
Comme la plupart des esthétiques cognitives, celle de Moholy est
puritaine et objectiviste. L’image photographique est censée purifier
notre regard : elle doit nous permettre de faire la part entre ce qui,
dans nos représentations, est perception pure et ce qui est
construction subjective. Moholy est d’une certaine manière très
proche d’une théorie de la trace, mais il la manque justement à
cause de ce puritanisme objectiviste qui l’amène à dénoncer la
perception en faveur de ce qui serait un signe optique entièrement
objectif, celui réalisé par l’appareil photographique. Ce dernier
devient ainsi « l’auxiliaire le plus indispensable pour les
commencements d’une vision objective. Tout le monde sera obligé
de voir ce qui est optiquement vrai, ce qui peut être interprété par lui-
même, ce qui est objectif, avant même qu’il puisse en arriver à une
prise de position possible 96 ». Loin de libérer la sensibilité humaine,
de permettre à la perception visuelle de « folâtrer » avec le réel,
l’esthétique fonctionnaliste la soumet à la dictature d’une vision
« objective », d’un signe nettoyé de toute scorie subjective. Par cet
objectivisme, Moholy réintroduit d’ailleurs par la porte de derrière
l’esthétique de la présentation qu’il avait expulsée auparavant : en
effet, grâce à son « objectivité », l’image photographique devient la
présentation du monde dans sa vérité. Le fait qu’il s’agisse de la
vérité optique ne doit pas nous induire en erreur : celle-ci est bien la
vérité ontologique du monde telle qu’elle se révèle à travers une
signatura rerum lisible, pourvu qu’on dispose de l’objectif adéquat.
Lorsqu’on jette un coup d’oeil du côté de la pratique
photographique des constructivistes, on devrait pouvoir s’attendre à
trouver une photographie particulièrement inventive. Et il est vrai que
de nombreux théoriciens de la photographie soulignent l’importance
et l’intérêt de l’école constructiviste. Je dois avouer ma réticence : la
photographie constructiviste me semble trop ostentative ; on
retrouve à tout bout de champ les mêmes recettes formelles qui
deviennent très vite lassantes, tellement elles sont aisément
reconnaissables : choix de perspectives décentrées et de points de
vue inhabituels, importance des lignes de forces géométriques
(droites diversement inclinées, ellipses, etc.), jeu avec les
contrastes. La surprise érigée en système se transforme en
répétition monotone. Mais quoi qu’il en soit des appréciations
esthétiques qu’on peut porter sur les images, la théorie, telle que
nous la trouvons exposée chez Moholy, est sans conteste une des
plus stimulantes qui aient été développées à ce jour, parce que plus
qu’aucune autre elle essaie de tenir compte de l’arché
photographique, même si son puritanisme objectiviste la fait
finalement retomber dans un sémantisme des plus naïfs.
5. L’astigmate
1
Il est vrai que cette dernière affirmation ne débouche pas sur des
analyses effectives. Cela est sans doute dû au fait que, comme
Vanlier d’ailleurs, Dubois s’intéresse surtout au statut matériel de
l’image photographique dont il vise à sauvegarder la pureté.
2
Metz (1970), p. 7. Les références des ouvrages cités sont données
dans la bibliographie, en fin de volume.
3
Quelques exemples récents pris au hasard : Sontag (1979), p. 179 ;
Barthes (1980), p. 126 ; Mora (1982), p. 5 ; Vanlier (1983), p. 16-21.
4
Deux exceptions, déjà signalées : Vanlier (1983) et Dubois (1983).
5
Cette image idéale est toujours contrecarrée par les erreurs de
transmission que le point-objet hypothétique subit au cours des
diverses transformations qui aboutissent au point-image. Voir Dainty
et Shaw (1974).
6
H.F. Talbot, The Pencil of Nature (1844-1846), planche VIII.
7
Reproduit dans Baier (1980), p. 136-137.
8
Heidegger (1929), tr. fr. (1953), p. 151.
9
Au sujet de l’évolution historique des paradigmes sensitifs, par
exemple visuels versus tactiles, je ne peux que renvoyer à l’ouvrage
fascinant de McLuhan (1962).
10
Pour un exposé détaillé de cette découverte, voir Baier, op. cit.,
p. 418-421.
11
Ainsi Bazin (1947), Beiler (1969, 1972) et, je le rappelle, Vanlier
(1983) et Dubois (1983).
12
Eco (1970), p. 11-51, repris avec des modifications mineures dans
Eco (1972).
13
Eco, op. cit., p. 12-13.
14
Ibid., p. 12.
15
Eco, op. cit.
16
Pour être juste (ou un peu moins injuste), il faut ajouter que Eco a
ultérieurement amendé au moins partiellement ses conceptions,
notamment dans Eco (1978), où on peut lire : « Les empreintes sont
codifiées par une convention, mais celle-ci est une acquisition de
l’expérience, c’est-à-dire d’une série d’actes référentiels et
d’inférences, fonction d’expériences encore incodifiées... » (p. 170).
Mais là encore, ce ne sont certes pas les empreintes qui sont
codifiées, mais tout au plus leurs équivalents graphiques ou autres.
C’est d’ailleurs une des raisons qui rendent parfois hasardeuse
l’interprétation d’empreintes naturelles (par exemple de pattes
d’animaux) à l’aide d’un « dictionnaire » graphique.
17
Wittgenstein (1964) = Philosophische Bemerkungen, I, 38.
18
Eco, op. cit., p. 14-15.
19
Ibid.
20
Voir Gombrich (1960), p. 57-63.
21
Eco, op. cit., p. 19.
22
Gombrich, op. cit., p. 59. Je reproduis la traduction que donne Eco
(op. cit., p. 19). C’est moi qui souligne. On peut noter que Gombrich
et Eco semblent limiter la dynamique de la reconnaissance à des
relations d’identité stricte, ce qui la rend pratiquement irréalisable.
23
Lindekens (1976), p. 45.
24
Dans le cadre de l’émission « Le cinéma des cinéastes » à France-
Culture, le 20.3.1983. Voir aussi dans Bruni (éd.) (1983), p. 371-374.
25
D’après une rumeur dont je n’ai pas pu retracer l’origine, le
Mélanésien aurait tendance à croire, lorsqu’il est confronté à un
portrait photographique coupé à mi-corps, qu’on a réellement coupé
les jambes de la personne. Dans cette éventualité, l’analogon. loin
de ne pas fonctionner, fonctionnerait trop bien, de même que la
fonction indicielle, puisque faisant abstraction du rôle du cadre, le
Mélanésien transforme l’image intégralement en partie d’un champ
perceptif.
26
Voir Vanlier (1981 a et b) (1983).
27
Vanlier (1982 a, p. 14).
28
Ibid., p. 18.
29
Ici encore, l’affirmation ne vaut que de manière restrictive pour Eco :
dans un texte ultérieur, il accepte en effet l’existence, sinon de
signes non conventionnels, du moins de signes non intentionnels
(voir Eco, 1976, p. 16).
30
Peirce (1978), tr. fr. Deledalle, p. 121 = Collected Papers II (1931,
1960), 2.228.
31
Derrida (1967), p. 42-108.
32
Peirce, op. cit., p. 123 = C.P. II, 2.231.
33
Comme le formule Quine, le monde du savoir n’est en contact avec
les stimuli sensoriels que sur sa périphérie. Il se caractérise donc
par une autonomie relative, qui augmente avec l’éloignement de la
périphérie (voir Quine, 1977). L’information visuelle transmise par
l’image photographique réside bien entendu plutôt près de cette
périphérie.
34
Peirce, op. cit., p. 140 = C.P. II, 2.248.
35
Peirce, op. cit., p. 170 = C.P. II, 2.314.
36
Peirce, op. cit., p. 184 = C.P. II, 2.265.
37
Ibid., p. 151 = C.P. II, 2.281.
38
Lorsqu’on analyse les différentes pratiques photogrammatiques, on
constate très vite qu’elles se répartissent selon plusieurs versants
qui n’ont guère de choses en commun, hors la technique bien
entendu. Fox Talbot, par exemple, s’en sert exclusivement pour faire
ressortir des effets de trames et de nervures (d’une feuille, d’une
dentelle) que la faible résolution des objectifs ne permettait pas
d’enregistrer optiquement. Ainsi le photogramme de la planche VII
(op.cit.) est un précurseur des photographies botaniques de
Blossfeldt (voir Blossfeldt, 1981), plutôt que des « rayographies » de
Man Ray. La plupart des photogrammes de Moholy, de même que
les « vortographies » de Coburn (voir par exemple Coburn, 1978,
planche 54), sont de pures compositions de lumière : les objets
photogrammés sont utilisés comme outils pour modéliser la lumière
et disparaissent souvent dans leur usage (ils ne sont pas
reconnaissables). Ainsi, chez Moholy, la parenté formelle des
photogrammes avec la peinture de Kandinsky, et celle de Moholy lui-
même, saute aux yeux. Chez Man Ray, on retrouve aussi des
compositions abstraites, mais il innove par ailleurs en s’inspirant des
collages surréalistes : soit en privilégiant les objets marqués
« symboliquement », soit en réalisant des rapprochements incongrus
ou « poétiques » (voir Ray, 1981, notamment planches 159, 163,
168 et 178).
39
Reproduit dans Haus (1978), p. 75.
40
Haus, op. cit., p. 76.
41
Voir Henry (1983).
42
Pour une analyse en termes psychanalytiques des problèmes de la
perception du temps et du temps de la perception, je renvoie au très
beau livre de Metz (1977).
43
Il ne faudrait pas mélanger le problème de l’indicialité avec celui de
la fiction. Un film de fiction demeure indiciel, non pas au niveau de
l’univers représenté, mais à celui de l’univers de la représentation :
c’est ainsi que nous revoyons Key Largo entre Autres pour revoir
Humphrey Bogart ou Lauren Bacall, donc dans une visée indicielle.
Le dessin animé, par contre, est d’ordre non indiciel : il rejoint la
problématique des images de synthèse, dont les réalisations les plus
récentes arrivent à imiter parfaitement l’image photographique (du
point de vue morphologique). Désormais, la propagande politique
n’aura plus besoin de recourir aux ciseaux : il lui suffira de présenter
l’image de synthèse comme image photographique.
44
Pour plus de détails, voir Foucault (1966), p. 19-31.
45
Ainsi, Hamish Fulton (1978) tente de construire des images de
paysages qui apparaissent comme liées au corps du photographe
en marche et qui n’escamotent donc pas leur genèse matérielle,
alors que la photographie de paysage classique privilégie le regard
désincarné, le point de vue divin qui surplombe le réel et en réalise
l’intégration compositionnelle unifiante et totalisante. Le paysage
photographique traditionnel, et plus encore la nature morte
photographique, s’inspirent d’une problématique picturale, comme
on pourrait le montrer en comparant les procédés compositionnels
des photographes paysagistes avec ceux des paysages picturaux
classiques ou, plus souvent, académiques.
46
Pour un exposé des concepts cybernétiques, voir Sayre (1976),
p. 31 et suivantes, malgré sa tendance fâcheuse à la généralisation
intempestive qui semble résulter de son ambition « philosophique ».
47
Moles (1981), p. 5.
48
Ibid., p. 112 (je souligne).
49
Voir à ce propos Récanati (1979), p. 177.
50
Ibid., p. 178.
51
Searle (1972), cité par Récanati, op.cit., p. 178.
52
Freund (1974), p. 155.
53
Freund, op. cit. Voir aussi p. 156-157 et 173, pour d’autres exemples
allant dans le même sens.
54
Peirce (1978), p. 144 (=19311, 19602 3.361).
55
Cité par Chevrier (1981), p. 61.
56
Barthes (1961 et 1964). Les textes ont été récemment repris dans
un recueil posthume, Barthes (1982), p. 9-42.
57
Les plus belles réussites me semblent être les célèbres séries de
Duane Michals, dont certaines du moins sont purement visuelles (si
on ne tient pas compte des indications de datation). Voir par
exemple Michals (1981), série 6.
58
Op.cit., p. 17.
59
Voir Roche (1982).
60
Voir Searle (1972).
61
Reproduites dans Gruber (1981), par exemple nos 140, 146, 221,
229.
62
L’existence du photo-montage ne constitue pas un contre-exemple à
cette règle : lorsqu’il est non ostentatoire, il entre dans la catégorie
du truquage ; lorsque au contraire il se présente comme montage,
son intérêt principal réside dans son écart à l’image photographique.
Les photomontages antinazis de Heartfield, par exemple, prétendent
justement révéler ce que l’image photographique ne montre pas, les
coulisses derrière les masques publics.
63
Op. cit., p. 169 et suivantes.
64
Pour l’ensemble de la question des rapports entre espace pictural et
espace photographique, voir Scharf (1974), Peters (1979) et Galassi
(1981).
65
Au sujet de cette différence, voir Quine (1972), p. 49-53.
66
J’emprunte le terme à Descombes (1983) qui, dans la lignée de la
philosophie analytique, montre la complexité des catégorisations
effectives que la notion philosophique d’ « objet » prétend unifier.
Cette complexité joue, bien entendu, aussi au niveau du signe
photographique.
67
Les quelques pages consacrées par Barthes (1957, p. 105-107) aux
« photos-chocs » restent toujours stimulantes, notamment dans leur
analyse du caractère souvent stéréotypé des modalités de
réalisation de l’effet de choc. Voir aussi les analyses de Lambert
(1986).
68
Il y a quelques années, FR3 présentait une série d’Agnès Varda
intitulée Une minute pour une image. Le principe de l’émission
consistait à demander aux gens de commenter une image (de leur
choix, si mes souvenirs sont exacts). Or la plupart des commentaires
se bornaient à utiliser l’image, ou un élément de l’image, comme
point de départ pour les associations personnelles les plus diverses.
Parmi les images retenues, il y avait certaines photos-témoignages
célèbres : leur réception ne divergeait pas fondamentalement de
celle d’un portrait ou d’une photo de paysage, sinon que
l’association fonctionnait souvent sur le mode de l’analogie
situationnelle (par exemple : « Je me rappelle un événement du
même genre »).
69
Voir Thomas (1977).
70
Barthes (1957), p. 105-107.
71
Op. cit., p. 105-106.
72
Je pense essentiellement à l’engouement pour les thèses de
Feyerabend (1975, 1979), qui soutient le caractère anarchiste de la
science et sa progression par coups de force tactiques plutôt que
par argumentations logiquement irréfutables ou empiriquement
fondées.
73
Voir à ce propos Black (1972), notamment p. 113.
74
L’ensemble de ces remarques doit beaucoup aux pages stimulantes
de J.-F. Lyotard (1983), Si ma conception est un peu plus claire et
cohérente que dans Schaeffer (1983), c’est en grande partie aux
considérations de Lyotard sur les genres discursifs que j’en suis
redevable.
75
D’une manière générale, les esthétiques « classiques » semblent
plus intéressantes du point de vue d’une analyse de l’image que ne
l’est l’esthétique romantique, ceci pour la toute simple raison que
c’est l’art visuel qui constitue en grande partie leur paradigme
central. C’est-à-dire que ce qui fait leur faiblesse indéniable
(comparée à l’esthétique romantique) pour toute analyse des arts
verbaux peut aussi être vu comme une force dès lors qu’on
s’intéresse aux arts non verbaux.
76
Pour l’ensemble de ces considérations, je me sers de l’analytique du
sublime et notamment du § 27. En ce qui concerne mes
considérations au sujet du sublime, il me faut exprimer ma dette à
Derrida (1978), p. 137 et suivantes, dont les remarques au sujet de
la déchirure des facultés m’ont rendu attentif à la fracture interne de
l’analyse kantienne du sublime.
77
Voir par exemple le catalogue Colnaghi (1976), p. 151. Jackson avait
été précédé, en Californie, par C.E. Watkins, qui photographia le
Yosemite dès 1861, fut membre de l’expédition géographique de
1866 mise sur pied par l’État de Californie et édita ses images à San
Francisco en 1868 sous le titre The Yosemite Book.
78
C’est la raison pour laquelle, dans certaines théories classiques du
sublime, le fait d’expérimenter l’omnipuissance de la nature se
monnaie en sentiment de respect porté au Dieu créateur.
79
Voir ici-même, p. 20-27.
80
Voir Scharf (1974), qui cite notamment Reynolds (p. 21). Ces
critiques n’empêchaient d’ailleurs pas l’existence d’un véritable
engouement pour la chambre obscure, non seulement en tant
qu’instrument pictural, mais aussi en tant qu’attraction de foire.
81
La situation historique réelle n’est bien entendu pas si simple :
l’esthétique romantique ne naît pas par génération spontanée, elle
est l’héritage systématisé d’une tradition esthétique platonisante qui
remonte à la Renaissance italienne, sinon aux écrits de Plotin (voir
Lichtenstein (1982)).
82
Voir à ce propos Simondon (1969), p. 124 et suivantes, de qui je
reprends aussi la distinction entre machines thermodynamiques et
machines informationnelles. Simondon ne fait pas référence à la
photographie, mais je pense que sa définition de la machine
informationnelle s’applique parfaitement à celle-ci.
83
Je prends le terme ici au sens cybernétique et non pas à celui
d’information humaine, donc analogique. C’est que le problème ne
concerne pas le statut sémiotique du signe, mais le statut matériel
du dispositif.
84
Voir Schaeffer (1983).
85
Baudelaire, L’Art romantique, Garnier, p. 503.
86
Baudelaire, op. cit., p. 326. 14 Ibid., p. 329.
87
Une analyse plus détaillée du texte de Baudelaire, tenant
notamment compte de son caractère ambivalent, peut être trouvée
dans Schaeffer (1985a).
88
En photographie, cette idée d’une étude comparative a sans doute
été le moteur de l’entreprise gigantesque de Sander, visant à réaliser
une physionomie photographique des diverses couches sociales de
l’Allemagne de la République de Weimar. Le résultat, Menschen des
20. Jahrhunderts, ne laisse heureusement guère transparaître ce
souci classificateur.
89
Weston (1973), tome 2, Inscription du 24 avril 1930.
90
J.W. Goethe, Écrits sur l’art, Klincksieck, 1983, p. 273. La
problématique du signe et du Sens est un thème classique de la
réflexion philosophique occidentale. Voir à ce sujet Derrida (1972).
En ce qui concerne les aspects plus spécifiquement littéraires de la
théorie du symbole, et plus largement la question de la motivation
des signes linguistiques, je ne peux que renvoyer à Genette (1976)
et Todorov (1977).
91
Cette vision extatique de l’instant décisif n’est pas sans rappeler le
privilège dont jouit l’instant présent, le « maintenant » comme
présence-à-soi qui fonde le monde dans une présentation originaire,
chez Husserl. Voir à ce propos Derrida, op. cit., p. 67.
92
Weston, op. cit.. Inscriptions du 25 juin au 7 juillet 1927.
93
Weston, op. cit.
94
Voir Newhall (1963), p. 163.
95
Reproduit dans Haus, op. cit., p. 76.
96
Haus, op. cit., p. 22.
97
Reproduit dans Kemp, op. cit., p. 157.
98
Ainsi, en 1897 encore, le célèbre article de Robert de la Sizeranne,
« La photographie est-elle un art ? » (la Revue des Deux Mondes,
n° 144, 1897, p. 564-565), lie la question du temps photographique
exclusivement à l’enregistrement de la fugacité.
99
Voir Bergala dans Depardon (1982).
100
Voir par exemple les textes de Schorn ou Koloff, reproduits dans
Kemp, op. cit., p. 59.
101
Jules Janin, « Le daguerréotype », dans l’Artiste, n° 12, 1838-1839,
p. 145-148. Le texte est facilement accessible (malheureusement en
traduction allemande) dans Buddemeier (1970), p. 203-209.
102
Heidegger (1952), p. 56.
103
Voir Revault d’Allonnes (1973), p. 5.
104
Cité par Keller (1972), p. 26.
105
« Zueignung » dans Werke, Band I, p. 12.
106
Voir Schelling, Schriften 1801-1804, notamment p. 59-60.
107
Ainsi dans « Le soleil », on trouve la comparaison (traditionnelle)
entre l’astre solaire et le poète (Tableaux parisiens, LXXXVII).
108
Spleen et Idéal, LXV.
109
Curiosités esthétiques, Garnier, p. 317.
110
Pour un compte rendu détaillé des travaux de Schulze et un exposé
général de la préhistoire scientifique de la photographie, voir Baier,
op. cit.
111
Voir Werke, XVI, p. 736-741.
112
Voir Heidegger (1962), p. 13-98, ainsi que Meyer Schapiro, « La
nature morte comme objet personnel », tr. fr. dans Macula, 3 (1968),
et dernièrement dans Schapiro (1982). Derrida (1978) a consacré
une étude très intéressante à ce débat entre le philosophe et
l’historien de l’art, dans laquelle il montre qu’au-delà de toutes leurs
oppositions, les deux penseurs partagent certaines thèses
fondamentales.
113
Heidegger, op. cit., p. 36.
114
Heidegger, op. cit., p. 34.
115
Voir ici-même, p. 24-26.
116
Frank est bien entendu ici le représentant emblématique de
nombreux autres photographes. Pour en rester aux images que je
reproduis, il est évident que des effets du même ordre, mais moins
exacerbés, plus subtils, se dégagent (outre de la deuxième photo de
Frank) de l’image de Cartier-Bresson (photo n° 2) et de celle de
Denis Roche (photo n° 12). Dans ces deux dernières photographies,
on peut d’ailleurs isoler les éléments qui induisent l’émoi
spécifiquement photographique : il s’agit de l’homme vu de côté
chez Cartier-Bresson et de l’échelle qui barre le champ visuel chez
Roche. Chez les deux photographes, l’effet est le même : la visée
sur les entités reproduites est dérangée, « frustrée », et le regard se
trouve rejeté sur lui-même. Le fait que chez Roche l’échelle soit
légèrement décalée par rapport au plan de l’image montre d’ailleurs
qu’elle ne structure pas une surface mais tord un champ quasi
perceptif. D’une manière générale, dans l’art de la trace la
construction formelle est toujours celle d’un champ.
117
Il faut distinguer la motivation et la détermination logique : deux
individus peuvent être parfaitement d’accord quant aux traits
descriptifs d’un objet, tout en s’opposant quant à son statut
artistique. Ces traits ne sont en effet pas nécessairement un modèle
artistique désirable pour les deux individus à la fois. Par ailleurs,
lorsque les modèles sont inconciliables, les deux individus
considéreront qu’ils ne font pas partie de la même communauté de
goût (sans pour autant abandonner l’exigence d’universalisation de
leurs modèles respectifs).
118
Je n’ai jamais réussi à comprendre ce que veut dire concrètement
cette théorie étrange selon laquelle un artefact dispose d’une unité
organique qui serait davantage que la somme des relations des
parties, de sorte que l’étude de ces relations présupposerait toujours
une saisie « intuitive » de leur unité.
119
Voir à ce propos Descombes (1983), p. 9-32.
ISBN 2-02-009757-5
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