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La musique dans la peau

Les efets de la musique sur le corps et l’esprit

Mémoire de philosophie
Table des matières

Introduction 7

I. Un art ancestral 11

1. Entendre 14

2. Un instinct musical ? 15

3. La musique à travers l"histoire : d'une utilisation sacrée 18


à une utilisation thérapeutique
a. Musique et croyances 18
b. Musiques et bienfaits : quelques exemples de l’utilisation 23
des propriétés thérapeutiques de la musique dans diférentes
cultures

II Une expérience émotionnelle 33

1. Des efets physiques : l’action directe de la musique sur 36


le corps
a. La musique fait vibrer 36
b. Le rythme 38
2.Le plaisir 40
a. La temporalité liée au plaisir 40
b. L'attendu et l'advenu 43
c. La molécule du plaisir 44
3. Que se passe-t-il dans le cerveau 46

4. La musique : un désir, un besoin, une pulsion ? 49

5. Quelle utilisation des propriétés émotionnelles de la 53


musique aujourd'hui ?

III Aujourd'hui, mieux-vivre en musique 59

1. Créer du lien 63
a. Une société qui s'individualise 63
b. La musique et son rôle social 65
2. La musique pour marquer son identité (laisser sa 73
trace en musique)
a. La musique utilisée depuis longtemps comme marqueur 73
d’identité collective
b. La musique : un marqueur d’identité individuelle ? 75
3. La détente pour annihiler le stress 80

Conclusion 83

Bibliographie 87
Introduction

La musique est une activité humaine inhabituelle de par


son ubiquité et son ancienneté. Aucune culture connue,
contemporaine ou non, n’est dépourvue de musique. Elle a
existé dans toutes les sociétés humaines, depuis la préhistoire.
Certains des plus anciens objets retrouvés sur les sites
archéologiques sont des instruments de musique (lûtes en os,
peaux d’animaux tendues..). Elle est à la fois forme d’expression
humaine individuelle (notamment l’expression des sentiments),
source de rassemblement collectif et de plaisir (fête, chant,
danse) et symbole d’une communauté ou d’une nation (hymne
national, style musical oiciel, musique religieuse, musique
militaire).

Selon le neuroscientiique Daniel Levitin, auteur du livre De


la note au cerveau, « La musique fait et a toujours fait partie
intégrante de la vie quotidienne »1. En efet, chaque fois que
les humains se réunissent, la musique est présente, qu’il s’agisse
d’un mariage, d’un enterrement, d’un départ à la guerre, d’un

1 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau

7
événement sportif, d’une virée en ville, d’un moment de prière,
d’un dîner romantique, d’une mère qui berce son enfant ou
d’étudiants qui travaillent avec fond sonore.

La musique n’est pas considérée comme chose vitale


contrairement à l’eau, la nourriture et le sommeil. Pourtant,
on la retrouve indéniablement partout, chez tous, pour tout,
tout le temps. « La musique est dans tout »1 comme le dit très
justement Victor Hugo. Elle semble inéluctablement liée à
la vie, liée à l’homme. Elle est dans ses pas, dans son rythme
cardiaque, dans sa respiration, dans sa voix. Elle est en lui, dans
son corps, dans sa peau.

Qui n’a jamais connu, en écoutant de la musique, cette


étrange réaction corporelle due à l’augmentation de la
température de l’organisme suite à une réponse émotionnelle
de l’hypothalamus ? Le frisson !
Il est incroyable de constater que de simples sons arrangés
entre eux puissent déclencher une réaction physique universelle
si manifeste ! Comment cet assemblage de sons, cet océan de
vibrations peut-il avoir autant d’efets sur l’organisme humain ?

La musique a un réel pouvoir sur l’individu, tant sur son


corps (le frisson en est un exemple majeur) que sur l’esprit.
Quiconque a été bouleversé par une mélodie de Bach, ému par
un chœur d’enfants ou électrisé par un rythme rock connaît ce
pouvoir primaire de la musique, cette faculté qu’elle a de nous
« toucher ». Mais d’où vient cette capacité ? Comment agit-
elle sur notre cerveau ? Pourquoi la musique peut-elle avoir de
tels efets sur l’homme ? Tant physiques que psychologiques ?

1 HUGO Victor (1833), « Écrit sur la plinthe d’un bas-relief antique », Les
contemplations, in Poésie Française [en ligne]

8
Comment expliquer que cet art ancestral ait toujours existé dans
toute société, toute culture, toute époque ? Ou plus simplement,
pourquoi la musique ?
J’aimerais comprendre le rapport si particulier qu’il y a entre la
musique et le cerveau humain. Comment reçoit-on le son et quel est
l’efet produit dans tout le corps ? Comment expliquer ces émotions
suscitées par l’émission et la réception d’un son.

Dans ce mémoire, je tente de trouver des réponses à ces questions


à travers des faits scientiiques et culturels et des notions telles que le
plaisir, le rituel, le bien-être, l’identité et la socialisation. En prenant
le parti de m'intéresser davantage aux auditeurs qu'aux musiciens,
j’essaie de saisir comment de telles propriétés étaient utilisées par
diférentes cultures et quelle place occupe la musique aujourd’hui
dans notre société. Quels sont les comportements liés à l’écoute ?
La musique pourrait-elle être un moyen de rassembler, de détendre,
de reconnecter les gens entre eux et avec ce qui les entoure dans
des contextes où le stress et les comportements individualistes sont
souvent de rigueur ? Son utilisation d’antan pourrait-elle encore
avoir une cohérence aujourd’hui ?

9
I.
Un art ancestral
La musique existe depuis les temps les plus reculés, sûrement
avant même l’époque de ses premières traces historiques. Il
n’est pas de civilisation qui, tôt ou tard, n’ait développé son
propre système musical ou n’en ait adopté un en l’adaptant à ses
nécessités et à ses goûts.
« Dès l’aube de l’humanité on a utilisé le son, pour
accompagner des potions, des médicaments... »1 explique
Philippe Baraqué, fondateur de la musicothérapie vocale.
Dans cette première partie, je propose une histoire
sommaire de la musique à travers diférentes croyances et cultures
avec des exemples d’utilisations spirituelle et thérapeutique de
la musique.

1 MENANT Marc (2008), Musicothérapie, médecine de demain, documentaire

13
1.
Entendre

On peut déjà airmer une chose, c’est l’aptitude qu’a notre


corps d’entendre. L’ouïe est l’un des cinq sens avec lesquels nous
naissons. Elle a la particularité d’être le sens le plus aiguisé du
fœtus. L’audition fœtale commencerait entre la vingt-sixième
et la vingt-huitième semaine. L’ouïe évolue vite, mais s’aine
lentement. Cette mise en place se poursuit jusque vers les sept
ans. L’ouïe est le deuxième sens dans l’ordre de l’utilisation par
l’homme. Elle est le chaînon indispensable de notre relation à
autrui.
L’oreille est l’organe qui permet d’entendre, mais le corps
entier fonctionne comme une oreille géante grâce aux vibrations
produites par les sons. Elles pénètrent à travers les pores de notre
peau. Nos os entendent ! Daniel Levitin le dit : « tout objet a la
capacité de vibrer »1.
L’audition crée une interaction entre nous et notre
environnement. Elle nous donne des repères. Par exemple,
un crissement de pneu ou un meuglement de vache ne nous
donne pas la même information. Nous savons ainsi à peu
près, en décryptant ces sons qui nous entourent, où nous nous
situons. L’écoute de notre environnement étant permanente
(elle ne rencontre jamais d’obstacle), elle garde toujours ainsi
une fonction d’alerte et de vigilance sur le monde. Elle nous
prévient d’un danger, nous permettant ainsi d’y faire face.

1 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau

14
2.
Un instinct musical ?

L’omniprésence de la musique à travers les époques et les


cultures nous pousse à nous poser une question fondamentale :
la musique est-elle l’apanage de l’homme ?
Dans L’instinct de la musique, documentaire réalisé en 2008
par Elena Mannes, l’idée directrice est que la musique est
inscrite en nous, « dans notre coeur et notre cerveau ». Mais que
signiie vraiment cette idée ? Comment la musique peut-elle
être inscrite en nous ? Peut-on parler d’une aptitude innée, d’un
instinct ancré en l’homme dès la naissance ?

John Blacking, ethnomusicologue et anthropologue anglais,


airme que la vaste répartition des talents musicaux dans les
sociétés africaines suggère que «  l’aptitude musicale (est) une
caractéristique de l’espèce humaine en général, et non un
talent rare  »1. Selon lui, tous les membres d’une société sont
potentiellement capables d’écouter et donc de comprendre la
musique. Elle serait comme le langage ou la religion, un trait
spéciique de l’espèce humaine. Il pense que le sens musical est
universel, mais qu’il est plus ou moins cultivé selon les classes
et les types de société dont la musique exprime les structures et
les conlits.

Le neuroscientoique Daniel Levitin va plus loin en


émettant l’idée que la musique serait à la base du langage2. Elle

1 BLACKING John (1980), Le Sens musical, Paris, Les Éditions de Minuit,


coll. « Le sens commun »
2 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau, p. 317

15
ne l’aurait pas seulement précédé mais occasionné en préparant
nos ancêtres à communiquer par le langage et à développer
la lexibilité sensorielle nécessaire pour devenir véritablement
humains. Grâce au chant et à la danse, notre espèce aurait ainé
ses aptitudes motrices pour parvenir aux mouvements très
précis qu’impliquent le langage oral ou la communication par
signes. Selon lui, l’expérience de la musique est profondément
ancrée dans notre physiologie. Elle serait apparue avant
l’agriculture et il n’existe pas de preuve tangible que le langage
l’ait précédée. En fait, les indices matériels suggèrent plutôt le
contraire. La musique remonte sans doute à plus de 50 000 ans.
Les découvertes archéologiques témoignent de la présence de
musique, de tout temps, dans les sociétés humaines. De plus, le
chant a sans doute précédé l’usage des lûtes et des percussions.

D’après Rousseau, la musique n’est pas forcément à la base


du langage, comme le soutient Daniel Levitin, mais musique
et langue auraient la même origine. Il veut démontrer, dans
son Essai sur l’origine des langues, que la mélodie ressemble
au discours. Selon lui, « les retours périodiques et mesurés du
rythme, les inlexions mélodieuses des accents, irent naître la
poésie et la musique avec la langue »1.

Il y a environ 150 ans, Charles Darwin (1871) écrivait que


« les sons musicaux ofrent une des bases du développement du
langage »2. Pour lui, la musique aurait précédé le langage pour
la séduction ! Il dit que « les notes et le rythme musical ont été
acquis par les géniteurs humains, mâle ou femelle, juste pour

1 DESSAY Marie, PICARD Prica, LABEYRIE Marion (2003), « L’efet de la


musique sur les esprits », in Philosophie et spiritualité [en ligne]
2 DELIEGE Irène, VITOUCH Oliver, LADINIG Olivia (2010), Musique et
évolution, in Google livres [en ligne]

16
charmer le sexe opposé » (1871, chap. XIX, p. 572).

Enin, les extraordinaires performances dans la perception de


la mélodie et du rythme chez les nouveau-nés (l’apprentissage
vocal débute dès le troisième trimestre de gestation) et les
jeunes enfants ne laisse aucun doute sur le fait que les humains
possèdent une sensibilité spéciique à ces caractéristiques
acoustiques particulières. Irène Deliège et Oliver Vitouch
expliquent dans leur ouvrage Musique et évolution1, que la
perception et la production d’une prosodie émotionnelle et
linguistique sont essentielles au développement du langage en
général. La mélodie fournirait l’élément prosodique principal
au cours du développement pré-linguistique.

1 DELIEGE Irène, VITOUCH Oliver, LADINIG Olivia (2010), Musique et


évolution, in Google livres [en ligne]

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3.
La musique à travers l’histoire : d’une
utilisation sacrée à une utilisation
« thérapeutique »

a. Musiques et croyances

La musique et la religion semblent former un couple


homogène. La musique est particulièrement prisée et inhérente
au sein des cultes chrétien, hindou ou sikh. Pour Platon par
exemple, la musique a un sens religieux profond, elle s’identiie
notamment au chant (Timée, Philèbe) et donc elle est liée à
un certain contenu qui ne peut être « neutre » moralement.
Le bouddhisme est connu pour ses cérémonies pleinement
sonores. La musique se manifeste essentiellement sous la forme
de récitations de sûtras ou de chants (mantra, psalmodie, chant
de gorge...). Un accompagnement percussif n’est pas rare, de
même que l’usage de trompes ou de hautbois. Au Tibet, les
chants liturgiques sous forme de chant de gorge, peuvent être
dédiés à la méditation ou à des cérémonies publiques. Ils sont
antiphonaux, alternant les chœurs et les parties instrumentales.

Dans la Bible, on retrouve l’utilisation de la musique


avec David qui jouait de la cithare pour soulager le roi Saül
de ses maux de tête. Cet exemple où la musique devient un
soin montre à quel point elle pouvait être considérée comme
puissante, voire magique.

Il n’y a que dans la religion islamique que la musique

18
génère débat depuis toujours. On parle parfois carrément
d’une interdiction de la musique. Seulement, le rapport avec
la musique est bien plus complexe. Tandis que certains textes
interdisent clairement la musique et les chants, d’autres, au
contraire, laissent supposer que cette interdiction est seulement
partielle.
Dans certaines traductions du Coran, Abou Hourayra,
compagnon de Mahomet, aurait dit que selon le Prophète,
écouter (individuellement) les instruments de musique est un
péché, se rassembler pour le faire est un péché plus grave et
y prendre du plaisir est du « Koufr » (Les savants ont traduit
ici le terme « Koufr » par manque de reconnaissance envers les
bienfaits de Dieu).
Ce débat sur la place de la musique dans la religion
islamique montre une fois de plus que celle-ci est considérée
comme puissante et peut être estimée comme dangereuse.

On retrouve cette méiance au XV ème siècle dans la religion


catholique. Les doutes quant à l’utilité de prier Dieu en musique
apparaissent de manière régulière dans les écrits sur la musique
tout au long du Moyen Age. Toujours méiants à l’égard des sens
et par conséquent, à l’égard du plaisir musical, les théoriciens
et théologiens avaient besoin, pour légitimer l’usage de la
musique au coeur de la liturgie, de trouver des arguments bien
fondés. De Saint Augustin à Tinctoris, en passant par d’autres
philosophes tels homas d’Aquin, les discours n’ont de cesse de
justiier l’utilisation de la musique, tout en mettant en garde
contre son caractère sensuel et donc dangereux.
Selon homas d’Aquin, la louange vocale est nécessaire pour
entraîner le coeur humain vers Dieu. A propos des instruments,
il fait référence au livre 8 de la Politique d’Aristote où il est
airmé qu’il faut bannir de l’enseignement certains instruments
comme la lûte ou la harpe, et n’admettre que les instruments

19
qui sont capables d’améliorer les auditeurs. Pour lui, « Les
instruments de musique de ce genre, impressionnent plus l’âme
dans le sens des émotions agréables, qu’ils ne forment de bonnes
dispositions intérieures »1.

La musique n’est donc pas forcément perçue comme source


de bienfaits. En efet, dès la plus haute antiquité, le son en
général est décrit comme créateur ou destructeur. De nombreux
exemples illustrent cette antinomie. Chez les Égyptiens, le dieu
hot aurait créé le monde en poussant un grand cri. Le son
est ici perçu comme outil créateur. Dans l’ancien testament au
contraire, on voit qu’il peut être un objet de destruction quand
Jéricho est détruit par le bruit des trompettes.
En résumé, qu’elle soit source de création ou de destruction,
bonne ou dangereuse, sacrée ou profane, redoutée ou espérée,
la musique est considérée comme véritablement puissante dans
toutes les croyances.

La transe en est un exemple remarquable. En efet, que ce


soit en Sibérie ou en Terre de Feu, au Viêt-nam, en Italie ou au
Brésil, dans l’Antiquité ou de nos jours, la musique est partout
associée à la transe et par conséquent à la danse.
C’est dans la musique africaine traditionnelle qu’on parle le
plus souvent de transe. Le rythme et la musique utilisés lors de
fêtes permettent de générer des états de conscience modiiés.
La danse et la musique remplissent une fonction décisive dans
la coniguration symbolique du lien avec la divinité. Lors de la
danse cérémonielle s’instaure un processus de conquête du corps
dont l’homme cesse d’être le propriétaire : par l’intermédiaire

1 BRITTA Marlène (2006), « Les efets de la musique à la Renaissance   :


pouvoir et séduction », Colloque EHESS / CRAL Musique et pouvoir, de
l’institution à la passion

20
du tambour, les divinités viennent s’incarner dans les corps de
leurs idèles. Chaque rythme de tambour est censé correspondre
à un dieu bien précis. La danse et la musique apparaissent alors
comme moyens de communication avec les ancêtres et les dieux.

Tel qu'il l'a été montré précédemment, les croyances


associent souvent la musique aux divinités. Elle serait un moyen
de communiquer avec elles : les invoquer, les remercier...
Comme dernier exemple, je propose d’aborder le cas des
Pygmées à travers un texte de l’ethnomusicologue Gilbert
Rouget dans L’Homme, « Musiquer pour survivre ». Les Pygmées,
chasseurs-cueilleurs de la grande forêt équatoriale africaine,
sont connus pour être des gens qui chantent et dansent, qui
musiquent beaucoup. L’auteur remarque qu’une très importante
partie de leur répertoire musical est en étroit rapport avec la
chasse. Ce répertoire est constitué de chants, le plus souvent
associés à diverses formes de danse. Ils avaient pour objet soit
d’assurer directement le succès de la chasse, soit de se concilier
la bienveillance des « esprits » de la forêt, dispensateurs de toute
chose (aujourd’hui la musique et la chasse n’occupent plus une
place aussi importante).
Gilbert Rouget relate trois actions musicales menées en
vue du succès de la chasse visant à favoriser la rencontre de
la «  viande  » et l’heureuse issue de la chasse. La première est
une action chorégraphico-musicale dite Edzingi, du nom du
personnage masqué qui en est le héros principal et qui incarne
un esprit de la forêt, igure centrale des croyances religieuses
des Pygmées. C’est un rituel qui doit impérativement s’exécuter
après le retour d’une chasse couronnée par la mort d’un éléphant
mâle porteur de grandes défenses. Il a pour but de conjurer les
efets néfastes de la mise à mort de l’éléphant pour garantir le
succès des chasses à venir.
La deuxième est une danse des chasseurs, dite bukela, qui a

21
lieu avant le départ des chasseurs pour une expédition de chasse
au phacochère ou à l’éléphant. Elle a lieu le plus souvent de
nuit, autour du feu entretenu au centre du campement mué en
place de danse.

« La danse consiste à avancer en marchant de


manière comme saccadée au rythme des tambours,
pieds alternativement haut levés et posés bien à plat sur
le sol, genoux à demi léchis, buste et nuque raides. Nul
bonheur, nulle gaieté. Totalement absorbés par ce qu’ils
font, semblables à des automates, les danseurs donnent
l’impression d’être douloureusement ailleurs. »1

La troisième est une chorale de femmes, dite yeli. Le mot


désigne un certain chant choral, polyphonique, exécuté par un
petit groupe de femmes en vue du succès de la chasse à l’éléphant
à laquelle leurs hommes se préparent à partir.

«  "Chant magique" c’est ainsi que me le présenta


spontanément mon interprète, qui n’était pas ethnographe
(...) mais n’en savait pas moins, aux nuances près, ce qu’il
disait. »2

Pour conclure, il semblerait que les chants et les danses


chamaniques où se mêlaient magie et spiritualité, soient
probablement les premières utilisations thérapeutiques de
la musique. Ils montrent que le recours à la musique auprès
des malades a des origines anciennes. En efet, des fouilles
ont démontré que depuis les temps les plus reculés, elle a été

1 ROUGET Gilbert (2004), « L’eicacité musicale: musiquer pour survivre,


le cas des Pygmées », p. 31
2 Ibid.

22
employée pour aider au recouvrement de l’équilibre afectif et
de la santé physique.

b. Musiques et bienfaits : quelques exemples de


l’utilisation des propriétés thérapeutiques de la
musique dans diférentes cultures

Chez les Grecs

C’est au Ve siècle av. J.-C., sous l’inluence d’Hippocrate,


que la musique prit son essor chez les Grecs et devint associée
à la médecine. Pythagore fut l’un de ceux qui valorisaient son
utilisation comme thérapie et son inluence s’est poursuivie
pendant des siècles. Les Grecs ont attribué toutes sortes de vertus à
la musique. Platon et Aristote ont d’ailleurs développé la théorie
de l’inluence de la musique sur l’équilibre, sur les passions et
sur la moralité. Ils ont codiié ses vertus thérapeutiques qu’ils
considéraient comme une hygiène mentale indispensable.

La pensée platonicienne à propos de la musique est


particulièrement intéressante. Elle mérite d’être précisée, j’ai
donc décidé de m’y attarder un peu.
Platon, philosophe grec (429 - 347 av. J.-C.), avait une
certaine conception éthique de la musique, qu’il explique dans
ses ouvrages La République et Les Lois, où il édicte les règles
auxquelles la musique doit se plier pour contribuer à maintenir
l’ordre et la vertu dans la Cité. Il lui confère une haute mission
éducative et morale, presque à égalité avec la philosophie, avec
laquelle il la compare souvent. Dans le Phédon, il dit que la
philosophie est la plus grande des musiques. Selon lui, la

23
musique, traitée en « afaire d’État »1, peut restaurer l’ordre
et l’entente chez l’homme, ce qui est sa vocation primitive
(Timée), et honorer les divinités. Pour lui, il n’existe pas
meilleure éducation que celle qui s’est établie au cours des âges :
la gymnastique pour le corps et la musique pour l’âme.
Si la musique a un tel pouvoir moral et éducatif, c’est bien
qu’elle possède certaines propriétés psychiques. Platon accepte
dans La République la conception psychologique de la structure
musicale de l’âme. En efet, pour lui, les sons envahissent les
trois parties de l’âme humaine. Il érigea ainsi le problème de la
continuité entre la matière et l’esprit. Il airmait que le rythme
et l’harmonie sont particulièrement propres à pénétrer dans
l’âme et à la toucher fortement.

« D'une manière générale, admettons que le son est le


choc, transmis à travers les oreilles, par l’intermédiaire du
Pair, du cerveau et du sang, jusqu’à l’âme. »2
(Timée)

La musique étant pour lui une sorte de guérison spirituelle,


Platon la conseillait, ainsi que la danse, contre les frayeurs et les
angoisses phobiques. Il considérait qu'elle exerçait une action
calmante sur l’être humain. Aristote airmera également dans la
Poétique, que le théâtre et la musique ont un efet de catharsis,
de puriication de l’excès des passions humaines.

Dans la Grèce antique, la musique avait déjà une place


curative et culturelle exceptionnelle. Il existait déjà des
musicothérapeutes (ce terme n’est apparu que dans les années

1 Article Larousse, « Platon », in Encyclopédie Larousse [en ligne]


2 NEMO Philippe, « Les philosophes et la musique », in Contrepoint
philosophique [en ligne]

24
1960) qui inluençaient l’humeur et les humeurs en utilisant
divers instruments, rythmes et sons. Le docteur Patrick
l'Échevin explique que selon le mal, « ils choisissaient l’aulos
au jeu extatique et émouvant ou celui doux et harmonieux de
la lyre »1.

En Chine

Confucius, personnage historique ayant le plus marqué


la civilisation chinoise au Vème siècle avant J.-C., montre
que les philosophes chinois avaient une pensée similaire aux
philosophes grecs : « Jouis de la musique, c’est la formation de
l’harmonie intérieure. »2

Les contes et légendes d’Orient fourmillent d’évocations


mettant en valeur les inluences conscientes et inconscientes de
la musique.
Dans le conte chinois Les Trois lûtes Sacrées, Lu, le
personnage principal, joue de la lûte quand il trouve un bel
endroit pour se détendre. Il rencontre un vieil homme qui
possède trois lûtes. Chacune d’elles a un pouvoir particulier.
Les deux premières sont destinées aux dieux, il ne peut donc
pas en jouer, leur pouvoir serait trop violents sur les humains. Il
utilise la dernière, la plus petite.

« "Je joue de la plus petite pour amuser mes amis. Tout


et tous les êtres vivants dans le monde peuvent l’écouter,
mais dès que j’en joue, ils deviendront troublés. Par
conséquent, je ne suis pas sûr de pouvoir inir même une

1 L'ÉCHEVIN Patrick (1981), Musique et Médecine, Stock Musique


2 FLETCHER Kate (2000), « Perception cerveau musique », in L’oeil
électrique [en ligne]

25
seule chanson." Après ces mots, il sortit la troisième lûte
et joua trois notes. Il y eut soudainement une rafale sur le
lac qui souleva des vagues violentes qui jetèrent poissons
et tortues hors de l’eau. Lu Xiangjun et ses domestiques
furent efrayés. Après cinq ou six notes, les oiseaux et les
animaux sur la Colline de Jun pleurèrent et hurlèrent, et la
lune déclina. Les bateaux sur le lac balancèrent tellement
que les gens à bord paniquèrent. »1

D’après François Picard, ethnomusicologue et professeur à


l’université Paris-Sorbonne, « la substance de la musique réside
pour les Chinois dans le son (...) elle équivaut à une résonance,
réponse spontanée, mise en mouvement de l’air, des soules (...)
elle est aussi le lien établissant l’harmonie de l’homme entre le
ciel et la terre »2.
Les philosophes chinois fondaient leur conception de
l’univers - autant dans son origine que dans sa structure -
sur la loi des cinq éléments (le bois, le feu, la terre, le métal
et l’eau), principe de toute chose. La médecine chinoise se
fondait sur l’application de ce principe et notamment sur les
relations qui existent entre les cinq éléments et les cinq planètes
(Jupiter, Mars, Saturne, Vénus, Mercure), les cinq notes (koung
(fa), chang (sol), kio (la), tché (do), yu (ré)) les cinq organes
(foie, cœur, rate, poumons, reins). Les sages déclaraient que
chaque organe interne de notre corps a son propre rythme
et par conséquent vibrerait à un son qui lui est propre. Ces
concordances expliquent le rôle thérapeutique des instruments
de musique : les lûtes toniieraient le foie, les cordes le cœur,
l’ocarina la rate, les cloches toniieraient les poumons et les
tambours les reins.

1 Conte chinois, « Les trois lûtes sacrées », in Chine Informations [en ligne]
2 VIERS Rina (2006), Langues et écritures de la méditerranée, p. 309

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Les éléments, et tout ce qui leur correspond, sont soumis à la
prépondérance du Yang et du Yin, deux forces complémentaires
qui régissent l’univers. L’empereur Fou-Hi serait l’inventeur des
huit trigrammes qui fournissaient, sous forme de représentation
graphique, l’évolution des rapports entre le Yang et le Yin.
A ces huit trigrammes correspondent les huit catégories
d’instruments, comme le montre le schéma (page vingt-sept),
emprunté au traité de médecine chinoise de Chamfrault et Van
Nghi.1

Moyen Âge et Renaissance

Au Moyen Age, ce sont principalement les œuvres


encyclopédiques qui fournissent des informations sur l’aspect
curatif de la musique. Isidore de Séville nous dit qu'elle
« soulage la fatigue de n’importe quel labeur »2, et que le médecin
Asclépiade a réussi à guérir un patient de la phrénitis grâce à
la symphonia. Au XIIIème siècle, Gauthier (ou Gossuin) de
Metz lui attribue de nombreuses vertus utiles au corps humain :
elle peut restituer l’équilibre du corps, le soigner et l’empêcher
de  tomber malade.

Le rapport entre utilisation sacrée et thérapeutique de


la musique est particulièrement visible chez le musicien et
théoricien Johannes Tinctoris, qui écrit le Complexus Efectuum
Musices en 1475, premier ouvrage entièrement consacré aux
efets de la musique. Il énumère vingt efets qu’il illustre par
diverses références et citations. La déinition de ces efets sert

1 MEREAUX Max, « La thérapie par les sons », in Musica et Memori [en


ligne]
2 Article contributeur Larousse (2009), « Origines de la musicothérapie  : de
l’antiquité au XVIIème siècle », in Larousse Encyclopédie [en ligne]

28
Tinctoris à légitimer les pratiques musicales au sein de l'Église.
Ces pratiques, bien que largement répandues, ne cessaient
d’inquiéter les théoriciens mais aussi les théologiens qui se
penchaient sur les problèmes musicaux. Comme on l’a vu
précédemment, ils étaient toujours méiants à l’égard du plaisir
musical et avaient besoin de trouver des arguments bien fondés
pour légitimer l’usage de la musique au coeur de la liturgie. Sans
aucune prétention technique, le Complexus se présente avant
tout comme un hommage au noble art de la musique.
Voici la liste des vingt principaux efets présentés dans son
traité :1

La musique :
1. Plaît à Dieu
2. Embellit les prières
3. Augmente la joie des bienheureux
4. Assure le triomphe de l'Église militante
5. Prépare les idèles à la bénédiction divine
6. Incite l’âme à la piété
7. Chasse la tristesse
8. Adoucit les cœurs
9. Fait fuir le diable
10. Cause l’extase
11. Élève l’esprit terrestre
12. Détourne la mauvaise volonté
13. Réjouit les hommes
14. Guérit les malades
15. Adoucit le travail
16. Incite l’âme au combat

1 BRITTA Marlène, (2006) « Les efets de la musique à la Renaissance  :


pouvoir et séduction  », Colloque EHESS / CRAL Musique et pouvoir, de
l’institution à la passion

29
17. Attire l’amour
18. Accroît la joie dans les banquets
19. Gloriie ceux qui la pratiquent
20. Rend l’âme heureuse

Vers 1478, le peintre lamand Hugo van der Goes, tourmenté


par un sentiment de culpabilité et d’infériorité, se retire au
couvent de Rouge-Cloître en qualité de novice. Vers 1481,
au cours d’un voyage à Cologne, il sombre dans la folie. On
raconte que le prieur chercha à le soigner en lui faisant entendre
de la musique.

C’est également au Moyen Âge qu’on cherche à soigner la


piqûre de la tarentule par la musique. Cette piqûre amènerait
ses victimes dans un état proche de la folie avant de les rendre
inertes. Selon le poète et philosophe italien du XVème siècle
Marsile Ficin, la guérison s’obtient par l’audition d’un son,
et non d’une mélodie, propre à chaque patient, le faisant
transpirer et donc certainement évacuer le venin de l’animal,
engendrant la guérison. D’après lui, le son entendu au cours de
cette guérison aura toujours un efet particulier sur le patient,
même plusieurs années après.1

Enin, Paracelse, médecin de la renaissance (première


moitié du XVI ème siècle), utilisait la musique pour « agir sur
l’organisme par l’intermédiaire de l’âme »2. Il faisait un lien
entre corps et esprit en disant que là où l’esprit soufre, le corps
soufre aussi.

1 Article contributeur Larousse (2009), « Origines de la musicothérapie  : de


l’antiquité au XVIIème siècle », in Larousse Encyclopédie [en ligne]
2 PAPE Virginie (2011), Les musiques de la vie

30
Au 20ème siècle

C’est au vingtième siècle, dans les années 1960, que la notion


d’une profession dans le domaine de l’utilisation thérapeutique
de la musique fait son apparition à l’état expérimental,
notamment au Canada et aux États-Unis.
Durant la seconde guerre mondiale, la musique fut
utilisée sur les soldats convalescents pour tenter de soulager
les traumatismes de la guerre : insomnies, dépressions post-
combat, anxiété. Par la suite, des recherches approfondies ont été
réalisées dans diférents instituts, en France comme à l’étranger.
L’institut Karajan à Salzbourg par exemple, étudie le pouvoir
physiologique de la musique, comme l’ARATP (Association de
Recherche et d’Application des Techniques Psychomusicales) de
Paris et l’institut Émile Jaques-Dalcroze à Genève, créé en 1915.

En France, c’est un ingénieur du son, Jacques Jost qui fait


oice de pionnier dès 1954 et pose l’hypothèse qu’on peut
soigner avec la musique. Il s’appuie sur une base clinique avec
l’aide du Laboratoire d’Encéphalographie de la Clinique des
Maladies Mentales et de l’Encéphale, à la Faculté de Médecine
de Paris. Il efectue des recherches sur les émotions et la musique
qu'il valide à l’aide d’un programme d’écoutes musicales sur
la radio après sa rencontre avec un directeur de Radio France.
Pendant dix-huit ans, il a poursuivi l’étude et l’application des
techniques psychomusicales en psychiatrie. Il met en place un
test de réceptivité musicale qui peut être utilisé avec des patients
en séance de musicothérapie.
Le premier congrès mondial de musicothérapie a eu lieu en
France en 1974 à l’Hôpital de la Salpêtrière à Paris.

En France, les études concernant l’action de la musique

31
sur le corps sont donc récentes. Elles essaient de mettre en
évidence que l’écoute de certaines musiques a des répercussions
physiologiques et psychologiques sur l’organisme, notamment
au niveau cardio-vasculaire, respiratoire, musculaire et végétatif.

Tous ces exemples illustrant l’utilisation spirituelle et


thérapeutique de la musique montrent une fois de plus qu’elle a
toujours eu une place importante dans toute culture et à toute
époque. Considérée comme puissante et parfois véritable outil
de soin, elle semble avoir certaines propriétés incontestables.
Des qualités à la fois visibles sur le corps et surtout inhérentes
à l’esprit.

32
II.
Une expérience émotionnelle
Dans son ouvrage De la note au cerveau, le neuroscientiique
Daniel Levitin nous dit : « ce qui nous attire dans la musique,
c’est l’expérience émotionnelle  »1. Il ajoute aussi que «  la
musique est un outil plus eicace que le langage quand il s’agit
de susciter des sentiments et des émotions »2. Voyons alors en
quoi elle est une véritable expérience émotionnelle, suscitant
plaisir, angoisse, exaltation, tant au niveau du corps qu’au
niveau du cerveau.

1 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau, p. 260


2 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau, p. 324

35
1.
Des efets physiques : l’action directe de la
musique sur le corps

« La musique (...) est capable d’agir


physiquement sur les corps »1
(Rousseau)

a. La musique fait vibrer

La musique, art consistant à arranger et à ordonner sons


et silences au cours du temps, ne fait pas seulement vibrer au
sens d’émouvoir, d’agiter ou de toucher, elle fait vibrer au sens
propre. Et ce, d’abord par son action sur le tympan.
Pour l’expliquer, Daniel Levitin déinit le son comme une
image mentale créée par le cerveau en réponse à des molécules
d’air vibrant à diverses fréquences, les ondes sonores. Ces
molécules heurtent le tympan, simple membrane tendue sur des
tissus et des os (le seuil de l’audition) qui répond en émettant
des vibrations.
Le musicien Daniel Bernard Roumain associe ces vibrations
à quelque chose de presque intime.

« Quand on dit qu’un morceau de musique nous fait


vibrer, c’est au sens propre. Le son de ma voix pénètre par
votre conduit auditif et fait vibrer votre tympan. C’est très

1 ROUSSEAU Jean-Jacques (1768), Dictionnaire de musique, p. 315

36
intime. Je vous touche au sens propre du terme. »1

Les efets physiques de la musique sont conirmés par des


études qui montrent que le corps est un baromètre de nos
émotions. Des expériences ont été menées pour mesurer les
réponses émotives de notre corps à certaines musiques. Parmi
les résultats, on a pu observer qu'il réagit très subtilement à la
musique et de manière inconsciente. Une musique angoissante,
par exemple, provoque une réaction immédiate au niveau de la
peau.
Qui n’a jamais eu de frissons dès les premières notes d’un
morceau ? Intriguée, Stéphanie Khalfa, chercheuse au CNRS
au Laboratoire de neurophysiologie et neuropsychologie de
l’Inserm, à Marseille, examine les réponses physiologiques
du corps humain aux diférentes musiques chez cinquante
sujets. « Des changements apparaissent très tôt, une à trois
secondes après le début de l’écoute. Ils révèlent des émotions
de gaieté ou de peur. Les muscles zygomatiques au niveau des
pommettes faciales s’activent, la pression sanguine varie et on
observe une micro-transpiration au niveau des paumes des
mains  »2, explique-t-elle. Elle ajoute que notre respiration est
quant à elle entraînée par le tempo mais réagit peu aux autres
caractéristiques musicales, comme les graves et aigus ou le
volume. De plus, après un stress psychologique induit, une
musique apaisante (mélodie d’ambiance lente, harmonique et
au tempo régulier) diminue signiicativement la concentration
sanguine en hormone de stress, dite cortisol, au bout d’un quart
d’heure d’écoute. Stéphanie Khalfa précise que « toutes n’ont
pas cet efet bénéique, une musique comportant des disparités

1 MANNES Elena (2008), L’instinct de la musique, documentaire


2 OLIVIER Aude (juin 2007), « La symphonie neuronale », in CNRS [en
ligne]

37
de rythme et des dissonances, comme la techno, augmente le
stress, même lorsqu’elle est appréciée. »1

b. Le rythme

Le composant de la musique le plus souvent associé au


corps est le rythme. On bouge sur un rythme, on danse en
accordant nos mouvements sur un rythme. Daniel Levitin cite
l’exemple des percussions tribales de plusieurs civilisations pré-
industrielles, qui créent des rythmes sur lesquels s’ajustent les
mouvements du corps. « Le timbre est souvent au centre de
notre appréciation de la musique, mais le rythme exerce un
pouvoir sur les auditeurs depuis bien longtemps. »2 Jouer de la
musique, par exemple, requiert l’utilisation du corps, explique
le neuroscientiique, et l’énergie est transmise à l’instrument
par des mouvements corporels. Le corps qui joue est donc
entièrement mobilisé par la musique, tout comme l’est celui
qui écoute, de manière plus subtile est souvent inconsciente.
Plus loin dans son livre, l’auteur ajoute que le rythme est le
composant musical qui stimule le corps, tandis que la tonalité
et la mélodie stimulent l’esprit.
On peut également parler du rythme comme un des éléments
source de plaisir. L’auteur Vincent Vivès, professeur de littérature
à l’Université de Valenciennes et enseignant en musicologie,
s’intéresse à cette idée dans son article « Métrique du désir,

1 Ibid.
2 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau, p. 75

38
maîtrise du plaisir »1. Il explique que les rythmes musicaux
et poétiques sont intimement liés à l’expérience humaine. Ils
ressortissent de la cadence fondée sur la respiration, la marche
et le battement cardiaque. Il parle d’un plaisir de reconnaissance
et de l’économie (au sens de l’amoindrissement) du travail
intellectuel dans lequel s’ancre le rythme (ou la répétition du
même). Freud aurait montré la part que joue cette économie du
travail intellectuel, cette absence de tension, dans le plaisir.

1 VIVES Vincent (2002), « Métrique du désir, maîtrise du plaisir », p. 43 -


56.

39
2.
Le plaisir

Pour parler d’une expérience émotionnelle, j’ai voulu aborder


la notion de plaisir de manière plus précise car elle me semblait
nécessairement liée à la musique. L’idée d’un plaisir sensuel
provoqué par la musique a été évoqué précédemment à travers
les idées des théologiens du XVème siècle qui considéraient cet
aspect de la musique comme dangereux. Mais « la musique
[serait] le seul plaisir sensuel sans vice », dit Samuel Johnson,
auteur de littérature anglaise du XVIIIème siècle.

Contentement, volupté, satisfaction, délices, régal,


jubilation ... Le plaisir confère à celui qui éprouve, pense ou
parle, un sentiment d’existence, de subjectivité. Plaisir solitaire,
plaisir partagé, plaisir de jouer, plaisir d’écouter... Comment la
musique crée-t-elle le plaisir ?

a. La temporalité liée au plaisir

Une partie du plaisir éprouvé est lié à la capacité de la musique


à marquer ponctuellement chaque moment. Moment unique,
qui touche dans l’instant de l’écoute. Une des particularités
essentielles de l’expression musicale est son immédiateté. « Il se
trouve que les oreilles n’ont pas de paupières », écrivait Pascal
Quignard dans son livre La haine de la musique (2002). Dans
une interview du Monde, le 8 avril 2004, le cinéaste américain
Jim Jarmusch dit quant à lui qu’écouter de la musique « fait

40
ressentir le temps physiquement »1.

« Le son est un phénomène très étrange, il ne dure pas.


Ce qu’on a joué ou entendu il y a dix secondes n’existe plus.
C’est ce qui donne à la musique cette dimension tragique.
Elle peut mourir, et chaque note est une vie à elle toute
seule. »2
(Daniel Barenboim, musicien)

« Le plaisir musical recouvre une large gamme de


modalités récréatives (...) Tel que je l’entends aujourd’hui,
à chaque heure correspond une musique, non pas selon un
rythme circadien ou saisonnier, mais davantage comme
l’accumulation exhaustive de toutes les heures, de toutes les
minutes de ma vie : à l’instar de musiques traditionnelles
afectées à chaque heure de la journée, et composant les Très
Riches Heures de quelque noble commanditaire. Chaque
instant possède la saveur propre de sa fugacité, de même
chaque plaisir musical. La musique n’a peut-être pas pour
fonction de divertir — c’est-à-dire séparer de ce qui est
important —, mais d’enregistrer ou de mesurer le passage
du temps, de mes heures ici-bas. »3
(Brice Leboucq, Compositeur et Sound designer)

Un autre composant du plaisir musical est le souvenir qui


en résulte. Pour l’expliquer, on peut comparer ce plaisir ressenti
par l’écoute à celui ressenti en mangeant un bon aliment.
«  Autant une brioche me procure du plaisir dans l’instant de
sa consommation, mais rien dans son souvenir  »4 dit Brice

1 « Citations Jim Jarmusch », in Evene [en ligne]


2 MANNES Elena (2008), L’instinct de la musique, documentaire
3 GIULIANI Emmanuelle et al (2009), « Le plaisir musical »
4 Ibid.

41
Leboucq. La brioche ne nous conduit à aucune expérience
introspective alors que la musique est vecteur de souvenir et crée
une sorte d’inassouvissement de l’appétit musical en émettant
des sons qui s’évaporent aussitôt. Le compositeur ajoute : « La
musique, c’est ce qui reste ; c’est le souvenir, c’est un temps
libre, livré à mon bon plaisir. »1

En engendrant des souvenirs, la musique pénètre parfois


plus profondément encore, jusqu’au champ de l’inconscient.
Dans un article du magazine Psychologies (en ligne), Guillaume,
un homme de trente-six ans, explique que la musique le plonge
souvent dans un état de rêve éveillé. Il raconte qu’il était un jour
devant son ordinateur et qu’il a entendu un morceau de Mouse
on Mars. « Cela a provoqué en moi un véritable lash-back, je
me suis revu dans une cour de récréation en Allemagne dans
un état de bien-être profond (...) je n’avais plus ressenti cette
sensation depuis mon enfance. »2
Didier Lauru, directeur du centre médico-psycho-
pédagogique (C.M.P.P.) Etienne-Marcel à Paris, rappelle que la
musique peut agir comme une Madeleine de Proust en nous
renvoyant à certaines harmonies entendues pendant l’enfance et
en nous projetant aussitôt dans l’état d’esprit dans lequel nous
étions alors. Parce que nos émotions s’arriment à des mélodies,
déinitivement et souvent à notre insu. Il ajoute que les arts qui
permettent une telle plongée dans l’inconscient sont rares. La
musique mériterait même, selon l’écrivain Paul Carvel, d’être
la seconde langue obligatoire dans toutes les écoles du monde.

1 Ibid.
2 HELME Benoît (2009), « Les mystérieux bienfaits de la musique », in
Psychologies.com [en ligne]

42
Jean-Marc Chouvel, professeur à l’université de Reims et
auteur d’une thèse sur la théorie de la forme et ses implications
dans la création musicale contemporaine, dit de la musique
qu’elle est un « art du temps »1. Tout moment musical est
éphémère et est écartelé entre deux inconnues, la remémoration
(à quoi cela ressemble-t-il ?) et l’imminence (que va-t-il se
passer ?). En chacun d’entre nous, elle réveille les expériences
et les peurs, les phobies et les désirs. La musique déploie
une logique qui est la logique suprême, celle qui donne la
connaissance du temps.

b. L’attendu et l’advenu

Il semble que pour qu’il y ait plaisir, il faut également de


l’attendu et de l’advenu. Soit ce que je désire ou m’attends à
entendre, et ce qui est difusé. Brice Leboucq l’annonce en
parlant d’un inassouvissement de l’appétit, Jean-Marc Chouvel
en parlant de remémoration et d’imminence. Le plaisir résulterait
donc en partie du va-et-vient entre ces deux pôles diachroniques
de l’écoute musicale. Le compositeur compare ce plaisir à une
ivresse et à un paradis artiiciel. Pour lui, la musique requiert,
comme tout discours, toute pensée ou toute information, une
part de redondance et une part d’ignorance. Il faut qu’il y ait
toujours une part, même minime, de surprise.

Le neuroscientiique Daniel Levitin met également cette


idée en avant quand il parle de l’anticipation des compositeurs.
Les frissons ou les larmes que nous procure la musique seraient

1 CHOUVEL Jean-Marc (2011), « La pulsion esthétique », p. 148

43
le résultat d’une manipulation ingénieuse de nos attentes par
le compositeur et les musiciens. Ils travailleraient à créer une
attente ain de mieux la déjouer par des harmonies inhabituelles,
des attentes rythmiques. Le groupe he Police serait spécialiste
dans la « violation des attentes rythmiques »1.

En jouant avec nos attentes, la musique charme. Selon les


propos de Mozart, la musique peut tout entreprendre, tout oser,
tout peindre, pourvu qu’elle charme et reste enin et toujours la
musique.

c. La molécule du plaisir

Des chercheurs de l’Université McGill de Montréal ont


observé que l’écoute de la musique pouvait provoquer la
sécrétion de dopamine dans le cerveau, une molécule impliquée
dans le plaisir. C'est en menant une étude sur l’efet « jouissif »
de la musique sur l’homme qu'ils ont montré que cet état
de plaisir était bel et bien dû à la sécrétion par le cerveau du
neurotransmetteur (la dopamine). Cette dernière est impliquée
dans le « système de récompense » servant à renforcer certains
comportements indispensables à la survie (alimentation), ou
jouant un rôle dans la motivation (récompense secondaire via
l’argent).
Les résultats révèlent que la dopamine est sécrétée en
anticipation du plaisir lié à la musique écoutée et lors du
«  frisson » de plaisir lui-même. Lors de ce plaisir ultime, la
molécule chimique agit sur le noyau accumbens, zone cérébrale

1 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau, p. 143

44
impliquée dans l’euphorie provoquée par les psychostimulants
comme la cocaïne.

Plaisir abstrait, la musique contribuerait, grâce à la dopamine,


au renforcement des émotions, en faisant appel, comme on l’a
vu précédemment, à des notions d’attente (de la prochaine
note, d’un motif préféré), de surprise et d’anticipation.
On pourrait alors imaginer que la musique, en activant les
même circuits de dépendance que l’envie de manger, pourrait
être un moyen non calorique de se faire plaisir et remplacer le
morceau de chocolat qui nous tente tant.

45
3.
Que se passe-t-il dans le cerveau ?

Les réactions corporelles produites par la musique sont


belles et bien réelles. Il est donc logique de penser que s’il y a
efets physiques, il y a action psychologique. De plus, on a pu
voir comment la musique créait un plaisir grâce à la sécrétion de
dopamine par le cerveau. Il est alors intéressant de comprendre
plus précisément le cheminement qu’emprunte la musique dans
le cerveau en observant les régions cérébrales touchées.

Selon Daniel Levitin, la musique est un produit de


l’évolution. Elle utilise des circuits cérébraux spécialisés et a un
système de mémoire propre.
Autrefois, on croyait qu’il y avait un unique centre de la
musique dans le cerveau, mais les découvertes récentes montrent
que la musique est répartie dans l’ensemble du cerveau. Le fait
de jouer, d’écouter ou de composer de la musique mobilise
presque toutes les zones du cerveau connues ainsi que la quasi-
intégralité des sous-systèmes nerveux.

« Si l’on pouvait voir toutes les zones du cerveau qui


extraient le signal du son pour le transformer en musique,
on assisterait à un feu d’artiice d’impulsions, certaines
coordonnées, d’autres non. C’est une sorte de symphonie
neurale. »1

Le ton est traité par un ensemble de régions neurales. Le


tempo par un autre. L’intensité par un troisième, et le timbre

1 MANNES Elena (2008), L’instinct de la musique, documentaire

46
par un quatrième. C’est après que tout est assemblé. Et cet
« après » représente trente millièmes de seconde.

L’écoute commence dans les structures subcorticales


(noyaux cochléaires, tronc cérébral et cervelet) et remonte vers
les cortex auditifs, de chaque côté du cerveau. Le Morceau de
musique ou le style qu’on connaît sollicite l’hippocampe (le
centre de la mémoire) et plusieurs sections du lobe frontal, en
particulier le cortex frontal inférieur. Battre la mesure active
les circuits rythmiques du cervelet et jouer de la musique ou
chanter active le lobe frontal (le cortex moteur à l’arrière et le
cortex sensoriel. Lire une partition sollicite le cortex visuel (dans
le lobe occipital), écouter et se souvenir de paroles active les
centres du langage (la zone de Broca et Wernicke) et d’autres
centres dans les lobes frontal et temporal. Et enin, les émotions
procurées par la musique sont au coeur des régions réptiliennes,
primitives du vermis cérébelleux et des amygdales.

Parmi les sonorités, certaines sont apaisantes, d’autres nous


efraient. Bien qu’il existe des disparités d’un individu à l’autre,
il semble que nous soyons tous prédisposés à interpréter les
sons d’une certaine manière. Par exemple, un son long avec
une attaque douce sera apaisant alors qu’un son sec, soudain ou
fort sera un signal d’alerte (idée qui se vériie très bien chez les
animaux).

Les vecteurs de base d’émotion musicale seraient donc les


composants de la musique. Dans le livre de Daniel Levitin, il est
expliqué que la hauteur tonale est l’un des principaux vecteurs
d’émotion musicale. Une simple note aiguë peut signiier la joie,
une note grave la tristesse. Le tempo (ou rythme dans le langage
courant) en est un autre. On a par exemple tendance à percevoir
les chansons au tempo rapide comme joyeuses et celles au

47
tempo lent comme tristes. Les changements de volume inimes
jouent quant à eux un rôle essentiel dans la communication des
émotions.

Depuis janvier 2006, une grande partie des spécialistes


français de la musique ont d’ailleurs regroupé leurs savoir-faire
dans un projet inancé par l’Agence nationale de la recherche
(ANR) et intitulé « La spéciicité de la musique : contribution
de la musique à l’étude des bases neurales et cognitives de la
mémoire humaine et applications thérapeutiques »1. En efet,
étudier la musique sous le rapport de la biologie permet, au-
delà des enseignements musicaux, de mieux saisir comment
fonctionne le cerveau.

1 OLIVIER Aude (juin 2007), « La symphonie neuronale », in CNRS


[en ligne]

48
4.
La musique : un désir, un besoin, une
pulsion ?

Dans un passage de son ouvrage, Daniel Levitin pose une


question qui m’a interpellée.

« Écouter de la musique revient-il à manger quand on


a faim, c’est à dire à satisfaire un besoin ? Ou bien est-ce
plutôt comme admirer un coucher de soleil ou recevoir un
massage, ce qui déclenche un mécanisme de plaisir sensoriel
dans le cerveau ? »1

J’ai voulu réléchir à cette interrogation en me demandant


si la musique était plutôt liée à un désir, une pulsion ou un
besoin. Un désir est une aspiration profonde de l’homme vers
un objet qui répond à une attente. Il peut être une aspiration
instinctive ou une tendance consciente de l’être vers un objet ou
un acte déterminé qui comble une aspiration profonde (bonne
ou mauvaise) de l’âme, du cœur ou de l’esprit.
Une pulsion et une force biopsychique inconsciente créant
dans l’organisme un état de tension propre à orienter sa vie
fantasmatique et sa vie de relation vers des objets et suscitant
des besoins dont la satisfaction est nécessaire pour que la tension
tombe. La pulsion est immédiate alors que le désir est prospectif.
Il est donc représentation volontaire. Il a son fondement dans le
sujet conscient. C’est pourquoi il n’y a pas à proprement parler
de désir inconscient, mais seulement des pulsions inconscientes.
Désir et pulsion ont tout deux le plaisir pour inalité mais le

1 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau

49
désir a une inalité toujours supérieure au seul plaisir. Le désir
est volonté, c’est-à-dire faculté d’agir conformément à une
certaine représentation du réel.
Enin, selon le dictionnaire en ligne du CNRTL, un besoin se
déinit par une situation de manque ou une prise de conscience
d’un manque.
Sans vraiment répondre complètement à cette question,
voici quelques exemples d’auteurs qui ont pu y réléchir.
Nietzsche dit que « sans la musique, la vie serait une
erreur  ». Peut-on alors considérer que la musique soit un
véritable besoin  ? Comme celui de manger ou de dormir ?
Pour essayer d’y répondre, on peut aussi se demander : peut-
on vivre sans loisirs ? Ou sans l’Art ? La musique serait-elle un
élément indispensable ? Si l’on se réfère à Platon qui considère
la musique comme base indispensable de toute culture et de
toute éducation ou plus généralement aux Grecs qui associaient
la musique à la science, alors il semble naturel de répondre oui.
Pourtant, on peut vivre sans musique, celle-ci n’est pas
un élément nécessaire à la vie, si l’on parle de la vie au sens
physiologique. Donc la musique n’est pas un besoin à
proprement parler, mais peut le créer en engendrant du désir.
Platon parle de la notion de désir comme émotion négative,
primaire, quand il aborde les deux sortes de musiques qui
existent selon lui.1 La première est la musique relet de l’ordre
cosmique qui dispose au Bien, à la fois par son action calmante
sur les humeurs et par l’appel du sentiment esthétique. Elle ne
crée pas de désir au sens passionnel. L’autre musique au contraire
excite les passions et s’enferme dans une esthétique repliée sur
les désirs et les émotions primaires, et qui, par là, ouvre la porte
au Mal, dans l’individu comme dans la cité. Ce Mal, c’est

1 COLLIN Dominique, « Platon et la musique », in Encyclopédie de l’Agora


[en ligne]

50
l’ignorance arrogante, celle qui se croit connaissance, puis le
manque de courage, l’absence de volonté et leur conséquence,
l’intempérance. Ce Mal entraîne inévitablement le relâchement
des lois et la corruption de l’ordre dans la cité qui glisse alors
vers la tyrannie. Cette musique qui crée du désir et conduit
l’Homme vers un état primaire est mauvaise pour Platon.
La musique comme objet de désir est décrite par Homère
dans l’épisode des Sirènes dans L'Odyssée. En charmant celui
qui l’écoute, elle l’attire vers l’inconscience, vers un état d’oubli
du réel.

« Or, quiconque a l’imprudence d’approcher des Sirènes


et d’écouter leur voix, ne voit plus jamais, à son retour au
foyer, sa femme et ses petits enfants se tenir près de lui et
l’accueillir avec un coeur heureux. Mais alors les Sirènes le
charment par leur chant mélodieux. Elles sont assises en un
pré, et l’on voit autour d’elles un grand amas d’ossements
humains, de corps décomposés dont la peau se dessèche.
Passe sans t’arrêter ; amollis de la cire douce comme le miel
et enduis les oreilles de tes compagnons, ain qu’aucun d’eux
ne puisse les entendre. (...) Ainsi chantaient les Sirènes, en
déployant la beauté de leur voix. Mon coeur était rempli du
désir d’écouter. »1

Selon l’auteur de « La pulsion esthétique », Jean-Marc


Chouvel, c’est par la musique que nous avons « l’accès le plus
intime et le plus formidable au continent invisible et mouvant
des circonvolutions de notre psyché. »2 Il ne parle donc pas
seulement du désir créé par la musique, mais d’une véritable
pulsion, inhérente à ce désir. Cette pulsion, il l’explique par

1 CHOUVEL Jean-Marc (2011), « La pulsion esthétique », p. 152


2 COLLIN Dominique, « Platon et la musique », in Encyclopédie de l’Agora
[en ligne]

51
la capacité de la musique de réveiller l’animalité qui est une
part de notre devenir. Elle serait une pulsion invocante. Dans
la mythologie, Néanthe, il du tyran de la ville de Lesbos, a
voulu jouer la lyre d’Orphée échouée sur le rivage de l’île et
transportée dans le temple. Mais il fut dévoré par des chiens que
la musique avait attirés. Alors les dieux (Apollon et les muses)
décidèrent de faire de la lyre une constellation et de l’éloigner à
jamais du monde des humains. Sa musique créait des pulsions
qui pouvaient s’avérer dangereuses.

52
5.
Quelle utilisation des propriétés émotionnelles
de la musique aujourd’hui ?

« Si la musique ne te donne pas l’envie


de baiser, de boire, de danser, de
pleurer, c’est de la merde. »1
(Richard Hawley)

L’importance de la musique dans la culture actuelle et de


son action émotionnelle est visible à travers les événements qui
lui sont liés. Les exemples sont nombreux. Les victoires de la
musique, qui existent depuis 1985, récompensent les artistes
les plus talentueux. La fête de la musique, une manifestation
presque universelle à l’initiative de Jack Lang, est une façon
de promouvoir la musique, d’échanger des émotions et des
sensations entre le public et les musiciens. Elle est également
l’occasion d’une grande liesse populaire. De nombreux festivals
tels que les Eurockéennes de Belfort, les Francofolies de la
Rochelle, ou encore le festival des Vieilles Charrues à Carhaix
(en Bretagne), permettent de découvrir des musiques de
divers horizons. Ces manifestations sont souvent l’occasion
d’écouter des « bœufs » (nom donné par les musiciens à ces
moments d’improvisation collective) générant de part et d’autre
la possibilité de s’ouvrir, de communiquer et de partager des
sensations.

1 HAWLEY Richard cité par KAGANSKI Serge, « Truelove’s Gutter », Les


Inrocks, le 09 octobre 2009 [en ligne]

53
L’importance de la musique est également visible dans
l’augmentation sensible de la production et l’invention
d’instruments, presque interrompues depuis trois siècles.1
Enin, d’après Daniel Levitin, les américains dépensent plus
d’argent pour la musique que pour le sexe ou les médicaments  !
Le prix de deux billets de concert peut facilement atteindre le
budget hebdomadaire consacré à la nourriture par une famille
de quatre personnes et un CD coûte presque autant qu’un
T-shirt ou 20 baguettes de pain.

Une des raisons qui expliquerait pourquoi les gens sont


tellement attirés par la musique enregistrée de nos jours serait
due, d’après Daniel Levitin, aux efets créés par les ingénieurs
du son et les musiciens. Des efets qui stimulent notre cerveau
en exploitant des circuits neuronaux que l’évolution a spécialisés
dans la reconnaissance de certaines caractéristiques essentielles
de notre environnement sonore.

Dans la communication et le marketing, le pouvoir


émotionnel de la musique est exploité par les publicitaires et
les cinéastes pour induire des états hédoniques. « La musique
manipule nos émotions  »2, dit Daniel Levitin.
Un exemple extrême de l’utilisation du son pour induire
un état particulier est la répression acoustique. Le son devient
une arme pour maintenir l’ordre. À la in des années 2000,
des articles ont été publiés sur le sujet. On parle de la musique
employée comme moyen de torture dans les prisons de la CIA,

1 NICOLLET Gérard, BRUNOT Vincent (2004), Les chercheurs de sons,


p. 9
2 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau, p. 20

54
de l’emploi d’un nouveau type d’arme « non létale »1 dans les
manifestations, le LRAD (Long Range Acoustic Device), vite
labellisé canon à son par les médias, de l’usage du Mosquito, un
émetteur de très hautes fréquences, pour chasser les indésirables
de certains endroits. D’après l’auteur du livre Le Son comme
arme, Juliette Volcler, c’est depuis la guerre du Vietnam que
le son devient en tant que tel un instrument de combat. Dans
une interview, elle donne l’exemple de l’épisode Noriega, en
1989, où le général panaméen est bombardé de hard-rock par
les haut-parleurs de l’armée américaine. Elle explique que les
dispositifs utilisés sont eicaces parce qu’ils sont insupportables
et dangereux pour l’oreille. Leur atout considérable réside
dans le mélange de fascination et de peur qu’ils suscitent,
largement alimenté par l’absence d’informations étayées sur
leur fonctionnement.
On peut aussi citer un autre exemple singulier, les « drogues »
sonores, qui consistent à écouter une musique pour se plonger
dans un état particulier. On trouve sur Internet le logiciel
I-doser, qui permet de charger des « doses » de drogues auditives.
Ces « drogues » émettraient certaines fréquences sonores, qui
activeraient des hormones du cerveau, et permettraient de
générer des états diférents selon les sons écoutés (sensations
de plaisir ou même d’orgasme, hallucinations, relaxation).
Le téléchargement de ces cyberdrogues étant légal, il séduit de
nombreux adolescents. Pourtant, ce phénomène venu des Etats-
Unis est contesté. Selon la Mission interministérielle de lutte
contre la drogue et la toxicomanie, les efets de ces « drogues »
n’auraient pour l’instant pas été réellement prouvés.
Enin, pour illustrer l’importance de la musique aujourd’hui,

1 SIMBILLE Ludo (10 octobre 2011), « Répression acoustique : quand le


son et la musique deviennent des armes de maintien de l’ordre », in Association
Alter-médias - Basta [en ligne]

55
on peut parler une fois encore de la musicothérapie, activité qui
tend à se développer et qui utilise les propriétés thérapeutiques
de la musique pour soigner. Véritable métier, la musicothérapie
est basée sur une analyse psychologique des patients. En
fonction de cette analyse et selon les besoins décelés, le
musicothérapeute choisit une manière d’utiliser la musique. Il
peut proposer une écoute au patient qui s’allonge et ferme les
yeux, choisir de faire participer le patient par la manipulation
d’un ou plusieurs instruments ou créer un échange sonore entre
plusieurs personnes par le biais de percussions.

Les comportements et usages actuels de la musique semblent


montrer qu’elle a toujours une importance particulière. Daniel
Levitin dit : « La musique et la danse sont (...) une garantie
de bonne santé physique et mentale, voire de iabilité et de
sérieux (puisque l’expertise requiert une certaine forme de
concentration)  »1. Pourtant, toutes les croyances développées
autour de ses pouvoirs n’ont plus leur place aujourd’hui.
Omniprésente, la musique questionne peu. On s’intéresse
rarement à ses propriétés thérapeutiques (qui sont pourtant à
la base d’un véritable métier). De ce fait, les musicothérapeutes
ont aujourd’hui à coeur de communiquer ces propriétés en
revenant aux qualités de base de la musique.

Après cet état des lieux de la musique à travers l’histoire,


les croyances, la science, quelques idées de penseurs et ses
efets physiques et psychologiques, j’ai voulu continuer ma
rélexion en m’interrogeant sur les diférents rôles que revêt la
musique dans notre société actuelle. En m’attardant sur trois
approches de la musique - un outil social, identitaire et relaxant

1 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau, p. 308 - 309

56
- je me suis demandé en quoi celle-ci, dans une société où les
comportements individualistes et le stress semblent s'accroître,
pourrait-elle être considérée comme un vecteur de mieux-vivre ?

57
III.
Auourd'hui, mieux vivre en musique
« L’essentiel n’est pas de vivre, mais de
bien vivre. »1
(Platon)

Selon le dictionnaire du CNRTL, le « mieux-vivre » est une


amélioration de l’état matériel ou moral, un accroissement du
bien-être. En parlant de mieux-vivre, j’aborde les notions de
détente, de rassemblement, de socialisation et d’identité. Après
avoir vu que la musique stimulait les zones du plaisir dans le
cerveau, on peut dire sans grande hésitation qu’elle peut amener
à un certain mieux-vivre.
Deux chercheurs de l’université de Genève, les professeurs de
psychologie Klaus Scherer et Marcel Zentner, ont planché durant
huit ans sur cette question. Ils ont demandé à des centaines de
mélomanes de décrire les émotions qu’ils ressentaient lorsqu’ils
écoutaient leur répertoire favori. Leur enquête a permis de
répertorier neuf émotions : l’émerveillement, la puissance, la

1 PLATON, Apologie de Socrate et Criton

61
nostalgie, la transcendance, le calme, la joie, la tendresse, la
tristesse et l’agitation. Des sentiments comme la culpabilité, la
honte ou le dégoût n’étaient jamais évoqués.
Ce mieux-vivre s’exprime de multiples façons à travers la
musique. Celle-ci devient parfois un exutoire. « Nous projetons
nos tensions désagréables dans la mélodie au lieu de nous en
vouloir ou d’en vouloir aux autres »1, explique Édith Lecourt,
psychanalyste et musicothérapeute.
Elle est aussi une Muse, inspirant de nombreux créateurs ou
chercheurs. Edith Lecourt, qui trouve souvent de nouvelles idées
de recherches en écoutant de la musique, parle carrément d’une
forme de pensée diférente qu’elle compare à une respiration.
Elle contribue à l’éveil, ouvrant un espace où les émotions
ressenties sont susceptibles d’élargir notre champ de pensée. Le
psychologue et musicothérapeute Alfred Tomatis, par exemple,
aurait observé lors d’une étude que ses étudiants avaient amélioré
leurs scores de neuf points à un test de quotient intellectuel
après avoir écouté, pendant dix minutes, la Sonate pour deux
pianos en ré majeur de Mozart.
Dans cette dernière partie, je souhaite montrer, d’une part,
le besoin d’exister, de se rassembler, de partager et de se détendre
dans une société de proit, de vitesse, d’individualisation et
d’eicacité, et d’autre part, de quelle manière la musique peut
proposer une réponse à ces besoins.

1 HELME Benoît (2009), « Les mystérieux bienfaits de la musique », in


Psychologies.com [en ligne]

62
1.
Créer du lien

a. Une société qui s’individualise

Dans son PPH1 pour l’INSA de Lyon, Alexis Métais


donne deux déinitions de l’individualisme. Au sens politique,
l’individualisme est une conception de la société dans laquelle
l’individu constitue la valeur centrale et qui favorise son initiative
et son indépendance. Au sens sociologique, l’individualisme
est un processus d’émancipation au cours duquel l’individu
devient autonome et s’afranchit des règles et des normes
issues de la conscience collective. Il est important de noter que
l’individualisme, même du point de vue sociologique, n’est pas
un processus qui détruit la société au proit de l’individu, mais
qui conduit à la formation d’une nouvelle société dans laquelle
l’individu a une place centrale.
Cette individualisation de la société se vériie d’abord dans
la culture de la réussite individuelle et de l’épanouissement
personnel dont la société moderne fait l’éloge. Dominée par
le dogme de la performance, elle pousse l’individu à élaborer
des stratégies d’actions individuelles pour se distinguer dans un
milieu concurrentiel. Le bouleversement des modèles anciens est
une autre facette de cette individualisation. Comme nous l’avons
vu dans la déinition, dans un processus d’individualisation

1 Le PPH ou Projet Personnel des Humanités, est un exercice demandé à


l’INSA qui consiste en une rélexion personnelle qui doit permettre de revenir
sur une expérience que l’étudiant a eu ou d’explorer une curiosité qui l’habite
dans des domaines non techniques.

63
l’individu se libère de l’emprise des institutions, s’afranchit
des normes et des règles collectives pour efectuer ses propres
choix de vie. Il en résulte que chaque individu peut choisir
librement son mode de vie, agir comme il l’entend, il y a donc
un bouleversement du modèle familial.
Seulement, en s’afranchissant des modèles anciens et en
gagnant une liberté de choix, l’individu se retrouve de plus en
plus seul. La solitude, corollaire d’une plus grande liberté, est
une des conséquences de l'individualisation et peut être parfois
diicile à supporter. C’est ce qu’Alain Ehrenberg appelle « la
fatigue d’être soi »1, identiiée comme la crise de l’être moderne.
Une fragilité qui se traduit par l’augmentation du stress et de la
dépression. Alexis Métais explique qu’aujourd’hui, « des individus
essayent de retrouver ces structures de la société traditionnelle,
en recherchant plus de convivialité, en recréant l’ambiance de
village à travers des repas de voisinage ou le développement de
marchés locaux »2. Selon lui, le désengagement de l’individu dans
la vie publique illustrerait la crise des démocraties modernes.
Il cite Alexis De Tocqueville, auteur de De la démocratie en
Amérique (1840), qui analyse l’individualisme comme un repli
sur la sphère privée et un abandon de la sphère publique et de la
participation à la vie de la cité.
Cependant, des exemples symboliques peuvent être exposés,
et qui, sans prouver une évolution contraire, nuanceront l’idée
d’une société complètement individualiste. On ne peut nier par
exemple le caractère collectif du développement de l’écologie,
qui correspond à une gestion globale des ressources et une

1 FABRY Philippe, « Fiche de lecture du livre de Alain Ehrenberg : La fatigue


d’être soi, dépression et société », in site Internet de Philippe Fabry - Pour la
formation en travail social [en ligne]
2 METAIS Alexis (2010), « Pourquoi la société moderne devient-elle plus
individualiste ? »

64
préservation de l’habitat collectif. De même que l’écologie, les
événements liés à la musique ont bien souvent ce même caractère
collectif. La fête de la musique ou les festivals musicaux tels les
Eurockéennes de Belfort ou les Francofolies de la Rochelle sont
des moments de regroupement, de partage, d’échanges où les
gens sont unis par un même sentiment d’exaltation et d’ivresse.

b. La musique et son rôle social

« Si tu veux contrôler le peuple,


commence par contrôler sa musique. »1
(Platon)

Ces événements culturels - moments musicaux communs


autour desquels les gens se regroupent - témoignent du besoin
qu’ils ont de se rassembler et de partager. La musique, comme
je l’ai démontré dans les parties précédentes, est un réel outil
de rassemblement, d’expression, d’échange et de partage. En
générant une communication non verbale, plus accessible et
plus maniable, elle crée une sorte d’échange, de discussion par
les sons. Pour la musicothérapeute Virginie Pape, « la musique
est un vecteur de communication, un langage avec ses codes et
sa syntaxe »2.
Virginie Pape ajoute ensuite que la musique a une fonction
sociale en premier lieu. En créant du lien, ce langage non verbal
socialise. Idée reprise par le neuroscientiique Daniel Levitin,

1 PLATON, citation extraite de La République, in Evene [en ligne]


2 PAPE Virginie (2011), Les musiques de la vie, p. 20

65
qui cite dans son livre les psychologues John Tooby et Leda
Cosmides. Ceux-ci airment que la musique a pour fonction de
préparer l’enfant à des activités sociales et cognitives complexes.
Daniel Levitin précise que le fait de jouer ensemble rapproche
selon lui indéniablement les individus.

« L’homme est un animal social, et la musique peut


avoir eu pour fonction d’encourager le rassemblement et
la synchronisation. (…) Les humains ont besoin de liens
sociaux pour faire évoluer la société : la musique en fait
partie. »1

En parlant de la musique comme outil de lien social et de


rassemblement des individus, on ne peut ignorer la notion de
solidarité. Platon pensait en efet qu’elle favorisait la solidarité
dans la cité en fournissant un cadre et une esthétique à l’action
commune, sur le plan cérémonial, liturgique ou guerrier.

Le lien social est une chose importante pour vivre bien. En


efet, à la question peut-on vivre seul ?, la réponse est évidemment
non. Même si la solitude n’est pas nécessairement un mal, on ne
peut vivre en total retrait de la société à laquelle on est toujours
lié d’une manière ou d’une autre. La musique, outil social, peut
favoriser ces liens. Pour l’illustrer, Virginie Pape explique une
expérience qu’elle a menée avec des personnes âgées ou atteintes
de dégénérescences nerveuses pour comprendre quels impacts
avait la musique sur ces personnes. Après plusieurs années
d’observations, de protocoles d’application, à travers des ateliers
de musique et de chant en gérontologie et en soins palliatifs,
elle tire plusieurs conclusions de ses recherches. D’abord, pour
les personnes atteintes de dégénérescences ou de traumatismes,

1 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau, p. 314

66
la musique constitue un élément de soulagement et de soutien.
Elle permet d’entretenir une activité intellectuelle, de travailler
la mémoire et de mieux vivre au quotidien. Ensuite, l’un des
constats qui ressort et celui qui m’intéresse particulièrement
ici, est l’idée que la musique permet aux personnes âgées de
conserver des liens sociaux et ainsi, de limiter leur glissement
vers une situation de plus en plus négative. En revêtant le rôle
d’accompagnateur, la musique serait « un tuteur d’acceptance »1,
une façon d’apprendre à mieux vivre avec sa vieillesse, sa maladie
ou son accident. Pour insister sur son rôle social, Virginie Pape
la décrit comme un cheminement vers l’autre, avec les autres,
« une rencontre »2. En fait, selon elle, tout dans la musique est
interaction.
Chez les jeunes, la musique est également un moyen de
lutte contre la solitude. Elle brise le face-à-face avec soi-même
qui peut être générateur d’angoisse, en particulier chez les
adolescents. Le sociologue Michel Fize parle de cette génération
d’adolescents, dont « on a l’impression qu’ils naissent avec
une partie de leur cerveau formatée pour l’écoute musicale »3.
Cette boulimie de musique ferait partie à présent de la nature
adolescente.

Le rôle social de la musique est autant visible dans des


moments simples de la vie quotidienne que lors d’événements
importants. Reprenons l’exemple de l’Afrique, où de nombreux
peuples ont conservé dans leurs traditions l’utilisation du
chant pour accompagner les moments clés de la vie sociale :

1 Article «Nouveauté livre » (décembre 2011), « Et si la musique aidait à


mieux vivre », in Infoculture.com [en ligne]
2 PAPE Virginie (2011), Les musiques de la vie, p. 25
3 FAVENNEC Oanna (juin 2010), « Adolescents : la vie en musique ! », in
Internet sans craintes [en ligne]

67
naissances, deuils, jeux, prières, travaux, guerres, amour. La
musique est présente non seulement comme vecteur participatif
au rassemblement mais aussi comme canal informatif sur la
nature du rassemblement. Chez plusieurs peuples, la musique
traditionnelle est si diversiiée que chaque rythme est empreint
d’une valeur symbolique. Par exemple, quand l’occasion est
festive comme pour le mariage ou la nomination d’un nouveau
né, les premiers sons du tam-tam le font savoir. De même pour
le deuil. C’est également la musique qui annonce les étapes du
déroulement des cérémonies.
Chez les Moba du Togo par exemple, toutes les étapes
d’une cérémonie funéraire depuis l’annonce de la mort jusqu’à
l’enterrement et les autres manifestations qui vont suivre jusqu’à
la sortie de deuil, sont ponctuées par des rythmes diférents qui
les annoncent et les symbolisent. Lorsqu’on est à l’étape du
lavement d’un cadavre par exemple, tout le monde l’apprend
au son du tam-tam. C’est la même chose pour les cérémonies
d’initiation, de mariage, de sacriice… On peut ainsi suivre à
l’oreille toutes les étapes d’une cérémonie traditionnelle.1
« Étant du son organisé, (la musique) exprime des aspects de
l’expérience des individus en société »2, explique John Blacking
dans Le sens musical. Mise en forme d’un partage, elle uniie des
groupes et contribue à leurs mobilisations.

En ethnomusicologie, on étudie justement les relations qui


unissent l’anthropologie – l’étude des groupes humains – à la
musicologie – l’étude des structures sonores appelées musique.
L’ethnomusicologue Anthony Seeger s’est attaché à démontrer

1 DAMOMÉ Étienne (2008), « Musique et religion en Afrique », in Aiavi


[en ligne]
2 BLACKING John (1980), Le Sens musical, Paris, Les Éditions de Minuit,
coll. « Le sens commun », p. 101

68
dans quelle mesure la musique participe de la vie sociale.
Selon lui, «  une ethnomusicologie qui concilierait l’étude
des représentations musicales et une conception de la société
en tant que représentation collective enrichirait sensiblement
la recherche musicologique, mais aussi l’étude des groupes
humains »1.
Martin Strokes, professeur de musique et chercheur au
King’s College de Londres, met en avant cette idée lorsqu’il
dit que la musique concentre et condense les relations sociales,
qu’elle en est le produit.

« (...) ces relations se présentent à nous sous formes


objectivées et compressées et ont un impact sur notre corps
et notre esprit. Ce que la musique nous apprend sur nous-
même a un sens social et contribue pour une grande part
à déterminer notre façon d’agir dans le monde, dans un
rapport aux autres. »2

En parlant de la musique et de son rôle social, j’ai évoqué


brièvement l’idée qu’elle était parfois perçue comme un
véritable langage, un outil de communication accessible à tous.
« On ne comprend pas toutes les langues, mais tout le monde
est sensible à n’importe quelle musique : un Européen à celles
d’Asie, et même d’Afrique et d’Amérique »3 dit Claude Levi-
Strauss.
Jean-Jacques Rousseau était passionné de musique. Ainsi,

1 SEEGER Anthony (2004), « Chanter l’identité, musique et organisation


sociale chez les Indiens Suyá du Mato Grosso (Brésil) », L’Homme
2 STOKES Martin (2004), « Musique, identité et "ville-monde" », L’Homme,
n° 171-172, mars 2004, p. 371 - 388, in Cairn.info [En ligne]
3 Levi-Strauss (1993), cité par AUBERT Laurent (2007), « Le goût musical,
marqueur d’identité et d’altérité », Cahiers d’ethnomusicologie [en ligne], p.29
- 38

69
il publia plusieurs écrits traitant de ce sujet. Dans l’Essai sur
l’origine des langues, Rousseau prend la musique non seulement
pour une suite de sons agréables à l’oreille, mais aussi pour une
sorte de langue qui se sert des sons comme signes. Il souligne
l’aspect moral qu’il y a dans la musique, ce qui permet de la
comparer avec le discours.
Pour Hegel, tous les sentiments particuliers qu’exprime la
musique - toutes les nuances de la joie, de la sérénité, de la
gaieté spirituelle et capricieuse, l’allégresse et ses transports, tous
les degrés de la tristesse et de l’anxiété - deviennent les domaine
propre de l’expression musicale.
Enin, Virginie Pape ne considère pas seulement la musique
comme un langage à part entière, mais l’envisage comme
un véritable « matériau de construction »1, de création et de
récréation. Un matériau qui, lorsqu’il est manipulé à plusieurs,
rassemble autour de constructions communes.

Aujourd’hui, le partage de musique, pratique de plus en


plus courante grâce aux plates-formes d’échanges d’Internet,
est un exemple intéressant de l’évolution du rôle social de
la musique, qui va dans le sens de l’émergence des pratiques
collaboratives. Antonin Léonard, auteur de l’article « Partage,
P2P… bienvenue dans l’économie collaborative! » sur le site
OWNI met en avant la croissance des pratiques collaboratives
qui seraient une véritable alternative à une société propriétaire.
« Pourquoi acheter et posséder alors que l’on peut partager
semblent dire des millions d’individus. »2 Selon l’auteur,
l’économie du partage se propage et, sans que nous nous en

1 PAPE Virginie, Les musiques de la vie, p. 26


2 LEONARD Antonin (2011), « Partage, P2P… bienvenue dans l’économie
collaborative! », OWNI [en ligne]

70
rendions forcément compte, nous nous mettrions donc à moins
posséder, à privilégier l’usage et à partager davantage. Il en est de
même pour le partage de musiques. On crée des échanges, sans
pour autant être possesseur des morceaux partagés, on privilégie
l’écoute, la découverte musicale, plutôt que l’appropriation.
Ces échanges entre individus ont favorisé le développement
du système Peer to Peer1. On pourrait presque comparer ces
échanges à de réelles discussions (j’aime cette musique, je la
propose à tous, je cherche une chanson particulière, ...).

Pour prendre le contrepoint de l’idée que la musique en tant


qu’outil social est forcément positive et pour montrer qu’elle ne
conduit pas nécessairement vers un mieux-vivre, même si elle
semble être une solution très favorable, j’ai voulu citer Kant, qui
relègue la musique au dernier rang des Beaux-Arts, considérant
les arts visuels comme beaucoup plus nobles.

« [La musique] produit une agréable jouissance personnelle. En


revanche, (...) on peut imputer à la musique un certain manque
d’urbanité, car (...) ses efets dépassent la limite qu’on voudrait leur
assigner (et s’étendent jusqu’au voisinage), et elle s’impose en quelque
sorte, portant préjudice à ceux qui n’appartiennent pas à la société
de musique ; ce qui n’est pas le cas des arts qui s’adressent à l’œil,
puisqu’on peut toujours détourner son regard (…). Ceux qui ont
recommandé qu’on chante des cantiques à l’occasion des dévotions

1 Le « Peer to Peer » (P2P) désigne un système d’échange de ichiers entres


les internautes qui ne passent pas par l’intermédiaire d’un serveur central
de stockage. Les services «P2P» s’appuient donc sur des réseaux formés par
l’ensemble des ordinateurs personnels des utilisateurs connectés à Internet
à un instant donné, et qui permettent des échanges souples de ichiers. Ils
permettent de télécharger les ichiers directement sur l’ordinateur d’un autre
internaute et non plus sur le serveur d’un site Web.

71
domestiques n’ont pas réléchi à la pénible incommodité que ces
exercices bruyants font subir au public... »1

1 NEMO Philippe, « Les philosophes et la musique », in Contrepoint


philosophique [en ligne]

72
2.
La musique pour marquer son identité
(laisser sa trace en musique)

« La musique est ininie, elle est le


langage de l’âme »1
(Otto Klemperer)

En parlant de l’aspect identitaire de la musique, je m’attarde


ici sur ce besoin actuel notoire de laisser sa trace, de s’identiier
pour exister et je cherche à montrer que la musique est un outil
d’identiication.

a. La musique utilisée depuis longtemps comme


marqueur d’identité collective

L’identité d’une nation, d’un peuple, d’un lieu est


souvent marquée par la musique. Les hymnes nationaux en
sont l’exemple le plus frappant. En entraînant, motivant et
rassemblant, la musique exalte un sentiment d’appartenance
nationale. Que pourrait-on utiliser de mieux pour débuter une
rencontre sportive et pour dire je représente ce pays pour lequel
je joue ?
Les marqueurs de l’identité qui retiennent l’attention des
sociologues sont couramment les appartenances ethnique,

1 Citation de Otto Klemperer (1885-1973), chef d’orchestre allemand

73
territoriale, religieuse et linguistique. Ces derniers remarquent
que le besoin de se doter d’une image sonore symbolique
est propre aux nations jeunes ou sujettes à de profondes
transformations. Ce fut le cas, par exemple, de l’Afghanistan à
la in du XIXe siècle, de la Turquie post-kémalienne, de l’État
d’Israël ou de Trinidad.
Pour certains groupes, la musique est un réel moyen
d’identiication. Les Roms, bohémiens, romanichels et gitans,
considérés comme des collectivités itinérantes et de passage et
communément appelées gens du voyage, se déplaçaient d’un
pays à l’autre. La vie moderne et la politique les ont obligés
à se sédentariser de plus en plus. Étrangers un peu partout,
rejetés dans des ghettos, marginalisés, la musique et la danse
ont été pour certains, comme les tziganes, leur source première
d’identiication.
Elle est également un puissant marqueur identitaire dans
les nouveaux États d’Asie centrale. Les empereurs chinois
marquaient leur accès au trône par un changement de diapason
à une époque où les Pythagoriciens considéraient que les
changements afectant les modes avaient nécessairement des
répercussions sur les lois de l’État. En Asie intérieure, où le
brassage des peuples et des genres musicaux est moins profond
qu’en Europe occidentale, la musique et la langue participent
davantage du sentiment identitaire et communautaire. À l’issue
d’un concert de musique traditionnelle, et d’autant plus s’il
touche une diaspora, les auditeurs reconnaissent qu’ils se sont
sentis « vraiment ouzbeks  », « vraiment afghans »1, ou autre.
L’instrumentalisation de la fête va beaucoup plus loin avec le
Nouvel an chinois, où les cinquante-trois minorités du pays

1 DURING Jean (2011), « Tradition musicale, identité et nationalisme en


Asie centrale », Cahiers d’Asie Centrale, 2011, p. 369 - 379, in Revue.org [en
ligne]

74
déilent dans la capitale en chantant et dansant sur leurs propres
airs traditionnels. Expression des identités, peut-être, mais dans
des limites habilement déinies : quelle que soit la langue de la
minorité (tibétain, ouïgour, sibo, mongol ou tatar), les chants
sont tous en mandarin.

En tant qu’outil d’identité collective, la musique joue un


double rôle d’ornement symbolique du pouvoir et d’expression
d’un esprit du peuple.

b. La musique : un marqueur d’identité


individuelle ?

Reprenons les paroles du psychologue Michel Fize,


précédemment cité. Celui-ci précise, après avoir parlé de la
boulimie de musique chez les jeunes, que « l’aichage de ses
goûts musicaux devient un vecteur d’expression de soi, de son
identité »1. Pour Virginie Pape, la musique, le son et la vibration
sont des liens identitaires.
De par son rôle social, qui en fait un moyen d’expression
à part entière, la musique peut devenir un outil identitaire
individuel.

« Ne serait-ce que parce que la musique est un moyen


d’expression et de communication : elle permet d’exprimer
librement l’homme, de manière toujours plus novatrice
en même temps qu’elle utilise des codes et des critères
esthétiques admis ou à faire admettre par ses destinataires. Il

1 FAVENNEC Oanna (juin 2010), « Adolescents : la vie en musique ! », in


Internet sans craintes [en ligne]

75
en émane ainsi une identité musicale, culturelle, sociale ou
plus simplement personnelle, au sens large où l’entendent
les psychologues, c’est-à-dire une identité que l’on peut
assimiler au système de sentiments et de représentations par
lequel le soi se spéciie et se singularise »1

Aujourd’hui, ce besoin de marquer son identité se manifeste


fortement dans le développement du virtuel avec les réseaux
sociaux et les blogs, où l’on peut bénéicier de pages personnelles
et donner des informations sur nos goûts, nos parcours, nos
voyages et même notre quotidien.
Pour expliquer le développement des traces identitaires
virtuelles, le psychiatre Jean- Paul Mialet, explique que l’ère
du numérique ne change rien au besoin humain de laisser une
trace mais qu’elle apporte des éléments nouveaux, culturels et
techniques. « Elle fait de nous des individus noyés dans la masse
d’une planète interconnectée, plus jaloux de préserver leur
identité de leur vivant, et de laisser des traces de leur existence
dans leur futur. »2

Le goût musical est un excellent moyen de marquer une


part de son identité. Il exprime des ainités et des tendances de
l’individu ; mais il manifeste aussi des appartenances, que celles-
ci soient imposées par l’environnement socioculturel ou choisies
plus ou moins librement. Il regroupe les musiques procédant
de ses acquis et de ses options, de ce qui constitue sa culture

1 TAP Pierre cité par CAPITOLIN Jean-Louis (1996), « Politique culturelle


et identité : l’expérience de la formation musicale du SERMAC », in Musique
et politique : Les répertoires de l’identité, sous la direction d’Alain Darré,
Rennes, PUR, p. 149
2 MIALET Jean-Paul (janvier 2013), « Passed-on : comment expliquer notre
obsession à vouloir laisser une trace après notre mort ? », in Atlantico [en ligne]

76
personnelle à un moment donné de son existence et aiche des
choix et des orientations de nature diverse (esthétique, politique,
intellectuelle, spirituelle…) dont les fondements ne sont pas
toujours conscients. Il comporte aussi des réminiscences plus
ou moins assumées, qui font que telle ou telle musique demeure
associée à tel penchant ou à tel souvenir.

S’identiier à un genre de musique peut alors permettre de


se rassembler entre gens de même goûts musicaux ou de mêmes
origines. Cela se vériie notamment au sein des communautés
d’émigrés, pour qui la musique en tant que valeur-refuge
apparaît comme un des moyens les plus eicaces de réunir les
gens de même origine. Ce « partage de nostalgies »1 contribue
à souder le groupe autour de l’image sonore d’une mère patrie
idéalisée, dont la musique constitue un symbole indiscuté.

« Elle aide l’individu à construire sa personnalité d’exilé


en airmant son sentiment d’appartenance, en nouant des
liens de solidarité et en l’aidant à communiquer avec ses
semblables sur une base consensuelle et sécurisante. Et en
même temps, la musique – sa musique – lui fournit une
monnaie d’échange avec l’autre – celui qui ne partage
pas ses références – dans la mesure où elle est un mode
d’expression non conlictuel parce que non discursif, où les
particularismes culturels peuvent s’exprimer librement et
être perçus comme valorisants. »2

Le directeur des Ateliers d’ethnomusicologie (ADEM)


à Genève, Laurent Aubert, explique que le goût musical se

1 AUBERT Laurent, « Le goût musical, marqueur d’identité et d’altérité »,


Cahiers d’ethnomusicologie, in Revue.org [en ligne]
2 Ibid.

77
déinit «  autant par ce qu’il exclut que par ce qu’il intègre et
ceci d’autant plus librement qu’il ne procède d’aucun besoin
vital ni d’aucune contrainte apparente »1. Il permet aussi de
marquer une rupture avec certaines idées reçues. Par exemple,
en rejetant la musique qu’écoutent ses parents, l’adolescent se
démarque de l’inluence familiale pour s’identiier à d’autres
cercles, qui correspondent à sa classe d’âge et au milieu qu’il
fréquente. Laurent Aubert précise que cette revendication est
généralement assortie d’autres signes de reconnaissance, relatifs
au langage, aux choix vestimentaires ou à la manière de se situer
socialement.

Dans la musique en général, l’attitude qui est la plus


signiicative dans l’extériorisation de soi est l’utilisation de la
voix. Par l’utilisation du chant, on se dévoile un peu en acceptant
de laisser entendre sa voix.

« La signiication de la musique suyá ne réside pas


uniquement dans sa structure générale, mais également
dans les modalités de son interprétation. Un Suyá ne
choisit pas les chants qu’il interprète au hasard, car ceux-ci
expriment à la fois son identité sociale et les sentiments du
chanteur à l’égard de cette identité. »2

La psychanalyste et chercheuse Claire Gillie-Guilbert a posé


l’hypothèse que le geste vocal n’est pas qu’un simple mouvement
(lié à une émission vocale) qui exprimerait immédiatement une
pensée musicale ou une émotion qui lui serait antérieure et
extérieure, mais qu’il est lui-même porteur d’une pensée, d’un

1 Ibid.
2 SEEGER A. (2004), « Chanter l’identité : Musique et organisation sociale
chez les Indiens Suyá du Mato Grosso (Brésil) », L’Homme

78
sens relevant d’une sémantique. Elle a cherché à comprendre
les signes qu’il pouvait véhiculer, leur signiication et leur
interprétation dans l’acte de communication qu’il représente.
Selon elle, la voix pourrait être « marqueur d’une identité social »1
qui peut elle-même être marquée par des facteurs géographiques.
En émanant d’un corps pour atteindre celui de l’autre, elle est
le support charnel à l’expression et à la communication. Il y a
donc une interaction entre voix et écoute. La voix implique une
réponse émotionnelle de celui auquel elle se destine. Cette «
théâtralité » dont parle la psychanalyste est inhérente au chant.
La voix est aussi ce qui permet la communication des
émotions. Le philologue hongrois Ivan Fónagy (1920 - 2005),
l’un des grands linguistes d’avant-garde du XXe siècle, a mis
en place une sémiologie précise pour certaines émotions. Il a
étudié le lien entre les émotions exprimées et la déformation du
geste articulatoire.

1 GILLIE-GUILBERT Claire (2001), «  "Et la voix s’est faite chair…"


Naissance, essence, sens du geste vocal », Cahiers d’ethnomusicologie

79
3.
La détente pour annihiler le stress

Le stress, qu’on aime nommer le mal de notre société, est le


sujet de nombreuses études régulières. Les chifres difèrent
souvent mais restent symboliques quant à son importance. Le
stress au travail, qui est le plus souvent abordé dans les sondages,
touche un salarié sur trois en France, en Belgique, en Suisse et
au Québec1. Plus généralement, 75 % des français feraient face
à un stress régulier. Il est quand même utile de préciser que le
stress, une réaction biologique d’adaptation de l’organisme à
toute demande qui lui est faite, a toujours été présent.
Nous avons tous besoin de divertissement, de plaisir, de
détente pour notre santé mentale et physique, mais le manque
de temps, la demande perpétuelle d’eicacité, sont parfois des
obstacles. La musique, par son action sur le corps et le cerveau,
est un fabuleux outil de détente (en témoigne l’activité du
musicothérapeute). C’est d’après ce constat qu’on peut soutenir
son intérêt dans la société actuelle, où stress et proit sont rois.
Elle canalise, calme, donne du plaisir. Certaines villes utilisent
la musique de manière plus ou moins adroites, pour créer des
ambiances qui se veulent rassurantes et apaisantes. La ville de
Lyon, par exemple, difuse la radio dans les stations de métro. Des
chansons tout public qui créent un fond sonore suisamment
discret pour ne pas devenir gênant et suisamment présent pour
générer une atmosphère sécurisante et dynamique.

1 Selon une étude de l’ESTIME (Étude sur le Stress au Travail - IME) de


2011 menée en France, Belgique (Wallonie et Flandre), Suisse romande et
Québec [en ligne]

80
Justement, l’état de stress est particulièrement notable
dans certains contextes comme l’espace urbain. La musique
pouvant être envisagée comme outil de détente, je me suis donc
intéressée aux comportements actuels qu’on avait vis à vis de
la musique dans le contexte urbain. La pratique qui ressort
principalement est l’utilisation du baladeur (l’écoute itinérante
et personnelle). Elle semble être le meilleur moyen d’isolement
car le plus adapté à cet espace. Il suit, pour s’en rendre compte,
d’une virée en métro, où les écouteurs s’accrochent à presque
toutes les oreilles. En isolant l’individu des bruits extérieurs,
le baladeur procure une expérience émotionnelle solitaire, et
conduit à un repli vers soi. « Si les gens écoutent de plus en plus
de musique en ville, c’est non seulement parce qu’ils ne veulent
pas s’ennuyer, se sentir “vides”, mais aussi parce qu’ils ne veulent
pas être ennuyés par les autres »1, remarque le psychanalyste
Didier Lauru. Il ajoute qu’en les isolant, la musique leur permet
de s’évader, de se protéger des autres mais qu’il n’est pas question
d’une désocialisation. Selon lui, « ce comportement est une
conséquence du manque de lien social, et non une cause »2. En
s’isolant de l’extérieur, l’individu cherche également à retrouver
une tranquillité psychologique.

Pour continuer sur cette idée d’isolement par la musique, j’ai


voulu aborder le texte de l'anthropologue Anthony Pecqueux,
« Embarqués dans la ville et la musique, les déplacements
préoccupés des auditeurs-baladeurs »3. Celui-ci cherche à déinir

1 HELME Benoît (2009), « Les mystérieux bienfaits de la musique », in


Psychologies.com [en ligne]
2 Ibid.
3 PECQUEUX Anthony, « Embarqués dans la ville et la musique, les
déplacements préoccupés des auditeurs-baladeurs », Réseaux

81
précisément cette activité d’écoute itinérante et le rapport qu’elle
crée entre l’auditeur et la ville. Les auditeurs s’immergeraient
dans une bulle intimiste qui les tiendrait à distance, voire les
protégerait de la ville environnante, décrite comme bruyante,
stressante, voire oppressante. L’auteur parle d’une sorte de
mobilité augmentée. De plus, les déplacements sonores des
auditeurs, rythmés par la musique, leur permettent de remodeler
leur environnement sensible. Ils se placent délibérément dans
une situation de dépaysement sonore. Leurs rapports à l’espace
urbain sont donc diférents. Les déplacements deviennent de
véritables expériences urbaines (et pas seulement musicales)
et le port des oreillettes place l’auditeur-baladeur et les autres
membres de l’espace public urbain dans des mondes sensoriels
en partie diférents.
Conclusion

De la croyance à la science, du corps à l'esprit, de l'histoire


à aujourd'hui, mon cheminement à travers l'incroyable richesse
qu'est la musique touche à sa in.
Outil de communication qui semble avoir tout son intérêt
aujourd’hui, elle permet à l’individu de s’exprimer et donc
de marquer sa présence, son individualité, sa personnalité, de
laisser une trace de son identité. Ses propriétés émotionnelles
souvent bénéiques - apaisement, concentration, dynamisme -
semblent avoir leur place dans la société actuelle. L'apaisement
généré par la musique dans le cas des auditeurs-baladeurs par
exemple, permet la déconnexion de l'individu avec l’extérieur -
un extérieur stressant, anonyme, parfois brutal. Il retrouve ainsi
une tranquillité interne et peut faire le point avec lui même. La
musique stimule ses pensées comme elle stimule l'imagination
de certains artistes ou chercheurs.
« Sans musique, la vie serait une erreur »1, écrivait Nietzsche.
En permettant la détente, la socialisation et l’expression de

1 NIETZSCHE Friedrich cité par BLONDEL Éric, « Sans musique la vie


serait une erreur », Le Portique, 2001, n°8, in Revues.org [en ligne]

83
l’identité et par l'appropriation de chacun, la musique pourrait
être vecteur d’un certain mieux-vivre. Les comportements
actuels semblent en efet le justiier à travers le besoin d'exister,
de se regrouper et de se déconnecter.

« (...) il n'est, pour personne, ni trop tôt ni trop tard,


pour assurer la santé de l'âme. (...) Il faut donc méditer sur
ce qui procure le bonheur, puisque, lui présent, nous avons
tout, et, lui absent, nous faisons tout pour l'avoir. Ce que
je te conseillais sans cesse, ces enseignements-là, mets-les en
pratique et médite-les, en comprenant que ce sont là des
éléments du bien vivre. »1

Dans ce mémoire, j'ai essayé d'explorer les vertus de la


musique, de comprendre ce qui fait son universalité, quels
sont les diférents rôles qu'elle adopte, et plus généralement,
pourquoi a-t-elle toujours fasciné.
Mon analyse m'a permis de répondre en partie à ces
questionnements mais il demeure une part de mystère. Cette
part qui nous enchante tous. Si la musique nous fascine tant
c'est qu'elle a justement quelque chose qui nous échappe, qu'on
ne saisit pas complètement. Personne ne réfute l'idée qu'elle est
importante pour l'homme, même si elle n'est pas complètement
déinissable.
Bien qu'on ne puisse pas entièrement la cerner, rien
n'empêche de la ressentir et l'aimer. Et c'est en ça qu'elle est
universelle. Lorsqu'elle est un langage qui n'a pas besoin de
traduction. Un langage plus intuitif. Un langage des émotions.
Un langage qui dépasse les codes, qui dépasse les sociétés,
comme la musique sortie du hautbois du missionnaire Frère

1 EPICURE, Lettre à Ménécée, Paris, PUF, collection Epiméthée, 1990, page


217

84
Gabriel dans le ilm Mission1 de Roland Jofé. Cette musique,
cet échange sensible, qui attire la curiosité des indigènes et crée
le dialogue qui semblait impossible.

« (...) la musique est avant tout la manifestation d’une


pure énergie. Comme la danse, elle traduit cette énergie en
mouvements, mais ceux-ci n’ont pas de réalité palpable  :
ce sont des mouvements de l’âme, et c’est en ceci que
réside le pouvoir particulier de la musique qui, au-delà de
toute question de goût, peut efectivement être considérée
comme "le suprême mystère des sciences de l’homme, celui
contre lequel elles butent et qui garde la clé de leur progrès",
pour reprendre la célèbre formule de Claude Lévi-Strauss
(1964) »2

Pour inir, je retiendrai de la musique un double


intérêt : le rapport aux autres et le rapport à soi. Deux aspects
complémentaires qui, au delà des mots, permettent à la fois une
ouverture vers les autres et un retour vers soi. La musique a
autant de puissance dans l'un que dans l'autre. Ressentir une
émotion, retrouver une bulle d'intimité et libérer cette émotion,
savoir partager.
J'ai alors choisi d'aborder ce double aspect dans
mon projet et de faire le lien avec un contexte multiculturel,
particulièrement adapté aux échanges humains : l'espace public
urbain. La musique y devient outil de rassemblement, d'évasion
et de déconnexion. Un outil de mieux-vivre.

1 JOFFÉ Roland, Mission,1986, drame historique anglais


2 AUBERT Laurent, « Le goût musical, marqueur d’identité et d’altérité »,
Cahiers d’ethnomusicologie, 2007, n°20, p.29 - 38, in Revue.org [en ligne]

85
Bibliographie

Ouvrages

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Articles

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92
Ouvrages

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Musique et évolution, Bruxelles, éd. Mardaga, coll. « Psy heories
Debats Syntheses », in Google livres [en ligne]. URL : http://books.
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Duchesne la Venue, p. 315, in Google Livres [en ligne], URL : http://
books.google.fr/

VIERS Rina (2006), Langues et écritures de la méditérranée, Paris,


Editions Karthala et Association Alphabets, in Google Livres [en
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93
Consonances urbaines
Y-a-t-il un accord possible
entre musique et espaces publiques ?

Mémoire de projet
« De la musique avant toute chose »

(Paul Verlaine, L'Art poétique, 1874)


Table des matières

Avant-propos 105

Introduction 107

I. Exploration des efets de la musique 109

1. La musique, « matériau » fascinant 113

a. Écouter 113

b. « La musique est dans tout » 115


c. Aujourd'hui ? On aime la musique 123

2. Rencontres 126

a. Fanny Petit Liaudon, étudiante 127


b. Pascal Leroy, musicothérapeute 129

3. Expériences 133

a. Dessiner la musique 133


b. Espaces sonores 139

4. Une synthèse des propriétés de la musique 142

II. L'espace public urbain 145

1. Enquête sur les comportements liés à la


musique dans l'espace public 151

2.Trois types d'espaces publics 155

3. Cet espace public qu'on investit 158

4. Diférentes approches des espaces publics 166

a. L'échange 167

b. L'évasion 178

c. La déconnexion : le silence 184

III. Quand la musique s'invite en ville :


partage et appropriation sonores des espaces 193

1. Objectifs 195

2. Ma posture 198

3. Trois espaces, trois approches de la musique 200

a. Le kiosque à musique / partage et création


musicale collective 200

b. Le jardin public / évasion 204

c. L'arrêt de bus / bulle de silence 208


Vision d'ensemble 213

Conclusion 215

Merci ... 217

Bibliographie 220
Avant-propos

31 octobre 2010 - Entre New York et


Philadelphie - 10h PM

Il était une fois un voyage en bus. Il faisait nuit, les passagers


dormaient pour la plupart. J’étais occupée à me remémorer cet
incroyable weekend d’Halloween à New York, sur le siège près de
la fenêtre, à côté de Marine, l’amie que j’étais allée voir aux Etats-
Unis. Mes écouteurs dans les oreilles, je me laissais embarquer par
la musique, voyageant de nouveau. A cette épôque, il fallait que je
trouve un sujet de projet professionnel pour mon BTS. C’est alors
qu’en écoutant un morceau particulièrement entraînant, j’ai pensé
aux efets incroyables que la musique pouvait avoir sur le moral et
je me suis dit, pourquoi pas la musique ?

Mon projet de BTS abordait la musique et son action sur


l’endormissement de l’adulte. En Janvier 2011, il m’a fallu réléchir
de nouveau à un thème de travail pour mon diplôme de DSAA. Je
n’arrivais pas à me détacher de la musique. J’avais la sensation
de ne pas être allée assez loin, de ne pas avoir pu pousser ma

105
rélexion. Persuadée de la richesse du thème, j’ai choisi de travailler
de nouveau la musique comme on travaille un matériau. En
analysant ses propriétés, en explorant ses possibilités, en cherchant
des applications.

106
Introduction

«  La musique est la langue des émotions  », dit Kant. Elle


enchante, inspire, apaise, dynamise, rassemble. En m'intéressant
à ses efets sur le comportement, j'ai voulu démontrer le pouvoir
certain que la musique a sur l’être humain. J'ai donc commencé
mes recherches en m’intéressant à la musicothérapie, une activité
qui utilise la musique comme outil principal de soin. C’est à
partir de cette première exploration que mon projet s’est bâti.

En musique, une consonance est une ainité entre deux


ou plusieurs sons émis successivement ou simultanément. On
appelle accord consonant un accord harmonieux, agréable
à l’oreille, en opposition à l’accord dissonant. En réthorique,
la consonance est un accord harmonieux de son dans la
terminaison de mots ou de phrases. Dans mon projet, j'ai
tenté le déi de rechercher ces consonances au sein de l’espace
urbain. Des concordances entre musique et espaces publics
dans un contexte multiculturel, particulièrement adapté aux
échanges humains. La ville, lieu de toutes les conduites, mêle
échanges et individualisme. Elle passionne et agace, stimule et
épuise, fascine et dérange. En choisissant de travailler à la fois

107
sur le rapport aux autres et le rapport à soi en ville, j'ai essayé
de composer des accords mêlant les qualités intrinsèques de la
musique aux particularités de certains espaces publics.
Pour moi, le rêve, l'enchantement et le divertissement sont
de réels besoins, et par conséquent des sujets de design aussi
légitimes que les autres. En construisant un projet s'appuyant
sur des enjeux sociologiques, culturels et psychologiques, j'ai
utilisé la musique pour donner à voir et revoir, à vivre et revivre
les lieux, pour enchanter ou réanchanter les espaces et mettre en
valeur certains comportements. En abordant la musique comme
un outil de rassemblement, d’évasion et de déconnexion, j’aspire
à une ville sensible, poétique.

108
I.
Exploration des efets de la musique
Ce mémoire étant la suite logique du mémoire de philosophie
dans lequel j'ai pu détailler, analyser, décortiquer la musique et
ses efets sur les individus, je ne ferai, dans cette première partie,
qu'une courte synthèse sur l'histoire de l'utilisation de ses
qualités et de ses efets sur l'homme. Je m'attarderai davantage
sur la démonstration de ces efets à travers des rencontres et
des expériences, des recherches, des enquêtes et des impressions,
agrémentées par des références imagées de domaines variés. Des
bienfaits de la musique au réanchantement des espaces publics,
cette première partie est construite comme un parcours à travers
les diférentes étapes qui m’ont menée au projet. Tous ces pas,
parfois reculant, parfois de côté, parfois de travers, ont, les uns
après les autres, formé le chemin de ma rélexion. L’avançant, la
guidant, l’inluençant, l’organisant.

111
Alexander Lauterwasser,
Recherches sur les formes
générées par le son
1.
La musique, « matériau » fascinant

a. Écouter

Pour commencer à la base, avant même de parler de


musique, parlons de cette faculté qu'a l'homme d'entendre.
L’ouïe, l’un des premiers repères qui permet de se situer dans
l’espace, d’acquérir le langage et de vivre des expériences
sensibles, est le chaînon indispensable de notre relation à autrui.
Premier organe sensoriel mis en place dans la vie embryo-
fœtale, elle est le deuxième sens le plus utilisé par l’homme
après la vue. L’audition crée une interaction entre nous et notre
environnement. Dès le quatrième mois de grossesse, un foetus
est capable d’entendre et de ressentir le monde qui l’entoure.
Revenons maintenant à la musique et voyons le cheminement
qu'elle emprunte de l'oreille jusqu'au cerveau. Lorsqu'un
individu écoute une musique, les cellules auditives de sa cochlée1

1 La cochlée est un organe creux en forme d'escargot, rempli d'un liquide


appelé endolymphe. Située au niveau de l'oreille interne, la cochlée constitue
la dernière étape de l'intégration du son avant le nerf auditif.

113
Cortex sensoriel
Cortex moteur Informations tactiles
Mouvement tel concernant la danse
que battre du pied, ou le jeu d'un Cortex auditif
danser ou jouer instrument Première étape de
d'un instrument l'écoute, perception et
analyse des notes

Cortex préfrontal
Création des attentes,
transgression et satisfaction
Cervelet Cortex visuel
Mouvements tel que battre Lire la musique, observer les
du pied, danser ou jouer mouvements d'un musicien
d'un instrument. (ou ses propres mouvements)
Participe également au
réactions émotionnelles face
à la musique
Hippocampe
Corps calleux Mémoire musicale :
Relie les deux hémisphères souvenirs des expériences
musicales et de leur contexte

Noyau accumbens
Réactions émotionnelles
à la musique
Amygdales
Cervelet
cérébelleuses Mouvements tel que battre du pied,
Réactions danser ou jouer d'un instrument.
émotionnelles à la Participe également au réactions
musique émotionnelles face à la musique
divisent le son en plusieurs bandes de fréquences. Elles envoient
un signal électrique au cortex auditif primaire qui indique
les fréquences présentes dans le signal. Pour distinguer les
diférents timbres entendus, d'autres régions du lobe temporal
prennent le relai, notamment le sillon temporal supérieur et la
circonvolution temporale supérieure des deux côtés du cerveau.
Ensuite, pour identiier ces timbres, l'hippocampe permet
d'accéder aux souvenirs de sons similaires déjà entendus par
l'individu. Après quoi, celui-ci devra consulter son dictionnaire
mental en utilisant les structures situées à la jonction des
lobes temporal, occipital et pariétal. Jusqu'à présent, il s'agit
des mêmes régions que celles qu'on sollicite en entendant un
klaxon. En revanche, de nouveau groupes de neurones s'activent
lorsque l'on prête attention aux séquences de notes (comme le
cortex préfontal dorso-latéral), au rythme (cervelet latéral et
vermis cérébelleux) et aux émotions (comme les lobes frontaux,
et le cervelet).1

b. « La musique est dans tout » (victor hugo)

Le neurophysicien Daniel Levitin, auteur du livre De la


note au cerveau, explique que « la musique fait et a toujours fait
partie intégrante de la vie quotidienne ».2 Elle serait comme le
langage ou la religion, un trait spéciique de l’espèce humaine.
Elle a toujours été considérée comme puissante. À travers
les religions, les époques, les cultures. On l'utilisait pour
accompagner les rituels, pour apaiser et pour soigner. Au 17ème

1 D'après les schémas de LEVITIN Daniel, De la note au cerveau, page 106


2 LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau

115
Rembrandt
David jouant de la harpe devant Saül
1657
siècle, Rembrandt peint une scène de la Bible, dans laquelle
David joue de la cithare pour soulager le roi Saül de ses mots
de tête.

« Chaque fois que le mauvais esprit assaillait Saül,


David prenait la cithare et en jouait. Saül respirait alors plus
à l’aise, se trouvait soulagé, et le mauvais esprit se retirait
de lui. »1

Cette conception de la musique comme outil de soin et de


bien-être n'aura de cesse d'évoluer tout au long de l'histoire.
Elle est déjà associée à la médecine dans la Grèce antique, au Ve
siècle av. Jésus Christ. Pythagore, Platon et Aristote valorisaient
en efet son utilisation comme thérapie. Platon conseillait la
musique ainsi que la danse contre les frayeurs et les angoisses
phobiques.
Dans la musique africaine traditionnelle, elle transcende.
On l'utilise pour générer des états de conscience modiiés.
Elle serait un moyen de communiquer avec les divinités. Les
chants et danses chamaniques sont d'ailleurs probablement les
premières utilisations thérapeutiques de la musique.
Dans beaucoup d'histoires, on trouve des exemples qui
témoignent des efets exercés par la musique sur les individus.
Chez Tristan et Iseut, la musique a un rôle apaisant. C'est avec
sa harpe qu'Iseut apaise la mélancolie de Tristan. Dans le conte
d'Hamelin, le joueur de lûte envoute les enfants de la ville avec
la mélodie qu'il joue.

La peinture reprend également souvent le thème de la


musique. Les peintures hellénistiques et romaines par exemple,
regorgent de représentations musicales. Fra Angelico quant à lui

1 La Bible de Jérusalem, 1 Samuel, chapitre 16, 1997 [en ligne]

118
Laure Prieur, photographe
Musicien sur le point d'entrer en transe
peint de magniiques chœurs d’anges. Vermeer associe le virginal
ou le luth à ses personnages féminins. Chagall est fasciné par le
violon, Picasso par la guitare et Nicolas de Staël par l’orchestre.

« Les philosophes les plus sensés ont mis la musique en


parallèle avec l'Art de la Peinture ; par ce que l'on peut en
juger par la disposition du dessin, l'ordre, les groupes,les
contrastes, la perspective, le ton, la variété des couleurs,…
enin, toutes choses ensemble forment une harmonie qui a
beaucoup de rapports à la Musique »1

« (...) les sons graves ou bémolisés faisaient à ses oreilles


le même efet que les couleurs rembrunies faisaient à ses
yeux ; les sons aigus faisaient au contraire un efet semblable
à celui des couleurs vives et tranchantes. Entre ces deux
extrêmes se trouvaient toutes les couleurs qui sont en
musique de même qu'en peinture. »2

Selon Monette LAPRAS, les artistes semblent obéir à


«  un réel et profond désir d’unir réellement la musique et la
peinture en une seule et unique oeuvre d’art »3. Tout comme
les savants et les intellectuels qui, inspirés par ce rêve récurent
de rapprochement entre peinture et musique, ont élaboré
des théories scientiiques (ce que Monette Lapras appelle une

1 BOURDELOT Pierre, médecin et musicologue du XVIIème siècle, cité


par DOUSSOT Joëlle Elmyre, «  Musique silencieuse : la musique dans la
Peinture et les Arts décoratifs à l'Age baroque », in Peyresq Foyer d'Humanisme
[en ligne]
2 André-Ernest-Modeste Grétry, compositeur liégeois, cité par DOUSSOT
Joëlle Elmyre, « Musique silencieuse : la musique dans la Peinture et les Arts
décoratifs à l'Age baroque », in Peyresq Foyer d'Humanisme [en ligne]
3 LAPRAS Monique, Peinture et musique : un même langage ?, conférence,
article pdf [en ligne], p.1

120
La mélancolie de Tristan
apaisée par la harpe d'Iseut
15 ème siècle
Errol Le Cain
Illustration du joueur
de lûte de Hamelin
«  mathématisation de l'art  »1) et psychologiques. Newton
développa ainsi le spectre à sept couleurs et Alfred Binet, à la in
du XIXe siècle, it des observations intéressantes sur le problème
de l’audition colorée et eu la certitude qu’un pourcentage non
négligeable de personnes airme entendre des sons colorés.

c. Aujourd'hui ? On aime la musique

Selon le sondage de la SACEM réalisé en 2011, « Les Français


et la Musique »2, la musique reste pour près d’un Français sur
deux (47%) l’activité culturelle « dont il pourrait le moins se
passer  »3. Elle est décrite par 80% des Français comme une
passion ou un plaisir.
Sur les 96 % des français qui écoutent de la musique, la
moyenne d'écoute par jour est d’une heure dix (20 % des
français écoutent plus de deux heures de musique par jour !).
Quand on leur demande à quel moment ou à quel endroit ils
écoutent de la musique, 90 % répondent « à la maison » et plus
de la moitié dans des moments de détente ou dans leur voiture.
Les moyens d’écoute sont variés. On retrouve la radio, la
chaîne hii, les CD, la télévision, les baladeurs, Internet et le
téléphone portable.
Pour découvrir de nouveaux morceaux, les deux moyens les
plus utilisés sont la radio et Internet (sites de partage comme
Youtube, sites communautaires, blogs spécialisés, radios en

1 Ibid, p. 2
2 La Sacem, Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de musique
(2011), Sondage « Les Français et la musique » [en ligne]
3 Ibid.

123
ligne, téléchargement).
Chez les 15‐24 ans, le support préféré pour écouter de la
musique est le baladeur (27%), suivi de la radio traditionnelle
(20%) puis du téléphone portable (13%). La musique
accompagne tous les moments de la journée et toutes les
occasions : lors des déplacements (voiture, transports en
commun, voyages) et dans les moments d’attente. Une majorité
utilise internet pour écouter de la musique (79%).

124
Fête de la musique
Bordeaux
2011
2. Rencontres

Aujourd'hui, on sait que la musique a des qualités


particulières, qu'elle peut inluer sur l'esprit. Tout le monde
reconnaît ses propriétés apaisantes ou dynamisantes. Pour avoir
une approche un peu plus savante de ses bienfaits - connus de
tous et ressentis par tous - je me suis intéressée au travail des
musicothérapeutes qui utilisent la musique comme un véritable
outil thérapeutique.

Mon chemin à travers la musique et ses bienfaits m’a donc


menée vers une première personne. Fanny, étudiante en master
de musicothérapie à la Sorbonne, a résolu l’énigme qu’était
pour moi le métier de musicothérapeute. Soigner avec de la
musique ?

126
a. Fanny Petit Liaudon, étudiante

Début septembre. 16h.


À l'entrée du McDo de la Place d'Italie

Le mot « musicothérapie » est récent. Il n'a été utilisé pour


la première fois que dans les années soixante. Selon Fanny,
sa déinition oicielle a été proposée par l’association des
musicothérapeutes de France.

« La musicothérapie est une pratique de soin, d’aide, de


soutien ou de rééducation qui consiste à prendre en charge
des personnes présentant des diicultés de communication
et/ou de relation. (...) La musicothérapie s’appuie sur les
liens étroits entre les éléments constitutifs de la musique,
et l’histoire du sujet. Elle utilise la médiation sonore et/ou
musicale ain d’ouvrir ou restaurer la communication et
l’expression au sein de la relation dans le registre verbal et/
ou non verbal. »

Il y a deux types de musicothérapies. La musicothérapie


active qui invite les patients à manipuler des instruments pour
créer du son et la musicothérapie réceptive, où le patient est
dans une posture d'écoute, le corps au repos.

Fanny est étudiante en deuxième année de Master Art-


hérapie dans la spécialité Musicothérapie à la Sorbonne à Paris.
Elle explique que le musicothérapeute intervient dans trois
domaines. Il utilise les potentialités de la musique et du sonore
ain de rétablir, maintenir, ou améliorer les capacités sociales,
mentales et physiques. Dans le domaine des capacités sociales,
le son est médium d’interaction, matériau de construction
collective. L’idée est de faire du son (expérimenter, manipuler,

127
tester) à plusieurs. Dans le domaine des capacités mentales, le
son est outil de stimulation, il est un langage de substitution.
Enin, dans le domaine des capacités physiques, le son est outil
de prise de conscience de son corps, et outil de détente.

La musicothérapie, comme tous les métiers de l’art-thérapie,


est une profession qui n’est pas encore bien reconnue en France,
contrairement à l’Allemagne, l’Angleterre ou le Canada. En
France, les études concernant l’action de la musique sur le corps
sont récentes. Elles essaient de mettre en évidence que l’écoute
de certaines musiques a des répercussions physiologiques
et psychologiques sur l’organisme, notamment au niveau
cardio-vasculaire, respiratoire, musculaire et végétatif. Deux
Masters ont été créés à Paris en septembre 2011, amenant
une reconnaissance de la profession sous forme d’un diplôme
reconnu au niveau européen.

« En plus d’un reconnaissance légale du métier, il serait


également primordial d’obtenir une (re)connaissance de
l’art-thérapie par la population, de manière générale, car
cette discipline est encore trop peu connue ou alors mal
connue. »1

D'après Fanny, le problème réside dans la diversité des


méthodes et des théories concernant la musicothérapie en
France (théories parfois presque opposées). Une diversité qui
ralentit la reconnaissance de l'activité.
La musicothérapie étant une psychothérapie, il y a diférents
courants. À Paris, par exemple, elle est tournée vers la psychanalyse

1 LOUCHART Blandine, musicothérapeute titulaire du Diplôme


Universitaire et du Master 2 professionnel de Paris-Descartes, «  Vers une
reconnaissance », in La musicothérapie [en ligne]

128
alors qu’à Dijon, elle est plutôt comportementaliste.

Fanny insiste sur le fait que la musicothérapie est basée sur


l’émotion, qu’elle est en permanence dans l’adaptation (au
patient, à sa pathologie, à ses capacités…). Elle s’axe autour de
tout ce qui touche à la psychologie.

Après cette rencontre, mon cheminement se poursuit jusqu’à


l’hôpital Bretonneau dans le dix-huitième arrondissement
de Paris. Je m'en vais rencontrer la personne avec qui Fanny
travaille tous les jeudi en service de gériatrie (pour les personnes
âgées et soufrant de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé).

b. Pascal Leroy, musicothérapeute

18 octobre. 17h30. Salle d’Art-


hérapie au rez de chaussée de l’hôpital
Bretonneau.

Pascal Leroy est musicien percussionniste, formé aux


méthodes musico-thérapeutiques essentiellement au Gabon et
à Malte. Il a suivi et repris l’enseignement musical des Peuples
Premiers de l’Afrique Centrale pendant une douzaine d’années
de vie sur place. La musique est selon lui vitale. Elle a un pouvoir
motivant.

« La musique est un truc puissant qui permet de s’évader,


une façon d’être là sans être là (...) le pouvoir de la musique,
c’est le pouvoir de t’emmener ailleurs. »

Il parle d’un état de régression, d’un état primitif. Nos

129
Le missionnaire Frère Gabriel
communique avec les indigènes
grâce à son hautbois
ilm Mission de Roland Jofé
1986
sensations sont sûrement les mêmes qu’il y a des milliers
d’années et l’utilisation de la musique permet le retour à un état
basique. Elle était déjà utilisée à la préhistoire et plongeait dans
les mêmes états qu’aujourd’hui.

En quoi la musique peut soigner ?


Pour Pascal, elle permet d’abord de communiquer et de
freiner la descente en gardant son éveil et une conscience de soi-
même. C’est important par exemple pour les personnes âgées,
en in de vie ou soufrant de dégénérescences. La musique a
surtout un réel pouvoir de détente. La berceuse serait d'ailleurs
la première utilisation de la musique pour calmer.
De plus, la meilleure façon de se détendre selon le
musicothérapeute est de mettre le corps entier en action (de
« transpirer un peu »).

Lors de l'entretien, Pascal aborde l’importance de la


voix, qui dit clairement qui on est. Très intime, elle est une
sorte de révélateur des émotions. Par conséquent, on l’utilise
diicilement.
Outre la voix, le rythme a lui aussi une importance capitale.
Tout est rythme dans notre corps, explique Pascal, le coeur,
la marche et la respiration. Lors d'une thérapie, jouer sur les
rythmes musicaux peut inluer sur les rythmes biologiques.

La musicothérapie est donc basée sur plusieurs notions :


l’émotion, la polyvalence, l’adaptation, l’expression, le confort,
le mieux-être, le relationnel et l’accompagnement.
Selon l’auteur Rolando Omar Benenzon, «  parler de
musicothérapie, c’est parler de communication »1.

1 BENENZON Rolando Omar (2004), La musicothérapie, La part oubliée


de la personnalité
131
Paul Klee
Ancient Sound, Abstract on Black
(série des polyphonies)
1925
3.
Expériences

a. Dessiner la musique

La musique agit sur le corps et l'esprit, c'est incontestable.


En témoignent le philosophe Platon, le neuroscientiique Pascal
Levitin ou les spécialistes de la musique thérapeutique Fanny
Petit-Liaudon et Pascal Leroy.
Après ce constat, une question se pose. Visuellement
comment peut-on traduire la musique ? Comment travailler la
représentation de ce matériau immatériel ?
Certains la peignent, comme Paul Klee qui trouve en elle
une réelle source d'inspiration. D'autres, comme Baptiste
Haladjian, la sculptent (cf page 134). Et d'autres encore la
photographient (cf page 112, Recherches sur les formes générées
par le son d'Alexander Lauterwasser).

Mon travail de représentation de la musique a consisté à


demander à plusieurs personnes, d'âges et de milieux diférents,
de choisir une musique qu'elles aiment (qui leur procure des
émotions) et de dessiner le temps de l'écoute. Le dessin pouvait

133
Baptiste Haladjian
Sculptures de son
2010

Une représentation matérielle de la musique. Le sculpteur considère la


musique comme un agencement de silences dans un bloc de son. Le silence
sculpte le son, autant que le vide sculpte la matière.
être iguratif ou abstrait, il pouvait évoquer un souvenir ou
simplement illustrer la mélodie et le rythme de la chanson.

Les résultats obtenus sont intéressants, ils montrent que la


musique a été source d’inspiration pour tout le monde. Les
personnes hésitaient rarement une fois la musique lancée. Au
début, certaines d'entre elles avaient parfois peur de ne pas
savoir quoi faire, d’avoir mal compris les consignes ou de faire
mal. Puis alors, elles prenaient le crayon, le feutre ou le stylo, et
dessinaient. S’accordant au rythme, à la mélodie, ou simplement
aux images (souvenirs, envies ...) que faisait naître la musique.

La plupart des participants ont apprécié cet exercice relaxant.


Absorbés dans une écoute diférente, plus développée et plus
active, ils étaient plongés dans une extrême concentration, ne
pensant à rien d’autre qu'à la musique. Une des personnes a
d’ailleurs voulu continuer l’expérience pour elle même.

Cet exercice fut l'occasion de mettre en avant la multiplicité


d'expressions possibles pour traduire les émotions liées à la
musique. De plus, en proposant une approche diférente de
l'écoute musicale, il proposait un nouveau rapport à la musique.
Il serait ainsi intéressant de développer d'autres approches
de la musique. Comment ne plus écouter d'une seule manière
mais de plusieurs ?
Cette rélexion a formé l'un des prémices au choix d'un
contexte d'intervention. En efet, pourquoi ne pourrait-on pas
imaginer diférentes façons d'écouter de la musique en ville ?

135
Radiohead, Paranoïd Androïd
Les Cowboys Fringants, Lettre à Lévesque
Muse Breako RMX, Infected Muschroom
Bat for lashes, All your gold
James Blake, Unluck
Michel Sardou, Les lacs du Connemara
Des'Ree, Kissing You
Noir Désir, Pyromane
Lokua Kanza, Famille
Etta James, Damn your eyes
Antony and the Johnsons, Hope there's someone
James Blake, Why don't you call me
b. Espaces sonores

Mon chemin se poursuit dans l’univers urbain. Il s'agit de


comprendre le rapport entre espaces, déplacements, usagers et
écoute musicale par le biais d'une nouvelle expérience.

Pour commencer, un questionnaire est envoyé à plusieurs


personnes (vivant à Paris ou en banlieue). Il leur est demandé
d'indiquer leur prénom, leur âge et un lieu qu’elles pourraient
associer à une musique (une musique écoutée dans ce lieu ou
simplement représentative du lieu selon elles).

Une fois les réponses obtenues, je suis allée ilmer cinq de


ces lieux en ajoutant la bande sonore associée. Pour découvrir
cette expérience, le spectateur était invité à regarder les vidéos
sur diférents écrans. Des vidéos silencieuses. En mettant un
casque, il pouvait ensuite entendre la musique associée au lieu
présenté. Et ainsi, plonger dans la tête d'un autre le temps d’une
chanson en découvrant sa vision d’un lieu parisien.

Chaque espace devient unique, baigné dans une atmosphère


musicale particulière. Le jardin des plantes prend une allure
majestueuse presque dramatique et la rue de la Roquette
s'imprègne de nostalgie.

139
Kim
22 ans
Quai du RER C «  Le musée de Cluny a
(Gare d’Austerlitz) une allure médiévale toute
particulière qui m’a évoqué,
lorsque je l’ai visité (ou lorsque
j’y passe) des musiques telles
que Carmina Burana de Carl
Orf... »

Christian
49 ans
Jardin des Plantes Camille
21 ans
Labyrinthe
(Jardin des Plantes)
Alexandre
23 ans

Rue de la
Roquette

« On allait s’y promener, et on


Fanny écoutait de la musique ensemble »
23 ans
La Coulée Verte
« Le soir, pour rentrer chez moi, j’attends
souvent le train assez longtemps et je me
demande parfois si je devrais avoir peur des
mecs chelous qui lancent des regards en coin, et
qui marchent dans ma direction. (...) Moi aussi
je marche le long du quai et j’imagine que c’est
une sorte de danse entre eux et moi, les loups
autour du petit chaperon rouge qui n’a pas peur.
Je pense à une sorte de valse comme ça depuis
que j’ai attendu un jour avec Tchaïkovsky dans
les oreilles, «Danse Arabe» dans casse noisette,
très beau passage. J’ai l’impression d’être dans
un ilm à ce moment là. »

Danse Arabe,
Casse Noisette
« Ahurie à la sortie d’une pièce de théâtre, Tchaïkovsky
avec dans les oreilles, un orchestre qui me
jouerait ça... J’ai pris des polaroïds là bas, il a
plu, ils étaient tout délavés et c’était génial. »

Big Church
Sunn

Say Ladeo
(Full Song version)
Bobby McFerrin
4.
Une synthèse des propriétés de la musique

Ces investigations dans le monde de la musique thérapeutique


et ces expériences graphiques et spatiales ont fait ressortir des
qualités certaines de la musique. J’ai choisi de relever toutes ses
propriétés (dans son action sur le corps, sur l’esprit et sur le
comportement) qui me semblaient les plus intéressantes et de
les ranger dans deux catégories : le rapport aux autres et à ce qui
nous entoure et le rapport à soi.
Ces deux aspects de la musique sont justement utilisés par les
musicothérapeutes en musicothérapie active (quand la musique
est outil de communication) ou réceptive (quand la musique est
outil de détente).

Enin, en organisant les propriétés de la musique sur un


modèle qui va du collectif (échanges, partage) à l'individuel
(détente, calme, déconnexion), j'ai également voulu distinguer
son contre-pied, le silence, nécessaire à une déconnexion totale.

Dans mon projet, au lieu d’intervenir directement auprès


du musicothérapeute (au risque de proposer des outils trop
caricaturaux, trop «  fermés  » et réduisant toute la complexité

142
du métier), j’ai voulu trouver une manière d'utiliser toutes ces
propriétés, de les faire connaître, de les démocratiser, de les
généraliser et de les ofrir au plus grand nombre. Dans quel
contexte cela aurait-il un intérêt ?

L'espace urbain, multiculturel, se distingue par


ses nombreux échanges humains et la diversité de
comportements et de moyens d'expressions qu'il
entraîne.

Cette hétérogénéité d'espaces et de comportements


fait de la ville un contexte pleinement approprié
à l'utilisation des aspects individuels et collectifs
de la musique et à la valorisation de ses qualités
thérapeutiques.

144
II.
L'espace public urbain
Paul Klee
Ville de rêve
1921
La ville est un milieu physique où se concentre une forte
population humaine qui a aménagé cet espace pour faciliter
et concentrer les activités. Lieu d’évolutions (nouvelles
technologies, nouveaux modèles de culture..), d’exercice du
pouvoir et de consommation, elle se caractérise par ses réseaux
de communication variés et ses habitats résidentiels.
Ce qui m’intéresse particulièrement dans ce contexte,
c’est la forte population et les espaces publics multiculturels
qui engendrent des comportements variés, des situations
d’échanges, de communication, de passages et de lux.

L'auteur et professeur Eni Orlandi décrit la ville comme un


espace symbolique spéciique.1 Il essaie de penser comment le
sujet signiie et se signiie dans la ville : quelle est la place du
citadin ? La quantité - une quantité concentrée de sujets dans
le même espace de vie - est pour lui un fait incontournable de
l’espace urbain. Il n’y a pas d’espaces vides dans la ville.

1 ORLANDI Eni P., « La ville comme espace politico-symbolique  : des


paroles désorganisées au récit urbain » , Langage et société

149
Il parle de rapports sociaux particuliers : «  disparaissent
(sont hors discours) des notions comme amitié, solidarité »1. Sa
description de la ville comme un espace encombré, où le temps
est celui de l’urgence, m'a semblé intéressante. « La ville serait
un espace fragmentaire où le sujet n’existerait que dans la forme
de bribes, de morceaux »2.
Le physicien allemand du 20ème siècle, Werner Heisenberg,
propose une autre déinition de l’espace urbain : «  l’espace
urbain est un espace matériel (politico-symbolique), socio-
historique, avec une quantité de sujets qui vivent (signiient)
dedans, où ce qui est entre parenthèse est décisif »3.

1 Ibid, p. 113
2 Ibid, p. 118
3 Ibid, p. 126

150
1.
Enquête sur les comportements liés à la
musique dans les espaces publics

Mon état des lieux m’a permis de faire des constats sur deux
points : les comportements liés aux diférents espaces publics
et les comportements liés à la musique (dans l’espace public
urbain).
D'abord, pour avoir une vision globale des habitudes
d'écoute en milieu urbain et ain d'établir un état des lieux de
l'écoute musicale en ville, j’ai élaboré une enquête via l’outil
Formulaire de Google Drive. En trois jours, plus de soixante treize
citadins parisiens ont répondu aux seize questions concernant
leurs habitudes d’écoute (chez eux et en ville) et leurs habitudes
de déplacement.
Dans les réponses reçues, il en ressort une importance de
la musique souvent considérée comme moyen d’évasion. Les
pratiques de partage de musique sont également répandues et
appréciées. En ville, la musique permet souvent la détente. Pour
ce qui est des lieux publics en eux même, certains sont vécus de
manière positive (les parcs, les jardins) et d’autres de manière
plutôt négative (les couloirs de métro, les transports).
Pour 15% des personnes interrogées, la musique est
considérée comme vitale. 13% d'entre-elles l'envisagent

151
comme nécessaire, 15% comme importante et seulement 4,9%
la considèrent comme étant peu importante. Enin, 78 % des
personnes sont curieuses de ce qu’écoute ou lit leur voisin de
bus ou de métro.

Ces réponses mettent en avant l'importance qu'occupe


la musique dans le quotidien des citadins. Qu'elle soit
un moyen d'évasion, de détente, de motivation ou de
concentration, la musique rythme les déplacements
des auditeurs et renouvelle leur vision de ces lieux
ancrés dans leur quotidien.

152
«Les lieux que j’apprécie le moins : les changements
de metro. Ça n’est pas un environnement agréable
(foule, odeurs...) et on ne peut rien faire d’autre que
se deplacer.»

«J’écoute de la musique
en ville pour me motiver, et
vivre plus profondément des
instants banals du quotidien»

«Ecouter de la musique lors de mes


déplacements en ville me permet de m’évader
du climat stressant et de me concentrer»

«Les transports en commun...On attend, une


fois dedans c’est oppressant»

«La musique rythme mes


déplacements, dans tous les
sens du terme»

«Les lieux que je n’aime pas : le metro blindé,


tous les passages, couloirs, escalators et carrefours
souterrains du metro et rer qui manquent de vie, de
choses stimulantes...juste plein de pubs dégueu.»
Mona Breede, photographe
Living Spaces
Juin – Aoüt 2007

Mona Breede conjugue la représentation de l’espace public et celle de


l’humain. Les lieux ne sont pas mis en scène. Ce sont les personnes qui
déinissent l’espace.
2.
Trois types d’espaces publics

L’espace public, comme l'explique Antoine Fleury,


docteur en géographie et chercheur au CNRS, est un « terme
polysémique qui désigne un espace à la fois métaphorique et
matériel  »1. Comme espace métaphorique, l’espace public est
synonyme de sphère publique ou du débat public. Comme
espace matériel, les espaces publics correspondent tantôt à
des espaces de rencontre et d’interaction sociales, tantôt à des
espaces géographiques ouverts au public, tantôt à une catégorie
d’action.
Dans son mémoire de in d'études à l'école Louis-Lumière,
Marie Averty déinit l’espace public comme un espace de
sociabilité où doit coexister un monde d’étrangers, qu’on
englobe sous le terme de public. Ce public usager, demandeur
de commodités pratiques, n’est pas seulement un spectateur
réceptif, passif, mais il est aussi acteur et se manifeste à travers
des conduites. «  D’où résulte le caractère problématique du
lieu public : ce dernier n’est pas prédéini, il est en évolution

1 FLEURY Antoine, « Espace public », in Hypergeo [en ligne]

155
constante, il est l’objet d’une construction sociale. »1
À l'image de cette déinition, les espaces publics sont en
sociologie urbaine des espaces de rencontres socialement
organisés par des rituels d’exposition ou d’évitement. Cette
déinition de l'espace public m'intéresse tout particulièrement.
Un espace qui jongle entre l'ouverture vers les autres et le besoin
d'introspection. Deux attitudes qu'on retrouve avec l'utilisation
thérapeutique de la musique, tantôt outil de communication,
tantôt outil de détente personnelle.

Dans mes recherches concernant les diférents espaces


publics et les comportements qui leurs sont liés, j’ai analysé
trois diférents types d'espaces publics. D'abord, il y a les espaces
de passage, des lieux «fonctionnels» de lux, de transits et de
mobilité tels les places, les rues et les couloirs de métro. Ces
espaces m'intéressent moins car ils n'ont pas vocation à réunir et
ne créent pas d'instants de pause nécessaires à une déconnexion
urbaine. Viennent ensuite les espaces d’attente, où la pause est
inévitable, comme sur les quais de métro, sous les abris bus,
dans les iles d’attente ou les transports en commun. Même si
l’attente est bien souvent subie et non choisie, elle contraint les
gens à s'arrêter quelques instants. Ne pourrait-elle pas devenir
alors une halte bienvenue dans l'efervescence ininterrompue
de la ville ?
Enin, il y a les espaces de détente, de réels lieux de « pause »,
de déconnexion avec le reste de la ville, comme les jardins et les
parcs. Des espaces dédiés à la fois au relâchement - on consent à
prendre son temps - et à la distraction. Ce type d'espace intègre
les deux aspects cités précédemment, le rapport aux autres

1 AVERTY Marie (juin 2006), « L'aménagement sonore d'un lieu public »,


Mémoire de in d'étude, Paris, École Nationale Supérieure Louis-Lumière,
section son

156
dans les comportements d'échanges et de divertissement et le
rapport à soi à travers le besoin introspectif de déconnexion. Y
associer la musique permettrait de mettre en valeur ces attitudes
d'ouverture et de fermeture.

157
3.
Cet espace public qu'on investit

J’entends ici espace public au sens urbanistique, c’est-à-


dire l’ensemble des espaces de passage et de rassemblement à
l’usage de tous, soumis à la liberté de circulation, de parole, de
manifestation, de commerce.
L’espace public est un espace au sein duquel chacun dispose
d’un pouvoir sur tous les autres : celui d’imposer sa présence.
Certaines lois sont d’ailleurs faites pour limiter la mesure dans
laquelle il est possible d’utiliser ce pouvoir sur les autres comme
les lois contre le tapage et contre le harcèlement.
Chacun fait vivre l'espace public en l'investissant par sa
présence. Il existe diférentes formes d'appropriation de l'espace.

« Tantôt illustration de ses frustrations, tantôt expression


d'une volonté de végétalisation de l'espace bétonné de la
ville, prenant parfois la forme d'un graiti ou d'un simple
tag comme un bras d'honneur à toutes les conventions, il
est possible de tomber nez-à-nez sur de petits chef d’œuvres
au détour d'un croisement, sur une façade, dans un arbre

158
ou dans un espace vert près d'un étang... »1

Un peu partout dans le monde se développent des


manifestations citoyennes pour personnaliser l'espace public,
qui par déinition est neutre et impersonnel. Ces mouvements
citoyens souhaitent simplement égayer un peu l'espace de vie
commun en lui apportant une touche de fraîcheur « qui soutirera
aux habitants un simple sourire en coin, voir un sentiment de
bien-être »2.
À Bruxelles par exemple, il existe des initiatives
communautaires, encouragées par des politiques volontaristes
visant à développer la démocratie citoyenne et favoriser
diférentes formes d'expressions culturelles et artistiques. Des
plantations spontanées apparaissent et l'art de rue se développe.

Parmi les gens qui revendiquent l'espace public comme


lieu d'expression, on peut citer Florian Rivière, artiste de rue,
qui recherche plus d’autonomie et de liberté dans l’espace
public. Il se déinit comme un hacktiviste urbain. Inspiré par
la culture hacker, il réinvestit l’espace public et détourne le
mobilier urbain pour permettre aux citadins de se réapproprier
leur environnement. Situées entre le design urbain, la
revalorisation des déchets et le Do It Yourself, ses interventions
sont exclusivement réalisées à partir d’objets trouvés dans la rue.
C'est avec beaucoup d’humour mais aussi un discours politique
qu’il démonte les bancs avec dispositifs anti-sdf pour en faire
des tentes pour les sans-abris. Parallèlement, de 2008 à 2012,
Florian Rivière a animé le collectif Démocratie Créative très
actif à Strasbourg.

1 DENNEMONT Laurent, « Investir l'espace public, geste citoyen ou acte


de vandalisme ? », in blog Ma part du Colibri [en ligne]
2 Ibid

159
Florian Rivière
Hacktiviste urbain
En investissant l'espace public comme il investirait un espace
privé, l'artiste mélange les sphères et insiste sur l'appropriation
personnelle d'un espace censé rester neutre. C'est ce que fait
également le collectif de street art berlinois Mentalgassi en
utilisant les supports de la rue pour jouer sur le détournement
d’images et mettre en exergue la déshumanisation de nos
comportements quotidiens.
Enin, on peut citer l'enseigne de mobilier Ikea, qui, pour
promouvoir ses produits, a joué sur ce besoin collectif de se
sentir «  comme chez soi  » dans un espace impersonnel. En
installant des fauteuils et des canapés sur les quais du métro
parisien, elle apporte un peu de confort et de chaleur à un
espace banal et froid.

Paradoxalement à ce désir d'investir l'espace public qui


semble donner lieu à de plus en plus d'interventions, certains se
posent des questions sur le futur de ces espaces. Dans son blog,
Josselin Perrus a des inquiétudes quant à leur devenir à l'heure
du numérique. Selon lui, les mondes numériques tendent à
privatiser l'espace public.

« Dans l’espace public, chacun peut s’imposer à l’autre,


pour le meilleur ou pour le pire (...) Dans tous les cas
l’individu n’a d’autre choix que d’accepter l’interaction qui
lui est imposée, quitte à fuir. »1

Il dénonce le fait que les espaces privés se substituent à


l'espace commun (ou public) par l’utilisation des moyens de
communication numérique.

1 PERRUS Josselin, «  L'espace public à l'heure du numérique  », janvier


2010, in Meaning Fool [en ligne]

161
Collectif Mentalgassi
Public Intimacy Series
Ikea s'expose dans quatre stations parisiennes
du 10 au 24 mars 2010
Autre exemple d'inquiétude, formulée par les auteurs
de l'ouvrage québécois Dérive de l'espace public à l'heure du
divertissement. Ces derniers pensent quant à eux que le principal
danger qui peut toucher l'espace public est une uniformisation
des sujets. En devenant des êtres reproduits sur un même
modèle représentationnel, ils empêcheraient un renouvellement
de l'espace public et des échanges.

« Ce serait, par exemple, le danger que peut représenter


le discours unique, qui soumettrait le sujet en l'écrasant par
sa trop grande force de pénétration. »1

Il faut donc que l'espace public reste un espace libre et


ouvert aux expressions multiples. Expressions qui permettent à
chacun d'avoir une place et une identité mais qui encouragent
aussi les échanges. Selon eux, la raison d'être de l'espace public
réside aussi dans sa capacité à générer des échanges et des projets
communs qui animent les sujets.

1 PERRATON Charles, PAQUETTE Étienne, BARETTE Pierre, dir.,


(2007) Dérive de l'espace public à l'heure du divertissement, Québec, Presses de
l'université du Québec, in Google Livres [en ligne]

164
Ursus Wehrli
he art of clean up
4.
Diférentes approches
des espaces publics

Après cet état des lieux du contexte urbain qui comprenait


des déinitions, des conceptions diférentes et des exemples de
comportements associés à l'espace public, le projet ambitionne
de se concentrer sur les deux types d'espaces appelés espaces de
détente et espaces d'attente.
Comme expliqué précédemment, les espaces dits de détente
intègrent deux aspects intéressants : le rapport aux autres
(attitudes collectives) et le rapport à soi (attitudes individuelles).
Ces deux attitudes sont caractéristiques de l'espace public.
Le deuxième type d'espace, dit d'attente, engendre l'arrêt.
Un moment qui peut être utilisé pour proposer une expérience
diférente de la ville, pour insister sur l'importance de la pause
et inciter le citadin à prendre le temps d'observer sa ville.
Y associer la musique, qui favorise elle aussi ces deux aspects,
permettrait de mettre en valeur ces attitudes d'ouverture et de
fermeture.

Il s'agit ensuite de choisir les lieux publics adéquat à des


interventions sonores ou silencieuses, des lieux que la musique
enchanterait, révélerait. Des lieux associés à des comportements

166
que la musique encouragerait, dévoilerait, transformerait. Des
lieux dans lesquels mon intervention pourrait inviter le public
à devenir contributeur actif dans le process et le résultat ou
simplement à se placer en observateur-auditeur.

Pour choisir ces lieux à la fois distincts et complémentaires,


il est d'abord intéressant d'observer les diférentes attitudes
inhérentes à ces types d'espaces publics. Trois d'entre elles
m'ont poussée à l'exploration : l'attitude collective qui donne
lieu à l'échange (aller vers les autres, faire avec les autres et ce qui
nous entoure), le besoin d'évasion (quitter l'univers stressant
de la ville un moment, ralentir le rythme, se détendre) et le
besoin de déconnexion totale engendré par l'agacement du
bruit perpétuel et du mouvement incessant (s'arrêter, trouver le
silence, « être là sans être là »).

a. L'échange

« On ne vend pas la musique. On la


partage. »
(Leonard Bernstein)

Centrale ou périphérique, capitale ou mégapole, la ville


moderne est reconnue pour son dynamisme socioculturel,
pour sa position géographique ou pour son importance au sein
d’un ensemble national ou international. Lieu de mémoire, de
désir, de langage et d’échange, la ville est également le relet de
l’identité et de la diversité culturelle de son territoire.
Les comportements d'échange sont multiples et les projets
visant à développer une interaction entre les citadins leurissent.

167
J'en ai choisi trois qui m'ont particulièrement touchée.
Le premier est un projet d' Aram Bartholl, qui a imaginé une
version street du Peer to Peer (un système de partage de ichiers
sur le net) en développant le projet Dead Drops.
Ce New Yorkais a installé cinq ports USB dans sa ville,
carrément plantés dans les murs de divers bâtiments. Ces Dead
Drops sont des points d’échanges où tout le monde peut ofrir
ou prendre les ichiers qu’il veut, juste en y branchant son
ordinateur.
Le second projet qui a retenu mon attention est celui de
Hyeonil Jeong, jeune designer New Yorkais, qui a conçu divers
instruments sonores pour créer de l'interaction dans le métro.
C'est par hasard que je suis tombée sur ces installations, lors
d'un voyage à New York en avril dernier. Des gens étaient déjà
en train de s'amuser à taper des rythmes en attendant leur train.
C'est avec surprise que j'ai compris qu'ils ne se connaissaient
pas. Ils échangeaient par des sons, proitant de cet instant de
convivialité.
Enin, le troisième projet qui me touche particulièrement
par sa poésie et la gaieté qu'il génère a été imaginé par l'agence
montréalaise Daily Tous Les Jours. Vingt et une banlançoires
sont disposées sur la place du quartier des spectacles. Lorsque
les gens s'y balancent, leur croisement crée des sons (des
tintements légers et vifs, comme ceux d'un xylophone). Plus les
gens accordent leur mouvement - se balancent ensemble - plus
les sons sont accordés.

En ville, le lieu qui symbolise les attitudes collectives (à travers


le rassemblement, le partage  ...) et qui répond à l'idée d'un
espace public générateur d'échanges est le kiosque à musique.
Le lieu représentatif de la musique en ville par excellence.
À l'origine, le kiosque a une connotation religieuse. Il est
associé aux temples dédiés à certaines divinités. Dès le milieu

168
Aram Bartholl
Dead Drops
2010
Hyeonil Jeong
Jammin NYC
2012
Daily tous les jours
21 balançoires
2011
de l’époque moderne, il désigne un pavillon de jardin ouvert
de multiples côtés vers le paysage jardiné (dans la haute société
européenne). Il devient alors l’abri de rendez-vous galants et
le symbole des convoitises amoureuses nocturnes. Ce n'est que
dans la première moitié du XIXe siècle qu'il prend sa fonction
musicale. La musique n’est plus alors réservée à une élite savante
coninée dans des salons feutrés ou des jardins entretenus,
elle devient une afaire publique. D'ailleurs, c'est en 1848
que la musique est oiciellement reconnue « comme matière
de l’enseignement et comme mode de culture et de progrès
intellectuel pour le plus grand nombre »1.
La même année, le Ministre de l’Intérieur autorise les
mélomanes à se produire en plein air et en public - un
droit jusque là réservé aux militaires - «  à condition que ces
rassemblements aient lieu en des endroits au préalable déinis et
facilement cernables par les forces de police en cas d’apparition
de troubles »2.
Dès lors, on se met à construire des estrades un peu partout
en France pour accueillir des formations d’instruments à
vent et des percussions. Le kiosque à musique recouvert d’un
toit n’existait pas encore. Puis, avec l'arrivée de la valse, les
instruments à cordes (instruments de prédilection) ont du mal
à se faire entendre, leur capacité acoustique étant loin de valoir
celle des cuivres ou celle des bois. C’est alors qu'on édiie un
toit au dessus de l’estrade. Cette couverture permet à la fois de
favoriser l’acoustique et d’abriter les musiciens.
Rapidement, les villages français se dotent d’un kiosque
musical que les maires faisaient édiier le long des promenades

1 «  Historique du kiosque à musique  » [en ligne]. URL : http://michel.


langlais.perso.sfr.fr/histoire.htm
2 Ibid

172
Marie-Claude via fotocommunity [en ligne]
Rendez-vous au kiosque à musique...
2012
de bord de mer, dans les jardins publics ou sur les places. L’âge
d’or des kiosques à musique débute. Toutes les couches de la
société s’y retrouvent pour danser au son de l’orchestre installé
dessous. Cette belle époque des kiosques à musique durera
jusqu’en 1914.

Aujourd'hui, la fonction principale du kiosque à musique -


accueillir des musiciens - a un peu disparu. Certains kiosques
sont encore utilisés à cette in lors d'événements particuliers
comme la fête de la musique. La mairie de Paris propose aussi
certains kiosques à des groupes de musique qui voudraient
se produire gratuitement entre mai et octobre. Mais le reste
du temps, ils servent plus souvent d'abris aux personnes sans
domicile, d'aire de jeu dans les squares pour les enfants ou
de lieux de regroupements variés (pour pique-niquer, pour
discuter...). Le kiosque à musique est une architecture présente
en nombre à Paris. Élégante, elles fait partie intégrante du
paysage urbain. Spéciiquement conçu pour une acoustique
particulière, ce lieu est idéal pour mêler musique et interaction.

La musique, comme je l’ai démontré dans mon mémoire de


philosophie, est un réel outil de rassemblement, d’expression,
d’échange et de partage. En générant une communication non
verbale, plus accessible et plus maniable, elle crée une sorte
d’échange, de discussion par les sons. Selon la musicothérapeute
Virginie Pape, « la musique est un vecteur de communication,
un langage avec ses codes et sa syntaxe »1. Sa fonction sociale
permet de créer du lien.

1 PAPE Virginie (2011), Les musiques de la vie, p. 20

174
Anonyme
Daily tous les jours
La machine à Turlute
2011
b. L'évasion

« Nous voulons examiner des images bien simples, les


images de l'espace heureux... L'espace saisi par l'imagination
ne peut rester l'espace indiférent livré à la mesure et à
la rélexion du géomètre. Il est vécu. Et il est vécu, non
pas dans sa positivité, mais avec toutes les partialités
de l'imagination... Sans cesse l'imagination imagine et
s'enrichit de nouvelles images. C'est cette richesse d'être
imaginé que nous voudrions explorer. »1

L'évasion signiie ici l'action de se soustraire à l'emprise de


quelque chose, à la monotonie, à la fatigue de la vie quotidienne
(dictionnaire Larousse en ligne). Certaines notions découlent
naturellement de l'évasion comme l'imagination, l'errance, le
voyage, le ralentissement, la redécouverte et la halte.

L'errance est un terme intéressant. Il sous-entend la


déconnexion de la conception d'une ville rapide et eicace. En
acceptant d'errer, on accepte de prendre le temps de se perdre,
ou du moins d'emprunter un nouveau chemin. L'errance fait
peur en suggérant l'ennui, la perte de repères. Mais n'est-il pas
important de savoir parfois se laisser déambuler, de ne pas avoir
forcément de but précis dans son déplacement ? Selon l'écrivain
Guy Debord, « la formule pour renverser le monde, nous ne

1 BACHELARD Gaston, La poétique de l'espace, cité par France Culture [en


ligne]. URL : http://www.franceculture.fr/oeuvre-la-poetique-de-l-espace-de-
gaston-bachelard

178
Barreau & Charbonnet, designers et plasticiens
Le sas des ralentis
2012

Mise en abîme sonore de la ville dans la nature. Séquences de sons urbains


retravaillées sur l’idée de la lenteur et de la lévitation pour suggérer le besoin
de prendre son temps.
l’avons pas cherché dans les livres mais en errant »1.

« La perte de sens et la désorientation, perturbation des


perceptions de l'espace et du temps, touche l’ensemble de
la société, ses institutions, ses observateurs et ses citoyens :
dérives et des rêves d’une société incarcérée dans le présent
immédiat où l’urgence et la proximité apparaissent comme
les dimensions essentielles du temps et de l’espace et où
les grands récits ont disparu. Organisations et individus
désorientés errent sans pour autant reconnaître l’errance.
Le monde doute sans accepter son désarroi, tout entier
mobilisé dans le simulacre, l’abrutissement et la tentative
de reproduction pour conjurer les peurs. »2

En ville, s’échapper furtivement du quotidien est un besoin


fréquent. Il peut s’agir d’en détourner l’univers codé, de
contourner par l’usage les fonctions qui sont assignées à un lieu
ou carrément de prendre des chemins de traverse.
Au-delà de fonctions et usages clairs, la ville possède ses
lieux d’observation d’où elle se laisse questionner. Des lieux
d'observation qui laissent la place à l'imagination, à la libre
appropriation des usages. Ces lieux d'évasion par excellence
sont principalement les parcs et les jardins publics.

Le jardin public est un lieu qui permet aux habitants de


s'éloigner de la ville, du boulot. Pour se détendre, se ressourcer,
être au calme, se revigorer et s'évader du quotidien, seul, en

1 DEBORD Guy cité par GWIAZDZINDKI Luc, « Un possible manifeste :


éloge de l’errance et de la désorientation », in ERRE - Variations labyrinthiques,
Centre Pompidou Metz, mai 2012 [en ligne]
2 GWIAZDZINDKI Luc, « Un possible manifeste : éloge de l’errance et de
la désorientation », in ERRE - Variations labyrinthiques, Centre Pompidou
Metz, mai 2012 [en ligne]

180
Extrait de Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de
Georges PEREC (éditions Bourgeois, 1975)

« La date : 18 octobre 1974


L'heure 12 h. 40
Le lieu Café de la Mairie

Plusieurs dizaines, plusieurs centaines d'actions simultanées,


de micro-événements dont chacun implique des postures, des
actes moteurs, des dépenses d'énergie spéciiques : discussions à
deux, discussions à trois, discussions à plusieurs : le mouvement
des lèvres, les gestes, les mimiques expressives
(...) degrés de détermination ou de motivation : attendre,
lâner, traîner, errer, aller, courir vers, se précipiter (vers un taxi
libre, par exemple), chercher, musarder, hésiter, marcher d'un pas
décidé
(...) Tous les pigeons se sont réfugiés sur la gouttière de la
mairie.
Un 96 passe. Un 87 passe. Un 86 passe. Un 70 passe. Un
camion « Grenelle Interlinge » passe
(...) Le café est plein
Sur le terre-plein un enfant fait courir son chien (genre Milou)
Juste en bordure du café, au pied de la vitrine et en trois
emplacements diférents, un homme, plutôt jeune, dessine à la
craie sur le trottoir une sorte de « V » à l'intérieur duquel s'ébauche
une manière de point d'interrogation ( land-art ?)
(...) Un cycliste télégraphiste. Des livreurs de boissons. Un 86.
Une petite ille avec un cartable sur les épaules.

»
Pommes de terre en gros. Une dame menant trois enfants à
l'école (deux d'entre eux ont de longs bonnets rouge s à pompons)
Il y a une camionnette de croque-morts devant l'église.
couple ou en famille.

De nos jours la végétation, par opposition au minéral, occupe


une place importante dans le tissu urbain des villes occidentales.
Nathalie Long et Brice Tonini, chercheurs en géographie, ont
mené une étude exploratoire des espaces verts urbains pour
faire le point sur les pratiques et le ressenti des usagers. Ils ont
d'abord mis en avant le fait que la nature est de plus en plus
désirée par les urbains pour leur permettre de supporter la ville,
de l'accepter dans leurs pratiques et usages quotidiens. Les
espaces verts sont des lieux de détente et de récréation, prisés
par les citadins. L'étude montre que les apports de la végétation
sont indéniables : elle est une source de bien-être et de plaisir,
et son pouvoir apaisant contribue à la réduction de certains
maux urbains comme la pollution de l'eau et de l'air ou l'îlot
de chaleur.

En 2008, L'UNEP1 note que 7 Français sur 10 choisissent


aujourd'hui leur lieu de vie en fonction de la présence
d'espace vert à proximité de leur habitation. Les raisons de cet
engouement sont diverses : relaxation, rencontre des autres
habitants ou pratique d'un sport ou d'une activité récréative.
D'après l'enquête menée à Nantes dans trois parcs urbains et
auprès d'habitants d'un quartier durable d'Angers, il en ressort
une volonté réelle des usagers de faire une coupure avec la ville,
de se retrouver dans un endroit calme ou de pratiquer une
activité.
L’observation menée par les chercheurs en géographie

1 Étude de l'UNEP (Programme des Nations Unies pour l’environnement)


citée par LONG Nathalie et TONINI Brice, «  Les espaces verts urbains :
étude exploratoire des pratiques et du ressenti des usagers  », in Vertigo - la
revue électronique en sciences de l'environnement, septembre 2012 [en ligne]

182
Pratiques recensées dans les parcs urbains
(d'après une étude des espaces verts de la ville de Nantes)1

Sport
jogging
échaufement
Sport vélo/VTT
foot avec les enfants
roller/skate
pêche

Autre avec son chien


avec une poussette
Marche / avec un enfant
photographie en couple
promenade /
à vélo
balade
digestive
sportive

Trajet / à vélo
parcours domicile - travail
contemplative domicile - commerces
Visite touristique
en famille

surveillance des enfants


contemplation du paysage
repos/sieste Assis /
déjeuner/pique-nique
lecture sur l'herbe
Allongé
lecture sur banc
bronzage

1 LONG Nathalie et TONINI Brice, «  Les espaces verts urbains : étude


exploratoire des pratiques et du ressenti des usagers »

183
a également permis de repérer des circuits récurrents de
déambulation au sein des parcs et jardins. Bien que chaque
usager soit théoriquement totalement libre de ses faits et gestes,
l’aménagement et la composition de l’espace sont de puissants
organisateurs des lux qui, en déinitive, ne changent qu’en
termes de vitesse des parcours empruntés et de sens de rotation
des itinéraires de promenade.

3.
La déconnexion : le silence

« Quelle musique, le silence ! »


(Jean Anouilh, Extrait de Le directeur
de l'Opéra)

« Musique. Art du silence. »


(Jean Ethier-Blais, Extrait de Le
Manteau de Rubén Dario)

Troisième envie, troisième besoin, troisième approche


de la ville. Une approche particulière car elle consiste en une
déconnexion totale, diicile voire impossible dans l'espace
public.
L'évasion abordait plutôt l'idée d'une déconnexion partielle,
une déconnexion de l'univers de la ville pour découvrir ou
redécouvrir des lieux, pour observer diféremment, pour se
laisser emporter dans un imaginaire lié à la spatialité.
Ici, le sujet est autre. Je suis en ville, je marche dans la rue
pour me rendre à un endroit quelconque. Mon trajet est long.
J'ai parfois soudainement envie de me déconnecter. De quitter
l'ambiance mouvementée et bruyante de la ville. Me retrouver

184
Extrait du poème espagnol traduit J’ai besoin de silence,
de Hugo Cuevas Mohr (recueil Puerta en puerta)

« Silence
j’ai besoin
de silence

Silence
je réclame
du silence

Silence
que la ville se taise
que la rue s’arrête
que les radios disparaissent
que les voitures patientent
j’ai besoin de silence

Silence
je ne veux pas de voix, je ne veux pas de cris
je ne veux pas de portes qui claques, ni de lamentations
je ne veux pas de coups de feu, ni de peur
je ne veux pas de discours, ni de consignes
je ne veux pas de murmures
je veux le silence

Silence
que mes oreilles n’entendent plus rien
que mes yeux se ferment pour oublier
que je puisse sentir mon soule
que je puisse pénétrer en moi

»
j’exige le silence

(...)
tranquille. Ne plus rien entendre.
Contrairement aux deux attitudes décrites précédemment,
les désirs d'échange et d'évasion, ce besoin de silence et de
déconnexion complète est diicilement réalisable dans les
divers lieux publics et semble plus facile à solutionner dans
l'espace privé.

Le silence serait-il alors un luxe en ville ?


Dans l'évaluation des nuisances, critère qualiié comme
primordial pour l’évaluation de la qualité de la vie, les nuisances
sonores apparaissent comme les plus directement néfastes à
une bonne qualité de vie. Les sources de bruit sont diverses :
les voisins, l’activité commerciale ou l’animation de quartier,
la circulation auto-mobile, l’activité industrielle, ferroviaire ou
aérienne. En ville, les transports sont la principale source de
nuisance sonore pour 54 % des gens interrogés dans un rapport
d'information de l'Assemblée Nationale1. Parmi les bruits liés
aux transports, c’est la circulation routière qui gêne le plus.
L'enquête explique également que pour un Français sur deux,
les bruits sont jugés plus dérangeants en journée que la nuit,
quand un Français sur quatre seulement pense l’inverse.
En 2004, l’AFSSE2 considérait que, bien qu’imprécises
en raison de leur complexité, plusieurs études semblent
indiquer qu’il existe une augmentation de la consommation
de médicaments à proximité des grandes sources de bruit. Au
niveau européen, il a été noté que dans les zones où le bruit
atteignait 60 décibels, 15 % des résidents touchés prenaient des
somnifères ou des sédatifs presque tous les jours ou plusieurs

1 Assemblée Nationale, « Rapport d'information sur les nuisances sonores »,


juin 2011 [en ligne]. URL : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/
i3592.asp (consulté en janvier 2013)
2 Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale

186
Kevin
L'attente à l'arrêt de bus
(Place République à Rennes)
2011
via lickr [en ligne]
URL : http://www.lickr.com/photos/billy_boy_35/
fois par semaine, alors que seuls 4 % de la population totale
(non afectée par le bruit) consomment de tels produits.

Comment échapper au bruit dans l'espace public ? Comment


retrouver une bulle de silence ponctuelle ? Il s'agit alors de
trouver un moment et un lieu propices à l'élaboration de cette
bulle silencieuse. Une manière d'échapper à la cacophonie
générale, pour se retrouver avec soi-même.

Dans les trois types d'espaces analysés précédemment,


les espaces d'attente - qui contraignent les gens à l'arrêt -
sont intéressants à investir pour proposer une halte dans
l'efervescence ininterrompue de la ville.
L'arrêt de bus est un lieu qui répond à ce type d'attente
contraignante. Une attente qui est souvent vécue comme un
moment très ennuyeux. Il n’y a pas grand chose à faire. Quelques
projets ont tout de même été mis en place ces dernières années,
revisitant l'architecture de l'arrêt de bus et ses fonctions. Gare
de Lyon par exemple, on pouvait expérimenter la station de bus
Osmose (jusqu'à in 2012), initiative de la RATP qui a voulu
imaginer l'arrêt de bus du futur. Cette station est conçue dans
la même logique qu’un concept-car, pour démontrer qu’un
arrêt de bus important peut accueillir des services tout autant
destinés aux voyageurs qu’aux passants et aux riverains. Elle
intègre de nombreux services innovants tels que des écrans
tactiles interactifs pour se repérer ou se déplacer, un mini-
espace commercial qui accueille des commerçants ambulants
ou encore une bibliothèque en libre-service. Une ambiance
apaisante et confortable a été spéciiquement mise au point avec
une animation lumineuse et sonore originale, évoluant tout au
long de la journée.
En revisitant les fonctions d'un lieu aussi banal que l'arrêt de
bus, ce projet propose de nouveaux rapports au lieu, engendrant

188
Richard Hooker (photos 2 et 3)
Bus Stops
2001-2005
Daily tous les jours
Sound capsule
2010
(ou espérant engendrer) de nouveaux comportements.
Seulement, en concentrant autant de technologies et de
fonctions diférentes, il semble vouloir combler absolument le
moment de l'attente. Celle-ci doit devenir aussi eicace que le
reste de nos déplacements.
Dans les faits, le public n'a pas complètement investi cet arrêt
du futur. Changer des habitudes aussi naturelles qu'attendre à un
arrêt de bus est peut-être plus compliqué qu'on ne l'imaginait.
Malgré tout, le but de cette initiative - montrer que les arrêts de
bus urbains et leur gestion pouvaient évoluer, « que ce soit en
termes de confort, d’information ou de services »1 - est plutôt
atteint.

Pour moi, une attente «  eicace  » peut aussi signiier une


attente assumée. L'attente étant instinctivement liée à l'arrêt de
bus, pourquoi ne pas en proiter pour se déconnecter et non
pour s'hyper-connecter ?

En somme, l'arrêt de bus est un lieu intéressant pour


proposer une expérience diférente de l'attente et de la ville
elle-même. On peut utiliser ce lieu d'attente pour proposer une
expérience musicale particulière et pour mettre en place une
véritable « bulle » de silence.

1 Dev Mag', « Osmose, la station de bus du futur », in RATP DEV [en ligne]

191
III.
Quand la musique s'invite en ville
Partage et appropriation sonores des espaces
1.
Objectifs
Par le biais de la musique, ma démarche vise à travailler à la
fois sur le rapport à ceux et ce qui nous entoure et le rapport à soi
en ville. Pour cela, le projet prend en compte les trois attitudes
analysées précédemment - la volonté d'échanges (le rapport aux
autres), le besoin d'évasion et le besoin de déconnexion totale - et
les intègre à trois types d'espaces publics - le kiosque à musique,
le jardin et l'arrêt de bus. En mêlant les qualités intrinsèques
de la musique aux particularités de ces espaces publics, il s'agit
de proposer aux citadins de nouvelles expériences urbaines qui
invitent à de nouveaux rapports aux lieux, aux autres et à soi-
même.
Dans ce projet, la musique est l'outil qui sert à créer de
l'interaction et de l'évasion. Dans un premier cas, elle est un
outil à manipuler (les citadins sont acteurs des sons produits).
Dans le second cas, elle est un outil à entendre. Pour mettre en
valeur ses qualités, il est intéressant de travailler également sur
son pendant, le silence. Même s'il n'est pas directement question
de musique, le silence y est étroitement lié. Avec cette troisième
direction de recherche, il ne s'agit plus de créer ou d'entendre
des sons, mais de diminuer les sons qui sont déjà là (les bruits de
la ville), voire les supprimer un moment. La musique n'est plus

195
l'outil principal de travail, mais peut en devenir un objectif  :
en créant une "bulle" de silence, le choix est laissé à l'individu
d'écouter sa propre musique.

Certains points sont importants dans le développement de


ce projet. D’abord, je ne veux pas imposer l'écoute de musique
aux individus. Il est important de leur laisser le choix. Le projet
prend donc en compte les usages actuels vis à vis de l'écoute
musicale (l'utilisation fréquente du téléphone comme outil
d'écoute, le port de casques ou d'oreillettes...). Ensuite, il me
tient à coeur de conserver une dimension poétique à travers les
systèmes mis en place.

Les enjeux sont à la fois sociaux, psychologiques et culturels.


Il s’agit dans un premier cas de proposer des expériences
individuelles qui conduisent à une détente certaine. Et dans un
second cas de créer des liens entre les gens et entre les espaces.
Des liens favorisés par les grandes villes comme Paris. De par
sa diversité culturelle et l’hétérogénéité de sa population - Paris
est le foyer d’une forte immigration qui contribue à une riche
diversité culturelle - cette ville est la plus appropriée pour
développer mon projet.

196
Communication :
échanges

Musique

Silence

Individuel :
détente, évasion

J'intéragis avec les


autres / avec ma ville

Ville

Je m'évade, je m'échappe Je me déconnecte, je


du quotidien retrouve le silence
2.
Ma posture

Pour introduire le positionnement que j'ai choisi d'adopter


en tant que designer, j'ai d'abord souhaité parler du «  mal
de vivre en ville  », une notion de plus en plus considérée
aujourd'hui et ressenti par de nombreux Français. En efet,
malgré une élévation globale de leur niveau de vie, le souci de
la qualité s'est peu à peu airmé dans toutes les couches de la
population. L'aspiration à des conditions de vie diférentes et
le développement d'une civilisation des loisirs engendrent de
nouvelles formes d'utilisation de l'espace, de nouveaux besoins
et de nouvelles exigences.

En intervenant directement dans l'espace public pour créer


de nouvelles expériences, j'aspire à un certain mieux-vivre.
Notion que je décortique dans la partie philosophie de mon
mémoire, et qui me tient particulièrement à coeur. Si je devais
justement donner une déinition du design, je dirais que c'est une
activité de conception et de création, dans laquelle le designer se
place en médiateur, croisant et centralisant diférentes données
(des besoins individuels et collectifs, des moyens industriels et
économiques et des observations sur les comportements, les
usages et les goûts) dans le but d'améliorer l'existant à toute
échelle pour aller vers un mieux-vivre.

Comme l'annonce mon introduction, je considère que le


rêve, l'enchantement et le divertissement sont de réels besoins, et
par conséquent des sujets de design aussi légitimes que les autres.
En abordant la musique comme un outil de rassemblement,
d’évasion et de déconnexion, j'essaie d'apporter un plus en

198
enchantant le quotidien des citadins. Ma démarche de design
prend en compte une dimension poétique, sensible et plastique
qui s'apparente au processus créatif de l'artiste. En efet, en
proposant des expériences sonores, spaciales et humaines, il me
tient à cœur d'aborder la ville - cet espace si impersonnel et
fonctionnel - d'une manière plus sensible.

Pour appuyer ma démarche, je veux donner


l'exemple qui pour moi représente cette vision du design
« multidisciplinaire »1. Il s'agit de l'agence montréalaise Daily
Tous Les Jours, régulièrement citée tout au long de ce mémoire.
Ses membres sont designers, artistes ou ingénieurs et travaillent
ensemble sur des projets dans l'espace public à la croisée entre
installations, design d'interaction et technologie, encourageant
la participation des individus. Ils recherchent de nouvelles
façons d'interagir et de raconter des histoires en apportant de
la magie dans des lieux, des comportements et des objets « de
tous les jours ». Leurs projets, conçus à grande échelle, prennent
diférentes formes : interventions et cartographies urbaines,
expositions, produits, scénographie, événementiel, logiciels
d'applications et vidéos.

1 Traduction de l'anglais (Daily tous les jours leads multi-disciplinary


projects at the intersection of participation, design and technology), in
Daily Tous Les Jours [en ligne]

199
3.
Trois espaces / trois approches de la musique

a. Le kiosque à musique / partage et création


musicale collective

L'objectif de cette direction de recherche et de redonner vie


au kiosque à musique, qui est le lieu musical symbolique en
ville.
En partant du constat que les kiosques à musique sont souvent
situés dans des squares (lieux de jeux, de détente, d’échanges,
d’amusement, de plaisir), le projet donne à la musique un rôle
social et divertissant en voulant l'utiliser comme outil vecteur
de jeux, de créations, d’échanges et de rassemblement.
Elle n'est pas seulement à écouter mais à manipuler. L'idée
est de donner la possibilité aux individus de produire eux-même
leur musique. Dans les thérapies musicales, la manipulation
d’instruments sonores est très importante car elle permet à la
personne qui produit du son de se sentir créatrice et ainsi de
communiquer à sa manière par la musique. Elle permet surtout
des échanges sonores entre plusieurs personnes. C’est un moyen
de communication non verbale.
Dans ce projet, le kiosque peut abriter des installations
sonores (percussions diverses) proposées à ceux qui veulent
les expérimenter (enfants ou adultes). Il s'agit alors de choisir
précisément les outils mis en place pour proposer une variété
sonore et respecter les normes de sécurité des lieux publics. Je
veux orienter mes recherches sur l’expérience sensorielle liée au
son (souler, taper, caresser...).

200
Dans un deuxième temps, je veux insister sur le rapport aux
autres et aux lieux en développant un système de connexion
entre plusieurs kiosques à musique. En reliant ainsi les gens
et les espaces, il peut alors devenir possible d'entendre ce que
joue ou écoute une personne dans un autre lieu parisien. Les
kiosques deviennent des plateformes d'échanges musicaux, des
incarnations spatiales et matérielles des plateformes virtuelles,
rassemblant réellement les gens.
Mon travail de designer consiste à concevoir les objets
appropriés à l'expérience et au lieu ainsi qu'à développer le
service d'échanges musicaux.

202
2. Le jardin public / évasion

La musique est ici utilisée comme outil d'évasion et de


déconnexion partielle avec la ville. Elle devient une valeur
ajoutée à la promenade.
En choisissant un jardin public en particulier, ce projet
consiste à travailler sur une écoute musicale qui génère une sorte
d'errance. Le promeneur peut accéder à cette écoute via son
smartphone et se laisser guider par un parcours sonore (mis en
place grâce à un système de puces de type RFID1). En fonction
des particularités du jardin (un monument, une fontaine,
une anecdote ...), la musique évolue. Indéniablement lié à la
composition musicale, ce travail m'amène en partie à travailler
en collaboration avec un musicien. Je situe néanmoins mon rôle
principalement dans le développement du service proposé.

1 Radio Frequency Identiication : méthode utilisée pour stocker et récupérer


des données à distance en utilisant des balises métalliques de la taille d'un
grain de riz.

204
Etape 3
Borne 3 = sons 1
+2+3

Etape 2
Borne 2 = sons
1+2

Etape 1
Borne 1 =
son(s) 1
« Être dans sa bulle »
L'arrêt de bus revisité
Vision d'ensemble

PROPOSER DES EXPERIENCES MUSICALES


sig ure
r
ne
de o s t
P

Contexte :
espaces Outil :
publics musique

Rendre le
quotidien agréable, Faire rêver
le réanchanter Divertir
Détendre
apaiser
Améliorer l'existant à évader
toute échelle pour aller
Bulle
vers un mieux-vivre
Déconnexion

Communication
échanges
partage
collectif
Conclusion

Alors que nous vivons dans une société qui prône l'eicacité
permanente où le stress - « le mal du siècle » actuel - est devenu
une de ses principales caractéristiques, prendre son temps pour
se divertir, pour rêver ou pour se reposer relèvent presque du
luxe.

Ayant toujours accordé une importance toute particulière


aux rapports humains et au bien-être (personnel et collectif ), je
m'appuie sur la conviction que le divertissement est nécesaire
à une bonne hygiène de vie. André Gide le disait en écrivant :
« c’est un devoir que de se faire heureux ». La pensée épicurienne
déinit d'ailleurs le vrai bonheur comme une vie fondée sur le
plaisir.

«  Il faut donc méditer sur ce qui procure le bonheur,


puisque, lui présent, nous avons tout, et, lui absent, nous
faisons tout pour l'avoir. »1

1 EPICURE, Lettre à Ménécée, Paris, PUF, collection Epiméthée, 1990,


page 217

215
«  Consonances urbaines » propose une vision sensible et
poétique de la ville. Le pari est de créer de véritables accords
entre certains espaces urbains et les qualités de la musique. Des
accords qui engendrent rassemblement, évasion et déconnexion,
où la musique est un outil générateur d'expériences sonores,
spatiales et humaines.
Je veux mettre en valeur les rapports aux autres, aux lieux
et à soi-même dans ce contexte public et multiculturel qu'est
le ville.
Pour cela, ma démarche s'appuie à la fois sur des processus
poétiques, sensibles et plastiques qui s'apparentent à ceux de
l'artiste et à la fois sur une analyse des comportements citadins
liés aux espaces choisis.

Lors de la phase de conception, plusieurs dimensions


sont à aborder comme les imaginaires et les comportements à
développer dans les lieux choisis, les diférentes technologies
nécessaires à la mise en place des installations matérielles et
des services proposés, la cohérence et la facilité d'usage de ces
services, objets et interfaces.

À travers ce projet et en s'insérant dans des problématiques


culturelles et sociologiques, le design est créateur d’expériences
sensorielles, spatiales et interactives.

Au delà du diplôme, je veux poursuivre cette recherche de


rêve, de bien-vivre, de jeu et d'interaction dans le design en me
tournant vers ceux dont la vie est un grand terrain de jeux : les
enfants.

216
Merci...

... à toi lecteur,


d'avoir pris le temps de lire une page, un chapitre, une partie
ou même ce mémoire entier.

217
Et merci...

... aux amoureux et spécialistes de la musique qui m'ont


aidée dans ce projet. Charlotte Lafaysse pour son enthousiasme
et son envie de transmettre, Fanny Petit-Liaudon et Pascal Leroy,
pour leur écoute attentive et pour avoir éclairé ma lanterne au
sujet de la musicothérapie, Roland Cahen pour sa patience et
pour m'avoir accordé un peu de son temps.
... à mes camarades de classe, qui ont contribué par leur
joie de vivre et leur soutien à faire du DSAA deux années
inoubliables.
... à mes professeurs, et en particulier Vincent Rossin,
Vaïana Le Coustumer, Antoine Fermey, Dominique Robert
et Stéphane Vial, pour la richesse de leur enseignement et la
diversité des projets mis en place. À Jean-Pierre Quefeulou
également, pour son aide future dans la réalisation du projet.
... à mon futur binôme de charrette qui me sera j'en suis
sure d'une aide précieuse et qui ajoutera sûrement quelques
titres à mon répertoire musical.
... à tous les autres, ici et ailleurs, qui par leur simple présence
sont un soutien et une force.

218
Enin...

... cette année fut non seulement pour moi l'occasion de


plonger au coeur d'un univers passionnant, celui de la musique.
Mais aussi et surtout, elle fut l'occasion d'écouter de la musique.
Encore et encore. De découvrir des compositeurs, des artistes.
De partager les goûts musicaux de nombreuses personnes, et ce
des heures durant.

Alors merci à Marc Streitenfeld et sa Suite pour le dernier


Robin Hood, qui m'a redonné enthousiasme et motivation quand
il le fallait. Merci au Youngblood Brassband et son Chacha, aux
Barbatuques et au pouvoir calmant de leur Barbapapa's Groove,
à Bach et sa Chaconne, d'une beauté telle que je ne m'en lasse
pas.

Merci à Lhasa, Moby, he Police, Dire Strait, à Gorillaz


et sa chanson Doncamatic, à La Rue Ketanou et ses cigales,
à Yann Tiersen, Bon Iver, homas Fersen, à Jean Leloup et
Bruce Springsteen, à Hans Zimmer et Danny Elfman, au
groupe irlandais Gaelic Storm, aux Cowboys Fringants et au
Rock'n'Roll des années 50.

219
Bibliographie

Ouvrages

LEVITIN Daniel (2010), De la note au cerveau, Paris, éd. Héloïse


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Mémoires

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Sorbonne

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MANNES Elena, L’instinct de la musique, documentaire (américain),


2008

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2008

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