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Marcel Mione

Bonjour, bienvenue dans Géopolitis  ! 


Les géants de l’Internet sont-ils en train de détruire nos démocraties ? La
puissance accumulée par ces mastodontes dérange, elle inquiète. Des voix
s’élèvent contre ces fameux GAFAM, comme on les appelle, et qui forment
l’acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Que Facebook,
Google et Twitter aient pu pervertir l’élection du président des États-Unis, et
servir d’instrument au service d’une puissance étrangère : cela passe mal. Ils
sont appelés à rendre des comptes. Et en Europe, quand Google influence à son
seul profit 350 millions de consommateurs, la commissaire à la Concurrence lui
inflige une amende salée pour abus de position dominante. 
Faut-il en déduire que les institutions politiques reprennent le pouvoir ? Est-il
possible de brider ces géants du numérique ? Seront-ils davantage demain
encore ordonnateurs de nos consciences et de nos habitudes de consommation

Bonjour Jacques Attali !
Jacques Attali  
Bonjour Monsieur.
Marcel Mione
Merci de me recevoir à Paris. Pensez-vous, comme Margrethe Vestager que les
GAFA représentent un danger pour nos démocraties ? 
Jacques Attali  
Vous savez, il y a beaucoup de dangers qui menacent nos démocraties. D’abord,
c’est beaucoup de pays qui ne sont pas des démocraties. Et puis, le principal
danger qui menace nos démocraties, c’est l’absence d’éducation, d’esprit
critique de nos concitoyens. Et la résignation à l’égard du pouvoir. 
Mais les GAFA font partie de ça. D’abord, il faut plus parler de GAFA, il faut
parler des GAFA et de leurs contreparties chinoises qui sont peut-être
aujourd’hui encore plus présentes, menaçantes et envahissantes. Ensuite, il faut
bien les voir dans un contexte plus large que les noms qui sont derrière ces
quatre initiales : il y a beaucoup d’autres firmes que cet acronyme, qui
représente en fait une maîtrise des données. Et cette maîtrise des données, si
elle n’est pas contrôlée par un pouvoir politique démocratique peut en effet
être une menace pour la démocratie, de mille et une façons. En s’appropriant
une partie importante des richesses sans les payer, en créant des inégalités plus
considérables que jamais, en influençant le comportement, en orientant les
points de vue, et en faisant en sorte que le vote ne soit plus qu’une illusion. On
n’en est pas là, mais ça pourrait arriver. 
Marcel Mione
Il y a eu la conquête de l’Amérique du Sud par les conquistadors, la conquête de
l’Inde par l’Empire britannique. Est-ce qu’on assiste aujourd’hui à la conquête
numérique de la planète ? 
Jacques Attali  
Ben, c’est un contient virtuel, que j’ai appelé e 7ème continent il y a plus de 25
ans, qui est en train d’être peu à peu colonisé, mais qui nous revient, puisque
c’est le continent […] nos données. Donc, c’est nous qui sommes impliqués. Et
donc la seule façon de gérer cela de façon décente, puisque le numérique crée
une unification planétaire virtuelle, c’est d’avoir une efficacité planétaire réelle
de la démocratie, et donc des institutions démocratiques planétaires. On en est
très loin, mais au moins des règles de gouvernance qui permettraient de
protéger la propriété des données, d’éviter qu’elles nous soient volées, et de
créer des conditions pour que chacun ne soit pas soumis à des simulacres
d’information, ou même à des fausses informations. 
Marcel Mione
Dans un marché qui est maintenant mondialisé, est-ce que les États ont le
pouvoir de contrôler ces géants de l’Internet, qu’ils soient chinois ou
américains ? 
Jacques Attali  
A priori, ils ne l’auront plus bientôt, c’est pour ça qu’on peut penser peut-être
que les États-Unis vont réagir en coupant en morceaux ces GAFA, pour ne pas
se laisser dominer par eux. Mais s’ils ne le font pas pas, comme ils l’ont fait
antérieurement pour d’autres monopoles, on verra en effet ces monopoles
devenir mondiaux, et on verra la nécessité de faire vraiment des règles
mondiales pour… 
Marcel Mione
Mais vous croyez vraiment à une réglementation mondiale de l’Internet, comme
le suggère le patron de Microsoft, par exemple ? 
Jacques Attali  
Elle existe déjà, puisqu’Internet lui-même est une… gérée par une organisation
internationale, qui est privée et très largement américaine, mais qui n’est pas…
qui est mondiale. Et il y a autour d’Internet beaucoup d’organisations, ne serait-
ce que celles qui gèrent les noms de domaine, ou qui gèrent les réseaux. Donc,
il y a une nécessité pratique de globalisation de la gouvernance qui pourrait
venir aussi dans ce domaine. Mais là, il faudrait une vraie volonté politique pour
que l’appropriation des données ne soit plus réservée à quelques-uns. 
 

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