Vous êtes sur la page 1sur 2

l’immortelle sagesse des dieux ne permit pas une telle

Le droit et la justice union. Les oracles furent entendus, et Thémis, au milieu


du conseil céleste, fit entendre ces paroles : Il est écrit dans
les destins que de la belle déesse de la mer doit naître un roi plus
puissant que son père. Ainsi les traits que lancera le bras nerveux
de ce fils seraient plus redoutables que la foudre, plus formidables
Le problème posé par la notion de justice. que le trident si jamais elle s’unissait à Jupiter ou au frère de ce
dieu puissant. Renoncez donc à vos rivalités, et que Thétis, en
partageant sa couche avec un mortel, voie son fils, semblable à
Mars par la force de son bras et à l’éclair par la vitesse de ses
pieds, périr dans les combats. C’est à moi de prononcer dans cet
 Thèmis et Dikè. hymen fixé par le Destin : l’honneur de celle alliance est réservé
 Les mythes établissent des liens au vertueux fils d’Éaque, à Pélée, que nourrirent, dit-on, les
Avant toutes choses fut Khaos, et puis Gaia au large sein, siège toujours solide de parenté entre les dieux, et champs d’Iolcos. Que cette nouvelle soit à l’instant portée vers
de tous les Immortels qui habitent les sommets du neigeux Olympos (...). précisent les rôles de chacun d’eux, l’antre sacré de Chiron ; que la fille de Nérée ne soit plus pour
Et, d’abord, Gaia1 enfanta son égal en grandeur, l’Ouranos étoilé, afin qu’il la manière imagée d’exprimer des nous un sujet de discorde, et qu’aussitôt que Phébé montrera aux
couvrit tout entière et qu’il fût une demeure sûre pour les Dieux heureux. relations conceptuelles. mortels son disque éclatant de lumière, elle accorde au héros les
Et puis, unie à Ouranos2 : elle enfante Okéanos3 aux tourbillons profonds, et  Dans la théogonie que retrace prémices de sa virginité.
Koios, et Kréios, et Hypériôn, et Iapétos, et Théia, et Rhéia, et Thémis 4, et Hésiode, la descendance tend à Ainsi parla Thémis. Les doux fils de Saturne
Mnèmosynè, et Phoibè couronnée d’or, et l’aimable Téthys. Et le dernier préciser les fonctions du géniteur. applaudirent à ses paroles par un mouvement de leurs
qu’elle enfante fut le subtil Kronos, le plus terrible de ses enfants, qui prit en Ainsi, la descendance de Thémis sourcils immortels. À l’instant s’accomplit la volonté du
haine son père vigoureux. explicite les caractéristiques Destin, et le roi des cieux lui-même prit soin, dit-on, de
concentrées par la déesse. mettre le sceau à l’hymen de Thétis.
HÉSIODE, Théogonie, 110-130, trad. C.-R.-M. Leconte de Lisle, VIIIe s. av. J.-  À l’origine du monde, la Terre et
C. le Ciel engendre les douze titans, PINDARE, Isthmiques, VIII, 22-49, Ve s. av. J.-C.
première génération de dieux sortis
de l’union de la Terre et du Ciel,
Et puis, [Zeus5] épousa la splendide Thémis, qui enfanta les Heures6, Eunomiè, dont la titanide Thémis, déesse Ô Rois, considérez vous-mêmes ce châtiment ; car les Jupiter et Thétis, Jean-Auguste-Dominique INGRES, 1811,
Dikè et la florissante Eirènè, qui mûrissent les travaux des hommes mortels ; incarnant la Loi divine.² Dieux, mêlés parmi les hommes, voient tous ceux qui, Musée Granet.
et les Moires7, à qui Zeus, très-sage, accorda les plus grands honneurs, Klôthô,  De l’union de Zeus et de Thémis sans nul souci des Dieux, se poursuivent de jugements
Lakhésis et Atropos, qui donnent aux hommes mortels de posséder les biens naissent, d’une part, les Heures, les iniques. Trente mille Daimones de Zeus, sur la terre nourricière, sont les  Dikè, une des trois Hôrai issues de
ou de subir les maux. divisions du temps, à savoir la gardiens des innombrables hommes mortels ; et, vêtus d’air, ils courent çà et Zeus et de Thémis, est chargée de
Bonne Organisation (Eunomía), la là sur la terre, observant les jugements équitables et les mauvaises actions. Et surveiller la conduite des mortels.
HÉSIODE, Théogonie, 900, trad. C.-R.-M. Leconte de Lisle, VIIIe s. av. J.-C. Justice (Dikè), et la Paix (Eirếnê), qui la Justice est une Vierge, fille de Zeus, illustre, vénérable aux Dieux qui habitent Traquant l’iniquité, elle la dénonce
président aux travaux des hommes, d’olympes ; et, certes, si quelqu’un la blesse et l’outrage, aussitôt, assise auprès à Zeus, et réclame châtiment.
d’autre part, les Moires, à savoir les du Père Zeus Kroniôn, elle accuse l’esprit inique des hommes, afin que le Comme sa mère, elle assiste le
Et Zeus ordonna à Thémis de convoquer les dieux à l’agora, de toutes les cimes Divinités qui président au destin de peuple soit châtié de la faute des Rois qui, dans un mauvais dessein, s’écartent premier des Olympiens. La
de l’Olympos. Et celle-ci, volant çà et là, leur commanda de se rendre à la chaque homme. de l’équité droite et refusent de prononcer des jugements irréprochables. récompense de l’homme juste et le
demeure de Zeus.  Les trois sœurs Eunomía, Dikè et châtiment de l’homme injuste sont
la Eirếnê incarnent chacune un HÉSIODE, Les Travaux et les Jours, I, trad. C.-R.-M. Leconte de Lisle, VIIIe s. le strict résultat de la volonté et de
HOMÈRE, Iliade, Chant XX, trad. C.-R.-M. Leconte de Lisle, VIIIe s. av. J.-C. principe essentiel au maintien de av. J.-C. l’action de Zeus.
l’équilibre. La déesse fait office de  Outre son rôle d’observation, Dikè
conseillère privilégiée du souverain 1. Gaia, la Terre. est fortement impliquée dans la
2. Ouranos, le Ciel. répartition des peines et des
Je t’invoque, avant tous les dieux, Gaia, la première divinatrice, et, après elle, olympien. Déesse de la justice et de
3. Okéanos, Océan. récompenses.
Thémis, qui tint de sa mère le don prophétique, comme on le rapporte. l’équité, elle est celle qui mobilise et
4. Thémis, Θέμις, déesse de la justice, qui préside à l’ordre de toutes choses. | θέμις. Ce
dissout les assemblées des mortels qui est établi comme la règle, d’où : 1. La loi divine ou morale, par opposition à la loi
ESCHYLE, Les Euménides, première représentation en 458 av. J.-C. et des dieux. humaine (νόμος, nomos) et établie par l’usage, d’où loi, droit, justice ; 2. par suite, règle, coutume ; 3. Par extension, volonté des dieux.
 Avec l’apparition de Gaia 5. Zeus, Ζεύς,. Fils du titan Kronos et de la titanide Rhéa.
commence l’organisation du 6. Heures, Ὧραι, Hôrai. Les Heures, gardiennes des portes du Ciel, et servantes des dieux. Au nombre de trois : Eunomiè, Dikè et Eirènè.
Tandis que Thémis, qui connaît l’avenir, annonce ses oracles, un murmure kosmos, de l’ordre, qu’incarne | Eunomía, Εὐνομία. Déesse personnifiant l’Ordre, l’ordre bien réglé, d’où 1. bonne législation, justice, équité ; 2. modulation correcte.
| Dikê, Δίκη. Déesse de 1. la Justice ; 2. la Vengeance ou le Châtiment ; la Dikè infernale, c’est-à-dire les Erinyes, chargées de la vengeance
confus s’élève dans l’assemblée des dieux. Thémis. Thémis est l’ordre qui
des morts et de la punition des attentats aux droits de la parenté. δίκη. règle, d’où : 1. usage, manière d’être ou d’agir ; 2. Ce qui sert de
s’oppose au désordre anomique8 du règle, droit, justice ; 3. action judiciaire. | Eirếnê, Εἰρήνη. Déesse de la Paix.| ὥρα. A. toute division du temps ; B. temps opportun,
OVIDE, Les Métamorphoses, Chant IX, VIII ap. J.-C. Khaos initial. Il y a l’ordre (Thémis) moment favorable.
qui organise le monde sous la 7. Moires, Μοῖραι, Moîrai. Déesses personnifiant le Destin, au nombre de trois : Klôthô, Lakhésis, Atropos. Klôthố file la trame de la vie,
souveraineté de Zeus, et l’ordre elle allonge le fil. Lákhesis en marque le destin. Átropos en marque le terme. | klôthố, κλωθώ. 1. Filer ; 2. s’allonger en forme de fil. |
Ainsi l’attesta jadis l’auguste assemblée des habitants des cieux, quand survint lákhesis, λάχεσις. Sort, destinée. | átropos, ἄτροπος. Qu’on ne peut tourner, c’est-à-dire mouvoir ou fléchir, d’où : 1. qu’on ne peut
dans le monde humain (dikè). La
entre Jupiter et Neptune, son illustre frère, une querelle fameuse au sujet de ramener en arrière ; 2. immuable, éternel ; 3. inflexible. | μοῖρα. Part assignée à chacun, lot, sort, destinée.
Thétis : tous deux épris de cette déesse prétendaient l’avoir pour épouse ; mais généalogie dit le plan divin.
8. Anomie. Du gr. Anomia : « violation de la loi, absence de lois, désordre ».
Amis, le dieu qui a dans ses mains, suivant l’antique parole, le commencement,
Ô Persès, garde ceci dans ton esprit : accueille l’esprit de justice la fin et le milieu de tous les êtres, va droit à son but parmi les révolutions de  En définitive, le dieu organise le
[dikè] et repousse la violence [hybris, démesure], car le Kroniôn la nature ; et il ne cesse d’avoir à sa suite la Justice, qui venge les infractions à monde. La justice divine (thémis) est
[Cronos] a imposé cette loi aux hommes. Il a permis aux poissons, la loi divine, et à laquelle, modeste et rangé, celui qui veut le bonheur s’attache l’ordre établi par le dieu. Au sens de
aux bêtes féroces, aux oiseaux de proie, de se dévorer entre eux, pour la suivre, tandis que tel autre, gonflé d’orgueil, exalté par la richesse, les dikè, la justice est vertu, loyauté,
parce que la justice leur manque ; mais il a donné aux hommes la honneurs ou encore la beauté physique attachée à la jeunesse et à la folie, laquelle se fonde dans le respect des
justice, qui est la meilleure des choses. Si quelqu’un, dans l’agora, enflamme son âme de démesure [μεθὕβρεως] ; à l’en croire, il n’a besoin ni de dieux (piété). C’est le fait de placer
veut parler avec équité, Zeus qui regarde au loin le comble de maître ni de chef d’aucune sorte, mais se sent capable même de conduire autrui la mesure en Dieu. La démesure,
richesses ; mais s’il ment, en se parjurant, il est châtié ; celui-là reste abandonné de Dieu, et, à cause de cet abandon, il s’en adjoint c’est, au contraire, se prendre pour
irrémédiablement : sa postérité s’obscurcit et finit par s’éteindre, d’autres qui lui ressemblent pour bondir désordonnément et tout bouleverser l’étalon de la bonne mesure.
tandis que la postérité de l’homme juste s’illustre dans l’avenir, de ; beaucoup le prennent pour quelqu’un, mais il ne se passe pas longtemps avant  La question de la justice est donc :
plus en plus. qu’il donne à la Justice une satisfaction d’importance et se ruine de fond en « Quelle est donc la conduite qui
comble avec sa maison et sa cité. (...) Quelle est donc la conduite qui plaît à plaît à Dieu et qui lui fait cortège ? »
HÉSIODE, Les Travaux et les Jours, I, trad. C.-R.-M. Leconte de Dieu et qui lui fait cortège ? Il n’y en a qu’une, un proverbe antique suffit à Est juste ce qui respect un ordre
Lisle, VIIIe s. av. J.-C. l’exprimer : au semblable, s’il garde la mesure, le semblable sera un ami, tandis souverain, et donc l’obéissance aux
que les êtres démesurés ne le sont ni entre eux ni aux êtres qui ont de la mesure. immortels.
Or, pour nous, la divinité doit être la mesure de toutes choses, au degré D’où, quel fondement détermine le
Écoute la justice ; ne laisse pas en toi grandir la démesure [ὕβριν]. suprême, et beaucoup plus, je pense, que ne l’est, prétend-on, l’homme. juste ? Qu’en est-il de la source du
La démesure est chose mauvaise pour les pauvres gens : les grands
juste ? L’ordre de Zeus, le plan des
eux-mêmes ont peine à la porter, et son poids les écrase, le jour où PLATON, Lois, IV, 715e-716b, trad. d’E. des Places, vers -348. dieux est-il juste ? Comment
ils se heurtent aux désastres [ἅτῃσι]. (...) Justice triomphe de la
justifier la théogonie depuis Khaos ?
démesure, quand son accomplissement est venu : le sot ne le La justice repose-t-elle sur un
comprend qu’en l’éprouvant. fondement infaillible ? OU Le juste
et l’injuste ne sont-ils que
HÉSIODE, Les Travaux et les Jours, v. 213-218, VIIIe s. av. J.-C. Les Trois Parques, F. Salviati, 1550. conventions ?

L’obéissance aux règles fait briller en tout l’ordre et la discipline ; elle entrave  Dikè et hybris.
sans cesse l’injustice, elle aplanit la rudesse, elle met fin à l’envie (κόρον), elle  Dans l’Antiquité, la juste mesure
dissipe la démesure (ὕβριν), elle dessèche en pleine croissance les fleurs de est exprimée dans de nombreuses
l’égarement (ἅτης), elle redresse les sentences torses, elle adoucit les actes maximes de la sagesse archaïque,
d’orgueil, elle met fin à la dissension, elle met fin au courroux de la querelle comme : « Il est difficile de
effroyable ; par elle, tout ce qu’il y a d’humain est exactitude et sagesse. reconnaître la mesure » (Théognis),
« Les hommes de bien savent en
SOLON, frg. 4 West, (-640, -558). toutes choses garder la mesure »
(Théognis), « Il faut toujours bien
apercevoir en tout l’exacte mesure »
Toujours la vieille démesure (ὕβρις) enfante une démesure toute jeune, tôt ou (Pindare).
tard, dans les malheurs des mortels.  hybris, la « démesure », l’excès,
tout ce qui dépasse la mesure, est
ESCHYLE, Agamemnon, v. 763-766, première représentation en 458 av. J.-C. souvent opposée à la « justice »
(dikè). On traduit le mot aussi par «
violence », « outrance », « outrage
Le trop-plein engendre la démesure quand une prospérité considérable ». Le mot dit le condamnable.
s’attache à des gens sans sagesse.  La démesure conduit tôt ou tard
au désastre. En fait, la démesure,
SOLON, frg. 6 West, (-640, -558). étant un égarement [ἅτη], porte en
elle-même, comme une puissance
néfaste, le désastre à venir, et les Les Moires, F. Goya, 1819-1823, Musée du Prado.
Malheur sur moi ! Quels sont les mortels dont j’aborde le pays ? Est-ce que ce dieux la surveillent et la punissent.
sont des êtres de démesure [ὑβρισταί], sauvages et ignorants de la justice, ou  La démesure serait fille du
bien sont-ils respectueux de l’hospitalité et leur esprit vénère-t-il les dieux ? sentiment de satiété κόρος, koros.
 Si l’idée de mesure engage une
HOMÈRE, Odyssée, VI, 120, VIIIe s. av. J.-C. définition de l’humanité, est
inhumain qui ne respecte plus les
dieux.

Vous aimerez peut-être aussi