Vous êtes sur la page 1sur 36

Christian Julien Robin Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains »

et des Perses (iiie-vie siècles de l’ère chrétienne)

Pendant les derniers siècles de l’Antiquité, et tout susceptibles d’intervenir en profondeur en territoire
particulièrement au ve et au vie, les empires du Proche- byzantin et au cœur de l’Arabie déserte ; ce royaume est
Orient sont confrontés à la question arabe. Il suffit de appelé traditionnellement le « royaume lakhmide ».
lire les Guerres de Procope (qui écrit vers le milieu du Les Byzantins se seraient inspirés de ce modèle dans
vie siècle) pour comprendre la gravité des problèmes les années 520, en créant le « royaume ghassānide ».
que soulèvent ces populations remuantes. Les Ḥimyarites auraient fait de même en Arabie cen-
L’une des raisons du poids grandissant des Arabes trale dès les années 430 avec le « royaume de Kinda »,
réside dans leur capacité à mobiliser des cavaliers surtout connu par les traditions arabes. Ces trois appel-
aguerris en très grand nombre. Le cheval, pratiquement lations sont inappropriées, comme nous le verrons.
inconnu en Arabie à l’aube de l’ère chrétienne, est Les « royaumes lakhmide et ghassānide » jouent
devenu très commun à la veille de l’Islam. Au Yémen, un rôle historique important au vie siècle. Ils disparais-
on peut suivre les phases de son introduction : dans sent en 602 et 582 respectivement. Dans la Tradition
les inscriptions sabéennes et ḥimyarites, les chevaux arabo-islamique, ils jouissent d’un prestige d’autant
se comptent en unités au ier siècle de l’ère chrétienne, plus grand que leurs derniers rois étaient encore bien
par dizaines au iiie et par centaines ensuite. connus lors de la fondation de l’islam. En revanche,
Face à cette menace potentielle, les trois principaux le « royaume de Kinda », en crise dès les années 530,
États à la périphérie de l’Arabie déserte – Ḥimyar, ne retient guère l’attention des historiens arabes. On
Byzance et la Perse – réagissent de manière assez pourra se reporter, à titre d’exemple, à Ibn Qutayba et
semblable, en confiant des responsabilités militaires et à al-Masʿūdī, qui consacrent un chapitre aux « rois
fiscales à des chefs arabes. d’al-Ḥīra » et aux « rois de Syrie », mais aucun à ceux
La question qui se pose est la nature de ces responsa- d’Arabie centrale.
bilités. Les historiens de l’Antiquité tardive considèrent Deux nouveautés nous conduisent à rouvrir ce
que ces chefs arabes sont à la tête d’un « royaume ». Le dossier. La première est la découverte et la publication
modèle serait élaboré par les Perses sāsānides qui d’inscriptions ḥimyarites qui ajoutent des repères
créeraient un royaume vassal dès la fin du iiie siècle, chronologiques et mettent en lumière le rôle des tribus
avec le double objectif d’en faire une sorte de bouclier de Muḍar et de Tanūkh. La seconde réside dans la
contre les incursions nomades, et de disposer d’alliés publication d’une série d’études monumentales par
Irfân Shahîd, qui focalisent l’attention sur les Arabes
ghassānites.
. Les données chiffrées font défaut. Mais les allusions de
Procope, Guerres, permettent de suppléer cette lacune.
L’historien byzantin rapporte, par exemple, qu’une armée
perse comptant 15 000 cavaliers est renforcée par « Ala- . Pour les rois d’al-Ḥīra et de Syrie, voir Ibn Qutayba,
moundaros [le naṣride al-Mundhir III], le Sakkikès (ou le al-Maʿārif (« Rois d’al-Ḥīra », Mulūk al-Ḥīra, p. 645 ;
fils de Sakkikè), avec une très grande troupe de Saracènes » « Rois de Syrie », Mulūk al-Shām, p. 640) et al-Masʿūdī,
(I.XVII.1). Ailleurs, il affirme que le même al-Mundhir Murūj al-dhahab (« À propos des rois d’al-Ḥīra apparte-
s’empare de dizaines de milliers de captifs lors de chacun nant aux banū Naṣr et à d’autres [lignages] », Fī dhikr
de ses raids en territoire byzantin (I.XVII.41). On peut mulūk al-Ḥīra min banī Naṣr wa-ghayri-him, par. 1036 ;
aussi mentionner Malalas (Chronique, XVIII.16), qui « À propos des rois de Syrie, venus du Yémen et origi-
affirme que le naṣride al-Mundhir poursuit dans le désert naires de Ghassān et d’autres [tribus] », Fī dhikr mulūk
le ḥujride al-Ḥārith avec une troupe de 30 000 hommes. al-Shām min al-Yaman min Ghassān wa-ghayri-him,
. Robin 2002. par. 1076).

Doi : 10.1484/J.SEC.1.100252 SemClas 1 2008 • p. 167-202


168 Christian Julien Robin

Mon propos sera tout d’abord de rappeler de façon possèdent les caractères de véritables États : nous passe-
succincte ce que nous savons de l’histoire de ces trois rons ainsi en revue ce que signifie le titre de roi ; les
« royaumes », et en même temps de montrer qu’il règles de la succession au trône ; le siège du pouvoir ;
exista d’autres principautés, sans doute plus éphémères, l’assise tribale ; l’existence éventuelle d’une armée ou
mais également importantes, ce qui nous conduit à d’une administration autonomes. Avec la conclusion,
parler plutôt des « Arabes de Ḥimyar », des « Arabes des nous nous interrogerons sur la meilleure manière de
Perses » et des « Arabes des Romains ». Ensuite, nous désigner ces diverses entités politiques.
nous demanderons dans quelle mesure ces principautés

Mer biya
al-Gā
Méditerranée
Séleucie -
Ta

NC
E
Jérusalem nū Ctésiphon

h m
kh
E
BYZA

P
Lak
Ḥîrtāʾ/al-Ḥīra Ta RS
E
Pétra gh
Ayla Dūmat
lib
*
*
ʿA
BI kr*

Go
Taymā’
Ba
RA

lf
M

Ḥigrāʾ/al-Ḥigr

e
U

DD

A
(al-ʿUlā) *

ra
A īm
Aʿ
o-
Ta m
PH

Khaybar
TI

pe
N i l

ʿA
M
OIN

* rsi
īfa que
bd

an

Yathrib
IKÔ


ssā
l e

al-

(al-Madīna) (al-Riyāḍ)
N

Ma’sal
ha

Qa
MA

*G

D
ys
M

W
YA R

ṬA
*N
e r

izā
Makka r
y sh
ra
Qu ān
aḥṭ
*Q
R o

Qaryat
ddat
IM

*Ki ḥig
h
u g

al- Mad


As
d
e

Nagrān a
ind
T

K W
SABAʾ at/ A
dd
Ki
Marib
AM
ḌR
1000 m + Ẓafār ḤA
500 m 0 500 km
200 m
0m ʿAdan
UMR 8167

Figure 1 - L’Arabie des v -vi siècles de l’ère chrétienne


e e

Légende
Caractères romains, majuscules : Royaumes (Ḥimyar) ; Confédérations tribales (Muḍar)
Caractères romains, minuscules : Tribus, Tanūkh
Caractères italiques, majuscules : Régions, Tihāmat
Caractères italiques, minuscules : Toponymes, Makka
Caractères italiques, minuscules entre parenthèses : Toponymes modernes, (al-ʿUlā)

*xxxx : ethnonymes dont l’attestation ou la localisation est antérieure à 500 è. chr.


xxxx* : ethnonymes dont l’attestation ou la localisation est postérieure à 500 è. chr.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 169

4000 m
3000 m IE I
RIE CILIC
2000 m ISAU E II
1500m CILICI Antioche OS
1000 m IEI RH

500 m SYR Kallinikon NE
200 m
0m
EUP
HR
Apamée Sergiopolis ATÉ
SIE
(al-Ruṣāfa)
PRE II
CHY SYRIE
Emèse (Ḥimṣ)
Palmyre

(Qaṣr al-Ḥayr al-Gharbī)


CIE AISE
PHÉNI IE LIBAN
ÈRE PHÉNIC
CÔTI
Ḍumayr
Damas
Jilliq (al-Kiswa)
II (Jabal) Usays
STINE Gəbītā/al-Gābiya
PALE
(Hayyāt)
Césarée (al-Namāra)

Bostra
EI
PALESTIN
BIE
Jérusalem ARA
Gaza

IQUE
I
N
STAM
AUGU
TINE
III
QUE
II PALES
NI
STAM Pétra
AUGU

Ayla

DIE
ARCA

Phoinikôn
0 100 200 km

Figure 2 - Le Proche-Orient byzantin (ou le Diocèse d’Orient) vers 500 è. chr.

Légende
Caractères majuscules : Provinces, Phénicie libanaise
Caractères minuscules : Toponymes, Kallinikon
Caractères minuscules entre parenthèses : Toponymes modernes, (Qaṣr al-Ḥayr al-Gharbī)
170 Christian Julien Robin

■ Les Arabes de Ḥimyar, des Romains On relève encore chez Malalas (XVIII.35) l’expres-
et des Perses sion « le phylarque saracène, celui des Romains » (ho
phularchos Sarakènos ho tôn Rhômaiôn) dans le récit
Pour désigner les « royaumes », principautés et chef- de la répression de la révolte des Samaritains, en 529.
feries arabes dans la mouvance des grands empires, le Pour les Arabes de Ḥimyar, les sources manuscrites
plus simple est d’adopter la terminologie de nos sources. sont maigres. Seul le même Malalas10 les évoque sous
Les auteurs byzantins et syriaques du vie siècle utilisent l’appellation de « Saracènes indiens » :
assez souvent les appellations « Arabes / Saracènes des Aussitôt l’empereur des Indiens Elesboas11, sous les yeux
Perses » et « Arabes / Saracènes des Romains ». de l’ambassadeur des Romains, déclencha la guerre
Dans la Chronique de Josué le Stylite, en langue contre les Perses. Envoyant également les Saracènes
syriaque, les expressions « Arabes des Perses » (mot- indiens qui dépendaient de lui, il attaqua le pays perse
à-mot « les Ṭayyayêʾ du territoire des Perses », Ṭyyʾ pour le compte des Romains, en indiquant à l’empereur
dyn d-Pwrsyʾ) et « Arabes des Romains » (mot-à- des Perses de s’attendre à ce que l’empereur des Indiens,
mot « les Ṭayyayêʾ du pays des Romains », Ṭyyʾ d-byt en lui faisant la guerre, ravageât toute la terre sur
Rhwmyʾ) interviennent dans le récit des campagnes de laquelle il régnait.
Nuʿmān II, en 502, au service de Kubādh Ier (488-496 Mais ici, c’est l’épigraphie qui est notre source. Les
et 499-531), roi de Perse, contre Byzance : inscriptions ḥimyarites mentionnent, dans la titulature
Les Arabes du territoire perse avancèrent jusqu’au (fleuve) royale, « leurs Arabes (du Haut-Pays et du Littoral) »,
al-Khābūr et Timostrate le duc de Kallinikon sortit contre à savoir les Arabes du royaume de Ḥimyar.
eux et les mit en fuite. Les Arabes du pays des Romains
aussi, qui sont appelés les Thaʿlabides, allèrent à Ḥîrtâʾ 1. Les Arabes de Ḥimyar
də-Nuʿmān… mais ils n’y séjournèrent pas parce que ses
habitants s’étaient retirés dans le désert intérieur… L’unification et la pacification du Yémen, qui ont
La même expression se retrouve en langue grecque lieu dans la première moitié du ive siècle de l’ère chré-
dans le Martyrion d’Aréthas (par. 25) : tienne, donnent aux rois de Ḥimyar la possibilité de
…En outre il envoie des ambassadeurs à Alamoundaros, s’immiscer plus résolument dans les affaires de l’Ara-
le prince de tous les Saracènes dépendants des Perses. bie déserte, avec sans doute l’objectif de mieux contrer
…Mais celui qui est admirable dans ses saints... inspira l’influence grandissante de Byzance. Alors que, au
au très divin Justin, qui régnait alors sur les Romains, iiie siècle, les armées sabéennes ne s’aventuraient pas
d’envoyer Abramios, le très humble prêtre, à Alamoun- au-delà de Qaryat al-Fāw (l’antique Qryt Ṭlw ou Qrytm
daros, appelé Sékkikès, pour inciter celui-ci à conclure ḏt Khlm, à 280 km au nord-nord-est de Najrān), au
un accord de paix avec les Saracènes des Romains. ive siècle, les armées ḥimyarites opèrent désormais
On peut encore mentionner la Chronique de Malalas, dans le Ḥijāz, le Najd et le Ḥasāʾ12 (Arabie occidentale,
dans la notice consacrée à la mort du ḥujride al-Ḥārith : centrale et orientale).
Cette année-là, il advint qu’un conflit éclata entre le duc de
Palestine, Diomède, silentiaire, et le phylarque Aréthas. a. La domination ḥimyarite
Aréthas prit peur et se dirigea vers le limes intérieur en sur « les Arabes du Haut-Pays et du Littoral »
direction du territoire indien. En l’apprenant, Alamoun-
daros, le Saracène des Perses, attaqua le phylarque des Mais c’est seulement au siècle suivant, vers 445, que
Romains ; il le captura et le tua, car il avait 30 000 de vastes territoires de l’Arabie centrale et occidentale
hommes. sont annexés. Les souverains ḥimyarites modifient alors
leur titulature : à « roi de Sabaʾ, de dhu-Raydān, du
Ḥaḍramawt et du Sud » (mlk S¹bʾ w-ḏ-Rydn w-Ḥḍrmwt
. L’appellation syriaque « Ṭayyayêʾ » dérive du nom de la
tribu arabe de Ṭayyiʾ qui, curieusement, n’est nullement
la tribu arabe ayant entretenu les contacts les plus directs
et les plus réguliers avec la Mésopotamie ou la Syrie. byzantines a été revue par Joëlle Beaucamp, que je
. Ṭyyʾ d-byt Rhwmyʾ d-mtqryn d-byt Tʿlbʾ (« du pays de remercie pour son aide
Thaʿlabaʾ » ou « de la maison de Thaʿlabaʾ »). 10. Chronique, XVIII.56, éd. Dindorf, p. 458 ; trad. Jeffreys
. Wright 1882, LVII, p. 45 et 54. et alii 1986, p. 269.
. Pour l’expression Rhômaiôn Sarakènous, les éditeurs 11. Il s’agit du roi d’Aksūm (Kāleb) Ella Aṣbəḥa. L’appella-
(n. 150) renvoient à Ps.-Denys, Chronicon (éd. Chabot), tion « indien » est utilisée pour tous les peuples riverains
I, p. 222. de l’océan Indien, y compris les habitants de l’Arabie et
. Sur le terme « phylarque », qui signifie simplement « chef de l’Afrique orientale.
de tribu », voir ci-dessous, p. 192. 12. Voir l’inscription ʿAbadān 1. Pour les toponymes et ethno-
. Malalas, XVIII.16, éd. Dindorf, p. 434-435 ; trad.  nymes d’Arabie, voir Robin-Brunner 1997 et la carte,
Jeffreys et alii 1986, p. 252. La traduction des sources figure 1, p. 168.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 171

w-Ymnt, la formulation adoptée peu avant 300 de l’ère trône de Shuriḥbiʾīl Yaʿfur, elle subit un petit change-
chrétienne, suite à la conquête du Ḥaḍramawt), ils ment, avec le remplacement de « et des Arabes du
ajoutent « et les Arabes du Haut-Pays et du Littoral » Haut-Pays et du Littoral » par « et de leurs Arabes dans
(w-ʾʿrb Ṭwd w-Thmt). le Haut-Pays et sur le Littoral » (w-ʾʿrb-hmw Ṭwdm w-
Pour comprendre la signification de ce changement, Thmt). Ensuite, elle ne varie plus jusqu’à la disparition
il n’est pas inutile d’examiner la première inscription du royaume de Ḥimyar. Sa dernière attestation est
royale ḥimyarite qui en fasse état : Ry 509, gravée au datée de novembre 558. Dans cette dernière titulature,
cœur du Najd, à Maʾsal al-Jumḥ (à 215 km à l’ouest de l’adjectif possessif « leurs » (dans « leurs Arabes »)
la moderne al-Riyāḍ) : renvoie à « Sabaʾ, dhu-Raydān, Ḥaḍramawt et le Sud »,
Abīkarib Asʿad et son fils Ḥaśśān Yuhaʾmin, rois de c’est-à-dire à Ḥimyar15.
Sabaʾ, | de dhu-Raydān, du Ḥaḍramawt et du Sud, et des L’ajout de la mention des Arabes – ou plutôt de
Arabes du Haut-Pays et du Littoral, | fils de Ḥaśśān certains Arabes – dans la titulature ḥimyarite a une
Malkīkarib Yuhaʾmin, roi de Sabaʾ, de dhu-|Raydān, du importance politique capitale : pour la première fois,
Ḥaḍramawt et du Sud, ont gravé cette inscription dans le les Arabes sont considérés comme des acteurs majeurs,
wādī | Maʾsal Gumḥān13, quand ils sont venus et ont pris d’une dignité égale aux tribus royales de l’Arabie
possession du Pays | de Maʿaddum alors même que s’y méridionale16. Il reste à déterminer de quels Arabes il
établissaient certaines de leurs tribus, avec leur tribu | s’agit. Si une réponse générale peut être donnée avec
Ḥaḍramawt, Sabaʾ – les fils de Marib –, leurs subordonnés | une certaine vraisemblance, il est difficile de proposer
les qayls, leurs sujets [l’ensemble] des officiers, leurs une définition précise.
gouver|neurs, leurs chasseurs et leurs troupes, ainsi Une première interrogation concerne l’extension
qu’avec leurs Arabes, | Kiddat, Saʿd, ʿUlah et H…14 des territoires appartenant aux « Arabes du Haut-Pays
(Kiddat, Saʿd et ʿUlah sont connus en arabe sous les et du Littoral ». S’agit-il des seuls confins septentrionaux
noms de Kinda, Saʿd al-ʿAshīra et ʿUla). du Yémen, comme le supposait A. F. L. Beeston17, ou
Ce document peut être daté approximativement de l’Arabie centrale et occidentale, thèse de Jacques
grâce à la mention des rois Abīkarib Asʿad et Ḥaśśān Ryckmans18 ?
Yuhaʾmin. Il est antérieur à janvier 456, date d’une Il importe d’examiner tout d’abord ce que signifient
inscription dont l’auteur est Shuriḥbiʾīl Yaʿfur, fils les termes Ṭwd(um) et Thmt. Ce sont apparemment deux
Abīkarib Asʿad, régnant seul (Cih 540). Par ailleurs, il toponymes, dont les seules attestations épigraphiques
est probablement postérieur à août 433, date d’un texte se trouvent dans la titulature royale ḥimyarite. Dans la
rédigé par des sujets des rois Abīkarib Asʿad, Ḥaśś[ān mesure où ces deux toponymes définissent l’habitat
Yu]haʾmin, Maʿdīkarib Yuhanʿim, Marthadʾīlān Yaz|ʾan des Arabes, on peut supposer qu’ils ont été empruntés
et Shuriḥbiʾīl Yaʿfur, portant la titulature ancienne, à la langue arabe. Le terme ṭawd est enregistré, dans les
sans l’ajout des « Arabes du Haut-Pays et du Littoral » dictionnaires arabes, comme un substantif, signifiant
(Ry 534 + Rayda 1). On peut donc retenir la date de 445, « montagne ». Il ne semble pas attesté comme topo-
avec une incertitude sans doute inférieure à dix ans. nyme. Il est vrai qu’on relève dans la Description de la
La nouvelle titulature se lit tout d’abord : « roi de péninsule Arabique du Yéménite al-Ḥasan al-Hamdānī,
Sabaʾ, de dhu-Raydān, du Ḥaḍramawt et du Sud, et des un pays nommé Arḍ Ṭawd, le « Pays de Ṭawd », du
Arabes du Haut-Pays et du Littoral » (mlk S¹bʾ w-ḏ-
Rydn w-Ḥḍrmwt w-Ymnt w-ʾʿrb Ṭwd w-Thmt) dans
l’inscription Ry 509. Peu après, lors de l’accession au 15. En sabaʾique, les ethnonymes sont des collectifs qui
s’accordent au pluriel. Sans que cela soit exclu, il me
paraît moins vraisemblable que l’adjectif possessif -hmw
renvoie au souverain (ou aux souverains), avec un accord
13. En arabe classique la lettre jīm est prononcée /j/ ; dans les au pluriel de majesté, comme le propose J. Ryckmans
langues de l’Arabie préislamique (nordarabiques et sud- (1951, p. 215-216), à cause de la distance entre les deux
arabiques), il semblerait que la réalisation dominante ait termes. Les inscriptions plus anciennes ne permettent pas
été /g/ (comme aujourd’hui dans les dialectes arabes du de trancher. Elles mentionnent aussi bien « les Arabes du
Caire ou de ʿAdan). De façon quelque peu arbitraire, roi » que « les Arabes de Ḥimyar » : voir par exemple la
cette lettre est transcrite g dans les termes préislamiques titulature du général commandant les auxiliaires arabes
et j pour ceux qui sont postérieurs à l’Islam. au début du ive s. : « chef des Arabes du roi de Sabaʾ
14. ʾbkrb ʾs¹ʿd w-bnw-hw Ḥs³n Yhʾmn mlky S¹bʾ | w-ḏ-Rydn – Kiddat, Madhḥigum, Ḥaramum, Bahīlum, Zaydʾīl – et de
w-Ḥḍrmwt w-Ymnt w-ʾʿrb Ṭwd w-Thmt | bny Ḥs³n Mlkkrb tous les Arabes de Sabaʾ, de Ḥimyarum, du Ḥaḍramawt et
Yhʾmn mlk S¹bʾ w-ḏ-|Rydn w-Ḥḍrmwt w-Ymnt rqdw ḏn du Sud » (kbr | ʾʿrb mlk S¹bʾ w-Kdt w-Mḏḥgm w-Ḥr|mm
mrqdn b-wd|yn Mʾs¹l Gmḥn k-s¹bʾw w-ḥllw ʾrḍ | Mʿdm w-Bhlm w-Zydʾl w-kl ʾʿrb S¹bʾ w-Ḥmy|rm w-Ḥḍrmt
(b-)mw nzlm bn ʾs²ʿb-hmw w-b-s²ʿb-h|mw Ḥḍrmwt w-S¹bʾ w-Ymnt) (Ja 665 / 1-4).
[w-]bny Mrb w-ʾṣ(ḡ)rt | ʾqwl-hmw w-(ʾḡ)lm [kl] mqtwt- 16. Robin 2006 a.
hmw w-ʾt|ly-hmw w-ṣyd-hmw w-qbḍ-hmw w-b-ʾʿrb-h|mw 17. Beeston 1975, p. 125.
Kdt w-S¹(ʿ)d w-(ʿ)lh w-H.[?] 18. Ryckmans 1951, p. 215-217.
172 Christian Julien Robin

côté du ʿAsīr, au sud-ouest de l’Arabie saʿūdite19 ; – en Arabie centrale, la confédération tribale de
mais, d’ordinaire, le nom propre qui qualifie un pays Maʿaddum (arabe Maʿadd) ; les toponymes Maʾsal
(arḍ), est un nom de tribu et non un toponyme (comparer Gumḥān (ar. Maʾsal al-Jumḥ)24, Ḥulubān25, Khargān
avec ʾrḍ Ḥmyrm, « le Pays de Ḥimyar », ʾrḍ Tnẖ, « le (ar. al-Kharj)26, Gawwān (ar. al-Jaww)27, Birkum
Pays de Tanūkh », etc.). (ar. Birk), Sharafān (ar. al-Sharaf), Nīrān (ar. al-Nīr),
En revanche, le terme Tihāma, toujours en arabe, Qarmà, Yamāmatān (ar. al-Yamāma), ʿAramatum (ar.
est bien un toponyme. L’accord est général pour loca- al-ʿArama), Abān, Rumatān (ar. al-Ruma), Gawwum
liser cette Tihāma en Arabie occidentale, mais avec de (ar. Jaww)28
nombreuses divergences dans le détail. Edward Lane, – en Arabie orientale et du nord-est, les tribus de
dans son Arabic-English Lexicon, donne comme défi- ʿAbdqaysān (arabe ʿAbd al-Qays), Iyādhum (arabe
nition : « un nom de Makka ; un pays bien connu, Iyād) et Tanūkh ; le toponyme Hagarum (ar. Hajar)29
commençant à dhāt ʿIrq (vers le Najd)20 et s’étendant – en Arabie occidentale : la confédération tribale de
jusqu’à Makka et au-delà, à une distance de deux jours Muḍar ; les tribus de Nizārum et de Ghassān ; les
de voyage et davantage, se confondant alors avec le toponymes Sigāh (ar. Sijā), Siyyān (ar. al-Siyy)30,
Ghawr, et s’étendant jusqu’à la mer »21. Le Dictionnaire Turabān (ar. Turaba) et dhu-Murākh31.
arabe-français de Kazimirski indique : « province de
l’Arabie, au nord du Ḥijāz ». Le Tübinger Atlas des
vorderen Orients (B VII 1) place la Tihāma entre 24. Comme cela a déjà été dit, Maʾsal se trouve à 215 km à
Makka et le Yémen. L’Encyclopédie de l’Islam, enfin, l’ouest d’al-Riyāḍ.
définit la Tihāma comme « la plaine côtière de la mer 25. Ḥulubān / Ḥalabān / Ḥalibān (qui existe encore
Rouge, s’étendant de ʿAqaba au Nord jusqu’à Bāb aujourd’hui) se trouve à 90 km à l’ouest-sud-ouest de
al-Mandab au Sud de la péninsule Arabique »22. Maʾsal (TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, p. 53, et carte
Nordarabien, Teil D).
Si on prend en compte la chronologie, il est possible 26. al-Kharj est une grosse oasis à 280 km à l’est de Maʾsal et
d’écarter la définition de l’Encyclopédie de l’Islam : à 80 km au sud-est d’al-Riyāḍ.
la Tihāma, à l’aube de l’Islam, n’inclut pas la plaine 27. Il semblerait que le Gawwān, dont on a la mention dans
côtière du Yémen, qui, d’ailleurs, dans les inscriptions ʿAbadān 1 / 17, est identique au Gawwum de Gajda-al-
sudarabiques, n’est jamais appelée Tihāma, mais ʿIrāfa 1 / 7 (republié en Annexe) : voir le commentaire.
Sahratān (S¹hrtn). 28. Pour ces toponymes, voir les commentaires de Gajda-al-
La Tihāma serait donc le nom du littoral de la mer ʿIrāfa 1 (republié en Annexe).
29. Ibid.
Rouge à hauteur de Makka, ainsi peut-être que des 30. L’inscription ʿAbadān 1 / 29 mentionne une victoire
régions littorales plus au nord et plus au sud. La notion ḥimya-rite contre « la tribu de ʿAbdqaysān (ar. ʿAbd al-
de « littoral » est à prendre dans un sens assez large, Qays) à Siyyān (al-Siyy) aux eaux du puits Sigāh, entre
puisque Makka et Yathrib / al-Madīna sont situées le Pays de Nizārum et celui de Ghassān » (ʿs²rtn ʿbdqys¹n
dans la Tihāma23 ; elle se retouve dans plusieurs termes b-S¹yn ʿly mw bʾrn S¹gh bynn ʾrḍ Nzrm w-ʾrḍ Ḡs¹n). Les
formés sur la racine THM, comme taham et tahama, puits de Sigāh / Sagāh (arabe Sijā / Sajā) se trouvent à
380 km au nord-est de Makka (TAVO B VII 1 ; Thilo
« territoire descendant à la mer ».
1958, p. 89, et carte Nordarabien, Teil C ; Huber 1891,
Ṭwd(um) et Thmt désigneraient donc un pays en p. 730-731, et Atlas, feuille 14). La localisation de Siyyān
altitude et une région côtière de l’Arabie occidentale. (arabe al-Siyy) est plus problématique. Ulrich Thilo
Si Ṭwd(um) ne prend pas de mīmation dans l’inscription (1958, p. 92) situe cette steppe dans la partie méridionale
Ry 509, mais en reçoit une par la suite, c’est probable- de Wajra (elle-même « à l’extrémité d’al-Siyy », fī ṭaraf
ment parce que ce nom est « ḥimyaritisé ». al-Siyy, selon al-Bakrī, Muʿjam, « Wajra »). Toujours
Pour déterminer l’extension des territoires annexés selon al-Bakrī, al-Siyy se trouve à trois étapes de Makka,
entre dhāt ʿIrq et Marrān, soit à quelque 100-220 km à
par Ḥimyar, il faut également s’interroger sur le théâtre l’est-nord-est de Makka (TAVO B VII 1 ; Thilo 1958,
des opérations militaires. Les inscriptions mentionnent : carte Nordarabien, Teil C ; Lecker 1989, p. 12-15) ; voir
aussi Yāqūt, Muʿjam, « al-Siyy », qui mentionne la Ḥarrat
Laylà et le wādī ʿAqīq, effectivement dans la même
19. Ṣifa, p. 70 / 21 et 118 / 26. région (TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, carte Nordarabien,
20. Dhāt ʿIrq se trouve à 90 km à l’est-nord-est de Makka Teil C). Voir également al-Hamdānī, Ṣifa, p. 143 / 4 ;
(TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, carte Nordarabien, Teil C). 164 / 26 ; 170 / 8 ; 180 / 25 ; 215 / 23. Pour concilier les
21. al-Bakrī et Yāqūt, Muʿjam, donnent une définition deux données topographiques de ʿAbadān 1 / 29, il faut
semblable. supposer que la Siyyān antique désignait une steppe plus
22. Smith 2000. vaste, s’étendant plus loin vers le nord-est, que la al-Siyy
23. Une tradition étudiée par Lecker 2002a indique : des premiers siècles de l’Islam.
« al-Madīna et la Tihāma étaient placées sous l’autorité 31. Les sites de ces deux batailles, mentionnées dans
d’un officiel (ʿāmil) nommé par le Marzubān al-Zāra ». Ry 506 / 6 (mnhl Trbn) et 5 (wd ḏ-Mrẖ), sont identifiés
Apparemment, cet officiel avait autorité sur la Tihāma, et avec Turaba (nom d’une bourgade et d’un grand wādī
donc sur al-Madīna qui en faisait partie. s’écoulant du sud-sud-est vers le nord-nord-est, à 200 km
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 173

Les inscriptions indiquent très clairement que les C’est seulement vers le début des années 550 que
Ḥimyarites interviennent dans toutes les régions de Ḥimyar perd le contrôle de l’Arabie déserte, au béné-
l’Arabie déserte, à l’exception des grandes oasis du fice des Naṣrides d’al-Ḥira, comme le signale de façon
Ḥijāz septentrional. allusive l’inscription Ry 506 (septembre 552).
Un dernier argument est offert par la localisation Les forces sur lesquelles les souverains ḥimyarites
des textes épigraphiques gravés par les Ḥimyarites s’appuient pour contrôler l’Arabie déserte se composent
dans l’Arabie déserte. Un premier site important se systématiquement de deux ensembles : des troupes
trouve à Maʾsal al-Jumḥ, au cœur du Najd, en Arabie recrutées au Yémen même et des auxiliaires fournis par
centrale (Ry 509 et 510), un second à Murayghān, à les tribus arabes de la périphérie.
mi-chemin entre Makka et le Yémen (Ry 506). Selon Ry 509, lors de la prise de possession du
Au total, le sens des termes Ṭawd(um) et Tihāmat, Pays de Maʿaddum, ce sont :
les zones où les Ḥimyarites interviennent et l’emplace- – une armée constituée des troupes régulières de deux
ment des inscriptions suggèrent que les toponymes des composantes de Ḥimyar, le Ḥaḍramawt et Sabaʾ,
Ṭawd(um) et Tihāmat désignent une grande partie de ainsi que de personnages de rangs divers ;
l’Arabie déserte, sinon sa totalité. Malheureusement, il – des auxiliaires recrutés dans les tribus arabes de
est impossible de donner une définition précise de ces Kinda, Saʿd al-ʿAshīra et ʿUla.
toponymes. On peut supposer que la Tihāmat de la Dans les textes postérieurs, commémorant d’autres
titulature ḥimyarite est comparable à la Tihāma des opérations de Ḥimyar dans l’Arabie déserte, il en va de
sources arabes des débuts de l’Islam, et qu’elle désigne même. D’après Ry 510, les troupes du roi Shuriḥbiʾīl
le littoral du Ḥijāz, en totalité ou en partie ; c’est pour- Yaʿfur se composent d’une part des « tribus Sabaʾ,
quoi nous rendons Tihāmat par « Littoral ». Quant au Ḥimyarum, Raḥba|tān, Ḥaḍramawt et Yaman » (l. 6-7),
terme Ṭawd(um), il est encore plus difficile à cerner. d’autre part des auxiliaires arabes « Kiddat et
Dans la mesure où l’arabe ṭawd signifie « montagne », Madh|ḥi(g)um », ainsi que des « banū Thaʿlabat, Mu(ḍa)r
il est tentant de supposer que Ṭawd(um) – que nous et S¹ … » (l. 7-8).
rendons par « Haut-Pays » – est le nom antique du Une trentaine d’année plus tard, en avril-septembre
Najd, dont le nom dérive de najd, « plateau ». 552, Abraha commande l’armée royale qui fait un raid
On ne saurait exclure que Ṭawd(um) et Tihāmat en Arabie centrale, tandis qu’il dépêche deux colonnes
désignent de manière vague la totalité de l’Arabie d’auxiliaires arabes en Arabie occidentale, commandées
déserte, comme l’expression arabe « le Najd et la par « Abīgabr, avec Kiddat et ʿUla, et Bishrum fils de
Tihāma ». On rapporte ainsi que le roi sassānide Ḥiṣnum, avec | Saʿdum et Murādum » (Ry 506 / 4-5).
Kubādh Ier (488-531), après avoir déposé les Naṣrides Il faut encore évoquer le texte – malheureusement
d’al-Ḥīra, aurait demandé au Ḥujride al-Ḥārith fragmentaire – Gajda-al-ʿIrāfa 1 / 3 (republié ici en
d’imposer la religion de Mazdak aux « Arabes du Najd Annexe) qui mentionne la tribu arabe de Madhḥigum
et de la Tihāma »32. (arabe Madhḥij).
Une seconde interrogation porte sur les tribus En bref, quand ils interviennent militairement dans
arabes qui se cachent derrière l’expression « les Arabes l’Arabie déserte, les Ḥimyarites demandent régulière-
de Ṭawd(um) et de Tihāmat ». Il s’agit certainement des ment le soutien de quelques tribus arabes installées à la
confédérations tribales de Maʿaddum et de Muḍar, comme périphérie du Yémen, entre le Ḥaḍramawt (Kinda), le
nous allons le voir. Le fait que ces confédérations ne nord du Jawf (Murād) et la région de Najrān (Madhḥij,
soient pas citées paraît significatif. Abīkarib Asʿad et Saʿd al-ʿAshīra et ʿUla).
ses successeurs avaient certainement le souci de réduire
l’emprise des tribus sur la société sudarabique33. b. La confédération Maʿaddum, confiée au gouvernement
La domination de Ḥimyar sur l’Arabie déserte, qui de princes ḥujrides, originaires de la tribu de Kinda34
est officialisée vers 445, est encore effective en juin
521, comme l’atteste une deuxième inscription royale La question qui nous intéresse plus particulièrement
ḥimyarite, toujours à Maʾsal al-Jumḥ, dont l’auteur est ici est de savoir comment sont gouvernés ces Arabes
Maʿdīkarib Yaʿfur (Ry 510). L’occupation de Ḥimyar de Ḥimyar. Il est vraisemblable que les « Arabes du
par les Aksūmites (ou Éthiopiens), qui intervient dans Haut-Pays et du Littoral » constituent une nouvelle
les années suivant 525, n’y met pas fin immédiatement. composante du royaume de Ḥimyar, dépendant direc-
tement du souverain et de ses corégents.

à l’est de Makka : voir TAVO B VII 1 et Thilo 1958, carte


Nordarabien Teil C) et dhū Murākh (wādī que Yāqūt, 34. Pour les données de la Tradition arabo-islamique, voir
Muʿjam [entrée « Murākh »], situe au voisinage de Makka). Olinder 1927 ; pour celles de l’épigraphie sudarabique,
32. Kister 1968, p. 145. voir Robin 1996. Une carte du « royaume de Kinda » se
33. Robin 2004. trouve dans TAVO B VI, 7.
174 Christian Julien Robin

Il n’est pas impossible que l’un des corégents d’autres Saracènes, voisins de ces hommes, occupent la
d’Abīkarib Asʿad soit plus particulièrement en charge côte : ils s’appellent Maddènes [Maʿadd] et sont sujets
de l’Arabie déserte35. Si on se fonde sur les inscriptions, des Homérites [Ḥimyar]40.
ce ne peut être que Ḥaśśān Yuhaʾmin, fils d’Abīkarib La première mention de Maʿaddum date de 328.
Asʿad, co-auteur de Ry 509. La Tradition arabo-islamique Dans l’inscription en écriture tardo-nabatéenne et en
accorde de fait un rôle important au « Tubbaʿ Ḥassān » langue arabe, placée sur son tombeau, « Imruʾ al-Qays
dans la fondation de la principauté ḥujride36. fils de ʿAmr, roi de tous les Arabes », déclare que
Mais le point le plus important réside dans la mise « il devint roi de Maʿadd » (w-mlk Mʿdw) (Louvre
en évidence de deux vastes confédérations tribales 205 / 3).
arabes sous tutelle ḥimyarite : celles de Maʿaddum, en Cet ensemble tribal passe ensuite sous domination
Arabie centrale, et de Muḍar, en Arabie occidentale. ḥimyarite. La Tradition arabo-islamique en a gardé la
Cette distribution spatiale amène à se demander s’il mémoire41. L’effacement de Ḥimyar, à partir du milieu
n’existerait pas une certaine correspondance entre le du vie siècle, entraîne celui de la confédération Maʿaddum,
Haut-Pays (Ṭawdum) et le « Pays de Maʿaddum », d’une qui disparaît des sources. Une nouvelle confédération
part, entre le Littoral (Tihāmat) et le territoire de Muḍar, tribale, Rabīʿa, s’impose désormais en Arabie du Centre
d’autre part. C’est possible, mais difficile à démontrer. et du Nord-Est, à laquelle les généalogistes donnent
Maʿaddum peut être localisé approximativement. comme ascendance Nizār b. Maʿadd b. ʿAdnān42. Elle
Le site de Maʾsal al-Jumḥ en est le centre, comme regroupe plusieurs des tribus qui comptent à la veille
nous le verrons (p. 187-189). La grande tribu des banū de l’Islam, Ḥanīfa au centre du Najd, ʿAbd al-Qays à
ʿÂmirum (b. Ṣaʿṣaʿa), dont le territoire se trouve à mi- proximité du golfe Arabo-persique, Bakr b. Wāʾil plus
chemin entre Makka et Maʾsal37, en fait apparemment au nord ou Taghlib du côté du Bas-ʿIrāq.
partie : l’inscription Ry 506, déjà évoquée, rapporte Selon la Tradition arabo-islamique, les rois de
une razzia lancée par le roi Abraha en avril 552 contre Ḥimyar confient le gouvernement de Maʿadd à une
Maʿaddum, parce que les banū ʿÂmirum s’étaient révoltés. dynastie de princes arabes, originaires de la tribu de
Deux sources manuscrites, enfin, suggèrent que Kinda, d’où les appellations de « royaume de Kinda »
Maʿadd s’étend jusqu’aux abords d’al-Ḥīra et à la mer ou de « rois de Kinda » qu’on relève souvent dans la
Rouge, apparemment au sud de Yathrib. littérature savante43.
La Lettre de Siméon de Beth Arsham publiée par Pour être plus précis, cette dépendance des princes
Ignazio Guidi (ou Lettre Guidi), en langue syriaque, de Kinda par rapport aux rois de Ḥimyar n’est soulignée
rapporte que, en janvier 524, Siméon quitte al-Ḥīra que par une partie de la Tradition, celle que G. Olinder
pour se rendre auprès du naṣride al-Mundhir III : appelle la « tradition sud-arabique ». En revanche,
Quand nous eûmes cheminé dans le désert vers le sud-est selon les informateurs originaires de la grande tribu de
pendant dix jours, nous rencontrâmes le roi Mūndir, Bakr en Arabie du Nord-Est, cette tribu et ses rois
devant les montagnes qui sont appelées « Monts de kindites agiraient indépendamment, sans avoir besoin
Sables », en arabe Ramleh. Et quand nous entrâmes dans du soutien de Ḥimyar ou de la Perse44. Le célèbre
le campement de Mūndir, des Arabes païens et Maʿadites compilateur des « combats des Arabes » (Ayyām al-
vinrent à notre rencontre38. ʿArab), cependant, n’est pas dupe : il se rend compte
Quant à l’extension de Maʿaddum jusqu’à la mer que les princes ḥujrides ne sont pas de véritables
Rouge, elle est mentionnée par Procope. Ce dernier rois, mais de simples « possesseurs de biens » (dhawū
rapporte qu’à la fin des années 520, le territoire byzantin amwāl)45.
inclut la « Palmeraie » (en grec Phoinikôn, désignation
des grandes oasis du Ḥijāz-Nord)39 et qu’immédiatement
après : dans l’intervalle, sur dix jours de marche ». La Palmeraie
se trouve donc à « dix jours de marche » de l’Empire et
« s’étend … sur un grand espace ». Il ne semblerait pas
que ce soit une oasis précise, mais plutôt une vaste région,
35. Robin 2005 b. probablement celle qui compte les quatre oasis majeures
36. Olinder 1927, p. 38-40. de l’Arabie du nord-ouest, Taymāʾ, Madāʾin Ṣāliḥ-al-
37. TAVO B VII 1. ʿUlā, Khaybar et Yathrib / al-Madīna.
38. Lettre Guidi, texte syriaque p. 501 et 502, traduction 40. Procope, Guerres, I.XIX.14.
p. 480 et 481. Cette traduction est empruntée à Françoise 41. Olinder 1927, p. 37 et passim.
Briquel-Chatonnet, qui a bien voulu la mettre à notre 42. Caskel 1966-I, tabl. 141 et 1 ; Madelung 2003.
disposition. 43. Voir par exemple Ibn Ḥabīb, al-Munammaq (p. 368-370,
39. Procope, Guerres, I.XIX.9 et 13, indique : « la Palmeraie « Rois de Kinda », Mulūk Kinda), ou Olinder 1927
s’étend à l’intérieur des terres sur un grand espace, où (ouvrage intitulé The Kings of Kinda of the Family of Âkil
absolument rien d’autre ne pousse sinon les seuls al-Murār).
palmiers », et, plus loin, « car une terre complètement 44. Olinder 1927, p. 21-23.
vide d’hommes et absolument dépourvue d’eau s’étend, 45. Lecker 2003, p. 57, n. 103.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 175

Se succéderaient sur le trône Ḥujr fils de ʿAmr réunissant « Aréthas le phylarque, Gnouphas, Naaman,
(surnommé « le Mangeur d’herbes amères », Âkil al- Denys, duc de Phénicie, Jean, duc d’Euphratésie, et le
murār), son fils ʿAmr (surnommé « le Limité », chiliarque Sébastien avec leurs troupes » ; elle s’em-
al-Maqṣūr) et son petit-fils al-Ḥārith (tué au printemps pare du campement (mot-à-mot des « tentes », skènai)
528 selon une source byzantine46). Ce dernier fut l’un d’al-Mundhir51. « Aréthas le phylarque » est probable-
des personnages les plus marquants de l’Arabie déserte ment al-Ḥārith fils de Jabala, le Jafnide ; Gnouphas
en son temps : il est crédité d’un règne particulièrement (arabe Jafna ?) et Naaman (al-Nuʿmān), ne sont pas
long (60 ans selon Ibn al-Kalbī) et il aurait réussi connus par ailleurs.
à supplanter brièvement les Naṣrides d’al-Ḥīra et à Les mêmes sources byzantines donnent une version
occuper leur capitale. passablement différente des années qui suivent la mort
Toujours selon la Tradition, après la mort d’al- d’al-Ḥārith. En 531, l’empereur Justinien demande aux
Ḥārith, la discorde s’installe entre ses fils : Shuraḥbīl Ḥimyarites (qui viennent d’être vaincus et conquis par
b. al-Ḥārith, qui avait reçu de son père le pouvoir les Aksūmites) de confier le pouvoir à un descendant
sur Rabīʿa47, déclare la guerre à son frère Salama, en d’Aréthas [al-Ḥārith] nommé Kaïsos [Qays] :
principe à la tête de Tamīm : la bataille décisive, au Quant aux Homérites, ils établiraient Kaïsos, le trans-
cours de laquelle Shuraḥbīl est tué, est le fameux yawm fuge, comme phylarque sur les Maddènes et envahiraient
Kulāb I, qui oppose principalement Bakr et Taghlib. la terre des Perses avec une grande armée (composée)
Imruʾ al-Qays, le célèbre poète préislamique, est un d’Homérites mêmes et de Saracènes, les Maddènes. Le
petit-fils d’al-Ḥārith48. Kaïsos en question appartenait à une famille de phylar-
Néanmoins, malgré ces désordres, la même Tradi- ques et était extrêmement doué pour la guerre ; mais,
tion arabo-islamique souligne qu’Abraha, le souverain comme il avait tué un des parents d’Esimiphaios, il vivait
de Ḥimyar d’origine aksūmite, exerce encore une réelle en exil sur une terre complètement vide d’hommes52.
influence sur les affaires de l’Arabie déserte49. Trois ambassades successives sont dépéchées
Les sources byzantines ne connaissent qu’un seul auprès de Kaïsos :
des trois princes ḥujrides, le dernier, al-Ḥārith b. ʿAmr, Quant à Kaïsos, chez qui on envoyait Nonnosos, il était à
qu’elles appellent Aréthas. Sous le règne d’Anastase la tête de deux tribus des plus en vue parmi les Saracè-
(491-518), Byzance le persuade de conclure une nes : les Chindènes [Kinda] et les Maadènes [Maʿadd].
alliance : C’est aussi chez ce Kaïsos que le père de Nonnosos,
Justinien [527-565], à cette époque, régnait sur l’Empire avant la désignation de ce dernier comme ambassadeur,
romain. Le chef des Saracènes était Kaïsos, descendant fut envoyé sur l’ordre de Justinien ; et il avait conclu un
d’Aréthas, qui avait été chef lui aussi, et auprès de qui le traité de paix aux termes duquel il reçut comme otage le
grand-père de Nonnosos avait été envoyé en ambassade propre fils de Kaïsos qui s’appelait Mauïas [Muʿāwiya]
par Anastase alors empereur, et il avait négocié une paix50. et qu’il ramena auprès de Justinien à Byzance. C’est plus
Cette « paix » implique qu’Aréthas se met au service tard que Nonnosos partit lui-même en mission dans un
de Byzance et qu’il reçoit des subsides en contrepartie double but : ramener si possible Kaïsos auprès de l’em-
de la fourniture de cavaliers. Elle suggère qu’Aréthas pereur et parvenir jusqu’au roi des Axoumites (Élesbaas
jouit d’une grande autonomie, puisqu’il prend appa- était alors le maître de cette peuplade) et, en outre,
remment des initiatives diplomatiques sans en référer pousser jusque chez les Amérites.
à son suzerain ḥimyarite. Mais on ne saurait exclure ...Kaïsos, après une seconde ambassade d’Abramès
que cette « paix » soit tout simplement la conséquence auprès de lui, vint à Byzance ; il partagea sa propre
de la tutelle qu’Aksūm – allié de Byzance – impose province (phylarchie) entre ses frères Ambros (= ʿAmr)
progressivement à Ḥimyar à partir de c. 500. et Iézidos (= Yazīd) et il reçut lui-même de l’empereur le
Vers le début de 528, Aréthas, qui s’est querellé commandement sur les Palestines ; il amenait avec lui
avec le duc de Palestine (voir déjà ci-dessus, p. 170) beaucoup de ses sujets53.
s’enfuit dans le désert, où il est tué par al-Mundhir. Les sources byzantines évoquent donc un ḥujride
Ce meurtre est vengé par une expédition byzantine chargé du gouvernement des Arabes de Ḥimyar, que la
Tradition arabo-islamique a presque totalement occulté
(voir-ci-dessous). Le gouvernement de ce Kaïsos /
Qays, qui se situe au début du règne de Justinien,
46. Malalas, Chronique, XVIII.16. dure suffisamment de temps pour que trois ambassades
47. La mention de Rabīʿa, à cette date, paraît anachronique. lui soient envoyées. Il s’achève par une émigration
48. Olinder 1927. Voir aussi Caussin 1847-II, p. 265-334,
très complet, mais sans esprit critique.
49. Kister 1965 et 1972.
50. Photios, Bibliothèque, 3 = Henry 1959, p. 4. L’Aréthas 51. Malalas, Chronique, XVIII.16.
de ce texte est clairement identifié par la mention des 52. Procope, Guerres I.XX.9-10.
Chindènes [Kinda] et les Maadènes [Maʿadd] (ibid.). 53. Photios, Bibliothèque, 3 = Henry 1959, p. 4-5.
176 Christian Julien Robin

en Palestine, à une date inconnue, sans doute antérieure On peut s’interroger sur l’aide que Byzance atten-
à 540 ; il est douteux, en effet, que Qays soit resté dait des Ḥujrides, qui exerçaient une autorité sur des
durablement au pouvoir. tribus apparemment fort éloignées de l’Empire : Maʾsal
Il est possible d’identifier Kaïsos avec Qays b. al-Jumḥ, le centre du pouvoir ḥujride, se trouve à plus
Salama, l’un des petit-fils d’al-Ḥārith. On sait, grâce à de 1 000 km. Ce devait être tout d’abord un moyen de
Nonnosos, que Kaïsos est un « descendant » (apogo- pression sur les Sāsānides et leurs auxiliaires d’al-Ḥīra.
nos) – et non un fils – d’al-Ḥārith et qu’il a deux frères, Ce pouvait être également une manière de contrer les
Ambros [ʿAmr] et Iezidos [Yazīd], ainsi qu’un fils autres alliés arabes, en cas d’insubordination. Enfin,
Mauïas [Muʿāwiya], remis en otage à Justinien. Si nous il n’est pas exclu que les Ḥujrides – à l’imitation du
nous tournons vers les traditionnistes arabes, ils men- naṣride al-Mundhir III – aient pu représenter une
tionnent deux Qays dans la descendance d’al-Ḥārith : certaine menace, surtout s’ils dominaient l’oasis de
un fils, Qays b. al-Ḥārith, et un petit-fils, Qays b. Dūmat al-Jandal59 : dans ce cas, il valait mieux les
Salama b. al-Ḥārith54. Seul le second peut être qualifié avoir comme alliés que comme ennemis.
de « descendant ». Or ce Qays b. Salama a un frère Les inscriptions royales ḥimyarites ne mentionnent
nommé Yazīd55 ; une tradition, en outre, rapporte qu’il pas les Ḥujrides. Elles donnent seulement la liste des
a dirigé une expédition contre le naṣride al-Mundhir56. tribus arabes qui fournissent des auxiliaires. On notera
Il s’agit donc selon toute vraisemblance du Kaïsos des que, dans ces listes, Kiddat (Kinda) vient toujours en
sources byzantines57. premier (voir ci-dessus, p. 173), ce qui indique que
Le Qays mentionné dans l’une des célèbres « odes Ḥimyar lui reconnaît une certaine préséance.
suspendues » (muʿallaqāt), celle d’al-Ḥārith b. Ḥilliza, Les princes ḥujrides, cependant, ne sont pas totale-
qui aurait été récitée devant le naṣride ʿAmr b. Hind, ment inconnus des sources épigraphiques. Un graffite
pourrait bien être Qays b. Salama. À la tête de Maʿadd, rupestre découvert à une centaine de kilomètres au
ce Qays attaque un Naṣride et est défait à Thahlān, nord-est de l’oasis saʿūdienne de Najrān a pour auteur
en Arabie centrale, à quelque 300 km à l’ouest de la le premier :
moderne al-Riyāḍ58. Ḥugr b. ʿAmrum, roi de Kiddat [ar. Kinda]60
Le titre revendiqué ici est intéressant. Ḥujr ne
mentionne pas Maʿadd, la confédération tribale d’Arabie
centrale, sur laquelle il aurait autorité, mais seulement
54. Caskel 1966-I, tabl. 238.
55. Ibn Ḥabīb, al-Muḥabbar,  p. 252, mentionne, parmi les Kinda, la tribu du Yémen dont il est originaire. Le
« grands guerriers du Yémen » (al-jarrārūn min al-Yaman) : souverain ḥimyarite lui a confié de hautes responsabi-
« Ḥujr b. Yazīd b. Salama le Kindite et Qays b. Salama le lités parce qu’il est le chef d’une maison royale.
Kindite ». Salama aurait donc eu au moins trois fils : Qays
(Ibn al-Kalbī dans Caskel 1966-I, tabl. 238 ; Ibn Ḥabīb), c. Muḍar et ses princes, Nuʿmānān
Mālik (Ibn al-Kalbī dans Caskel 1966-I, tabl. 238) et et les banū Thaʿlabat
Yazīd (Ibn Ḥabīb).
56. Yāqūt, Muʿjam, « Dayr Banī Marīnā » ; Olinder 1927,
p. 117. Dans une communication présentée il y a plus de
57. Cette identification de Kaïsos avec Qays b. Salama n’est dix ans à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres61,
pas sans conséquence. Selon l’inscription CIH 541 / 9 et j’avais supposé que les Ḥujrides étaient investis du
suiv., Abraha réprime, à partir de juin 547, au Ḥaḍramawt, gouvernement de tous les Arabes de Ḥimyar. Une inscrip-
la révolte d’un kindite nommé Yazīd b. Kabsha, dont il tion publiée récemment par Iwona Gajda (al-ʿIrāfa 1,
avait fait « son gouverneur sur la tribu de Kinda » (ẖlft- ci-dessous en Annexe) conduit à réviser cette opinion :
hmw ḏ-s¹|tẖlfw ʿly Kdt). Ce Yazīd b. Kabsha peut être
identifié avec le fils ou mieux, l’arrière petit-fils d’une il est désormais manifeste qu’il existe sous tutelle
certaine Kabsha qui aurait épousé un frère d’al-Ḥārith ḥimyarite une seconde famille princière ayant autorité
nommé Imruʾ al-Qays (Ibn al-Kalbī, dans Caskel 1966- sur la confédération de Muḍar.
I, tabl. 238 ; Nasab, p. 169) ; il ne s’agirait donc pas du
Yazīd [Iezidos], auquel Kaïsos cède une partie de ses
pouvoirs, prince qui lui descendrait d’al-Ḥārith.
58. Voir al-Tabrīzī, Sharḥ, p. 321-322 ; Ibn al-Naḥḥās, descend de Kabsha (voir la note précédente) ; dans ce
Sharḥ, II, p. 82-83, vers 70-74 ; Yaʿqūb 2004, p. 32-33, cas, il ne serait pas le petit-fils d’al-Ḥārith par Salama,
vers 53-57 ; Caussin 1847-II, p. 370 ; Berque 1979, p. 94- mais un descendant d’Imruʾ al-Qays, frère d’al-Ḥārith.
95 ; Shahîd 1995a, I / 1, p. 164-165 et notes. Au vers 70 / Concernant Thahlān (vers 74 / 57), voir ci-dessous en
53, les éditions arabes préfèrent jāʾū jamīʿan, alors que Annexe Gajda-al-ʿIrāfa 1 / 3, Ṯhyn, commentaire.
la lectio difficilior, jāʾat Maʿaddun, semble préférable. 59. On ignore tout du statut de cette oasis au début du vie s.
L’énigmatique kabsh qaraẓī, « bélier yéménite », de ce Mais on sait que des Kindites la dominent en partie au
passage (vers 71 / 54) (Caussin 1847-II, p. 370, « héros début du viie s. (Veccia Vaglieri 1965 et Lecker 2002b).
du Yaman » ; Berque 1979, p. 95, « Bélier tannifère », 60. Ḥgr bn ʿmrm mlk Kdt : Gajda 1996.
et n. 11, p. 169), pourrait faire allusion au fait que Qays 61. Robin 1996.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 177

Cette inscription nous apprend, à la ligne 4, qu’un que des tribus de Muḍar sont établies dans le Ḥijāz
certain Nuʿmānān (arabe al-Nuʿmān) et la confédéra- septentrional :
tion tribale de Muḍar se rendent à Maʾsal al-Jumḥ, sans Ils étaient les rois en Syrie (Shām) avant l’arrivée de
doute pour faire allégeance au souverain ḥimyarite : Ghassān. Les Salīḥ prélevaient l’impôt pour le compte
…]# … …Nuʿmānān et Muḍar à Maʾsalum, Maʾsal des Byzantins sur les tribus de Muḍar et autres qui
Gumḥum […62 s’établissaient sur leur territoire66.
L’hypothèse d’une allégeance se fonde sur le fait Il n’est pas impossible de proposer une identifica-
que l’inscription, qui provient de la capitale ḥimyarite, tion vraisemblable pour le Nuʿmānān qui est à la tête
a vraisemblablement un roi pour auteur. Elle commé- de Muḍar : ce pourrait être al-Nuʿmān b. ʿAmr b. Mālik,
more en effet toute une série de succès remarquables : le premier roi salīḥite. D’après la tradition arabo-isla-
un combat victorieux contre la tribu de Tanūkh (l. 1), mique, les Byzantins, avant de faire appel aux Jafnides,
deux expéditions dans le Najd (l. 2-3 et 6), la venue auraient placé à la tête des tribus arabes en relation
de Nuʿmānān à Maʾsal (l. 4) et enfin une expédition avec l’Empire (appartenant notamment à Quḍāʿa) une
dans la Yamāmat (arabe Yamāma) qui atteint le golfe dynastie de souverains chrétiens originaire de la petite
Arabo-persique (l. 5). Il semblerait que Ḥimyar sup- tribu de Salīḥ. Pour Ibn Qutayba67, cette dynastie
plante la tribu de Tanūkh (apparemment la désignation compterait trois souverains (al-Nuʿmān, son fils Mālik
ḥimyarite du royaume d’al-Ḥīra) en Arabie centrale et et son petit-fils ʿAmr) ; comme elle est remplacée par
orientale. les Jafnides, vers le début du vie siècle, date donnée par
La date de ce texte ne peut être déterminée que les sources byzantines, al-Nuʿmān b. ʿAmr remonterait
par le contenu. Elle se situe très certainement entre bien au milieu du ve siècle68
l’établissement de la domination ḥimyarite en Arabie En juin 521, selon Ry 510, Muḍar est dirigée par
centrale (c. 445) et l’invasion de Ḥimyar par Aksūm les banū Thaʿlabat. Ces derniers peuvent être identifiés
(dans les années qui suivent 525). De manière moins avec la « maison de Taʿlabaʾ » qui, selon la Chronique
assurée, elle semble commémorer la conquête de de Josué le Stylite, serait à la tête des Arabes des
l’Arabie centrale et orientale, c. 445 : c’est la meilleure Romains (ci-dessus, p. 170 et n. 5), lors de l’offensive
explication pour l’énumération de nombreux toponymes. lancée contre le territoire perse, en 502.
L’auteur du texte pourrait être le roi Ḥaśśān Yuhaʾmin Par ailleurs, dans les premières années du vie siècle,
qui, selon la Tradition arabo-islamique, aurait mené les Byzantins concluent un traité avec un chef arabe
des campagnes victorieuses dans ces régions63. nommé « Aréthas, (fils) de la Talabanè » (Arethas ho
L’allégeance de Muḍar à Ḥimyar est confirmée tès Talabanès legomeros). Depuis Th. Nöldeke69, on
par un autre texte royal ḥimyarite de Maʾsal al-Jumḥ, suppose que cette expression énigmatique signifie
daté de juin 521. Ce document célèbre une expédition qu’Aréthas a un ancêtre nommé Thaʿlaba ou qu’il est
victorieuse contre le souverain d’al-Ḥīra al-Mundhir III issu du lignage des banū Thaʿlaba70.
et la Perse : On peut identifier l’éponyme des banū Thaʿlabat
[Le roi] était alors en expédition avec ses tribus Sabaʾ, avec un chef homonyme de la tribu de Ghassān. Selon
Ḥimyarum, Raḥba|tān, Ḥaḍramawt et Yaman (?), avec ses Ibn Ḥabīb, c’est ce Thaʿlabat (arabe Thaʿlaba) qui
Arabes Kiddat et Madh|ḥi[g]um et avec les banū Thaʿlabat, aurait anéanti et supplanté la tribu de Salīḥ, après avoir
Mu(ḍa)r et S¹…64 accepté de lui payer l’impôt71. Le nom de Thaʿlaba
Muḍar est la grande confédération tribale de l’Arabie apparaît d’ailleurs parmi les ancêtres des Jafnides, dont
occidentale à la veille de l’Islam ; Quraysh, la tribu de il va être question72.
Makka, en relève65. Un siècle plus tôt, les données
précises sur la localisation de Muḍar font défaut. Un
texte d’Ibn Ḥabīb sur les banū Ṣalīḥ suggère, cependant, 66. Ibn Ḥabīb, al-Muḥabbar, p. 370-371 ; Prémare 2002,
p. 395-396.
67. al-Maʿārif, p. 640.
62. …]#…ʿt tʿm Nʿmnn w-Mḍr b-Mʾs¹lm Mʾs¹l Gmḥm[… 68. Dans les sources arabes, l’histoire de la tribu de Salīḥ se
(Gajda-al-ʿIrāfa 1 / 4). Selon les conventions de l’Inventaire présente sous des versions très dissemblables. Celle que
des inscriptions sudarabiques, le signe # représente le pas- retient Shahîd (1995c) ne s’accorde pas avec celle que
sage d’une pierre à une autre ou d’un fragment à un autre. donne Ibn Qutayba.
63. Voir par exemple Ṭabarī, Taʾrīkh I, p. 880-881 ; History, 69. 1887, p. 6.
p. 122-124. 70. Pour une opinion contraire, voir Olinder 1927, p. 48 et 52.
64. Ry 510 / 6-8 : w-s¹bʾw b-s²ʿb-hmw S1bʾ w-Ḥmyrm w-Rḥb|tn 71. al-Muḥabbar, p. 370-371 ; Prémare 2002, p. 395-396.
w-Ḥ(ḍ)rmt w-Y(m)n w-b-ʿm ʾʿrb-hmw Kdt w-Mḏ|ḥ[g]m 72. Dans l’arbre généalogique des Jafnides, on trouve deux
w-b-ʿm bny Ṯʿlbt w-Mḍr-w-S1… La lecture du dernier ethno- Thaʿlaba, l’un parmi leurs ancêtres directs et l’autre dans
nyme est incertaine (figures 4 et 5) ; S¹lḥ (arabe Salīḥ) n’est une branche parallèle, installée à Yathrib : Nöldeke
pas impossible, mais trop peu sûr pour être retenu ici. 1887, notamment p. 6 et tableau généalogique p. 62 ;
65. Kister 1981. Caskel 1966-I, tableau 193, et II, p. 529.
178 Christian Julien Robin

Nous estimons donc que, pendant la seconde moitié également, à une date indéterminée, un traité avec le
du ve siècle et au début du vie, la confédération tribale de ḥujride al-Ḥārith b. ʿAmr76.
Muḍar est soumise à Ḥimyar ou, pour le moins, qu’elle Sous les règnes de Justin I (518-527) et de Justinien,
est son alliée. Dans le même temps, Muḍar a noué des Byzance se repose de plus en plus sur les phylarques
liens très étroits avec Byzance, que ses chefs soient arabes, notamment sur ceux originaires de la tribu de
salīḥites ou ghassānites. Son territoire doit correspon- Ghassān, qui se parent du titre de « roi ». La plus
dre approximativement au Ḥijāz d’époque islamique et ancienne attestation de ce titre remonte à juillet 524 ;
inclure notamment les grandes oasis du Ḥijāz septen- elle se trouve dans la seconde Lettre de Siméon de Beth
trional, Yathrib (aujourd’hui Médine), Khaybar, le Arsham (publiée par Irfân Shahîd, ou Lettre Shahîd),
wādī ʾl-Qurà (auj. al-ʿUlā) et Taymāʾ principalement. rédigée en syriaque, qui aurait été envoyée
du camp de Gəbâlâ [Gabalat / Jabala] roi des ʿAssanites
2. Les Arabes des Romains [Ghassānites] au lieu-dit Gəbîtâ [al-Jābiya]77.
al-Jābiya se trouve sur le plateau du Jawlān
a. La royauté jafnide73 (Golan), au sud-ouest de la Syrie contemporaine, à
savoir en territoire byzantin, dans la province d’Arabie
À l’extrême fin du ve siècle, les provinces byzantines semble-t-il78. Jabala appartient au lignage des banū Jafna.
du Levant sont frappées par des raids arabes dévasta- Quatre ou cinq ans plus tard, en 528-529, l’inscrip-
teurs74. La parade aussitôt mise en œuvre est la conclu- tion du jabal Usays (à 100 km à l’est de Damas), en
sion d’alliances avec les chefs (phularchos) des tribus langue et en écriture arabes, donne le titre de « roi » à
arabes les plus menaçantes, établies sur le territoire al-Ḥārith, probablement le fils du Jabala qui vient
impérial ou à proximité. La première alliance est scellée d’être mentionné :
vers 502 : Je suis Ruqaym, fils de Muʿriḍ, l’Awsite. | M’a envoyé
Anastase conclut un traité avec Aréthas [al-Ḥārith], al-Ḥārith le roi sur | Usays en garnison, l’an | 42379.
le père de Badicharimos [Maʿdīkarib] et d’Ôgaros Mais l’événement marquant intervient vers 530 ou
[Ḥugr / Ḥujr], appelé (fils) de la Thalabanè [Thaʿlabat / 531. L’empereur Justinien confère alors « la dignité de
Thaʿlaba], et dès lors toute la Palestine, l’Arabie et la roi » au jafnide al-Ḥārith fils de Jabala :
Phénicie jouirent de la tranquillité et de la paix75.
Cet Aréthas (arabe al-Ḥārith), qui appartiendrait
au lignage des banū Thaʿlaba (ci-dessus, p. 177), est le 76. Photius, Bibliothèque, 3 = Henry 1959, p. 4.
premier chef arabe originaire de la tribu de Ghassān à 77. men ḥirtoʾ da-Gəbâlâ malkoʾ də-ʿAssanayeʾ bə-dûktoʾ
passer au service de Byzance. də-metqariyoʾ Gəbîtoʾ (Shahîd 1971b, IX B, p. xxxi et
63). Je corrige le nombre de l’année (830 séleucide) en
Comme nous l’avons déjà signalé (ci-dessus 835 : c’est la date donnée par la Lettre Guidi et dans le
p. 175), le même empereur Anastase, avait conclu texte de la Lettre Shahîd.
78. al-Jābiya se trouve à 5 km au nord de Nawā (Dussaud
1927, carte II, entre les pages 40 et 41). Cette zone, qui
73. L’ouvrage fondamental demeure Nöldeke 1887. Les nom- relève de la Batanée, appartient à la province d’Arabie,
breuses études qu’Irfan Shahîd a consacrées aux Jafnides, si l’on se fonde sur les cartes disponibles (Abel 1938,
reprises dans trois ouvrages monumentaux (1989, 1995 a carte X, en fin de volume ; Avi-Yonah 1973, col. 417-
et 2002), cherchent à démontrer que la tradition historique 418 ; Meimaris 1992, carte en fin de volume). Mais
byzantine n’a pas rendu justice aux Arabes chrétiens, dont il est vrai que la distribution des inscriptions datées
le rôle historique serait considérable. Mais les multiples utilisant l’ère de la province d’Arabie (Meimaris 1992)
défauts de méthode, les erreurs factuelles, les données ou celle des bornes cadastrales au nom de tel recenseur
passées sous silence et la manipulation des sources, sans (Sartre 1992) n’apportent pas de confirmation défini-
parler d’une approche trop littérale de la Tradition arabo- tive. Irfan Shahîd est d’une opinion contraire. À l’en
islamique (voir les critiques de Whittow 1999), invitent à croire, al-Jābiya relève de la Palestine Seconde, mais il
utiliser ces ouvrages avec prudence. Caussin 1847-II, ne donne pas les arguments qui pourraient soutenir
p. 189-258 est une somme des sources, toujours utile, mais cette opinion (1995a, I / 2, pp. 719-720 et pasim). Ce
à utiliser avec un esprit critique. n’est pas l’appartenance d’al-Jābiya au Jawlān, puisqu’il
74. Pour les toponymes et les ethnonymes du Proche-Orient, place la limite orientale de cette région sur le nahr
et les limites des provinces byzantines, voir la carte al-Ruqqād (Shahîd 2002, p. 426) alors qu’al-Jābiya est
figure 2, p. 169. plus à l’est (ibid., carte IV, p. 427 ; Dussaud 1927,
75. Théophane, Chronographie, p. 144. La conclusion carte I, entre les pages 24 et 25). D’ailleurs, sur ses cartes,
d’accords avec des chefs arabes n’est pas une nouveauté al-Jābiya se trouve aussi bien en Palestine II (1995a, I / 1,
absolue : dans le courant du ve s., deux transfuges de carte VIII B, p. 683) qu’en Arabie (1995a, I / 1, carte VII,
l’empire sāsānide avaient déjà été accueillis en territoire p. 681).
byzantin et investis d’une charge leur donnant autorité 79. Robin-Gorea 2002 (avec quelques améliorations, grâce
sur les Arabes, avec le titre de phylarque : Aspébetos à une meilleure photographie). Les termes dont la lecture
(vers 420) (voir Sartre 1982, p. 149 et suiv.) et et l’interprétation sont hypothétiques sont en caractères
Amorkésos en 473 (ibid., p. 154 et suiv.). romains.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 179

En un mot, cet homme [al-Mundhir] fut de loin l’ennemi La question qui reste ouverte est de savoir si l’auto-
le plus difficile et le plus dangereux de tous pour les rité d’al-Ḥārith s’exerce sur les Arabes des autres pro-
Romains. La raison en était qu’Alamoundaros avait seul vinces du Levant, Palestine III, Palestine I, Palestine II,
autorité sur tous les Saracènes de Perse, avec la dignité Phénicie côtière (ou Phénicie I), Phénicie libanaise (ou
de roi … Pour cette raison, l’empereur Justinien confia Phénicie II), Syrie I, Syrie II et Euphratésie en allant
le commandement d’aussi nombreux clans que possible du sud vers le nord (carte figure 2, p. 169).
à Aréthas fils de Gabalas, qui avait autorité sur les Diverses constatations suggèrent que les Jafnides
Saracènes d’Arabie, et lui accorda la dignité de roi, al-Ḥārith et son fils al-Mundhir jouissent d’une certaine
fait qui, chez les Romains, ne s’était jamais produit prééminence. Quelques inscriptions mentionnant ces
auparavant80. princes ont été découvertes non seulement dans la
Quelle est la nature de la « royauté » d’al-Ḥārith ? province d’Arabie84, mais aussi dans celles de Phénicie
Comme pour les rois ḥujrides d’Arabie centrale, le libanaise (ou Phénicie II) et d’Euphratésie.
point de vue du suzerain n’est pas celui du roi arabe. Le site de Qaṣr al-Ḥayr al-Gharbī (à mi-chemin entre
Pour les Byzantins, il s’agit d’une tentative de hiérar- Ḥumṣ et Palmyre, à 60 km à l’ouest-sud-ouest de cette
chisation des chefferies arabes, avec désignation d’une dernière), en Phénicie libanaise, était occupé au vie siè-
autorité suprême. Pour donner plus de poids à ce chef cle par un monastère byzantin. Daniel Schlumberger y a
suprême, on lui octroie des titres byzantins prestigieux, trouvé en fouille un linteau, remployé comme seuil de
comme celui de patrice, l’un des plus élevés de la hiérar- l’entrée du palais umayyade, sur lequel étaient peintes
chie impériale, mais jamais ni les sources narratives quatre inscriptions grecques. L’une, qui commémore
byzantines ni les inscriptions grecques n’utilisent le l’édification de la porte du monastère, est datée par la
titre de « roi » (basileus). Il semblerait qu’al-Ḥārith ait mention de dignitaires ecclésiastiques et « du phylarcat
été autorisé à se parer du cercle d’or (kelīl), mais non du très illustre Aréthas » (kai tès phularchias | tou endo-
du diadème (tāj) dont seul son fils est honoré, lors de xôtatou Arétha[s]). Une autre est une acclamation en
son voyage à Constantinople, en 58081. l’honneur de « [Flavius] Aréthas, patrice » ([Phl.]Arétha
En revanche, pour al-Ḥārith (Aréthas), il s’agit bien patrikiou), datée de 870 sél. (559 de l’ère chrétienne)85.
de l’accession à la dignité royale, comme le montre Toujours en Phénicie libanaise, à al-Burj, à quelques
l’inscription du jabal Usays ; c’est également le point kilomètres au sud-est de Ḍumayr (à 40 km à l’est-nord-
de vue de la Tradition arabo-islamique qui, de façon est de Damas), une inscription, apparemment in situ
unanime, décerne le titre royal aux Jafnides. sur une tour, commémorerait la construction de cette
Cette royauté ne s’exerce pas sur un territoire, mais tour par « le paneuphèmos Flavios Alamoundaros,
sur une population, les Saracènes de la province byzan- patrice et phylarque » (Phl<abios> Alamoundar[o]s
tine d’Arabie : [ho] paneuphèmos patrik<ios> kai phularchos)86.
…Aréthas fils de Gabalas, qui avait autorité sur les En Euphratésie, à Sergiopolis (al-Ruṣāfa), dans un
Saracènes d’Arabie82. somptueux monument – tout à la fois lieu de culte et
Il n’est pas même sûr qu’al-Ḥārith soit l’inter- salle d’audience –, édifié à la périphérie de la ville, on
locuteur unique des autorités provinciales : dans cette lit l’acclamation « la Tychè d’al-Mundhir triomphe »
même province d’Arabie, on a mention d’un chef (nika hè Tuchè Alamoundarou), gravée en relief dans
de tribu (phularchos) qui ne paraît pas placé sous son l’abside87.
autorité.
Ce chef est l’auteur de l’inscription de Ḥarrān, petit
village du Lajāʾ dans le sud de la Syrie actuelle, qui
commémore la construction d’un martyrion consacré à
Saint Jean83. Il s’appelle en grec Saraèlos Talémou | 84. Il s’agit de l’inscription de Hayyāt, dans le Lajāʾ
phularch(os), et en arabe Sharaḥīl fils de Ẓālim. Le (Dussaud 1927, p. 355 et carte II, « Heiyat » et « Heyat »),
qui commémore la construction d’une vaste demeure
texte porte deux dates, ce qui permet de situer sa
aristocratique en l’an 473 de la province d’Arabie,
composition entre le 22 mars et le 31 août 568, soit durant la onzième indiction (577-578 è. chr.), au temps
très peu de temps avant la mort du jafnide al-Ḥārith fils d’al-Mundhir paneuphèmos et patrice (epi tou paneu-
de Jabala, en 569-570. Le phylarque Sharaḥīl fils de ph<èmou> Alamoundarou patr<ikiou>) (Shahîd 1995,
Ẓālim porte des noms inconnus chez les Jafnides. Il est p. 489-494 ; Genequand 2006, p. 79). Voir également
vraisemblable qu’il appartient à un autre lignage. l’inscription du jabal Usays, déjà citée (Robin-
Gorea 2002), qui est antérieure à l’élévation d’al-
Ḥārith à la dignité royale par Justinien.
85. Shahîd 1995, p. 258-261 ; Genequand 2006, p. 69 et suiv.
80. Procope, Guerres, I.XVII.45 et 47 ; Paret 1958. 86. Shahîd 1995, p. 495-501 ; Genequand 2006, p. 79.
81. Paret 1958 ; Genequand 2006. 87. Sauvaget 1939, qui observe que l’inscription signifie,
82. Procope, Guerres, I.XVII.47. transposée dans un langage contemporain, « Vive al-
83. Robin 2006 b, p. 332-336 et fig. 3, p. 357. Mundhir » (p. 117, n. 1) ; Haase 1995.
180 Christian Julien Robin

Mais l’argument le plus décisif réside dans le récit Jabala b. Ayham (qui, en 636, participe à la bataille du
de deux campagnes militaires, celle de Kallinikon Yarmūk dans les rangs byzantins). Mais ces personnages
(531) et celle d’Assyrie (541), au cours desquelles le ne semblent pas avoir disposé d’un réel pouvoir.
jafnide al-Ḥārith joue un rôle important, à la tête des
auxiliaires arabes88. b. La principauté du jafnide Abocharabos
Cette prééminence des Jafnides sur les Arabes
n’implique nullement qu’ils se substituent aux autorités Justinien, vers l’époque où il élève Aréthas à la
régulières : les gouverneurs (hègémôn ou archôn) à dignité royale, nomme « phylarque des Saracènes de
la tête de provinces (éparchia) et les chefs militaires Palestine » un certain Abocharabos :
(dux) dont le commandement s’exerce sur les troupes La Palmeraie s’étend à l’intérieur des terres sur un grand
stationnées dans une ou plusieurs provinces. Ils sont de espace, où absolument rien d’autre ne pousse sinon
simples « alliés », comme le souligne Procope : les seuls palmiers. Abocharabos, chef des Saracènes de
Jamais un commandant des troupes romaines, de ceux l’endroit, gratifia l’empereur Justinien de cette Palmeraie
qui sont appelés « ducs », ni un chef des Saracènes alliés et l’empereur l’institua, lui, phylarque des Saracènes de
aux Romains, de ceux qui sont appelés « phylarques », Palestine et préserva tout ce temps le pays des ravages,
ne fut assez fort pour livrer, avec ses hommes, une car, aux yeux des barbares soumis et non moins des
bataille rangée contre Alamondaros89 ennemis, Abocharabos apparut toujours redoutable et
Ce sont d’ailleurs des alliés qu’on tient à l’œil : en exceptionnellement énergique93.
536, la Novelle 102 c.1, qui réorganise la province Comme je l’ai indiqué (p. 174), la « Palmeraie »
d’Arabie90, s’inquiète que le phylarque (mentionné (Phoinikôn), dont Abocharabos est le chef (archôn),
après le duc et avant les familles des puissants) puisse désigne apparemment les grandes oasis du Ḥijāz-
menacer l’autorité du gouverneur. Nord.
On ajoutera que cette prééminence des Jafnides est En Palestine – sans doute la Palestine III –,
toute relative, puisque bien d’autres phylarques sont Abocharabos succéderait au ḥujride al-Ḥārith b. ʿAmr,
mentionnés dans les sources91 ; par ailleurs, il semble tué par al-Mundhir III d’al-Ḥīra en 528 ; en effet,
bien que la Palestine III échappe totalement à al-Ḥārith Malalas nous apprend qu’al-Ḥārith s’est enfui à la suite
et à son fils (ci-dessous). d’une querelle avec le duc de Palestine, suggérant ainsi
Une dernière question reste sans réponse : on ne qu’il avait des responsabilités militaires dans cette
saurait dire si l’autorité des rois jafnides est reconnue province (ci-dessus, p. 170).
par des tribus arabes extérieures à l’Empire. Un papyrus de Pétra (ville de Palestine III), appa-
al-Ḥārith fils de Jabala (528-569 / 570) a un unique remment postérieur à 537, mentionne un phylarche
successeur : son fils al-Mundhir. Ce dernier est déposé nommé « Abu Karib » qui agirait comme médiateur.
et envoyé en exil en 58292. Cette suppression de la L’identification avec l’Abocharabos que Justinien
monarchie jafnide intervient peu après l’effondrement nomme « phylarque des Saracènes de Palestine » paraît
du pouvoir aksūmite en Arabie méridionale. Elle signale très vraisemblable94.
la fin et l’échec d’une ambitieuse politique byzantine En 529, toujours selon Malalas, le « phylarque de
dans la péninsule Arabique. Palestine », appelé plus loin le « phylarque saracène,
La Tradition arabo-islamique donne le titre de « roi » celui des Romains », joue un rôle important dans la
à bien d’autres membres du lignage jafnide, notamment répression de la révolte des Samaritains. On a supposé
à ceux dont l’activité est postérieure à la déposition que ce phylarque était Abocharabos95.
d’al-Mundhir, comme al-Ḥārith b. Abū Shamir ou

93. Procope, Guerres, I.XIX.9-11.


88. Procope, Guerres, I.XVIII.7 et suiv., II.XVI.5 et suiv. ; 94. Kaimio-Koenen 1997, p. 461-462 (Papyri Scroll 83),
Shahîd 1965, p. 1044. Shahîd 2002, p. 29. En revanche, l’identification d’Abo-
89. Guerres, I.XVII.46. charabos avec « le très illustre phylarque Abou Chirib »
90. Sartre 1982, p. 109-111 ; Shahîd 1995a, I / 1, p. 196-198. de l’inscription (non datée) de Sammāʾ dans le Jawlān
91. Sartre 1982 et 1993 en donnent une liste exhaustive. Aux (Sartre 1993, p. 150 et suiv. ; Shahîd 2002, p. 29), si elle
textes comportant explicitement le titre de phylarque, cer- n’est pas impossible, semble incertaine. Quant à celle avec
tains ajoutent les inscriptions mentionnant des personna- le « roi » Abū Karib mentionné dans une note marginale,
ges homonymes de phylarques (voir par exemple Shahîd sur un manuscrit syriaque provenant d’un monastère
2001). Ce dossier épigraphique doit être complété par les de la région de Palmyre (Shahîd 1995a, p. 845-850 ;
notices de Feissel 2006, no 551 (p. 174-175), 577 (p. 183), Shahîd 2002, p. 29), elle semble douteuse.
653 (p. 205-206), 844 (p. 266) et 916 (p. 284-285). 95. Malalas, Chronique, XVIII.35, éd. Dindorf, p. 445-447 ;
92. Devresse 1945, p. 241 et suiv. (« Arabes-Perses et Arabes trad. Jeffreys et alii 1986, p. 260-261 ; Sartre 1982,
Romains, Lakhmides et Ghassanides »). p. 168-170. Voir aussi Sartre 1993, p. 150-153 (publi-
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 181

Une inscription d’Abraha, le roi d’origine aksūmite accorde aux campagnes militaires de Bélisaire, qu’il a
qui occupe le trône de Ḥimyar, nous permet d’identi- d’ailleurs accompagné.
fier plus précisément ce personnage. Pendant qu’il se En Palestine même, le détail de la politique byzan-
trouve à Marib, à l’automne 547, Abraha organise une tine nous échappe. Il semblerait qu’Abocharabos ne
conférence diplomatique, à laquelle participent des soit pas le seul phylarque sur lequel Byzance se repose.
délégations de toutes les puissances de la région Vers 535, comme nous l’avons vu (p. 175-176), le
(Cih 541 / 87-92). Ces délégations sont classées en Ḥujride
trois catégories. Celles des deux puissances suzeraines Kaïsos… reçut lui-même de l’empereur le commande-
(le négus et le « roi des Romains ») sont appelées « am- ment sur les Palestines ; il amenait avec lui beaucoup de
bassades » (mḥs²kt) tandis que celle du roi de Perse est ses sujets98.
nommée « mission diplomatique » (tnblt). Enfin, les Cette remarque de Nonnosos intrigue à plusieurs
princes vassaux de la Perse et de Byzance (le naṣride titres. Il s’agit tout d’abord du terme « commande-
al-Mundhir et les jafnides Ḥarith et Abīkarib fils de ment » (hègémonia), qui suggère une charge officielle.
Jabala) sont représentés par des « envoyés » (rs¹l) : Noter aussi le pluriel « les Palestines » (Palaistinôn),
Par la suite, | l’ambassadeur du négus | et l’ambassadeur qui implique l’exercice d’une responsabilité sur au
du roi des Romains sont arrivés chez lui ainsi que la moins deux des trois Palestines99.
mission diplomatique | du roi de Perse, l’envoyé de Quoi qu’il en soit du détail des événements, il me
Mudhdhirān, l’envoyé | de Ḥarithum fils de Gabalat et semble acquis qu’il n’existe pas de « phylarcat géné-
l’envoyé d’Abīkarib | fils de Gabalat96. ral »100 ayant autorité sur l’ensemble des Arabes des
Aucune délégation ne vient d’Arabie même, notam- Romains, comme le supposent Maurice Sartre et Irfân
ment de Maʿaddum ou de Muḍar. Faut-il en déduire Shahîd. Il est manifeste qu’il existe un dispositif tourné
qu’Abraha se considère encore comme leur suzerain ? vers le désert de Syrie et la Perse, et un autre tourné
C’est sans doute vrai pour Maʿaddum. Concernant vers la péninsule Arabique.
Muḍar, il est possible que cette confédération tribale soit
représentée par Abīkarib fils de Gabalat, si on admet 3. Les Arabes de la Perse : le royaume d’al-Ḥīra101
que c’est bien lui qui avait autorité sur la « Palmeraie »
quelque vingt-huit ans plus tôt. Le royaume le plus important par sa durée et son
Le texte d’Abraha n’indique pas pour quelle raison influence est celui d’al-Ḥīra, sur le Moyen-Euphrate, à
ces délégations se rendent à Maʾrib. Il est possible que quelque 400 km de l’embouchure de ce fleuve sur le
ce soit pour parler du partage des zones d’influence entre golfe Arabo-persique.
Byzance, Aksūm et la Perse en Arabie, après la fin du Selon la Tradition arabo-islamique, le premier
conflit qui a opposé Byzantins et Perses de 540 à 546. souverain arabe d’al-Ḥīra serait Jadhīma al-Abrash. Il
Grâce à ce texte d’Abraha, nous savons que le jafnide régnerait peu après le milieu du iiie siècle, si on accorde
al-Ḥārith fils de Jabala a un frère nommé Abīkarib un certain crédit aux récits rapportant ses démêlés
– inconnu de la Tradition arabo-islamique. L’identifi- avec une reine al-Zabbāʾ (identifiée avec Zénobie de
cation de cet Abīkarib avec l’Abocharabos que Justinien Palmyre)102. Une inscription d’Umm al-Jimāl (en
a nommé phylarque de Palestine apparaît d’autant plus Jordanie, près de la frontière syrienne), non datée,
vraisemblable qu’Abocharabos a autorité sur les grandes rédigée en grec et en tardo-nabatéen, mentionne un
oasis du Ḥijāz et que les Jafnides, précisément, y sont souverain de ce nom :
actifs97. Ceci est la stèle funéraire de Fihr, fils de Shullay,
Il est notable que la conférence accueille ces deux précepteur de Gadhīmat, roi de Tanūkh103
Jafnides sur un pied d’égalité. Du point de vue d’Abraha,
il n’y a pas une principauté jafnide dans la mouvance
de Byzance, mais deux, de même dignité. On peut se
demander pourquoi Procope accorde beaucoup plus   98. Photios, Bibliothèque, 3 = Henry 1959, p. 5.
d’attention à Aréthas qu’à Abocharabos. La réponse est   99. René Henry évacue la difficulté en traduisant « le
commandement sur la Palestine ».
sans doute à rechercher dans l’intérêt que Procope 100. Sartre 1982, p. 162 et passim.
101. L’ouvrage quelque peu vieilli de Rothstein 1899 n’a
pas encore été remplacé. Pour un canevas général, se
cation de l’inscription de Sammāʾ, déjà évoquée n. 94, reporter à Shahîd 1986.
mentionnant « Abou Chirib »). 102. Kawar 1965.
96. Cih 541 / 87-92 : w-k-wṣḥ-[h]m|w mḥs²kt ngs²yn w-wṣḥ- 103. Texte tardo-nabatéen : dnh nfšw Fhrw | bn Šly rbw
hmw | mḥs²kt mlk Rmn w-tnblt | mlk Frs¹ w-rs¹l Mḏrn Gdymt | mlk Tnwḥ. Texte grec : è stèlè hautè Fé|rou
w-rs¹|l Ḥrṯm bn Gblt w-rs¹l ʾbkrb | bn Gblt. Solléou | tropheus Gadi|mathou basileus | Thanouènôn.
97. Bauer 1995, pour Taymāʾ, et Ibn Qutayba, al-Maʿārif, Pour ce texte, voir en dernier lieu Hackl et alii 2003,
p. 642, pour Khaybar. p. 197-198 (F.038.02).
182 Christian Julien Robin

L’identification est vraisemblable, même si le nom ces souverains du désert de Syrie est le vassal des
de Jadhīma n’est pas rare104. On notera cependant une Perses sāsānides, ce qui amène à situer son activité du
petite dissonance. Jadhīma al-Abrash est réputé provenir côté de la rive droite de l’Euphrate.
de la tribu d’al-Azd (dans le sud-ouest de la péninsule Après Imruʾ al-Qays, et pendant plus de 150 ans, le
Arabique), tandis que Gdymt est « roi de Tanūkh ». royaume d’al-Ḥīra n’est plus connu que par la Tradition
Jadhīma al-Abrash n’est pas le véritable fondateur arabo-islamique. La liste des souverains ne présente
de la dynastie des rois d’al-Ḥīra, nommée les banū qu’un caractère anecdotique. Il faut attendre l’extrême
Naṣr (ou Naṣrides). Selon la Tradition, ce serait un fils fin du ve siècle pour que, de nouveau, les sources
de sa sœur, appelé ʿAmr b. ʿAdī b. Naṣr105. externes et la Tradition arabo-islamique se recoupent.
Ce ʿAmr b. ʿAdī est mentionné dans deux sources Dès lors, et pendant un peu plus de 100 ans, les souve-
externes. Selon une inscription sāsānide bilingue, en rains font l’objet de nombreuses mentions.
parthe et en pehlevi, trouvée à Paikūlī (Kurdistan) et Le premier est al-Nuʿmān II. La chronique syriaque
rédigée peu après 293, le souverain Narseh Ier (293- de Josué le Stylite108 jette un peu de lumière sur ce
302) mentionne parmi ses soutiens un certain « ʿAmr personnage. Il participe aux campagnes de Kubādh I
roi de Lahmây [= Lakhm] », sans qu’on sache précisé- (488-496 et 499-531), roi de Perse, contre Byzance.
ment s’il est un sujet ou un allié106. Par ailleurs, un texte C’est ainsi que, en 502, il marche contre Ḥarrān, rem-
manichéen rédigé en copte évoque un certain « Amarō, porte des succès, mais est blessé près de Kirkesion et
le roi des fils de Lahim [= Lakhm] »107 qui fait bon meurt peu après.
accueil aux frères venus se placer sous sa protection. Le successeur d’al-Nuʿmān II, peut-être après un
Le meilleur argument en faveur de l’identification court intermède, est al-Mundhir III, qui règne jusqu’en
de « ʿAmr roi de Lahmây » avec ʿAmr b. ʿAdī est la 554. Ce souverain, au gouvernement exceptionnellement
chronologie. « ʿAmr roi de Lahmây » est mentionné long, fut un guerrier redoutable. Il lança de nombreux
peu après 293 et ʿAmr b. ʿAdī a un fils nommé Imruʾ raids victorieux en territoire byzantin, dont Procope,
al-Qays, qui est inhumé en 328 (voir ci-après). dans ses Guerres, se fait l’écho. Procope le qualifie de
Le successeur de ʿAmr b. ʿAdī s’appelle Imruʾ al- « roi des Saracènes »109 et les sources syriaques de « roi
Qays, si l’on en croit la Tradition. Cette information est de Ḥîrtâʾ »110 ou de « roi de Ḥîrtâʾ də-Nuʿmān »111.
confirmée par l’épigraphie : René Dussaud a retrouvé Après al-Mundhir, trois de ses fils se succèdent
à al-Namāra, en Syrie du Sud, le tombeau de « Imruʾ sur le trône : ʿAmr b. al-Mundhir (554-569)112, Qābūs
al-Qays, fils de ʿAmr, roi de tous les Arabes », mort b. al-Mundhir (569-573) et al-Mundhir IV (575-580
en 328 (Louvre 205). environ)113. Vient enfin le dernier souverain de la dynas-
La Tradition arabo-islamique et les sources externes tie, al-Nuʿmān IV114, fils d’al-Mundhir IV. Ce dernier,
donnent donc les noms de trois souverains successifs, qui est sans doute monté sur le trône en 580, est destitué
qui règnent ou régneraient à al-Ḥīra. Il est assez excep- et condamné à mort en 602 par son suzerain perse.
tionnel d’avoir des documents qui se recoupent. On
notera cependant une difficulté. Ces trois souverains
portent des titres différents : « roi de Tanūkh », « roi ■ De véritables États ?
de Lakhm » et « roi de tous les Arabes ». Par ailleurs,
Imruʾ al-Qays n’est pas inhumé dans la région d’al- 1. Quelle est la portée du titre de « roi » ?
Ḥīra, mais en Syrie.
Est-il assuré que ces trois souverains aient régné à Après avoir esquissé l’histoire événementielle des
al-Ḥīra ? Pour répondre positivement, il faudrait que principaux royaumes et principautés arabes, il reste
cette ville soit déjà attestée dans une source datée. Or
ce n’est pas le cas avant le début du ve siècle (voir ci-
dessous). Faute de données précises, nous retiendrons 108. Wright 1882, § 57.
que c’est possible, mais non assuré, même si l’un de 109. Guerres, I.17.30.
110. Lettre Guidi, texte syriaque, p. 501, 502 et 507 ; traduc-
tion, p. 481, 482 et 486. Voir aussi « Mundar de Ḥîrtâʾ »,
Lettre Guidi, p. 507 (traduction p. 487).
104. Les généalogies d’Ibn al-Kalbī en mentionnent une 111. « Mundar bar Zaqīqa, roi de Ḥîrtâʾ də-Nuʿmān »
soixantaine : voir Caskel 1966-II, p. 252-253. (Mundar bar Zaqīqa malkoʾ də-Ḥîrtâʾ də-Nuʿmān, Livre
105. Pellat 1960. des Ḥimyarites, p. 5a / 12).
106. § 92, texte pehlevi, ʿm[rw] Lhmʾdyn ML(KA) ; texte parthe, 112. Wensinck 1960.
ʿmrw Lhmyšn MLKA (H. Humbach et P. O. Skjaervø, 113. Shahîd 1993.
The Sassanian Inscription of Paikuli, Part 3, 1, Wies- 114. Shahîd 1995b (« al-Nuʿmān [III] b. al-Mundhir »). Dans
baden, 1983, § 92, p. 71 ; Part 3, 2 (Commentary), p. 126. l’entrée « Lakhmides », le même I. Shahîd (1986, p. 237)
Voir aussi Tardieu 1992, p. 18 et n. 13. considérait que ce souverain était le quatrième (et non le
107. Tardieu, 1992 : Amarō p-r[ro n-n-sēre n-L]ahim. troisième) à porter ce nom (« al-Nuʿmān IV »).
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 183

à examiner comment ceux-ci fonctionnent, dans la Allāh ibn Ubayy, de la tribu de Khazraj, à Yathrib120,
mesure où nous pouvons le savoir. ou au Yémen.
Les sources donnent fréquemment aux Naṣrides, Le titre de roi se trouve également dans deux graf-
aux Jafnides et aux Ḥujrides le titre de « roi ». Mais il fites rupestres tardo-nabatéens du Ḥijāz septentrional,
importe de distinguer de qui elles émanent. publiés récemment par le chercheur saʿūdien Sulaymān
Les princes eux-mêmes se parent naturellement du al-Dhuyayb. Le plus significatif invite à se souvenir de
titre royal : c’est ainsi que le premier prince kindite, la « descendance (?) de Ḥārithat fils de Zaydmanāt, roi
Ḥujr fils de ʿAmr, a laissé une inscription (déjà citée, de Ghassān » (bl dkyr nšyb Ḥrtt br Zydmnwtw mlk ʿsn)
p. 176), qui se lit : (al-Dhuyayb 2005, no 65). Il a été découvert à al-
Ḥugr b. ʿAmrum, roi de Kiddat [ar. Kinda] Qaṭīʿa, à quelque 50-70 km au sud-est d’al-ʿUlā, si on
Noter cependant que le nom de Maʿadd n’apparaît se fonde sur le croquis donné p. 177. Ce texte, non
pas dans son titre. daté, que la graphie situe plutôt vers les iiie-ive siècles,
Les sujets des princes donnent naturellement le titre présente l’intérêt de préciser la localisation de Ghassān
de « roi » à leur seigneur : il en va ainsi dans l’inscrip- (voir ci-dessous, p. 191)121.
tion du jabal Usays, déjà citée p. 178. Le second graffite tardo-nabatéen, Umm Jadhāyidh
Le suzerain de ces princes est plus réticent à qualifier 132-133122, mentionne incontestablement un roi ʿAmr
ceux-ci de « rois ». C’est manifeste pour les Byzantins (ʿmrw ʾl-mlk), mais son interprétation et sa date font
et les Ḥimyarites. On notera cependant que Narseh Ier, difficulté. Selon Laïla Nehmé, qui en propose une
dans l’inscription de Paikūlī, donne à ʿAmr le titre de nouvelle lecture, il daterait de 350 de l’ère de la
« roi de Lahmây ». province d’Arabie (456-457 de l’ère chrétienne)123.
Que signifie ce titre de « roi de Lakhm » ? Impli- L’identification de ce ʿAmr est incertaine. Laïla Nehmé
que-t-il que la tribu de Lakhm est établie en territoire suppose qu’il s’agit d’un roi salīḥite. De fait, selon Ibn
sāsānide, de manière hypothétique dans la région d’al- Qutayba124, la dynastie salīḥite compterait trois souve-
Ḥīra ? Ou bien faut-il supposer que ʿAmr est originaire rains : al-Nuʿmān, son fils Mālik et son petit-fils ʿAmr.
de la tribu de Lakhm et qu’il a reçu autorité sur d’autres Mais il semblerait que les Salīḥites soient chassés du
tribus établies en territoire sāsānide ? Cette seconde pouvoir vers la fin du ve siècle, si bien que ʿAmr
éventualité paraît préférable : l’habitat de la tribu de b. Mālik semble trop tardif de quelques décennies. Il
Lakhm, étroitement associée à Judhām et à ʿÂmila, en va de même du deuxième souverain ḥujride (ʿAmr
semble se trouver en Syrie115. al-Maqṣūr b. Ḥujr), dont le père Ḥujr semble placé sur
Quand il s’agit d’un observateur extérieur, le titre le trône vers 445 et dont le fils est attesté pendant les
employé peut être « roi »116, mais également « prince » trois premières décennies du vie siècle. On ajoutera que
(basiliskos)117 ou « chef » (phularchos)118. l’identification est d’autant plus difficile que ʿAmr est
un nom très fréquent125.
Si le titre de roi est prestigieux, il n’en est pas moins Dans les inscriptions sabéennes et ḥimyarites des
relativement banal dans l’Arabie des ve et vie siècles. iie-ive siècles, de nombreux chefs de tribus plus ou moins
La Tradition arabo-islamique le donne à quantité de indépendantes sont qualifiés de « roi ». On relève ainsi :
personnages ayant joué un rôle politique strictement « roi d’Asd » (mlk-ʾs¹d) ou « roi d’al-Asd »
local, que ce soit dans l’Arabie déserte119, comme ʿAbd (mlk-l-ʾs¹d)126

115. Lammens 1921, p. 271-300 (« Une tribu arabe syrienne 120. Lecker 2003.


sous les Sofiânides ») ; Lammens-[Shahîd] 1986 ; 121. Je remercie Laïla Nehmé qui m’a signalé ce document
Bosworth 1965. et a bien voulu m’indiquer la date qu’elle lui assigne.
116. Procope, Guerres, I.XVII.30 (« roi des Saracènes ») et 122. al-Dhuyayb 2002, no 132-133, p. 146-148, fac-similé
45 (« Alamoundaros avait seul autorité sur tous les p. 267, photographie p. 311. Umm Jadhāyidh se trouve à
Saracènes de Perse, avec la dignité de roi … »). Dans une centaine de kilomètres au nord-ouest de l’oasis
Martyrion, n. 147, les éditeurs renvoient également à saʿūdienne d’al-ʿUlā.
Cyr. Scyth., V. Joh. Hes. 13 (ouvrage non consulté). 123. « Hégra et sa région à partir du iie siècle apr. J.-C. », à
Voir aussi le titre « roi de Ḥîrtâʾ » déjà évoqué ci-dessus paraître.
(p. 182 et n. 110-111). 124. al-Maʿārif, p. 640.
117. Martyrion, 25, et n. 147. Les éditeurs notent qu’al-Mundhir 125. En plus des rois salīḥite et ḥujride déjà mentionnés,
porte également ce titre chez Malalas (éd. Thurn, p. 387 / on connaît au moins trois autres : les naṣrides ʿAmr
79) et Théophane, Chronographie, p. 178. b. ʿAdī (fin du iiie s.) et ʿAmr b. al-Mundhir (ou b. Hind)
118. Dans Martyrion, n. 147, les éditeurs renvoient à Théod. (554-569) ; et le « roi » de Yathrib ʿAmr b. al-Iṭnāba
Lect., Epit. 513 et Zon. XIV, 4.1 (ouvrages non consultés). al-Khazrajī (fin du vie s.) (Kister 1968, p. 147).
119. ʿAthamina 1998. 126. Ja 2110 / 7-10 ; Sharaf 31 / 8-10.
184 Christian Julien Robin

« roi de Khaṣāṣatān » (mlk H̲ṣṣtn)127 Au total, le titre de roi, assez commun en Arabie
« roi de Kinda » (mlk Kdt)128 pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne, semble
« roi de Kinda et de Madhḥig » (mlk Kdt w-Mḏḥg)129 devenir exceptionnel aux ve-vie siècles, même si, selon
« roi de Kinda et de Qaḥṭān » (mlk Kdt w-Qḥṭn)130 la Tradition arabo-islamique, nombreux sont ceux qui
« roi de Qaḥṭān et de Madhḥig » prétendent y avoir droit. Pour les princes des trois
(mlk Qḥṭn w-Mḏḥg)131 principautés étudiées, les puissances tutélaires en tolè-
« les rois des tribus de Ghassān, al-Asd, Nizārum et rent l’emploi, mais n’en font guère mention dans leurs
Madhḥigum » (ʾmlk ʾs²ʿbn Ḡs¹n w-l-ʾs¹d w-Nzrm w- documents officiels, préférant manifestement se référer
Mḏḥgm)132. à d’autres dignités.
Aucune des inscriptions mentionnant ces rois n’est En quoi ces princes se distinguent-ils des simples
postérieure au règne de Shammar Yuharʿish portant chefs de tribu ? Comme eux, leur rôle est principale-
la titulature longue (c. 297-c. 315) : toutes précèdent ment militaire et fiscal. Le prince fournit des auxiliaires
donc la conquête de l’Arabie déserte par Ḥimyar. On arabes aux troupes de son suzerain. Les témoignages
peut en déduire que le titre de roi disparaît de l’usage externes sont innombrables pour plusieurs naṣrides
dans le premier quart du ive siècle. Il est vraisemblable (al-Nuʿmān II et al-Mundhir III notamment) et le jafnide
que les Ḥimyarites cessent de le reconnaître dès qu’ils al-Ḥārith. On peut supposer qu’il en est de même pour
imposent leur autorité sur une tribu133. les Ḥujrides d’Arabie centrale ; mais dans ce cas les
Il reste à se demander pourquoi certains chefs de inscriptions se contentent de mentionner la tribu de
tribus portent le titre de roi et d’autres non. Il est vrai- Kinda, sans indiquer qui est à sa tête.
semblable que c’est l’aboutissement d’un processus Un deuxième rôle consiste à prélever des taxes sur
complexe. D’un côté, un lignage ou une tribu manifeste les tribus arabes situées dans la sphère d’influence de
son ambition de se hisser au rang des principales puis- la principauté, toujours pour le compte du suzerain.
sances ; d’un autre côté, ces dernières n’acceptent cette Dans la Tradition arabo-islamique, les allusions sont
revendication qu’en échange de certains services ou multiples pour les Naṣrides et les Jafnides.
avantages (alliance militaire, facilités économiques, Nous avons déjà cité (p. 177) le texte d’Ibn Ḥabīb
cession de recettes fiscales etc.). rapportant que « les Salīḥ prélevaient l’impôt pour le
Il arrive aussi – et l’on possède divers exemples au compte des Byzantins sur les tribus de Muḍar et autres
vie siècle – que ce soit une grande puissance qui confère qui s’établissaient sur leur territoire ».
des titres ou des attributs honorifiques, afin de renforcer En fait, les princes se distinguent des chefs de tribus
un allié ou de lui manifester de la gratitude. Justinien par leur proximité avec le suzerain et surtout par une
accorde ainsi au Jafnide Aréthas la « dignité royale ». plus grande capacité à mobiliser et à équiper des troupes
Quant aux rois de Perse, ils négocient la sécurité de de façon stable et régulière, grâce à des ressources
leurs messagers et de leurs caravanes avec les chefs de importantes et aux subsides qu’ils reçoivent.
tribus, auxquels ils accordent le droit de porter le dia-
dème sur un turban ou une coiffure (d’où l’appellation 2. Les règles de la succession au trône
dhū ʾl-tāj, « porteur de diadème »)134.
Le prince ne peut exercer utilement son rôle que s’il
jouit d’une double légitimité. Il doit être reconnu et
investi par son suzerain. Mais il doit également appar-
127. Ja 576 / 2.
128. Ja 576 / 2 ; voir aussi Gajda 1976. tenir à une famille dirigeante.
129. Ja 2110 / 7-10. La succession héréditaire en lignée masculine
130. Ja 635 / 26-27 ; DAI-Barʾān 2000-1 (Nebes 2004). semble être la norme. C’est le cas de tous les Ḥujrides.
131. al-Ansary 1981, p. 144. Chez les Naṣrides, c’est ce qu’on observe à partir
132. ʿInān 75. d’al-Mundhir III. Quant aux Jafnides, il en va de même
133. Le texte Gajda 1996 (Ḥgr bn ʿmrm mlk Kdt) est la seule à partir de Jabala.
exception. Mais, dans ce cas, il s’agit d’un titre revendi-
qué par Ḥugr, mais non reconnu par son suzerain
Il n’en reste pas moins fort douteux que tous les
ḥimyarite, comme nous l’avons vu. On ajoutera que ce princes d’une même principauté appartiennent à une
texte est gravé sur un rocher du désert, à une centaine de
kilomètres au nord-est de Najrān, au milieu de multiples
graffites : il ne s’agit donc pas d’une belle inscription
monumentale, exposée au regard de tous, dans une avait l’habitude de nouer à ses cheveux, faite d’or et de
grande agglomération, type de document dont le pouvoir perles. C’est une grande marque de dignité parmi les
contrôle attentivement le contenu. Perses, qui vient juste après l’honneur royal. Car, là-bas,
134. Lecker 2003, p. 57-65 (« The Diadem »). Procope, il est interdit de porter un anneau, une ceinture, une
Guerres, I.XVII.26-27, souligne l’importance que revêtait broche ou quoi que ce soit d’autre en or, sauf par autori-
cette distinction : « [le roi] lui enleva une parure qu’il sation du roi. »
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 185

seule dynastie, même si les généalogistes arabes d’épo- Après al-Mundhir, tous les souverains appartiennent
que islamique ont naturellement tendance à considérer à la descendance directe de ce roi, en lignée masculine.
que tous les rois qui se succèdent sur un même trône
appartiennent à une lignée unique. Le royaume sud- 3. Le siège du pouvoir
arabique de Ḥimyar en offre un bon exemple : les
généalogies d’al-Hamdānī ne reconnaissent qu’une Il est vraisemblable que le souverain se déplace
seule dynastie135, alors que les inscriptions montrent fréquemment et que la « capitale » est là où il se trouve.
qu’il n’en est rien136. Nous avons déjà évoqué (p. 174) un exemple d’un tel
À al-Ḥīra, on peut ainsi se demander si les souve- déplacement :
rains qui ont précédé al-Mundhir III sont véritablement Nous sommes sortis de Ḥîrtâʾ də-Nuʿmān… Quand nous
des Naṣrides. L’existence d’une dynastie royale descen- eûmes cheminé dans le désert vers le sud-est pendant
dant d’un certain Naṣr était naturellement une évidence dix jours, nous rencontrâmes le roi Mūndir, devant les
pour les Arabes du vie siècle, qui ont transmis cette montagnes qui sont appelées « Monts de Sables », en
conviction aux premiers historiens musulmans. Mais il arabe, Ramleh.
est douteux qu’al-Nuʿmān II, et encore plus ʿAmr b. (Lettre Guidi, texte syriaque p. 501 et 502, traduction
ʿAdī et Imruʾ al-Qays b. ʿAmr, aient appartenu à cette p. 480 et 481).
dynastie. Néanmoins, même si l’administration des princi-
La transmission du pouvoir d’al-Nuʿmān II à al- pautés arabes est sans doute très embryonnaire, le souve-
Mundhir III ne semble pas résulter d’un droit d’héritage. rain peut difficilement exercer ses fonctions sans l’aide
L’argument le plus déterminant réside dans la multi- de quelques services spécialisés et de collaborateurs
plicité des versions sur l’acendance d’al-Mundhir III. dévoués. Les sources nous permettent-elles de savoir
On peut invoquer également le fait que les sources s’il existe un lieu où ces services seraient installés de
externes appellent fréquemment al-Mundhir III « le façon permanente ?
fils de Shaqīqa » : Pour les Naṣrides, al-Ḥīra joue certainement ce
– en syriaque Mundar bar Zaqīqa (Livre des Ḥimyarites, rôle, tout au moin au vie siècle. Il est vrai qu’elle n’est
p. 5a / 12 ; voir aussi lxi, n. 3). pas une « ville » à proprement parler, mais plutôt
– en grec Alamoundaros appelé Sékkikès (pros ton un ensemble de bourgades dispersées sur une vaste
auton Alamoundaron ton legomenon Sékkikèn, surface, sans enceinte ni système défensif collectif139.
Martyrion, 25) et Alamoundaros le Sakkikès (ou le La Tradition arabo-islamique mentionne plusieurs
fils de Sakkikè) (Alamoudaros ho Sakkikès, Procope, châteaux et palais, édifiés par les Naṣrides, notamment
Guerres, I.17.1, éd. Haury, p. 82)137. le fameux al-Khawarnaq140. L’agglomération compte
La Tradition arabo-islamique mentionne effective- aussi de nombreux édifices religieux, notamment des
ment une Shaqīqa, qui serait une aïeule d’al-Mundhir couvents. L’un de ces derniers a retenu tout spécialement
(Olinder 1927, p. 58 et suiv.). l’attention des traditionnistes, à cause de la personnalité
Les sources externes reflètent certainement la manière de sa fondatrice, Hind, fille du ḥujride al-Ḥārith, qui
dont al-Mundhir était nommé d’ordinaire à son époque. épousa le naṣride al-Mundhir et fut la mère du roi ʿAmr.
Pour le distinguer des nombreux homonymes, il est L’inscription de fondation, en langue et en écriture
remarquable qu’elles se réfèrent à une aïeule et non au arabes, a été enregistrée. Nous en avons deux copies
père, pour une raison que nous ignorons. Ce peut être présentant de légères différences, l’une par al-Bakrī,
du fait que cette aïeule transmettait une certaine forme Muʿjam (sous « Dayr Hind al-Aqdam ») et l’autre par
de légitimité. Mais d’autres causes sont envisageables : Yāqūt, Muʿjam (« Dayr Hind al-Kubrà »).
le roi ʿAmr, bien que fils d’al-Mundhir III – l’un des Selon al-Bakrī,
souverains arabes les plus prestigieux –, est souvent c’est le couvent qu’a édifié Hind la Grande, la mère de
appelé ʿAmr b. Hind, parce que sa mère, fille du ḥujride ʿAmr b. Hind ; sur la façade de son sanctuaire, il est écrit :
al-Ḥārith, avait elle aussi une grande notoriété138. « banat h(ā)dhihi ʾl-bīʿa Hind bint al-Ḥārith bni ʿAmr bni
Ḥujr al-malika bint al-amlāk wa-umm al-malik ʿAmr bni

135. Voir al-Hamdānī, al-Iklīl 2, p. 46 suiv., ou, pour une


version abrégée, Caskel 1966-I, tableau 275. mère de ʿAmr fils de Hind ») et Yāqūt, Muʿjam, « Dayr
136. Robin 2005 a, p. 26 et suiv. Hind al-Kubrà » (« Il se trouve lui aussi à al-Ḥīra ; il a
137. Les éditeurs renvoient également à Cyr. Scyth., V. Joh. été édifié par Hind mère de ʿAmr fils de Hind »).
Hes. (éd. Schwartz, p. 211 : Alamoudaros ho Sékikès) 139. Rice 1932, p. 259 ; Shahîd 1971a.
et Theoph. (éd. De Boor, p. 178 : Alamoudaros ho 140. Massignon 1978. Les ruines d’al-Khawarnaq se trouvent
Zékikès) (ouvrages non consultés). à moins de 2 km à l’est de Najaf. Le château aurait été
138. Wensinck 1960 ; al-Bakrī, Muʿjam, « Dayr Hind al- édifié au début du ve s. par le naṣride al-Nuʿmān I, pour
Aqdam » (« C’est le couvent qu’a édifié Hind la Grande, le compte de son suzerain sāsānide.
186 Christian Julien Robin

ʾl-Mundhir amat al-Masīḥ wa-umm ʿabdi-hi wa-amat On peut évoquer également la mention d’un certain
ʿabdi-hi fī zaman malik al-amlāk Khusraw Anūshirwān « Zéeidos [Zayd] fils de Iôb, chef des chrétiens de tout le
wa-fī zaman Ifrāyīm al-usquf fa-ʾl-Il(ā)h al-l(ā)dhī campement » (ethnarchou christianôn pasès tès parem-
banat la-hu h(ā)dhā ʾl-bayt yaghfira khaṭiyyata-hā bolès) (Martyrion, 25). Dans ce passage, le Martyrion
wa-yataraḥḥama ʿalay-hā wa-ʿalà waladi-hā wa-yaqbala rapporte les contacts diplomatiques entre des ambassa-
bi-himā wa-yuqawwima-humā ilà iqāmat al-Ḥaqq deurs byzantins et le roi al-Mundhir, en présence d’en-
wa-yakūna al-Il(ā)h maʿa-hā wa-maʿa waladi-hā al-dahr voyés du roi de Perse, pour la libération de Byzantins
al-dāhir » capturés par al-Mundhir (Procope, Guerres, I.XVII.43-
(A construit cette église Hind fille d’al-Ḥārith fils de 44). Si parembolè est manifestement la traduction grec-
ʿAmr fils de Ḥujr, la reine, fille des rois, mère du roi ʿAmr que du substantif syriaque ḥîrtâʾ, « camp (militaire) »,
fils d’al-Mundhir, servante du Messie et mère de son de quel camp s’agit-il ? De celui du roi al-Mundhir lors
serviteur, au temps du roi des rois Khusraw Anūshirwān de ses déplacements, ou de sa capitale, Ḥîrtâʾ / al-
et au temps de l’évêque Ephrem ; puisse Dieu pour qui Ḥīra ? En faveur d’un camp provisoire, on notera que
elle a construit cette demeure pardonner ses péchés, la rencontre semble avoir lieu non pas à Ḥîrtâʾ, mais à
avoir pitié d’elle et de son fils, les recevoir et les diriger 10 jours de là dans le désert : c’est en tout cas ce que
vers le séjour de la Vérité ; puisse Dieu être avec elle et suggère la Lettre Guidi142, information qui n’est pas
avec son fils à jamais). reprise dans le Martyrion. Par ailleurs, on sait que la
Dans Yāqūt, le texte présente quelques différences, ville de Ḥîrtâʾ a des évêques depuis le début du ve siè-
qui sont signalées ici en caractères italiques : cle143 ; que signifierait dans cette ville le titre de « chef
« ...amat al-Masīḥ wa-umm ʿabdi-hi wa-bint ʿabīdi-hi fī des chrétiens de tout le camp / Ḥîrtâʾ » ?
mulk malik al-amlāk Khusraw Anūshirwān wa-fī zaman En syriaque même, le nom Ḥîrtâʾ pouvait évidem-
mār Ifraym al-usquf fa-ʾl-Il(ā)h al-l(ā)dhī banat la-hu ment prêter à confusion. C’est pourquoi les sources
h(ā)dhā ʾl-dayr yaghfira khaṭīʾata-hā wa-yataraḥḥama syriaques du vie siècle précisent, quand c’est néces-
ʿalay-hā wa-ʿalà waladi-hā wa-yaqbala bi-hā wa- saire, qu’il s’agit du « Camp d’al-Nuʿmān » (Ḥîrtâʾ
yuqawwima-hā ilà iqāmat al-Ḥaqq wa-yakūna All(ā)h də-Nuʿmān). Il en est ainsi dans la Chronique de Josué
maʿa-hā wa-maʿa waladi-hā al-dahr al-dāhir » le Stylite, 57 :
La date de la construction du Couvent de Hind Les Arabes du territoire grec aussi, qui sont appelés les
pourrait être c. 560 si on se fonde sur les mentions de Thaʿlabites, allèrent à Ḥîrtaʾ de Nuʿmān… mais ils n’y
Khusraw Anūshirwān (532-579) et de ʿAmr (554-569). séjournèrent pas parce que ses habitants s’étaient retirés
Elle est cohérente avec ce que l’on sait par ailleurs de dans le désert intérieur…
l’usage de la langue et de l’écriture arabes à al-Ḥīra On peut également mentionner la Lettre Guidi
(voir ci-dessous, p. 192). (p. 501, 508) et le Livre des Ḥimyarites (5a / 13, 7a / 7,
Il est notable que le nom de Ḥîrtâʾ / al-Ḥīra n’appa- 14b / 19-20 et 23b144). On trouve également la formule
raisse jamais dans les sources en langue grecque. « Ḥîrtâʾ de la Maison de Nuʿmān » (Lettre Guidi, titre,
Comme le substantif syriaque ḥîrtâʾ (sabaʾique ḥrt, Ḥîrtâʾ də-Beit Nuʿmān).
probablement prononcé ḥīra)141, signifie tout simple- Le Nuʿmān, dont le nom permet de distinguer la
ment « camp (militaire) », on peut se demander si le capitale naṣride d’un quelconque « campement »145, n’est
toponyme n’a pas été traduit plutôt que transcrit et s’il pas identifié. Ce pourrait être al-Nuʿmān I, surnommé
ne se cache pas derrière des termes tels que « tentes, al-Aʿwar (« Le Borgne ») ou al-Sā’iḥ (« L’Errant »), un
campement » (skènai) ou « campement » (parembolè). souverain qui aurait régné au début du ve siècle et aurait
Jean Malalas (XVIII.16), par exemple, relatant un raid construit le château d’al-Khawarnaq146 ; il pourrait être
de représailles contre al-Mundhir III, indique : le fondateur de la ville qui, de fait, existe déjà au début
Les ducs des Romains et les phylarques… prirent son du ve siècle (voir ci-après).
campement (skènai) et capturèrent une foule d’hommes, al-Nuʿmān II (blessé en 502 et mort peu après) est
de femmes, d’enfants, ainsi que tous les dromadaires qu’ils également un bon candidat, puisque c’est dans un texte
trouvèrent et d’autres animaux d’espèces diverses. Ils relatant les prouesses de ce prince qu’on relève la plus
incendièrent quatre forts perses, s’emparant des Saracènes
et des Perses qui s’y trouvaient et s’en retournèrent
en territoire romain, victorieux, au mois d’avril de la 142. P. 501-502 (traduction, p. 480-481).
6e indiction [528]. 143. Fiey 1968, p. 203 et suiv. ; Fiey 1993, p. 90 et 214.
Ici, il s’agit très certainement d’al-Ḥīra. 144. Le nom de la ville est écrit ici Ḥîrtah də-Nuʿman (avec
un hé à la place du ʾolaf).
145. Voir par exemple le « campement des Saracènes »,
ḥîrtâʾ də-Ṭayyayêʾ, mentionné par Jean d’Éphèse, en
territoire byzantin (Shahîd 1995a, I / 2, p. 762).
141. Beeston 1971. 146. Voir Shahîd 1986, p. 637.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 187

ancienne mention de l’expression Ḥîrtaʾ də-Nuʿmān En Arabie centrale, les Ḥujrides ne semblent pas
(Josué le Stylite, 57) ; dans ce cas, on accolerait à Ḥîrtâʾ avoir eu de résidence stable, si l’on en croit la Tradition
le nom du prince qui en a fait une bourgade importante arabo-islamique. L’emplacement du camp de Ḥujr fait
et un centre régional majeur. l’objet d’opinions diverses : il se serait trouvé à Baṭn
Il est inhabituel qu’en Arabie un toponyme soit ʿÂqil (à 200 km au nord-nord-ouest de Maʾsal al-
distingué de ses homonymes par une référence à son Jumḥ)151, à al-Dhanā’ib (à 270 km à l’ouest-sud-ouest
fondateur. D’ordinaire, l’ambiguïté est levée par une de Maʾsal al-Jumḥ)152 ou même à Ghamr dhī-Kinda, à
précision géographique : on dira ainsi Shibām- deux jours de Makka153. Une tradition situe à Baṭn
Kawkabān, à savoir la bourgade de Shibām située près ʿÂqil le tombeau de Ḥujr. Les données font défaut pour
de Kawkabān. En revanche, la référence au fondateur les successeurs de ce prince.
est une pratique courante dans l’Empire sāsānide147. Les inscriptions ḥimyarites donnent un éclairage un
Même si le nom de Ḥîrtâʾ est parfois précisé par peu différent. Elles suggèrent fortement que le siège du
l’ajout d’un déterminant, il n’est guère douteux que, en pouvoir ḥimyarite en Arabie centrale se trouve à Maʾsal
syriaque, Ḥîrtâʾ est véritablement un nom propre : on al-Jumḥ154. C’est à cet endroit que sont gravées toutes
se reportera par exemple au titre de « roi de Ḥîrtâʾ », les inscriptions royales ḥimyarites d’Arabie centrale,
donné à plusieurs reprises à al-Mundhir III. les deux déjà publiées (Ry 509 et 510) et deux autres
Il reste à examiner ce qu’on sait de Ḥîrtâʾ / al-Ḥīra encore inédites. Par ailleurs, les textes font plusieurs
avant le vie siècle148. La plus ancienne mention assurée mentions de ce toponyme. Il s’agit tout d’abord des
de la ville remonte au début du ve siècle. Dans la liste deux inscriptions du site, Ry 509 / 5 (« ...ont gravé
des signataires d’un synode nestorien daté de 410, on cette inscription dans le wādī | Maʾsal Gumḥān »)155
relève « Osée, évêque de Ḥîrtâʾ » (Synodicon, p. 275) ; et Ry 510 / 3 (« ...a établi et a publié ce texte à Maʾsalum
J.-B. Chabot, l’éditeur du Synodicon, remarque cepen- Gumḥān »)156. Plus intéressante encore est l’inscrip-
dant qu’il s’agit d’une signature ajoutée postérieurement tion Gajda-al-ʿIrāfa 1, de Ẓafār, la capitale ḥimyarite,
au synode (p. 616-618). qui rapporte la venue à Maʾsal de Nuʿmānān et de
Dans les conclusions d’un synode daté de 424, on (la confédération tribale de) Muḍar, apparemment
trouve la signature de « Siméon, évêque de Ḥîrtâʾ des pour se soumettre et faire allégeance (voir ci-dessus,
Ṭayyayêʾ » (Synodicon, p. 285), avec la précision que p. 176-177).
cette Ḥîrtâʾ (Camp) se situe chez les Arabes (nommés
comme souvent Ṭayyayêʾ, par référence à la tribu arabe
de Ṭayyiʾ, voir n. 4). D’autres évêques de Ḥîrtâʾ sont
attestés en 486 (Siméon de Ḥîrtâʾ), 497 (Élias de 151. Selon Thilo 1958, p. 29, Baṭn ʿÂqil serait à localiser
dans le wādī ʿÂqil, affluent du wādī ʾl-Ruma ; voir aussi
Ḥîrtâʾ), vers 560 (Éphrem, mentionné dans l’inscription
la carte TAVO B VII 1 et le commentaire de Rmtn
de fondation du Couvent de Hind, citée ci-dessus, (Gajda-al-ʿIrāfa 1 / 6, republiée en Annexe).
p. 186), 585 (Joseph de Ḥîrtâʾ), 593, 605 etc. Tous ces 152. Olinder 1927, p. 42 ; Thilo 1958, p. 41 ; TAVO B VII 1.
évêques sont « syriaques orientaux » ou, si l’on préfère, 153. Olinder 1927, p. 34. al-Jāsir 1981 (p. 351-352 et n. 1,
« nestoriens » ; on n’en connaît aucun qui soit « syria- p. 352) identifie Ghamr dhī Kinda avec Bustān al-
que occidental » ou « monophysite ». Ghumayr, qui domine Nakhlat al-Shāmiyya, à 21 miles
Dans les Vies de saints, le nom de Ḥîrtâʾ apparaît en à l’ouest de dhāt ʿIrq (voir aussi p. 603-604 et n. 2,
p. 603). Comme dhāt ʿIrq se trouve à 90 km au nord-
relation avec des personnages remontant au ive siècle. nord-est de Makka (voir ci-dessus, n. 20), Ghamr dhī
La Chronique de Séert rapporte l’Histoire de ʿAbdišoʿ Kinda serait donc à une soixantaine de kilomètres au
qui bâtit un couvent près d’al-Ḥīra, à l’époque du nord-nord-est de cette dernière. Pour la géographie de
catholicos Tūmarṣā (363-371)149 et J.-M. Fiey cite « la cette région, voir aussi Lecker 1989, p. 37 et suiv.
Vie (tardive) du moine Jean l’Arabe », dans laquelle est 154. Ce nom est vocalisé Maʾsal par TAVO (B VII 1), Maʾsal
mentionné un certain Cyrille, qui aurait été évêque al-Jumaḥ par Thilo (1958, p. 68-69) et Māsal al-Jumḥ
de la ville au ive siècle150. Mais il est impossible de par al-Jāsir (1977, p. 1077 B) ; Gonzague Ryckmans
rapporte « Mâsil » pour le wādī où se trouve l’inscription
déterminer dans quelle mesure ce genre de source a et « Jumḥ » pour le massif rocheux qui borde le wādī à
une réelle valeur historique. l’est et donne son nom à la région ; Ibn Khamīs (1989-2,
p. 142-143), enfin, donne sans explication al-Jamaḥ et
al-Jumaḥ pour le massif. Aujourd’hui, la prononciation
serait Māsil. Dans son édition de Ṣifa d’al-Hamdānī
(p. 165 / 1), D. H. Müller vocalise Maʾsil al-Jumaḥ
147. Christensen 1944, p. 96 et passim. (d’après Yāqūt). À l’époque d’al-Hamdānī, le site
148. Fiey 1968, p. 203 et suiv. ; 1993, p. 90 et 214. appartenait aux banū Ḍinna, qui relevaient des banū
149. Scherr 1910, p. [198-200]. Pour la date de Tūmarṣā, Numayr.
voir Fiey 1993, p. 23. 155. rqdw ḏn mrqdn b-wd|yn Mʾs¹l Gmḥn
150. Fiey 1993, p. 90. 156. (ḥ)wrw w-wtf ḏn ms¹ndn b-Mʾs¹lm Gmḥn
188 Christian Julien Robin

Figure 3 - L’inscription Gajda al-ʿIrāfa 1


(photographie Christian Robin)

Figure 4 - Ry 510
(photographie Mission Najrān, détail).

Figure 5 - Ry 510 Figure 6 - Maʾsal al-Jumḥ. Le site des inscriptions se trouve


(fac-similé, détail, d’après Maʾsal 1999). en contrebas, sur la rive droite du wādī.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 189

L’insistance des inscriptions ḥimyarites à mentionner est un site achéologique d’importance mineure, qui
Maʾsal suggère que ce lieu a une forte puissance sym- s’étend sur plusieurs collines, sur le plateau du Jawlān,
bolique. Cette impression est confirmée par le fait à quelque 80 km au sud de Damas. Jamais, il n’y eut là
que Maʾsal apparaît plusieurs fois dans la poésie pré- de véritable ville.
islamique157. Mais on ignore pourquoi Maʾsal a cette Un autre site, Jilliq, aurait été une résidence prisée
importance, qui peut être due à la sacralité du lieu ou au par les princes jafnides, qui auraient vénéré en ce lieu le
fait que des événements marquants s’y sont produits. tombeau d’un de leurs ancêtres. On s’accorde à identi-
Les inscriptions sont gravées sur la rive droite d’une fier Jilliq avec Kiswa, à une douzaine de kilomètres au
étroite vallée débouchant du massif montagneux sud de Damas163.
(figure 6). Au voisinage, on relève quelques monuments Concernant la principauté du phylarque Abīkarib,
funéraires et des gravures rupestres, mais aucun vestige frère d’al-Ḥārith b. Jabala, nous ignorons où elle avait
de construction. La région n’est pas propice à l’agricul- son centre politique. De manière très hypothétique, on
ture, même si on voit encore aujourd’hui des vestiges de pourrait penser à Yathrib, à cause de la présence de
palmeraies un peu en amont dans le wādī. Le centre du banū Thaʿlaba apparentés aux Jafnides, dans cette oasis
pouvoir ḥimyarite en Arabie centrale n’était pas une (voir ci-dessus).
ville, pas même une bourgade, mais peut-être le lieu où
se tenaient les assemblées tribales de Maʿadd. 4. Des principautés tribales ?
Le centre de la confédération tribale de Muḍar est
plus difficile à localiser. Ce pourrait être Yathrib (au- Le pouvoir des princes arabes préislamiques se
jourd’hui Médine), si on se fonde sur quelques indices, fonde-t-il sur l’autorité exercée sur une tribu ou un
peu décisifs il est vrai, suggérant que cette oasis jouit ensemble de tribus ?
alors d’une certaine prééminence dans le nord du Ḥijāz. En Arabie, les princes ḥujrides exercent, au nom
Le premier indice est que, selon la Tradition arabo- des rois de Ḥimyar, le pouvoir sur la confédération tri-
islamique, Yathrib a été conquise par le roi Abīkarib bale de Maʿadd. Il semblerait qu’on puisse parler, dans
Asʿad, qui en aurait ramené les rabbins qui ont converti ce cas, d’une principauté tribale. C’est la définition
le Yémen au judaïsme : l’oasis aurait donc été dominée précise de cette dernière qui fait problème. Il est vrai-
par Ḥimyar158. Un deuxième indice réside dans la semblable que Maʿadd désigne tout à la fois une tribu
présence de banū Thaʿlaba apparentés aux Jafnides, à précise, mais aussi les tribus qui en dépendent ou ont
Yathrib159. On peut encore invoquer le fait que deux noué des alliances avec elle, ensemble dont l’extension
petites tribus « sudarabiques », Aws et Khazraj, y sont a certainement varié considérablement entre le milieu
implantées160, à une date qui n’est pas très ancienne, à du ve siècle et le milieu du vie. L’une des cartes de la
l’instigation d’un roi de Ḥimyar selon une tradition ; collection TAVO trace les contours de cette princi-
cette manière de contrôler une bourgade en installant pauté, appelée « Fédération de Kinda »164. C’est un essai
sur sa périphérie des tribus amies est une pratique très appréciable de clarification, même si le résultat
habituelle au Yémen. présente un caractère quelque peu fictif, puisque sont
Comme les Ḥujrides, les Jafnides n’ont pas de inclus tous les territoires placés sous l’autorité des
résidence fixe. L’un de leurs campements se trouvait Ḥujrides à un moment ou à un autre, y compris al-Ḥira.
à al-Jābiya. C’est de là que la Lettre Shahîd serait Dans l’Arabie du Nord-Ouest, il semblerait que
envoyée, en juillet 524 : les rois originaires de la tribu de Salīḥ, puis d’autres
du camp de Gəbâlâ [Jabala] roi des ʿAssanites de Ghassān, aient autorité sur la confédération tribale
[Ghassānites] au lieu-dit Gəbîtâ [al-Jābiya]161 de Muḍar, mais il ne faut pas perdre de vue que les
La Tradition arabo-islamique confirme qu’al-Jābiya données relatives à cette région sont beaucoup moins
a été une résidence jafnide162. Aujourd’hui, al-Jābiya sûres. Il est donc possible que Muḍar fonctionne, au
moins dans la seconde moitié du ve siècle, comme une
principauté tribale.
157. Thilo 1958, p. 68-69 (« Maʾsal al-Ǧumaḥ / Māsel
À al-Ḥīra, la situation est beaucoup plus complexe
Ǧumḥ »), qui renvoie à Labīd, Imruʾ al-Qays, al-Namir et embrouillée. Le premier prince, Jadhīma al-Abrash,
b. Tawlab et Antara. porterait le titre de roi de Tanūkh, si l’on en croit
158. Robin 2003, p. 137 et suiv. l’inscription d’Umm al-Jimāl.
159. Ce sont les banū ͗l-Shaṭiba (= al-Akhtham b. Thaʿlaba) :
Nöldeke 1887, notamment p. 6 et tableau généalogique
p. 62 ; Caskel 1966-I, tableau 193, et II, p. 529.
160. Hasson 1989. 163. Dussaud 1927, p. 317-318 ; Sartre 1982, p. 179-180 ;
161. Voir déjà ci-dessus, p. 178. Elisséeff 1965 ; Shahîd, 2002, p. 105-115 (« Jalliq »).
162.  Dussaud 1927, p. 332-333 ; Sartre 1982, p. 179 ; Lammens- 164. TAVO B VI, 7, « Föderation der Kinda / federation of
[Sourdel-Thomine] 1965 ; Shahîd 2002, p. 96-104. the Kinda ».
190 Christian Julien Robin

Tanūkh a sans doute été une tribu influente à partir roi Shuriḥbiʾīl Yakkuf (Sarabḥēl Dānkəf). Azqīr, que
du iie siècle et jusqu’au ve, en Arabie du Nord-Est et le roi de Ḥimyar a accusé de prêcher une nouvelle
dans le désert de Syrie. Sa plus ancienne mention se doctrine, doit être transféré de Najrān à Ẓafār. C’est
trouve dans la Géographie de Ptolémée, célèbre géo- alors que « de nombreux marchands arrivèrent de
graphe et astronome d’Alexandrie, qui écrivait vers le Tōnāḥ » (maṣʾū nagādəyān bəzūẖān əm-Tōnāḥ). Azqīr
milieu du iie siècle, si on reconnaît Tanūkh dans les leur est confié168. Ces « marchands de Tōnāḥ » viennent
Thanouitai (VI.7.23) localisés en Arabie du Nord-Est. évidemment de Tanūkh, à savoir d’al-Ḥīra. Comme le
Les inscriptions du Yémen mentionnent deux fois guèze médiéval confond les lettres ḥ et ẖ, il faut
Tanūkh. Vers 300-315, un ambassadeur du roi ḥimyarite vraisemblablement rétablir Tōnākh. « Marchand de
Shammar Yuharʿish165, dépêché auprès d’un roi d’al- Tōnākh » est sans doute la manière ḥimyarite de dire
Asd (au nord-ouest de Najrān), poursuit sa mission « marchand d’al-Ḥīra », expression qu’on relève au
jusqu’à Séleucie-Ctésiphon, la capitale des Perses vie siècle dans la Lettre Shahîd (tâʾgroʾ d-men Ḥîrtâʾ
sāsānides, et dans le Pays de Tanūkh (Sharaf 31). La də-Nuʿmān)169.
localisation de ce « Pays de Tanūkh » n’est pas préci- De fait, les commentateurs successifs s’accordent
sée, mais il est vraisemblable qu’il se trouve sur le pour considérer le Martyre d’Azqīr comme la traduc-
chemin de retour de l’ambassade. Ce pourrait être la tion éthiopienne d’un original arabe (ou arabique),
région d’al-Ḥīra. On peut supposer que l’ambassadeur aujourd’hui perdu, parce qu’il est fort bien informé sur
ḥimyarite a été chargé de rassurer les puissances qui le royaume de Ḥimyar.
s’inquiétaient de la conquête du Ḥaḍramawt par Ḥimyar La tribu de Tanūkh est également connue des sour-
c. 297166. ces arabo-islamiques. Mais, lors de leur rédaction,
Le second texte ḥimyarite est Gajda-al-ʿIrāfa 1 Tanūkh n’était plus qu’un nom dont se réclamaient des
(voir Annexe) où, à la ligne 1, dans un contexte mutilé, groupes dispersés (le long de la vallée de l’Euphrate,
un raid contre Tanūkh est évoqué : d’al-Ḥīra à Alep170, et dans l’oasis de Dūmat al-Jandal)171,
]……Burdum et les chefs de Tanūkh, et ils en tuèrent sans chef-lieu et sans chef de tribu. La généalogie trahit
cent[…167 cette perte d’identité : Tanūkh est rattachée à la descen-
Selon ce document, qui daterait du milieu du ve siè- dance de Quḍāʿa172, éponyme d’un ensemble tribal de
cle (voir ci-dessus, p. 177), la domination ḥimyarite en l’Arabie du Nord-Ouest, auquel on agrège les tribus
Arabie centrale et orientale semble faire suite à une dont on ne sait que faire ou dont l’appartenance est
victoire sur Tanūkh. disputée, comme Mahra ou Khawlān. Il n’est pas
Si on observe que Tanūkh est la seule tribu d’Arabie étonnant que les généalogistes rattachent Quḍāʿa soit
du Nord-Est mentionnée dans les incriptions ḥimyarites à Maʿadd (Arabes du Nord) soit à Ḥimyar (Arabes
et si on ajoute qu’une inscription tardo-nabatéenne du Sud)173.
donne au premier roi d’al-Ḥīra le titre de « roi de Le deuxième roi d’al-Ḥīra, ʿAmr fils de ʿAdī, le
Tanūkh » (ci-dessus, p. 181-182), on peut en déduire premier prince naṣride, selon la Tradition arabo-isla-
que, dans les inscriptions ḥimyarites, Tanūkh est l’appel- mique, est appelé « roi de Lakhm » dans l’inscription
lation du royaume d’al-Ḥīra. de Paikūlī et dans un texte manichéen en langue copte
Cette hypothèse permet de donner un sens satisfai- (voir ci-dessus, p. 182). Ce sont les seuls documents où
sant à une expression inexpliquée du Martyre d’Azqīr, on relève cette titulature, qui fait problème. Il n’est
une hagiographie en langue guèze qui célèbre un prêtre guère douteux que, dans les siècles qui précèdent
de Najrān, persécuté dans les années 470, du temps du l’Islam, il a existé une petite tribu appelée Lakhm, dont
l’habitat est à rechercher sur les franges désertiques
de la Syrie, dans les zones dominées par la tribu de
Judhām174. Mais à al-Ḥīra, la population ne se rattache
165. Le roi Shammar Yuharʿish est associé au trône par son pas aux Lakhm, mais aux Tanūkh, aux ʿIbād et aux
père de c. 275 à c. 287. Il règne seul de c. 287 à c. 297,
avec le titre de « roi de Sabaʾ et dhu-Raydān ». Enfin,
après la conquête du Ḥaḍramawt (c. 397), il prend la
titulature longue de « roi de Sabaʾ, de dhu-Raydān, 168. Conti Rossini 1910, p. 731, lignes 46-47.
du Ḥaḍramawt et du Sud ». Il disparaîtrait vers 315. 169. P. 56 et XXI / 3-4, fo  VIC.
L’inscription Sharaf 31 date de l’époque où Shammar 170. Voir Shahîd 1998. La reconstitution de l’histoire de
Yuharʿish porte cette titulature longue : elle peut donc Tanūkh, esquissée dans cette entrée, qui adopte la vue
être datée entre c. 297 et c. 315. traditionnelle des « migrations », mais néglige les données
166. Le raid que le roi d’al-Ḥīra, Imruʾ al-Qays b. ʿAmr, factuelles les plus sûres, n’emporte pas la conviction.
lance contre Madhḥij et Najrān (Louvre 205) est sans 171. Voir Veccia Vaglieri 1965, p. 640 B.
doute une réplique à la conquête du Ḥaḍramawt. On 172. Caskel 1966-I, tabl. 297, 279, 274 et 176.
ignore s’il est antérieur ou postérieur à l’ambassade. 173. Kister 1997.
167. …]# ……Brdm w-(n)mr Tnẖ w-bḍʿw bn-hmw mʾt m[… 174. Bosworth 1965, p. 588.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 191

Aḥlāf175. Faut-il supposer que ʿAmr fils de ʿAdī, roi de Selon l’inscription ʿAbadān 1 (qui date de 360
Lakhm (en Syrie), a reçu d’un souverain sāsānide le de l’ère chrétienne), une armée ḥimyarite affronte
gouvernement d’al-Ḥīra (sur le Bas-Euphrate), tout ʿAbdqaysān à « Siyyān, aux eaux du puits Sigah, entre
comme Ḥujr fils de ʿAmr, roi de Kinda (en Arabie le Pays de Nizārum et le Pays de Ghassān » (l. 29). Les
méridionale), a été placé par les rois de Ḥimyar à la tête puits nommés aujourdʾhui Sijā se trouvent à 380 km
de Maʿadd (en Arabie centrale) (voir ci-dessus, p. 174- au nord-est de Makka (ci-dessus, n. 30).
175) ? C’est apparemment la meilleure explication Nous avons déjà mentionné (ci-dessus p. 183) le
avec les données dont on dispose aujourd’hui. On peut graffite rupestre tardo-nabatéen al-Dhuyayb 2005,
ajouter que la tribu de Lakhm, comme celle de Tanūkh, no 65, qui mentionne un roi de Ghassān à quelque 50-
n’est plus guère qu’un nom au moment où la Tradition 70 km au sud-est d’al-ʿUlā. Rapproché de ʿAbadān 1, il
arabo-islamique est couchée par écrit176. semblerait que ce graffite permette de localiser Ghassān
Le troisième roi d’al-Ḥīra, Imruʾ al-Qays, fils et entre al-Siyy et al-ʿUlā vers les iiie-ive siècles.
successeur de ʿAmr, porte le titre de « roi de tous les Le savant alexandrin Ptolémée (Géographie, VI.7.6)
Arabes », dont c’est la seule attestation. Il ne fait aucune place un Kassanitôn chôras entre Kinaidokolpitôn chôras
allusion à Lakhm dans son épitaphe (Louvre 205). (sur la côte de la mer Rouge, sans doute au nord des
Au vie siècle, les sources parlent du « roi d’al-Ḥīra » îles Farasān) et Elisarôn choras (al-Ashʿar sur la côte
ou du « roi des Saracènes des Perses », avec diverses du Yémen, entre al-Makhāʾ et Zabīd). L’identification
variantes (ci-dessus, n. 3 et 116 ; p. 170 et 179). Les avec Ghassān est possible, mais non assurée. Il en est
seules mentions de Lakhm se trouvent dans la Tradition de même des Assaniti, Saracènes alliés aux Perses en
arabo-islamique. C’est la tribu d’origine des Naṣrides, 363, lors de la campagne de Julien en Assyrie179.
qui leur fournirait une division spéciale appelée al- En bref, il semble assuré qu’il a existé une tribu de
Jamarāt ou al-Jimār177. Ghassān en Arabie occidentale, dans le sud du Ḥijāẓ,
Au total, il est difficile de prétendre que le pouvoir quelques siècles avant l’Islam, mais cette tribu s’est
des rois d’al-Ḥīra s’appuie sur une tribu, sauf peut-être apparemment disloquée. Seuls quelques groupes épars
à l’origine, où ce pourrait être Tanūkh. Pour autant subsisteraient encore au vie siècle. La principauté jafnide
qu’on puisse en juger, l’habitat de Lakhm n’a jamais n’est donc nullement fondée sur cette tribu180.
été situé dans la région d’al-Ḥīra. Un même schéma se répéterait. Pour contrôler les
La principauté d’al-Ḥīra n’est donc pas assise sur Arabes de leur territoire, Ḥimyarites, Sāsānides et
une tribu nommée Lakhm, qui aurait acquis un statut Byzantins feraient appel à des chefs arabes prestigieux,
d’autonomie et dont le chef porterait le titre de « roi ». mais originaires de tribus lointaines. Ils se garderaient
Dans le royaume jafnide, la situation est assez bien de confier le pouvoir à des chefs locaux, jouissant
comparable. La Maison de Jafna est réputée appartenir d’une solide assise tribale, qui pourraient aisément
à la tribu de Ghassān, mais, au vie siècle, cette dernière entrer en dissidence.
a pratiquement disparu sur le plan politique et tribal : il En bref, seules les principautés de la péninsule
n’en subsiste que des groupes dispersés entre le Ḥijāz Arabique, Maʿadd et Muḍar, semblent avoir une assise
et la Syrie, qui ne contrôlent aucune oasis ni aucun tribale. Le royaume d’al-Ḥīra a pu reposer à l’origine
territoire. sur la tribu de Tanūkh, mais, au vie siècle, sa population
Les inscriptions du Yémen mentionnent deux fois est composite. Quant aux Jafnides, ce n’est pas sur
Ghassān. Un texte sabéen rapporte que le roi Ilīsharaḥ une tribu (et certainement pas sur Ghassān) qu’ils ont
Yaḥḍub II régnant seul (c. 250-260), envoie une autorité, mais sur une partie des Arabes du territoire
ambassade « auprès des rois des tribus de Ghassān, byzantin, apparemment fragmentés en une multitudes
al-Asd, Nizārum et Madhḥigum »178. Cette énumération de groupes tribaux de tailles diverses.
ne nous renseigne pas sur la localisation de Ghassān,
car l’ambassade peut difficilement s’être rendue dans 5. Une armée et une administration autonomes ?
ces diverses tribus au cours d’un déplacement unique ;
il est d’ailleurs possible que les quatre rois aient été Les données précises sur l’existence d’une armée et
réunis en un même lieu quand l’ambassadeur sabéen d’une administration autonomes font défaut, sauf pour
les rencontre. les Naṣrides d’al-Ḥīra. Sur les forces armées présentes

175. Shahîd 1998, p. 206 B. 179. Ammien XXIV.2.4 ; Sartre 1982, p. 139-140.


176. Lammens-[Shahîd] 1986. 180. Les « migrations » de la tribu de Ghassān dont Irfan
177. Kister 1968, p. 166. Shahîd donne le cheminement (2002, carte I, p. 421)
178. BR-MNMB 9 = ZI 75 : b-ʿbr ʾmlk ʾs²ʿbn Ḡs¹n w-l-ʾs¹d ont autant de fondement historique que celles des
w-Nzrm w-Mḏḥgm. Hébreux dans le Sinaï sous la conduite de Moïse.
192 Christian Julien Robin

à al-Ḥīra, les informations sont variées, mais souvent ailleurs. Mais ce n’est pas très significatif, dans la
contradictoires. Deux corps de troupes, appelés Dawsar mesure où ces sources sont sélectives, retenant avant
et al-Shahbāʾ, constitueraient la garnison ; ils seraient tout ce qui valorise les Arabes.
composés de Persans181. Sur la troupe nommée al- L’hypothèse selon laquelle les Naṣrides auraient
Waḍāʾiʿ, les avis divergent : ce pourrait être une troupe autorité sur les seuls Arabes d’une province s’accorde
formée par le roi, avec 100 hommes fournis par chaque assez bien avec une remarque de Procope, qui souligne
groupe tribal ; mais Abū ʾl-Baqāʾ prétend que c’est qu’al-Mundhir a « autorité sur tous les Saracènes de
une unité persane de 1 000 hommes montés, que le roi Perse »185. Mais là encore, l’argument n’est pas décisif.
sāsānide remplacerait tous les ans. Il existe encore On peut encore examiner la carrière des membres
les al-Ṣanāʾiʿ. Pour autant qu’on puisse en juger, le d’une fameuse famille arabe chrétienne d’al-Ḥīra. Zayd
souverain sāsānide a la haute main sur plusieurs de ces b. Ḥammād, célébré pour avoir appris en premier
corps de troupes. la langue et l’écriture arabes, et seulement plus tard le
Les ressources des princes naṣrides ont plusieurs persan, fut le responsable de la poste de Khusraw I
provenances. Selon Abū ʾl-Baqāʾ182, les revenus des (532-579) et le régent du royaume d’al-Ḥīra vers 575,
rois d’al-Ḥīra viennent de leurs fiefs du ʿIrāq, mais plus entre les règnes de Qābūs (569-573) et d’al-Mundhir IV
encore du commerce, du butin de leurs raids et des (575-580). Son fils ʿAdī b. Zayd, le célèbre poète
taxes collectées (itāwa) – le plus souvent des prélève- chrétien d’al-Ḥīra, exerça les fonctions de secrétaire de
ments effectués sur le bétail – dans les tribus qui Khusraw I et demeura dans cet emploi jusqu’au début
reconnaissent leur autorité. du règne de Khusraw II (590-628) ; il fut le premier
Il existe une cour, avec une véritable étiquette, sans dans la chancellerie de Khusraw à écrire en arabe ; il
doute copiée sur celle des souverains sāsānides. Pour serait mort vers 590, exécuté par al-Nuʿmān IV (580-
se concilier les chefs de tribu et s’assurer de leur loyauté 602). Son fils Zayd b. ʿAdī lui succède dans son emploi de
et de leur coopération, les princes naṣrides leur concè- secrétaire pour les affaires avec les « rois arabes »186.
dent certaines prérogatives (appelées ridāfa). Ce peut Ce qui frappe dans cette énumération, c’est l’ab-
être de s’asseoir à la droite du souverain, de monter à sence d’emplois fournis par le roi naṣride. De manière
cheval avec lui, de recevoir une partie de ses prises de presque systématique, ces personnages sont au service
guerre ou de ses revenus. du souverain sāsānide.
Diverses charges peuvent être accordées aux chefs Pour l’empire byzantin, faute de connaître les moyens
des tribus alliées, comme celles de collecteurs de taxes, dont disposaient les chefs arabes, on s’est demandé
de commandants dans les troupes royales ou de délé- si le terme de « phylarque » (« chef de tribu ») était
gués dans les territoires contrôlés183. reconnu par les autorités et impliquait une délégation
On peut encore ajouter que, selon Abū ʾl-Baqāʾ184, de pouvoir. Pour certains chercheurs, il existerait bien
les rois d’al-Ḥīra « avaient des gouverneurs sur les un véritable titre de « phylarque » au sein de l’adminis-
frontières du pays, du ʿIrāq au Baḥrayn. Chacun de ces tration byzantine. C’est l’opinion de Maurice Sartre,
gouverneurs administrait les bédouins sous sa protec- d’Irfan Shahîd ou encore de d’A. G. Grouchevoy : « un
tion de la même manière ». Mais, de façon similaire, titre de fonctionnaire dans le cadre de la hiérarchie
les rois d’al-Ḥīra étaient de simples agents pour le bureaucratique byzantine »187. Philip Mayerson exprime
compte des rois sāsānides (wa-kānū ʿummāl al-Akāsira). une opinion contraire, observant notamment que, si « phy-
La question qui se pose ici est de savoir si les larque » était devenu un titre byzantin, on trouverait sa
Naṣrides sont les gouverneurs d’une province pour le traduction en syriaque, ce qui n’est pas le cas188.
compte des Perses, ou bien les chefs des seuls Arabes De fait, il semble bien douteux que le « phylarque »
dans une province perse. Il est difficile de trancher soit un fonctionnaire de l’Empire. Les personnages qui
entre ces deux options. se parent de ce titre occupent des positions très diverses.
En faveur d’un statut de gouverneur sāsānide, on La vraisemblance est que les chefs arabes et autres qui
notera que les sources arabes ne mentionnent jamais collaborent avec les autorités sont reconnus comme
d’autre gouverneur persan à al-Ḥīra, et que les Naṣrides tels et reçoivent des subsides quand ils peuvent rendre
ne semblent pas soumis à un gouverneur résidant des services ; mais ils ne sont pas intégrés dans l’admi-
nistration impériale. Les rapports entre les phylarques
et Byzance me semblent comparables à ceux que

181. Kister 1968, p. 167, n. 3.


182. Kister 1968, p. 159 et suiv.
183. Kister 1968, p. 159. Pour le point de vue des tribus 185. Procope, Guerres, I.17.45 et ci-dessus, p.179.
alliées, voir par exemple Lecker 1998 a et b, et 2005- 186. Abbott 1938, p. 5-6.
XI (p. 34-47 et 48-81). 187. 1995, p. 120.
184. Kister 1968, p. 153. 188. 1991, p. 346.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 193

pouvaient entretenir les responsables indigènes avec population, sont de simples auxiliaires des autorités
les autorités coloniales dans les empires européens des régulières ; ils n’ont pas de résidence fixe. En territoire
xixe et xxe siècles. perse, le royaume d’al-Ḥīra présente certains caractères
d’un véritable royaume, avec une capitale et des forces
armées. Cependant, les Sāsānides semblent très présents ;
■ Conclusion on peut même se demander si le royaume d’al-Ḥīra ne
fonctionnait pas comme une province sāsānide gouvernée
Au terme de notre enquête, quelques faits nouveaux par un prince arabe (originaire d’une tribu non locale).
se dégagent. Il reste à dire un mot sur la manière de nommer ces
1. Les soi-disant royaumes de Kinda, de Ghassān diverses entités, aux contours bien mouvants. Il est diffi-
et de Lakhm ne sont pas des principautés assises sur cile de trouver un terme approprié. Le mot « royaume »
les tribus de Kinda, de Ghassān et de Lakhm, comme ne correspond que très imparfaitement à la réalité.
on l’affirme fréquemment. Ḥimyar, Byzance et la Perse Celui de « principauté » peut convenir dans la majorité
ont seulement délégué certains pouvoirs sur leurs Arabes des cas. Pour les entités plus modestes ou plus éphémè-
à des princes originaires de ces tribus. L’une d’entre res, il reste les termes de « chefferie » et, en contexte
elle, Kinda, a son territoire en Arabie méridionale, à un byzantin, de « phylarcat ».
millier de kilomètres de l’Arabie centrale que les princes Les principales principautés arabes sont adminis-
kindites sont chargés de contrôler. Les deux autres, trées par de véritables dynasties, que les sources arabes
Ghassān et Lakhm, sont en voie de disparition. On ajou- nomment en se référant au fondateur ou à un ancêtre
tera que seules les principautés dépendant de Ḥimyar, (plus ou moins mythique), selon une pratique univer-
Maʿadd et Muḍar, ont une assise tribale. Les populations selle : elles parlent ainsi des banū Naṣr, des banū Jafna
arabes du territoire byzantin et de la région d’al-Ḥīra ou des banū Ḥujr, en français les Naṣrides, les Jafnides
semblent mêlées. ou les Ḥujrides (avec la terminaison en -ide, qui signale
2. Les Arabes de Ḥimyar et des Romains ne sont pas un adjectif tiré d’un nom de lignage, alors que la termi-
placés sous l’autorité d’un seul prince, contrairement à naison en -ite est propre aux adjectifs dérivés d’un nom
une idée répandue. Les Arabes de Ḥimyar sont organisés de peuple ou de tribu). Mais il arrive également que ces
en deux confédérations tribales, Maʿaddum, qui est sources se réfèrent à la tribu dont ces dynasties seraient
connue de longue date, mais aussi semble-t-il Muḍar, originaires : Lakhm, Ghassān et Kinda. C’est pourquoi
ce qui est nouveau. À ces deux confédérations corres- la tradition savante utilise fréquemment les appellations
pondraient le Haut-Pays (Ṭwd / Ṭwdm) et le Littoral de dynasties « lakhmide » et « ghassānide », comme si
(Thmt) de la titulature des rois ḥimyarites. Concernant Lakhm et Ghassān étaient des noms de lignage. Ces
les Arabes des Romains, c’est-à-dire de Byzance, appellations sont trompeuses parce qu’elles confondent
l’hypothèse que Justinien ait investi le Jafnide al-Ḥārith une tribu (une entité politique autonome, qui contrôle
b. Jabala d’un « phylarcat général » paraît douteuse ; un territoire) avec un lignage (ou, si on préfère, une
elle est contredite notamment par une inscription du roi famille) qui exerce l’autorité sur une tribu. Il vaut
éthiopien de Ḥimyar, un allié de Byzance. Ce document mieux leur substituer naṣride, jafnide ou ḥujride ou un
mentionne que, en 547, deux chefs de ces Arabes, terme géographique, comme « principauté d’al-Ḥīra ».
al-Ḥārith b. Jabala et son frère Abīkarib b. Jabala, sont
représentés à un même rang protocolaire – le plus CNRS, UMR 8167, Paris
bas –, dans une conférence diplomatique à Marib, au
Yémen. Deux chefferies arabes coexistent donc, à cette
époque, sur le territoire byzantin. Il est clair que Justinien
ne souhaite pas confier trop de responsabilités à un seul
homme. ■ Bibliographie
3. Les inscriptions ḥimyarites jettent un éclairage
nouveau sur le royaume d’al-Ḥīra au ive et au ve siècle. N. Abbott
Elles le nomment non pas « Lakhm », mais « Tanūkh ». 1938 The Rise of the North Arabic Script and its Ḳurʾānic
C’est une confirmation que la population d’al-Ḥīra ne Development, with a Full Description of the Ḳurʾān
relève pas de Lakhm, mais d’autres tribus, notamment Manuscripts in the Oriental Institute (The Univer-
Tanūkh. Lakhm est seulement la tribu d’origine des sity of Chicago, Oriental Institute Publications, L),
souverains d’al-Ḥīra. The University of Chicago Press.
4. Les pouvoirs confiés aux princes arabes varient F.-M. Abel
considérablement d’une principauté à l’autre. En terri- 1938 Géographie de la Palestine, Tome II. Géographie
toire byzantin, il est clair que ces princes, dont l’autorité politique. Les villes (Études bibliques), Paris
s’exerce uniquement sur les éléments arabes de la (Gabalda). Réimpression, 1967.
194 Christian Julien Robin

A. R. al-Ansary J.-B Chabot


1981 Qaryat al-Fau. A Portrait of Pre-Islamic Civilisation 1902 Synodicon orientale ou Recueil de synodes nesto-
in Saudi Arabia, [al-Riyāḍ] (University of Riyadh). riens, publié, traduit et annoté par… (Notices et
K. ʿAthamina extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale
1998 « The Tribal Kings in Pre-Islamic Arabia. A Study et autres bibliothèques, publiés par l’Académie des
of the Epithet malik or dhū al-tāj in Early Arabic Inscriptions et Belles-Lettres, 37), Paris (Imprimerie
Traditions », dans al-Qanṭara XIX, p. 19-37. nationale).
M. Avi-Yonah A. Christensen
1973 « Palaestina », dans Paulys Realencyclopädie der 1944 L’Iran sous les Sassanides, Deuxième édition revue
classischen Altertumswissenschaft, Supplement- et augmentée, Copenhague (Ejnar Munksgaard).
band XIII, München (Alfred Druckenmüller Verlag), Reprise, Osnabrück (Otto Zeller), 1971.
col. 321-454. Chronique de Josué le Stylite : voir Wright 1882
al-Bakrī (Abū ʿUbayd ʿAbd Allāh b. ʿAbd al-ʿAzīz … al- Chronique de Séert : voir Scherr 1910
Andalusī) C. Conti Rossini
1945 Muʿjam Muʿjam mā ʾstaʿjam min asmāʾ al-bilād 1910 « Un documento sul cristianesimo nello Iemen ai
wa-ʾl-mawāḍiʿ (al-Maʿhad al-khalīfī li-l-abḥāth al- tempi del re Šarāḥbīl Yakkuf », dans Rendiconti
maghribiyya, Bayt al-Maghrib), 4 vol., M.ʾl-Saqā della Reale Accademia dei Lincei, Classe di
(éd.), Le Caire (Maṭbaʿat Lajnat al-Taʾlīf wa-ʾl- Scienze morali, storiche e filologiche, Serie
Tarjama wa-ʾl-Nashr), (1364 h). quinta 14, p. 705-750.
Th. Bauer R. Devreesse
1995 « al-Samawʾal b. ʿÂdiyā », dans Encyclopédie de 1945 Le Patriarcat d’Antioche, depuis la paix de l’Église
l’Islam, nouvelle édition, VIII, p. 1077. jusqu’à la conquête arabe, Paris (Gabalda).
A. F. L. Beeston H. B. Dewing (éd. et trad.)
1971 « al-Ḥīra » (première partie), dans Encyclopédie 1914 Procopius, History of the Wars, Books I-II, with an
de l’Islam, nouvelle édition, III, p. 478-479. english translation by …, Cambridge, Massachusetts
1975 « The Realm of King Yusuf (Dhu Nuwas) », dans (Harvard University Press) (dernière réimpression
Bulletin of the School of Oriental and African 2006).
Studies 38, p. 124-126. al-Dhuyayb (Sulaymān b. ʿAbd ar-Raḥmān)
J. Berque 2002 Nuqūsh jabal Umm Jadhāyidh al-nabaṭiyya (dirāsa
1979 Les dix grandes odes arabes de l’Anté-Islam. Les taḥlīliyya), al-Riyāḍ (Maktabat al-malik Fahd
Muʿallaqât présentées et traduites de l’arabe par… al-waṭaniyya) (1422 h).
(Collection « Les Classiques »), Paris (La Biblio- 2005 Nuqūsh nabaṭiyya fī ʾl-Jawf, al-ʿUlā, Taymāʾ,
thèque arabe, Sindbad). al-Mamlaka al-ʿarabiyya al-saʿūdiyya, al-Riyāḍ
C. E. Bosworth (Maktabat al-malik Fahd al-waṭaniyya) (1426 h).
1965 « Djudhām », dans Encyclopédie de l’Islam, L. Dindorf
nouvelle édition, II, p. 588. 1831 Johannis Malalae Chronographia, Bonnae
M. Detoraki, J. Beaucamp (Impensis Ed. Weberi).
2007 Le martyre de Saint Aréthas et de ses compagnons R. Dussaud
(BHG 166), éd. M. Detoraki, trad. J. Beaucamp, 1927 Topographie historique de la Syrie antique et
Appendice sur les versions orientales par A. Binggeli médiévale (Haut Commissariat de la République
(Collège de France, Centre de Recherche d’histoire française en Syrie et au Liban, Bibliothèque archéo-
et civilisation de Byzance : Monographies 27 ; Le logique et historique IV), Paris (Geuthner).
massacre de Najrān 1), Paris (Association des amis N. Elisséeff
du Centre d’histoire et civilisation de Byzance). 1965 « Djlliḳ », dans Encyclopédie de l’Islam, nouvelle
W. Caskel édition, II, p. 554.
1966 Ǧamharat an-nasab. Das genealogische Werk des D. Feissel
Hišām ibn Muḥammad al-Kalbī, 2 vol., Leiden 2006 Chroniques d’épigraphie byzantine 1987-2004
(Brill). (Collège de France – CNRS, Centre de Recherche
A. P. Caussin de Perceval d’histoire et civilisation de Byzance : Monogra-
1847 Essai sur l’histoire des Arabes avant l’islamisme, phies 20), Paris (Association des amis du Centre
pendant l’époque de Mahomet, et jusqu’à la réduc- d’histoire et civilisation de Byzance).
tion de toutes les tribus sous la loi musulmane,
t. I-III, Paris (Firmin-Didot), 1847-1848. Reprise,
Graz (Akademische Druck- u. Verlagsanstalt).
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 195

J.-M. Fiey 1968 Ṣifa Ṣifat Jazīrat al-ʿArab. al-Hamdânî’s Geogra-


1968 Assyrie chrétienne, III, Béṯ Garmaï, Béṯ Aramāyé phie der arabischen Halbinsel, D. H. Müller (éd.),
et Maišān nestoriens (Recherches, Série III : Orient 2 vol. Leyde (Brill), 1884-1891. Reprise par le
chrétien XLII), Beyrouth (Dar el-Mashreq, Impri- même éditeur.
merie catholique). Description de la péninsule Arabique : voir al-Hamdānī, Ṣifa
1993 Pour un Oriens Christianus novus. Répertoire I. Hasson
des diocèses syriaques orientaux et occidentaux 1989 « Contributions à l’étude des Aws et des H̲azraǧ »,
(Beiruter Texte und Studien 49), Beyrouth (pour dans Arabica XXXVI, p. 1-35.
Franz Steiner Verlag, Stuttgart). J. Haury
I. Gajda 1905 Procopii Caesariensis opera omnia, recognovit…,
1996 « Ḥuǧr b. ʿAmr roi de Kinda et l’établissement de I. De bellis libri I-IV, Lipsiae (in aedibus
la domination ḥimyarite en Arabie centrale », dans B. G. Teubneri).
Proceedings of the Seminar for Arabian Sudies 26, R. Henry
p. 65-73 et pl. I. 1959 Photius, Bibliothèque, Tome I (« codices » 1-84)
2004 « Ḥimyar en Arabie centrale – un nouveau (Collection byzantine), Paris (Les Belles Lettres).
document », dans Arabia 2, p. 87-98 et fig. 50 et C. Huber
68 (p. 222 et 233). 1891 Journal d’un voyage en Arabie (1883-1884),
D. Genequand publié par la Société asiatique et la Société de Géo-
2006 « Some Thoughts on Qasr al-Hayr al-Gharbi, its graphie, avec Atlas, Paris (Imprimerie nationale).
Dam, its Monastery and the Ghassanids », dans Ibn Ḥabīb (Abū Jaʿfar Muḥammad)
Levant 38, p. 63-84. al-Muḥabbar : Kitāb al-Muḥabbar li-Abī Jaʿfar
A. G. Grouchevoy Muḥammad b. Ḥabīb b. Umayya b. ʿAmr al-
1995 « Trois “niveaux” de phylarques. Étude termino- Hāshimī ʾl-Baghdādī…, riwāyat Abī Saʿīd al-
logique sur les relations de Rome et de Byzance Ḥasan b. al-Ḥusayn al-Sukkarī, I. Lichtenstädter
avec les Arabes avant l’Islam », dans Syria LXXII, (éd.) (Dhakhāʾir al-turāth al-ʿarabī), Beyrouth
p. 105-131. (Manshūrāt Dār al-ufuq al-jadīda), s. d.
I. Guidi 1985 al-Munammaq: Kitāb al-munammaq fī akhbār
1881 « La lettera di Simeone vescovo di Bêth-Aršâm Quraysh li-Muḥammad b. Ḥabīb al-Baghdādī,
sopra i martiri omeriti », Atti della Reale Accade- K. A. Fāriq (éd.), Beyrouth (ʿĀlam al-kitāb)
mia dei Lincei, anno 278, Serie III, Memorie della (1405 h).
Classe di Scienze morale, storiche e filologiche, Ibn al-Kalbī (Abū ʾl-Mundhir Hishām b. Muḥammad b. al-
vol. 7, p. 471-515 (texte, p. 501-515) ; reproduit Sāʾib)
dans Raccolta di scritti, vol. I, Oriente cristiano 1988 Nasab: Nasab Maʿadd wa-ʾl-Yaman al-kabīr,
(Pubblicazioni dell’Istituto per l’Oriente), Rome N. Ḥasan (éd.), Beyrouth (ʿÂlam al-kutub –
(Istituto per l’Oriente), 1945, p. 1-60. Maktabat al-Nahḍat) (1408 h).
Lettre voir Guidi 1881 Ibn al-Naḥḥās (Abū Jaʿfar Aḥmad b. Muḥammad b. Ismāʿīl
C.-P. Haase b. Yūnis al-Murādī al-Naḥawī)
1995 « al-Ruṣāfa », 3. al-Ruṣāfa de Syrie, dans Encyclo- Sharḥ: Sharḥ al-qaṣāʾid al-mashhūrāt al-mawsūma
pédie de l’Islam, nouvelle édition, VIII, p. 648-650. bi-ʾl-Muʿallaqāt, 2 vol., Beyrouth (Dār al-Kutub
U. Hackl, H. Jenni, C. Schneider al-ʿilmiyya), s. d.
2003 Quellen zur Geschichte der Nabatäer. Textsammlung Ibn Khamīs (ʿAbd Allāh b. Muḥammad b. Khamīs)
mit Übersetzung und Kommentar (mit Beiträgen 1978 Muʿjam al-Yamāma, 2 vol. (al-Muʿjam al-jughrāfī
von Daniel Keller) (Novum Testamentum et li-l-mamlaka al-ʿarabiyya al-saʿūdiyya), s. l.,
Orbis Antiquus 51), Universitätsverlag Freiburg (1396 h).
Schweiz – Vandenhoeck und Ruprecht Göttingen. 1989 Muʿjam jibāl al-Jazīra, al-Riyāḍ (Maṭābiʿ al-
al-Hamdānī (Abū Muḥammad al-Ḥasan b. Aḥmad Farazdaq al-tijāriyya), vol. 1 (ʾ-b), 1989 (1410 h) ;
b. Yaʿqūb) vol. 2 (t-ḏ), 1990 (1410 h) ; vol. 3 (r-ẓ), 1991
1967 al-Iklīl 2 Kitāb al-Iklīl, al-juzʾ al-thānī, li-Lisān (1411 h).
al-Yaman Abī Muḥammad al-Ḥasan b. Aḥmad Ibn Qutayba (Abū Muḥammad ʿAbd Allāh b. Muslim)
b. Yaʿqūb al-Hamdānī, éd. Muḥammad b. ʿAlī 1960 al-Maʿārif: al-Maʿārif, T. ʿUkāsha (éd.)
ʾl-Akwaʿ al-Ḥiwālī (al-Maktaba al-yamaniyya, 3), [al-Qāhira] (Wizārat al-Thaqāfa wa-ʾl-Irshād
al-Qāhira (al-Sunna al-muḥammadiyya) (1386 h). al-qawmī, al-Idāra al-ʿāmma li-l-thaqāfa) (1379 h).
196 Christian Julien Robin

al-Jāsir H. Lammens-[J. Sourdel-Thomine]
1977 al-Muʿjam al-jughrāfī li-l-bilād al-ʿarabiyya al- 1965 « al-Djābiya », dans Encyclopédie de l’Islam,
saʿūdiyya (nuṣūṣ wa-abḥāth jughrāfiyya wa- nouvelle édition, II, p. 369-370.
taʾrīkhiyya ʿan Jazīrat al-ʿArab 19), al-Riyāḍ M. Lecker
(Dār al-Yamāma) (1397 h), 2 vol. 1989 The banū Sulaym. A Contribution to the Study of
1981 Kitāb « al-manāsik » wa-amākin ṭuruq al-ḥajj wa- Early Islam (The Max Schloessinger Memorial
maʿālim al-Jazīra (Nuṣūṣ wa-abḥāth jughrāfiyya Series, Monographs IV), Jérusalem (Institute of
wa-taʾrīkhiyya ʿan Jazīrat al-ʿArab, 9), al-Riyāḍ Asian and African Studies, The Hebrew Univer-
(al-Yamāma), 2e éd. (1401 h). sity of Jerusalem).
E. Jeffreys, M. Jeffreys, R. Scott 1998a « Taghlib b. Wāʾil », dans Encyclopédie de l’Islam,
1986 The Chronicle of John Malalas. A Translation, nouvelle édition, X, p. 97-100 (repris et augmenté
Melbourne (Australian Association for Byzantine dans Lecker 2005-XI, p. 34-47).
Studies, Byzantina Australienia 4). 1998b « Tamīm b. Murr », dans Encyclopédie de l’Islam,
Josué le Stylite, Chronique : voir Wright 1882 nouvelle édition, X, p. 185-189 (repris et augmenté
M. Kaimio, L. Koenen dans Lecker 2005-XI, p. 48-81).
1996 « Reports on Decipherment of Petra Papyri (1996 / 2002a « The Levying of Taxes for the Sassanians in Pre-
/1997 1997) », dans Annual of the Department of Antiqui- Islamic Medina (Yathrib) », dans Jerusalem Stu-
ties of Jordan 41, p. 459-462. dies in Arabic and Islam 27, p. 109-126 ; reprise
I. Kawar (voir aussi I. Shahîd) dans People, Tribes and Society in Arabia Around
1965 « Djadhīmat al-Abrash ou al-Waḍḍāḥ “le lépreux” », the Time of Muḥammad, Aldershot, Hampshire,
dans Encyclopédie de l’Islam, nouvelle édition, II, Ashgate, Variorum, 2005-I.
p. 375. 2002b « Ukaydir b. ʿAbd al-Malik », dans Encyclopédie
M. J. Kister de l’Islam, nouvelle édition, X, p. 845-846.
1965 « The Campaign of Ḥulubān. A New Light on the 2003 « King Ibn Ubayy and the quṣṣāṣ », dans Methods
Expedition of Abraha », dans Le Muséon 78, p. 425- and Theories in the Study of Islamic Origins,
436 ; reprise dans Studies in Jāhiliyya and Early H. Berg (éd.), Leyde, Brill, p. 29-71 ; reprise dans
Islam, Londres (Variorum Reprints), 1980, IV. People, Tribes and Society in Arabia Around the
1968 « al-Ḥīra. Some Notes on its Relations with Time of Muḥammad, Aldershot, Hampshire,
Arabia », dans Arabica XV, p. 143-169 ; reprise Ashgate, Variorum, 2005-II.
dans Studies in Jāhiliyya and Early Islam, Londres 2005 People, Tribes and Society in Arabia Around
(Variorum Reprints), 1980, III. the Time of Muḥammad, Aldershot, Hampshire,
1972 « Some Reports Concerning Mecca from Jāhiliyya Ashgate, Variorum.
to Islam », dans Journal of Economic and Social – XI. « Tribes in Pre- and Early Islamic Arabia »,
History of the Orient XV, p. 61-93 ; reprise dans p. 1-106.
Studies in Jāhiliyya and Early Islam, Londres Lettre Guidi : voir Guidi 1981
(Variorum Reprints), 1980, II, avec « Additionnal Lettre Shahîd : voir Shahîd 1971b
Notes », p. 1-3. Livre des Ḥimyarites : voir Moberg 1924
1981 « “O God, Tighten Thy grip on Muḍar…”: Some Maʾsal
Socio-economic and Religious Aspects of an Early 1999 Ma’sal. Maṭbūʿa ʿilmiyya tuʿnà bi-dirāsat al-
Ḥadīth », dans Journal of the Economic and Social kitābāt al-ʿarabiyya al-qadīma fī jazīrat al-ʿArab,
History 24, p. 242-273 ; reprise dans Society and al-Riyāḍ (Lajnat dirāsat al-kitābāt al-ʿarabiyya
Religion from Jāhiliyya to Islam, Aldershot (Vario- al-qadīma fī qism al-āṯār wa-ʾl-matāḥif bi-Jāmiʿat
rum), 1990, VII. al-malik Saʿūd) (1420 h).
1997 « Ḳuḍāʿa » (revised version of the entry in Ency- W. Madelung
clopaedia of Islam 5, new edition, p. 315-318), 2003 « Rabīʿa in the Jāhiliyya and in Early Islam »,
dans Concepts and Ideas at the Dawn of Islam dans Jerusalem Studies in Arabic and Islam 28,
(Variorum collected studies series), Variorum p. 153-170.
(Ashgate), III. Malalas, Chronique : voir Dindorf 1831 (texte) ; Jeffreys
H. Lammens et al. 1986 (traduction)
1921 Le califat de Yazid Ier, Beyrouth (Imprimerie Martyre d’Azqīr : voir Conti Rossini 1910
catholique). Martyrion : voir Detoraki-Beaucamp 2007
H. Lammens-[Irfan Shahîd] L. Massignon
1986 « Lakhm », dans Encyclopédie de l’Islam, nou- 1978 « al-Khawarnaḳ », dans Encyclopédie de l’Islam,
velle édition, V, p. 636. nouvelle édition, IV, p. 1165.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 197

al-Masʿūdī (Abū ʾl-Ḥasan ʿAlī b. al-Ḥusayn) Photius, Bibliothèque : voir Henry 1959
Murūj al-dhahab: Murūj al-dhahab wa-maʿādin A.-L. de Prémare
al-jawhar, Barbier de Meynard et Pavet de 2002 Les fondations de l’Islam. Entre écriture et histoire,
Courteille (éd.), révisée par C. Pellat L’Univers historique, Paris, Seuil.
(Manshūrāt al-Jāmiʿa al-lubnāniyya, Qism al- Procope (de Césarée), Guerres : voir Haury 1905 et Dewing
Dirāsāt al-taʾrīkhiyya 11), 7 vol. Beyrouth, 1965- 1914
1979. D. T. Rice
Les prairies d’or, trad. française de Barbier de 1932 « Hira », dans Journal of the Royal Central Asian
Meynard et Pavet de Courteille, revue et corri- Society 19, p. 254-268.
gée par C. Pellat (Société asiatique, Collection Ch. J. Robin
d’ouvrages orientaux), tomes I-V. Paris, 1962-1997. 1996 « Le Royaume Ḥujride, dit “royaume de Kinda”,
P. Mayerson entre Ḥimyar et Byzance », dans Académie des
1991 « The Use of the Term Phylarchos in the Roman- Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus des
Byzantine East », dans Zeitschrift für Papyrologie séances de l’année 1996, p. 665-714.
und Epigraphik 88, p. 291-295. Reproduit dans 2002 « Arabie antique : aux origines d’une passion »,
Monks, Martyrs, Soldiers and Saracens. Papers dans Chevaux et cavaliers arabes dans les arts
on the Near East in Late Antiquity (1962-1993), d’Orient et d’Occident, Exposition présentée à
Jérusalem (The Israel Exploration Society), 1994, l’Institut du monde arabe, Paris, du 26 novembre
no 35, p. 342-346. 2002 au 30 mars 2003, Paris, Institut du monde
Y. E. Meimaris, en collaboration avec K. Kritikakou arabe et Gallimard, p. 28-35.
et P. Bougia 2003 « Le judaïsme de Ḥimyar », dans Arabia 1, p. 97-
1992 Chronological Systems in Roman-Byzantine Pales- 172.
tine and Arabia. The Evidence of the Dated Greek 2004 « Ḥimyar et Israël », dans Académie des Inscriptions
Inscriptions, Research Centre for Greek and Roman et Belles-Lettres, Comptes rendus des séances de
Antiquity, National Hellenic Research Foundation l’année 2004, p. 831-906.
– de Boccard, Athènes / Paris. 2005a « Ḥimyar, des inscriptions aux traditions », dans
A. Moberg Jerusalem Studies on Arabic and Islam 30, p. 1-51.
1924 The Book of the Himyarites, Fragments of a Hitherto 2005b « Les rôles respectifs des rois ḥimyarites Abīkarib
Unknown Syriac Work (Skrifter utgivna av Kungl. et Dharaʾʾamar (vers 380-420 de l’ère chrétienne) »,
Humanistiska Vetenskapssamfundet i Lund, VII), dans Arabia Vitalis, Arabskij Vostok, islam, drevn-
Lund, C. W. K. Gleerup. jaja Aravija, Sbornik statej, posvjashchennyj 60-
N. Nebes letiju V. V. Naumkina, Rossijskaja Akademija
2004 « Ein Feldzugsbericht des Šaʿirum Awtar in einer Nauk, Institut vostokovedenija, Moskovskij Gosu-
neuen Widmungsinschrift aus dem Barʾān-Tempel », darstvennyj Universitet im. M. V. Lomonosova,
dans Scripta Yemenica. Issledovanija po Yuzhnoj Fakul’tet mirovoj politiki, Institut stran Azii i
Aravii. Sbornik nauchnyh statej v chest’ 60-letija Afriki, Moskva, p. 371-379.
M. B. Piotrovskogo, Moscou, Maison d’éditions 2006a « Les Arabes vus de Ḥimyar », Topoi 14 (Actes du
« Vostochnaja literatura », Académie des Sciences colloque « Les Arabes dans l’Antiquité : à propos
de Russie, p. 273-288. du livre de Jan Retsö, Arabs in Antiquity, Londres,
Th. Nöldeke 2003 »), p. 121-137.
1887 Die Ghassânischen Fürsten aus dem Hause 2006b « La réforme de l’écriture arabe à l’époque du
Gafna’s, Abhandlungen der königl. Akademie der califat médinois », dans Mélanges de l’Université
Wissenschaften zu Berlin, Philos.-histor. Abh. Saint-Joseph 59, p. 157-202.
1887. II., Berlin. Ch. J. Robin, U. Brunner
G. Olinder 1997 Map of Ancient Yemen – Carte du Yémen antique,
1927 The Kings of Kinda of the Family of Âkil al-Murār 1 : 1 000 000, Munich, Staatliches Museum für
(Lunds Universitets Årsskrift, N.F. Avd 1. Bd. 23. Völkerkunde.
Nr 6), Lund, C. W. K. Gleerup – Leipzig, Otto Ch. J. Robin, M. Gorea
Harrassowitz. 2002 « Un réexamen de l’inscription arabe préislamique
R. Paret du jabal Usays (528-529 è. chr.) », dans Arabica
1958 « Note sur un passage de Malalas concernant les XLIX, p. 503-510.
phylarques arabes », dans Arabica V, p. 251-262.
C. Pellat
1960 « ʿAmr b. ʿAdī b. Naṣr b. Rabīʿa », dans Encyclo-
pédie de l’Islam, nouvelle édition, I, p. 463.
198 Christian Julien Robin

G. Rothstein 2001 « The Sixth-Century Church Complex at Nitl,


1899 Die Dynastie der Laẖmiden in al-Ḥîra. Ein Versuch Jordan. The Ghasanid Dimension », dans Liber
zur arabisch-persischen Geschichte zur Zeit der Annuus 51, p. 285-292.
Sasaniden, Berlin, Reuther und Reichard. Reprise 2002 Byzantium and the Arabs in the Sixth Century.
Hildesheim, Georg Olms, 1968. Vol. II, Part 1, Toponymy, Monuments, Historical
J. Ryckmans Geography and Frontier Study. Washington D.C.,
1951 L’institution monarchique en Arabie méridionale Dumbarton Oaks Research Library and Collection.
avant l’Islam (Maʿîn et Saba) (Bibliothèque du Lettre voir Shahîd 1971b
Muséon 28), Louvain, Publications universitaires, G. R. Smith
Institut Orientaliste. 2000 « Tihāma », dans Encyclopédie de l’Islam, nouvelle
M. Sartre édition, X, p. 516-517.
1982 Trois études sur l’Arabie romaine et byzantine Synodicon orientale : voir Chabot 1902
(Collection Latomus 178), Bruxelles, Latomus, al-Ṭabarī (Abū Jaʿfar Muḥammad b. Jarīr)
Revue d’Études latines. 1964 Taʾrīkh : Taʾrīkh al-rusul wa-ʾl-mulūk, I : Annales
1992 « Nouvelles bornes cadastrales du Hauran sous la quos scripsit Abu Djafar Mohammed Ibn Djarir
Tétrarchie », dans Ktema 17, p. 111-131. at-Tabari, M. J. De Goeje, éd. Prima series, II,
1993 « Deux phylarques arabes dans l’Arabie byzan- recensuerunt J. Barth et Th. Nöldeke, Leyde,
tine », dans Le Muséon 106, p. 145-153. Brill (reproduction photomécanique).
J. Sauvaget 1999 History: The History of al-Ṭabarī, vol. V, The
1939 « Les Ghassanides et Sergiopolis », dans Byzan- Sāsānids, the Byzantines, the Lak(h)mids, and
tion 14, p. 115-130. Yemen, translated by C. E. Bosworth, Bibliotheca
A. Scherr persica, State University of New York Press.
1910 Histoire nestorienne (Chronique de Séert), Première al-Tabrīzī (Abū Zakariyā Yaḥyà b. ʿAlī)
partie, II, publiée par Mgr A. Scherr, archevêque 1997 Sharḥ : Sharḥ al-qaṣāʾid al-ʿashar, ʿAbd al-Salām
chaldéen de Séert (Kurdistan), trad. par M. l’abbé al-Ḥawfī (éd.), Beyrouth (Dār al-Kutub al-
P. Dib (Patrologia Orientalis V, II), Paris, Firmin ʿilmiyya) (1418 h).
Didot. Seconde partie, I (Patrologia Orientalis VII, M. Tardieu
2), Paris, Firmin Didot. 1992 « L’arrivée des Manichéens à al-Ḥīra », dans La
I. Shahîd (voir aussi I. Kawar) Syrie de Byzance à l’Islam, viie-viiie siècles, Actes
1965 « Ghassān », dans Encyclopédie de l’Islam, nouvelle du colloque international, Lyon, Maison de l’Orient
édition, II, p. 1044-1045. méditerranéen, – Paris, Institut du Monde arabe,
1971a « al-Ḥīra » (seconde partie), dans Encyclopédie de 11-15 septembre 1990, publiés par Pierre Canivet
l’Islam, nouvelle édition, III, p. 478-479. et Jean-Paul Rey-Coquais, Damas, Institut français
1971b The Martyrs of Najrân. New Documents, Subsidia de Damas, p. 15-24.
Hagiographica 49, Bruxelles, Société des Bollan- TAVO Tübinger Atlas des vorderen Orients
distes. 1988 B VI 7 : T. Riplinger, H. Benner, M. Sauer, Der
1986 « Lakhmides », dans Encyclopédie de l’Islam, Vordere Orient zur Zeit des Byzantinisch-Persischen
nouvelle édition, V, p. 636-638. Konflikts (6.-7. Jh. n. Chr.), Wiesbaden, Ludwig
1989 Byzantium and the Arabs in the Fifth Century, Reichert.
Washington (Dumbarton Oaks Research Library 1987 B VII 1 : U. Rebstock, R. Szydlak, Das islamische
and Collection). Arabien bis zum Tode des Propheten (632 / 11 h),
1993 « al-Mundhir IV », dans Encyclopédie de l’Islam, Ludwig Reichert.
nouvelle édition, VII, p. 569. Théophane le Confesseur
1995a Byzantium and the Arabs in the Sixth Century. 1883 Theophanis chronographia, éd. Carolus De Boor,
Vol. I, Part 1: Political and Military History ; Volumen I, textum graecum continens, Lipsiae, in
Part 2: Ecclesiastical History, Washington (Dum- aedibus B. G. Teubneri.
barton Oaks Research Library and Collection). U. Thilo
1995b « al-Nuʿmān [III] b. al-Mundhir », dans Encyclo- 1958 Die Ortsnamen in der altarabischen Poesie (Schrif-
pédie de l’Islam, nouvelle édition, VIII, p. 121-122. ten der Max Freiherr von Oppenheim-Stiftung 3),
1995c « Salīḥ », dans Encyclopédie de l’Islam, nouvelle Wiesbaden, Harrassowitz.
édition, VIII, p. 1016-1017. al-ʿUbūdī (Muḥammad b. Nāṣir)
1998 « Tanūkh », dans Encyclopédie de l’Islam, nouvelle 1979 Bilād al-Qaṣīm (al-Muʿjam al-jughrāfī li-l-Bilāl
édition, X, p. 206-207. al-ʿarabiyya al-saʿūdiyya) (Nuṣūṣ wa-abḥāth jugh-
rāfiyya wa-taʾrīkhiyya ʿan Jazīrat al-ʿArab 21),
al-Riyāḍ, al-Yamāma, (1399 h), 6 vol.
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 199

L. Veccia Vaglieri W. Wright


1965 « Dūmat al-Djandal », dans Encyclopédie de l’Islam, 1882 The Chronicle of Joshua the Stylite, composed in
nouvelle édition, II, p. 640-641. syriac A.D. 507, with a translation into english and
A. J. Wensick notes by …, Cambridge, University Press.
1960 « ʿAmr b. Hind », dans Encyclopédie de l’Islam, Yaʿqūb (Imīl Badīʿ)
nouvelle édition, I, p. 464-465. 2004 Diwān al-Ḥārith b. Ḥilliza, éd. …, Beyrouth (Dār
M. Whittow al-Kitāb al-ʿarabī) (1424 h).
1999 « Rome and the Jafnids : Writing the History of a Yāqūt (Shihāb al-Dīn Abū ʿAbd Allāh Yāqūt b. ʿAbd Allāh
Sixth-Century Tribal Dynasty », dans The Roman al-Ḥamawī ʾl-Rūmī ʾl-Baghdādī)
and Byzantine Near-East. Vol. 2, Some Recent Muʿjam Muʿjam al-Buldān, s. l., s. d.
Archaeological Research, J. H. Humphrey (ed.),
Portsmouth (Rhode Island) (JRA Supplement 31),
p. 207-224.

■ Sigles épigraphiques
ʿAbadān 1 : Ch. Robin et I. Gajda, « L’inscription du wādī Ja 2110 : D. Brian Doe, A. Jamme, « New Sabaean Inscrip-
ʿAbadān », dans Raydān, 6, 1994, p. 113-137 et pl. 49-60 tions from South Arabia », dans Journal of the Royal
(p. 193-204). Asiatic Society, 1968, p. 1-28 et pl. I-V.
BR-MNMB 9 : ʿInān 75 : M. Bāfaqīh et Ch. Robin, « Min Louvre 205 : Y. Calvet, Ch. Robin, Arabie heureuse, Arabie
nuqūsh Maḥram Bilqīs » (Quelques inscriptions du déserte. Les antiquités arabiques du Musée du Louvre
Maḥram Bilqīs), dans Raydān 1, 1978, p. 11-56 de la (Notes et documents des Musées de France 31), Paris,
partie en langue arabe, p. 51-54. Réunion des Musées nationaux, 1997.
Cih 540, 541 : Corpus Inscriptionum Semiticarum ab Acade- Ry 534 + Rayda 1 : Robin 1996.
mia Inscriptionum et Litterarum Humaniorum conditum Ry 506 : ʿAbdel Monem A. H. Sayed, « Emendations to the
atque digestum, IV, Inscriptiones Ḥimyariticas et Sabaeas Bir Murayghan Inscription Ry 506 and a new minor ins-
continens, Paris (Imprimerie nationale), tomi I-III, 1899- cription from there », dans Proceedings of the Seminar
1930. for Arabian Studies, 18, 1988, p. 131-143.
DAI-Barʾān 2000-1 : Nebes 2004. Ry 509 et 510 : Robin 1996 ; Ma’sal 1999.
Gajda-al-ʿIrāfa 1 : Gajda 2004 et ci-dessous, Annexe. Sharaf 31 : Walter W. Müller, « Eine sabäische Gesandts-
ʿInān 75 : voir BR-MNMB 9. chaft in Ktesiphon und Seleukeia », dans Neue Epheme-
Ja 576, 635 et 665 : A. Jamme, Sabaean Inscriptions from ris für Semitische Epigraphik, 2, 1974, p. 155-165.
Maḥram Bilqîs (Mârib) (Publications of the American
Foundation for the Study of Man, III), Baltimore, The
Johns Hopkins Press, 1962.
200 Christian Julien Robin

■ Annexe (n)mr : la première lettre est plutôt un nūn qu’un dāl (compa-
rer avec le dāl de Brdm). Nous supposons qu’il sagit ici
Gajda-al-ʿIrāfa 1 (figure 3) du substantif nmr, qui signifie « léopard, panthère » et,
de manière métaphorique « chef », peut-être au pluriel.
Provenance : Ẓafār (texte remployé aujourd’hui dans une Mais on ne saurait écarter complètement l’hypothèse
habitation du village voisin d’al-ʿIrāfa). d’un nom propre.
Bibliographie : Gajda 2004. l. 2, (ḏ)t-rbʿn : faute de contexte, l’interprétation de ce terme
Date : assez vraisemblablement vers 445 (voir ci-dessus, (nom commun ou nom propre) est impossible.
p. 177) ; de manière sûre après 325 et avant 522. Brkm : c’est le fameux wādī Birk (dans les sources arabes et
Description : la marge au-dessus du texte indique que celui-ci encore aujourd’hui), prolongement du wādī ʾl-Rikāʾ, qui
est complet en haut. Le bloc inscrit semble intact à droite, coule d’ouest en est, puis fait un coude vers le nord pour
ce qui signifie que le texte commençait sur un autre bloc se déverser dans l’oasis d’al-Kharj. Il se trouve à quelque
(ou plusieurs) placé à droite. Le texte se poursuivait à 200 km au sud-est de Maʾsal ou, si on préfère, à quelque
gauche et peut-être en bas sur d’autres blocs. Nous avons 160 km au sud d’al-Riyāḍ. Voir TAVO B VII 1 ; Thilo
donc ici une petite partie d’un document relativement 1958, p. 36-37, et carte Nordarabien, Teil D ; al-Hamdānī,
long. Ṣifa (p. 139 / 22, 23 [wādī] ; 140 / 6 ; 148 / 24 ; 155 / 13) ;
Transcription : la lecture d’Iwona Gajda est révisée sur Ibn Khamīs 1978-I, p. 150-156.
plusieurs points grâce à une meilleure photographie. l. 3, Ṯhyn : les toponymes S²rfn et Nyrn, qui sont mentionnés
dans la même ligne, permettent d’identifier Ṯhyn avec le
1 …]# …(s¹) Brdm w-(n)mr Tnẖ w-bḍʿw bn-hmw mʾtm[… jabal voisin nommé Thahlān (dans les sources arabes et
2 …]#(ḏ)t-rbʿn s¹fl Brkm w-ʿdyw Brkm w-ws³ʿ-hmw l[… encore aujourd’hui). Voir TAVO B VII 1 ; Thilo 1958,
3 …]#(rt) ʿdy Ṯhyn ʾmwh S²rfn w-Mḏḥgm Nyrn w-mwr hw [… p. 104, et carte Nordarabien, Teil C, D ; al-Hamdānī, Ṣifa
4 …]# …ʿt tʿm Nʿmnn w-Mḍr b-Mʾs¹lm Mʾs¹l Gmḥm[…  (p. 146 / 5 [jabal], 6 ; 147 / 1, 2 ; 180 / 15). Le passage
5 …Nʿ]#(m)nn w-ḥllw Qrmy bn-Ymmtn ʿdy Hgrm w-ʿrmtm du lām de l’arabe au yāʾ du sabaʾique, qui peut surpren-
w-[… dre, résulte peut-être d’une faute de copie. En faveur de
6 …]# ʾbnm w-Mtʿlm w-Rmtn bny S¹ly s²y-hmw (w-m).[... l’identification, on invoquera la géographie (le jabal
7 …]#(t)-hmw w-ʾfrs¹-h(m)w [w-](ḏ)ky-hmw b-Gwm w Thahlān se trouve entre les jabal al-Shurayf et al-Nīr, à
ml(k)..[… quelque 70 km à l’ouest de Maʾsal) et la grande rareté de
ces noms. Comme nous l’avons vu (ci-dessus, p. 176),
un ḥujride nommé Qays (apparemment Qays b. Salama
1 …]# …Burdum et les chefs de Tanūkh, et ils en tuèrent b. al-Ḥārith) est défait à Thahlān.
cent[… S²rfn : al-Sharaf, wādī du Najd, dont la localisation très
2 …]# …en aval de Birkum et ils atteignirent Birkum et se précise est inconnue. Le texte suggère qu’il reçoit ses
soumirent à eux…[… eaux de Thahyān (auj. jabal Thahlān), ce qui implique
3 …]# …jusqu’à Thahyān, les eaux de Sharafān, et une certaine proximité. Comme l’indique un texte d’al-
Madhḥigum à Nīrān, et ils l’assiégèrent [... Hamdānī cité ci-dessous, il est également proche du
4 …]# … …Nuʿmānān et Muḍar à Maʾsalum, Maʾsal massif d’al-Shurayf qui se trouve à quelque 80 km au
Gumḥum [… nord-ouest de Maʾsal : voir TAVO B VII 1 ; Thilo 1958,
5 … Nuʿ]# (ma)nān, et ils prirent possession de Qarmà, p. 95, et carte Nordarabien, Teil D ; al-Hamdānī, Ṣifa,
de Yamāmatān jusqu’à Hagarum, de ʿAramatum et de [... al-Shurayf (p. 147 / 3, 8, 9, 10, 15 ; 169 / 21-23 ; 173 /
6 …]# Abānum, Mtʿlm et Rumatān, les banū Suliyy, 15-19 ; 177 / 5 ; 178 / 12) et al-Sharaf (p. 177 / 5 : « Ḥimà
(à savoir) leur s²y (?)… [… Ḍariyya... al-Nīr est à l’extrémité de Ḥimà Ḍiriyya – al-
7 …]# leurs …et leurs cavaliers, et il les envoya à Gawwum Nīr est une montagne qui appartient à Ghāḍira –, al-ʿUqr
et le roi (?) [… dans al-ʿÂliya, al-Shurayf à l’est et al-Sharaf à l’ouest,
qui est l’un des wādīs du Najd »). Ḍiriyya se trouve à
180 km à l’ouest-nord-ouest de Maʾsal ; je n’ai localisé
ni al-ʿUqr, ni al-ʿÂliya.
l. 1 : le texte évoque une victoire des [Ḥimyarites] sur Nyrn : Nīr ou al-Nīr, petit massif du Najd, au sud-ouest d’al-
Tanūkh, qui pourrait être ici l’appellation ḥimyarite du Shurayf, à quelque 130 km à l’ouest de Maʾsal, aujourd’hui
royaume d’al-Ḥīra (voir ci-dessus, p. 190). L’interpréta- al-Nīr. Voir TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, p. 77, et carte
tion des deux mots qui précèdent Tnẖ n’en est pas plus Nordarabien, Teil C ; Huber 1891, Atlas feuilles 13 et
facile pour autant. Le premier, qui peut s’interpréter Brdm 14 ; al-Hamdānī, Ṣifa (p. 126 / 23 [l’une des « montagnes
ou b-Rdm, est probablement un nom propre. On peut célèbres chez les Arabes, mentionnées dans leurs
penser à un toponyme : voir Barid / Bird, à quelque poèmes »] ; 146 / 11-17 ; 153 / 13 ; 172 / 24 ; 173 / 22, 23 ;
80 km au sud-est de Taymāʾ (TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, 176 / 11 ; 177 / 4, 5).
p. 35-36, et Carte Nordarabien, Teil A). Ce pourrait être l. 5, Qrmy : peut-être Qarmāʾ (Thilo 1958, p. 79), village du
également un ethnonyme, comme Burd b. Afṣà b. Duʿmī wādī Qarqarā (140 km à l’est-nord-est de Maʾsal : voir
b. Iyād, fraction d’Iyād (Caskel 1966-I, tabl. 174). TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, carte Nordarabien, Teil D).
Les Arabes de Ḥimyar, des « Romains » et des Perses 201

Le village s’appellerait aujourd’hui Ḍarmā (Ibn Khamīs possible, mais qui offre une correspondance moins satis-
1978-II, p. 92-98). Une autre interprétation, fondée sur le faisante, est le toponyme Rāma (dans les sources arabes
texte, serait de supposer que Qarmà est le nom de la et encore aujourd’hui), à 75 km plus à l’est, sur la rive
région qui s’étend entre Yamāmatān et Hagarum. droite du cours inférieur du wādī ʿÂqil (TAVO B VII 1 ;
Ymmtn : (al-)Yamāma, aujourd’hui al-Yamāma ; bourgade au Thilo 1958, p. 85, carte Nordarabien, Teil C ; Huber
nord-est de l’oasis d’al-Kharj (Thilo 1958, p. 114, carte 1891, Atlas feuilles 13 ; al-ʿUbūdī 1979-3, p. 981-998) ;
Nordarabien, Teil D), qui a donné son nom à la région étape sur la piste Makka-Baṣra, Rāma est mentionnée
(TAVO B VII 1). Le bourg nommé al-Yamāma existe dans la poésie, ce qui n’est pas le cas du wādī ʾl-Ruma.
toujours aujourd’hui ; il se trouve à 280 km à l’est de L’identification de Rmtn avec l’anthroponyme Rumma
Maʾsal et à 80 km au sud-est d’al-Riyāḍ. Ulrich Thilo (Caskel 1966-II, p. 491, un seul exemple postérieur à
suppose que Yamāma est le nom primitif de l’oasis de l’Islam) est à écarter.
Jaww (qui apparemment aurait repris le nom d’al- bny S¹ly : peut-être les banū Suliyy (fraction de Jarm), locali-
Yamāma postérieurement). sés par al-Hamdānī (Ṣifa, p. 163 / 11-13) à al-Majāza
Hgrm : Hajar, oasis d’al-Baḥrayn, à savoir du littoral du golfe (dans la partie aval du wādī Birk ; Thilo 1958, carte
Arabo-persique (aujourd’hui al-Aḥsāʾ), environ 510 km Nordarabien, Teil D), dans la Yamāma, à une soixantaine
à l’est de Maʾsal (et à 300 km à l’est d’al-Riyāḍ) de kilomètres au sud d’al-Kharj. Il n’est pas impossible
(TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, p. 51-52, et carte Nord- que ces banū Suliyy tirent leur nom du wādī (ʾl-)Sulayy
arabien, Teil D). (dans les sources arabes), à 260 km à l’est de Maʾsal
ʿrmtm : (al-)ʿArama, aujourd’hui al-ʿArama, plateau orienté (et à une quarantaine de kilomètres au nord-nord-ouest
nord-ouest / sud-est, long de 300 kilomètres et large d’une d’al-Kharj) (TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, p. 93, carte
trentaine, à quelque 280 km à l’est-nord-est de Maʾsal et Nordarabien, Teil D ; al-Hamdānī, Ṣifa, p. 137 / 8-12).
à une centaine de kilomètres au nord-est d’al-Riyāḍ. Voir Voir aussi Silayy (al-Hamdānī, Ṣifa, p. 146 / 2), qui
TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, p. 31 (al-ʿArama / al-ʿArma), donne de l’eau à al-Sirr (TAVO B VII 1, à une trentaine
et carte Nordarabien, Teil D ; al-Hamdānī, Ṣifa (p. 137 / 8, de kilomètres à l’est du wādī ʿÂqil). La relation que le
15 ; 138 / 5, 14, 24 ; 139 / 1, 2, 25 ; 140 / 5 ; 141 / 19, 23) ; texte établit entre cet ethnonyme (bny S¹ly) et les topony-
Ibn Khamīs 1978-II, p. 145-154. mes précédents (ʾbnm w-Mtʿlm w-Rmtn) est obscure.
l. 6, ʾbnm : il s’agit probablement des deux monts Abān, Abān l. 7, Gwm : nom d’une bourgade de l’oasis d’al-Kharj, identi-
al-Aswad et Abān al-Abyaḍ (dans les sources arabes et que semble-t-il à celle appelée précédemment Yamāma
encore aujourd’hui), respectivement sur les rives nord et (TAVO B VII 1 ; Thilo 1958, p. 46) ; Jaww se trouve à
sud du wādī ʾl-Ruma, dont la mention se trouve ci-après. 280 km à l’est de Maʾsal et à 80 km au sud-est d’al-Riyāḍ.
Les monts Abān se trouvent à une distance de 270 km L’inscription ʿAbadān 1 / 17 mentionne une expédition
environ au nord-nord-ouest de Maʾsal : voir TAVO B contre « Gawwān et Khargān » (Gwn w-H̲rgn) ; il est
VII 1 ; Thilo 1958, p. 24, et carte Nordarabien, Teil C ; vraisemblable qu’il s’agit du même toponyme, attesté
al-ʿUbūdī 1979-1, « Abān », p. 221-247 ; al-Hamdānī, avec ou sans détermination (Gwn / Gwm), hésitation pour
Ṣifa (p. 123 / 22, 126 / 20 [dans la liste des « montagnes laquelle on possède de nombreux parallèles.
célèbres chez les Arabes, mentionnées dans leurs En résumé, ce document rapporte la prise de contrôle de
poèmes »] ; 144 / 18 [« puis les deux Abān, Abān al- diverses régions, dont la distance est donnée par rapport à
Aswad et Abān al-Abyaḍ, deux montagnes entre lesquel- Maʾsal :
les passe la dépression d’al-Ruma »] ; 145 / 13 ; 178 / 4). – Birkum (le wādī Birk), à 200 km vers le sud-est ;
L’identification de ʾbnm avec l’anthroponyme Abān – Thahyān (Thahlān), Sharafān (al-Sharaf) et Nīrān (al-Nīr) à
(Caskel 1966-II, p. 101) est à écarter. 70-130 km vers l’ouest ; la mention de Madhḥigum suggère
Mtʿlm : peut-être le lieu-dit Mutāliʿ, qui se trouve dans le wādī que le texte citait le(s) détachement(s) ḥimyarite(s) (régu-
ʾl-Ruma, à une trentaine de kilomètres à l’est des monts liers ou auxiliaires) qui avai(en)t la responsabilité de
Abān (Thilo 1958, p. 73-74, no I, et carte Nordarabien, prendre le contrôle de chaque secteur ;
Teil C). L’identification se fonde sur le contexte géo- – Qarmà, la région qui s’étend entre Yamāmatān et Hagarum,
graphique et la ressemblance des noms. Faut-il supposer et ʿAramatum, à 140-510 km vers l’est ;
une erreur du lapicide qui aurait gravé Mtʿlm au lieu de – Abān, Mtʿlm (Mutāliʿ ?) et Rumatān (al-Ruma), à 220-
Mtlʿm ? 270 km vers le nord-nord-ouest ; le rôle des banū Suliyy
Rmtn : le wādī ʾl-Ruma (dans les sources arabes et aujour- est obscur ;
d’hui), qui passe entre les monts Abān al-Abyaḍ et Abān – Gawwum (Jaww), à 280 km vers l’est.
al-Aswad (TAVO B VII 1, « al-Ruma » ; Thilo 1958, Il s’agit donc d’un vaste territoire s’étendant d’ouest en
carte Nordarabien, Teil C, « Ruma » ; Huber 1891, Atlas est sur des centaines de kilomètres, jusqu’aux abords du golfe
feuilles 13, « Roummah »), à 220 km et plus au nord-nord- Arabo-persique. Vers le nord, il ne dépasse pas le wādī ʾl-
ouest de Maʾsal. Voir aussi al-Hamdānī, Ṣifa, p. 144 / 19 Ruma, à un peu plus de 200 km.
et 145 / 20. L’un des affluents de la rive droite (au sud)
du wādī ʾl-Ruma est le wādī ʿÂqil, où se trouvait Baṭn
ʿÂqil (TAVO B VII 1), l’une des résidences des Ḥujrides
(voir ci-dessus, p. 187 et n. 151). Une autre identification
202 Christian Julien Robin

Résumé Abstract

À diverses reprises, pendant les derniers siècles de l’Anti- On various occasions during the last few centuries of
quité, les empires perse, ḥimyarite et romain furent victimes Antiquity, the Persian, Ḥimyarite, and Roman Empires were
de raids dévastateurs, lancés par les Arabes de la steppe et du victims of devastating raids launched by the Arabs of the
désert. Pour contrer cette menace, ils conclurent des traités steppe and desert. To counter this threat, treaties were negotiated
avec certains princes arabes auxquels ils conférèrent with certain Arab princes upon whom significant military
d’importantes responsabilités militaires et fiscales. Les plus and financial responsibilities were subsequently conferred.
importants de ces princes, qui auraient eu le titre de « roi », The most important of these princes, who would have carried
venaient des tribus de Lakhm, de Kinda et de Ghassān, selon the title “king”, came from the Lakhm, Kinda and Ghassān
la Tradition arabo-islamique. Leur principale responsabilité tribes according to Arab-Islamic tradition. Their principle
était de recruter des cavaliers servant d’auxiliaires dans les responsibility was recruiting horsemen for service as auxilia-
troupes impériales et veillant à la sécurité des frontières. ries to imperial troops, and as guardians of frontier security.
La littérature spécialisée accorde une grande attention Modern studies by specialists often accord a great deal of
aux principautés arabes sous tutelle perse et romaine, appe- attention to the Arab principalities under Persian or Roman
lées traditionnellement « royaume lakhmide » et « royaume rule, traditionally called the “Lakhmid kingdom” and the
ghassānide » ; leur histoire est écrite en combinant les tradi- “Ghassānid kingdom,” whose histories are generally written
tions arabes, foisonnantes et souvent contradictoires, avec by combining the rich and often contradictory Arab traditions,
les sources grecques et syriaques qui fixent la chronologie. with Greek and Syriac sources establishing the chronology.
La principauté arabe sous tutelle ḥimyarite de l’Arabie The Arab principality under Ḥimyarite rule in central Arabia
centrale (le soi-disant « royaume de Kinda ») est moins bien (the so-called “Kinda kingdom”), on the other hand, is much
connue, mais les inscriptions qui sont régulièrement décou- less well-known. Nevertheless, new inscriptions are regularly
vertes en Arabie commencent à en préciser la chronologie et discovered, allowing certain preliminary chronological and
l’histoire. historical precisions.
La première partie présente la somme des connaissances The first part of this presentation presents a summary of
actuelles sur ces principautés. La seconde s’emploie à préci- current knowledge of these principalities. The second part
ser la nature exacte du pouvoir exercé par ces princes arabes, aims at defining the exact nature of the political power
qui ne règnent pas sur Lakhm, Ghassān et Kinda, comme on wielded by these Arab princes, who do not reign over Lakhm,
le croit trop souvent, mais sont originaires de ces tribus. Ghassān and Kinda, as is too often believed, but instead come
Seule la principauté d’al-Ḥīra, sous tutelle perse, présente from these tribes.
certains des caractères d’un véritable État, avec une capitale Only the principality of al-Ḥīra, under Persian rule,
et une armée. Les « Arabes de Ḥimyar » et ceux « des presents some of the characteristics of a genuine “State”,
Romains » ne jouissent d’aucune structure stable et ne sont with a capital and an army. The Arabs “of Ḥimyar” and those
pas même placés sous l’autorité d’un seul prince. C’est donc “of the Romans” have no stable political structure and are not
à tort que l’on établit trop souvent un parallèle entre la even placed under the authority of a single prince. It is thus
principauté arabe sous tutelle perse (qui dure plus de trois erroneous to draw parallels between the Arab principality
siècles) et celle sous tutelle romaine (dont l’existence est under Persian rule (which lasted more than three centuries)
inférieure à un siècle). and that under Roman rule (which lasted less than a century).
Il faut souligner enfin que l’appellation traditionnelle Finally, it must be stressed that the traditional appellations
des principautés étudiées (« royaume lakhmide », « royaume of the principalities under consideration here (the “Lakhmid
ghassānide » et « royaume de Kinda ») est trompeuse parce kingdom”, the “Ghassānid kingdom”, and the “Kinda
qu’elle confond la dynastie avec la tribu d’origine de celle-ci. kingdom”) are deceptive and unhelpful, since they confuse
Il vaut mieux se référer au nom réel de la dynastie (et parler dynasty with tribal origin. It is much more valid to use the
de principautés naṣride, jafnide et ḥujride) ou, à défaut, actual names of the dynasties (thus, the “Naṣrid”, “Jafnid”,
utiliser un terme géographique, comme « principauté d’al- and “Ḥujrid” principalities), or otherwise a geographical
Ḥīra ». label, such as “the principality of al-Ḥīra”.

Vous aimerez peut-être aussi