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La fantômisation : processus et développement du karst.

Chapter · January 2010

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Laurent Bruxelles Yves Quinif

Institut national de recherches archéologiques préventives Université de Mons
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a Fa tô isatio :
ro ess s et dé elo e e t d arst

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Laurent BRUXELLES & Yves QUINIF

L a dénomination de ce processus vient de l’aspect

intact que la roche fantômisée peut présenter au pre-
mier abord : la stratification, les fractures, les accidents
siliceux et les fossiles sont préservés. Cependant, la roche
est devenue localement non cohérente et très poreuse.
La fantômisation est une altération isovolumique qui se
produit par disparition d’éléments solubles et conserva-
tion in situ d’éléments moins solubles (calcite sparitique,
squelette siliceux, cristaux de dolomite). À l’inverse d’un
karst classique, le volume initialement créé par dissolu-
tion est réparti sous forme de pores dans l’ensemble de
l’altérite.
> Principaux aspects de la fantômisation
Elle débute par une phase d’altération de type pédogé-
nétique isovolumique. L’eau pénètre dans le massif par
les fractures et porte l’agressivité en profondeur. Comme
les écoulements sont très lents, il n’y a pas de possibilités
d’exporter la matière résiduelle. Cette altération se dérou-
le essentiellement à partir de la surface [3], per descensum,
dans un contexte de faible gradient hydraulique et de
tectonique en extension. Des fantômes ont également
été découverts en association avec des minéralisations
de la bordure cévenole et ont certainement une origine
hypogène (fig.1). Les zones altérées s’organisent en un
maillage de grands couloirs d’extension décamétrique à
hectométrique qui peuvent devenir coalescents et abou-
tir, dans le cas de grands fantômes, à de vastes volumes
en forme d’entonnoir descendant à plus de cent mètres
sous la surface (fig. 2).
Plus bas, ce type de structure se prolonge sous la forme de
pseudo-endokarsts, ressemblant à s’y méprendre à une
galerie colmatée sous un toit calcaire sain. Néanmoins,
ce conduit n’a jamais été vide et le colmatage est consti-
tué par la roche altérée en place [5]. Les processus à l’ori-
gine de la formation de pseudo-endokarsts sont encore
mal définis. Ils mettent en œuvre des réactions d’oxydo-
réduction (sulfures, matière organique), des migrations
de silice et de carbonates mais aussi peut-être une action
microbienne. Ces pseudo-endokarsts dessinent des for-
mes complexes, souvent labyrinthiques, qui se calquent
sur la fracturation.
> L’évolution des massifs fantômisés
Lors de la surrection d’une région, la présence d’altérite
meuble au sein d’un massif rocheux introduit une discon-
tinuité importante qui sera préférentiellement exploitée
par l’érosion. Ainsi, en surface, le déblaiement des couloirs
altérés exhume les parties plus saines et peut aboutir,
dans la dolomie des Grands Causses par exemple, à la for-
mation de méga-lapiès du type de celui de Montpellier-
le-Vieux.
Au niveau des pseudo-endokarsts, l’abaissement relatif
du niveau de base provoque un tassement de l’altérite du
fait de l’importante porosité. Puis des circulations karsti-
ques peuvent réutiliser les vides formés au toit des alté-
rites [2] et peuvent déblayer complètement le fantôme.
Le réseau de conduits altérés est alors réutilisé par de
véritables circulations karstiques qui réaménagent les
vides et introduisent des sédiments allochtones. En
Belgique, le recoupement de pseudo-endokarst par les
carrières s’illustre parfois par l’apparition d’une émer-
gence au toit de l’altérite. L’écoulement évide les parties
fantômisées et en quelques mois l’érosion régressive per-
met la formation de cavités pouvant atteindre plusieurs
dizaines de mètres de longueur (fig. 2). À une autre échel-
le, lors du creusement des vallées, le développement des
systèmes de drainage karstique a pu largement bénéficier
de ce phénomène. Ainsi, certaines émergences des Grands
Causses comme la source du Durzon dans le canyon de la
Dourbie ou celles de Beldoire, Fontmaure ou le Rouvey-
rol dans les gorges du Tarn, ont une dynamique conqué-
rante par rapport aux autres sources (fig. 4). Elles éten-
dent leur bassin-versant vers l’intérieur des plateaux en
vidant les parties altérées de la dolomie et en exportant le
sable dolomitique résiduel [1]. Le soutirage induit par ces
circulations provoque la vidange de fractures altérées qui
rejoignent la surface et forment de nombreux avens.
> Quelques exemples en France et dans le monde
Le phénomène de fantômisation et l’identification de
cavités découlant de ce processus prennent de plus en
plus d’importance. Observés et décrits initialement en
Normandie dans la craie et qualifiés de « primokarst »
[3], ainsi qu’en Belgique [2] [5], les fantômes ont été

[1] ruxe es L. 2004 - Dépôts et altérites des plateaux du Larzac central : causses de l’Hospitalet et de Campestre (Aveyron, Gard, Hérault). volution
morphogénétique, conséquences géologiques et implications pour l’aménagement. Document du BR M, n° 304, 286 p. Orléans.
[2] Quini Y. 1999 - Fantômisation, cryptoaltération et altération sur roche nue, le triptyque de la karstification. Colloque européen Karst 99,
B
ll
É
Études de géographie physique, suppl. n°XXVIII, p. 159 -164.
[3] odet J. 1996 - Une nouvelle organisation géométrique du drainage karstique des craies : le labyrinthe d’altération, l’exemple de la grotte de la
G
f
Mansonnière (Bellou-sur-Huisne, Orne, France). Compte rendus de l’Académie des Sciences, vol. 322, S. IIa, p. 1039 -1045.
[4] o nini P. 2001 - Lombard Southalpine karst : main features and evolution related to tectonic, palaeogeographic and palaeoclimatic regional
 
R
history - two examples of a global approach. In : äusel nn Ph. & Mon ron M. (eds) 2001 - Cave genesis in the Alpine belt, Rapports de Recherches,
 
p. 81-114. Institut de Géographie, Université de Fribourg.
[5] er ri A. 1998 - Nouveau regard sur la spéléogenèse : le pseudo-endokarst du Tournaisis (Hainaut, Belgique). Karstologia, n° 31, p. 12-18.
T
g
 
 
H
ma
ba
56 Extrait de : AUDRA Ph. (Dir.) 2010 - Grottes et karsts de France. Karstologia Mémoires, n° 19, 360 p. Association française de karstologie
V
ga
reconnus dans plusieurs régions comme les Alpes lombar-
des [4], les Alpes centrales, mais aussi dans le Médoc, l’En-
tre-deux-Mers, la Bordure cévenole [141] ou les Grands
causses [1]. Au-delà des roches carbonatées, le processus
de fantômisation permet aussi de mieux comprendre
l’existence de traces de karstification (formes de surface
ou cavités) dans des roches non carbonatées. Ainsi, les
morphologies développées dans les tepuys vénézuéliens
semblent pouvoir être assimilés à des pseudo-endokarsts
rajeunis. C’est également le cas des grottes creusées dans
les quartzites d’Afrique du Sud ainsi que dans les méta-
gabbros et les gneiss d’Afrique orientale.

L. Bruxelles & M. Wienin

Figure 1 - Pseudo-endokarst vidé par l’exploitation d’une mine
dans les Cévennes gardoises (la Grande Vernissière, district de
Durfort). L’altérite laissée en place par les mineurs constitue
l’une des parois de la galerie et se prolonge sous la voûte cal-
caire.
Figure 2 - Bloc-diagramme schématique montrant les différents
types de fantômes. La roche saine (1) est parcourue de nombreuses
discontinuités (fractures, joints de strates) qui sont exploitées pré-
férentiellement par l’altération. Dans les parties fantômisées, on
distingue les altérations en masse (2), en poches ou en couloir (3)
et les pseudo-endokarsts (4) qui sont caractérisés par la présence
d’un toit calcaire.

Figure 3 - Plan schématique d’un pseudo-endokarst. Tant qu’il n’y a pas assez d’énergie potentielle (courant), les circulations ne peuvent
évacuer l’altérite (A). Puis, l’apparition d’un gradient hydraulique permet la mise en place d’une circulation et l’évidemment des conduits
par érosion régressive (B). Progressivement, le maillage tectonique sur lequel s’était calée l’altération se dessine et laisse apparaître un
labyrinthe de galeries (C). Les parties trop éloignées des principales circulations resteront colmatées par le fantôme.
L. Bruxelles

> Figure 4 - Vue aérienne d’une colline calcaire affectée par la

fantômisation sur les Grands Causses en bordure de la reculée du
Cernon, Larzac. Depuis le creusement de la route, l’altérite est en
cours de décolmatage, ce qui se traduit par de fréquents effondre-
ments ainsi que des coulées de boue.

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