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BENIN – L’ancien président, le Général Mathieu Kérékou, s’est éteint…

Le 14 octobre, le Général Mathieu Kérékou, ancien président de la République s’est éteint à Cotonou à
82 ans. L’homme du « 26 octobre 1972 » ou le « Grand camarade de lutte » comme on avait coutume de
l’appeler du temps du régime révolutionnaire qu’il initia avant de se reconvertir à la démocratie au
début des années 1990, s’en est donc allé. Et avec lui, des pans entiers de l’histoire mouvementée de
son pays. En effet, Il est sans conteste l’homme politique béninois qui aura le plus marqué l’histoire du
Bénin. Un deuil national d'une semaine a été décrété, à l'occasion, par le gouvernement béninois en
hommage à cet ancien président. Courrier des Afriques vous propose une rétrospective du parcours
hors du commun de ce grand homme du Bénin.

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Feu l'ancien président du Bénin, le Général Mathieu Kérékou.

Feu l’ancien président du Bénin, le Général Mathieu Kérékou.

Le Général Mathieu Kérékou était originaire de Kouarfa, un petit village situé dans la Commune de
Toucountouna et à une cinquantaine de kilomètres du chef-lieu du département de l’Atacora qu’est
Natitingou, au Nord-Ouest du Bénin. C’est là qu’il naquit le 2 septembre 1933.

A 14 ans, il intégra l’Ecole des enfants de troupe et fit ses formations notamment à Kati au Mali, Saint-
Louis au Sénégal. Il la poursuivit à Fréjus et à Saint-Maixent en France. Il faisait alors partie de cette
génération d’officiers du début de l’indépendance du Bénin (ex Dahomey) au nombre desquels son ami
d’enfance et compagnon d’armes issu du même village, le Colonel Maurice Iropa Kouandété. Lequel fut
aussi ancien président de la République et connu pour être le « professionnel des coups d’Etat » au
Bénin.

Le Sous-lieutenant Mathieu Kérékou fut d’abord aide de camp du premier président du Bénin
indépendant, Hubert Coutoukou Maga. Ensuite, il se vit confier la supervision de l’espèce de transition
du Comité militaire révolutionnaire (CMR) qui assura le retour à un régime civil suite au coup d’Etat
militaire qui renversa Hubert maga en 1967.

L’homme du 26 octobre ou le Grand Camarade de lutte

L’instabilité consécutive au retour du pouvoir entre les mains des civils avec son corollaire de présidence
tournante à trois têtes ou « monstre à trois têtes » ou triumvirat (Hubert Maga, Justin Ahomadégbé et
Sourou Migan Apithy) conduisit au coup d’Etat de Mathieu Kérékou le 26 ocotbre 1972, alors qu’il est
Commandant et chef d’Etat-major adjoint. S’ensuivit une longue période révolutionnaire avec le régime
de parti unique, le Parti de la révolution populaire du Bénin (PRPB).

La ligne du marxisme-léninisme rebaptisée non sans humour du « laxisme-béninisme » fit se croiser au


pays de l’homme qui adopta le « col Mao », « la casquette russe ou chinoise ou coréenne » toutes les
grandes puissances révolutionnaires : Chinois, Russes, Coréens du Nord et Cubains.

De 1972 à 1989, la révolution finit par s’essouffler littéralement. Grâce aux efforts conjugués des
syndicats des travailleurs, des médias et des hommes politiques et des intellectuels contraints de fuir la
révolution et son parti unique pour ceux qui refusent de rentrer dans les rangs. Mais aussi et surtout à la
faveur de la crise économique internationale et de la mauvaise gestion du régime révolutionnaire ou
pseudo-révolutionnaire.
Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, l’on reconnaîtra au Général Mathieu Kérékou non seulement son
intelligence politique mais également son charisme de leader naturel. Ce sont ces deux atouts qui lui
permirent d’éviter le pire à son pays en convoquant une Conférence des forces vives de la nation.

De la dictature du prolétariat au multipartisme intégral

Du 19 au 28 février 1990, la Conference nationale du Bénin sous la direction du prélat Mgr Isidore de
Souza va délibérer en toute souveraineté. Et le président Mathieu Kérékou, comme promis, va appliquer
les décisions souveraines de cette Conférence nationale. Le passage de la dictature militaro-marxisme à
la démocratisation s’opéra sans aucune effusion de sang. Un exemple qui fit florès en ce début des
années 1990 en Afrique où les peuples exigent plus de démocratie.

La Conférence nationale imposa un Premier ministre en la personne de Nicéphore Soglo au président


Mathieu Kérékou. Entre autres décisions, il y eut aussi l’élaboration d’une nouvelle Constitution,
l’organisation d’une transition d’un an vers des élections pluralistes et démocratiques. Face à son
Premier ministre, l’ancien président sera battu de justesse. Et il va s’éclipser du jeu politique pour les
cinq ans que durèrent le mandat de son successeur, Nicéphore Soglo.

De son vrai pénom africain, Chaad, qui signifie en langue wama « Caméléon », Mathieu Chaad Kérékou
fut de tout temps un personnage énigmatique, à l’humour facile et à la générosité qui confinait le
laxisme dont beaucoup de ses collaborateurs profitèrent. Cinq ans durant, le « Caméléon » fit sa mue et
revint dans l’arène politique avec, comme le disait son livre blanc, l’ambition de « Construire le Bénin du
futur ». L’homme du 26 octobre 1972 et qui avait laissé entendre que « la branche ne se casse jamais
entre les bras du caméléon » étaient « descendu en bas » contre son gré et voulait ‘remonter en haut »
de nouveau. Un exploit qu’il réussit lors de la présidentielle de 1996 face au même Nicéphore Soglo.
Ainsi de 1972 – date de sa première accession au pouvoir – jusqu’en 2006 – date de son départ du
pouvoir et l’avènement du président Boni Yayi au pouvoir-, le Général Mathieu Kérékou aura dirigé le
Bénin pendant trois décennies. Exception faite de l’interruption de cinq ans entre 1991 et 1996.

Ce que l’histoire retiendra de l’homme

« C’est sa double facette qui rend Kérékou un personnage politique fascinant », explique Alioune Fall,
professeur du droit constitutionnel et des institutions politiques africaines à l’université Montesquieu de
Bordeaux. « Après avoir mis en place une dictature communiste très dure avec suspension de tous les
droits fondamentaux, il reniera la doctrine marxiste-léniniste, allant jusqu’à quasiment demander
pardon à son peuple lors de la Conférence nationale. Qui plus est, le dictateur Kérékou s’est signalé à
l’attention en revêtant l’habit démocratique comme peut-être jamais aucun chef d’Etat africain n’a su le
faire. » Ces propos d’Alioune Fall dans un entretien accordé à RFI résument, à eux tout seuls, le
personnage de Mathieu Kérékou.

Les historiens, politologues, sociologues et autres écrivains pourraient trouver à travers la vie et l’œuvre
de Mathieu Kérékou un chantier inépuisable d’exploration. Plus prosaïquement, on retiendra de sa vie
et de son action publique son attachement quasi viscéral à l’unité nationale, la cohésion nationale, la
paix et le pardon. Toutes choses qui firent qu’au plus fort de la crise sociopolitique de la fin des années
1980, tandis que des manifestants lui jetaient des cailloux dans les rues de Cotonou, il interdira à son
fameux Bataillon de la garde présidentielle (BGP) de tirer. Mieux, il refusera ainsi que le lui suggéraient
certains caciques du PRPB de mettre un terme à la Conférence des forces vives de la nation de février
1990 quand certains conférenciers commencèrent à s’attaquer à sa personne, et enfin il refusera ainsi
que le BGP en avait l’intention de ne pas passer le pouvoir à Nicéphore Soglo et de se laisser déposer par
un simulacre de coup d’Etat.
Le Général Mathieu Kérékou fera aussi la paix avec celui qu’il considéra longtemps comme son pire
ennemi, en l’occurrence l’ancien président Emile-Derlin Zinsou. Il en fit de même avec feu le Roi Hassan
II du Maroc et feu le président Omar Bongo Odimba du Gabon; tout cela en rapport avec l’agression
armée du Bénin par le commando du mercenaire Bob Denard le 16 janvier 1977.

Par Jean Kebayo

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