Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
com
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Anthropologie de la mort.
LA MORT
AFRICAINE
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Bibliothèque Scientifique
LOUIS-VINCENT THOMAS
Professeur à l'Université de Paris V,
membre fondateur de la Société de Thanatologie
L A M O R T
A F R I C A I N E
PAYOT, PARIS
106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
1982
Retrouver ce titre sur Numilog.com
INTRODUCTION
monde (et que nous avons déjà abordés dans les Cinq essais sur la mort
africaine et l'Anthropologie de la mort).
Précisons notre position. Nous ne pensons pas avec certains
militants africains qui se veulent de gauche que la culture tradition-
nelle doive être rejetée en tant que conception archaïque et révolue,
incompatible avec le modernisme; elle aurait, pense-t-on, donné la
preuve de son inefficacité en ne résistant pas à l'incursion de la
civilisation occidentale. Mais l'histoire nous apprend que des cultures
très élaborées ont été détruites par des conquérants dont la seule
supériorité venait de leur nombre ou de leurs moyens militaires. En
Afrique, on devrait plutôt s'étonner qu'une longue période d'assimi-
lation et de sabotage culturel ne soit pas venue à bout des valeurs
ancestrales dont nous pouvons encore aujourd'hui vérifier les forces
vives. En revanche, nous ne partageons pas non plus les options des
apôtres inconditionnels de la négritude ou de l'authenticité hors
desquelles il n'y aurait point de salut. L'Afrique traditionnelle n'est
nullement un modèle de sainteté ; elle a connu des guerres impitoya-
bles pour accroître le prestige, la richesse, la force de travail (captifs,
rapts de femmes), pour assurer l'hégémonie politique, économique
ou religieuse; elle a eu aussi ses guerriers ambitieux (tel Chaka, le
chef zulu du XVIII siècle) et même ses divinités martiales (Gun ou Gu
dans les royaumes yoruba et fon). D'ailleurs, à propos de l'idéologie
funéraire, nous verrons qu'elle sert le pouvoir gérontocratique et
donne lieu à un circuit d'échanges beaucoup plus motivé par la
compétition que par des préoccupations égalitaristes. Il n'est donc
pas question de démontrer que l'Afrique traditionnelle détient la
sagesse idéale en ce qui concerne l'attitude de l'homme devant la
mort. Et il va de soi que les croyances et comportements qu'elle
implique ne sauraient se maintenir comme tels face à la modernité.
Mais les dénigrer et les rejeter systématiquement, c'est se priver d'un
apport susbtantiel dont les leçons pourraient être prises en compte
pour éviter à l'Afrique de demain les erreurs de l'Occident d'aujour-
d'hui. Avec ce livre, il ne s'agit pas de rêver de retour aux sources en
se voilant la face en présence des difficultés que traversent actuelle-
ment les populations africaines. Simplement, nous avons voulu
porter témoignage d'une entreprise humaine d'une richesse qui
pourrait éclairer les orientations à venir.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
L'idéologie funéraire
Notre parti pris étant rigoureusement culturel, nous ne prendrons
donc en considération que les croyances, les mentalités, les attitudes,
les rites dont l'ensemble constitue ce que nous appelons l'idéologie
funéraire. Comme toute idéologie, elle dit beaucoup mais jamais tout,
elle est à la fois « allusion et illusion » selon les termes d'Althusser. Il
n'est donc pas aisé de la décrypter et nous ne sommes pas toujours
sûrs d'apercevoir les véritables tenants et aboutissants qui justifient
tel geste ou telle parole.
Une première remarque s'impose concernant le système de repré-
sentations qui ordonne les divers processus rituels : il obéit à une
dialectique d'expansion et de rétrécissement. Expansion d'abord : la
mort d'un sujet contamine ses proches ; les deuilleurs, tout particuliè-
rement la veuve ou le veuf, sont morts symboliquement pendant
toute la durée du deuil; à des degrés moindres, la mort touche
également l'ensemble de la parenté et de l'alliance, la classe d'âge et
tout le village qui, dans les cas typiques, se mobilisent pour célébrer
les funérailles. Rétrécissement ensuite avec les rites d'adieu, l'inhu-
mation et la levée du deuil. Enfin, avec les rites de commémoration et
le culte des ancêtres s'ouvre une nouvelle phase d'expansion, à cela
près que les défunts révérés et réintégrés se sont transformés en
protecteurs potentiels. Ainsi, dans un premier temps, quand la mort
est dans la place, il faut composer avec la négativité qu'elle introduit,
se réorganiser et l'éliminer ; dans un second temps, le groupe repart
sur un ordre nouveau en comptant avec la valeur positive de l'ancêtre.
L'idéologie funéraire se situe au point de rencontre d'un double jeu
de forces. D'une part, les pulsions et fantasmes de l'inconscient
universel que la psychanalyse a révélés et que l'on reconnaît malgré
les aspects particuliers que leur confère la culture africaine (angoisse
de culpabilité, désir de retenir le mort, peur de son agressivité,
exaltation libidinale en présence de la mort...). D'autre part, les
déterminants liés à l'enracinement démographique, politique et
socio-économique dont on ne peut ignorer l'importance, bien que ce
ne soit pas l'objet de cet ouvrage. C'est en effet parce que l'Afrique
est pauvre en outils et en techniques qu'elle exalte les symboles et les
signes, qu'elle attribue au verbe des pouvoirs exceptionnels : verbe
qui donne la vie ou qui tue, verbe qui protège avec le nom, verbe qui
authentifie avec le mythe. Faute de pouvoir maîtriser l'environne-
Retrouver ce titre sur Numilog.com
CHAPITRE PREMIER
a) La bonne mort
et au-delà de son trépas. Une telle mort est bien en effet une bonne
mort ; elle n'est pas la destruction de la personne et l'annulation de
son destin mais la condition de leur épanouissement.
c) La mort désirable
Lorsque les hommes vivaient au ciel, ils ne mouraient pas. Comme ils
devenaient trop nombreux, Dieu avec l'aide du Forgeron en envoya un
certain nombre sur la terre où ils s'organisèrent en deux groupes : les Maîtres
de la Terre qui régnaient sur le froid et le sec et les Maîtres de la Pluie qui
régnaient sur le chaud et l'humide. Le monde était donc parfaitement
équilibré : quand les Maîtres de la Pluie augmentaient la chaleur, cela
provoquait la sécheresse de la terre ; alors les Maîtres de la Terre augmen-
taient le froid pour déclencher la pluie. Pour les mêmes raisons d'équilibre,
les Maîtres de la Pluie, destinés à mourir, n'avaient aucun contact avec leurs
morts et les Maîtres de la Terre, immortels, faisaient le travail de fossoyeurs.
Les premiers étaient contents de leur sort et ne disaient rien; quand l'un
d'eux mourait, ils organisaient les fêtes des funérailles et mangeaient le lalso
(plat préparé par les femmes du lignage du défunt). Mais les Maîtres de la
Terre étaient jaloux ; ils voulaient aussi manger le lalso. Alors, ils envoyèrent
deux messagers en brousse afin d'acheter la Mort pour le prix d'un chat. Ils
finirent par l'obtenir en échange d'un bœuf et devinrent les égaux des Maîtres
de la Pluie. Tant pis si l'harmonie du monde fut perturbée ; en effet, il faudra
désormais compter avec les aléas des saisons, la sécheresse et les mauvaises
récoltes : c'était cela le vrai prix à payer pour jouir de la vie.
— Dieu avait créé l'homme pour durer toujours. Pas de mort. Il voulut
voir si les hommes étaient sages. Il vint avec deux paquets qu'il mit devant
eux et demanda : « Voulez-vous le paquet de la mort ou la paquet de la vie
éternelle ? » Les hommes ont choisi le paquet de la mort car ils craignaient de
devenir trop vieux et de supporter les infirmités de la vieillesse. Dieu, quand
il constata ce choix, se retira, fâché.
— Ata Emit ayant créé le premier homme lui donna une femme. Il les
appela un jour et leur montra deux sacs dont le plus grand était bourré de
cadeaux, denrées comestibles et biens utilitaires. Il contenait aussi la mort.
L'autre, plus petit, contenait l'immortalité. « Lequel choisissez-vous ? »
demanda Ata Emit. L'homme hésita. Mais la femme insista pour obtenir les
biens. Ils prirent le grand sac et l'emportèrent. Et depuis tous les hommes
doivent mourir.
— N° d'impression : 376-190.
Dépôt légal : septembre 1982.
Imprimé en France
Bibliothèque Scientifique
LAMORTAFRICAINE
Confronté à un environnement souvent hostile dont il est
étroitement dépendant, l'Africain vit en familiarité avec la
mort. A défaut d'outils et de techniques pour pallier le risque
permanent de mourir de faim ou de maladie, sa culture lui
fournit une exceptionnelle disposition à manier les symboles
pour transcender l'angoisse de la précarité. La mort indivi-
duelle n'est qu'un moment du cycle vital; elle ne saurait porter
atteinte à la continuité de la vie car elle en est la condition
implicite. Cette signification particulière donnée à la mort est
attestée par les mythes.