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Micheline Fasciato

Les associations professionnelles romaines du Ier au IIIe siècle,


d'après les inscriptions d'Ostie
In: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 61, 1949. pp. 237-241.

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Fasciato Micheline. Les associations professionnelles romaines du Ier au IIIe siècle, d'après les inscriptions d'Ostie. In:
Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 61, 1949. pp. 237-241.

doi : 10.3406/mefr.1949.8517

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-4874_1949_num_61_1_8517
VARIETES

LES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES ROMAINES


DU Ier AU IIIe SIÈCLE

D'APRÈS LES INSCRIPTIONS D'OSTIE

Résumé du Mémoire présenté à l'Académie des Inscriptions

PAR
Mlle Micheline Fasciato

Depuis la fin du xixe siècle, les associations professionnelles romaines


ont fait l'objet de bien des études et, si, depuis la publication de l'ouvrage
fondamental de Waltzing, les historiens semblent avoir porté à ce sujet
une attention moins soutenue, les juristes ont continué, pour leur part, à
s'attacher à l'énigme du droit d'association chez les Romains.
Pour les uns et les autres, il semble en général admis que les associa
tions,professionnelles ou autres, sont organisées selon un modèle idéal
décrit surtout d'après ce que l'on peut savoir des fabri tignuarii. Collegia
et corpora sont, dans bien des cas, donnés comme des termes interchan
geables.La plupart des argumente sont empruntés à des sources juri
diques ou l'interpolation, certaine ou supposée, joue un rôle plus ou
moins grand, tandis que les documents épigraphiques ne fournissent
qu'un complément d'information. Il nous a donc paru souhaitable de
suivre la démarche inverse et d'interroger d'abord ces derniers, souvent
plus proches de la vie quotidienne, et plus spécialement les inscriptions
trouvées en si grand nombre à Ostie.

Une première remarque s'impose : le nom de corpus s'applique exclu


sivement aux associations professionnelles, tandis que celui de -collegium
désigne également les associations funéraires ou religieuses ; le seul cas
ambigu est celui des dendrophores, ainsi qu'on pouvait l'attendre d'une
association aux multiples aspects. *
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A côté des quelque vingt et un corpora dont les inscriptions d'Ostie
nous ont livré les noms, une seule association se dit toujours et unique
mentcollegium : celle des fabri tignuarii, pour lesquels nous possédons
plus d'une vingtaine d'inscriptions dont plusieurs datées et découvertes
in situ. Jamais, même dans la titulature la plus complète de ce collegium,
ne se rencontre la mention « quitus ex senatus consulto coire licet ».
D'autre part, Ostie ne parait pas avoir connu, comme tant d'autres cités,
un groupement réunissant les trois collèges principaux, collegium fabrum,
centonariorum et dendrophorum ; le second y est même complètement
ignoré, peut-être parce que la ville comptait déjà un détachement des
vigiles et n'avait ainsi nul besoin d'un corps supplémentaire de pomp
iers *, les dendrophores, comme les fabri, sont toujours cités isolément.
La série d'inscriptions qui nous a conservé le souvenir des lustres du co
l egium fabrum tignuariorum permet de faire remonter la fondation de
celui-ci à l'année 62, donc postérieurement à celle des fabri tignuarii de
Rome, constitués selon les calculs, d'ailleurs contestés, de Waltzing, en
7 ap. J.-G. A Ostie, on ne rencontre guère d'association professionnelle
plus ancienne.
Doyen des collegia professionnels, le collegium fabrum tignuariorum
est aussi celui dont l'organisation répond le mieux à la description cou
rante de l'association constituée ad exemplum rei publicae : les adhérents
sont répartis en seize décuries d'une vingtaine de membres, parmi les
quels les premiers forment le conseil des décurions, sous la direction des
magistri quinquennales; ceux-ci, tous les cinq ans, procèdent aux cér
émonies du lustre. Le lieu de réunion du collège a été retrouvé : c'est la
maison des triclinia, proche du forum, datant dans son état actuel du
ne siècle et où un fragment d'album encore en place rappelle la destina
tion du lieu. Tous les quinquennales connus appartiennent à la profession
et la plupart ont, en outre, revêtu des charges municipales qui les classent
parmi les citoyens aisés. Aucun document ne nous parle encore d'obliga
tions ou d'immunités liées à l'appartenance à ce collège. La seule asso
ciation qui se dise collegium est également la seule qui, par son organisa
tion et son activité essentiellement récréative, se rapproche nettement
des associations non professionnelles.

Bien différents apparaissent les corpora. Aucun d'eux ne présente une


organisation aussi poussée que celle des fabri tignuarii; aucun non plus
ne remonte à une date aussi ancienne et, pour le plus grand nombre
d'entre eux, une fonction d'intérêt public à remplir semble la raison
d'être du groupement ; c'est là un point important qui accentue la diff
érence entre le corpus et le collegium. Presque tous les corpora d'Ostie, il
est significatif de le constater, groupent des professions rattachées soit à
la batellerie, soit au commerce et à la manutention des grains. Les témoi
gnages épigraphiques, apparus dès 145 pour les bateliers et peu après
pour les boulangers, sont particulièrement denses pour les années 160 à
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220. Sans doute est-ce seulement à Sévère-Alexandre que les textes an
ciens attribuent l'extension du système corporatif, mais la raréfaction
des inscriptions, que tant de causes peuvent expliquer, ne nous autorise
pas à tirer des conclusions certaines.
Dénué de tout rôle religieux ou récréatif, le corpus, loin de rassembler
de pauvres gens unis pour la défense de leurs intérêts, groupe, à Ostie, des
personnages économiquement très puissants. P. Aufldius Fortis en cons
titue, choisi entre plusieurs, un assez bon exemple. Son activité paraît
s'être exercée vers le début du 11e siècle ; quinq\uennalis perpetuus des
mercatores frumentarii, il est patron du corpus mensorum et du corpus
urinatorum ou des plongeurs ; duumvir de la colonie, il ne dédaigne pas
non plus de se dire decurto adlectus Africae Hippone Regio; or, dans
l'arrière pays d'Hippo Regius et plus particulièrement dans la vallée de
la Seybouse, le nombre des Aufidii affranchis, ou affranchies, avec sou
vent des surnoms caractéristiques — Aufldia Colonica, Aufîdia Fundana
— laisse entrevoir que notre Aufidius devait posséder là de vastes do
maines producteurs de blé. A Ostie, l'un de ses affranchis élève une dédi
cace au nom des domini navium Afrarum universarum item Sardorum en
l'honneur du patron du corpus curatorum navium marinarum. Product
ion, transport et commerce du blé semblent donc avoir été concentrés
entre les mains de quelques personnages comme les Aufidii, qui, par
eux-mêmes ou leurs affranchis, disposaient de l'approvisionnement de
Rome. Ce sont là les hommes que l'on trouve groupés en corpora.
On comprend dès lors la portée et l'urgence des mesures prêtées à Tra-
jan, auquel les sources anciennes attribuent sinon la création, du moins
l'organisation du corpus des boulangers, mesure qui devait préluder à
beaucoup d'autres. Aux ententes vraisemblablement privées qui exis
taient déjà entre ces maîtres du marché, l'empereur, moyennant l'ét
ablissement d'un contrôle officiel, donna le statut de corpus que nous
serions bien empêchés de définir si d'autres professions, également d'in
térêt public, ne venaient nous offrir des termes de comparaison.
Les associations de la batellerie sont, à cet égard, les plus instructives :
toutes ne forment pas des corpora, mais toutes, à des degrés divers,
tombent sous l'emprise de l'État, depuis le simple corpus scaphariorum
trajectus Rusticélli, établi sur des domaines impériaux et l'un des plus
anciens de la ville, jusqu'aux énigmatiques corpora curatorum, officiels
sans doute, puisque composés de personnages officiels.
Bien que le rôle de ces derniers soit souvent obscur et ait fait l'objet de
mainte discussion, il semble, en effet, assuré que ces curatores n'apparte
naient pas à la hiérarchie corporative ; leur groupement même en corpus
le prouve : imaginerait-on un corpus quinquennalium? Ils se trouvaient le
plus souvent affectés aux groupements dépourvus d'organisation corpo
rative normale, tels ceux des naviculaires ; ainsi rencontre-t-on, par
exemple, des curatores navium Carthaginiensium, des curatores navium
marinarum. Loin d'appartenir au personnel navigant, ils semblent plutôt
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préposés aux navires des différents ports provinciaux et font figure de
personnages puissants que les armateurs tiennent à se ménager, les choi
sissant comme patrons de leurs associations.
On aurait pu s'attendre à trouver les naviculaires groupés, eux aussi,
en corpora, mais il n'en est rien, à Ostie du moins, et, à première vue, jus
qu'au Bas-Empire et mis à part les naviculariorum marinorum Arelaten-
sium corpora quinque, le reste du monde romain paraît également avoir
connu des naçicularii plutôt que des corpora naviculariorum. Pourtant,
on n'en saurait douter, les naviculaires étaient groupés: des dédicaces col
lectives le suggèrent et les privilèges que, depuis Claude, les empereurs
leur ont octroyés invitent à penser que leur trafic n'échappait pas enti
èrement à la surveillance du gouvernement ; mais ces groupements de
vaient être dépourvus et de titre et d'organisation régulière. Faut-il en
déduire que la puissance des naviculaires aurait tenu pour dérisoires les
statuts d'un modeste collegium ou bien qu'elle semblait au prince chose
trop redoutable pour qu'il pût tolérer chez elle ce qui existait chez les
fabri tignuarii par exemple? L'organisation collective d'une profession
parait, en effet, d'autant moins poussée que cette profession revêt plus
d'importance aux yeux du gouvernement. A cet égard, il est caractéris
tique de noter qu'en aucun cas le corpus n'offre en petit l'image d'une r
épublique comme le fait le collegium et qu'une profession est d'autant plus
étroitement surveillée que son organisation corporative est moins
poussée.
Ces remarques aident à saisir les propos d'interprétation souvent mal
aisée tenus par les juristes latins sur les associations professionnelles. En
premier lieu, les deux termes corpus et collegium ne sont pas interchan
geables.Recouvrant une forme d'organisation moins poussée, sans as
semblées régulières ni lustres, le nom de corpus est aussi le seul, à Ostie,
après lequel se rencontre parfois la mention α cui ex senatus consulto coire
licet », comme si, pour une telle catégorie d'associations, la chose n'allait
pas de soi. Rien de semblable ne se produit pour le collegium. D'autre
part, tandis que les sources font de fréquentes allusions à des collegia illi
cita, jamais elles ne laissent supposer qu'un corpus puisse être illicite,
comme si le fait même de constituer un corpus supposait une initiative
officielle; mais, pour toutes les circonstances à propos desquelles ces
mêmes sources juridiques assimilent les corpora aux collegia, elles pré
cisent toujours « corpora quibus ex senatus consulto coire licet », comme si
c'était ce dernier privilège qui créait la ressemblance, privilège qui, à
Ostie, n'est concédé qu'aux associations groupant les personnes les moins
considérables, telles les pelliones ou les fabri navales.
Le corpus apparaît donc plutôt comme une sorte d'existence légale,
comme un statut entraînant pour les bénéficiaires le droit d'avoir une
caisse commune et d'ester en justice par l'intermédiaire de représentants
qualifiés, mais non celui de s'organiser comme un petit État. Lorsque,
par surcroît, l'association reçoit le droit de tenir des assemblées régu-
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lières, elle devient « corpus cui ex senatus consulto coire licet », capable
depuis Marc-Aurèle, tout comme le collegium, de recevoir des legs. Mais,
si elle prétend indûment ressembler en tous points à un collegium, elle
entre dans la catégorie des collegia illicita. Le corpus est la récompense
dont l'État paie ceux dont il aliène une partie de l'activité et le mot finit
tout naturellement par désigner une forme d'association où les membres
ne sont plus entièrement libres dans leurs entreprises.
Dans ces conditions, il est vain de se demander qui, de l'État ou des
particuliers, est à l'origine des associations professionnelles. L'État se
trouve devant des ententes conclues entre des entreprises importantes ;
il cherche à en faire ses instruments et, pour compenser les pertes qui ré
sulteront pour elles de la réglementation de leur activité, il leur accorde
un statut particulier, le corpus.
Tant que les privilèges se sont révélés substantiels, la question du
recrutement des corpora ne s'est naturellement pas posée. Pour le
il« siècle, époque de la naissance des corpora, rien n'atteste encore l'obl
igation d'entrer dans aucun d'eux.
Micheline Fasciato.

Mélanges d'Arch. et d'Uist. 1949. 16

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