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Orchestral Conducting in the Nineteenth Century

(Roberto ILLIANO et Michela NICCOLAI, dir.)


Turnhout, Brepols, 2014, p. 363-388

LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE:
D'UN OBJET HISTORIQUE INÉDIT
'A DE NOUVELLES PRATIQUES MUSICALES

Rémy Campos
(PARIS- GENÈVE)

spécialisés dans les musiques baroque

D
EPUIS VINGT ANS, LES CHEFS D'ORCHESTRE
et classique ont été de plus en plus tentés de diriger le répertoire symphonique
et lyrique romantique. Ces musiciens ont adopté deux grands principes pour
l'exécution des œuvres du xrxe siècle: l'emploi d'instruments d'époque d'une part,
l'application à la musique romantique de modes de jeu datant du tournant des xvme
et xrxe siècles d'autre part. Le second postulat est pour le moins étonnant puisqu'il
revient à soutenir que l'on jouait la musique en 1830 comme en 1780. La position
est historiquement défendable: elle met l'accent sur l'inertie des usages plus que sur
leur renouvellement et l'on verra plus loin (documents à l'appui) que la révolution des
pratiques orchestrales a lieu au milieu du xrxe siècle plutôt qu'au début de la période
habituellement qualifiée de romantique. Dans les faits toutefois, le parti- pris interprétatif
qui consistait à appliquer les savoir-faire rôdés avec les œuvres classiques à des répertoires
postérieurs fut décidé plus souvent par défaut que par conviction épistémologique (il est
évidemment moins coûteux de refaire ce qu'on maîtrise déjà plutôt que de travailler à
nouveau frais). D'autres anachronismes étaient moins défendables. Ainsi la plupart des
chefs convertis à l'exécution des partitions romantiques sur instruments d'époque ont
continué à diriger à la manière moderne, avec baguette ou avec leurs mains, des œuvres
qui n'avaient connu à leur création que le violon conducteur 1 •

FULD, James]. 'Nineteenth-Century Operatic Violin Conductors' Scores', in: Notes, 2 nd s., xxxr/2
(décembre 1974), pp. 278-280; STRELETSKI, Gérard. 'Les chefs d'orchestre-violonistes dans la France du
xrx< siècle', in: Du baroque à l'époque contemporaine. Aspects des instruments à archets, Anne Penesco éd., Paris-
Genève, Champion- Slatkine, 1993, pp. 87-106.
RÉMY CAMPOS

TABLEAU I
LE TOURNANT ROMANTIQUE DES CHEFS BAROQUES AU DISQUE

John Eliot GARDINER


- Symphonie en ut majeur et l'Arlésienne de Bizet (199 1)
- Ein Deutsches Requiem de Brahms (I 991)
- Harold en Italie de Berlioz ( I 996)
- Symphonies n• 1 et n• 4 de Schumann (2004)
- Symphonie n• 1 de Brahms (2oo8)
Philippe HERREWEGHE
- Requiem de Fauré (1988)
- Das Lied von der Erde de Mahler (1993)
- Ein Deutsches Requiem de Brahms (1996)
- Symphonie n• 7 de Bruckner (2004)
-L'Enfance du Christ de Berlioz (2007)
Marc MINKOWSKI
-La Dame blanche de Boïeldieu (1997)
- Orphée aux Enfers d'Offenbach (1999)
- Symphonie fantastique de Berlioz (2003)
- Offmbach Romantique (2006)
- L'Arlésienne et Carmen (2008)
Hervé NIQUET
- La Cambiale di matrimonio (2008)
- Claude Debussy et le Pn'x de Rome (2009)
- Saint-Saëns et le Prix de Rome (20IO)

Alors même que la résurrection des répertoires anciens et très anciens repose depuis
plus d'un siècle sur une collaboration étroite entre musiciens et chercheurs, ce type de
négligence historique est assez inattendu. Contrairement à ce qui s'était passé pour la
musique médiévale ou pour la musique baroque, les musicologues ne semblent avoir joué
j usqu'ici qu'un rôle secondaire dans l'entreprise «d'information historique» appliquée au
répertoire romantique.
Arrêtons-nous sur l'intégrale des neufs symphonies de Beethoven réalisée par John
Eliot Gardiner en I994- Dans la pochette qui accompagne le coffret, la parole est donnée
à Jonathan Del Mar dans un texte intitulé: «Les sources utilisées pour cet enregistrement».
Le rôle du musicologue s'y révèle limité à la mise au point d'un texte musical correct. La
collaboration de Del Mar était d'autant plus importante pour le projet (comme il l'explique
lui-même) que l'on ne dispose pas d'édition Urtext complète des symphonies de Beethoven,
leur genèse complexe ayant découragé les chercheurs 2 •
Tout au long du texte, le musicologue parcourt les partitions pour indiquer à
l'auditeur les particularités de l'édition ayant servi à l'enregistrement. Par exemple:

•. Jonathan Del Mar a publié sa propre édition critique des symphonies de Beethoven en neuf volumes
(Kassel, Barenreiter, 1997-2000).
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

SYMPHONIE N° 4
La découverte la plus intéressante se situe ici à la mesure 3I du finale,
dans la partie de timbales: de tonitruantes doubles croches remplacent les croches
plus paisibles, qui ne sont correctes que dans la mesure suivante. Ceci ressemble
beaucoup au passage bien connu du premier mouvement de la Neuvième, où de
nombreux chefs savent depuis longtemps que l'autographe comporte des doubles
croches aux trompettes et aux timbales (mesure 300, juste avant la réexposition).
Les deux copistes ont simplement noté un trait en travers des blanches au lieu
de deux. Mais plus importante encore est la révision que fit Beethoven dans le
premier mouvement (mesure 26) aux premiers violons, qui jouent maintenant
pizzicato jusqu'à la mesure 29, comme les seconds et les altos3 •

Toutes ces variantes peuvent sembler dérisoire. L'apport du musicologue est, en effet,
réduit à des corrections philologiques qui paraissent servir de caution au projet historiciste
porté par le chef d'orchestre: interpréter sur instruments d'époque un texte dont l'authenticité
est garantie par une autorité scientifique. L'action du musicologue a ici peu d'incidence sur le
résultat sonore mais la légitimité du projet artistique pâtirait de son absence.
Sur d'autres terrains, la coopération des interprètes et des chercheurs avait pourtant
donné des résultats encourageants. Si l'on parcourt la littérature musicologique consacrée
dans les dernières années à l'interprétation historique de la musique romantique et post-
romantique, l'un des champs de recherche les plus largement développés est celui de la
musique de clavier - les pièces de Beethoven et de Chopin ayant été particulièrement
étudiées. Modes de jeu et organologie ont beaucoup intéressé les musicologues dont les
travaux ont nourri de nombreux enregistrements sur instruments d'époque 4 •
Tous les chantiers n'ont néanmoins pas bénéficié de la même ferveur applicative. Bien
que l'on connaisse désormais mieux la malléabilité des opéras de Rossini ou de Verdi, sans
cesse modifiés par les directeurs de théâtre, les chanteurs ou les auteurs eux-mêmes ainsi que
les usages d'ornementation et d'improvisation qui transformaient considérablement ce qui
était noté dans les partitions 5, les pratiques lyriques vivantes sont demeurées imperméables
au renouveau des savoirs historiques.

DEL MAR, Jonathan. 'Les sources utilisées pour cet enregistrement', in: Beethoven. 9 Symphonies,
Orchestre révolutionnaire et romantique, John Eliot Gardiner, 5 CD, Archiv Produktion, 1994, p. 57 du
livret.
4
• Sur le seul cas Chopin, on renverra aux publications récentes suivantes: Interpréter Chopin. Actes du
colloque des 25 et 26 mai 2006, Jean-Jacques Eigeldinger éd. Paris, Musée de la musique, Cité de la musique,
2006 (Les Cahiers du Musée de la musique); EIGELDINGER,Jean-Jacques. Chopin et Pleyel, Paris, Fayard, 2010;
Chopin e il suono di Pleyel. Arte e musica ne/la Parigi romantica. Collezione di strumenti musicali di Femanda Giulini 1
Chopin and the Pleyel Sound. Art and Music in Romantic Paris. Instruments Collection of Fernanda Giulini 1 Chopin
et le son Pleyel. Art et musique dans le Paris romantique. Collection d'instruments musicaux de Fernanda Giulini,
Florence Gétreau éd., Briosco, Villa Medici Giulini, 2010 (Alla ricerca dei suoni perduti. Appendice, 3).
s. Voir par exemple: GossETT, Philip. Divas and Scholars. Performing Italian Opera, Chicago, University
of Chicago Press, 2006.
-
RÉMY CAMPOS

Si l'on revient aux pratiques symphoniques dont nous étions parties, on constate que
la musique d'ensemble a été abondamment traitée par les historiens à travers des thèmes
comme l'émergence du chef d'orchestre ou comme le placement des instrumentistes dans
les orchestres 6 • Cependant, non seulement de nombreux aspects demeurent à explorer
mais une véritable collaboration avec les musiciens reste à inventer. C 'est ce que nous
nous sommes efforcés de faire dans le cadre de deux projets de recherche appliquée dont
la genèse et la réalisation seront présentées ici.

L'ÉCONOMIE DE LA RÉPÉTITION

Au point de départ de notre réflexion , il y eut une plongée en archives. Au cours


d'une enquête sur les premières années du Conservatoire de Musique de Genève 7 , nous
avions rassemblé les traces détaillées du fonctionnement d'une société d'orchestre comme
il en existait des dizaines en Europe - la Société de Musique de Genève (1823 -1842).
Dans les procès- verbaux des comités, dans les programmes de concert, dans les comptes
rendus de presse des activités publiques de cette institution, on entrevoyait un e manière de
p enser le concert qui n'avait rien de commun avec les usages modernes en dépit du fait que
beaucoup des œuvres qu'on y jouait figuraient encore aujourd'hui à l'affiche des concerts.
Ce dossier d'archives pouvait être traité comme une étude de cas supplémentaire
complétant la connaissance d'un mouvement commun à l'ensemble de l'Europe 8 : celui
qui vit le passage des programmes pots-pourris aux soirées épurées et sérieuses, celui qui
modifia le personnel des orchestres d'où les amateurs disparurent progressivement, celui qui
transforma la pratique d'orchestre entre 1820 et 186o et vit le premier violon conducteur
céder la place à un chef avec baguette.
Une question demeurait nonobstant en suspens: la façon concrète dont les musiciens
genevois avaient préparé leurs concerts. Contre toute attente , les partitions qui auraient du
nous renseigner -les matériels d'orchestre utilisés par la Société de Musique puis rach etés

Parmi les études les plus emblématiques: KouRY, Daniel ]. Orchestral Performance Practices in the
N ineteenth Century: Size, Proportions, and Seating, Ann Arbor (MI), UMI Research Press, 1981; The Cambridge
Companion to Conducting, José Antonio Bowen éd., Cambridge-New York, Cambridge University Press,
2005 (Cambridge companions to music); Musique, Images, Instruments: Orchestres aux xvut et x!X siècles:
composition, disposition, direction, représentationr, n° 12 (2on).
7
• CAMPOS, Rémy. Instituer la musique. Les débuts du Conservatoire de Genève (1835- 1859), Genève, Éditions
Université-Conservatoire de Musique de Genève, 2003 (Musiques à Genève. Monographies, 2).
8
• AuDÉON, Hervé. 'État des orchestres en Europe à la fin du xvrn< siècle: le cas de la France', in:
Musique ancienne - instruments et imagination, Michael Latcham éd., Berne, Peter Lang, 2006 (Publications de
la Société Suisse de Musicologie, u/ 46) , pp. 133-1 so; Les Sociétés de musique en Europe, 1700-1920. Structures,
pratiques musicales, sociabilités, Hans Erich Bëdeker et Patrice Veit éd., Berlin, Berliner Wissenchafts-Verlag,
2007 (M usical !ife in Europe I 6oo- 1900: circulation, institutions, representation).

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LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

par le Conservatoire pour ses concerts9 - étaient muettes. Les parties séparées que les
instrumentistes avaient posées sur leurs pupitres étaient quasiment vierges d'annotations ce
qui interdisait toute étude poussée des modes de jeu d'époque et surtout ne documentait
aucunement la façon dont se déroulait le travail.
En approfondissant nos recherches et en les élargissant de Genève au monde
francophone, nous avons rapidement constaté que la répétition était le point aveugle de
l'étude des pratiques musicales anciennes: pas ou presque d'iconographie (les rares images
du XIXe siècle montrant des orchestres privilégient les concerts publics), des contemporains
guère loquaces (la presse n'aborde presque jamais le sujet), des dictionnaires quasiment
muets. Parmi ces derniers, seul celui de Castil-Blaze (1821) faisait exception:

RÉPÉTITION, s. f. En italien prova~ essai que l'on fait en particulier d'un


opéra, ou d'un morceau de musique que l'on veut exécuter en public. Les
répétitions sont nécessaires pour s'assurer que les copies sont exactes, pour que
les acteurs puissent prévoir leurs parties, pour qu'ils se concertent et s'accordent
bien ensemble, pour qu'ils saisissent l'esprit de l'ouvrage, et rendent fidèlement
ce qu'ils ont à exprimer. Les répétitions servent au compositeur même, pour
juger de l'effet de ses ouvrages, et faire les changemens dont ils peuvent avoir
besoin' 0 •

La définition de Castil-Blaze met en avant les fonctions de la répétition sans en


détailler l'organisation. Sans doute parce que chaque société d'orchestre ou que chaque
théâtre avait ses propres habitudes. En effet, il faut attendre les années 18 3 o- 1840 pour
trouver, sous la plume de chefs d'orchestres parisiens tels Georges Kastner ou Hector
Berlioz, des discours formulant des règles générales pour les répétitions. L'étude du cas
genevois nous a amené à penser que la répétition n'était pas qu'un problème artistique.
Dans le cas du théâtre, par exemple, elle relevait clairement de l'économie du spectacle,
les contraintes organisationnelles et financières étaient très astreignantes 1 1 • Dans la sphère
du concert, elle était- au moins jusqu'au milieu du siècle - une affaire de sociabilité, les
amateurs composant le gros des orchestres européenS 12 •

9. Le fonds est actuellement éclaté entre trois institutions de conservation (Conservatoire de Musique,
Bibliothèque musicale de la Ville de Genève et Bibliothèque de Genève); CAMPOS, Rémy. 'Histoire de
l'interprétation et histoire des bibliothèques: le cas des matériels de la Société de Musique de Genève (r 823-
2006)', in: Fontes Artis Musicœ, uvlr (2006), pp. 78-99. On y trouve des pièces de Auber, Beethoven,
Boïeldieu, Cimarosa, Haydn, Mayr, Méhul, Mercadante, Mozart, Pacini, Rossini, Weber, etc., autrement
dit le fond courant de toute société de musique de la même époque.
10
• CASTIL-BLAZE [François-Henri-Joseph Blaze]. Dictionnaire de musique moderne par M. Castii-Biaze, 2
vol., Paris, Au Magasin de musique de la Lyre moderne, r82r, vol. n , p. 215 .
". Storia dell'opera italiana, Lorenzo Bianconi et Giorgio Pestelli dir., 6 vol., Turin, EdT/ Musica, vol.
IV (1987) et vol. V, VI (1988).
u. TAÏEB, Patrick. 'Le Concert des Amateurs de la rue de Cléry en l'an VIII (1799-18oo) ou la résurgence
d'un établissement «dont la France s'honorait avant la Révolution»', in: Les Sociétés de musique en Europe,

RÉMY CAMPOS

Le travail musical au sein de la Société de Musique de Genève était profondément


marqué par la qualité de ceux qui la composaient. C'était dans les salons du musée que
l'élite musicale de la ville se réunissait. Ces locaux entretenaient évidemment une étroite
parenté avec les espaces de réception des hôtels particuliers de la rue des Granges voisine
ou des vastes demeures que la bourgeoisie aisée se faisait alors construire dans la campagne
alentour. Quelle que soit leur noblesse, ces espaces n'étaient pas vraiment adaptés aux
exigences du travail symphonique comme on le comprend à la lecture d'un incident
consigné dans les procès-verbaux des discussions du comité de la société.
En r 823, après plusieurs semaines de fonctionnement, les responsables de la Société
de Musique s'étaient préoccupés de l'amélioration du lieu utilisé pour les répétitions et les
concerts: <<M. Diodati Dejean est chargé de proposer à la Société économique la réunion des
deux salons du Musée en un seul>> 13 • C'est lors d'une séance ultérieure que l'on saisit quelle
était exactement la disposition de l'orchestre dans les deux salons en question. Rendant
compte devant le comité de la première répétition de l'année, Ferdinand Janot explique
qu'on a changé la place de l'orchestre et la disposition des instruments: les auditeurs se
trouvent désormais tous dans la même salle et les chanteurs sont visibles de tous' 4 •
La distribution dans des salons contigus des musiciens et d'une partie des auditeurs
était un usage courant à l' époque 15 • Beaucoup des premières salles publiques ouvertes par
des facteurs d'instruments étaient disposées selon les mêmes principes. Ainsi des salons
que Ignace Pleyel ouvrit à Paris au 9 rue Cadet dès la saison 1827-1828 16 . Il s'agissait d'un
édifice recyclé: un hôtel particulier (dit Cromot du Bourg) bâti en 1766' 7 • Les trois salons

1700-1920. Structures, pratiques musicales, sociabilités, op. cit. (voir la note 8), pp. 81-99; LILTI, Antoine. 'Le
concert au salon: musique et sociabilité à Paris au xvm• siècle', in: Espaces et lieux de concert en Europe, 1700-
1920. Architecture, musique, société, Hans Erich Bodeker, Patrice Veit et Michael Werner éd., Berlin, Berliner
Wissenschafts-Verlag, 2008 (Musical life in Europe r6oo-1900: circulation, institutions, representation),
pp. 125-146; CAMPOS, Rémy. 'Jouer ensemble: une mutation des pratiques orchestrales dans la première
moitié du x1x• siècle', in: Intermédialités. Histoire et théorie des lettres, des arts et des techniques, n° 19 (2012).
'J. Société de Musique de Genève, Procès-verbaux, 20 octobre 1823, Bibliothèque du Conservatoire
de Musique de Genève [la 1 (1)).
4
' • «M .Janot rend compte de la première répétition de l'orchestre qui a eu lieu hier 25 8bre à 6 h . du soir
à l'ancienne salle des concerts du musée. [.. .) L'orchestre, d'après un nouvel arrangement, a été placé dans
l'arrière salle et l'ordre des instruments a reçu une organisation autre que par le passé. Cette disposition de
l'orchestre a l'avantage de réunir les auditeurs dans une seule salle et de mettre les chanteurs en vue de tout
le monde. L'effet de l'orchestre doit y gagner en ce que cette salle étant toute boisée rendra infiniment plus
que la précédente, et en ce que la place étant plus grande cela facilite l'exécution»; Société de Musique de
Genève, Procès-verbaux, PV, 26 octobre 1824 [la 1 (1)) .
' 5• On trouve deux images représentant cette configuration dans: SALMEN, Walter. Haus- und
Kammermusik . Privates Musizieren imgesellschciftlichen Wandel zwischen 16oo und 1900, Leipzig, VEB Deutscher
Verlag ftir Musik, 1982 (Musikgeschichte in Bildern, Band Iv: Musik der Neuzeit, Lieferung, 3), pp. 83, 157.
6
' EIGELDINGER, Jean-Jacques. Chopin et Pleyel, op. cit. (voir la note 4), pp . 22, 27.
' •
7
Ibidem, p. 21.

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LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

orchestre public

orchestre public

In. r: utilisation des salles du Musée de Genève (ancien Casino de Saint-Pierre) avant et après
octobre I 824 d'après la description qui en est implicitement donnée dans les procès-verbaux de la Société
de Musique.

en enfilade de «MM. Pleyel et Cie» occupent une surface modeste: p1ece centrale (6o
m 2 ) , antichambre (40,4 m 2 ) , enfin petit salon (35 m 2 ) 18 • Consacrés dans un premier temps
à l'exposition des pianos à vendre, ces espaces sont rapidement utilisés pour les soirées
musicales organisées par le facteur. On ouvre alors toutes les portes et les auditeurs se
répartissent selon l'affluence dans la pièce principale et ses dépendances.
À la Société de Musique de Genève, les améliorations acoustiques produites par la
modification apportée en r824 sont appréciées mais la nouvelle disposition a l'inconvénient
«de cacher aux spectateurs une grande partie de l'orchestre et de priver l'orchestre lui-même
de la vue des auditeurs. On craint que cette dernière raison ne produise un :facheux effet
sur les exécutans et ne les indispose au point de les rendre moins assidus aux assemblées,

8
Jean-Jacques Eigeldinger pense que les trois pièces ne pouvaient pas contenir plus de roo personnes,
' •

même en tenant compte de l'usage des hommes de demeurer debout (ibidem) .


RÉMY CAMPOS

en les privant d'une partie de l'agrément qu'ils y trouvaient auparavant» 19 • L'orchestre ne


compte alors que huit musiciens gagés 20 • Pour la majorité des membres, la participation à la
Société est autant un acte de la vie mondaine (dans un salon aménagé en salle de concert)
qu'une pratique artistique.
Pour mettre fin à la polémique, le comité décide d'aller se faire une opinion au cours
de la prochaine séance de répétition et déclare que s'il est satisfait il exhortera les musiciens
pour leur faire sentir les avantages de cette disposition <<et combien il est important que
chacun fasse en particulier quelque sacrifice au bien général et surtout à celui du public qui
gagne évidemment à ce changement et qu'il faut contenter avant tout, parce que de lui
dépend l'existence de la Société»21 •
Jusque-là, les auditeurs extérieurs n'étaient finalement à Genève que des acteurs
secondaires de l'économie du concert. Rappelons qu'à la Société de Musique, il existait
trois types de réunions: les répétitions, les soirées musicales (pour les membres) et les
concerts (ouverts à un public payant) 22 • L'essentiel des réunions était donc réservé aux
sociétaires qui jouaient rarement pour d'autres que pour eux-mêmes. Une répétition à la
Société de Musique était moins une plage de travail intensif qu 'un moment partagé entre
gens du même monde où le plaisir musical se mêlait à celui de la conversation. En un mot,
répétition et concert se confondaient souvent et le souci d'efficacité qui dominera dans les
orchestres de la deuxième moitié du siècle était encore absent des esprits.
Une hypothèse pouvait dès lors être formulée: jusqu'au milieu du XIXe siècle, la
manière de travailler des ensembles instrumentaux était radicalement différente de celle qui
s'imposa par la suite. Dans des orchestres où les amateurs étaient plus nombreux que les
professionnels, il était probable qu'on lisait la musique ensemble sans la travailler dans les
détails. Non pas parce que des dilettantes en auraient été incapables a priori mais parce qu'ils
se retrouvaient à l'orchestre pour d'autres motifs. Dans des orchestres où les compétences
étaient aussi variables, les tempi étaient probablement ralentis afin de permettre aux plus
faibles de pouvoir participer à l'exécution. Dans des orchestres où le plaisir d'être ensemble
primait sur la restitution impeccable des œuvres, on demandait sans doute au public une
plus grande tolérance aux imperfections au moment des concerts.
Était-il envisageable de transformer ces conjectures en descriptions irréfutables? Des
éléments de réponse décisifs nous ont été donnés non pas par les archives des sociétés
d'orchestre mais par celles des théâtres lyriques, où les musiciens furent confrontés dès
le deuxième tiers du XIXe siècle à des partitions d'une longueur et d'une complexité
d'instrumentation inconnues jusque-là.

'9 Société de Musique de Genève, Procès-verbaux, PV, 26 octobre 1824 [la I (1)).
•o Ibidem, I I octobre 1824.
'' Ibidem, PV, 26 octobre 1824 [la 1 (1)).
" 'Discours de M. Pictet prononcé à la 1ère répétition à l'orchestre assemblé [le 3 novembre 1823)',
Société de Musique de Genève, Procès- verbaux, 6 novembre 1823, Bibliothèque du Conservatoire de
Musique de Genève (la I (1)).

370
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

L'Opéra de Paris utilisait au moins depuis les années 1830 une sorte de forme originale
de répétitions partielles. Les mémoires du docteur Louis Véron, qui dirige l'institution
de 18 3 1 à 18 3 5, nous font entrer à plusieurs reprises dans le ventre de l'établissement.
L'orchestre comptait alors plus de quatre-vingts musiciens et le même nombre de choristes23 .
La lourdeur de la machine appelait une organisation rigoureuse du travail. Le directeur
était confronté à un jeu de contraintes: peu d'espaces disponibles, calendriers concurrents
des différentes équipes, maîtrise des coûts d'exploitation, spécificité des multiples corps de
métier en présence.
Un passage des mémoires du docteur Véron dévoile un mode de répétition propre
aux musiciens de l'orchestre de l'Opéra qui sans ce récit aurait pu rester mystérieux à tout
jamais. Les matériels conservés par la Bibliothèque-musée de l'Opéra ne portent, en effet,
aucune trace du quintette à cordes tournant décrit par Véron:

Aux premières répétitions, le compositeur tient le piano, et indique aux


maîtres de chant et aux artistes les divers mouvements des morceaux d'ensemble.
Les principaux rôles étudient séparément avec le maëstro les airs, les duos, les
trios, tout ce qu'ils ont à chanter. Lorsqu'un acte est déchiffré, les répétitions au
quatuor commencent, sous la direction du chef d'orchestre; tous les instruments
à cordes, violons, altos, violoncelles et contrebasses, viennent successivement
exécuter cet accompagnement au quatuor. Aussitôt que l'ouvrage est su par les
chœurs et par les sujets, on aborde les répétitions générales pour l'orchestre••.

Ce mode de travail collectif connaît un sérieux bouleversement une vingtaine


d'années plus tard. Au moment de la création du Prophète d'Eugène Scribe et Giacomo
Meyerbeer, la mise à la scène de l'ouvrage demande six mois d'efforts intenses (du 12
novembre 1 848 date de la première répétition avec les chanteurs jusqu'à la veille de la
première le 16 avril 1849). Les éditeurs de la grande partition d'orchestre - Brandus
et Trou penas - proposent aux théâtres qui seraient amenés à reprendre l'ouvrage une
solution inédite qui semble avoir été expérimentée dans la fosse de l'Opéra de Paris au
cours des répétitions du Prophète. L'astuce consiste à insérer dans la partition utilisée par le
chef d'orchestre et dans les parties séparées que les musiciens ont sous les yeux pendant la
représentation des repères dont l'utilisation est exposée dans une note placée au bas de la
table des matières de l'édition imprimée du Prophète:

Les lettres de l'alphabet A B C, etc., qui sont placées de distance en


distance dans la partition se trouvent aussi dans les parties d'orchestre gravées.

•J HERVÉ, Emmanuel. L 'Orchestre de l'Opéra de Paris à travers le cas de «Robert le diable11 de Meyerbeer
(18]1- 1864), Pesaro, Fondazione Rossini, 2012 (Tesi rossiniane, 1).
... VÉRON, Louis. Mémoires d'un bourgeois de Paris par le Docteur L. Véron comprenant: La .fin de l'Empire, la
Restauration, la Monarchie de juillet, et la République jusqu'au rétablissement de l'Empire, 6 vol., Paris, Gabriel de
Gonet, 1854, vol. III, p. 293.

371
RÉMY CAMPOS

Lorsque, dans les répétitions, on est obligé d'interrompre le cours d'un morceau
ou qu'on veut s'arrêter à l'étude d'un passage, il suffit que le chef d'orchestre
indique à quelle lettre ou combien de mesures ava11t telle ou telle lettre on doit
reprendre, ce qui évitera des pertes de temps considérables•s.

LE PROPHÈTE.
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ILL. 2: Le Prophète Opéra en cinq actes, paroles de M. E. Scribe, musique de Giacomo Meyerbeer. Représenté
pour la première fois au Ihéatre du Grand Opéra de Pan·s le 16 avril1849, Paris, Brandus et Ci•/T roupenas et Ci•,
[r8so] .

•s Le Prophète Opéra en cinq actes, paroles de M. E. Scn'be, musique de Giacomo Meyerbeer. Représenté pour la
première fois au Théatre du Grand Opéra de Paris le 16 avril 1849, Paris, Brand us et C'•-Trou penas et Ci•, [ r 8so].
non paginé.
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

Le système semblant avoir donné entière satisfaction, il fut repris pour les opéras
suivants de Meyerbeer (L'Étoile du Nord créée en 1854, Dinorah en 1855, L'Africaine en
I 86 5) dont les partitions éditées comportent toutes des avis du même genre.
L'apparition des lettres-repères marque l'abandon de la répétition cursive car on
peut lire en creux dans le nouveau mode de travail la preuve que les instrumentistes
répétaient auparavant sans fragmenter les œuvres selon les besoins du plan de travail d'un
chef d'orchestre obnubilé par les difficultés à vaincre. L'introduction de repères dans les
matériels d'orchestre révèle aussi la fin du recours exclusif à la mémoire pour se repérer
dans les numéros parfois longs des opéras et des symphonies modernes. Elle scelle, par
ailleurs, la fin du temps long de l'apprentissage des œuvres au profit d'une efficacité du
travail collectif fondée sur la lecture plus que sur l'oreille. Le recours aux lettres et aux
chiffres dénote enfin le renforcement du rôle du chef qui est dorénavant le seul à accéder
à la partition complète et qui se retrouve en position (et rapidement en devoir) d'imposer
sa vision de l'œuvre.
Cette évolution est confirmée par l'émergence de techniques de rationalisation du
travail au sein des orchestres symphoniques au milieu du XIXe siècle. Outre le recours
à un chef d' orchestre6 , après des décennies de direction des ensembles assurée par le
premier violon ou par un joueur de clavier, on constate la multiplication du nombre de
répétitions ainsi que la mise en œuvre de règles d'organisation strictes dont Hector Berlioz
fut le premier théoricien. La systématisation des répétitions partielles (consistant à diviser
les familles instrumentales pour leur faire étudier l'œuvre) à laquelle il contribua dans les
années 1840- I 850 modifia du tout au tout non seulement la manière de travailler mais aussi
les résultats sonores concrets auxquels les ensembles pouvaient prétendre27 .
Au terme de notre enquête, nous aboutissions moins à une histoire de la prise de
pouvoir du chef d'orchestre (incontestable d'ailleurs) qu'à l'histoire plus globale de la
transformation des pratiques d'exécution et de lecture dont l'invention du chef n 'était
qu'un des symptômes. En second lieu, l'hypothèse - au premier abord surprenante-
de répétitions cursives conduites par le premier violon aura été validée non par des traces
directes mais par l'analyse des conditions de leur disparition.
La révolution des habitudes orchestrales n'a finalement pu être reconstituée qu'en
tissant entre eux documents administratifs et musicaux. Ce qui a produit un renversement
des hiérarchies archivistiques puisque les pratiques ont moins été renseignées par les partitions
que par des relations d'activité. Le renversement pouvait être complété par une diversification
radicale de nos sources. Ainsi, ce que les procès-verbaux ou les partitions ne nous disaient pas,
une expérience musicale concrète pouvait peut-être permettre de l'atteindre.

6
' • SouTHON, Nicolas. L 'Émergence de la figure du chef d'orchestre et ses composantes sode-artistiques. La
naissance du professionnalisme musical - François-Antoine H abeneck (1781-1 849), thèse de doctorat, Tours-Paris,
Université de Tours- CNRS/IRPMF, 2008 .
'7 CAMPOS, Rémy. 'Jouer ensemble[ . .. )', op. cit. (voir la note 12) .
RÉMY CAMPOS

UN DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL

Deux mises à l'épreuve de notre hypothèse se sont succédées. À l'automne 2010


d'abord, le projet «De la répétition au concert» mené dans le cadre d'un groupe d'écoles
supérieures dont le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
et la Haute École de Musique de Genève. Puis en juillet 201 r, un deuxième projet -
«Quatuor agrandi» - conduit au sein de l'Académie musicale de la Chaise- Dieu.
Dans la première aventure , la collaboration avec mes collègues responsables de
départements (Pascal Duc à Paris et Patrick Lehmann à Genève) a été capitale ainsi que
le soutien du Palazzetto Bru Zane 28 . L'expérience réalisée en octobre et novembre 2010
se basait sur un cahier des charges proposé au chef d'orchestre et aux musiciens: reprise
de dispositions d'orchestre anciennes, utilisation d'un matériel sans repères, direction par
le premier violon qui ne jouerait pas toute sa partie (pour utiliser à certains moments son
archet) et doublerait les entrées d'autres instruments, réalisation des ports de voix et de la
messa di voce en particulier pour les cordes, adoption de tempi plus lent que ceux en usage
aujourd'hui, enfin emploi du rubato d'orchestre et recherche d'un grain non homogène à
l'intérieur des pupitres (sans coups d'archet uniformes et avec un jeu soliste assumé pour
chaque instrumentiste).
Les œuvres avaient été empruntées au répertoire des premières années de la Société
des Concerts du Conservatoire de Paris: Quatrième symphonie de Ludwig van Beethoven,
Chant sur la mort de Haydn (r 5 février r 829) pour soprano, deux ténors de Luigi Cherubini
enfin un air pour soprano tiré du Rinaldo de G. Fr. Haendel et instrumenté par Giacomo
Meyerbeer (29 avril r849). Le violoniste choisi pour diriger l'orchestre était Patrick
Cohën-Akenine 2 9, familier des répertoires des xvii• et XVIIIe siècles qu'il pratiquait depuis
longtemps- entre autres avec son ensemble Les Folies françaises- mais qui s'attaquait
pour la première fois à des œuvres aussi tardives. Les étudiants impliqués étaient issus
du département de musique ancienne du Conservatoire National Supérieur de Musique
et de Danse de Paris, du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de
Lyon, de la Haute École de Musique de Genève et de l'École Nationale de Musique
d'Orsay.
Quelle serait la place du chef d'orchestre dans cette entreprise? Le but était d'abord
de mesurer les problèmes soulevés par une direction depuis le violon dans une œuvre aussi
complexe que la Quatrième symphonie de Beethoven. Le rôle du violoniste conducteur
au XVIIIe et au début du xrxe siècle est bien connu aujourd'hui grâce au travail de

'8 Dans les deux projets, Daria Fadeeva a joué un rôle décisif; je lui renouvelle ici mes remerciements
pour son aide précieuse.
' 9• Le projet Beethoven a aussi été réalisé avec le concours de Daniele Latini et de Jean- François Madeuf
pour la préparation des vents.

374
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

ILL. 3: 'Chronique musicale. -Concerts du Conservatoire', in: L'fllustratio11, 15 avril 1843, gravure
de P. S. Germain.

nombreux historiens 30 • Rares sont cependant les images nous le donnant à voir. L'une
des plus célèbres est une gravure parue dans l' fllustration en r 843 et montrant la salle du
Conservatoire de la rue Bergère pendant un concert.
La position du chef et du soliste pose question: non pas face au public ou de dos
mais de biais. L'emplacement du pupitre de Habeneck suggère que le chef se tient plutôt
de trois quarts. Les règles de la bienséance - et donc celles de la rhétorique qui dominent
alors la sphère musicale - interdisent de tourner le dos au public. Il est donc probable
qu'un orchestre se dirigeait de trois quarts afin de concilier convenance (on ne tourne pas
le dos à des interlocuteurs) et praticité (le violoniste en chef doit voir au moins une partie
des musiciens)3 '. Le violoniste dirige de toute façon en priorité ses congénères (c'est-à-dire

30
• Fuw,JamesJ. Op. cit. (voir la noter); CHARLTON, David. '«A maftre d'orchestre . .. conducts»: new and
old evidence on French practice', in: Barly Music, xxr/3 (août 1993), pp. 341-353; STRELETSKI, Gérard. Op.
cit. (voir la note r); SouTHON, Nicolas. Op. cit. (voir la note 26).
3'. Le chef d'opéra (qui dirige jusque tard dans le XIX< siècle dos aux instrumentistes mais au plus près
des acteurs qui chantent alors tout près du trou du soufReur) faisait sans doute seul exception, l'efficacité
technique faisant ici plier les convenances.

375
c ;

RÉMY CAMPOS

les dessus assis non loin de lui) et laisse aux autres musiciens une grande autonomie. La
place des chœurs au concert invite à penser que le chef, qui avait souvent dans son dos
la plupart des chanteurs, était d'ailleurs plus mobile qu'aujourd'hui32 .
Comme on le voit dans le film documentaire réalisé pendant le projet, Patrick
Cohën-Akenine n'a pas exploré ces diverses possibilités puisqu'il s'est tenu face
à l'orchestre pendant tout le temps du concert. En dirigeant du violon mais dans la
position d'un chef à baguette, il adoptait une position hybride n 'ayant jamais existé 33 •
En revanche, il fit la démonstration magistrale qu'une symphonie de Beethoven pouvait
être dirigée, comme l'avaient fait ses prédécesseurs du début du x1x• siècle, par un
instrumentiste en action. Et ceci en dépit de conditions qui étaient encore loin de
ressembler (malgré tous nos efforts) à celles dont avaient bénéficié ses prédécesseurs des
années 1830: plusieurs semaines de répétition à l'époque et non les six jours du projet
de 2010, des phalanges mêlant professionnels aguerris et amateurs jadis alors que les
instrumentistes de 2010 étaient des étudiants en cours de formation, un public autrefois
indulgent aux approximations tandis que l'auditoire de 2010 était venu au concert avec
de sévères exigences d'écoute, etc.
Deuxième question soulevée: le chef jouait-il tout le temps? Patrick Cohën-
Akenine n'en a pas démordu: il a joué du début à la fin la totalité de la partie de premier
violon.
Par défi lancé à lui-même? Pour imposer son autorité d'instrumentiste à l'orchestre afin
de consolider sa légitimité de chef? Quoi qu'il en soit, ce parti-pris entrait en contradiction
avec les documents d'époque qui ne permettent pas de douter du jeu partiel du violon
conducteur34 . Dans sa thèse sur Habeneck, Nicolas Southon a collecté de nombreux
témoignages qui sont tous concordants 35 • L'évolution des pratiques de direction de François
Habeneck est exemplaire: depuis le violon joué tantôt avec les premiers violons, tantôt
avec d'autres instruments, jusqu'à une direction à l'aide de l'archet et violon en main. Dans
quelque configuration que ce soit, Habeneck n'exécuta jamais l'intégralité de la partie de
premier violon. Chez ses collègues, la situation est identique. Le violon conducteur est

3' Sur la question du placement des chœurs au concert, voir: DI GRAZIA, Donna M. 'Rejected
Traditions: Ensemble Placement in Nineteenth-Century Paris', in: 19'h-Century Music, xxu/2 (1998), pp.
190-209.
33 • De la répétition au concert, fùm documentaire réalisé par Roland Bouveresse, Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris 1 Haute École de Musique de Genève 1 Palazzetto Bru Zane, 2012.
34 • Au milieu du siècle, quelques rares images montrent un violon qui n'est plus un outil de direction

mais un emblème de l'autorité du chef d'orchestre qui le pose devant lui pendant l'exécution et utilise
l'archet comme baguette; voir par exemple: 'Jean-Baptiste Singelée dirigeant un concert de la Société royale
de la Grande harmonie de Bruxelles (1842)', reproduit dans: La Musique en Belgique du moyen dge à nos jours,
Ernest Closson et Charles Van den Borren éd., Bruxelles, La Renaissance du livre, 1950, p. 276; et 'Charles
Hanssens, chef d'orchestre de la Monnaie à Bruxelles', reproduit dans ibidem, p . 240.
JS SouTHON, Nicolas. Op. dt. (voir la note 26), pp. 360- 36I, 448-450, 457-458, 463-464.
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

ILL. 4: une répétition de l'orchestre dirigé par Patrick Cohën-Akenine au cours du projet De la
répétition au concert au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris en octobre 2010.

un musicien pouvant mêler sa partie à celle de ses semblables ou bien doubler d'autres
instruments 311 • Le rôle du chef est celui d'une béquille dont les interventions sont d'une
grande souplesse et sont pour la plupart improvisées sur le vif Le Vicomte de La Ferté
souligne peu avant r830 que «le violon a encore le grand avantage de faire toutes les
rentrées en retard, soit de la partie vocale, soit de la partie instrumentale: ce que ne peut
faire l'impuissant bâton>> 37 . Quant à Kastner, il interdit explicitement quelques années plus
tard la doublure des solistes - preuve qu'elle était jusque-là monnaie courante:

[... ] beaucoup de chefs d'Orchestre, surtout en province, ont la mauvaise


habitude de jouer la première partie de Violon pendant tout un Opéra, sans
presque s'occuper du chœur des instruments à vent; d'autres, ce qui est plus fort,

36 Lorsque Spohr est nommé Kapellmeister de l'opéra de Francfort-sur-le- Main, il dirige d'abord du
violon comme son prédécesseur (Schmitt) à la demande des chanteurs; mais à force de répétitions intensives,
il habitue les chanteurs à apprendre si bien leur partie qu'il n'avait plus besoin de les aider au violon comme
jadis lorsqu 'il se perdaient; il adopta alors le bâton (d'après GëiTHEL, Folker. Louis Spohr. Lebenserinnerungen,
2 vol., Tutzing, Schneider, 1968, vol. n, p. 48, cité dans: BROWN, Clive. 'The Orchestra in Beethoven's
Vienna', in: Early Music, XVIII [1988], p. 16).
37
• PAPILLON DE LA FERTÉ, Denis Pierre Jean. 'Rapport au duc de Duras, sur la musique du roi', cité
dans: La Musique à Paris en 18]0-18]1, enquête réalisée par Marie-Noëlle Colette, Joël-Marie Fauquet,
Adélaïde de Place, Anne Randier et Nicole Wild, François Lesure dir., Paris, Bibliothèque nationale de
France, 1983, p. 36.

377
RÉMY CAMPOS

accompagnent constamment avec leur Violon, le Chant quel qu'il soit: Soprano,
Alto, Ténor ou Basse, comme si en écrivant les parties vocales, le Compositeur
avait écrit pour une partie de Violon; nous savons bien que cela vient parfois en
aide à la faiblesse du chanteur, mais il faut faire en sorte d'avoir des chanteurs
qui puissent se passer de ce secours, sans quoi il n'y a plus de bonne exécution
possible 38•

Troisième problème abordé: comment pouvaient se passer des répétitions où le chef


ne pouvait accéder au conducteur général et devait se contenter des bribes de musique
insérées par l'éditeur dans la partie de premier violon? Comment se débrouillaient des
instrumentistes sans lettres ou chiffres repères pour reprendre au bon endroit lorsque la
cacophonie devenait intenable?
Avant l'apparition de la direction par un non-instrumentiste, le premier violon
se concentrait sur les entrées solistes ou de pupitres à découvert. Chaque musicien était
responsable de sa partie tel un chambriste. Cette façon de concevoir le rôle de chacun était
étroitement liée aux lectures cursives que l'on pratiquait en tutti (avant l'âge des répétitions
partielles) dont nous avons fait l'hypothèse lors de notre enquête préalable et dont nous
avons retrouvé les manifestations à chaque étape du projet. Ainsi, le matériel manuscrit
d'époque du Chant sur la mort de Haydn de Cherubini employé pour les concerts de 2010 39
était impossible à utiliser pour une répétition partielle car le copiste avait conçu les répliques
pour des répétitions en tutti où tous les musiciens de l'orchestre devaient prendre d'oreille
leurs repères par rapport à ce que jouaient leurs voisins. Aucun des matériels consultés ne
contenait des ajouts de la main de premiers violons qui auraient jugé insuffisants les choix
de l'éditeur quant aux répliques. Preuve qu'on préférait redire la musique jusqu'à ce qu'elle
soit en place.
Dans le projet de 2010, l'absence de lettres-repères pour les instrumentistes et le chef
pouvait être un obstacle. À plusieurs reprises lors des premiers services, les musiciens se
sont trouvé bien en peine de se retrouver. Les choses se sont assez vite arrangées pour au
moins deux raisons. La première était que les étudiants sollicitèrent de plus en plus leur
oreille et leur mémoire auditive en prêtant attention bien plus qu'ils ne l'auraient fait dans
une répétition «normale» aux phénomènes musicaux qui les entouraient, privilégiant un
rapport organique aux autres pupitres plutôt qu'une relation privilégiée avec le chef La
seconde était que le chef fut contraint, lui aussi, d'adopter un point de vue plus global.

38 • KAsTNER, Georges. Cours d'instrumentation considéré sous les rapports poëtiques et philosophiques de l'art
à l'usage des jeunes compositeurs, dédié à M Henry Berton, Officier de la Ugion d'honneur, Membre de l'Institut
Royal de France, Professeur de Composition au Conservatoire par G. Kastner. Approuvé par l'Académie des beaux-arts
de l'Institut Royal de France et admis au Conservatoire Royal de Musique pour l'Enseignement dans les Classes de
Composition, Paris, Au Ménestrel-Maison A. Meissonnier-Heugel, [1839], p. 28.
39 • CHERUBINI, Luigi. Chant sur la mort de Haydn, matériel manuscrit, BnF Musique [L. 17 461]; 5 parties
de cordes provenant de la Société des Concerts avec un inventaire des parties de cordes daté: octobre 1861,
BnF Musique [D. 16 735].
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

V 10 L 1N C! .P .R 1 )! o .
J .. P. f:E'I HO\El\.

ILL. s: BEETHOVEN, Ludwig van. Quatrième symphonie en si~ majeur pour deux violons, alto, violoncelle et
basse,Jl.ate, deux hautbois, deux clarinettes, deux cors, 2 bassons, trom. 11" et timballes: dédiée à Mr le Comte d'Oppersdoif:
œuv. 6o, Paris, Richault, [Cotage: 2193 R - ca. I825-184r] , partie de premier violon, Bibliothèque du
Conservatoire de Genève [Ba 8].

379
RÉMY CAMPOS

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lu. 6: 'Orchester der grossen Concerts und der grossen O per in Paris' (r8ro); source: Allgemeine
musikalische Zeitung, vol. XII (I809- I9IO), col. 729-730; reproduit dans K ouRY, Daniel]. Op. cit. (voir la note
6), p. 202.

Ainsi pour indiquer les passages où il voulait reprendre, faute de pouvoir annoncer
à tout l'orchestre de se reporter rapidement à la lettre B ou à tel num éro de mesure,
il devait décrire un objet sonore reconnaissable par tous, quel que soit sa partie -
par exemple: <<quatre mesures avant le solo de hautbois>>, «une mesure après le grand
crescendo que nous avons tous», etc. La qualité d'écoute des musiciens de l'orchestre et
leur concentration furent incontestablement accrues.
Quatrième thèm e exploré au cours du projet: celui des dispositions de l'orchestre.
Au cours des répétitions et du concert, trois plans différents ont été utilisés. Le plus
ancien (r8ro) était celui adopté à Paris pour les con certs donnés dans la salle de l'Opéra.
On y remarque la présence centrale du noyau de la pratique musicale du siècle
précédent: un continuo assuré par un clavier, un violoncelle et une contrebasse qui se
tiennent au plus près du chef Une ligne d'instruments graves (formée de contrebasses,
de violoncelles et d'un contrebasson) entoure l' ensemble.
La deuxième disposition (I 828) est celle utilisée par la Société des Concerts dans
l'ancienne salle du Conservatoire de la rue Bergère (actuellement Conservatoire N ational
d'Art Dramatique).
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

0 8(::)
Ü Ü Batteri~oO 0 •• Gradin

Timbales
3 Trombones

2 Trompettes
DDD DODO
4 Violoncelles Je Grodin
3 Contre Basses 2 Contre Basses

DO DO DO DO 2• Gradin
2 Cors 2 Bossons 2 Violoncelles
2 Bassons 2 Violoncelles

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ILL. 7: Société des Concerts du Conservatoire de Paris (1828); source: ELWART, Antoine-Amable-
Elie. Histoire de la Société des Concerts du Conservatoire impérial de musique, avec dessins, musique, plans, portraits,
notices biographiques[ ... ], Paris, Castel, '1864 , entre les pp. 114-II5; reproduit dans KouRY, Daniel]. Op. cit.
(voir la note 6), p. 204.

L'auditeur moderne est une nouvelle fois frappé par l'éclatement des pupitres de
violoncelles et de contrebasses qui sont disséminés parmi les instruments à vents (qui ne
comptent pas moins de quatre bassons).
Le troisième arrangement (r8s6-r8s8) est celui conçu pour la nouvelle salle du
Conservatoire de Musique de Genève.
RÉMY CAMPOS

ILL. 8: 'Plan des dispositions de l'Orchestre par Pepin lui-même', salle de concert du nouveau
Conservatoire collé sur la dernière page du Livre de la construction, 1856-1858, Archives du Conservatoire de
Musique de Genève, sans cote.
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

La parenté avec les solutions en vigueur à la Société des Concerts parisienne est
évidente. Une fois encore, les basses de l'orchestre sont réparties pour fournir aux autres
musiciens un appui sonore également réparti sur l'estrade - souci alors partagé à la
même époque par tous les ensembles européens, comme on le constate en examinant les
innombrables dispositions en usage40 .
Tout au long des répétitions de l'automne 2010, l'orchestre a passé régulièrement
d'une disposition à l'autre et a proposé au public d'entendre les œuvres programmées lors
des deux concerts dans les trois agencements expérimentés pendant les dix précédents
jours. Loin de déstabiliser les musiciens, l'essai de ces dispositions inhabituelles a montré
qu'elles facilitaient plutôt leur travail. Certes, certaines dispositions de pupitre troublèrent
dans les premiers temps les étudiants (en particulier le placement en ligne des pupitres
d'altos ou de violoncelles) mais l'éclatement des groupes instrumentaux s'est finalement
avéré bénéfique pour l'ensemble de l'orchestre. Quant à Patrick Cohën-Akenine, il a
particulièrement apprécié le fait de disposer à proximité de l'endroit depuis lequel il
dirigeait d'un petit groupe de basses (plan genevois et plan parisien de r8ro) ou encore de
l'espèce d'encerclement de l'orchestre par les contrebasses que dessinait le plan de r 8 ro.
On peut toutefois regretter que la dispersion des pupitres proposée par les différents
plans qui confirmait les descriptions retrouvées dans des comptes rendus de concert
de la première moitié du XIX0 siècle parlant de pupitres de solistes juxtaposés et d'une
sonorité orchestrale non homogène n'ait pas été approfondie par le chef d'orchestre lors
des répétitions de 2oro. Les plans invitaient en effet à explorer une conception originale
du son qui allait à l'encontre des canons modernes. Ainsi, la disposition de la Société des
Concerts (r828) faisait sonner les violoncelles au début des répétitions comme des solistes
que l'oreille pouvait isoler depuis la salle. Leur espacement accentuait les individualités
avant que Patrick Cohën-Akenine ne demande aux musiciens de gommer cet effet et de
rechercher une sonorité homogène plus proche de l'idéal contemporain que de ce que
nous disaient les sources.

UNE CONTRE-ÉPREUVE

Les difficultés rencontrées tout au long du projet de 2010 nous ont montré que la
question du chef d'orchestre était la plus délicate à traiter dans le cadre de performances
historiquement informées. Ce constat, qui ne doit pas éclipser ce qui a bien fonctionné dans
cette aventure passionnante (que ce soitla possibilité d'une direction depuis le violon, l'effet
bénéfique sur la concentration des musiciens de l'absence de repères, le renouvellement de
l'écoute des spectateurs grâce aux différentes dispositions des instrumentistes, etc.), nous
a amené à imaginer un nouveau dispositif expérimental. Un deuxième projet («Quatuor

40
Voir les nombreux plans reproduits dans: KOURY, Daniel]. Op. cit. (voir la note 6).
RÉMY CAMPOS

agrandi») s'est donné pour objectif de dépasser les routines et les blocages observés dans le
premier projet.
Le répertoire consistait cette fois en des mouvements de quatuors exécutés par l'ensemble
des instruments à cordes de l'orchestre symphonique4 1, comme on le faisait couramment à la
Société des Concerts du Conservatoire de Paris dans la première moitié du x1x• siècle ainsi
qu'en transcriptions pour quatuor à cordes d'opéras de Mozart42 , qui donnèrent l'occasion de
travailler concrètement l'emploi des gestes vocaux aux instruments à cordes.

TABLEAU 2
Q UATUORS EN GRANDS QUINTETTES À LA SOCIÉTÉ DES CONCERTS DU CONSERVATOIRE DE PARIS
SOUS LA DIRECTION DE FRANÇOIS HABENECK (1832-1848)

18 mars 1832
4· Fragments de quatuors, œuvre 59e, de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos et basses de l'orchestre.

x•• avril 1832


4· Fragments de quatuors de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos et basses de l'orchestre.

15 avril 1832
3. Fragments de quatuors d e Beethoven (œuvre 1Se), exécutés par tous les violon, altos et basses de l'orchestre.

17 mars 1833
4· Fragments de quatuors de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos et basses de l'orchestre.

14 avril 1833
4· Fragments de quatuors de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, basses et con trebasses d e
1'orchestre.

x•r mars 1835


4· Fragment du quatuor de Beethoven, exécuté par tous les violons, altos et basses de l'orchestre.

15 janvier 1837
4· Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, contrebasses,
clarinettes, cors et bassons.

24 mars 1837
3· Fragments du quatuor en ut de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, e t contrebasses.

25 février 1838
4· Fragments du Septuor d e Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, contrebasses,
clarinettes, cors et bassons.

••. BEETHOVEN, Ludwig van. Adagio affettuoso ed appassionato, extrait du Quatuor Op . 18, n° I; Adagio
cantabile et Tema con variazioni extraits du Septuor Op. 20.
••. M OZART, Wolfgang Amadeus. Sinfonia (Ouverture), n° 4. Aria: 'Madamina, il catalogo è questo' (Air
du Catalogue), n° 11. Aria: 'Finch' han del vino' (Air du champagne) extraits de Don Giovanni.
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

22 avril 1838
s. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, contrebasses,
clarinettes, cors et bassons.

13 janvier 1839
3. Fragment du quatuor en ut de Beethoven (3e œuvre), exécuté par tous les violons, altos et basses.

29 mars 1839
4. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, contrebasses,
clarinettes, cors et bassons.

21 avril 1839
3. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, contrebasses,
clarinettes, cors et bassons.

17 avril 1840
4· Fragment du quatuor en ut de Beethoven, exécuté par tous les violons, altos, violoncelles et contrebasses.

II avril 1841
3. Septuor de Beethoven, exécuté par tous les violons, altos, violoncelles et contrebasses.

27 mars 1842
3. Fragment du Septuor de Beethoven, exécuté par tout l'orchestre.

10 avril 1842
3. Fragment du Septuor de Beethoven, exécuté par tous les violons, altos, violoncelles et contrebasses de
l'orchestre.

26 mars 1843
3. Fragment d'un quatuor de Beethoven, exécuté par tous les violons, altos, violoncelles et contrebasses de
l'orchestre.

16 avril 1843
3. Fragment du Septuor de Beethoven, exécuté par tous les violons, altos, violoncelles et contrebasses,
clarinettes, cors et bassons.

14 avril 1844
3. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles et contrebasses de
l'orchestre.

21 avril 1844
4. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles et contrebasses de
l'orchestre (redemandé).

21 mars 1845
3. Fragments du 9e quatuor en ut de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos et basses.
RÉMY CAMPOS

30 mars 1845
3. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, et contrebasses;
deux clarinettes, deux cors et deux bassons.

5 avril 1845
3. Fragments du grand Septuor de Beethoven exécutés par tous les violons, altos, basses, et contrebasses;
clarinettes, bassons et cors.

20 avril 1845
3. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, et contrebasses;
deux clarinettes, deux cors et deux bassons.

5 avril 1846
3. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, et contrebasses;
deux clarinettes, deux cors et deux bassons.

10 avril 1846
3. Fugue du neuvième quatuor de B eethoven, exécutée par tous les violons, altos, basses et contrebasses.

12 avril 1846
3. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, et contrebasses;
deux clarinettes, deux cors et deux bassons.

2 avril 1847
3. Fragment d'un quatuor de Beethoven, exécuté par tous les violons, altos, violoncelles et contrebasses de
l'orchestre.

II avril 1847
2. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos, violoncelles, et contrebasses;
clarinettes, cors et basses de l'orchestre.

19 décembre 1847
4. Fragments du Septuor de Beethoven, exécutés par tous les violons, altos et violoncelles.

2 avril 1848
3. Fragment d'un quatuor de Beethoven (fugue en ut).

16 avril 1848
3. Septuor de Beethoven, exécuté par les violons, altos, violoncelles, et contrebasses; clarinettes, bassons et cors.

• Source: 'The Société des Concerts du Conservatoire' (<http:/ /hector.ucdavis.edu/sdc/>), site


publié par David Kern Holoman et donnant les programmes complets des concerts de la société.

Il est vite apparu que Aude Caulé, la violoniste en charge de conduire les répétitions
et le concert, ne faisait pas de difficultés à abandonner la souveraineté traditionnelle du
chef d'orchestre à baguette- sans doute parce qu'elle venait elle-même du monde de la
LA RÉPÉTITION D'ORCHESTRE

musique de chambre. L'autonomie des pupitres a ainsi pu être développée et les propositions
musicales des instrumentistes ont été intégrées tout au long des séances de travail. Il a aussi
été possible de ne pas régler à l'avance les coups d'archet comme cela était l'usage au xrx•
siècle. Enfin, deux techniques de jeu délaissées dans le premier projet (les ports de voix
et les rubatos d'orchestre) ont pu être essayées collectivement en donnant une autonomie
plus grande aux musiciens de l'orchestre.
L'hypothèse était, cette fois, que les anciens modes de répétition reposaient sur une
distribution différente de l'autorité au sein de l'orchestre et qu'un retour à cet ancien état
de fait pouvait produire un son d'ensemble sensiblement différent de celui auquel nous
sommes de nos jours habitués. Autrement dit, si l'on mettait de côté l'idéal de perfection
discographique actuellement admis, la licence laissée à chaque musicien de fabriquer ses
propres couleurs sans se préoccuper de se fondre dans celles de son pupitre et au-delà de
l'ensemble de l'orchestre pouvait engendrer une nouvelle esthétique sonore. Les résultats
obtenus dans ce domaine lors de l'Académie de la Chaise-Dieu étaient extrêmement
encourageants.
D ans un projet comme dans l'autre, le principe a été de partir non pas de l'évidence
(la technique du chef d'orchestre ou bien le jeu instrumental d'ensemble) mais d'interroger
ces thèmes en les télescopant avec un problème jusqu'ici négligé par les historiens: celui de
la lecture collective. Car derrière chacune des propositions que nous avons expérimentées,
se posait la question des manières changeantes de lire la musique au cours du xrx• siècle.
Au terme de nos essais appliqués, nous avons ainsi pu vérifier que le mode de lecture soliste
souplement coordonné des périodes anciennes avait été rapidement remplacé au milieu du
siècle chez les musiciens d'orchestre par une lecture disciplinée visant avant tout le rendu
littéral du texte.
À travers ces deux projets, nous espérons avoir montré par l'exemple que l'exactitude
historique ne s'oppose pas forcément à la liberté d'expression. La rigueur de l'approche
historique n 'assèche pas automatiquement l'inspiration musicale si l'on tient les archives de
la pratique musicale non pour un carcan (celui qui prescrirait univoquement une irrécusable
authenticité) mais pour une source d'invention permanente. Ainsi, alors que jusqu'ici les
chefs «nouveaux romantiques» ont appliqué un modèle datant de la fin du xrx• siècle (celui
du chef d'orchestre omnipotent qu'illustreront Arturo Toscanini, Wilhelm Furtwangler
ou Herbert von Karajan) aux répertoires qu'ils étaient censés renouveler, le défi nous
semble être plutôt aujourd'hui celui de la réinvention d'un nouveau m étier de directeur
d'orchestre qui emprunte ses traits distinctifs à celui de feu le premier violon conducteur
tout en tenant compte du ch emin irréversiblement parcouru depuis deux siècles.
La difficulté à revivifier d'anciennes pratiques n'est toutefois pas négligeable. La
condition de la réussite est de trouver des espaces plus ouverts que les lieux de production
habituels et de collaborer avec des musiciens qui acceptent de sortir de leur rôle habituel,
en particulier pour des figures aussi solidement instituées que celle du chef d'orchestre.
RÉMY CAMPOS

Ce type de projet a donc sa place naturelle dans le cadre des recherches appliquées dont
les écoles de musique européennes sont les promoteurs naturels. Le mouvement produit
par ce type d'expériences est circulaire: l'enquête historique a été première mais elle a
rapidement conduit à des essais instrumentaux ou vocaux. En retour, les résultats sonores
et le dialogue avec les musiciens ont permis de réviser le questionnaire historique pour
franchir une nouvelle étape de la recherche.
Dès lors, il ne s'agissait pas seulement d'utiliser des instruments d'époque pour donner
aujourd'hui des concerts de musique ancienne mais surtout d'explorer les dispositifs oubliés
de la pratique, tant instrumentale qu'auditive, dans le cadre d'un laboratoire historique.
Pour mettre en œuvre des démarches de ce genre, les lieux d'assimilation des dispositions
musicales (que ce soient des écoles ou des stages d'été) sont un endroit particulièrement
approprié. Alors que les difficultés actuellement traversées par le monde du concert
professionnel sont souvent un obstacle à la prise de risque, les projets pédagogiques
permettent au contraire d'explorer sans entraves des aspects inédits qui pourraient dans
les prochaines années devenir de nouveaux espaces d'invention artistique à investir par les
musiciens professionnels.
Formulons alors une dernière hypothèse: le pari pour l'historien des pratiques
orchestrales n'est peut-être plus de continuer à chercher à connaître ce qu'ont été les souhaits
du compositeur en matière de musique d'ensemble (afin de permettre aux ensembles actuels
de les satisfaire aujourd'hui) mais de décrire sans a priori ce que les instrumentistes ont fait
de ces partitions (afin de suggérer des idées neuves à ces mêmes ensembles). En d'autres
termes, de ne plus se limiter à l'étude de l'interprétation idéale mais d'ouvrir le champ de
la réflexion à la question de l'activité musicale dans sa globalité, c'est-à-dire en y incluant
par exemple jusqu'aux moments plus triviaux du travail de répétition.
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ORCHESTRAL CONDUCTING
IN THE N INETEENTH CENTURY

EDITED BY
ROBERTO ILLIANO AND MICHELA NICCOLAI

BREPOLS
TURNHOUT

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