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De Beyrouth la belle à Beyrouth la monstrueuse

Dans un pays trop célèbre pour les conflits qui s’y sont déroulés, Beyrouth et les autres villes
libanaises caractérisées par leur tolérance, véritables êtres vivants, se voient remplacées par
des villes mortes, sanglantes. Nous proposons un voyage poétique depuis cette capitale en
souffrance vers d’autres espaces libanais, un parcours qui tient du documentaire avec ses
témoignages mais contrairement à ce qui a toujours paru dans les médias, appelle à la
tolérance et à l’échange, un regard peu traité par la critique francophone.

Certains auteurs tentent de ranimer, au fil d’une exploration extrêmement sensorielle, ces
villes du passé (à l’instar de la poétesse Nadia Tuéni) mais, lucide, elle constate que « nos
portes [sont] closes » (Juin et les Mécréantes, 143) et que « les murs se disloqu[ent] » (JM,
154). Un cortège de « nuisances » visuelles, olfactives et sonores accompagne la
métamorphose des villes chatoyantes du passé, atteintes par « la triste pénombre des
frontières » (JM, 138) et par l’odeur de mort qui contamine même les villages, devenus
« hideux » (La Terre arrêtée, 356). Vénus Khoury-Ghata évoque elle aussi l’agonie du
peuple, commune à celle de la ville : « Soudain cette clameur qui parcourt le dos de la terre/
chaque pierre se signe et s’enduit d’un frisson1 », ou cette réelle mise au tombeau : « Des
clous/ Pour sceller le métal à un corps indolore2 ».

Le monde oppressant et les espaces fermés des villes en guerre sont présentés d’une façon
originale dans la bande dessinée de Zeina Abi Rached, Mourir, partir, revenir. Le jeu des
hirondelles et Le quatrième mur de Sorj Chalandon dévoile avec un réalisme saisissant une
capitale anéantie, morcelée, écho des souffrances et métaphore des blessures de ses habitants.
Les rues de Beyrouth en guerre y deviennent un décor de théâtre dans lequel les ruines des
immeubles et les cicatrices des balles marquent les murs, la ville paraissant comme l’une des
victimes de la guerre, l'espace urbain étant saturé par le conflit :
les arbres déracinés, la chaussée défoncée, les tâches de sang rouillées sur le
macadam, les rectangles béants et carbonisés des immeubles, prouvaient clairement
que les combats avaient été rudes ; et la trêve, une fois de plus, précaire 3.

1
Vénus Khoury-Ghata, Au Sud du silence, Paris, St Germain-des-près, 1975, p. 56.
2
Vénus Khoury-Ghata, Les Ombres et leurs cris, Paris, Belfond, 1979, p. 59.
3
Andrée Chédid, Le Message, Paris, Flammarion, 2000, p. 17.
Cette multitude de séquences visuelles, auditives, olfactives participe également, nous
semble-t-il, à une sorte de reconstitution de la tolérance, au-delà des divisions
confessionnelles, pour ramener enfin les libanais à leur humanité.

BACHELARD, Gaston. La poétique de l’espace, Paris : P.U.F., coll. « Quadrige », 1957.


BALPE, Jean-Pierre. Paysage et littérature, Paris : Larousse, coll. « Textes pour aujourd'hui »,
1974.
CAUQUELIN, Anne. La Ville, la nuit, Paris : P.U.F., 1977, coll. « La Politique éclatée ».
MERMIER, Franck. Récits de villes : d’Aden à Beyrouth, Arles : Sinbad/Actes sud, coll. « La
Bibliothèque arabe. Hommes et Sociétés », 2015.
SANSOT, Pierre. Poétique de la ville, Paris : Klincksieck, coll. « Collection d’esthétique », 1973.
TUENI, Nadia. Œuvres Poétiques complètes, Beyrouth : Dar an-Nahar, coll. « Patrimoine », 1986.

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