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dysfonctionnements dans l’usine Foshan Nanhai


Mattel Precision Diecast, dans la même province du
Harcèlement sexuel dans les usines
Guangdong.
chinoises de Mattel: un nouveau rapport
Infiltrée à l’été dans la fabrique des jouets Fisher-
inquiétant
PAR KHEDIDJA ZEROUALI Price, elle rapportait les cadences insoutenables dans
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 4 DÉCEMBRE 2020 le grand rush pour préparer les ventes de Noël mais
Dans un rapport publié ce 3 décembre 2020, aussi l’humiliation que plusieurs salariées racontaient
trois organisations non gouvernementales (ActionAid, subir.« Sur dix femmes avec qui notre informatrice a
China Labor Watch et Solidar Suisse) épinglent le pu échanger longuement, quatre ouvrières ont décrit
harcèlement sexuel dans les usines Mattel en Chine. des situations pouvant être qualifiées de harcèlement
sexuel. »

Pour Alice Bordaçarre, chargée de campagne Droits des femmes à ActionAid


France : « Mattel vend son produit phare, la poupée Barbie, à grand renfort de slogans
féministes. Or, dans les usines dans lesquelles nous avons enquêté, les femmes
produisent les poupées Barbie dans la crainte d’être humiliées ou harcelées. » © DR

L’enquêtrice racontait aussi les salariées apeurées


à l’idée de témoigner, l’impunité sur la chaîne
Pendant près d'un mois, l'enquêtrice a travaillé anonymement sur la
de production et la direction qui fermait les yeux
chaîne de production de l’usine Mattel de la ville de Dongguan. © DR volontairement. Elle revenait alors sur son malaise,
Après avoir passé près d’un mois à travailler sur la ses heures supplémentaires mais aussi sur le calvaire
chaîne de production de l’usine Mattel de la ville de que certaines de ses collègues avaient pu vivre :«
Dongguan, dans le sud de la Chine, Mei* décrit un L’une d’elles avait été suivie après le travail par deux
quotidien fait de remarques sexistes, de pressions au collègues masculins qui la prenaient en photo. Elle se
travail et de harcèlement sexuel. sentait en danger mais n’avait jusque-là osé en parler
Enquêtrice pour les ONG ActionAid France, China à personne. »
Labor Watch et Solidar Suisse, elle décrit dans Ou encore celle-ci, qui à propos d’un collègue de
un rapport une ambiance de travail malsaine et des travail déclarait : « Il vient vers moi à chaque pause,
violences sexistes et sexuelles qui font système, au vu je voudrais qu’il me laisse tranquille. J’ai très peur. »
et au su d’une direction inopérante. Et ce n’est pas la Face à ces récits, Lin s’était retrouvée fort dépourvue
première fois que l’usine qui fabrique la poupée Barbie puisque aucun mécanisme d’alerte spécifique et
fait parler d’elle en ces termes. opérant n’existait alors. Pour calmer la polémique,
Déjà en novembre 2019, une première enquête Mattel avait commandé un audit de deux jours
des mêmes organisations attirait l’attention sur la dans l’usine enquêtée. Celui-ci concluait « qu’aucune
face cachée des usines chinoises de jouets Mattel. violation des critères d’octroi de son label » n’était
Dans un rapport intitulé « Barbie se moque des établie.
droits des femmes », Lin* révélait de nombreux

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« Que l’audit ne relève pas de violations de critères Mei a rencontré de nombreux ouvriers et ouvrières et
d’octroi du label ne démontrait pourtant pas l’absence en a interrogé quatorze, toujours sous le couvert de
de violences sexistes et sexuelles dans l’entreprise l’anonymat. Ainsi l’une d’elles, étudiante de 19 ans,
», estiment, de leur côté, les organisations. Ni la s’est plainte auprès de Mei du harcèlement qu’aurait
méthodologie de l’audit ni son détail n’ont été rendus exercé sur elle un collègue de dix ans son aîné. «
publics. Très insistant, celui-ci l’interpellait régulièrement, à
La nouvelle enquête, réalisée en 2020 par Mei, haute voix, en l’appelant “chérie” dans l’atelier. Il
rapporte des problèmes similaires sur la chaîne de expliquait aux collègues qu’il l’appelait ainsi pour
production de l’usine Mattel de la ville de Dongguan, “l’exciter”. Il avait aussi pour habitude de s’installer
près de Shenzhen, dans laquelle elle a travaillé, sous à son poste de travail et de l’inviter à s’asseoir sur ses
couvert d’anonymat, pendant près d’un mois. genoux. » Toujours selon Mei, bien que ses invitations
répétées aient été proférées en public, ni les collègues
Cette usine emploie plus de 2 300 ouvriers et ouvrières
ni les responsables n’auraient réagi.
qui fabriquent principalement des jouets en plastique,
dont la fameuse Barbie. Le rapport fait aussi état de remarques déplacées et
régulières sur la poitrine et le physique d’une autre
étudiante-salariée. « Elle pleurait régulièrement dans
l’atelier, mais personne n’est intervenu, se souvient
encore Mei. La jeune femme a expliqué qu’elle avait
peur de se plaindre car elle avait contracté un prêt
pour intégrer l’université et craignait de perdre son
emploi. »
Et cela ne s’arrête pas là. Même en dehors des murs
de l’usine, les salariées auraient eu à subir un sexisme
d’entreprise prolongé dans des groupes de discussions
sur WeChat, un réseau social populaire en Chine.
« Les ouvriers et ouvrières sont automatiquement
inscrit.es dans un groupe de discussion WeChat pour
Pendant près d'un mois, l'enquêtrice a travaillé anonymement sur la leur atelier. » Les organisations indiquent que sur ce
chaîne de production de l’usine Mattel de la ville de Dongguan. © DR groupe,« certains faits sont constitutifs de harcèlement
« Il se vend, toutes les minutes, une centaine sexuel ».
de poupées Barbie dans le monde », précisent
« Dans le groupe de discussion de travail, un homme
les organisations qui, comme un miroir déformant,
écrit : “Toi qui viens de la même ville que moi, es-
mettent en avant la mue de la poupée la plus connue
tu à la recherche d’un service sexuel ce soir ?”»,
du monde. Après une chute des ventes entre 2012
rapportent toujours les organisations, captures d’écran
et 2014, le groupe a décidé de moderniser Barbie.
à l’appui. Un autre salarié a aussi publié une photo de
« Mattel a alors lancé la production de poupées
femme dénudée, un autre a partagé des cartes de visite
aux silhouettes plus variées, quelques-unes reprennent
de prostitués avant, enfin, de se faire reprendre par un
les traits d’icônes féminines comme Rosa Parks ou
chef d’équipe par un timide :« Fais attention à ce que
Frida Kahlo… Cette campagne publicitaire a permis
tu dis, c’est un groupe de discussion de travail. »
d’augmenter les ventes de Barbie, mais l’écart entre
les discours de Mattel et les conditions de travail des Toujours selon Mei, le numéro de téléphone mis en
femmes qui produisent les poupées Barbie n’en est que place pour recevoir les plaintes serait, dans les faits,
plus choquant. » inefficace. « Il s’agit d’une extension du numéro de
l’usine, qu’il serait impossible d’appeler avec son

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propre téléphone portable : il faut apparemment se écrivait dans une lettre ouverte : « Raconter à haute
rendre au bureau pour emprunter la ligne fixe et voix des blagues cochonnes, ridiculiser des collègues
passer le coup de téléphone, au vu et au su de tous. La féminines à propos de leur apparence et de leur
confidentialité de l’échange ne peut être garantie dans silhouette, utiliser l’excuse de “donner des directives”
ce cas. » Avant de rajouter que la pause de dix minutes pour établir des contacts corporels inutiles… dans les
dont disposent les ouvriers est, de toute manière, trop ateliers, ce genre de “culture du harcèlement sexuel”
courte pour pouvoir passer un appel, le bureau étant est répandu. »
fermé le soir. «Nous espérons qu’en poussant les grandes
multinationales, telles que Mattel, à améliorer les
conditions de leur chaîne d’approvisionnement, cela
établira la norme pour l’industrie du jouet et que
d’autres entreprises pourront leur emboîter le pas»,
affirme, auprès de Mediapart, l’une des porte-parole
de China Labor Watch, association américaine fondée
en 2000 par un ouvrier chinois en exil.
Depuis 2001, l’association a également mené des
recherches sur l’industrie de l’électronique, celles des
ustensiles de cuisine, des vêtements, des textiles, et
estime que « ces violations de droits sont courantes
dans les usines en Chine ».
« Cependant, l’adoption du nouveau Code civil
chinois en 2019 représente un espoir de changement
», nuancent enfin les organisations. La loi oblige
désormais les entreprises à adopter des politiques
de lutte contre le harcèlement sexuel. « Il s’agit
Toujours sur le même groupe WeChat, réunissant les ouvriers et les ouvrières de d’une mesure importante et bienvenue, même si
l'usine, un des salariés poste une photo exhibant la poitrine d'une femme. © DR
les poursuites intentées par les employés devront
Jusqu’en 2020, la loi chinoise ne définissait pas répondre à des critères étroits pour être couronnées
précisément l’infraction de harcèlement sexuel. Et de succès », s’inquiètent déjà les ONG.
pourtant, dès 2018, le mouvement #MeToo a eu un
fort écho en Chine. En janvier 2018, une ouvrière Boite noire
de Foxconn, grande usine électronique en Chine, *Les prénoms ont été modifiés

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