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Couissin Pierre. L'origine et révolution de l'ἐποχή. In: Revue des Études Grecques, tome 42, fascicule 198, Octobre-décembre
1929. pp. 373-397;
doi : https://doi.org/10.3406/reg.1929.6960
https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1929_num_42_198_6960
DE L'EnOXH
(1) « Platon par devant, Pyrrhon par derrière, Diodore au milieu. » Voir Sextus,
Pf/rrh., I, 234. Gœdeckemeyer, p. 32, note 6, pense que ce vers doit être
interprété chronologiquement et non logiquement.
(2) Diog., Vil, 162 (Ariston) ; IX, 114-1 15 (Timon). Ariston, quoique stoïcien et
stoïcien intransigeant, n'était peut- être pas si loin de Timon qu'on serait tenté
de le croire, s'il est vrai que son τέλος ait été Γάδιάφορία (Cic, Acad., Il, 4.V, 130),
qui, chez Pyrrhon, est un moyen d'arriver à ι'άπάθεια.
(3) Elle est partie aussi de l'école épicurienne (Plut., Contre Col., itf, p. 1121 d,
1122 a), elle-même si injurieusement ingrate à l'égard de ses devanciers (Usener-
Epicurea, 1887, n°s 231-241).
REG, XLU, 1929, m· 196. . Ï6
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tus ne dit pas que Pyrrhon ait professé Γέποχή ; mais on peut
estimer qu'il l'affirme implicitement, puisque, d'une part, il
fait entrer Γ εποχή dans la définition du scepticisme [Pyrrh., I,
8), et que, d'autre part, il présente Pyrrhon comme le type du
sceptique (/ά., 7), Seulement, il est séparé de Pyrrhon par
près de cinq siècles. Quand il oppose les anciens sceptiques
aux nouveaux, il englobe Enésidème parmi les anciens {Pyrrh.
I, 36 et 104), alors qu'Enésidème, rénovateur de l'école pyrrho-
nienne, venu après le complet développement de la philosophie
académique, ancien académicien lui-môme, ne peut être tenu
pour un représentant du scepticisme primitif. Sextus ne paraît
pas se rendre compte de la distance qui le sépare des fondateurs
de son école. 11 faut voir de quelle étrange façon il explique des
passages embarrassants de Timon [Dogm., V, 20 ; Math., I, 305).
Mais son exposé de la doctrine sceptique trahit une savante
élaboration, étrangère à Pyrrhon et Timon. Signalons un détail
caractéristique : dans sa définition du scepticisme, Sextus donne
Γεπογή comme une conséquence de Γντοσθένεια dans les choses
et dans les pensées. Or Aristoclès n'attribue à Pyrrhon que
Πτοτθένεια dans les choses. Et Sextus lui-même, au chapitre
sur la formule ου ΐλάλλον [Pyrrh., I, 188-191), qui appartient
aux premiers sceptiques (1), ne parle que de Γίτοσθένε'.α dans
les choses. Ainsi la conduite sceptique chez Pyrrhon et Timon,
apparaît comme une attitude à l'égard des choses plutôt qu'à
l'égard des idées, tandis que Γ εποχή est une attitude à l'égard
des idées. — Diogène est postérieur encore à Sextus et moins
bien renseigné, moins cohérent que lui. Il affirme, par exemple,
tes signalés conduit à bien des déconvenues. Aristoclès (Eus., Prép. év., XIV,
18, 3 et 18). Pausanias (Descr. Gr., VI, -2-1, 5), Numenius (Eus., ib. β, 4), Suidas
{s. υ. Ηύρρων) n'écrivent même pas les mots Εποχή ou έπέχειν. Lucien (Icarom.,
25) confond l'Académie et le pyvrhonisme (τα Άκαδημαϊκόν εκείνο ε-πεπόνθει και
ουδέν τι άποφήνααθαι δυνατός ην, αλλ' όίτττερ ό Πυρρών έ— εΐ/εν εν. και διεσκέττετο),
comme le lui fait remarquer un scoliaste (Sext, Op. éd. Mutschmann, I, p. xix :
ουκ ακριβώς τήν Άκαδημίαν τοις Πυρρωνείοις ήτοι Έφεκτικοϊς αττονέμεις, Λουκιανέ),
qui le renvoie à Sextus, Pyrrh., I, 220-233. 11 ne reste, en définitive,
qu'Enésidème (Diog.. IX, 62) et « Ascanios » (Ib., 61), dont nous parlons ci-dessous.
(i) Timon, Python (Diog., IX, 76); cf. Aristoclès, pass. cit.
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que Γέποχή est la fin des sceptiques (IX, 108), alors que Sextus
attribue cette opinion à Arcésilas pour le distinguer des pyrrho-
niens. Sextus connaît aussi, comme fin de « certains illustres
sceptiques », Γέπογή dans les recherches (Pyrrh., I, 30), mais
cette doctrine, limitée et d'origine obscure, n'est qu'indiquée en
fin de chapitre par Sextus, qui ne la considère pas comme
conforme au scepticisme authentique. A noter que Diogène ne
parle spécialement de Pyrrhon qu'aux §§ 61-69 ; il expose
ensuite le scepticisme en général, à partir de 69 /m : Ούτοι
πάντες κ. τ. λ. Jamais à propos de Timon, dans le chapitre qui lui
est consacré (109-115), Γέποχή n'est désignée. Dans le passage
sur Pyrrhon (61-69), il n'en est question que deux fois, et ce
n'est pas dans la partie empruntée à Antigone de Caryste,
l'auteur chronologiquement le plus rapproché de Pyrrhon. Le
premier de cesdeux témoignages est capital, c'est celui qui présente
Pyrrhon comme l'inventeur de Γέποχή : il mérite un examen
attentif. Le deuxième (62) est d'Enésidème ; le voici, placé dans son
contexte : « II (Pyrrhon) conformait aussi sa vie à ses idées : il
n'évitait rien, ne prenait garde à rien, mais affrontait tout,
voitures, précipices, chiens, sans accorder à ses sens aucune
espèce de crédit. Sa protection était assurée, à ce que dit Antigone
de Caryste, par des disciples qui l'accompagnaient. Enésidème
déclare, au contraire, que certes il a philosophé suivant la
doctrine de Γέποχη, mais qu'il ne s'est pas pour cela comporté avec
imprévoyance dans ses actions. » II existe, on le voit, deux
traditions sur Pyrrhon. Suivant Tune, qui remonte à Antigone,
il aurait pratiqué l'indifférence au point de marcher droit
devant lui sans se soucier des obstacles : seule la vigilance de
ses compagnons empêchait les accidents. Suivant l'autre, dont
la source est Enésidème, il faut distinguer le φιλοσοφείν du
πράττε ιν : le φιλοσοφείν de Pyrrhon était conforme à la doctrine de
Γέποχή, mais son πράττε tv n'était pas imprévoyant. Il est
malaisé de choisir entre les deux traditions. Logiquement
Pyrrhon eût dû, soit adopter une inaction totale (1), soit suivre ses
(1) La conduite de Pyrrhon est appelée *·πρ«γμοσΰνη par Diog., IX, 64. Ce mot
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ne désigne que la paisible existence d'un homme qui vit à l'écart des affaires,
mais il semble indiquer que l'indifférence pyrrhonienne s'accommodait
particulièrement bien de la retraite.
(1) Antigonos von Karystos, 1881, p. 30.
(2) Fragmenta Historicorum Graecorum, 1853, II, p. 384.
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(1) Dcr grieckische Roman, 2" éd., 1900, p. 223 note (lse éd., 1876, p. 210).
(2) II convient, toutefois, de spécifier que l'ouvrage d'Hécatée cité par Diogène
traitait de la philosophie des Égyptiens.
(3) Hekalaios, dans Pauly-Wissowa, Realenzykl.. VII, p. 2751 (1. 28-38).
(4) Pyrrhoneïsche Studien, 1893, p. 60, n. 2 et 127. — Sepp prétend démontrer
que Κυθηνας — que personne n'a compris avant lui (ni après) — est synonyme
de Saturniniis ; et il identifie ce Saturninus, complètement inconnu de tous, à
Apulée! (p. 82-85). Le nom de Tubéron devient aussi Néron, etc., etc.
(5) Die Fragmente der Vorsokratiker, 1903, 60 Β 17, p. 484, 1 6-7.
l'origine et l'évolution de L'EnoxH 383
(1) Voici le texte, très condensé, dont nous craignons de n'avoir pu donner
une traduction à la fois littérale et intelligible : "Οθεν γενναιότατα δοκεΐ φιλοσοφή-
σαι, το της ακαταληψίας και εποχής είδος είσαγαγών, ώς Άσκάν.ος 6 'Αβδηρίτης »η»ίν.
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(1) Disc, pyrrh. I (d'après Photius, Myriob., 212, 169 6-Π0 a).
(2) Sextus, Esq. pyrrh., I, 200.
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(1) Satura philol. Sauppio oblata, 1879, p. 85-87 (cité par Hirzel, pass. cit.).
l'origine et l'évolution de l'eiioxu 387
(1) Le texte ajoute : ΑΙνησίδημος δέ ήδονήν. Sepp, correcteur hardi, suppose que
ήδόνήν doit être corrigé en έποχήν (Pyrrh. Slud., p. 62 et 76). C'est évidemment
un moyen facile de faire disparaître une difficulté ; la conjecture serait
néanmoins assez heureuse, — à condition de n'être tenue que pour une conjecture, —
si l'on supposait en outre un déplacement de l'addition. Le texte primitif serait
ainsi : Τίμων φησί. -πρώτον άφασίαν (Α '.νησί δήμος δέ iizoyry) έπειτα άταρχξίαν. Un
scribe, ayant passé la parenthèse, l'aurait rétablie en marge et cela aurait
provoqué les erreurs subséquentes. Mais, répétons-le, nous formulons là une simple
hypothèse, car nous arrivons à un texte tellement concordant avec notre thèse
qu'il serait vraiment fait exprès !
(2) Sill. Gr., p. 29, n. 5. — C'était déjà l'opinion d'Henri Estienne (Sext., Op.,
éd. Fabricius, Π18, p. 202; 1840, I, p. 330).
(3) Cette insuffisance éclate dans le texte d'Aristoclès, où l'accumulation des
adjectifs (αδιάφορα, αστάθμητα, άνέγκριτα pour les choses, αδόξαστους, αχλινείς,
ακράδαντους, pour le sceptique) essaie en vain d'y suppléer. 11 est à noter que,
dans les chapitres sur Γάφασίχ et le où μάλλον, Sextus ne parle pas d'èitoyr,. A
propos du où μάλλον, il dit à la place : άρρεψία (Ρ. 1, 190). Ce dernier mot, à la
différence d'sitoyjj. est de forme négative, comme tous ceux qu'emploie Timon
pour désigner l'état des choses et de l'esprit du sceptique (cf. encore άπροσθετώ
et απάθεια), et comme les maximes sceptiques sous leur forme originale (bien
que Timon déjà semble leur avoir donné aussi la forme interrogative).
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(1) Dialr. (Eus., Pr. év., XIV, 6, 6). On a vu que Dioclès niait la sincérité du
doute chez Arcésilas.
(2) Ac, I, 12, 45 ; II, IS, 59 ; '24, 77-78.
(3) C. Colot., %Â, p. 1120 c.
(4) Sépar. Acad. Plat. (Eus.. Pr. év., XIV, 7, 4).
(5) Esq. Pyrrh.,\, 232.
(6) IV, 28.
(7) Prép. évang., XIV, ■{, 15 ; 7, 15.
(8) Contr. Acad.,U, 5, 11 et 12-24.
(9) Acad., Il; 18, 59. — Hirsel (III, p. 168, n. 1) remarque très justement que
Cicéroa (-4c, II, 32, 104) traduit έπέχειν par adsensus sustinere, alors qu'il s'agit
de distinguer deux sens ά'έπέχειν, dont le premier seulement comporte cette
traduction. C'est parce que Cicéron rend partout le mot έπέχειν conformément à sa
signification primitive. Cf. II. Estienne, Thesaurus, edit. Dindorf, III, 1835, s. v.
επέχω : επέχω xspl τούτου ...subaudiri enitn ace. ττ,ν συγκατάθεσιν.
l'origine et l'évolution de l'eiioxh 391
(1) Par les premiers stoïciens : car Epictète parle souvent de προς τα άδηλα
jze/eiv (Arrien, Entret., ί, 7, ο ; 11, 7 ; 18, 2;i8, 2 ; III, 5, 2). « Ton ouvrage, dit
Epictète, où esl-il ? — Dans le désir et l'éloignement, pour que tu sois satisfait;
dans les impulsions et les répulsions, pour que tu sois impeccable; dans
l'adhésion et ί'έποχή, pour que tu sois infaillible (I, 4, 11) ». Aulu-Gelle (XIX, /, 20)
cite aussi un texte extrait du cinquième livre (perdu) de l'ouvrage d'Arrien, où
Epictète dit que le sage, pour éviter l'erreur, « où συγκατατίθεται, sed statum uigo-
remque sentenliae suae retinet ». Avant de reproduire tout le passage, il spécifie
qu'il est indubitablement d'accord avec les écrits de Zénoa et de Chrysippe {ibid.
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(1) Timon (Python, dans Diog., IX, 76) emploie άτροσθετώ : ce verbe est négatif
de προστίθεμαι, qui signifie, en sous-entendant ψήφον : voter, donner son suffrage.
« La formule Pas plus signifie, dit-il, qu'on ne détermine rien, mais qu'on
s'abstient. » Timon disait aussi μηδενί -πρίστίθεσθαι (Aristocl. d'ap. Eus. Pr. év., XIV,
18, 5 et 10). L'expression μηδενί συγκατατίθεσθαι est appliquée également aux
pyrrhoniens, mais, dans leur langage (Sext., Pytrh., I, 191), <τυγ*ατάθεσις a souvent
le sens spécial d' affirmation opposé à négation; et Sextus (ibid., 190) définit l'àpps-
ψΐα : τόν -κρός μηδέτερον (et non μηδέν). συγκατάθεσε.
l'origine et l'évolution de l'eeioxh 395
(1) Philon, De l'Ivresse, 169, 200, 205 (Wendl.). Voir H. von Àrnim, Quellen-
studien zur Philo. von Alexandria, 1888, p. 70-79, et E. Bréhier, Les Idées
philosophiques et religieuses de Philon d'Alexandrie, 1908, p. 210-213.
(2) Par contre Diog.,IX, 107 (τέλο; οι σκεπτικοί φασι τήν έποχήν, f, σκιάς τρόπον
επακολουθεί ή αταραξία, ως φασιν οι τε περί τον Τίμωνα καί Αίνησίδημον) ne proUTe
rien : la seconde partie seule, croyons-nous, appartient à Timon et Enésidème,
et pouvait s'appliquer à Γάφασία aussi bien qu'à Γεποχή.
(3) Nous n'avons pas fait état du témoignage de Galien (Sur le meilleur
enseignement, 3, p. 47 K,) auquel Hirzel n'attache pas d'importance : τήν ΰπό τών πρ«σ-
βυτέρων 'Ακαδημαϊκών ΐίσαγο μένην εποχήν. Ce testis unus, du reste bien tardif,
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contredit tout ce que nous savons par ailleurs. S'il veut simplement dire que,
pour l'ancienne Académie, τήν εις έκίτερα έπίχείρηιπν τελευταν είς Ιποχήν (ρ. 40 Κ.),
il lui attribue, en un langage anachronique, une remarque très simple, qui
remonte tout aussi bien aux sophistes du v· siècle.
l'origine et l'évolution de l'euOXH 397