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PATBIO-2945; No. of Pages 6

Pathologie Biologie xxx (2011) xxx–xxx

Revue générale

Les complications de la maladie cœliaque

Complications of celiac disease


J. Cosnes a,*,b, I. Nion-Larmurier a,b
a
Service de gastroentérologie et nutrition, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg Saint-Antoine, 75561 Paris cedex 12, France
b
Université Pierre-et-Marie-Curie Paris VI, 75006 Paris, France

I N F O A R T I C L E R É S U M É

Historique de l’article : Les complications de la maladie cœliaque sont nombreuses et diverses, nutritionnelles (retard de
Reçu le 1 mars 2011 croissance chez l’enfant, dénutrition, carences vitaminiques), hématologiques (anémie), osseuses
Accepté le 23 mars 2011 (ostéoporose fracturaire), gynécologiques (troubles de la fécondité), cardiovasculaires (coronaropathie
Disponible sur Internet le xxx
et thromboses veineuses), neurologiques (neuropathie périphérique), et hépatiques (cytolyse, cirrhose).
La maladie cœliaque est associée à un sur-risque de maladies auto-immunes (diabète type I, thyroı̈dites)
Mots clés : et surtout de cancer (cancer des voies digestives supérieures, carcinome hépatocellulaire, lymphomes).
Maladie cœliaque Sur le plan digestif, les principales complications sont la colite microscopique et la sprue réfractaire,
Complications marquée par une résistance au régime sans gluten. Celle-ci peut s’accompagner d’une hyperlympho-
Cancer
cytose intraépithéliale monoclonale (sprue réfractaire de type II), véritable lymphome cryptique dont le
Lymphome T
risque évolutif est le lymphome T invasif, qui complique une maladie cœliaque sur 1000. Le régime sans
Maladie auto-immune
gluten à vie protège en grande partie de la survenue de la plupart des complications et corrige la
surmortalité associée aux complications.
ß 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.

A B S T R A C T

Keywords: Numerous complications can occur in celiac disease, nutritional (growth failure in children,
Celiac disease malnutrition, vitamin deficiencies), hematologic (anaemia), bone disease (osteoporosis, fracture),
Complications gynaecologic (hypo fertility), cardiovascular (coronaropathy, venous thrombosis), neurological
Cancer
(peripheral neuropathy), hepatic (cytolysis, cirrhosis). Celiac disease is associated with an increased
T lymphoma
risk of autoimmune diseases (type 1 diabetes, thyroiditis), and cancer (upper digestive tract,
Autoimmune disease
hepatocellular carcinoma, lymphoma). The main digestive complications are microscopic colitis and
refractory sprue, which are resistant to gluten-free diet. It can be associated with a monoclonal
proliferation of intraepithelial lymphocytes (type 2 refractory sprue), which may be considered as a
cryptic lymphoma and can lead to invasive T lymphoma, which occurs in one celiac patient in 1000.
Gluten-free diet protects from the occurrence of most complications and correct the over-mortality
related to these complications.
ß 2011 Published by Elsevier Masson SAS.

1. Introduction Elles peuvent aussi apparaı̂tre après le diagnostic au cours d’une


maladie traitée et surveillée. Dans la plupart des cas, elles se
Le pronostic à long terme de la maladie cœliaque (MC) est développent à cause d’une mauvaise observance du régime sans
dépendant du développement de complications, en particulier gluten (RSG). En effet, en théorie, la suppression du gluten de
l’ostéoporose et les affections malignes [1]. Les complications l’alimentation guérit la maladie sur les plans clinique, biologique
peuvent révéler la maladie, car l’atrophie villositaire peut n’avoir (disparition des anticorps) et histologique [2] et la poursuite
aucune expression digestive, surtout chez l’adulte, c’est le cas définitive, à vie, du RSG maintient cette « guérison » symptoma-
souvent des complications hématologiques et endocriniennes. tique, donc prévient le développement des complications, et
normalise l’espérance de vie. Cependant, la frontière entre
complications proprement dites et maladies associées n’est pas
* Auteur correspondant. clairement définie et il est souvent difficile devant une pathologie
Adresse e-mail : jacques.cosnes@sat.ap-hop-paris.fr (J. Cosnes). donnée, par exemple une neuropathie, d’en reconnaı̂tre le

0369-8114/$ – see front matter ß 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.patbio.2011.03.004

Pour citer cet article : Cosnes J, Nion-Larmurier I. Les complications de la maladie cœliaque. Pathol Biol (Paris) (2011), doi:10.1016/
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mécanisme. Nous avons distingué trois types de complications, les et des observations d’accidents hémorragiques majeurs ont été
complications directes ou reliées, les complications indirectes et rapportées. Les différentes carences en vitamines liposolubles et en
maladies associées, et les affections malignes. minéraux (zinc, cuivre) s’intègrent habituellement dans un tableau
de malabsorption sévère avec dénutrition. Un point particulier est
2. Complications directes ou reliées le risque de carence en vitamines B induit par la suppression des
céréales alimentaires sous RSG.
Ces complications regroupent celles directement secondaires à
l’entéropathie. Leur diagnostic peut être l’occasion de découvrir la 2.2. Complications hématologiques
MC. Elles sont en règle prévenues par le RSG et une fois constituées,
très améliorées, voire guéries, par le régime (Tableau 1). 2.2.1. L’anémie et autres manifestations hématologiques
La moitié et les trois-quarts, respectivement, des cœliaques
2.1. Complications nutritionnelles ont une carence en vitamine B12 et en folates retentissant sur
l’hématopoı̈èse, avec macrocytose, neutropénie, thrombopénie,
2.1.1. La dénutrition puis si la carence n’est pas corrigée, anémie macrocytaire,
C’est la complication historique de la MC que l’on ne voit plus troubles de l’humeur, manifestations neurologiques. Par ailleurs,
guère aujourd’hui, car apanage de formes évoluées, avec diarrhée la MC expose à la carence martiale, par le biais d’un déficit
majeure, anorexie, amaigrissement, déficit musculaire, hypoalbu- d’absorption du fer et de l’exsudation entérocytaire. La traduc-
minémie et complications carentielles multiples. Une telle tion initiale est l’hypoferritinémie isolée, responsable de fatigue
présentation chez l’adulte doit faire rechercher une affection et syndrome dépressif, précédant l’installation d’une anémie
maligne et une sprue réfractaire mais peut être l’aboutissement microcytaire.
d’une prise en charge trop tardive. La nutrition entérale par sonde
n’est habituellement pas nécessaire, à condition de suivre la reprise 2.2.2. Hyposplénisme
pondérale sous RSG et de supplémenter en vitamines et minéraux. L’hyposplénisme est observé chez 30 % des cœliaques. Il est
reconnu sur l’hémogramme par la présence de corps de Howel Jolly
2.1.2. Le retard de croissance et la petite taille et une hyperplaquettose. Il expose le patient à des complications
Le retard staturo-pondéral est une manifestation fréquente, infectieuses et justifie les vaccinations contre la grippe et le
parfois révélatrice, parfois isolée, de la MC chez l’enfant. La pneumocoque [7].
croissance se normalise rapidement après l’instauration du RSG, et
les cœliaques ayant suivi le RSG pendant l’enfance ont une taille 2.3. Complications osseuses
adulte normale [3]. L’absence de normalisation de la croissance par
le RSG doit faire rechercher et traiter un déficit en hormone de 2.3.1. L’ostéoporose
croissance [4]. Les cœliaques diagnostiqués à l’âge adulte, surtout L’ostéoporose définie par la diminution de la densité minérale
les hommes, chez lesquels l’interrogatoire relève des symptômes osseuse est plus fréquente chez les patients atteints de MC par
digestifs dans l’enfance ont en revanche une taille très diminuée rapport aux non-cœliaques (3,4 % vs 0,2 %) [8]. Il existe également
(près de 10 cm) par rapport à une population contrôle [5]. une augmentation du risque fracturaire, qui persiste toute la vie,
même des années après le diagnostic [9]. Cela justifie la réalisation
2.1.3. Carences vitaminiques au moment du diagnostic d’une ostéodensitométrie [10]. L’ostéo-
Une carence en vitamine K responsable d’un allongement du porose peut être observée chez un patient cœliaque asymptoma-
temps de prothrombine est observée chez 20 % des cœliaques [6], tique. Ainsi, Matysiak-Budnik et al. ont mis en évidence dans leur
série de 42 patients asymptomatiques la présence dans 57 % des cas
Tableau 1 d’anomalies de la densité minérale osseuse [11]. Une fois dépistée,
Principales complications de la maladie cœliaque.
l’ostéoporose doit être traitée. En effet, chez l’adulte, le RSG permet
Complications nutritionnelles Amaigrissement, dénutrition une amélioration des anomalies de l’ostéodensitométrie et les
Retard de croissance (enfant), petite taille
patients suivant le régime font moins de fractures que ceux qui ne le
Carence en vitamine K
Fractures, ostéoporose, ostéomalacie suivent pas [12]. La poursuite du RSG est importante pendant
l’adolescence, période clé de la constitution du capital osseux, ce
Complications hématologiques Anémie ferriprive, hypoferritinémie
d’autant qu’un déficit acquis pendant cette période est irréversible.
Anémie macrocytaire, macrocytose
Hyposplénisme
2.3.2. Rachitisme et ostéomalacie
Complications endocriniennes Retard pubertaire, ménopause précoce,
Aménorrhée, infertilité, fausses couches
Il s’agit de complications classiques de la carence profonde et
prolongée en vitamine D, encore observées aujourd’hui dans des
Complications neurologiques Neuropathie périphérique, ataxie, contextes particuliers. La présentation sous forme d’une myo-
épilepsie
Anxiété, dépression, troubles du
pathie des racines, isolée, est particulièrement trompeuse.
comportement démence

Complications cardiovasculaires Thromboses veineuses


Coronaropathies
3. Complications indirectes et maladies associées

Complications digestives Colite microscopique


Ce chapitre regroupe les pathologies associées à la MC pour
Sprue réfractaire
Lymphomes EATL lesquelles le lien de causalité avec le gluten est moins clairement
Lymphomes B établi et l’effet bénéfique du RSG non démontré.
Cancers digestifs, carcinomes
hépato-cellulaires 3.1. Les troubles de la fécondité
Complications diverses et/ou Hépatopathies
maladies associées Les patientes cœliaques non traitées ont une augmentation
Maladies auto-immunes (diabète, significative de retard pubertaire, de ménopause précoce, et
thyroı̈dite. . .etc.)
d’aménorrhée secondaire [13]. Par ailleurs, les données cliniques et

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épidémiologiques montrent que les cœliaques sous régime normal peut être diagnostiquée par dépistage dans une population de
ont un risque augmenté de fausses couches spontanées (15 % vs diabétiques insulinodépendants ou de patients atteints de thy-
6 %), de diminution de la fertilité (1,9 vs 2,5 naissances), de petit roı̈dite. La prévalence de la MC chez les patients diabétiques
poids de naissance. La pathogénie de ces troubles est inconnue. Le insulinodépendants est de 3 à 8 % [21]. L’exposition au gluten chez
RSG, chez la femme adulte, diminue le taux de fausses couches des cœliaques non diagnostiqués et génétiquement prédisposés
spontanées et la fréquence des naissances d’enfant de petit poids pourrait favoriser le développement de cette auto-immunité [22]. Le
[13]. Il n’existe pas d’étude comparative de la fécondité de femmes RSG semble avoir un effet protecteur : le risque de développer une
cœliaques diagnostiquées dans l’enfance ayant poursuivi ou non le maladie auto-immune est multiplié par deux chez les patients qui ne
RSG à l’âge adulte, mais les données observées chez la femme suivent pas le RSG [23]. En revanche, le RSG ne semble pas avoir
adulte suggèrent que celles ayant maintenu le RSG ont un risque d’effet sur l’évolution de la maladie auto-immune constituée.
moindre d’hypofécondité, même si elles ont des enfants plus tard,
comparativement aux femmes récemment diagnostiquées [14]. 3.5. Colite microscopique

3.2. Accidents cardiovasculaires La colite microscopique est définie par une diarrhée hydrique
associée à un infiltrat inflammatoire de la muqueuse colique avec
Les cœliaques ont un risque d’accident cardiovasculaire double hyperlymphocytose intraépithéliale, avec (colite collagène) ou
de celui de la population générale. Cela est observé alors même que sans (colite lymphocytaire) épaississement de la membrane basale
le pourcentage de fumeurs est inférieur à celui de la population sous-épithéliale. Elle doit être distinguée de la présence en excès
générale [15]. La cholestérolémie est souvent abaissée, mais surtout de lymphocytes parfois observée dans le côlon au cours d’une MC
sur la fraction HDL. Une hyperhomocystéinémie est trouvée plus banale. Le diagnostic de colite microscopique est souvent fait chez
fréquemment (20 % vs 5 % dans la population générale) et pourrait en un patient respectant le régime mais dont la diarrhée persiste,
partie expliquer ce risque augmenté. Le risque de thrombose cette situation imposant la pratique d’une coloscopie avec biopsies
veineuse est aussi augmenté. L’effet du RSG sur la prévalence des multiples. Avoir une MC multiplie par huit le risque de développer
accidents cardiovasculaires est mal connu. Toutefois, le régime une colite microscopique [24].
normalise l’homocystéinémie et entraı̂ne une amélioration de la Une fois constituée, la colite microscopique évolue pour son
fonction cardiaque en cas de cardiomyopathie dilatée [15]. propre compte et n’est pas améliorée par le RSG. Elle est en
revanche, sensible au budésonide, avec un risque élevé de
3.3. Les neuropathies corticodépendance.

Six à 10 % des cœliaques développent des complications 3.6. Hépatopathies


neurologiques [16]. Ces complications doivent faire éliminer une
étiologie carentielle, particulièrement en vitamine E, vitamines du On distingue deux formes d’atteinte hépatique liées à la MC.
groupe B et cuivre, en fait rarement en cause. Le plus souvent elles D’une part, l’hypertransaminémie d’origine cryptogénétique et,
ont une forte composante inflammatoire, ne sont pas influencées d’autre part, les hépatopathies d’origine auto-immune. L’élévation
par le RSG ni la supplémentation vitaminique et peuvent isolée, généralement modérée, des transaminases est l’atteinte
progresser malgré un suivi strict du régime et la guérison hépatique la plus fréquente, retrouvée chez près de 50 % des MC non
histologique de l’entéropathie [17]. Les plus fréquentes sont traitées. Inversement, 10 % des élévations chroniques inexpliquées
l’ataxie cérébelleuse, l’épilepsie, les neuropathies périphériques, la des transaminases seraient dues à une MC. L’élévation des
démence progressive et la leucoencéphalopathie multifocale. transaminases est l’expression d’une dysfonction hépatique modé-
L’ataxie cérébelleuse, probablement d’origine auto-immune (pré- rée avec à l’histologie une hépatite réactionnelle non spécifique ou
sence d’anticorps antiganglioside), est habituellement d’évoluti- « hépatite cœliaque », se normalisant après six à 12 mois de RSG. Le
vité faible. La comitialité est la plus fréquente des complications mécanisme physiopathologique est inconnu (rôle de la malabsorp-
neurologiques, souvent associée dans le cadre du syndrome de tion et malnutrition chronique, pullulation microbienne intestinale,
calcifications cérébrales, surtout dans les populations d’origine augmentation de la perméabilité intestinale, inflammation chro-
italienne. Inversement, il n’est pas exceptionnel de découvrir une nique intestinale). Dans de rares cas, il existe une hépatopathie plus
MC en cas d’épilepsie réfractaire au traitement conventionnel et la sévère au diagnostic caractérisé par une hépatite chronique et
MC est dix fois plus fréquente en cas de comitialité comparative- parfois une cirrhose. De façon surprenante et parfois controversée,
ment à la population générale [18]. La neuropathie périphérique une amélioration de la fonction hépatique a également été décrite
revêt une expression clinique variable et est peu ou pas améliorée sous RSG dans ces formes sévères avec régression de l’ascite, de
objectivement par le RSG [19]. l’ictère ce qui a permis d’éviter une transplantation hépatique dans
Enfin, les troubles cognitifs et les manifestations psychiatriques trois cas rapportés sur quatre avec régression de la fibrose à
peuvent avoir une évolution progressive éventuellement fatale. Au l’histologie [25,26]. En cas de persistance des perturbations des tests
total, la diversité des complications neurologiques et leur mauvaise hépatiques, malgré un RSG bien suivi, après avoir éliminé une
réponse au RSG font que la responsabilité de la MC dans leur mauvaise observance du régime, une ponction biopsie hépatique est
déterminisme est discutée [20]. Un danger potentiel chez les à envisager afin d’éliminer une maladie auto-immune hépatique
malades neurologiques est de faire le diagnostic de MC par excès (par associée. Ainsi, la MC est retrouvée chez 3 à 7 % des patients ayant
exemple sur la seule positivité des anticorps antigliadine) et de une cirrhose biliaire primitive (CBP), 3 à 6 % une hépatite auto-
conseiller sans preuve un RSG inutile et contraignant. immune et 2 à 3 % une cholangite sclérosante primitive (CSP). Lors de
ces maladies, contrairement aux formes précédentes, il n’y a
3.4. Maladies auto-immunes généralement pas d’amélioration de la fonction hépatique sous
RSG. [27,28].
Quinze à 25 % des cœliaques, soit cinq à dix fois plus que la
population générale, ont ou développeront une autre maladie auto- 3.7. Affections diverses
immune : essentiellement diabète insulinodépendant et thyroı̈dite,
mais aussi maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, La MC est également associée à d’autres affections rares qui ne
connectivites, cirrhose biliaire primitive. . .etc. Inversement, la MC peuvent être reconnues comme des complications, notamment

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l’hémosidérose pulmonaire idiopathique, la sarcoı̈dose, la pan- 4.2.1. Lymphomes B


créatite aiguë, certaines formes de cardiomyopathie, l’hyperplasie La MC est associée à un sur-risque de lymphomes B non
nodulaire régénérative. . .etc. hodgkiniens, de localisation intestinale ou non. Le risque de
maladie de Hodgkin est aussi augmenté, mais non celui de
4. Cancers et lymphomes leucémie lymphoı̈de chronique. Le sur-risque de lymphome,
globalement de l’ordre de cinq sur un, tend à diminuer depuis
Les patients atteints de MC ont une augmentation du risque les années 1990. Ce sur-risque est partagé par les parents du
global d’affections malignes, principal responsable de l’augmenta- premier degré non cœliaques, ce qui suggère une forte participa-
tion de la mortalité (multipliée par deux). Cette augmentation porte tion génétique [30].
essentiellement sur les cancers digestifs et les lymphomes. Des
études de population récentes démontrent que ce risque de cancer 4.2.2. Sprue réfractaire et lymphome cryptique
est en fait moins important que décrit initialement, peut-être parce La sprue réfractaire est définie par l’absence d’amélioration
que la MC est aujourd’hui plus largement diagnostiquée [29,30]. clinique et la persistance de l’atrophie villositaire après un an de
Quand la MC a été diagnostiquée dans l’enfance, il n’est pas observé RSG bien suivi et en l’absence d’affection maligne macroscopique.
de risque augmenté de cancer, très probablement en raison de Ce tableau peut être présent d’emblée ou compliquer secondaire-
l’initiation précoce du RSG [29]. De même, les cœliaques asympto- ment une MC auparavant contrôlée par le régime [35] et serait
matiques ne suivant pas de RSG n’ont pas un risque augmenté de observé dans 1 à 5 % des maladies cœliaques de l’adulte [36]. Il
cancer du moins pendant les 20 ans qui suivent le dosage des impose un bilan morphologique exhaustif à la recherche d’un
anticorps [31]. Enfin, chez l’adulte symptomatique, le RSG bien suivi adénocarcinome du grêle ou d’un lymphome T, bilan comprenant
et prolongé au moins cinq ans diminue de façon significative le une endoscopie digestive haute avec biopsies, une coloscopie
risque global de cancer (carcinomes et lymphomes confondus), mais totale, une tomodensitométrie abdominale, un PET-Scan. L’enté-
la différence porte essentiellement sur les lymphomes [32]. roscopie poussée et la vidéocapsule peuvent compléter ces
examens [37,38]. Si cette recherche est négative, et, a fortiori,
4.1. Cancers digestifs s’il existe une jéjuno-iléite ulcérée, il faut, pour classer la sprue
réfractaire, analyser les lymphocytes intraépithéliaux par
Les cancers dont la fréquence est augmentée au cours de la MC immuno-marquage, cytométrie de flux et recherche d’un réarran-
sont les carcinomes de l’œsophage et de l’oropharynx (standardized gement clonal du récepteur TCR. Dans la sprue réfractaire de type I,
incidence ratio [SIR] respectivement de 2,3 et 4,2), l’adénocarci- les lymphocytes intraépithéliaux sont normaux. Dans la sprue
nome du grêle, le cancer du côlon (SIR 1,5), le carcinome réfractaire de type II, ils sont anormaux, résultat d’une prolifération
hépatocellulaire (SIR 2,7) et l’adénocarcinome du pancréas. En monoclonale témoignant d’un lymphome cryptique [39,40] Le
revanche, le risque de cancer du sein est diminué (SIR 0,3) [29]. risque évolutif de cette condition est la transformation en
L’augmentation très particulière de l’incidence des cancers des lymphome T invasif et la survie est de 44 % à cinq ans, alors que
voies digestives supérieures a fait évoquer la responsabilité de la le pronostic de la sprue réfractaire de type I est bien meilleur, avec
carence en vitamine A. un risque faible de lymphome invasif et un taux de survie de 93 % à
cinq ans [36,41]. Le mauvais pronostic de la sprue réfractaire de
4.2. Lymphomes type II justifie le recours à des traitements agressifs, corticoı̈des,
thiopurines, ciclosporine, infliximab, cladribine, jusqu’à la greffe de
Le risque relatif de lymphome dans la population cœliaque est moelle [42].
augmenté de trois à 80 selon les études [33,34]. Il faut distinguer les
lymphomes non hodgkiniens B non spécifiques et le lymphome T 4.2.3. Le lymphome T intestinal (EATL)
intestinal (enteropathy-associated T cell lymphoma [EATL]), qui est Le lymphome T intestinal constitue la complication ultime de la
une complication très particulière. Le risque individuel d’EATL est de MC, éventuellement favorisée par une mauvaise observance du
l’ordre d’un pour 1000, et l’incidence annuelle d’un cas pour 10 000. RSG. Il est plus fréquent chez l’homme et autour de 60 ans. Il doit
Nous avons regroupé dans ce paragraphe la sprue réfractaire car elle aussi être évoqué devant une résistance secondaire au RSG. Il est
peut être l’expression initiale d’un lymphome cryptique. généralement multifocal, localisé au niveau du jéjunum mais aussi

Tableau 2
Comparaison de la fréquence et de la gravité de complication et affections reliées à la maladie cœliaque suivant le suivi ou non du régime sans gluten.

Groupe comparatif Effet favorable du régime sans gluten

Petite taille définitive Cœliaques adultes non diagnostiqués symptomatiques dans l’enfance +

Stérilité Cœliaques non diagnostiqués Non (mais grossesses à un âge + jeune)

Enfant de petit poids de naissance Cœliaques non diagnostiqués +

Fractures osseuses Cœliaques non compliants +

Ostéodensitométrie Cœliaques non compliants +

Risque de maladies auto-immunes Cœliaques non compliants +

Insulinothérapie du diabète Cœliaques non compliants Non

Risque de cancers (lymphome exclu) Cœliaques non compliants Non

Sprue réfractaire Cœliaques non compliants Non (?)

Risque de lymphome Cœliaques non compliants +

Accidents cardiovasculaires Pas d’étude

Mortalité Cœliaques non compliants +

Pour citer cet article : Cosnes J, Nion-Larmurier I. Les complications de la maladie cœliaque. Pathol Biol (Paris) (2011), doi:10.1016/
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de l’iléon ou au niveau de sites extradigestifs. Le diagnostic peut [7] Corazza GR, Zoli G, Di Sabatino A, et al. A reassessment of splenic hypofunction
in celiac disease. Am J Gastroenterol 1999;94:391–7.
être difficile (cf supra), et parfois nécessiter une cœlioscopie [8] Meyer D, Stavropolous S, Diamond B, et al. Osteoporosis in a north
exploratrice avec biopsie ganglionnaire, voire résection segmen- american adult population with celiac disease. Am J Gastroenterol 2001;
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[9] Ludvigsson JF, Michaelsson K, Ekbom A, et al. Celiac disease and the risk of
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5.1. Preuves de l’effet du régime sans gluten [11] Matysiak-Budnik T, Malamut G, de Serre NP, et al. Long-term follow-up of
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on a normal diet. Gut 2007;56:1379–86.
Les complications de la MC sont diversement prévenues et [12] Vasquez H, Mazure R, Gonzalez D, et al. Risk of fractures in celiac disease
améliorées par le RSG. Comme indiqué plus haut, il existe un très patients: a cross-sectional, case-control study. Am J Gastroenterol
large éventail dans l’efficacité du RSG depuis les troubles de la 2000;95:183–9.
[13] Eliakim R, Sherer DM. Celiac disease: fertility and pregnancy. Gynecol Obstet
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réfractaire de type II qui peut se développer et progresser vers le [14] Tata LJ, Card TR, Logan RF, et al. Fertility and pregnancy-related events in
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[15] Saibeni S, Lecchi A, Meucci G, et al. Prevalence of hyperhomocysteinemia in
sont souvent modestes, car portant sur la comparaison d’observa- adult gluten-sensitive enteropathy at diagnosis: role of B12, folate, and
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ne suivant pas le régime (Tableau 2). Or il s’agit de populations
which serological marker(s) to use? J Intern Med 2001;250:241–8.
différentes, par exemple concernant le pourcentage de fumeurs, la [17] Wills AJ, Unsworth DJ. The neurology of gluten sensitivity: separating the
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[18] Luostarinen L, Dastidar P, Collin P, et al. Association between celiac disease,
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Une grande étude de cohorte italienne ayant inclus plus d’un [20] Grossman G. Neurological complications of celiac disease: what is the evi-
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millier de patients a montré que la surmortalité observée dans la [21] Sjoberg K, Wassmuth R, Reichstetter S, et al. Gliadin antibodies in adult
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diagnostic et était l’apanage des patients ne suivant pas, ou Autoimmunity 2000;32:217–28.
[22] Ventura A, Magazzu G, Greco L, SIGEP Study Group for Autoimmune Disorders
suspects de ne pas suivre, le RSG [44]. Cette donnée constitue le in Celiac Disease. Duration of exposure to gluten and risk for autoimmune
meilleur argument en faveur du bénéfice du RSG à long terme, disorders in patients with celiac disease. Gastroenterology 1999;117:
lorsqu’on vient d’établir le diagnostic de MC chez un patient donné. 297–303.
[23] Cosnes J, Cellier C, Viola S, et al. Incidence of autoimmune diseases in celiac
Un problème encore non résolu, car les données sont contra- disease: protective effect of the gluten-free diet. Clin Gastroenterol Hepatol
dictoires [45,46], est celui de l’intérêt du RSG chez les sujets 2008;6:753–8.
asymptomatiques. [24] Williams JJ, Kaplan GG, Makhija S, et al. Microscopic colitis-defining incidence
rates and risk factors: a population-based study. Clin Gastroenterol Hepatol
2008;6:35–40.
6. Conclusion [25] Kaukinen K, Halme L, Collin P, et al. Celiac disease in patients with severe liver
disease: gluten-free diet may reverse hepatic failure. Gastroenterology
2002;122:881–8.
Les complications de la MC font toute sa gravité. Le RSG permet
[26] Jacobsen MB, Fausa O, Elgjo K, et al. Hepatic lesions in adult celiac disease.
de prévenir la majorité de ces complications, et un patient suivant Scand J Gastroenterol 1990;25:656–62.
rigoureusement et définitivement le régime doit être considéré [27] Rubio-Tapia A, Murray JA. The liver in celiac disease. Hepatology 2007;46:
1650–8.
comme ayant une espérance de vie normale [44]. Il ne faut
[28] Volta U. Pathogenesis and clinical significance of liver injury in celiac disease.
toutefois pas méconnaı̂tre qu’un tel patient justifie une surveil- Clin Rev Allergy Immunol 2009;36:62–70.
lance médicale prolongée pour vérifier le suivi du RSG (enquête [29] Askling J, Linet M, Gridley G, et al. Cancer incidence in a population-based
alimentaire, anticorps), l’évolution lésionnelle (ferritinémie, biop- cohort of individuals hospitalised with celiac disease or dermatitis herpeti-
formis. Gastroenterology 2002;123:1428–35.
sie) et l’ostéodensitométrie, et reste exposé au développement de [30] Gao Y, Kristinsson SY, Goldin LR, et al. Increased risk for non-Hodgkin lym-
maladies associées, telles que certaines maladies auto-immunes. phoma in individuals with celiac disease and a potential familial association.
Gastroenterology 2009;136:91–8.
[31] Lohi S, Maki M, Montonen J, et al. Malignancies in cases with screening-
Déclaration d’intérêts identified evidence of celiac disease: a long-term population-based cohort
study. Gut 2009;58:643–7.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en [32] Holmes GK, Prior P, Lane MR, et al. Malignancy in celiac disease – effect of a
gluten-free diet. Gut 1989;30:333–8.
relation avec cet article. [33] Smedby KE, Akerman M, Hildebrand H, et al. Malignant lymphomas in celiac
disease: evidence of increased risks for lymphoma types other than enterop-
Références athy-type T cell lymphoma. Gut 2005;54:54–9.
[34] Catassi C, Bearzi I, Holmes GK. Association of celiac disease and intestinal
[1] Murray JA, Watson T, Clearman B, et al. Effect of a gluten-free diet on lymphomas and other cancers. Gastroenterology 2005;128:S79–86.
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Pour citer cet article : Cosnes J, Nion-Larmurier I. Les complications de la maladie cœliaque. Pathol Biol (Paris) (2011), doi:10.1016/
j.patbio.2011.03.004
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UK and its association with celiac disease. QJM 2003;96:345–53. 2009;136:99–107. quiz 352-103.

Pour citer cet article : Cosnes J, Nion-Larmurier I. Les complications de la maladie cœliaque. Pathol Biol (Paris) (2011), doi:10.1016/
j.patbio.2011.03.004

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