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AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

Aplasies médullaires

G Socié

L ’aplasie médullaire est un déficit de production des cellules sanguines, responsable d’anémie arégénérative, de
thrombopénie avec syndrome hémorragique cutanéomuqueux spontané, et de leuconeutropénie à l’origine
d’infections.
© Elsevier, Paris.


Les éléments de gravité cliniques sont l’existence
Introduction Pancytopénie d’un syndrome septicémique ou d’un syndrome
hémorragique viscéral (méningé, ou digestif).
Diagnostic de gravité Les éléments de gravité biologiques sont des
L’aplasie médullaire (AM) est une maladie rare
dont l’incidence est de moins de dix cas par million polynucléaires neutrophiles inférieurs à 0,5.109/L ou
Diagnostic étiologique
et par an. Elle est liée à une insuffisance quantitative moelle pauvre des plaquettes inférieures à 20.109/L.
de l’hématopoïèse, par atteinte endogène ou Aplasies médullaires++ De tels éléments de gravité imposent, en
exogène de la cellule souche hématopoïétique à urgence :
l’origine des lignées sanguines. Patient < 40-45 ans Patient > 40-45 ans – l’hospitalisation du patient ;
et donneur identique Pas de donneur – la pose d’une voie d’abord veineuse ;


(familial)
– la mise en route d’une antibiothérapie à large
Épidémiologie Greffe de moelle spectre dès que les prélèvements bactériologiques
Traitement immunosuppresseur ont été réalisés, en cas de syndrome infectieux et de
L’AM est plus répandue en Asie qu’en Europe et sérum antilymphocytaire + ciclosporine neutropénie sévère inférieure à 0,5.109/L ;
en Amérique. L’incidence est de l’ordre de deux cas 1 Démarche diagnostique et orientation thérapeu- – la transfusion d’unités plaquettaires en cas de
par million par an actuellement en Europe. Elle tique face à une aplasie médullaire. syndrome hémorragique muqueux ou viscéral, ou
atteint 6 en Thaïlande et 7,4 en Chine. L’incidence de d’une thrombopénie inférieure à 20.109/L.
l’AM décrit une courbe bimodale avec un premier pic – d’un syndrome infectieux, localisé, ou
chez les sujets jeunes et un autre au-delà de 50 ans. septicémique. ‚ Diagnostic d’aplasie médullaire
Un excès de cas masculins a été observé en France, L’association d’anémie, de fièvre et de purpura est
donc hautement évocatrice du diagnostic de Les pancytopénies sont essentiellement
dans la tranche 15-29 ans, correspondant à des cas
pancytopénie. La pancytopénie est affirmée par les d’origine centrale (médullaire) et exceptionnel-
sévères. L’AM s’observe plus souvent dans les
résultats de la numération formule sanguine (NFS), lement d’origine périphérique. Le diagnostic d’AM
classes socioéconomiques défavorisées.
qui montrent une anémie, une leuconeutropénie et est parfois orienté par les antécédents personnels
une thrombopénie, dont l’association définit la (hépatite virale...) ou familiaux du patient ou par les

■ pancytopénie. données de l’examen clinique, mais il est surtout fait


Démarche diagnostique Les éléments de gravité sont cliniques et/ou grâce aux données de deux examens de la moelle
biologiques. osseuse :
– myélogramme ;
‚ Évoquer le diagnostic d’aplasie
médullaire, c’est faire le diagnostic d’une À l’examen de la NFS, on observe – étude histologique de la biopsie médullaire.
pancytopénie (fig 1) donc : Si ces examens montrent une moelle de richesse
La pancytopénie peut être suspectée à l’examen ✔ un taux d’hémoglobine inférieur à diminuée, voire désertique, sans myélofibrose ni
clinique par l’association : 12 g/L ; envahissement médullaire par une hémopathie
– d’un syndrome anémique avec pâleur ✔ des leucocytes inférieurs à 3.109/L maligne ou un cancer métastatique, il s’agit alors
d’une AM.
© Elsevier, Paris

cutanéomuqueuse et dyspnée d’effort ; et des polynucléaires neutrophiles


– d’un syndrome hémorragique cutané inférieurs à 1,5.109/L ; L’association d’un chiffre de réticulocytes inférieur
(purpura, ecchymose) ou muqueux (épistaxis, ✔ des plaquettes inférieures à à 20.109/L, d’un chiffre de plaquettes inférieur à
gingivorragies), plus rarement viscéral (hémorragies 140.109/L. 20.109/L et de polynucléaires neutrophiles inférieurs
méningées ou digestives) ; à 0,5.109/L définit une AM grave.

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d’obtenir des rémissions hématologiques de longue


Tableau I. – Principaux médicaments induisant une aplasie médullaire. durée et un taux de survie à long terme proche de la
Médicaments associés avec un risque élevé GMO dans certains cas, il n’en demeure pas moins
Médicaments constamment myélosuppresseurs que l’hématopoïèse d’un patient après immunosu-
d’aplasie médullaire
pression reste profondément anormale et
Sels d’or Anticancéreux
D-pénicillamine Antithyroïdiens de synthèse potentiellement sujette à une évolution clonale
Sulfamides-sulfones Interféron (myélodysplasie ou leucémie aiguë). Cependant, le
Chloramphénicol traitement par GMO se heurte à trois écueils
Bêtalactamines majeurs :
Colchicine – le premier est d’origine génétique : en effet, la
Allopurinol
AINS : indométacine, diclofénac, Butazolidinet probabilité d’avoir un donneur HLA identique dans
Furosémide une fratrie n’est que de 25 % ;
Salicylés – la GMO ne peut être envisagée, comme
Ticlopidine traitement de première intention, que chez des sujets
jeunes (moins de 40-45 ans) ;
AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens.
– même chez des sujets jeunes ayant un


donneur familial HLA géno-identique, la mortalité
‚ Aplasies médullaires acquises
Traitement liée à la greffe demeure de 10 à 30 % selon les
et congénitales
études.
Aplasies médullaires acquises Depuis le milieu des années 1980, la probabilité
La mise en route du traitement (fig 1) est toujours de survie à long terme après GMO est de 70 à 80 %.
Elles sont parfois de cause connue. faite en milieu hospitalier. Les AM peuvent être
■ Médicamenteuse : par un mécanisme toxique traitées par : ‚ Traitements immunosuppresseurs
ou immunoallergique (sels d’or, chloramphénicol, – allogreffe de cellules souches hématopoïé-
tiques (greffe de moelle osseuse [GMO]), qui conduit Les traitements immunosuppresseurs ont évolué
phénylbutazone...). La liste de ces médicaments est
au remplacement de l’hématopoïèse du malade par depuis les 20 dernières années, et leurs résultats à
longue (tableau I). Plutôt que de donner une liste
celle du donneur ; long terme se sont grandement améliorés. La survie
exhaustive, rappelons :
– traitement immunosuppresseur. à 5 ans est passée de 50 % environ chez les patients
– la nécessité d’une surveillance hématologique
Mais, quelle que soit la modalité thérapeutique traités avant 1980 à plus de 70 % chez les patients
rigoureuse qu’impose la prescription de certains
choisie selon les critères définis ci-dessous, une place traités depuis lors.
médicaments ;
– la nécessité d’une enquête « policière » à la fondamentale de la thérapeutique de ces affections
Sérum antilymphocytaire
recherche de prise médicamenteuse suspecte dans revient au traitement symptomatique de
l’enquête étiologique. réanimation hématologique. Le sérum antilymphocytaire (SAL) a été la
■ Toxique : dérivés benzéniques, pesticides, première thérapeutique immunosuppressive utilisée
‚ Mesures symptomatiques dans cette maladie. Ce traitement ne peut être réalisé
irradiation.
Les infections bactériennes peuvent être qu’en milieu hospitalier. La dose de SAL typiquement
■ Postvirale : avec en premier lieu les aplasies
rapidement fatales chez les patients très utilisée est de 15 mg/kg/j pendant 5 jours. Fait
posthépatiques, non dues au virus A, B ou C, et
neutropéniques. Il s’agit donc d’une urgence important, la médiane d’obtention d’une réponse
caractérisées par leur gravité. Plus rarement, d’autres
thérapeutique et les patients doivent rapidement hématologique (mesurée sur l’augmentation des
virus peuvent entraîner des AM, généralement
recevoir une antibiothérapie à large spectre. De polynucléaires neutrophiles) est toujours longue
modérées tel le Cytomégalovirus ou le virus de
manière plus spécifique, les patients atteints d’AM avec le SAL, de l’ordre de 2 mois. De plus,
l’immunodéficience humaine (VIH).
sont particulièrement à risque d’infections l’importance de la réponse et le délai d’obtention de
■ Dysimmunitaire : aplasie du lupus érythé-
fongiques (car la durée de neutropénie cette dernière varient considérablement d’un patient
mateux aigu disséminé ou de la fasciite à
postimmunosuppression ou GMO, peut être à l’autre. Néanmoins, on peut estimer que 50 à
éosinophile (syndrome de Schulman).
particulièrement longue). Ces infections fongiques à 60 % des patients ont une réponse hématologique
Cependant, dans la majorité des cas (85 %),
Candida ou Aspergillus constituent, à l’heure au SAL. Les effets secondaires du SAL sont de deux
aucune étiologie n’est retrouvée. On parle alors
actuelle, une des causes principales de décès de ces ordres : l’aggravation initiale de la leucopénie et de
d’AM idiopathique.
patients. Les hémorragies liées à la thrombopénie la thrombopénie d’une part, et la maladie sérique,
souvent profonde constituent une autre cause d’autre part. Cette dernière complication a
Aplasies médullaires congénitales pratiquement disparu depuis l’administration
importante de décès. L’anémie est constante. La
On doit évoquer ce cadre étiologique devant correction de la thrombopénie et de l’anémie fait concomitante de corticoïdes (1 à 2 mg/kg) avec le
toute AM de l’enfant. Il s’agit d’affections rares. La partie des mesures symptomatiques indispensables SAL.
plus fréquente d’entre elles est la maladie de dans la prise en charge de ces patients qui doivent
Fanconi, caractérisée par l’apparition retardée de la avoir un phénotype érythrocytaire complet dès le Ciclosporine
pancytopénie (vers l’âge de 5 ans) et l’association diagnostic. En dehors d’un contexte d’urgence, toute La ciclosporine est une molécule qui bloque
avec un syndrome dysmorphique (non constant) qui indication de transfusion chez un patient ayant une spécifiquement l’activation et la prolifération du
associe : AM doit être réfléchie (les règles de transfusions, en lymphocyte T. Le taux de réponse globale de la
– retard staturopondéral ; cas d’hémoglobine inférieure à 8 g/L et de ciclosporine donnée seule (sans SAL ni androgènes)
– anomalie du pouce ; plaquettes inférieures à 20 g/L, sont moins a été estimé à 55 %. La ciclosporine est
– microrétrognathisme ; strictement applicables qu’à l’habitude). habituellement administrée à la dose de 5 mg/kg/j,
– taches café au lait. divisée en deux doses, pour un durée minimale de 3
Le diagnostic est posé grâce aux résultats de ‚ Greffe de moelle mois. À la différence du SAL, si la mise en route du
l’examen cytogénétique qui montre un taux de La greffe de moelle, à partir d’un donneur HLA traitement de la ciclosporine est réalisée en secteur
cassure chromosomique important sous l’action géno-identique de la fratrie, constitue la seule hospitalier, la surveillance sous traitement est
d’agents alkylants de l’acide désoxyribonucléique thérapeutique réellement curative des AM acquises. souvent réalisée conjointement avec le médecin
(ADN). En effet, si le traitement immunosuppresseur permet généraliste. C’est dire l’importance de la

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connaissance des deux effets secondaires majeurs comme traitement de première intention. Notons sans [ ?] G-CSF pour les formes les plus sévères).
de la ciclosporine : la toxicité rénale et l’hypertension cependant que de très bons résultats ont été Enfin, point important, notons que le risque de
artérielle. obtenus par l’association SAL + ciclosporine + G-CSF. complications à long terme avec les deux options
thérapeutiques font partie de la discussion
Traitements combinés ‚ Greffe de moelle ou traitement thérapeutique. Après immunosuppression, le risque
L’association SAL-ciclosporine constitue le immunosuppresseur ? de myélodysplasie ou de leucémie aiguë est
traitement de référence en 1998 des AM sévères. La greffe de moelle est le traitement de référence respectivement de 9,6 % et 6,6 % à 10 ans. Après
L’administration isolée de facteurs de croissance des AM sévères du sujet jeune (< à 35-40 ans) qui a greffe de moelle, le risque de tumeur solide
tels que le G-CSF, le GM-CSF, l’IL1 ou l’IL3 s’est avérée un donneur HLA identique de la fratrie. Chez les secondaire est significativement plus important que
décevante dans le traitement de rechute de patients patients plus âgés ou chez les patients (la majorité) dans la population générale ; leur incidence est de
atteints d’AM. De plus, il est clair qu’il n’existe aucune qui n’ont pas de donneur identique dans la fratrie, le l’ordre de 5 % à 10 ans et est liée à l’utilisation de
place pour ces facteurs de croissance utilisés seuls, traitement de première intention est le traitement l’irradiation dans le conditionnement et à la maladie
en l’absence de traitement immunosuppresseur, immunosuppresseur par SAL + ciclosporine (avec ou chronique du greffon contre l’hôte.

Gérard Socié : Praticien hospitalier, maître de conférences,


service de greffe de moelle, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75475 Paris cedex 10, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : G Socié. Aplasies médullaires.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 4-0290, 1998, 3 p

Références

[1] Gluckman E, Coulombel L. Ontogeny of hematopoiesis, aplastic anemia. Pa- [4] Young NS, Alter BP. Aplastic anemia acquired and inherited. Philadelphia :
ris : INSERM, 1995 : 191-379 WB Saunders, 1995 : 1-410

[2] Socié G, Baumelou E, Gluckman E. Aplasies médullaires acquises. Encycl [5] Young NS, Maciejewski J. The pathophysiology of acquired aplastic anemia.
Méd Chir (Elsevier, Paris), Hématologie, 13-008-A-50, 1998 ; 1-8 N Engl J Med 1997 ; 336 : 1365-1372

[3] Socié G, Mary JY, Gluckman E. Aspects récents de la physiopathologie des


aplasies médullaires acquises. Hematologie 1996 ; 2 : 511-518

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