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CAS CLINIQUE

Mots-clés
Cryptococcose – Méningo-encéphalite – Déficits neurologiques – Immunodépression

Keywords
Cryptococcosis – Meningoencephalitis – Neurologic manifestations – Immunocompromised host

Cryptococcose cérébro-méningée
à présentation pseudo-vasculaire
Stroke-like presentation of cryptococcal meningoencephalitis
M. Poli*, P. Renou*, A. Vital**, I. Sibon*

L
e cryptocoque est une levure encapsulée saprophyte du
sol dont la principale espèce pathogène pour l’homme est
A1 A2
Cryptococcus neoformans (C. neoformans). Cette famille
comporte 3 variétés et 4 sérotypes : C. neoformans (sérotype A),
var. gattii (sérotypes B et C) et var. neoformans (sérotype D).
La contamination se fait par inhalation du champignon qui se
loge au niveau pulmonaire, entraînant la formation d’un nodule
lymphoïde asymptomatique chez les sujets immunocompé-
tents. La dissémination hématogène, responsable des formes
symptomatiques, est limitée par l’intervention de l’immunité à B1 B2
médiation cellulaire et des lymphocytes T CD4 (1). L’émergence
du virus du sida a contribué à l’augmentation de l’incidence de
la maladie (2). D’autres affections responsables d’une altération
de l’immunité à médiation cellulaire peuvent contribuer à la
survenue de cette infection rare, aux présentations cliniques
hétérogènes et au pronostic désastreux en l’absence de prise en
charge thérapeutique précoce (3). Nous rapportons un cas de
méningo-encéphalite à cryptocoques avec présentation pseudo-
vasculaire chez un patient non infecté par le VIH.
C1 C2

O b s e r v a t i o n 
Un homme âgé de 65 ans est admis en neurologie pour la prise en
charge d’un syndrome cérébelleux et d’une hémiparésie gauche
d’apparition brutale. Dans ses antécédents, on note une hyper-
tension artérielle, une dyslipidémie, une BPCO post-tabagique
avec polyglobulie secondaire, un syndrome néphrotique à lésions
glomérulaires minimes traité depuis 6 mois par corticothérapie
(1 mg/kg) responsable d’un diabète cortico-induit. L’histoire de la
Figure 1. IRM cérébrale en coupes axiales.
maladie avait débuté 3 mois auparavant par la survenue brutale
Sur les séquences de diffusion (A1, A2) : hypersignaux punctiformes
d’une ataxie à la marche, spontanément résolutive en quelques en restriction de diffusion des pédoncules cérébelleux droit et gauche
(flèches) que l’on retrouve en FLAIR (B1, B2) en association avec des
lésions de microangiopathie.
Après injection de gadolinium (C1, C2), mise en évidence de 2 prises
* Unité neuro-vasculaire, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux. de contraste punctiformes dans le vermis cérébelleux (correspondant
aux zones de nécroses) et d’une prise de contraste méningée frontale.
** Laboratoire d’anatomopathologie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux.

La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 5 - mai 2011   |  177


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heures. L’IRM encéphalique est normale. L’angio-IRM des troncs


supra-aortiques (TSA) montre une athérosclérose diffuse mais
non sténosante. Un traitement par aspirine est instauré dans
l’hypothèse d’un accident ischémique transitoire. Environ 2 mois A
plus tard, l’ataxie à la marche récidive, s’accompagnant d’un
syndrome cérébelleux cinétique bilatéral. La semaine suivante, une
hémi­parésie gauche s’installe brutalement, associée à des troubles
de la vigilance. L’examen général retrouve uniquement des lésions
croûteuses des 2 membres supérieurs. L’IRM encéphalique révèle
des lésions multiples sus- et sous-tentorielles (putamen gauche
et droit, insula droit, lobes temporal et frontal droits, hémisphère
cérébelleux droit et vermis) apparaissant en hypersignal FLAIR et
restriction de diffusion, évoquant des lésions ischémiques récentes.
Une prise de contraste méningée modérée et évocatrice d’une
méningite est notée (figure 1). L’angio-IRM des TSA est stable.
L’échographie cardiaque transœsophagienne est normale. Le bilan
biologique est sans particularité, ne retrouvant ni syndrome inflam-
matoire, ni troubles de l’hémostase. Les sérologies VIH, maladie
de Lyme, syphilis et la recherche de bacille de Koch sont négatives.
Seule la recherche d’antigènes solubles cryptocoques dans le B
sérum est positive à 1/800. L’immunophénotypage lymphocy-
taire montre une diminution du taux de CD4 à 104/mm3. Le bilan
auto-immun et les marqueurs tumoraux sont négatifs. La ponction
lombaire identifie une méningite lymphocytaire (48 éléments/
mm3, 98 % de lymphocytes), une hyperprotéinorachie à 4,93 g/l et
une hypo­glycorachie. La recherche d’antigènes solubles cryptococ-
ciques est positive à 1/2 048 et la culture sur milieu de Sabouraud
isole des colonies de Cryptococcus spp. L’examen à l’encre de Chine
est négatif. Le patient décède une semaine après la mise en place
d’un traitement intraveineux par amphotéricine B et 5-fluoro-
cytosine. L’examen anatomopathologique montre la présence
d’anomalies localisées au niveau de l’encéphale, du cervelet et du
tronc cérébral à type de foyers de nécrose intracorticale contenant
des cryptocoques ainsi qu’une réaction cellulaire inflammatoire
dans les plexus choroïdes et les lepto-méninges (figure 2). Aucune
image d’infarctus ni d’inflammation de la paroi artérielle évoca-
C
trices de vascularite n’a été retrouvée.

Discussion
L’expression neurologique de l’infection à C. neoformans constitue
la forme la plus sévère de la maladie. Le délai entre le début
des manifestations cliniques et le diagnostic de cryptococcose
du système nerveux central (SNC) est extrêmement variable,
allant de 7 jours à 1 an, et résulte de la diversité des présenta-
tions cliniques. La méningo-encéphalite aiguë ou subaiguë chez le
patient immunodéprimé par le VIH constitue le tableau classique.
Toutefois, chez le patient immunocompétent ou présentant une
altération de l’immunité à médiation cellulaire non liée au VIH,
l’expression clinique est souvent plus progressive avec une durée
d’évolution moyenne de 2 mois entre le début des symptômes Figure 2. Anatomie-pathologie.
et le diagnostic de cryptococcose. La méningite ou méningo- A. Cryptocoques (flèches) dans les plexus choroïdes (× 200).
B. Foyer de nécrose intracortical et contenant des cryptocoques (× 50).
encéphalite cryptococcique associée ou non à une fongémie C. Les cryptocoques sont colorés par le bleu alcian dans ce même foyer
constituerait le mode de présentation initiale d’une crypto- de nécrose (× 100).
coccose dans deux tiers des cas (3). La présentation clinique de

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ces méningo-encéphalites est elle-même très variable, dominée Le diagnostic de certitude repose, en urgence, sur l’examen direct à
par la présence de céphalées dans 70 % des cas, fréquemment l’encre de Chine du liquide céphalo-rachidien (LCR), qui est positif
associées à un syndrome confusionnel et à une hypovigilance. dans 50 à 70 % des cas. Lorsqu’il s’agit de faux négatifs, la culture
Ces manifestations témoignent de l’hypertension intracrânienne dont le délai d’incubation va de 48 heures à 3 semaines a une
qui complique fréquemment l’atteinte neuro-méningée. Les sensibilité et une spécificité de 100 %. La recherche d’antigène
manifestations épileptiques et les déficits neurologiques focaux cryptococcique a une sensibilité de 92 % dans le LCR et de 97 %
sont plus rarement observés. Les manifestations focales peuvent dans le sérum. Une fongémie est présente dans 40 à 70 % des
relever de différents mécanismes tels que l’existence d’un crypto- cas selon le statut VIH. La rapidité du diagnostic conditionne le
coccome, la présence de lésions nécrotiques cryptococciques pronostic. En l’absence de traitement, l’évolution est létale. Le
− tel que cela fut le cas chez notre patient − et la survenue de traitement d’attaque repose sur l’association amphotéricine B et
lésions ischémiques tel que cela avait initialement été évoqué 5-fluorocytosine pendant 15 jours suivie d’un relais par un dérivé
dans cette observation. Dans le contexte de cryptococcose, les triazolé pendant 8 à 10 semaines. L’amélioration clinique sous
lésions cérébro-vasculaires peuvent être la conséquence d’une traitement est lente, survenant après 1 à 2 semaines de traitement
vascularite (4). C. neoformans constitue cependant une cause rare et la guérison après un délai minimum de 6 semaines. Celle-ci n’est
d’infarctus cérébral, comparativement aux atteintes du SNC par les obtenue que dans 50 à 70 % des cas (1) et le taux de mortalité
autres agents fungiques (4). Le diagnostic de vascularite à crypto- − malgré un traitement adapté − est d’environ 15 % (3). L’âge jeune
coque est souvent posé à partir des données histologiques post et la présence de céphalées sont associés à un bon pronostic. Des
mortem. Notre observation souligne la difficulté de ce diagnostic troubles de la vigilance initiaux, une hydrocéphalie, des crises
dans la mesure où les épisodes nécrotiques répétés peuvent mimer comitiales, des hémocultures positives, une lactatorachie élevée,
cliniquement et radiologiquement un infarctus cérébral. Peu de une hypoglycorachie et un titre élevé d’antigènes cryptococciques
manifestations systémiques peuvent orienter le diagnostic vers dans le LCR constituent des facteurs péjoratifs (6).
une cryptococcose. Une hyperthermie modérée est présente dans
60 % des cas, un foyer de pneumopathie et des lésions cutanées
diffuses et peu spécifiques sont parfois présentes. L’apport de l’ima- C o n c l u s i o n 
gerie cérébrale dans le diagnostic de neuro-cryptococcose reste
limité, l’IRM étant normale dans 50 % des cas (5). Les anomalies Cette observation souligne la grande variabilité de l’expression
observées sont souvent aspécifiques, représentées par des signes clinique de la neuro-cryptococcose. Ce diagnostic doit être évoqué
de méningite ou une hydrocéphalie. Les cryptococcomes, qui devant des manifestations pseudo-vasculaires répétées et inexpli-
correspondent à une forme pseudo-tumorale se traduisent par des quées, notamment chez des patients présentant une altération
lésions nodulaires uniques ou multiples prenant le contraste (5). de l’immunité à médiation cellulaire, qu’elle survienne dans un
La ponction lombaire peut retrouver une hypercellularité modérée, contexte de néoplasie, de maladie chronique (diabète, insuffi-
à formule mixte ou à prédominance lymphocytaire, une hyper- sance rénale, hépatique ou respiratoire chronique) ou lors d’une
protéinorachie aux alentours de 1 g/l et une hypoglycorachie. corticothérapie prolongée. ■

Références bibliographiques
1. Kiertiburanakul S, Wirojtananugoon S, Pracharktam P et al. 3. Pappas PG, Perfect JR, Cloud GA et al. Cryptococcosis in 5. Bretaudeau K, Eloy O, Richer A et al. Cryptococcose
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Crédit photo couverture : © Thomas Launois

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© février 1997 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution.
Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne
Un Supplément intitulé “Le matin de La Lettre, JNLF” (20 pages) est routé avec ce numéro.

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