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Kératites interstitielles
Interstitial keratitis
A.-S. Gauthier, B. Delbosc
La kératite interstitielle est une inflammation non ulcérante et non suppurative plus ou moins vascularisée du
stroma cornéen. Les lésions cornéennes résultent d’une réponse de l’hôte à des antigènes bactériens, viraux,
parasitaires ou auto-immuns sans infection active cornéenne. L’évolution de la maladie se fait en deux phases.
Mots-clés : Ces kératites beaucoup moins fréquentes que les kératites bactériennes ulcérantes constituent cependant une
Kératite interstitielle cause non négligeable de baisse de l’acuité visuelle. Elles apparaissent dans un contexte de maladie infectieuse
Maladies infectieuses ou systémique. Elles nécessitent donc un diagnostic précoce avec bilan étiologique et un traitement adéquat
Herpes simplex pour optimiser le pronostic visuel et éviter les autres complications. Parmi les principales étiologies, on retrouve
Syphilis les infections bactériennes (syphilis), les viroses (40 % des cas), les infections idiopathiques (33 %). Le syndrome
Cogan de Cogan représente moins de 1 % des cas, mais son étude, d’un grand intérêt historique, a ouvert la voie à
LASIK une meilleure compréhension physiopathologique.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Interstitial keratitis is an inflammation of non-ulcerative and non-suppurative more or less vascularized corneal
Keywords: stroma. The corneal lesions result from host response to bacterial antigens, viral, parasitic or autoimmune
Interstitial keratitis without active corneal infection. The evolution of the disease is divided in two phases. These keratitis are
Infectious diseases less common than bacterial ulcerative keratitis but they are a significant cause of reduced visual acuity. They
Herpes simplex are associated with systemic or infectious disease. They require an etiological diagnosis and an appropriate
Syphilis treatment to maximize the visual prognosis and avoid complications. The main causes are bacterial infections
Cogan (syphilis), viruses (40 % of cases), or idiopathic (33 %). Cogan’s syndrome is less than 1 % of cases, but his
LASIK study has allowed to understand physiopathology.
© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Plan Tableau 1.
Bilan à pratiquer devant une kératite interstitielle.
■ Introduction 1 Clinique Antécédents : herpès oculaire, zona ophtalmique,
Aspects cliniques 1 rougeole, contages infectieux, maladies
Phase aiguë 1 infectieuses, maladies systémiques
Phase cicatricielle (après quelques mois ou années d’évolution) : Voyages en régions exposées
phase de régression 2 Examen clinique systémique
Pathogénie 2 Radiologique Radiographie pulmonaire
■ Étiologies 2
Biologique NFS, VS
Infectieuses bactériennes 2
VDRL, TPHA, FTA-ABS
Infections virales 4 IDR à la tuberculine, recherche de BK
Infections parasitaires 5 Sérologie maladie de Lyme (Elisa, western blot)
Maladies systémiques 6 MNI test, sérologie EBV (AC anti-VCA ou
Causes diverses 7 anti-EBNA)
■ Conclusion 7 AC antinucléaires, facteur rhumatoïde
EMC - Ophtalmologie 1
Volume 9 > n◦ 4 > décembre 2012
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-0343(12)60143-9
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Étiologies
Tableau 2.
Étiologies des kératites interstitielles.
Virales Infectieuses bactériennes
Herpes simplex type I ou II
EBV
Syphilis
Autres : VZV, rubéole, grippe, rougeole, variole, HTLV-1, adénovirus La syphilis est une infection systémique chronique à Trepo-
nema pallidum, strictement humaine à transmission vénérienne
Bactériennes ou congénitale (contamination transplacentaire) et, exception-
Syphilis nellement transfusionnelle. Elle est la première cause de kératites
Maladie de Lyme interstitielles dans le monde (90 % des kératites interstitielles dont
Tuberculose 87 % de forme congénitale et 3 % de forme acquises). Dans les pays
développés elle compte pour 50 % des étiologies dans les formes
Lèpre
bilatérales inactives, 5 % dans les formes bilatérales actives, 3 %
Parasitaires dans les formes unilatérales actives et 0 % dans les formes unilaté-
Leishmaniose rales inactives [4] . Une recrudescence est observée depuis les années
Trypanosomiase 2000 essentiellement en milieu urbain chez les homosexuels mas-
culins contaminés par le virus de l’immunodéficience humaine
Onchocercose
(VIH) [6] .
Cysticercose La kératite interstitielle syphilitique est une réponse de type
Paludisme immunitaire mais sans prolifération bactérienne active dans le
Amibes stroma cornéen. En effet elle ne répond pas au traitement par
pénicilline et est améliorée par la corticothérapie locale.
Maladies systémiques
La kératite interstitielle de la syphilis congénitale atteint de
Syndrome de Cogan façon préférentielle les femmes jeunes (avant 30 ans) [7] . Elle est
Sarcoïdose bilatérale dans 80 % des cas, simultanée ou séparée de quelques
Maladie de Hodgkin semaines à quelques mois, parfois unilatérale [8] . Elle survient sou-
Hypoparathyroïdie vent dans un contexte dysmorphique évocateur.
La kératite interstitielle de la syphilis acquise tertiaire sur-
Sarcome de Kaposi
vient plusieurs années après le chancre d’inoculation. Elle est
Mycosis fongoïde unilatérale ou sectorielle (souvent en supérieur) sous forme
Divers d’infiltrat cellulaire, d’œdème stromal, et de fins précipités rétro-
Post-LASIK
descémétiques. D’autres aspects sont décrits : opacités ponctuées
superficielles, kératites ulcérantes marginales [9] , infiltrats multi-
EBV : virus d’Epstein-Barr ; VZV : varicelle-zona virus ; HTLV-1 : human T-cell focaux profonds [10] . Une uvéite antérieure modérée peut être
lymphoma virus 1 ; LASIK : laser in situ kératomileusis. associée.
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Il s’agit d’une infection chronique touchant la peau et les nerfs et diverses atteintes viscérales ; un stade III d’infection tardive
périphériques. Elle débute après une incubation de 2 à 10 ans persistante avec des manifestations chroniques telles qu’une acro-
(contamination infantile se révélant à l’âge adulte). La forme de dermie, une polynévrite, une encéphalite chronique, des arthrites
début (lèpre indéterminée) évolue soit vers la guérison sponta- et/ou plus rarement des manifestations oculaires dont la kératite
née soit vers la forme lépromateuse (grave, bacillifère, contagieuse interstitielle [32, 33] .
avec IDR à la lépromine négative et accompagnée de signes géné- La kératite interstitielle de la maladie de Lyme est habituelle-
raux, cutanéomuqueux et viscéraux), la forme tuberculoïde (plus ment bilatérale, focale et avasculaire [34] caractérisée par de petits
fréquente, moins grave, non bacillifère avec IDR à la lépromine nodules à contours flous intéressant toute l’épaisseur du stroma.
positive et signes neurologiques), ou les formes intermédiaires En surface, les opacités peuvent s’étendre du limbe au limbe en
dites « borderline » [26] . passant par l’axe optique, s’accompagner d’un œdème et plus
Les manifestations oculaires sont fréquentes (3,2 % de rarement d’une néovascularisation qui reste toujours limitée à
l’ensemble des lépreux deviendront aveugles) et surviennent l’extrême périphérie de la cornée. Il peut exister une kératite ponc-
dans les formes lépromateuses et intermédiaires [27] . Les atteintes tuée ou une injection sous-conjonctivale associée. La chambre
oculaires sont localisées au niveau du segment antérieur, chro- antérieure est indemne [35] .
niques et progressives, secondaires soit au bacille de Hansen, Le diagnostic étiologique repose sur le séjour en zone
soit à la réponse inflammatoire induite, soit à des surinfections, d’endémie, les manifestations anamnestiques des stades I et II,
notamment fongiques [28–30] . Les atteintes les plus fréquentes les atteintes cutanées, neurologiques ou articulaires du stade III
comprennent atteinte palpébrale (lagophtalmie, ectropion, tri- et sur la sérologie des borrélioses (test Elisa indirect de dépistage
chiasis, madarosis), hypoesthésie cornéenne bilatérale, atteinte du et western blot de confirmation).
nerf optique, atrophie irienne, cataracte, ptérygion, sténoses des Il existe néanmoins de nombreux sujets à sérologie positive
canaux lacrymaux. asymptomatiques et des sujets manifestement atteints à sérologie
La kératite interstitielle résulte de l’infestation de la cornée par négative [36–38] . Dans les cas difficiles, une recherche génomique
M. leprae à partir des nerfs cornéens, des vaisseaux limbiques ou par polymerase chain reaction (PCR) ou une mise en culture sur
par extension directe à partir d’une lésion lépreuse de voisinage. milieu de Barbour-Stoenner-Kelly sur prélèvements d’humeur
L’inflammation granulomateuse apparaît sous forme de cellules aqueuse ou de vitré peuvent être envisagées.
géantes contenant le germe phagocyté, de macrophages et de Les schémas thérapeutiques reposent sur les céphalosporines et
lymphocytes. les cyclines. Sur le plan ophtalmologique, l’antibiothérapie systé-
La kératite interstitielle lépromateuse est classiquement bila- mique ne se justifie que dans les atteintes sévères.
térale, débutant dans le quadrant supérotemporal sous forme La corticothérapie topique à doses progressivement dégressives
d’opacités punctiformes blanchâtres sous-épithéliales limbiques. constitue le traitement de choix de l’atteinte cornéenne.
Ces opacités deviennent confluentes atteignent le stroma supé-
rieur et progressent superficiellement en bordure vers l’axe Chlamydiase
pupillaire. La néovascularisation est absente ou très tardive. Elle
est accompagnée d’une iridocyclite aiguë ou chronique, avec une Une kératite interstitielle peut survenir lors de la lymphogra-
pupille synéchiée ou en myosis [31] . nulomatose vénérienne (LGV) ou maladie de Nicolas Favre due
La pathologie cornéenne est aggravée par l’hypoesthésie voire à Chlamydia trachomatis (sérotype L1, L2, L3) [39, 40] . Après une
l’anesthésie cornéenne (atteinte de la cinquième paire crânienne) période d’incubation de 3 à 30 jours, l’évolution se déroule en
et les modifications palpébrales (atteinte de la septième paire trois stades successifs : primaire cutanéomuqueux génital tran-
crânienne). D’autres lésions peuvent être associées : épaississe- sitoire, secondaire ganglionnaire et tertiaire lymphatique. Le
ment des nerfs cornéens, perles iriennes, pertes des cils et des tableau clinique ophtalmologique est celui d’une conjonctivite
sourcils, nodules lépromateux (granulomes cornéens ou sous- aiguë folliculaire souvent accompagnée d’une kératite ponctuée
conjonctivaux). superficielle qui peut progresser en kératite interstitielle limitée
Le diagnostic repose sur le contexte clinique, l’identification au quadrant supérieur, ou étendue à toute la surface cornéenne
du germe (coloration de Ziehl-Nielsen) sur frottis des muqueuses et associée à une néovascularisation sévère. Des vaisseaux pro-
nasales (forme lépromateuse) ou suc dermique des lobules des fonds et un pannus dense séquellaire sont fréquents. Elle est due
oreilles et les études anatomopathologiques sur biopsie conjonc- aux sérotypes D à K, et s’observe essentiellement dans les pays
tivale, cutanée ou nerveuse (lésion tuberculoïde caractéristique). en voie de développement. Il existe souvent une atteinte génitale
Le traitement repose sur une polychimiothérapie associant concomitante, parfois asymptomatique, à Chlamydia.
dapsone, rifampicine et clofazimine selon des schémas thérapeu- Le traitement antibiotique systémique repose essentiellement
tiques préconisés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sur les cyclines (doxycycline 200 mg/j pendant 3 semaines) [6] .
adaptés à la forme clinique et aux niveaux d’endémie et de médi-
calisation du pays [6] .
Infections virales
Maladie de Lyme Plus de 40 % des cas de kératites interstitielles documentées et
répertoriées par Schwartz, aux États-Unis, pendant 10 ans, sont
La borréliose de Lyme est une maladie bactérienne due à un d’origine virale ; 33 % des cas de kératites interstitielles sont qua-
spirochète du genre Borrelia. C’est une affection relativement fré- lifiés d’idiopathiques. Cependant il est probable qu’un certain
quente en Amérique du Nord, en Europe excepté le pourtour nombre d’entre elles relèvent d’une étiologie virale non diagnos-
méditerranéen, dans les régions tempérées et chaudes de l’Asie tiquée (Tableau 2).
et en Australie. En France, la maladie de Lyme est surtout pré- Les virus le plus souvent mis en cause sont l’herpes simplex
sente en Alsace avec une incidence de 10 à 20 fois la moyenne virus (HSV) dans 71,4 % des cas, le varicelle-zona virus (VZV) dans
nationale. Elle est due à Borrelia burgdorferi transmis par une tique 8,6 % des cas, puis le virus d’Epstein-Barr (mononucléose infec-
du genre Ixodes. Les tiques qui sont réservoir et vecteur peuvent tieuse), le paramyxovirus influenzae (rougeole), le paramyxovirus
transmettre la maladie à tous les stades de leur développement des oreillons, l’human T-cell lymphoma virus (HTLV) de type 1 [4] .
et, sous nos climats, l’inoculation survient soit de mai à juillet Le diagnostic repose sur les arguments cliniques et biologiques
pour les nymphes (inoculation alors inapparente) soit en automne (sérologies herpès).
pour la tique adulte dont la morsure provoque une lésion cutanée
érythémateuse d’évolution centrifuge (érythème migrans).
La maladie de Lyme évolue en trois stades successifs sur
Herpes simplex virus
plusieurs semaines ou mois. Le dernier stade pouvant appa- Le lecteur se reportera au chapitre correspondant de l’EMC [41]
raître plusieurs années après l’inoculation. On décrit un stade I pour de plus amples détails, et pour une étude exhaustive des
d’infection précoce avec l’érythème migrans accompagné de complications oculaires de cette affection. Néanmoins, cette étio-
fièvre, de céphalées et d’une adénopathie satellite ; un stade II logie reste la première cause de kératites interstitielles dans les
d’infection disséminée précoce avec asthénie, céphalées, myalgies pays occidentaux : 71 % des formes unilatérales actives, 50 %
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des formes unilatérales inactives et 10 % des formes bilatérales blanchâtres ou grisâtres plus ou moins confluentes. Indolores,
actives [4] . La kératite interstitielle du HSV se présente comme une elles ne provoquent aucun signe fonctionnel et sont de découverte
atteinte unilatérale, diffuse à toute la cornée ou sectorisée, vascu- fortuite. Une kératite ponctuée superficielle et une kératocon-
laire et la plupart du temps associée à une iritis. Les signes associés jonctivite sèche sont souvent associées. D’évolution chronique, la
sont une hypoesthésie cornéenne, une atrophie irienne et le carac- kératite interstitielle ne répond pas à la corticothérapie topique.
tère récidivant. Le traitement implique l’utilisation d’antiviraux Le diagnostic positif repose sur des arguments anamnestiques (ori-
(aciclovir) par voie générale et locale et une grande prudence dans gine ou séjour en zone d’endémie), cliniques et sérologiques (test
l’emploi de corticoïdes topiques. Elisa de dépistage et test western blot de confirmation).
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Le diagnostic positif repose sur des arguments anamnestiques de l’acuité auditive rapidement évolutive vers la surdité. Les symp-
(séjour en zone d’endémie), cliniques (syndrome cutané : pru- tômes oculaires et audiovestibulaires peuvent apparaître de façon
rit, lésions de grattage, gale filarienne, lymphœdème, lésions de concomitante ou bien être séparés par un intervalle de temps de
dépigmentation et nodules sous-cutanés), biologiques (hyperéo- 1 à 6 mois le plus souvent mais pouvant atteindre 2 ans [71] .
sinophilie sanguine, réactions immunologiques) et la présence de Le syndrome de Cogan « atypique » correspond soit à une
microfilaires (humeur aqueuse, biopsie cutanée exsangue) ou de kératite avec une atteinte cochléovestibulaire sans syndrome
vers adultes (nodule onchocerquien) chez le patient. méniériforme, soit à des troubles audiovestibulaires caractéris-
Le traitement associe exérèse chirurgicale des nodules sous- tiques associés à d’autres lésions oculaires que la kératite telles
cutanés pour réduire la charge parasitaire et chimiothérapie à qu’une uvéite ou des hémorragies sous-conjonctivales [72, 73] .
l’ivermectine en dose unique à répéter tous les ans pendant Le premier symptôme intéresse l’œil (41 % des cas) ou l’oreille
10 ans [54] . Le traitement topique est symptomatique sauf atteinte (43 %) de façon isolée ou de façon simultanée (16 %), parfois la
inflammatoire forte. maladie débute par des manifestations d’allure systémique avec
amaigrissement et fièvre. Un cas associé au VIH et amélioré après
Trypanosomiase traitement antirétroviral été décrit [74] .
La maladie du sommeil est causée par un protozoaire fusiforme Atteinte oculaire
et flagellé, Trypanosoma rhodesiense, transmis par une glossine
La sémiologie oculaire est bilatérale ou parfois unilatérale mais
(mouche tsé-tsé) et sévissant dans l’Est africain. Elle associe des
se bilatéralisant rapidement. Elle associe de façon variable : une
manifestations générales, adénopathies et troubles neurologiques.
rougeur oculaire (74 %), une photophobie (50 %) avec larmoie-
L’évolution spontanée est toujours mortelle. Son évolution appa-
ment, des douleurs oculaires (50 %), une diminution de l’acuité
raît plus favorable sous traitement par benznidazole (Radanil® ),
visuelle (42 %), et ce le plus souvent transitoire. Parfois, cepen-
non commercialisé en France (obtention via l’Agence nationale
dant, la kératite interstitielle est asymptomatique et n’est mise
de sécurité du médicament [ANSM]).
en évidence que lors de l’examen ophtalmologique prescrit dans
La kératite interstitielle est une complication rare de cette affec-
le bilan d’un syndrome audiovestibulaire. L’atteinte cornéenne
tion. Elle réalise une atteinte stromale avec opacité sévère de
réalise une kératite interstitielle avec aspect d’infiltrats granuleux
toutes les couches de la cornée et importante vascularisation.
et irréguliers à prédominance postérieure s’accompagnant rapi-
L’évolution peut se faire vers la perforation.
dement d’une néovascularisation. La baisse de l’acuité visuelle
La maladie de Chagas, affection voisine, causée par Trypanosoma
est modérée et le plus souvent régressive mais une amaurose ou
cruzi, sévit en Amérique centrale et du Sud, elle est transmise par
une punaise (réduve), elle est caractérisée par des manifestations même une cécité peuvent survenir dans l’évolution. À ce tableau
neurologiques moins importantes que dans la forme africaine et typique, des lésions oculaires variées peuvent s’associer : conjonc-
par la survenue plus fréquente de kératites interstitielles. tivite (26 %), uvéite (26 %), épisclérite ou sclérite (25 %) ou encore
plus rarement une scléromalacie avec perforation, ou un ulcère de
Kératites amibiennes cornée (11 %). Les autres types d’atteintes oculaires sont excep-
Le lecteur se reportera au chapitre correspondant de l’EMC [57] tionnels [75, 76] .
pour de plus amples détails. Les kératites amibiennes posent au Atteinte audiovestibulaire
stade de kératite interstitielle essentiellement un problème de La sémiologie audiovestibulaire est dominée par un syndrome
diagnostics positif et différentiel d’autant plus difficiles que le méniériforme avec grand vertige rotatoire accompagné de nausées
patient est examiné à un stade tardif et a bénéficié de nombreux et de vomissements, avec acouphènes, rapidement suivi d’un défi-
traitements topiques. Il est donc important d’évoquer cette étio- cit auditif s’accentuant rapidement pour provoquer une surdité
logie devant toute kératite stromale à microbiologie négative aux définitive.
prélèvements ou en échec thérapeutique.
Diagnostic
Le caractère unilatéral de l’atteinte, la forte composante
algique [58] , le contexte de survenue (lentilles de contact, trau- L’association de troubles oculaires et de troubles audiovestibu-
matismes, souillures, etc.) [59] , l’aspect annulaire de l’atteinte laires est indispensable au diagnostic puisqu’elle fait partie de la
stromale [60, 61] , l’épithéliopathie, un tyndall de la chambre anté- définition du syndrome de Cogan. Cependant on constate dans
rieure et les échecs des traitements topiques antérieurs sont autant deux tiers des cas l’atteinte d’un ou plusieurs autres organes et
d’éléments cliniques du diagnostic positif. dans un tiers des cas une altération de l’état général. Le caractère
Le diagnostic de certitude repose sur la mise en évidence de systémique est évoqué devant les atteintes viscérales multiples,
l’amibe au niveau de la cornée (grattage cornéen profond et péri- artérielles, musculosquelettiques, neurologiques, digestives, cuta-
phérique ou biopsie ou pièce de kératoplastie) [36] , au niveau des néomuqueuses, pulmonaires et une altération de l’état général.
lentilles de contact, des boîtiers et des solutions d’entretien par L’évolution se fait par poussées successives avec rémissions plus
examen direct, mise en culture ou PCR [62, 63] . Quand on en dis- ou moins complètes. Les manifestations audiovestibulaires ne
pose, la microscopie confocale constitue un moyen diagnostic régressent qu’imparfaitement, au contraire de la kératite.
non invasif, précoce et fiable [64] . Le traitement topique associe Biologie
selon des protocoles définis des collyres antiamibiens actifs sur Les examens complémentaires ne sont pas spécifiques.
les kystes et les trophozoïtes et des collyres anti-inflammatoires. Lors des phases évolutives, il existe une hyperleucocytose
Dans les cas les plus avancés, après échec du traitement médical avec anémie, thrombocytose, augmentation de la vitesse de
une kératoplastie transfixiante peut être envisagée. Une récidive sédimentaion/protéine C réactive (VS/CRP)et des protéines de
sur greffon reste cependant toujours possible [65] . l’inflammation, fréquente hématurie microscopique, protéinurie.
On peut retrouver divers anticorps (antinucléaires, antimi-
Maladies systémiques crosome, antimitochondrie, antimuscle lisse, antipérinucléaire,
antiphospholipide, facteur anticoagulant anti-VIII ou lupique),
Syndrome de Cogan facteur rhumatoïde, cryoglobuline, ainsi qu’une baisse des frac-
Le syndrome de Cogan [66–69] est rare (200 cas) [70] , le sex-ratio est tions C3 et C4 du complément et une positivité du VDRL.
proche de 1. Il touche les adultes jeunes et débute huit fois sur dix La recherche d’anomalies immunologiques spécifiques des tis-
entre 10 et 40 ans (30 ans en moyenne) sus oculaires décèle quand elle est possible, une inhibition de
Il se définit par l’association d’une kératite interstitielle non la migration lymphocytaire en présence d’antigènes de cornée
syphilitique et d’une atteinte cochléovestibulaire avec de façon et la présence d’anticorps anticornée en immunofluorescence. Le
variable des manifestations viscérales pouvant ainsi réaliser le typage human leukocyte antigen (HLA) des sujets atteints du syn-
tableau d’une maladie systémique. On décrit un syndrome de drome de Cogan montre une fréquence accrue des groupes A9,
Cogan « typique » et un syndrome de Cogan « atypique ». BW35 et CW4. L’anatomopathologie de l’œil, met en évidence un
Le syndrome de Cogan « typique » se définit par des lésions infiltrat inflammatoire lymphoplasmocytaire du stroma cornéen
oculaires de kératite interstitielle associées à des troubles audioves- et une néovascularisation prédominant à la périphérie et dans les
tibulaires représentés par un syndrome méniériforme avec baisse couches profondes. Un cas de nécrose focale a été rapporté.
6 EMC - Ophtalmologie
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Gauthier AS, Delbosc B. Kératites interstitielles. EMC - Ophtalmologie 2012;9(4):1-9 [Article 21-200-D-15].
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