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MISE AU POINT

Infections bactériennes
et fongiques après
transplantation rénale
Bacterial and fungal infections after kidney transplantation
M.F. Mamzer-Bruneel*

L
es pathologies infectieuses sont les complica- La plupart des infections transmises par le greffon
tions les plus fréquentes après transplantation s’exprimeront au cours du premier mois qui suit
rénale. Les micro-organismes susceptibles d’être la greffe, sachant que durant cette période, les
en cause sont innombrables, et même si la fièvre est infections bactériennes nosocomiales, notamment
très fréquente, les tableaux cliniques sont souvent urinaires (4, 5), prédominent. La deuxième période,
tronqués et peu spécifiques (1). L’enquête étiolo- du deuxième au sixième mois qui suivent la greffe,
gique est guidée par les données épidémiologiques est historiquement celle des premières infections
spécifiques à cette population de malades et par une opportunistes et des réactivations d’infections virales,
analyse rigoureuse des facteurs de risque individuels. qu’elles soient latentes chez le donneur ou chez le
La nature du risque infectieux évolue en fonction receveur. Ce risque est aujourd’hui très fortement
du délai écoulé depuis la transplantation ; ce risque diminué par la prescription de prophylaxies anti-
prédomine au cours du premier mois (figure) [2]. infectieuses ciblées. Après le sixième mois, le poids
Les autres déterminants du risque infectieux sont de l’immunosuppression diminue, et les transplantés
le degré d’immunodépression et les expositions aux rénaux sont surtout exposés au risque d’infections
agents pathogènes, incluant celles qui ont concerné
le donneur, en raison du risque d’infections trans- Tableau. Infections du donneur contre-indiquant le prélève-
mises par le greffon (3). Le dépistage soigneux des ment d’organes en vue d’une greffe.
antécédents infectieux des donneurs comme des Avec documentation microbiologique
* Service de transplantation et de receveurs est donc un préalable indispensable à la -- Virus de l’immunodéficience humaine (VIH)
soins intensifs néphrologiques, hôpital
Necker, Paris. greffe, permettant notamment de rechercher une -- Hépatite B active
contre-indication formelle au prélèvement (tableau). -- Infection par le virus West Nile
-- Encéphalite à virus Herpes Simplex (HSV)
-- Infection par le virus de la chorioméningite lymphocytaire
-- Infection par le virus Chikungunya en cas de PCR positive
-- Paludisme lorsqu’il est la cause du décès
Infections -- Tuberculose disséminée
communautaires -- Infection fongique disséminée
Infections Infections opportunistes, rechutes, Infections -- Rage
nosocomiales réactivations opportunistes -- Infections dues à des bactéries multirésistantes
en l’absence d’antibiogramme permettant d’ajuster
le traitement ou si aucun traitement adapté n’a été donné
Transplantation 1 mois 6-12 mois Long cours -- Maladie de Chagas lorsqu’elle est la cause du décès
-- Leishmaniose lorsqu’elle est la cause du décès
Influence des traitements prophylactiques
Infections Sans nécessité de documentation microbiologique
dérivées formelle
du donneur
-- Encéphalite de cause indéterminée
-- Rage
Figure. Évolution de la nature du risque infectieux après transplantation rénale (2). -- Défaillance multiviscérale liée à un sepsis non déterminé
-- Maladie de Creutzfeldt-Jakob

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Points forts Mots-clés
»» Les infections sont les complications les plus fréquentes après transplantation rénale. Transplantation rénale
»» La nature du risque évolue en fonction du délai écoulé après la greffe.
Infections
»» La plupart d’entre elles sont bactériennes et les 2 localisations les plus fréquentes sont urinaires bactériennes
et respiratoires.
Infections fongiques
»» Malgré de nouveaux traitements, les infections fongiques, plus rares, restent graves.
systémiques
»» Les greffons sont une source potentielle d’infection bactérienne ou fongique héritée du donneur,
qui justifie une vigilance particulière. Infections transmises
par le greffon

communautaires courantes, bien que le risque d’infec- tible d’être colonisé (vessie, cavité buccale, voies Highlights
tions opportunistes reste réel en cas d’exposition aériennes supérieures). La première difficulté est
»»Infectious diseases are the
massive, ou à l’occasion d’un état d’immunodépres- donc diagnostique, en particulier lorsque le tableau most common complications
sion plus intense lié au traitement d’un rejet ou à une clinique est celui d’une fièvre nue ; la deuxième réside in renal transplant recipients.
insuffisance rénale avancée, par exemple (6, 7). Les dans la décision et le choix d’une antibiothérapie. »»Type and risk of infectious
taux d’incidence de chaque type d’infection ne sont En effet, les interactions pharmacologiques avec les diseases change with time.
pas définis formellement, et sont soumis à une grande traitements immunosuppresseurs, la toxicité rénale »»Bacterial urinary tract and
variabilité épidémiologique, notamment géogra- ou le risque, aujourd’hui sous-estimé, de sélectionner respiratory tract infections
phique, qui s’oppose à l’établissement de taux d’inci- une flore résistante chez ces patients soumis à une remain the most frequent.
dence universels pour la plupart de ces infections. Par forte pression antibiotique tout au long de leur exis- »»Despite new treatments,
ailleurs, les patients transplantés rénaux usent volon- tence représentent autant de difficultés pratiques. systemic fungal infections,
tiers de leur autonomie pour voyager et sont donc Les indications d’antibiothérapie chez les patients although rare, remains
régulièrement exposés aux infections endémiques transplantés rénaux doivent donc être pesées, et les severe.
dans les régions qu’ils visitent. Il est néanmoins traitements ciblés. »»The risk of graft trans-
établi que les infections les plus fréquentes après mitted infections, both
la transplantation rénale sont d’origine bactérienne bacterial or fungal, requires
chez l’adulte, suivies par les infections virales (plus Épidémiologie des infections bactériennes special attention.
fréquentes en revanche chez les enfants), puis par après transplantation rénale
les infections fongiques (8). L’incidence globale des Keywords
infections après la greffe est maximale au cours du ◆ ◆Infections bactériennes nosocomiales Renal transplant recipients
premier mois, pour décroître ensuite rapidement (7). Les sources d’infections bactériennes après trans-
Bacterial infectious diseases
Les infections opportunistes, qui sont numériquement plantation sont très nombreuses et incluent le
“anecdotiques”, sont malgré tout préoccupantes, car greffon, la flore endogène, l’environnement et les Systemic fungal infectious
diseases
elles peuvent engager le pronostic vital. personnes-contact. Le risque d’infection nosocomiale
est conditionné par la nature et le nombre des procé- Graft transmitted infections
dures invasives, l’exposition aux agents pathogènes
Infections bactériennes (incluant les colonisations ou infections antérieures)
après transplantation rénale et la durée d’exposition à ces risques. La rupture des
barrières naturelles par les sondes urinaires, les
Les infections bactériennes sont les plus fréquentes abords vasculaires et la chirurgie de transplantation
des complications infectieuses de l’adulte après favorisent la survenue des infections bactériennes,
transplantation rénale. Leurs caractéristiques épidé- qui peuvent se développer soit à partir de la flore
miologiques sont variables dans le temps (9, 10), endogène du patient, soit par transmission inter­
leur incidence globale étant maximale au cours du humaine, le plus souvent manuportée. Les patients
premier mois qui suit la greffe, période dominée hospitalisés sont alors exposés à des transmissions
par le risque d’infections nosocomiales (7). Les épidémiques, souvent croisées, de bactéries multi-
germes en cause sont surtout des germes patho- résistantes (BMR) telles que les bacilles à Gram
gènes, mais le risque d’infection à germes non négatif sécréteurs de bêtalactamases à spectre élargi
pathogènes est réel, que ce soit à partir de la flore (BLSE), voire totorésistants, les entérocoques résis-
endogène commensale ou à partir de bactéries tants à la vancomycine (ERV), ou encore les Staphy-
opportunistes environnementales. Tous les organes lococcus aureus résistants à la méticilline (SARM).
ou tissus peuvent être infectés, et les présentations La description récente de telles épidémies, dans le
cliniques sont volontiers peu spécifiques, voire contexte de la transplantation rénale, plaide pour
atypiques. Les prélèvements microbiologiques l’application stricte des règles d’hygiène hospitalière
sont souvent difficiles à interpréter lorsqu’ils sont et pour le développement systématique de politiques
négatifs, lorsqu’ils isolent une bactérie de la flore de maîtrise de l’antibiothérapie, bien que la prévalence
commensale, ou lorsque le site prélevé est suscep- des colonisations de la flore endogène des patients

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Infections bactériennes et fongiques après transplantation rénale

transplantés rénaux par ces BMR soit mal connue. Des dans les pays de faible endémie où la probabilité du
données récentes suggèrent que le pic d’incidence diagnostic est faible. En effet, la toxicité, notamment
des septicémies à bacilles à Gram négatif se situe au hépatique, de l’isoniazide, combinée aux interfé-
cours du premier mois qui suit la greffe, que ces septi- rences entre les antituberculeux (en particulier la
cémies sont majoritairement de nature nosocomiale rifampicine, très fortement inductrice du cytochrome
et que les voies urinaires sont à l’origine de 70 % de P450 CYP3A4), et les traitements immunosuppres-
ces infections (11). C’est aussi durant cette période seurs qui en sont le substrat exposent au rejet de
que les épisodes de colites à Clostridium difficile, une greffe et justifient une restriction de ces traitements
des principales causes de diarrhée bactérienne après aux indications formelles.
transplantation rénale, sont les plus fréquents (12),
favorisés par l’exposition aux antibiotiques ou par le ◆ ◆Infections bactériennes opportunistes
contact avec un patient infecté. La rareté des infections bactériennes opportunistes
chez les patients transplantés rénaux contraste
◆ ◆Infections bactériennes communautaires avec la multitude des germes susceptibles d’être
à germes pathogènes incriminés et la variabilité de leur délai de survenue
Après le premier mois, la fréquence des infections après transplantation. Plus rares que les infections
nosocomiales diminue au profit des infections virales ou fongiques opportunistes, ces infections ne
communautaires, qui peuvent se déclarer chez bénéficient d’aucune mesure prophylactique médi-
les patients transplantés rénaux ambulatoires et camenteuse spécifique. Leur gravité repose autant
concerner tous les tissus et organes, y compris le sur les difficultés du diagnostic que sur celles de
système nerveux central, la peau et le tube digestif. leur traitement. Leur survenue témoigne souvent
Ce sont néanmoins encore les infections urinaires d’un niveau d’immunodépression particulièrement
qui restent les plus fréquentes, talonnées de près intense, et il n’est pas rare d’avoir à diminuer le
par les infections des voies respiratoires. traitement immunosuppresseur pour contrôler ces
Une attention toute particulière doit être portée infections. Il s’agit volontiers de bactéries environ-
aux infections tuberculeuses, dont la fréquence est nementales, voire saprophytes, ce qui contribue à
plus élevée que dans la population générale, avec la variabilité géographique des espèces rencontrées.
une prévalence variant de 1,2 à 15,0 %, selon le Parmi les bactéries le plus fréquemment isolées dans
niveau d’endémie du pays considéré (13). Le délai nos régions, citons les mycobactéries atypiques mais
de survenue par rapport à la transplantation est aussi les Nocardia sp. et les Listeria sp.
variable, mais les deux tiers des cas surviennent
au cours de la première année, avec une médiane
autour du neuvième mois. Dans la plupart des cas, il Aspects cliniques des infections
s’agit de la réactivation d’un foyer latent méconnu. bactériennes après transplantation
Les difficultés du diagnostic sont nombreuses, car
les tableaux cliniques sont atypiques, et les tests Les manifestations cliniques des infections bacté-
diagnostiques particulièrement peu sensibles sur ce riennes après transplantation rénale sont dénuées
terrain (test de réaction cutanée à la tuberculine ou de toute spécificité et laissent généralement peu
examen direct des crachats). Les atteintes pulmo- de place à l’examen clinique pour le diagnostic
naires excavées classiques sont exceptionnelles dans étiologique.
ce contexte où les formes disséminées ou extra-
pulmonaires sont largement majoritaires (14). Les ◆ ◆Infections urinaires
nouveaux tests diagnostiques fondés sur la libération Ce sont les plus fréquentes des infections bactériennes
spécifique d’interféron gamma par les lymphocytes T après transplantation rénale, notamment au cours
mémoire spécifiques de Mycobacterium tuberculosis de la première année (10), juste avant les pneumo­
(QuantiFERON®, T-Spot® TB) semblent intéressants pathies (8). Les bactéries à Gram négatif représentent
dans le bilan prétransplantation (15). Leur positivité plus de 70 % de ces infections, qui sont très souvent
signe un contact préalable avec M. tuberculosis, sans dues à des Escherichia coli uropathogènes et associées
permettre de distinguer une tuberculose ancienne à un risque important d’insuffisance rénale aiguë.
guérie d’une tuberculose latente ou active. Le traite- Plus rarement, elles sont en rapport avec d’autres
ment antituberculeux est désormais bien défini (14), souches bactériennes comme Pseudomonas sp.,
mais son maniement difficile plaide contre les traite- ­Klebsiella sp. ou des germes sécrétant l’uréase comme
ments “d’épreuve”, qui doivent rester exceptionnels Proteus mirabilis (qui peut être associé à des lithiases

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phospho-ammoniaco-magnésiennes). La résistance l’examen clinique rend le plus souvent indispensable


aux antibiotiques est fréquente, en particulier chez les le recours à des examens complémentaires, incluant
malades ayant des infections urinaires à répétition. des examens biologiques usuels, des examens d’ima-
Les signes fonctionnels associés sont inconstants, gerie et des examens à visée microbiologique. Le
mais peuvent être évocateurs d’une cystite, d’une recours à la radiographie du thorax à la recherche
pyélonéphrite du transplant ou des reins natifs, voire d’un foyer pulmonaire cliniquement muet doit être
d’une prostatite. La pyélonéphrite aiguë du greffon se large. Très souvent, d’autres examens d’imagerie
manifeste typiquement par des frissons, de la fièvre, sont nécessaires afin d’orienter ou de préciser le
éventuellement une hématurie. Une sensibilité en diagnostic et, le cas échéant, de diriger des prélève-
regard du greffon est possible, et le rein peut être ments à visée étiologique. La technique d’imagerie
augmenté de taille et douloureux. la plus appropriée (échographie, examen tomoden-
sitométrique ou examen en résonance magnétique
◆ ◆Infections respiratoires bactériennes nucléaire) est choisie selon le site exploré en fonction
après transplantation rénale de sa sensibilité et de sa spécificité, mais aussi en
Environ 1 patient transplanté rénal sur 10 nécessi- tenant compte de ses risques (allergique et toxique,
tera une hospitalisation pour un épisode d’infection notamment rénal). La numération formule sanguine
respiratoire basse grave, d’origine bactérienne dans peut orienter vers une infection bactérienne en cas
plus de la moitié des cas, et dont la précocité du trai- d’hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles.
tement conditionnera le pronostic. Le risque après Les dosages des marqueurs d’inflammation systé-
transplantation rénale est durable, et les germes miques tels que la protéine C réactive (CRP) ou la
responsables sont habituellement ceux des pneumo- procalcitonine, utiles dans la population générale
pathies communautaires : pyogènes (pneumocoque, hospitalisée, n’ont pas démontré leur intérêt pour
Haemophilus), germes atypiques (Mycoplasma, différencier les infections bactériennes des infec-
Chlamydia, légionnelle), bien que les infections à tions virales ou des autres états inflammatoires
Gram négatif (Pseudomonas, entérobactéries) ou à chez les transplantés rénaux (16, 17). La documen-
staphylocoque représentent de 10 à 85 % des cas. tation microbiologique préalable à l’antibiothérapie,
La tuberculose pulmonaire se différencie de celle du toujours souhaitable, est indispensable en contexte
sujet immunocompétent par une présentation radio- nosocomial, ou lorsqu’il existe des signes de gravité
logique volontiers atypique, une fréquence accrue qui justifient la prescription rapide d’une antibio-
des atteintes disséminées et extrathoraciques, et une thérapie empirique. Ce sont ces prélèvements qui
mortalité attribuable à l’infection significative. Les permettront, s’ils sont positifs, d’ajuster ensuite
infections à mycobactérie atypique (Myco­bacterium l’antibiothérapie. Ils comportent un examen cyto-
xenopi, Mycobacterium kansasii, Mycobacterium bactériologique des urines (ECBU), des hémocul-
avium) sont rares. Les infections bactériennes à crois- tures, et des coprocultures en cas de diarrhée. Des
sance lente sont encore plus rares et semblent liées prélèvements aux sites profonds suspects d’infection
à l’intensité du déficit immunitaire : les nocardioses peuvent être nécessaires ; le cas échéant, ils seront
sont les plus fréquentes, souvent associées à une effectués par des techniques invasives (ponctions ou
atteinte cérébrale, puis viennent les infections à bio­psies sous échographie, scannographie, endos-
Rhodococcus et, plus exceptionnellement, les acti- copie, cœlioscopie, voire abord chirurgical direct).
nomycoses. Leur recherche doit être spécifiée lors Dans certains cas d’infections rares ou torpides,
des prélèvements microbiologiques ou anatomo- telles que les tuberculoses extrapulmonaires, ou
pathologiques. encore certaines mycobactérioses atypiques, le
diagnostic n’est obtenu que par l’examen anato-
◆ ◆Autres sièges d’infections bactériennes mopathologique et la culture des biopsies tissulaires.
Tous les organes ou tissus peuvent être concernés,
notamment la peau, le tube digestif et le système
nerveux central. La conduite à tenir devant une fièvre Infections fongiques
chez un patient transplanté rénal est dominée par après transplantation rénale
la recherche d’arguments en faveur d’une infection
bactérienne susceptible de mettre en jeu rapi- Il est classique de distinguer 2 types d’infections
dement le pronostic vital. En cas d’état de choc, fongiques systémiques : les mycoses liées à des
de sepsis sévère ou de détresse respiratoire aiguë, micro-organismes pathogènes, dont la distribution
l’hospitalisation est indispensable. La pauvreté de géographique est limitée et endémique (telles les

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Infections bactériennes et fongiques après transplantation rénale

histoplasmoses, les coccidioïdomycoses, les blas- présentation clinique est celle d’une pneumonie
tomycoses ou les pénicillioses), et les mycoses aiguë d’aspect radiologique non spécifique, dont
opportunistes, bien plus fréquentes après transplan- le diagnostic étiologique est délicat, compte tenu
tation rénale, et qui regroupent essentiellement les des faibles spécificité et sensibilité des cultures
candidoses, les cryptococcoses, les aspergilloses et d’échantillons respiratoires. Les signes cliniques,
les pneumocystoses, mais aussi les mucormycoses principalement fièvre, toux et dyspnée, ou plus
et les infections à Fusarium, à Scedosporium ou à tardivement hémoptysie, sont tout aussi peu spéci-
Alternaria. La prise en charge de ces mycoses oppor- fiques. Ces difficultés diagnostiques, associées au
tunistes est particulièrement délicate, car leurs mani- pronostic catastrophique, ont conduit à l’applica-
festations cliniques, protéiformes et non spécifiques, tion des stratégies de prise en charge validées chez
ne permettent pas de les distinguer facilement des les patients d’onco-hématologie, fondées sur une
infections non fongiques, notamment bactériennes, classification répartissant les tableaux clinico-biolo-
plus fréquentes. Évoquées de principe sur un faisceau giques compatibles avec le diagnostic d’aspergillose
d’arguments cliniques, biologiques et épidémiolo- en 3 catégories : aspergillose prouvée, probable ou
giques, elles doivent être rapidement documentées, possible. Le traitement doit être instauré dès lors
car tout retard de traitement augmente le risque de que l’aspergillose est probable (21). L’imagerie de
dissémination. choix est le scanner thoracique, plus sensible que
la radiographie du thorax pour objectiver le ou les
foyers, volontiers nodulaires et pouvant évoluer vers
Candidoses après transplantation rénale une excavation et des images d’infarctus segmen-
taires. La détection d’antigènes constitutifs de la
Les infections à Candida comptent pour environ 2 % paroi cellulaire du champignon dans le sérum des
des infections après transplantation rénale. L’espèce patients (galactomannane, ou les β-D-glucanes)
le plus fréquemment responsable des candidoses a une bonne valeur diagnostique. Le traitement de
profondes après transplantation rénale reste C. albi- première intention est désormais le voriconazole,
cans, mais d’autres espèces émergent (C. tropicalis, plus efficace et moins toxique que l’amphotéricine B,
et surtout C. glabrata et C. krusei). L’infection du dont la toxicité rénale limite encore la tolérance
liquide de transport du greffon par un Candida sp. après transplantation rénale. En cas de résistance au
peut être à l’origine d’infections chez le receveur, voriconazole, l’amphotéricine B liposomale, mieux
allant de l’infection simple de la loge de transplan- tolérée que l’amphotéricine B conventionnelle, peut
tation jusqu’à l’artérite intimale destructrice de être intéressante, de même que la caspofungine (21).
l’artère du greffon (18). Cette infection justifie une À côté de ces formes invasives, il existe des atteintes
prise en charge précoce et rationnalisée des patients nécrosantes chroniques (aspergilloses semi-invasives)
concernés, associant un traitement antifongique et des formes “saprophytes” (aspergillomes pulmo-
préemptif et la recherche d’une contamination de naires ou sinusiens) dont la prise en charge peut être
la loge de transplantation (19). délicate, et repose autant sur les antifongiques que
sur la chirurgie d’exérèse en cas d’aspergillome.

Aspergillose après transplantation rénale


Cryptococcose après transplantation
La forme la plus préoccupante est l’aspergillose rénale
pulmonaire invasive, qui complique entre 0,7 et
4,0 % des transplantations rénales. L’espèce le plus Les cryptococcoses peuvent être transmises par le
fréquemment responsable est Aspergillus fumigatus. greffon ou acquises après la transplantation, mais il
La dissémination passe par l’invasion de la paroi des s’agit le plus souvent de la réactivation d’une infec-
vaisseaux à l’origine des 3 caractéristiques de cette tion latente ancienne (22). Elles sont dues à un cham-
infection : infarctus tissulaire, foyers hémorragiques pignon ubiquitaire, Cryptococcus neoformans, dont la
et métastases septiques par voie hématogène. voie de pénétration dans l’organisme est respiratoire.
Les facteurs de risque associés sont l’intensité du La dissémination se fait à partir du poumon vers le
traitement immunosuppresseur, la prise prolongée sang et de nombreux organes périphériques : peau,
de fortes doses de stéroïdes, ainsi que la défaillance système ostéoarticulaire, appareil urinaire, et surtout
du greffon requérant l’hémodialyse. La mortalité système nerveux central. Entre un tiers et la moitié des
associée est voisine aujourd’hui de 35 % (20). La patients atteints de cryptococcose développent une

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forme disséminée ou une atteinte cérébroméningée. L’hypoxémie est la règle, alors que la radiographie
La fongémie n’est pas systématique. Les manifesta- du thorax peut être normale ou révéler des infil-
tions pulmonaires sont variables, depuis le chancre trats interstitiels diffus bilatéraux. Le diagnostic
d’inoculation asymptomatique jusqu’à la détresse repose sur l’isolement du champignon dans le tissu
respiratoire aiguë, de mauvais pronostic. Les atteintes pulmonaire ou les sécrétions bronchiques obtenues
cutanées sont variées : papules, nodules, lésions ulcé- par expectoration induite ou lavage bronchoalvéo-
rées ou cellulites. Le pronostic est conditionné par laire (24). Le traitement de première ligne est le
l’atteinte du système nerveux central. La recherche triméthoprime-sulfaméthoxazole à fortes doses
de l’antigène cryptococcique est utile dans le sérum, par voie intraveineuse, éventuellement associé à
mais la ponction lombaire est l’examen central du une corticothérapie adjuvante (24).
diagnostic en cas de suspicion d’atteinte du système
nerveux central. Le traitement d’urgence repose sur
l’amphotéricine B liposomale et la flucytosine pour Conclusion
les formes graves. Un traitement prolongé et à doses
décroissantes par fluconazole (400, puis 200 mg/j) La complexité de l’éventail des pathologies infec-
est ensuite nécessaire. La diminution du traitement tieuses non virales après transplantation rénale
immunosuppresseur peut être utile dans les formes impose des connaissances spécifiques et ouvre un
graves, au risque de développer un syndrome de champ de recherche encore en friche, dont les pers-
reconstitution immunitaire (23). pectives évolutives sont nombreuses. L’arrivée de
nouvelles techniques issues de la recherche fonda-
mentale ouvre notamment la voie à des diagnostics
Pneumocystose après transplantation plus précoces et plus précis (10, 25-27), voire à des
rénale traitements novateurs reposant sur la préservation
(ou la restauration) d’une immunité anti-infectieuse
Pneumocystis jirovecii (anciennement P. carinii) est spécifique vis-à-vis de micro-organismes ciblés. De
un champignon ubiquitaire. La contamination se telles approches, couplées à plus de rigueur dans
fait par voie aérienne et peut être responsable, en les stratégies de vaccination, et à de nouveaux
l’absence d’une prophylaxie adaptée chez les patients traitements antiviraux et antifongiques, permet-
transplantés rénaux, d’une pneumopathie inters- traient d’envisager plus sereinement les risques liés
titielle susceptible d’engager le pronostic vital. La à l’augmentation du niveau d’immunosuppression et
présentation clinique de la maladie associe asthénie, l’augmentation des risques infectieux inhérents aux
fièvre, toux sèche, dyspnée, douleurs thoraciques. stratégies d’élargissement du pool des greffons. ■

Références bibliographiques
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