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Transplantation
cardiaque
Suivi et complications
postopératoires précoces
de la transplantation
Early complications of heart transplantation
G. Hékimian*, C.E. Luyt*
L
a transplantation cardiaque est, en 2018, le trai- Complications
tement de référence de l’insuffisance cardiaque hémodynamiques
terminale. Elle expose néanmoins les patients à
de nombreuses complications dont certaines poten-
tiellement fatales. Ainsi, environ 10 % des patients Hémorragie
transplantés décèdent dans les 30 jours suivant la
transplantation cardiaque (1). Ce risque de mortalité Il s’agit d’une complication commune de la chirurgie
précoce varie selon la cardiopathie sous-jacente : il cardiaque non spécifique à la transplantation. Le
est élevé pour les retransplantations ou les cardio- saignement péri-opératoire, qu’il soit extériorisé par
pathies congénitales (17-18 %), intermédiaire pour les drains ou compliqué de tamponnade fait partie
les cardiopathies valvulaires (14 %), et plus faible de la surveillance immédiate post-transplantation.
pour les cardiopathies ischémiques (10 %) ou les Les troubles de l’hémostase et les antécédents de
cardiomyopathies (8 %). chirurgie cardiaque en sont les facteurs de risque
Les causes de décès des patients transplantés principaux. La tamponnade peut être de diagnostic
varient selon le délai post-greffe (tableau I) : une difficile chez ces patients souvent très peu échogènes
part importante de la mortalité précoce est en lien en postopératoire immédiat, dont l’hypotension ou le
avec une dysfonction primaire du greffon (2). Les bas débit peuvent également être dus à une défaillance
rejets aigus sont responsables de décès dans les droite ou à une dysfonction primaire du greffon. L’écho-
premières années suivant la greffe. À distance, les graphie transœsophagienne doit alors être effectuée au
néoplasies deviennent la première cause de décès. moindre doute pour l’objectiver ou l’infirmer. Le traite-
Les infections et les dysfonctions de greffon sont ment d’un saignement péri-opératoire comporte d’une
responsables d’une proportion importante de décès part la correction des troubles de l’hémostase induits
à toutes les étapes de la greffe. par le saignement (transfusion en plasmas décongelés
Nous envisagerons successivement les principales et/ou concentrés plaquettaires, en fibrinogène en cas
complications postopératoires de la transplanta- d’hypofibrinogénémie sévère, correction de l’hypocal-
tion, à savoir hémodynamiques, immunologiques, cémie, maintien d’une température corporelle à 37° C),
infectieuses et iatrogènes. et d’autre part une hémostase chirurgicale.
Le score RADIAL (pression auriculaire droite [Right culaire droite péritransplantation (embolie gazeuse
atrial pressure] ≥ 10 mmHg, âge du receveur [recipient dans la coronaire droite, défaut de protection myocar-
Age] ≥ 60 ans, diabète [Diabetes], dépendance aux dique, hypotension péri-opératoire), ou à un obstacle
drogues inotropes [Inotropic support dependence], mécanique à l’éjection du ventricule droit (torsion
âge du donneur [donor Age] ≥ 30 ans, temps d’ischémie de l’artère pulmonaire au niveau de l’anastomose).
[Length of ischemia time] ≥ 240 mn) permet une estima- Le receveur insuffisant cardiaque terminal a fré-
tion du risque de dysfonction primaire du greffon (6). Sa quemment une hypertension artérielle pulmonaire
validation a été effectuée dans une cohorte espagnole post-capillaire, qui avec le remodelage vasculaire
de 698 patients dont 50 % étaient sous assistance. La peut évoluer vers une élévation des résistances vas-
mortalité était de 40 % à 30 jours. Ce score a montré culaires pulmonaires (9). Lors de la transplantation,
une bonne capacité à stratifier le risque sans pouvoir le greffon issu du donneur doit désormais éjecter
l’estimer précisément à l’échelle individuelle (7). vers une circulation pulmonaire dont les résistances
Dans une étude récente portant sur 450 patients sont élevées. Cette élévation de post-charge (qui
greffés entre 2012 et 2015 en Angleterre, les facteurs peut encore être aggravée par l’hypoxémie ou la
indépendamment associés à la survenue d’une dys- ventilation mécanique) provoque l’insuffisance
fonction primaire du greffon étaient l’âge du donneur ventriculaire droite. Une élévation importante
(+ 20 % de risque de DPG par décennie), un mauvais des résistances vasculaires pulmonaires était il y a
appariement femme (donneur)-homme (receveur), quelques années considérée comme une contre-indi-
une assistance circulatoire prétransplantation et la cation à la transplantation cardiaque (10), mais l’as-
durée d’implantation du greffon (3). sistance circulatoire post-transplantation a permis
Son traitement est symptomatique et consiste en de changer ces pratiques.
un support hémodynamique dans l’attente de la Sa reconnaissance est le plus souvent aisée en
récupération du greffon : inotropes (dobutamine, échocardiographie (transthoracique ou transœspha-
isoprénaline, intérêt potentiel du lévosimendan à gienne) qui recherche une dysfonction et une dilata-
évaluer), vasopresseurs, et vasodilatateurs artériels tion du ventricule droit, un septum paradoxal et une
pulmonaires en cas de dysfonction droite. Sa préven- fuite tricuspide. Cette défaillance droite retentit sur
tion reposerait sur : le débit cardiaque (estimé par l’ITV [intégrale temps
➤➤ la prise en charge du donneur : en utilisant si vitesse] sous-aortique et la fréquence cardiaque).
possible de faibles doses d’inotropes ; La prise en charge symptomatique de cette défail-
➤➤ le management de la procédure : en diminuant le lance droite comporte le maintien d’une euvolémie
temps d’ischémie froide. La conservation en milieu (en évitant un remplissage excessif aboutissant à
plus physiologique (Organ Care System™ de Trans- une dilatation du cœur droit et potentiellement
Medics® où le cœur battant est perfusé pendant le à une majoration de la fuite tricuspide, de même
transport par du sang du donneur) semble sédui- qu’une déplétion excessive), le recours aux inotropes
sante. Sa non-infériorité par rapport à l’ischémie (dobutamine, isoprénaline), vasopresseurs (nora-
froide a été démontrée dans un essai portant sur drénaline) et vasodilatateurs artériels pulmonaires
130 patients (8). Les mauvais appariements femme- inhalés (monoxyde d’azote [NO]). En cas d’effica-
homme et les mauvais appariements de taille sont cité insuffisante de ces traitements, une assistance
pris en compte lors de l’attribution des greffons. cardiaque temporaire par ECMO peut permettre
➤➤ la prise en charge du receveur : la sélection des d’attendre quelques jours une “adaptation” et une
receveurs à un stade moins avancé de l’insuffisance amélioration de la fonction droite.
cardiaque pourrait permettre de diminuer le risque
de dysfonction primaire du greffon.
Complications immunologiques
Défaillance ventriculaire droite Le rejet hyperaigu est un rejet humoral lié à la pré-
du greffon sence préexistante chez le receveur allo-immunisé
d’anticorps anti-HLA spécifiques du donneur (DSA
La défaillance droite post-transplantation peut être [Donor Specific Antibodies]), responsable d’une dys-
une forme de défaillance primaire du greffon, mais fonction potentiellement très sévère du greffon dans
elle constitue souvent une défaillance secondaire à la première semaine de transplantation (11).
une élévation des résistances vasculaires pulmonaires Le rejet aigu humoral survient entre la première
chez le receveur, plus rarement à une ischémie ventri- semaine et le premier mois après transplantation et
est provoqué par des anticorps préexistants présents Le traitement repose schématiquement sur l’épu-
chez 3 à 11 % des receveurs ou bien des anticorps pro- ration des anticorps par plasmaphérèses ou immu-
duits de novo chez 10 à 30 % des patients. Il est associé noadsorption, la diminution de la synthèse des
à un rejet cellulaire dans environ un quart des cas, et anticorps par un anticorps monoclonal antilym-
est responsable d’une surmortalité des receveurs (12). phocytes B (rituximab), des bolus de corticoïdes,
Les lésions cellulaires du rejet humoral sont dues des anticorps polyclonaux qui modulent la réponse
à la fixation sur les cellules endothéliales des anti- humorale des DSA en interagissant avec leurs idio-
corps (DSA) qui activent la voie classique du com- topes (modulation du réseau idiotypique). D’autres
plément. Cette activation du complément aboutit traitements peuvent être plus rarement utilisés :
à la formation du complexe d’attaque membranaire éculizumab, anticorps monoclonal bloquant l’acti-
responsable de la lyse cellulaire mais également à un vation du complément, inhibiteurs du protéasome
infiltrat inflammatoire périvasculaire, à une activation (bortézomib) ayant une cytotoxicité plasmocytaire.
endothéliale, à une hyperperméabilité capillaire et à Le rejet cellulaire aigu est caractérisé par l’associa-
des microthromboses vasculaires. Il s’ensuit une vas- tion :
cularite avec un infiltrat lymphocytaire périvasculaire ➤➤ d’un infiltrat inflammatoire composé de lympho-
ayant pour conséquence une dysfonction du greffon. cytes, de macrophages et parfois d’éosinophiles en
Lors de l’analyse des biopsies endomyocardiques, le plus faible quantité ;
diagnostic de rejet associe des signes histologiques ➤➤ de dommages myocytaires (myocytolyse ou
de lésions capillaires (lésions endothéliales capil- nécrose), le plus souvent au contact de l’infiltrat
laires et présence de macrophages ou de poly- inflammatoire.
nucléaires dans les capillaires correspondant à la Selon l’importance de l’infiltrat et des dégâts cel-
vascularite) à des signes immunopathologiques de lulaires, le rejet cellulaire est classé en léger (1R),
lésions humorales (mise en évidence d’immunoglo- modéré (2R) et sévère (3R) [classification ISHLT
bulines, de C4D signant l’activation du complément, 2004, révision de la classification de 1990] (13).
de CD68 comme marqueur macrophagique). Son traitement consiste en des bolus de corti-
Les facteurs de risque d’allo-immunisation sont coïdes et une majoration du traitement immuno-
les antécédents de grossesse (et notamment les suppresseur (dont l’ajout éventuel de sérum
femmes ayant récemment accouché), les antécé- antilymphocytaire).
dents transfusionnels, les assistances circulatoires
(ECMO, assistance monoventriculaire gauche), les
“retransplantations”, et la séropositivité au cyto Complications infectieuses
mégalovirus (CMV). Les femmes ont un risque d’al-
lo-immunisation très supérieur aux hommes. Infections bactériennes
La recherche systématique de ces anticorps anti-HLA
avant une greffe et la connaissance du typage HLA Les infections à bactéries pyogènes (pneumonies
du donneur, de même que la réalisation du cross- acquises sous ventilation mécanique, par exemple)
match permettent de reconnaître les patients à sont plus fréquentes chez les patients sous immuno-
risque de rejet humoral aigu ou hyperaigu. Des suppresseurs. Les principales bactéries responsables
plasmaphérèses sont alors effectuées en péri-opé- sont les entérobactéries, le Pseudomonas aerugi-
ratoire dans le but d’abaisser ce taux d’anticorps et nosa et le staphylocoque doré. Leur gravité peut
de prévenir ou diminuer les conséquences de ce rejet. être extrême, un diagnostic et un traitement précoce
Par la suite, la surveillance d’un rejet repose sur sont indispensables.
l’apparition de signes : Une médiastinite peut compliquer une transplan-
➤➤ cliniques d’insuffisance cardiaque ; tation cardiaque, elle survient habituellement 10
➤➤ échocardiographiques : nouvelle dysfonction à 15 jours après la transplantation, mais peut éga-
ventriculaire et/ou hypertrophie myocardique (liée lement être plus tardive. Son diagnostic clinique
à l’œdème) ; peut être difficile en raison de l’absence d’un aspect
➤➤ biologiques : présence de DSA à un titre élevé, inflammatoire de la cicatrice lié aux immuno-
évalué par leur intensité moyenne de fluorescence suppresseurs, et une ponction rétrosternale doit
(MFI) ; être envisagée en cas de suspicion d’infection sans
➤➤ et évidemment sur les résultats des biopsies point d’appel franc ou lorsque la cicatrice de ster-
myocardiques réalisées soit de manière systéma- notomie est douloureuse. Les reprises chirurgicales
tique et programmée, soit devant des signes d’appel. pour tamponnade augmentent leur risque.
Les infections de matériel d’assistance, notamment Les autres infections spécifiques du greffé sont :
d’ECMO, sont fréquentes et doivent être diagnosti- ➤➤ l’aspergillose pulmonaire invasive qui touche 10 %
quées précocement chez ces patients fragiles. des patients greffés dans les 3 mois post-transplanta-
tion et justifie la réalisation systématique et répétée
d’antigénémies aspergillaires ;
Infections spécifiques ➤➤ la pneumocystose, prévenue efficacement
de l’immunodéprimé par une prophylaxie systématique par sulfamé-
thoxazole-triméthoprime ;
L’infection à CMV (cytomégalovirus) est très fré- ➤➤ la toxoplasmose cérébrale ou disséminée, dont
quente en post-transplantation, touchant 9 à 35 % la prévention repose également sur un traitement
des patients (14). On distingue l’infection (réplica- par sulfaméthoxazole-triméthoprime ;
tion virale asymptomatique) de la maladie (répli- ➤➤ l’immunosuppression peut par ailleurs être respon-
cation et présence de symptômes). La probabilité sable d’une réactivation du virus d’Epstein-Barr (EBV)
de survenue de la maladie est proportionnelle à au sein des lymphocytes B provoquant une proliféra-
la charge virale et devient significative pour une tion lymphocytaire B incontrôlée et responsable d’une
charge > 4 log/ml de sang. proportion importante (environ les 2/3) des syndromes
Les principales manifestations de la maladie à CMV lymphoprolifératifs induits par la transplantation
(effets directs en rapport avec une charge virale (PTLD [Post-Transplant Lymphoproliferative Diseases]).
élevée) sont un syndrome mononucléosique, une
Références colite, une hépatite, une pancréatite, une cytopénie
bibliographiques (le plus souvent thrombopénie, plus rarement neutro- Complications iatrogènes
1. Kobashigawa J, Zuckermann A, pénie), une rétinite, une pneumonie. Elle est de plus
Macdonald P et al. Report from a
consensus conference on primary
associée à une augmentation du risque de rejet En plus de leur toxicité rénale chronique, les inhibiteurs
graft dysfunction after cardiac humoral ainsi que de coronaropathie du greffon, et à de la calcineurine (ciclosporine, tacrolimus) peuvent
transplantation. J Heart Lung une surmortalité post-greffe (effets indirects possibles avoir une toxicité endothéliale cérébrale et provoquer
Transplant 2014;33:327-40.
2. Chambers DC, Yusen RD, même lorsque la charge virale est basse). un PRES (Posterior Reversible Encephalopathy Syn-
Cherikh WS et al. The Registry Le risque d’infection à CMV dépend du niveau drome) se manifestant par des troubles visuels, des
of the International Society for d’immunosuppression et surtout du statut sérolo- céphalées, une hypertension artérielle et des crises
Heart and Lung Transplantation:
Thirty-fourth Adult Lung And gique du donneur et du receveur. Les patients le plus convulsives. Le diagnostic repose sur l’IRM cérébrale
Heart-Lung Transplantation à risque sont ceux n’ayant pas d’immunité anti-CMV, qui retrouve des hypersignaux T2 de la région occipitale.
Report-2017; Focus Theme: Allo-
graft ischemic time. J Heart Lung donc séronégatifs (R–) recevant un greffon d’un Par ailleurs, bon nombre des traitements du patient
Transplant 2017;36:1047-59. donneur séropositif (D+). Il s’agit alors d’une pri- greffé peuvent avoir une toxicité médullaire, en par-
3. Avtaar Singh SS, Banner NR, mo-infection dont la fréquence est d’environ 68 % ticulier le mycophénolate-mofétil, le valganciclovir
Rushton S, Simon AR, Berry C,
Al-Attar N. ISHLT Primary dans ce contexte. ou le sulfaméthoxazole-triméthoprime qui doivent
Graft Dysfunction incidence, Les situations à risque intermédiaire sont les D+/R+ être transitoirement suspendus en cas de leucopénie.
risk factors and outcome: a UK
National Study. Transplantation
(superinfection ou réactivation) et les D–/R+ (réac-
2018 [Epub ahead of print]. tivation). Les patients D–/R– sont ceux au plus faible
4. D’Alessandro C, Golmard JL,
Barreda E et al. Predictive risk
risque d’infection. Conclusion
factors for primary graft failure Le traitement antiviral par ganciclovir ou valgan-
requiring temporary extra-cor- ciclovir peut être : La prise en charge immédiate des patients transplantés
poreal membrane oxygenation ➤➤ prophylactique : en l’absence de réplication virale cardiaques comporte la gestion de l’éventuelle défail-
support after cardiac transplan-
tation in adults. Eur J Cardio- dans une situation à fort risque (D+/R–). Chez ces lance hémodynamique le plus souvent liée à une
thorac Surg 2011;40:962-9. patients, le traitement prophylactique, dans des dysfonction primaire du greffon ou à une défaillance
études rétrospectives, semble améliorer la survie ventriculaire droite secondaire qui peuvent nécessiter
des greffons et des patients (15) ; la mise en place d’une assistance circulatoire tempo-
➤➤ préemptif : celui-ci est débuté lorsqu’une répli- raire. Dans les jours et semaines suivant la transplan-
cation virale > 4 log/ml est mise en évidence sans tation, les risques infectieux et immunologiques sont
signe de maladie chez les autres patients (R+) ; majeurs, et l’équilibre entre les 2, potentiellement diffi-
➤➤ curatif : en cas de maladie due au CMV. cile à trouver : le traitement d’un rejet accroît le risque
On dépistera donc régulièrement dans les semaines infectieux, la baisse de l’immunosuppression motivée
suivant la transplantation une infection à CMV par par une infection expose au rejet aigu. La surveillance
G. Hékimian et C.E. Luyt déclarent la réalisation de PCR (Polymerase Chain Reaction) étroite de ces patients permet la détection et le trai-
ne pas avoir de liens d’intérêts. sanguines. tement très précoces de ces complications. ■