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Infarctus artériels médullaires : où en sommes-nous en 2022 ?

Spinal cord infarcts: where are we in 2022?

Charlotte Cordonnier1*

1
Université de Lille, Inserm U1172, Service de Neurologie et Pathologie Neurovasculaire,
CHU Lille.

*auteur correspondant :

Prof. Charlotte Cordonnier, Université de Lille, Inserm U1172, Service de Neurologie et


Pathologie Neurovasculaire, CHU Lille.

charlotte.cordonnier@univ-lille.fr

tel : 0320446814 – Fax : 0320446028

© 2021 published by Elsevier. This manuscript is made available under the Elsevier user license
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Cordonnier C 2.

RESUME

Les infarctus médullaires sont rares et représentent environ 5 à 8% des myélopathies aiguës
et moins de 1% des accidents vasculaires cérébraux. Le diagnostic est clinique et la
compréhension de l’anatomie et de la vascularisation de la moëlle aide à la démarche
diagnostique. L’IRM médullaire doit être réalisée en urgence et permet d’éliminer les
diagnostics différentiels nécessitant une prise en charge chirurgicale rapide comme par
exemple la compression médullaire aiguë. Aucun traitement spécifique n’a été validé dans
des études contrôlées randomisées. Le pronostic fonctionnel est bon chez 40% des patients
mais les troubles sphinctériens et les douleurs sont des séquelles fréquentes altérant
significativement la qualité de vie des patients.

Mots clés : Infarctus médullaire, Syndrome médullaire aiguë

ABSTRACT

Spinal cord infarcts are rare and account for 5 to 8% of acute spinal cord syndromes and less
than 1% of strokes. The diagnosis is clinical and relies on a good knowledge of spinal cord
anatomy and its vascularization. Emergency spinal cord magnetic resonance imaging is the
key diagnostic tool to exclude differential diagnoses such as spinal cord compression that
may require surgery. No treatment has been evaluated in randomized controlled trials.
Functional outcome is good in 40% of patients but pain and need for bladder catheterization
remain frequent and alter quality of life.

Key words: Spinal cord infarct, acute spinal cord syndrome


Cordonnier C 3.

Les infarctus artériels médullaires sont rares et représentent environ 5 à 8% des


myélopathies aiguës et moins de 1% des accidents vasculaires cérébraux. La rareté des
infarctus médullaires, ainsi que les difficultés techniques pour explorer les vaisseaux
médullaires, expliquent que nos connaissances restent limitées. En raison de leur extrême
rareté, nous n’aborderons pas le cas des infarctus veineux.
Les atteintes dorso-lombaires et sacrées sont les plus fréquentes [1]. La séméiologie dépend
de l’artère concernée, mais aussi de l’extension en hauteur et en profondeur. L’âge moyen
des patients est d’environ 60 ans (avec une très légère prédominance d’hommes) [2].

Tableaux cliniques
1. Infarctus du territoire de l'artère spinale antérieure
a. Infarctus totaux du territoire de l’artère spinale antérieure
Le territoire de l’artère d’Adamkiewicz est le plus souvent touché et se manisfeste par des
infarctus dorso-lombaires. Le début est brutal, marqué par des douleurs rachidiennes qui
précèdent le déficit neurologique.
Dans les infarctus du territoire de l’artère d’Adamkiewicz, la paraplégie, flasque et brutale,
est associée à une rétention urinaire précoce, des troubles sensitifs avec anesthésie à la
douleur et à la température, mais avec respect des autres modalités sensitives. La moelle
sacrée est parfois épargnée en cas d’afférence artérielle sacrée propre.

b. Infarctus partiels du territoire de l'artère spinale antérieure (Fig.1)


Les infarctus limités au territoire central de l’artère spinale antérieure sont le plus souvent
bilatéraux, et sont caractérisées sur les coupes axiales en IRM de l’aspect classique des «
yeux de hibou ou serpent ».
L'infarctus peut être limité à l’hémimoelle dans les cas de certaines variantes anatomiques
vasculaires. Ces infarctus unilatéraux sont responsables d’un syndrome de Brown-Sequard,
souvent incomplet, sans trouble sensitif proprioceptif [3].

2. Infarctus du territoire de l’artère spinale postérieure


En raison des multiples afférences, ces infarctus sont rares [4]. Ce type d'infarctus concerne
le tiers postérieur de la moelle (partie la plus superficielle des cordons postérieurs, la tête des
cornes postérieures et la partie la plus postérieure du cordon latéral de la moelle). La plupart
de ces infarctus sont bilatéraux, responsables de paresthésies avec abolition de la
Cordonnier C 4.

pallesthésie dans le territoire sous-lésionnel. Une paraparésie est possible.

3. Infarctus centromédullaires
La substance grise centromédullaire est très sensible à l’ischémie. Les infarctus
centromédullaires peuvent être isolés, ou représenter l'extension vers le haut d'un infarctus
transverse total. Ces infarctus sont souvent dus à une défaillance hémodynamique aiguë et
prolongée [5, 6].

4. Infarctus transverses totaux de la moelle


Ils se révèlent par une paraplégie ou une tétraplégie flasque brutale, massive, associée à des
troubles sphinctériens et à une anesthésie complète à limite supérieure nette. Leur pronostic
fonctionnel est mauvais.

Diagnostic
1. Imagerie médullaire
a. Signes directs
Le diagnostic repose sur l’imagerie et tout syndrome médullaire aigu nécessite une IRM
médullaire en urgence [7]. L’IRM permet dès la phase aiguë d’exclure certaines causes de
syndrome médullaire aigu comme les compressions médullaires aiguës ou les
hématomyélies. A ce stade, le diagnostic différentiel avec les myélites est difficile.
L’IRM médullaire en urgence est normale dans environ 17% des cas d’infarctus médullaires
[2]. Les séquences de diffusion sont techniquement difficiles à réaliser. Elles sont cependant
très sensibles dans les phases précoces. Les caractéristiques en IRM des infarctus
médullaires sont proches de celles des infarctus cérébraux. Sur les séquences T2, les
infarctus du territoire de l’artère spinale antérieure touchent préférentiellement la substance
grise. En phase aiguë, l’hypersignal T2 est fin, avec un aspect en crayon sur une moëlle
initialement non oedémateuse.

b. Signes indirects
La présence d’un infarctus osseux d’un corps vertébral est un argument majeur en faveur de
l’origine ischémique d’un syndrome médullaire aigu quand le parenchyme apparaît encore
normal: il se manifeste par un hypersignal T2 du corps de la vertèbre [8].
Cordonnier C 5.

2. Démarche étiologique
a. L'imagerie aortique (échographie, échocardiographie transoesophagienne, scanner ou
IRM).
Elle permet de détecter une pathologie aortique (anévrisme, dissection).

b. La ponction lombaire
Elle ne doit pas être faite avant l’IRM. Elle est utile pour écarter d'autres diagnostics
(myélite) et apporter des arguments pour certaines causes infectieuses ou néoplasiques.
Indépendamment de la cause, le liquide cérébro-spinal peut être normal, avec une légère
hyperprotéinorachie et /ou une hypercytose, non spécifiques.

c. L'angiographie médullaire
Il s'agit d'une méthode invasive rarement indiquée face à un infarctus médullaire.

Causes d'infarctus médullaire


Les différentes causes d’infractus médullaire peuvent être :
-Les pathologies de l'aorte : athérome, dissection, coarctation de l'aorte, complications
d’actes de radiologie diagnostique et interventionnelle, chirurgie aortique.
-Les occlusions des artères vertébrales (dissection) (Fig 1)
-Les occlusions des artères intercostales et lombaires (iatrogènes)
-Les occlusions des artères spinales et intra-médullaires : infectieuses, inflammatoires,
hématologiques, iatrogènes, toxique
-Défaillance hémodynamique aiguë
-Embolies dans les artères spinales : embolies d’origine cardiaque, embolies de cholestérol,
embolie d'un fragment de disque intervertébral.
-Les compressions médullaires.
Dans environ 1/3 des cas, aucune cause n’est retrouvée [9]. Environ 3 patients sur 4
présentent des facteurs de risque vasculaires [2].

Prévention en cas de chirurgie aortique complexe


Les pratiques varient énormément entre les centres. La chirurgie aortique complexe se
compliquent d’infarctus médullaires dans 2 à 10% des cas selon les séries [10]. Les
stratégies de prévention consistent par exemple en l’élévation de la pression artérielle,
Cordonnier C 6.

augmentation de la cible péri et post-opératoire de l’hémoglobinémie (10mg/dl ou plus),


mise en place d’un drainage du LCS en préopératoire (cela augmenterait la pression de
perfusion au niveau de la moëlle durant les fluctuations de perfusion liées à l’anesthésie et
aux manipulations de l’aorte).

Traitement
Aucune étude randomisée n’a été réalisée dans l’ischémie médullaire. Nos décisions
thérapeutiques sont dérivées des recommandations dans la prise en charge de l’infarctus
cérébral. De l’aspirine est ainsi prescrite en association avec une prévention des
complications de décubitus et troubles sphinctériens. Les cas rapportés de thrombolyse sont
anecdotiques et il y a peu d’arguments en faveur des corticoides.

Pronostic
La mortalité en phase aiguë est d'environ 10 à 20% et des séquelles sévères sont présentes
chez plus de 50% des patients [1, 10]. La sévérité des séquelles est très corrélée à la sévérité
du tableau clinique initial [2]: 1 patient sur 2 garde des troubles sphinctériens sévères, et 1
patient sur 3 présente des séquelles douloureuses. Concernant la marche : 47% des patients
peuvent marcher sans aide [2].

Conclusion
Bien connues dans le contexte des complications de la chirurgie aortique, les cliniciens
peuvent évoquer le diagnostic d’ischémie médullaire dans de nombreux autres contextes. Le
diagnostic est clinique et la compréhension de l’anatomie et de la vascularisation de la
moëlle aide à la démarche diagnostique. L’IRM médullaire doit être réalisée en urgence.
Aucun traitement spécifique n’a été validé dans des études contrôlées randomisées. Le
pronostic fonctionnel est bon chez 40% des patients mais les troubles sphinctériens et les
douleurs sont des séquelles fréquentes alterant significativement la qualité de vie des
patients.

Déclaration d’intérêts
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts en relation avec le thème abordé.
Cordonnier C 7.

Légendes.

Figure 1. Infarctus partiel du territoire de l’artère spinale antérieure. IRM médullaire,


séquence pondérée T2. Coupe sagittale (A) hypersignal T2 de la substance grise au niveau
cervical (flèche) donnant un aspect caractéristique (« yeux de serpent ») (flèche) sur la coupe
axiale (B).
Cordonnier C 8.

Points essentiels

• Les ischémies médullaires sont rares et représentent environ 5 à 8% des myélopathies aiguës.

• Le diagnostic est clinique et la compréhension de l’anatomie et de la vascularisation de la


moëlle aide à la démarche diagnostique.

• L’IRM médullaire doit être réalisée en urgence et permet d’éliminer les diagnostics
différentiels nécessitant une prise en charge chirurgicale rapide comme par exemple la
compression médullaire aiguë.

• La pathologie aortique athéromateuse (y compris les complications des gestes de


revascularisation) est une cause fréquente d’infarctus médullaire.

• Le pronostic fonctionnel est bon chez 40% des patients mais les troubles sphinctériens et les
douleurs sont des séquelles fréquentes altérant significativement la qualité de vie des patients.
Cordonnier C 9.

Références.
1. Masson, C., et al., Spinal cord infarction: clinical and magnetic resonance imaging
findings and short term outcome. J Neurol Neurosurg Psychiatry, 2004. 75: p. 1431-5.
2. Zalewski NL, Rabinstein AA, Krecke KN, Brown RD, Wijdicks EFM, Weinshenker BG,
Kaufmann TJ, Morris JM, Aksamit AJ, Bartleson JD, Lanzino G, Blessing MM, Flanagan
EP. Characteristics of Spontaneous Spinal Cord Infarction and Proposed Diagnostic Criteria.
JAMA Neurol. 2019. 76: p. 56-63.
3. Decroix, J.P., Ciaudo-Lacroix, C., and Lapresle, J., Syndrome de Brown-Sequard par
infarctus médullaire. Rev Neurol (Paris), 1984. 140: p. 585-6.
4. Weidauer, S., Nichtweiss, M., Lanfermann, H., and Zanella, F.E., Spinal cord infarction:
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6. Ishizawa, K., et al., Hemodynamic infarction of the spinal cord: involvement of the gray
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7. Martin AR, Aleksanderek I, Cohen-Adad J, Tarmohamed Z, Tetreault L, Smith N,
Cadotte DW, Crawley A, Ginsberg H, Mikulis DJ, Fehlings MG. Translating state-of-the-art
spinal cord MRI techniques to clinical use: A systematic review of clinical studies utilizing
DTI, MT, MWF, MRS, and fMRI. Neuroimage Clin. 2016. 10: p.192-238.
8. Diehn, F.E., et al., Vertebral Body Infarct and Ventral Cauda Equina Enhancement: Two
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9. Nedeltchev, K., et al., Long-term outcome of acute spinal cord ischemia syndrome.
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10. Salvador de la Barrera, S., et al., Spinal cord infarction: prognosis and recovery in a
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