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Complications à la phase aiguë de l’AVC (2de partie)

un rôle déclenchant : des facteurs locaux


■ Les complications (lésions de reperfusion par reperméabilisation
précoce, etc.) ou généraux (sevrage médicamen-
épileptiques teux, troubles ioniques, acido-basiques, hypoxie
secondaire à une pneumopathie, etc.).
à la phase aiguë Pour les hématomes intracérébraux, c’est pro-
bablement l’association de l’effet de masse,
de l’AVC d’une hypoxie secondaire focale et du rôle épi-
leptogène des globules rouges extravasés dans
V. Domigo* le parenchyme qui explique la survenue d’une
crise (1).

LES DONNÉES ÉTABLIES


La fréquence des crises d’épilepsie attribuées à
une lésion vasculaire cérébrale varie de façon Fréquence
considérable selon l’âge du patient et la nature La fréquence des crises précoces après un AVC
de la lésion. Les accidents cérébrovasculaires varie de 2 à 6 % (4, 5). À la phase aiguë, elles
sont l’une des premières causes d’épilepsie du sont deux fois plus fréquentes pour les héma-
sujet âgé. Toutefois, la fréquence de survenue tomes intracérébraux que pour les accidents
d’une crise d’épilepsie après un AVC reste ischémiques (1). En comparaison, on retrouve
faible, variant de 4 à 10 % (1). La classification dans les thrombophlébites cérébrales des
internationale de la ligue contre l’épilepsie dis- crises inaugurales dans 12 à 15 % des cas (6).
tingue les crises précoces, survenues dans les 7
premiers jours suivant un AVC, des crises tar- Délai de survenue
dives survenant après la première semaine (2). Elles surviennent pour plus d’un quart des cas
Les crises précoces sont des crises symptoma- dans les 24 premières heures suivant l’AVC (7).
tiques d’une affection cérébrale aiguë et ne
sont pas synonymes de maladie épileptique. Si Type des crises
leur fréquence et leur mécanisme sont actuelle-
ment mieux connus, de nombreuses questions Elles sont le plus souvent partielles simples ou
restent posées, concernant en particulier les secondairement généralisées (1, 7). La surve-
facteurs prédictifs d’épilepsie ultérieure et les nue d’un état de mal épileptique n’est pas rare
indications thérapeutiques. (19 % des crises sur une série de 3 000 AVC) (8).

Facteurs prédictifs
◆ Le siège cortical de l’AVC est le facteur le plus
PHYSIOPATHOLOGIE DES CRISES PRÉCOCES fréquemment associé aux crises précoces (1, 9).
La distinction, qui peut paraître arbitraire, entre Des crises précoces peuvent toutefois être
les crises précoces et tardives se fonde sur observées chez des patients avec des lésions
l’existence de mécanismes physiopatho- sous-corticales (10).
logiques différents à l’origine du déclenche- ◆ La taille de l’AVC, son siège lobaire, le
ment de la crise. caractère hémorragique de l’infarctus (9), la
À la phase aiguë de l’infarctus, la zone de présence de sang dans les espaces sous-
pénombre ischémique est le siège d’une cascade arachnoïdiens ou dans les ventricules en cas
d’événements biochimiques. Dans cette zone, d’hématome (1) sont plus controversés.
l’hypoxie tissulaire secondaire à la chute du ◆ L’iimportance de la zone de pénombre
débit sanguin cérébral et la libération d’acides ischémique pourrait aussi jouer un rôle dans le
aminés excitotoxiques, tels que le glutamate, déclenchement des crises précoces (11). Les
seraient à l’origine des crises d’épilepsie (3). La techniques actuelles d’IRM de diffusion et
* Service de neurologie et centre d’accueil
et de traitement de l’attaque cérébrale.
fréquence peu élevée des crises précoces sug- perfusion devraient permettre de mieux
hôpital Bichat. Paris. gère que d’autres facteurs que l’ischémie jouent préciser son importance.

Correspondances en neurologie vasculaire - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2001 29


D o s s i e r t h é m a t i q u e

Pronostic – le Limb shaking, qui est un phénomène pure-


On peut observer une aggravation transitoire ment ischémique de bas débit en aval d’un obs-
du déficit initial après une crise. Celle-ci peut tacle hémodynamique carotidien. Il s’agit de
persister pendant quelques heures à quelques mouvements involontaires, répétés, parfois clo-
jours (paralysie de Todd). La survenue de crises niques atteignant le bras ou la jambe contro-
précoces ne modifie pas le pronostic fonction- latéraux à une sténose serrée ou une occlusion
nel des patients. de la carotide interne. L’absence de marche épi-
leptique, le lien avec la mise en orthostatisme
Le taux de mortalité à un mois n’est pas plus et à l’inverse l’arrêt de ces mouvements en
élevé parmi les patients ayant fait une crise pré- position allongée, la normalité de l’EEG pen-
coce (4). Le pronostic est plus sévère en cas dant les symptômes permettent d’affirmer le
d’état de mal épileptique, les causes de décès diagnostic (12) ;
étant le plus souvent les pneumopathies d’in-
halation, les troubles du rythme cardiaque – les inhibitory seizures sont des épisodes brefs,
secondaire ou un engagement cérébral causé récurrents, stéréotypés de déficit sensitivo-
par l’augmentation de la pression intra- moteur ou aphasiques associés à des anomalies
crânienne (1). paroxystiques controlatérales à l’EEG qui doi-
vent être considérés comme critiques (13) ;
Le rôle favorisant des crises précoces sur la sur-
venue d’une épilepsie ultérieure reste contro- – les syncopes secondaires à un trouble du
versé (1). rythme cardiaque, lorsque la pause cardiaque
est supérieure à 15 secondes, peuvent se com-
pliquer de phénomènes convulsifs.
LES QUESTIONS À SE POSER
Est-ce bien une crise ? Quels sont les examens complémentaires
Le diagnostic d’une crise d’épilepsie à la phase
à faire en urgence ? (tableau I)
aiguë d’un AVC peut s’avérer difficile lorsqu’il ◆ Faire prélever en urgence un bilan biologique
existe des troubles de vigilance en l’absence de à la recherche de troubles métaboliques :
témoins. Les principales difficultés diagnos- hypo/hyperglycémie, hyponatrémie, hypo-
tiques concernent : calcémie, hypoxie, etc.
◆ Faire en urgence une imagerie cérébrale
Tableau I. Conduite à tenir devant une crise d’épilepsie à la phase aiguë d’un AVC. (TDM sans injection, au mieux une IRM avec
séquences de diffusion) en cas de troubles de
! Immédiatement : glycémie capillaire, pression artérielle, pouls, vigilance postcritique importants ou prolongés
température, saturation O2. ou d’une aggravation du déficit neurologique.
Une crise d’épilepsie associée à un déficit
" Recherche de facteurs déclenchants : neurologique focal et des céphalées doit faire
Neurologiques si
évoquer une thrombophlébite cérébrale ; c’est
Généraux
• Aggravation du déficit
une indication en urgence à l’IRM cérébrale et
Rechercher :
• Sevrage éthylique ou nouveau déficit neurologique. l’angioIRM avec temps veineux.
ou interruption brutale • Confusion postcritique prolongée. ◆ Faut-il faire un EEG ? Il n’est pas
d’un traitement médicamenteux • Trouble de vigilance inexpliqué indispensable si la crise est constatée
(benzodiazépines, barbituriques…), (absence de témoins).
prise de toxiques. cliniquement. Il est utile en cas de troubles de
• Troubles ioniques : vigilance inexpliqués ou s’il existe un doute
Indication en urgence :
hypo/hyperglycémie (< 2,5mm/l), • TDM cérébrale sans injection diagnostique. L’EEG est le plus souvent d’un
hypocalcémie, hyponatrémie (œdème, engagement cérébral, apport limité. Dans plus de la moitié des cas, on
(< 120 mm/l). transformation hémorragique, observe uniquement des ondes lentes en foyers
• Hypoxie : GDS ± Rx thorax. resaignement). aspécifiques. La fréquence des anomalies
• Fièvre. • IRM cérébrale ± séquences paroxystiques intercritiques n’est que de
de diffusion (récidive ischémique).
20 %. Elles sont plus fréquentes dans les
premières 48 heures suivant l’AVC. Les PLEDs
# EEG si doute diagnostique ou troubles de vigilance prolongés (Periodic Lateralized Epileptiform Discharges)
(état de mal) ou inexpliqués. sont des complexes périodiques unilatéraux
d’une à deux secondes plus fréquemment

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Complications à la phase aiguë de l’AVC (2de partie)

observés à la phase aiguë des AVC sans en être – rechercher et traiter des facteurs déclenchants
spécifiques (15). Ils n’ont pas de signification généraux : fièvre, sevrage médicamenteux (ben-
épileptique. zodiazépines), sevrage éthylique, prise de
toxiques (crack, amphétamines, cocaïne, etc.) ;
– l’administration de benzodiazépines per os
Comment traiter une crise précoce ? dès la première crise (en dehors de troubles de
(tableau II) vigilance) est recommandée en raison du risque
◆ Il n’y a aucune preuve du bénéfice d’un d’évolution vers un état de mal. Elle semble
traitement antiépileptique prophylactique en préférable pour une durée limitée à quelques
phase aiguë de l’AVC (14). Il faut en revanche jours ;
prévenir tout risque de sevrage médicamenteux – des complications immédiates après la crise
ou alcoolique. doivent rechercher : rhabdomyolyse, inhalation
◆ Après une première crise en phase aiguë bronchique, traumatisme crânien ou orthopé-
d’un AVC : dique (luxation d’épaule), troubles du rythme
cardiaque.
◆ L’instauration d’un traitement anti-
Tableau II. Traitement proposé devant une crise d’épilepsie à la phase aiguë d’un AVC.
épileptique au long cours reste controversée :
! Traitement symptomatique – le risque de récurrence d’une crise précoce
• Pendant la crise : prévenir les traumatismes, pas de contention. est faible et le rôle favorisant des crises pré-
PLS si confusion postcritique coces sur la survenue d’une épilepsie ultérieure
• ± Garde veine : sérum physiologique 500 cc n’est pas établi (1). Toutefois, une étude
• ± O2 nasal si désaturation/troubles de vigilance récente a montré une diminution significative
• Traitement des facteurs déclenchants du risque de récurrence dans les 2 ans chez des
patients traités dès leur première crise précoce.
Sevrage éthylique Hydratation p.o./i.v. + vitamine B1
1 g/jour i.v. + Valium® 10-60 mg/jour (p.o. ou i.v.d.) Cependant, à l’arrêt du traitement, ce risque
Sevrage Urbanyl® 10-40 mg/jour p.o. redevient identique à celui de patients non trai-
en benzodiazépines tés (16). Il semble plus raisonnable de ne débu-
Hypoglycémie G 30 % I.V.D 2 ampoules (30 ml) ter un traitement antiépileptique au long cours
Hyperglycémie Insuline i.v. 5-10 UI/h qu’après la première crise tardive ;
Hyponatrémie Sérum salé hypertonique (± réanimation) – les effets secondaires des antiépileptiques
Hypocalcémie Gluconate de calcium (± réanimation) peuvent entraver la récupération du malade :
Fièvre Paracétamol 2g i.v. risque de somnolence avec les antiépileptiques
classiques, algodystrophie (syndrome épaule-
main) secondaire au phénobarbital, ou interfé-
" Traitement antiépileptique
rer avec son traitement (effet inducteur enzy-
Crises non compliquées Si pas de troubles de vigilance : matique avec les AVK, les antalgiques) ;
Urbanyl® 10 à 40 mg/jour p.o. – parmi les antiépileptiques efficaces sur les
en 3 prises pendant 7 jours crises à début partiel, la carbamazépine est le
( 50 % de la dose si âge > 60 ans)
plus souvent utilisée en première intention.
L’acide valproïque a l’avantage d’éviter les
État de mal épileptique
interactions médicamenteuses, notamment
(crises > 5 min ou 2 crises Rivotril 1 mg (1 ampoule) en i.v.d (2 minutes)
successives sans retour (si âge > 65 ans 0,5 mg) l’absence d’effet inducteur enzymatique. Les
à la conscience entre les deux) nouveaux antiépileptiques (oxcarbamazépine
Si persistance des crises > 10 min : [Trileptal®], gabapentine [Neurontin®], lamotri-
Rivotril® 0,5-1 mg i.v.d gine [Lamictal®]) représentent une alternative
+ Prodilantin® i.v (flacon de 500 mg d’EP)
à la SE : 15 mg/kg d’EP,
intéressante chez des patients souvent âgés et
vitesse 100-150 mg/min polymédicamentés. Ils sont dénués d’effet
(diminuer la posologie de 10-25 % inducteur enzymatique et mieux tolérés.
après 60 ans) Certains peuvent maintenant être utilisés d’em-
blée en monothérapie.

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D o s s i e r t h é m a t i q u e

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◆ Manifestations
Urgences coronaires et troubles du
cardiologiques rythme à la phase aiguë
◆ Endocardites
Retrouvez dans notre prochain numéro dans l’AVC ◆ Chirurgie cardia
que
Correspondances en neurologie vasculaire Coordinateur : et complications
parution mars 2002, J.M. Olivot neurologiques
◆ Prothèse valvulai
notre dossier thématique re
◆ Dissection aortiqu
e

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