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M I S E A U P O I N T

Insuffisance rénale et infarctus du myocarde


Chronic kidney disease and myocardial infarction

● C. Bauters*

QUELLE EST LA PRÉVALENCE


DE L’INSUFFISANCE RÉNALE CHEZ LE PATIENT
Points forts HOSPITALISÉ POUR INFARCTUS ?
La prévalence de l’insuffisance rénale est dépendante de la défi-
■ L’altération de la fonction rénale est une situation fré- nition utilisée et de la population étudiée. L’insuffisance rénale
quente dans le postinfarctus. terminale est retrouvée chez un faible pourcentage de patients
■ La diminution de la clairance de la créatinine est asso- hospitalisés pour IDM. Wright et al. ont rapporté en 2002 des
ciée à une augmentation progressive du risque de décès données issues d’un registre réalisé à la Mayo Clinic ; 3 106 pa-
cardiovasculaire. tients admis pour IDM en phase aiguë avaient été inclus. Les
■ Les grandes classes thérapeutiques du postinfarctus patients dialysés étaient au nombre de 44, soit environ 1 % de
(aspirine, IEC, bêtabloquants, statines) voient leur pres- l’ensemble de la population (2). Lorsqu’on s’intéresse aux
cription diminuer en cas d’insuffisance rénale associée. patients ayant une fonction rénale altérée définie par une dimi-
■ Les analyses disponibles suggèrent pourtant un béné- nution de la clairance de la créatinine (ClCreat), la prévalence de
fice important de ces classes thérapeutiques chez ces l’insuffisance rénale paraît alors beaucoup plus importante. Ainsi,
patients à haut risque. à titre d’exemple, dans l’étude VALIANT qui incluait des patients
présentant une insuffisance cardiaque ou une dysfonction ven-
Mots-clés : Pronostic - Infarctus du myocarde - Insuffi- triculaire gauche en postinfarctus, près d’un tiers des patients
avaient une ClCreat < 60 ml/mn, tandis que 11 % des patients
sance rénale - Prévention secondaire.
avaient une ClCreat < 45 ml/mn (3). Ces chiffres sont d’autant
Keywords: Prognosis - Myocardial infarction - Chronic
plus significatifs qu’un chiffre de créatinine plasmatique >
kidney disease - Secondary prevention.
25 mg/l était un critère d’exclusion pour l’étude VALIANT. La
figure 1 montre la distribution des patients avec IDM dans les
différentes strates de ClCreat. L’altération de la fonction rénale
e pronostic de l’infarctus du myocarde (IDM) s’est est donc une situation fréquente en post-IDM.

L considérablement amélioré au cours des dernières


années. Ces progrès sont au moins en partie à mettre
sur le compte de la plus grande utilisation des techniques de reper-
fusion myocardique en phase aiguë et de la mise à disposition de
thérapeutiques médicamenteuses de plus en plus efficaces.
Si globalement le pronostic du patient hospitalisé pour IDM en Registre Étude VALIANT
de la Mayo Clinic
phase aiguë est bon (mortalité hospitalière proche de 6 %, mor-
talité à un an proche de 15 % [1]), certains sous-groupes de 13 % 1% 11 %
patients restent néanmoins associés à un risque à court et à moyen 42 %
22 % 39 %
termes élevé. Cet article a pour objectif de proposer une mise au 16 %
point sur les aspects épidémiologiques et pronostiques de l’IDM 28 %
en cas d’insuffisance rénale. Après avoir souligné le risque 28 %
particulièrement élevé de ces patients, nous envisagerons les spé- > 75 ml/mn > 75 ml/mn
50-75 ml/mn 60-75 ml/mn
cificités de prise en charge de ces patients en insistant sur les 35-50 ml/mn 45-60 ml/mn
principaux traitements de prévention secondaire (aspirine, bêta- > 35 ml/mn > 45 ml/mn
bloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angioten- Dialysés
sine [IEC] et statines).
Figure 1. Prévalence de l’insuffisance rénale en postinfarctus. Données
* Service de cardiologie C, hôpital cardiologique, CHRU de Lille. adaptées à partir des références (2) et (3).

30 La Lettre du Cardiologue - n° 387 - septembre 2005


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L’EXISTENCE D’UNE INSUFFISANCE RÉNALE : QUELLE EST L’ÉTAT DES LIEUX


FACTEUR PRONOSTIQUE EN CAS D’INFARCTUS ? DE L’UTILISATION DES GRANDES CLASSES
Toutes les études ayant abordé cette question apportent la même THÉRAPEUTIQUES DU POSTINFARCTUS
réponse : l’existence d’une insuffisance rénale est un très puissant EN CAS D’INSUFFISANCE RÉNALE ?
facteur pronostique en cas d’IDM. La figure 2 illustre l’augmenta- Tout acte thérapeutique reposant sur l’analyse d’un rapport béné-
tion progressive du risque de décès en fonction de la valeur de fice/risque, quelle peut être l’appréciation de celui-ci lorsque la
ClCreat. La relation existe aussi bien pour des populations tout venant fonction rénale est altérée en postinfarctus ?
qu’en cas d’IDM associé à une dysfonction ventriculaire gauche. Deux sentiments poussant dans des directions inverses sont à
Bien sûr, le risque est majeur en cas d’insuffisance rénale terminale prendre en compte : d’un côté, la perception d’un risque iatro-
ou lorsque la ClCreat est très diminuée, mais il faut souligner le fait gène augmenté, qu’il s’agisse d’un risque d’altération encore plus
que l’augmentation du risque est déjà sensible et très significative marquée de la fonction rénale ou d’un risque hémorragique en
pour des diminutions peu importantes de ClCreat. Par exemple, dans cas d’emploi de thérapeutiques antithrombotiques ; à l’inverse,
VALIANT, une ClCreat entre 60 et 75 ml/mn est associée à une aug- la perception d’un bénéfice augmenté en raison des facteurs de
mentation de 42 % du risque de décès en postinfarctus. risque associés (hypertension, diabète) et du haut risque absolu
impliquant un faible nombre de patients à traiter pour éviter un
Registre Étude VALIANT événement cardiovasculaire.
de la Mayo clinic
Les résultats issus des différentes études sont là encore très
25 4
3,5
concordants et montrent que c’est très certainement la percep-
20 3 tion d’un risque élevé qui prévaut. En effet, toutes les grandes
2,5
15 classes thérapeutiques du postinfarctus voient leur prescription
RR décès

RR décès

2
10 1,5 diminuer lorsque la ClCreat diminue. Cela est vrai pour l’aspi-
1
5
0,5 rine, les bêtabloquants, les IEC et les statines. Dans tous les cas,
0 0 l’effet est très significatif et proportionnel à l’altération de la fonc-
> 75 50-75 35-50 < 35 Dialysés > 75 60-75 45-60 < 45
ClCreat ml/mn ClCreat ml/mn tion rénale (figures 3a et 3b).
Figure 2. Valeur pronostique de l’insuffisance rénale en postinfarctus. a
Données adaptées à partir des références (2) et (3). RR = risque relatif de Registre de la Mayo Clinic
décès à moyen terme (suivi à 5 ans dans la référence (2) et à 3 ans dans
la référence (3). 100
< 0,001 < 0,001
Une explication, au moins partielle, à cette augmentation pro- 80
gressive du risque de décès avec la diminution de la ClCreat est Dialysés
Pourcentage

l’existence de comorbidités associées. Ces comorbidités peuvent 60 > 35 ml/mn


très certainement être directement responsables d’une aggrava- < 0,001 35-50 ml/mn
40 50-75 ml/mn
tion du pronostic. Le tableau I montre ainsi que les patients avec
> 75 ml/mn
ClCreat diminuée sont plus âgés, plus souvent hypertendus et plus 20
souvent diabétiques. Lorsque les analyses statistiques sont ajus-
tées pour ces différences dans les caractéristiques de base, l’im- 0
pact de l’insuffisance rénale sur le pronostic diminue, mais reste Aspirine Bêtabloquants IEC
néanmoins très significatif (tableau I). Cela témoigne d’un effet
propre à l’insuffisance rénale qui peut donc être considérée comme b Étude VALIANT
un facteur de risque indépendant de décès en postinfarctus.
< 0,001
Tableau I. Caractéristiques de base et risque de décès des patients de 100
l’étude VALIANT en fonction de la ClCreat. Adapté d’après la réfé- < 0,001
rence (3). 80
Pourcentage

ClCreat ml/mn > 75 60-75 45-60 < 45 60


< 0,001
Âge 60 ± 11 65 ± 11 70 ± 10 73 ± 9 > 45 ml/mn
40 45-60 ml/mn
HTA* 47 % 54 % 64 % 71 % 60-75 ml/mn
20
Diabète 19 % 21 % 26 % 34 % > 75 ml/mn
Décès, 1 1,42 2,29 3,78 0
RR non ajusté (1,28-1,58) (2,07-2,53) (3,39-4,21) Aspirine Bêtabloquants Statines
Décès, 1 1,14 1,38 1,70
RR ajusté (1,02-1,27) (1,24-1,54) (1,50-1,93) Figure 3. Prise en charge thérapeutique en postinfarctus en fonction de
l’existence d’une insuffisance rénale. Données adaptées à partir des
* HTA = hypertension artérielle. références (2) (voir figure 3a) et (3) (voir figure 3b).

La Lettre du Cardiologue - n° 387 - septembre 2005 31


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FAUT-IL MODIFIER NOS PRESCRIPTIONS quants et des IEC semble au moins égal en cas d’insuffisance
ET ÊTRE PLUS “AGRESSIFS” EN CAS rénale. Ces études d’observations sont bien entendu assez diffi-
ciles à interpréter : les patients à très haut risque peuvent ne pas
D’INSUFFISANCE RÉNALE ? recevoir les thérapeutiques actives du fait de contre-indications.
Dans la mesure où il n’existe pas d’études randomisées réalisées Cela peut augmenter artificiellement la différence entre le groupe
spécifiquement chez des patients avec infarctus et insuffisance traité et le groupe non traité. Les auteurs ont tenté de contourner
rénale, la réponse à cette question ne pourra être discutée qu’à ce problème en limitant l’analyse aux patients définis comme de
partir d’analyses de sous-groupes d’études randomisées ou de “bons candidats” aux thérapeutiques de prévention secondaire.
registres. Les conclusions seront donc à prendre avec toute la pru- Dans cette population plus restreinte, la différence observée per-
dence nécessaire du fait des limites méthodologiques. siste et reste très significative chez les patients qui présentent une
Les figures 4a à c montrent que, dans le registre Medicare rap- insuffisance rénale (figures 4a à c).
porté par Berger et al. (4), le bénéfice de l’aspirine, des bêtablo- En cas d’insuffisance rénale moins sévère, certaines analyses de
sous groupes issues de grands essais randomisés montrent des
a Registre Medicare bénéfices conservés. C’est le cas dans l’étude SAVE, en post-
50
Toutes comparaisons < 0,001
infarctus avec dysfonction ventriculaire gauche associée (5) ; les
patients ayant une ClCreat < 60 ml/mn tirent un bénéfice du cap-
40
topril qui est au moins aussi important que celui observé lorsque
Mortalité à 1 mois (%)

la ClCreat est > 60ml/mn (figure 5). En ce qui concerne les sta-
30
Aspirine tines, des résultats comparables ont été obtenus lors d’une ana-
Pas d'aspirine lyse de l’étude CARE limitée aux patients ayant une ClCreat
20
< 75 ml/mn (6). La figure 6 montre que le bénéfice de la pra-
10 vastatine reste très significatif dans ce sous-groupe de patients.

0
Dialysés Non-dialysés Dialysés Non-dialysés

Tous Bons candidats à l'aspirine


Étude SAVE
b Registre Medicare
Morbimortalité cardiovasculaire (%)

40
Toutes comparaisons < 0,001 60
Placebo
50 < 60 ml/mn
30 Captopril
Mortalité à 1 mois (%)

40 > 60 ml/mn
Placebo
Bêtabloquants 30
20 Captopril
Pas de bêtabloquants
20
10 10

0
0
1 an 2 ans 3 ans 4 ans
Dialysés Non-dialysés Dialysés Non-dialysés

Tous Bons candidats aux bêtabloquants


Figure 5. Bénéfice des IEC en postinfarctus en fonction de la ClCreat.
Données adaptées à partir de la référence (5).
c Registre Medicare
40
Toutes comparaisons < 0,001
Étude CARE
30
Mortalité à 1 mois (%)

20
0,001
IEC 0,02
20
Pas d'IEC 15

10 Placebo
10
Pravastatine

0
5
Dialysés Non-dialysés Dialysés Non-dialysés

Tous Bons candidats aux IEC


0
Figure 4. Bénéfice des thérapeutiques de prévention secondaire en post- Décès ou IDM Revascularisation
infarctus en fonction de l’existence d’une insuffisance rénale. Données
adaptées à partir de la référence (4) : a) aspirine ; b) bêtabloquants ; Figure 6. Bénéfice des statines en postinfarctus en cas de CICreat
c) IEC. < 75 ml/mn. Données adaptées à partir de la référence (6).

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CONCLUSION Bibliographie
L’existence d’une insuffisance rénale (quel que soit son stade) 1. Cambou JP, Danchin N, Boutalbi Y et al. Évolution de la prise en charge et du pro-
est une situation fréquente en postinfarctus. Ces patients sont à nostic de l’infarctus du myocarde en France entre 1995 et 2000 : résultats des études
USIK 1995 et USIC 2000. Ann Cardiol Angeiol (Paris) 2004;53:12-7.
très haut risque. S’il est vrai qu’une partie de ce risque augmenté
2. Wright RS, Reeder GS, Herzog CA et al. Acute myocardial infarction and renal dys-
est porté par les nombreuses comorbidités associées, l’insuffi- function: a high-risk combination. Ann Intern Med 2002;137:563-70.
sance rénale est néanmoins un facteur pronostique indépendant. 3. Anavekar NS, McMurray JJ, Velazquez EJ et al. Relation between renal dysfunction and
En matière de prise en charge thérapeutique, ces patients sont cardiovascular outcomes after myocardial infarction. N Engl J Med 2004;351:1285-95.
souvent “sous-traités”. Les données disponibles actuellement 4. Berger AK, Duval S, Krumholz HM. Aspirin, beta-blocker, and angiotensin-converting
enzyme inhibitor therapy in patients with end-stage renal disease and an acute myocar-
suggèrent pourtant que ces patients tirent un bénéfice important dial infarction. J Am Coll Cardiol 2003;42:201-8.
des thérapeutiques de prévention secondaire actuellement dis- 5. Tokmakova MP, Skali H, Kenchaiah S et al. Chronic kidney disease, cardiovascular risk,
ponibles. L’importance du problème en termes de fréquence et and response to angiotensin-converting enzyme inhibition after myocardial infarction: the
Survival And Ventricular Enlargement (SAVE) study. Circulation 2004;110:3667-73.
de pronostic pourrait justifier des études spécifiques chez ces
6. Tonelli M, Moye L, Sacks FM, Kiberd B, Curhan G. Pravastatin for secondary pre-
patients au même titre que celles qui sont actuellement entre- vention of cardiovascular events in persons with mild chronic renal insufficiency. Ann
prises chez les patients diabétiques. ■ Intern Med 2003;138:98-104.

>>
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