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2012; 41: 260–266


www.em-consulte.com/revue/lpm ß 2011 Elsevier Masson SAS.
Maladies rénales www.sciencedirect.com Tous droits réservés.

Dossier thématique
Mise au point

Atteinte rénale du lupus érythémateux


disséminé

Alexandre Karras

AP–HP, hôpital européen Georges-Pompidou, service de néphrologie, 75015 Paris,


France

Correspondance :
Alexandre Karras, AP–HP, hôpital européen Georges-Pompidou, service de
Disponible sur internet le : néphrologie, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France.
20 décembre 2011 alexandre.karras@egp.aphp.fr

Key points Points essentiels

Renal involvement in systemic lupus erythematosus L’atteinte rénale est fréquente (20–50 % des cas selon
les séries) au cours du lupus érythémateux systémique et
Renal involvement is frequent (20 to 50% of cases) during conditionne le pronostic fonctionnel mais aussi vital de la
the course of systemic lupus erythematosus (SLE). It signifi- maladie.
cantly influences the functional prognosis and the patient La néphropathie glomérulaire est la principale manifestation
survival. rénale du lupus, et les modes de présentation sont multiples,
Glomerulopathy is the usual renal lesion in SLE and the allant de la simple protéinurie au syndrome néphrotique ou à
clinical presentation can be very polymorphic, ranging from l’insuffisance rénale rapidement progressive.
isolated proteinuria to nephrotic syndrome or rapidly progres- La gravité et le pronostic de la néphropathie lupique sont
sive renal failure. variables selon l’origine ethnique du patient, mais dépendent
The severity of the renal disease and the overall prognosis en grande partie de la réponse initiale au traitement.
can vary according to the patient’s ethnicity but the main La biopsie rénale est essentielle pour classifier l’atteinte
prognostic factor is the response of the disease to the initial rénale, déterminer le pronostic et établir la conduite thérapeu-
immunosuppressive therapy. tique.
Renal biopsy is essential for classifying the glomerular lesions, Le traitement d’attaque de la glomérulonéphrite lupique
establish the prognosis and guide the clinician in the choice of proliférative nécessite des corticoïdes à fortes doses et un
the right therapeutic scheme. traitement immunosuppresseur. Le cyclophosphamide et le
The induction therapy of lupus proliferative glomerulonephri- mycophénolate mofétil (MMF) sont aujourd’hui les deux traite-
tis asssociates high-dose corticosteroids and an immunosup- ments les plus utilisés dans cette indication.
pressive treatment. Cyclophosphamide and mycophenolate Le traitement d’entretien de la néphropathie lupique doit
mofetil (MMF) are the most used immunosuppressive drugs également comprendre une corticothérapie et un immunosup-
in this setting. After remission, the treatment is classically presseur de type azathioprine ou MMF, probablement associés
switched to a combination of low-dose corticosteroids and oral à l’hydroxychloroquine au long cours.
immunosuppression with azathioprine or MMF, combined with
long-term hydroxychloroquine prophylaxis.
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doi: 10.1016/j.lpm.2011.11.006
Atteinte rénale du lupus érythémateux disséminé
Maladies rénales

Mise au point
L e lupus érythémateux disséminé (LED) est une maladie
auto-immune caractérisée par une grande variété d’expression
Encadré 1
Critères ACR (1997) pour le lupus érythémateux disseminé

Le diagnostic est confirmé en cas de quatre atteintes (simultanées


clinique. Il touche essentiellement les femmes (sex-ratio de ou non).
9/1) entre l’adolescence et la quatrième décennie d’âge. Signes cutanéomuqueux :
Il peut être responsable d’une atteinte cutanée, articulaire,  érythème malaire ;
rénale, hématologique ou neurologique, dont la sévérité est  lupus discoïde ;
variable d’un patient à l’autre. La définition du lupus repose sur  photosensibilité ;
les critères de l’ACR (encadré 1). L’atteinte néphrologique est
 ulcérations orales.
décrite au cours de l’évolution d’un LED dans 20 à 50 % des cas,
Signes systémiques :
pourcentage qui diffère selon les séries publiées et les critères
 arthrite ;
retenus pour définir la néphropathie lupique.
 pleurésie ou péricardite ;
 protéinurie ou cylindres hématiques urinaires ;
Physiopathologie  crises comitiales ou psychose sans autre cause.
Plusieurs pistes étiologiques ont été évoquées à l’origine de Signes biologiques :
l’auto-immunité du LED [1], impliquant à la fois un défaut  anémie hémolytique, leucopénie, lymphopénie ou
d’élimination des débris cellulaires générés lors de l’apoptose thrombopénie ;
(ou mort cellulaire programmée), une modification des auto-  présence d’Ac anti-nucléaires ;
antigènes générés lors de ce processus, une activation anor-
 présence d’Ac anti-ADN natif, Ac anti-Sm, Ac antiphospholipide
male des cellules dendritiques et des cellules T par cet afflux
ou anticoagulant circulant.
d’auto-antigènes et surtout une production importante d’auto-
anticorps par des lymphocytes B stimulés de façon excessive. La
suractivation du système immunitaire observée dans cette
maladie est en partie favorisée par des facteurs de prédisposi-
tion génétique. De nombreuses études publiées ces dernières
années [2] ont confirmé le rôle important de certains facteurs
génétiques portant sur des gènes de régulation de l’immunité, l’apoptose produisent des auto-antigènes modifiés, potentiel-
tels des polymorphismes HLA, des gènes liés à l’interféron lement immunogènes. Si ce processus d’élimination des corps
alpha (IRF5), des gènes de protéines du complément, des apoptotiques est déficient, une réponse auto-immune, dirigée
récepteurs d’immunoglobulines ou des récépteurs Toll-like, notamment contre les nucléosomes est générée, avec appari-
des molécules d’adhésion cellulaire ou des molécules impli- tion d’autoanticorps spécifiques. Il a été ainsi démontré que les
quées dans l’activation lymphocytaire (STAT4, BLK, PTPN22). nucléosomes circulants dans le LED se déposent sur la mem-
L’atteinte rénale la plus fréquente est la glomérulonéphrite brane basale glomérulaire, associés à des autoanticorps anti-
(GN) lupique. Les lésions intrarénales constatées sont à la fois nucléosomes. Reste à savoir si ces complexes immuns sont
liées aux dépôts glomérulaires d’immunoglobulines et de formés in situ ou s’ils sont générés dans la circulation, avant leur
complément mais sont aussi souvent secondaires à l’infiltration déposition intrarénale. Ils sont néanmoins clairement
du parenchyme rénal par des cellules inflammatoires, notam- pathogènes pour le rein, comme cela a été démontré dans
ment par des macrophages activés. La présence d’anticorps des modèles animaux de néphropathie lupique, en induisant
anti-ADN natif est corrélée au développement des lésions l’activation du système du complément, ainsi qu’un recrute-
glomérulaires dans le LED, mais les autoanticorps qui semblent ment local de cellules inflammatoires.
directement responsables de cette atteinte rénale sont les En dehors de la GN lupique, on constate parfois d’autres types
anticorps anti-nucléosomes. Le nucléosome est l’unité struc- de lésions du parenchyme rénal, comme des lésions vasculaires
turelle de la chromatine, composé d’un noyau protidique liées à un syndrome des antiphospholipides ou, plus rarement,
constitué d’histones, autour duquel s’enroule l’ADN. Ces struc- une infiltration lymphocytaire interstitielle, parfois liée à un
tures sont normalement situées à l’intérieur du noyau cellu- syndrome de Gougerot-Sjögren.
laire, mais elles sont libérées à la surface cellulaire lors de
l’apoptose, après clivage de la chromatine par des endonu- Épidémiologie
cléases. La production de nucléosomes conduit physiologique- L’incidence de l’atteinte rénale dans le lupus dépend de plu-
ment à une activation des macrophages qui éliminent les corps sieurs paramètres. Il ainsi été montré qu’elle est plus souvent
apoptotiques ; ce mécanisme régulateur est d’autant plus présente chez l’homme que chez la femme, mais qu’elle est
important que les modifications biochimiques induites par également plus fréquente dans certains groupes ethniques,
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A Karras

notamment chez les sujets asiatiques et afro-américains [3], en


comparaison avec les patients caucasiens. La néphropathie fait
fréquemment partie des manifestations inaugurales de la
maladie lupique ou se déclare volontiers durant la première
année d’évolution du lupus.

Manifestations cliniques et biologiques


Plusieurs tableaux cliniques peuvent être rencontrés lors d’une
néphropathie lupique (voir infra).
Le syndrome de néphropathie glomérulaire chronique asso-
cie à des degrés divers protéinurie non néphrotique (entre
0,5 et 3 g/24 h), hématurie microscopique, insuffisance rénale
initialement modeste et hypertension artérielle (plus rare-
ment). Il s’agit souvent de signes peu bruyants, découverts
lors d’un bilan systématique ou lors d’une poussée extrarénale
du lupus.
Le syndrome néphrotique peut se rencontrer, avec un syn-
drome oedémateux ou épisode thromboembolique révélateur,
conduisant à mettre en évidence une protéinurie massive
(> 3 g/24 h) et une hypoalbuminémie (< 30 g/L). L’insuffi-
sance rénale et l’hématurie microscopique sont inconstantes.
Il faut aussi signaler le syndrome de glomérulonéphrite rapi-
dement progressive (GNRP), avec dégradation de la fonction
rénale en quelques jours, micro-hématurie et protéinurie le
plus souvent modeste (1 à 3 g/24 h).
Il faut garder en tête les autres modes de présentation possi-
bles, comme la microangiopathie thrombotique (anémie
hémolytique mécanique, thrombopénie), le syndrome des
antiphospholipides (HTA, micro-infarctus rénaux, faible protéi-
nurie), les formes silencieuses (sans dysfonction rénale, sans
protéinurie ni anomalie du sédiment urinaire), le syndrome
pneumorénal (avec GNRP et hémorragie intra-alvéolaire), les
Figure 1
formes inaugurales (telle la GN extramembraneuse isolée,
Glomérulonéphrite lupique de classe IV-S (A)
précédent de quelques années l’apparition d’un véritable lupus En microscopie optique (a), on peut distinguer une prolifération cellulaire touchant
extrarénal). un segment des glomérules, avec une lésion nécrotique au sein du floculus. En
immunofluorescence (b), on distingue de volumineux dépôts d’IgG, C3 et C1q.

Histologie
Les indications de la biopsie rénale restent larges dans le LED,
en raison de la discordance fréquente entre la gravité histolo-
gique et des signes biologiques qui sont parfois modestes. part entre lésions chroniques et lésions actives, de déterminer
L’analyse de la biopsie rénale permet de confirmer le diag- les index d’activité et de chronicité de la maladie rénale.
nostic, de classer l’atteinte rénale dans les différents sous-types L’adoption d’une classification utilisée par l’ensemble des
histologiques, d’établir un pronostic et de guider le traitement. pathologistes et des cliniciens a surtout permis d’identifier
Les atteintes glomérulaires liées au lupus sont polymorphes et des sous-groupes de patients ayant des caractéristiques
complexes (figure 1). La classification histologique des GN cliniques et histologiques communes, pour pouvoir élaborer
lupiques a fait l’objet de multiples conférences de consensus, des essais cliniques et des protocoles thérapeutiques interna-
afin d’obtenir une nomenclature internationale admise de tionaux.
façon consensuelle. La dernière classification en date a été En dehors de la classification des GN lupiques, l’identification
publiée il y a moins de dix ans [4], sous le terme ISN/RPS 2003 des lésions associées au plan vasculaire [5] (dépôts intravas-
(encadré 2). Elle permet de classer de façon reproductible les culaires d’immunoglobulines, vascularites nécrosantes, micro-
GN lupiques dans l’une des six catégories majeures, de faire la thromboses vasculaires, artériosclérose) et tubulo-interstitiel
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Atteinte rénale du lupus érythémateux disséminé
Maladies rénales

Mise au point
Encadré 2 les mêmes pour ces populations en comparaison avec la
Classification ISN/RPS 2006 des glomérulonéphrites lupiques population des patients caucasiens [9].
L’évolution néphrologique dépend également, en grande par-
Classe I : glomérules normaux en microscopie optique mais dépôts tie, de la réponse initiale au traitement immunosuppresseur. La
mésangiaux en immunofluorescence.
mise en rémission complète (disparition de la protéinurie et de
Classe II : glomérules avec prolifération mésangiale et dépôts
l’hématurie, stabilisation de la créatinine), voire même la
mésangiaux en immunofluorescence.
Classe III : moins de 50 % des glomérules sont atteints :
rémission partielle (diminution de plus de 50 % de la protéi-
nurie et augmentation de la créatinine < 25 %) s’accompa-
 Classe III (A) : lésions actives ;
gnent d’une amélioration du devenir rénal à long terme [10].
 Classe III (C) : lésions chroniques ;
Dans l’étude Eurolupus, la diminution de la protéinurie à moins
 Classe III (A/C) : lésions actives et chroniques.
de 1 g/L au bout du sixième mois du traitement était le
Classe IV : plus de 50 % des glomérules sont atteints :
meilleur marqueur pronostique pour la fonction rénale [11].
 Classe IV-S (A) : lésions segmentaires actives ; La réponse au traitement peut être évaluée soit sur des critères
 Classe IV-S (C) : lésions segmentaires chroniques ; biologiques, soit sur des critères histologiques, grâce à une
 Classe IV-S (A/C) : lésions segmentaires actives et chroniques ; biopsie rénale systématique réalisée dans certains centres
 Classe IV-G (A) : lésions globales actives ; après les six premiers mois de traitement. Hill et al. ont montré
 Classe IV-G (C) : lésions globales chroniques ; [12] que cette biopsie de contrôle apportait encore plus d’in-
 Classe IV-G (A/C) lésions globales actives et chroniques. formations sur le pronostic rénal que la biopsie initiale : l’ana-
Classe V : glomérulonéphrite extramembraneuse. lyse histologique avec le calcul d’un score basé sur l’abondance
Classe VI : glomérulosclérose avancée (> 90 % des glomérules des dépôts ou l’importance de l’inflammation interstitielle
détruits). prédit de façon très forte l’évolution vers l’insuffisance rénale.
Quant au pronostic vital des patients lupiques, il est fortement
influencé par l’existence ou non d’une néphropathie secondaire
au lupus. Dans une grande cohorte européenne [13], il a ainsi
été montré que le pourcentage de survie à dix ans de la
découverte du lupus était de 94 % pour les patients sans
(infiltrat inflammatoire, fibrose interstitielle, atrophie tubu- néphropathie versus 88 % pour ceux qui rentraient dans la
laire) reste essentielle, car elles conditionnent souvent le maladie avec une néphropathie lupique avérée. Cette diffé-
pronostic et elles peuvent influencer les choix thérapeutiques. rence semble s’amplifier lorsqu’on prend un recul plus impor-
tant, avec des pourcentages qui passent à 83 et 54 %
Pronostic respectivement après 20 ans d’évolution de la maladie lupique
Le pronostic rénal d’une néphropathie lupique dépend en [14]. Les différences entre les différents groupes ethniques sont
grande partie du type histologique : les GN de classe I ou II également confirmées lorsqu’on s’intéresse au pronostic vital
sont d’excellent pronostic alors que les classes VI révèlent déjà des patients, avec un net désavantage pour les sujets afro-
une néphropathie très évoluée, responsable le plus souvent américains ou latino-américains comparativement aux patients
d’une insuffisance rénale terminale ou préterminale, peu caucasiens, avec 59 % de survie à dix ans pour les premiers,
accessible à un traitement spécifique. Quant aux GN extra- 81 % de survie pour les derniers [8].
membraneuses pures (classe V), la survie rénale est bonne à Les études de ces dernières années ont permis de prouver que
court terme (> 90 % à dix ans) mais probablement beaucoup la première cause de mortalité chez les patients lupiques n’était
moins rassurante à distance (50 % à 20 ans selon certains plus la maladie auto-immune, ni les conséquences infectieuses
auteurs [6]). Les classes prolifératives (III et IV) sont celles qui des traitements immunosuppresseurs, mais essentiellement
ont le moins bon pronostic, avec seulement 40 à 60 % de les maladies cardiovasculaires [13]. Le lupus est véritablement
patients qui n’ont pas atteint le stade de la dialyse au bout de à l’origine d’une athérosclérose majeure et accélérée, possible-
dix ans de suivi [7]. ment par le biais de la néphropathie (reconnue désormais
Le pronostic rénal n’est pas le même dans tous les groupes comme un facteur de risque cardiovasculaire à part entière)
ethniques [8]. L’évolution est clairement plus défavorable chez mais aussi par l’intermédiaire de l’inflammation chronique et
les patients noirs ou d’origine latino-américaine [9], sans que des complications métaboliques des traitements immunosup-
l’on puisse préciser s’il s’agit de facteurs génétiques spécifiques presseurs comme les corticoïdes. Ainsi, le risque d’avoir un
ou si cette différence est due à des facteurs socio-économiques. infarctus myocardique pour une patiente lupique entre l’âge de
L’interprétation des résultats issus des grandes séries nord- 35 et 45 ans est 52 fois plus élevé que celui des témoins du
américaines doit prendre en considération le fait que les même âge, recrutés dans la cohorte de Framingham [15]. Ceci
conditions de vie et de prise en charge médicale ne sont pas explique pourquoi l’accent est désormais mis sur la détection
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précoce des sujets à haut risque cardiovasculaire ainsi qu’à la l’Eurolupus Trial Group [19], beaucoup d’équipes utilisent un
mise en place des mesures préventives pour contrôler les schéma plus court et allégé en ce qui concerne le cyclopho-
autres facteurs de risque parallèlement à la prise en charge sphamide, avec six bolus de 500 mg à 15 jours d’intervalle,
spécifique de la maladie auto-immune. suivis d’un passage au traitement d’entretien de la maladie.
Dans les populations européennes, composées de patients
Traitement caucasiens, avec une maladie sans doute moins sévère que
Le traitement de la néphropathie lupique a beaucoup évolué les populations afro-américaines, ce schéma a démontré une
depuis 20 ans, mais malgré les nouvelles molécules qui ont efficacité comparable aux schémas classiques de type NIH.
enrichi notre arsenal thérapeutique, la prise en charge de cette Parallèlement l’arrivée de nouvelles molécules immunosup-
maladie reste un véritable défi pour le néphrologue et l’inter- pressives a permis d’envisager le traitement d’attaque de la
niste. Le choix thérapeutique repose sur la caractérisation néphropathie lupique en éliminant complètement les agents
précise des lésions histologiques rénales et la biopsie doit cytotoxiques. Ainsi, plusieurs protocoles utilisant le MMF ou
rester systématique dans ce contexte. l’acide mycophénolique ont suggéré que cette molécule pou-
Les GN lupiques de classe I et II ne relèvent que d’un traitement vait être utilisée à la place du cyclophosphamide, avec une
symptomatique, antihypertenseur et antiprotéinurique. Les GN efficacité comparable [20]. L’avantage majeur de cet immu-
extramembraneuses lupiques pures (classe V) sont rares, mais nosuppresseur, utilisé depuis plus de 15 ans en transplantation
leur traitement n’est pas bien codifié. Pour certains auteurs, rénale, est d’éviter la gonadotoxicité, qui constitue l’effet
elles doivent être traitées de façon symptomatique, par un secondaire le plus redouté du cyclophosphamide, lorsqu’il
simple traitement antiprotéinurique ; pour d’autres, un traite- est utilisé chez des jeunes patientes en âge de procréer. Après
ment immunosuppresseur par cyclophosphamide (EndoxanW), les premiers essais non contrôlés publiés au début des années
mycophénolate mofétil (CellceptW), ciclosporine (NeoralW, 2000, une grande étude randomisée (ASPREVA) a confirmé que
SandimmunW) ou azathioprine peut faire diminuer la protéinurie le MMF pouvait être utilisé en traitement d’induction d’une
et améliorer le pronostic rénal [16]. néphropathie lupique proliférative, avec un taux d’efficacité
En ce qui concerne les GN lupiques prolifératives (III et IV), il est comparable à celui du cyclophosphamide (taux de rémission
désormais communément admis qu’un traitement immuno- partielle respectivement de 56 vs 53 %) [21]. L’analyse de ces
suppresseur doit être instauré rapidement, car c’est la seule résultats encourageants ne doit pas occulter le fait que, dans
option thérapeutique permettant de freiner l’évolution vers la cette étude, les effets secondaires des deux médicaments
maladie rénale chronique sévère. Le traitement est conduit en étaient quasi identiques en ce qui concerne les taux de
deux phases : une première période de traitement dit complications infectieuses ou hématologiques. L’analyse en
« d’attaque », visant à mettre la néphropathie en rémission, sous-groupes réalisée dans le cadre de cet essai laisse supposer
suivie d’une période de traitement d’entretien, dont le but est que patients appartenant à la population noire ont une
d’éviter la rechute ou la récidive de la GN. meilleure réponse rénale avec le MMF versus le cyclopho-
Le traitement d’attaque des GN lupiques prolifératives a été sphamide. Ce point mérite d’être confirmé par d’autres études,
fortement influencé par les études du National Institute of Health mais pourrait ouvrir la voie à un traitement individualisé
(NIH), publiées dans les années 1980 [17]. Même si ces pre- des patients, en tenant compte non seulement de la classe
mières études sont aujourd’hui critiquées, elles ont permis histologique de la néphropathie lupique mais également
d’instaurer la combinaison corticoïdes/cyclophosphamide de l’ethnie ou d’autres facteurs génétiques qui restent à
comme le traitement de référence dans cette indication. Dans déterminer dans les prochaines années.
ces premières publications, le cyclophosphamide était utilisé par La découverte du rôle majeur des lymphocytes B dans la
voie intraveineuse, en bolus mensuels d’un 1 g/m2 de surface production des autoanticorps rencontrés dans le lupus a été
corporelle, pendant six mois, suivi d’un espacement progressif à l’origine de grands espoirs quant à l’utilisation d’agents
des administrations sur un rythme trimestriel jusqu’au 24e mois. biologiques ciblant cette population comme le rituximab cellu-
Le traitement cytotoxique était associé à une décroissance laire. Quelques essais non contrôlés [22] avaient d’ailleurs
progressive des corticoïdes après quelques bolus intraveineux suggéré que ce traitement pouvait être utile dans certains
initiaux de méthylprednisolone. Ce schéma, efficace dans une cas, après l’échec des autres lignes thérapeutiques. Néanmoins,
majorité de cas, était néanmoins associé à une toxicité impor- les premiers résultats des essais contrôlés menés avec le
tante, notamment sur le plan ovarien [18], en raison des fortes rituximab (anticorps monoclonal anti-CD20) dans le traitement
doses cumulées de cyclophosphamide. de la néphropathie lupique sont plutôt décevants. L’étude
Les protocoles de ces dernières années ont justement cherché à LUNAR semble montrer que l’adjonction du rituximab à un
maintenir cette efficacité tout en améliorant le profil de tolé- traitement d’attaque par corticoïdes et MMF n’apporte aucun
rance des immunosuppresseurs utilisés. Ainsi, depuis une avantage en termes de pronostic rénal au bout d’un an de
dizaine d’année, grâce aux travaux collaboratifs menés par traitement. Des essais sont actuellement en cours avec d’autres
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Maladies rénales

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biothérapies comme l’ocrelizumab, l’atacicept, l’abatacept ou par le groupe de la Pitié-Salpétrière [25] ont ainsi montré que le
le bélimumab, en espérant qu’elles nous apporteront des outils risque de poussée était corrélé au taux plasmatique d’hydro-
thérapeutiques supplémentaires, dans une maladie qui reste xychloroquine chez les patients lupiques prenant ce médica-
encore parfois difficilement contrôlée par les protocoles théra- ment, tout en sachant que la toxicité rétinienne de
peutiques actuels. cet antipaludéen de synthèse est la principale précaution
Quant au traitement d’entretien de cette maladie, il reste d’utilisation.
encore moins bien défini que le traitement d’attaque. La
plupart des centres s’accordent pour poursuivre un traitement Conclusion
immunosuppresseur par azathioprine ou MMF plusieurs mois, La néphropathie est fréquente dans l’évolution du lupus érythé-
voire quelques années après la mise en rémission de la mateux systémique et influe de façon considérable sur le pro-
néphropathie. Ces deux molécules ont été comparées entre nostic fonctionnel et vital de cette maladie. La recherche de
elles dans deux essais cliniques, avec des résultats contra- signes évocateurs tels la présence d’une protéinurie, d’une
dictoires. Dans l’étude MAINTAIN [23] menée en Europe par hématurie microscopique ou d’une insuffisance rénale doit faire
l’Eurolupus Trial Group, ces deux médicaments se sont révélés partie du bilan initial mais aussi du suivi régulier de tout patient
comparables en termes de tolérance et d’efficacité, dans cette lupique, car la suspicion de GN doit conduire à une biopsie rénale
indication. La seule différence importante entre ces molécules et peut conditionner le traitement immunosuppresseur. Les GN
est l’effet tératogène du MMF, qui contre-indique la grossesse prolifératives (classes III et IV de la classification ISN/RPS 2003)
chez des patientes qui reçoivent ce produit au long cours. À sont les plus sévères, avec un pronostic rénal variable selon le
l’inverse, l’essai international ASPREVA [24], avec un recul de contexte ethnique, mais des taux d’insuffisance rénale chronique
36 mois, montre un taux plus élevé de rechute rénale du lupus terminale qui peuvent atteindre 40 à 60 % après dix ans
sous azathioprine vs MMF (23 vs 13 %). La différence entre ces d’évolution de la néphropathie. Le traitement d’attaque de
deux études est peut-être à mettre sur le compte des dif- ces formes prolifératives comporte des corticoïdes à fortes doses,
férences ethniques entre les populations étudiées dans les associés à un traitement immunosuppresseur par cyclophospha-
deux essais, puisque très peu de patients non caucasiens mide ou MMF. Si la rémission de la maladie est obtenue au bout
étaient inclus dans l’étude européenne, alors que l’étude de quelques mois, il faut instaurer un traitement d’entretien par
ASPREVA a intéressé un large pourcentage de patients appa- azathioprine ou MMF, pour éviter la récidive de la glomérulo-
rtenant à la population noire ou hispanique, probablement plus pathie. Les traitements en question représentent un risque
sensibles au MMF. infectieux et néoplasique non négligeable, mais les complica-
La durée du traitement d’entretien d’une néphropathie lupique tions cardiovasculaires restent une des principales causes de
reste également à définir. Un essai multicentrique français mortalité chez les patients lupiques et doivent faire l’objet d’un
(WIN-lupus) vient de débuter, comparant deux ou quatre ans dépistage et d’une prévention spécifique, dès les stades
de traitement d’entretien par azathioprine ou MMF, dans cette précoces de la maladie auto-immune, notamment lorsqu’il
indication néphrologique. existe une maladie rénale chronique associée.
L’utilisation d’hydroxychloroquine au long cours, longtemps
proposée comme traitement préventif des formes articulaires Déclaration d’intérêts : Alexandre Karras déclare avoir déjà reçu un soutien
financier de la part de ROCHE.
de lupus, pourrait également avoir un effet bénéfique sur le Remerciements : Les images histologiques ont été fournies par le Dr Jean-
risque de récidive de néphropathie lupique. Les études menées Paul Duong, service d’anatomie pathologique de l’hôpital Foch, Suresnes.

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tome 41 > n83 > mars 2012

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