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ÉDITORIAL

Néphropathie lupique :
enfin du nouveau ?
Lupus nephritis: what’s really new?

L’
atteinte rénale est fréquente au cours du lupus systémique, en particulier
chez les patients non caucasiens. Cette complication, qui peut être
inaugurale, survient dans la majorité des cas précocement dans l’histoire
de la maladie, et constitue un tournant évolutif majeur [1], qui peut conduire
à l’insuffisance rénale chronique terminale dans 5 à 10 % des cas. L’atteinte rénale
est également associée à un risque accru de complications cardiovasculaires,
osseuses et infectieuses. On rappelle que la néphropathie lupique doit être dépistée
régulièrement (au minimum tous les 3 mois), par la pratique systématique d’une
bandelette urinaire ou d’une recherche de protéinurie sur échantillon. L’apparition
d’une protéinurie ≥ 500 mg/24 h (ou 50 mg/mmol sur échantillon, à confirmer
par une protéinurie des 24 h), d’une anomalie du sédiment urinaire (hématurie
microscopique d’origine glomérulaire, cylindres hématiques) ou d’une insuffisance
Pr Laurent rénale doit conduire, dans la majorité des cas, à la réalisation d’une biopsie rénale.
Arnaud Les lésions entrant dans le contexte d’une néphropathie lupique doivent être
interprétées selon la classification de l’International Society of Nephrology/Renal
Service de rhumatologie, hôpitaux
universitaires de Strasbourg, Pathology Society (ISN/RPS) 2003, dont une révision récente sera bientôt
Centre national de référence applicable (cf. infra). La prise en charge thérapeutique de la néphropathie
des maladies auto-immunes
et systémiques (RESO). lupique (figure) est complexe et dépend surtout de la classe histologique
et de la présence ou de l’absence de lésions actives.

Figure. Stratégie de prise en charge des néphropathies lupiques en 2021. Certaines néphropathies
lupiques de classe II très protéinuriques peuvent également être traitées par immunosuppresseurs.

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Cependant, la stratégie thérapeutique est modulée par l’existence éventuelle


d’une insuffisance rénale sévère, de l’origine ethnique des patients, de l’observance
thérapeutique prévisible ainsi que des éventuelles manifestations extrarénales.
Le traitement des formes prolifératives (classes III et IV) ou des glomérulonéphrites
lupiques extramembraneuses (classe V) avec protéinurie néphrotique repose
classiquement sur un traitement d’attaque (permettant la mise en rémission
de la maladie rénale) suivi d’un traitement d’entretien prolongé (visant à diminuer
le risque de récidive).

Une mise à jour de la classification ISN/RPS 2003


Une mise à jour de la classification ISN/RPS 2003 a été proposée en 2018 [2],
sur la base d’un consensus d’experts, mais elle doit encore être validée.
Les principales modifications proposées incluent une nouvelle définition
de la prolifération mésangiale (afin de faciliter la distinction entre les néphropathies
de classe I et de classe II), le remplacement du terme “prolifération
endocapillaire” (pour les néphropathies de classes III et IV) par la notion
d’“hypercellularité endocapillaire” (car il ne s’agit bien entendu pas
d’une authentique prolifération cellulaire), et l’abolition de la distinction entre
les néphropathies de classes IV globales et segmentaires qui était dénuée de valeur
pronostique. Les définitions de l’adhésion, de la nécrose fibrinoïde
et des “croissants” ont également été précisées, et une distinction entre
les croissants cellulaires, fibreux et fibrocellulaires a été introduite.

De nouvelles recommandations pour la prise en charge


de la néphropathie lupique
Les recommandations pour la prise en charge de la néphropathie lupique ont été
1. Felten R et al. 10 most mises à jour en 2019 [3] à l’initiative de l’EULAR et de l’European Renal
important contemporary
challenges in the management Association-European Dialysis and Transplant Association (ERA-EDTA). L’objectif
of SLE. Lupus Sci Med principal du traitement est l’obtention d’une réponse rénale complète (RRC),
2019;6(1):e000303. définie par une protéinurie < 0,5-0,7 g/24 h avec un débit de filtration glomérulaire
2. Bajema IM et al. Revision of
the International Society of
(DFG) normal ou subnormal 12 mois après le début du traitement d’induction.
Nephrology/Renal Pathology L’hydroxychloroquine est désormais recommandée chez tous les patients ayant
Society classification for une atteinte rénale (avec une éventuelle adaptation posologique et une surveillance
lupus nephritis: clarification
of definitions, and modified ophtalmologique annuelle en cas de DFG < 30 mL/min). Le traitement d’induction
National Institutes of Health des glomérulonéphrites lupiques prolifératives actives repose sur le mycophénolate
activity and chronicity indices. mofétil (MMF) (2-3 g/j, ou acide mycophénolique à dose équivalente)
Kidney Int 2018;93(4):789-96.
ou le cyclophosphamide à faible dose (500 mg i.v. toutes les 2 semaines × 6 doses),
3. Fanouriakis A et al.
2019 update of the joint en association avec les glucocorticoïdes (bolus i.v. de méthylprednisolone puis
European League Against prednisone 0,3-0,5 mg/kg/j). L’association du MMF et d’un inhibiteur de la
Rheumatism and European
Renal Association-European
calcineurine (en particulier le tacrolimus) est une alternative possible, mais les données
Dialysis and Transplant sont limitées (et les données disponibles concernent principalement des populations
Association (EULAR/ asiatiques), tandis que le cyclophosphamide à forte dose est réservé aux patients qui
ERA-EDTA) recommendations
for the management of lupus présentent des facteurs pronostiques défavorables (figure). Un traitement d’entretien
nephritis. Ann Rheum Dis prolongé par MMF ou azathioprine est recommandé, en association ou non avec
2020;79(6):713-23.
une corticothérapie à faible dose (< 7,5 mg/j). Le choix de l’immunosuppresseur
4. Felten R et al. The
2018 pipeline of targeted
d’entretien dépend du traitement d’induction et d’un éventuel désir de grossesse.
therapies under clinical En cas de maladie réfractaire, il est recommandé de changer de stratégie d’induction
development for systemic lupus ou de recourir au rituximab. En cas de classe V pure avec protéinurie néphrotique
erythematosus: a systematic
review of trials. Autoimmun Rev (ou protéinurie > 1 g/24 h malgré le blocage du système rénine-angiotensine-
2018;17(8):781-90. aldostérone), le MMF est recommandé en association avec les gluco­corticoïdes.

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La réalisation d’une ponction-biopsie rénale de contrôle est proposée en cas de


réponse incomplète ou de rechute, ou, selon certains, de façon systématique. En cas
d’insuf­fisance rénale chronique terminale, le traitement de choix reste la greffe rénale.

Les résultats encourageants des derniers essais thérapeutiques


L’actualité est également marquée par des avancées thérapeutiques
importantes [4] concernant en particulier la voclosporine (un nouvel inhibiteur
de la calcineurine), le bélimumab (un anticorps anti-BLyS) dans des essais
de phase III et l’obinutuzumab (un anti-CD20 de haute affinité) dans une étude
de phase II. Dans un essai randomisé de phase III (AURORA, NCT03021499)
ayant inclus 358 patients atteints de néphropathie lupique (classes III, IV et V),
la voclosporine utilisée par voie orale à la posologie de 23,7 mg × 2/j (en association
avec le MMF et une corticothérapie) a permis d’obtenir un taux de réponses rénales
significativement supérieur à celui observé dans le bras placebo (40,8 contre 22,5 % ;
p < 0,001), avec une tolérance proche dans les 2 bras. En ce qui concerne le bélimumab,
l’essai de phase III BLISS-LN (NCT01639339) a randomisé 448 patients qui ont reçu
du bélimumab (10 mg/kg par voie intraveineuse) ou son placebo, en plus du traitement
de référence associant corticothérapie et MMF. Le critère de jugement principal
(efficacité rénale, selon une définition propre à l’étude) a été atteint plus fréquemment
dans le bras bélimumab que dans le bras placebo (43 contre 32 % ; p = 0,03). Même
si l’amplitude de cette différence reste peu importante (∆ = 11 points), il s’agit d’une
avancée potentiellement intéressante, car, pour l’instant, le bélimumab n’est pas indiqué
chez les patients lupiques ayant une atteinte rénale. Enfin, l’obinutuzumab a été
évalué dans un essai de phase II portant sur 126 patients et dans lequel la réponse
rénale complète à la 52e semaine de traitement a été atteinte plus fréquemment
dans le bras obinutuzumab que dans le bras contrôle (34,9 contre 22,6 % ; p = 0,11).
À noter, cependant, que la différence d’efficacité n’est significative que pour la réponse
globale (somme des réponses complète et partielle), et non pour la réponse complète,
qui était le critère de jugement principal de l’essai. Ce résultat potentiellement intéressant
est à mettre en perspective avec l’échec cuisant du rituximab dans la néphropathie
lupique (essai LUNAR) et pourrait s’expliquer par une affinité bien supérieure
de l’obinutuzumab pour le CD20. Il est à noter que le bélimumab vient d’obtenir
(mai 2021) une AMM européenne dans le traitement de la néphropathie lupique
et que la voclosporine fait l’objet d’une AMM aux États-Unis depuis début 2021.

En pratique, que doit retenir le rhumatologue ?


Il existe de nombreuses avancées dans la prise en charge de la néphropathie
lupique, que se doit de connaître le rhumatologue qui souhaite prendre en charge
les patients lupiques de manière globale [1]. La classification histologique
de la néphropathie lupique a été largement revue, et apparaît désormais plus claire
et plus cohérente. Cette nouvelle classification reste cependant à valider avant son
utilisation en pratique courante. Les recommandations EULAR de prise en charge
de la néphropathie lupique ont également été mises à jour, et proposent
une stratégie qui repose sur l’utilisation de doses réduites de corticoïdes lors
L. Arnaud déclare avoir des liens du traitement d’induction. Enfin, plusieurs avancées thérapeutiques ont permis
d’intérêts avec Alexion, Amgen, d’étendre les indications de certains biomédicaments, comme le bélimumab,
AstraZeneca, BMS, Boehringer
Ingelheim, GSK, Grifols, ou de disposer dans un avenir proche d’options thérapeutiques plus diversifiées.
Janssen-Cilag, LFB, Lilly, L’amélioration de la prise en charge de la néphropathie lupique est un enjeu majeur,
Menarini France, Medac,
Novartis, Pfizer, en raison de l’augmentation très marquée de la morbimortalité induite
Roche-Chugai, UCB. par cette complication.

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