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Presse Med.

2007; 36: 1835–41 en ligne sur / on line on


© 2007 Elsevier Masson SAS
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Dossier thématique

Mise au point
Physiopathologie de la progression
des maladies rénales

Thierry Krummel, Dorothée Bazin, Thierry Hannedouche

Service de néphrologie, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, Strasbourg (67)

Correspondance :
Disponible sur internet : Thierry Hannedouche, Service de néphrologie, Hôpitaux Universitaires
le 25 juillet 2007 de Strasbourg, 1 place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg Cedex.

■ Key points ■ Points essentiels


Pathophysiology of kidney disease progression La réduction néphronique augmente les capacités de filtration des
néphrons restants, ce qui est favorable à court terme, mais délétère
Nephron reduction increases the filtration capacity of the remaining à long terme.
nephrons, which is helpful in the short term, but harmful over the L’augmentation de la pression capillaire glomérulaire et l’hyper-
long term trophie des néphrons sains stimulent le système rénine-angiotensine
The increase in glomerular capillary pressure and in hypertrophy et le TGF bêta. Il en résulte une transdifférenciation myofibroblas-
of healthy nephrons stimulates the renin-angiotensin system and tique avec fibrogenèse et glomérulosclérose.
TGF-beta. Myofibroblastic transdifferentiation follows, with fibroge- Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion réduisent l’expression
nesis and glomerulosclerosis. des gènes codant pour les molécules profibrosantes.
Converting enzyme inhibitors reduce the expression of genes La protéinurie favorise la fibrose interstitielle et doit être réduite par
coding for profibrotic molecules. les médicaments bloquant le système rénine-angiotensine.
Proteinuria promotes interstitial fibrosis and must be reduced by
drugs that block the renin-angiotensin system.

L es mécanismes sous-tendant la progression des maladies


rénales sont très variés selon la maladie rénale initiale. Par
terminale, le point de non-retour étant situé à une filtration
glomérulaire aux alentours de 30 mL/min.
exemple, les mécanismes de progression ne sont pas identiques Cette progression de l’insuffisance rénale intervient quelle que
selon que la maladie rénale sous-jacente est une polykystose soit la nature de la maladie rénale initiale et se poursuit même
rénale, une néphropathie vasculaire secondaire à l’hypertension lorsque l’agression initiale est interrompue. Les mécanismes
ou à l’athérome ou enfin une glomérulonéphrite protéinurique. physiopathologiques responsables de la progression sont mis
Cependant, la plupart des patients avec une insuffisance en jeu par la réduction du nombre de néphrons fonctionnels
rénale progressent inexorablement vers l’insuffisance rénale (“réduction néphronique”) et font intervenir des voies ou
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doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.036
Krummel T, Bazin D, Hannedouche T

mécanismes communs [1], responsables de modifications spécifiques, avec en particulier une pression pulsée élevée
fonctionnelles et morphologiques des structures rénales saines d’environ 20 mmHg, pour une pression moyenne de l’ordre
restantes, initialement adaptatives, mais secondairement de 50 mmHg (valeur 5 fois supérieure à celle de toute autre
délétères, avec la constitution de lésions glomérulaires non structure capillaire de l’organisme). L’association d’une aug-
spécifiques appelée “glomérulosclérose” associée à une mentation de la pression capillaire glomérulaire pulsée et
fibrose interstitielle extensive et évoluant vers la destruction d’une hypertrophie capillaire glomérulaire (selon la loi de
progressive du parenchyme rénal et l’insuffisance rénale Laplace, la tension pariétale est le produit du rayon par la pres-
terminale [2]. sion) est responsable d’un étirement (“stretch”) pariétal pulsé
Ce sont ces mécanismes relativement bien élucidés dans le qui joue un rôle déterminant dans l’accumulation de matériel
cadre de la réduction néphronique ou des glomérulonéphrites amorphe “hyalin”, traduisant l’exsudation de grosses protéines
expérimentales qui seront détaillés dans cet article. plasmatiques (fibrine, IgM, complément). Cet étirement parié-
tal mécanique appliqué aux cellules mésangiales et podocytai-
Rôle des phénomènes hémodynamiques res stimule directement le système rénine-angiotensine,
l’afflux de macrophages dans le mésangium, la libération de
La réduction expérimentale de masse rénale chez le rat a per-
TGFß (Transforming Growth Factor b) dans le microenvironne-
mis de clarifier la physiopathologie de l’adaptation rénale à la
ment glomérulaire, aboutissant à la transdifférenciation myofi-
perte néphronique [3] (figure 1). Après l’ablation d’une masse
broblastique des cellules mésangiales, à l’induction de la fibro-
critique fonctionnelle rénale (les 3/4 des reins), les néphrons
genèse et à l’apparition des lésions de glomérulosclérose,
intacts restants développent une hypertrophie compensatrice,
d’abord focales et segmentaires, puis diffuses [4].
glomérulaire et tubulaire proximale, avec diminution de la
Le rôle capital du stretch pulsatile dans la genèse de la protéinu-
résistance artériolaire et augmentation du débit plasmatique
rie et de la fibrose peut être mis en évidence par des études
capillaire glomérulaire. Comme la résistance de l’artériole affé-
expérimentales au cours desquelles la réduction du stretch pulsa-
rente (préglomérulaire) diminue davantage que la résistance
tile par un inhibiteur de l’enzyme de conversion réduit l’expres-
efférente (post-glomérulaire), la pression capillaire gloméru-
sion des gènes codant pour les molécules profibrosantes.
laire augmente et davantage de filtrat est formé dans chaque
L’hypertrophie capillaire glomérulaire est responsable parallè-
néphron. À court terme, ce mécanisme d’adaptation permet
lement d’une diminution de la densité des podocytes (“raré-
donc d’augmenter les capacités de filtration des néphrons res-
faction podocytaire”). Ces cellules à faible capacité de division
tants, minimisant ainsi les conséquences fonctionnelles de la
sont situées sur le versant externe de la membrane basale
réduction néphronique.
glomérulaire [4]. Les podocytes émettent des pseudopodes
Cependant à long terme cette adaptation s’avère délétère car
(“pédicelles”) dont les interdigitations s’entrecroisent pour
la vasodilatation afférente favorise la transmission des pres-
recouvrir presque complètement la membrane basale du
sions artérielles dans une structure capillaire. Le capillaire glo-
capillaire glomérulaire. Le diaphragme de fente tendu entre
mérulaire a normalement des caractéristiques fonctionnelles
les pédicelles adjacents représente la principale barrière à la
filtration des macromolécules. Les podocytes dotés d’un cyto-
squelette contractile riche en actine jouent de plus un rôle
essentiel dans le maintien de l’architecture tridimensionnelle
Glossaire du floculus glomérulaire.
ARAII antagoniste des récepteurs La raréfaction podocytaire engendre d’une part une fusion-
de l’angiotensine II
EGF Epidermal Growth Factor effacement des pédicelles responsable de la diminution du
ET endothéline coefficient d’ultrafiltration et donc de la filtration glomérulaire
HGF Hepatocyte Growth Factor et, d’autre part, des dilatations microanévrysmales des anses
IEC inhibiteur de l’enzyme de conversion capillaires [5].
IGF-1 Insulin Growth factor 1
IL interleukine Parallèlement, l’élargissement pulsatile des fentes de filtration
LDL Low Density Lipoprotein entre 2 pédicelles lors de chaque systole altère la fonction de
MDRD Modification of the Diet in Renal restriction (“hindrance”) de la barrière glomérulaire au pas-
Diseases
sage des macromolécules, se traduisant par une augmentation
PAI-1 inhibiteur de l’activateur
du plasminogène de type 1 marquée de l’ultrafiltration des protéines circulantes dans la
PDGF Platelet Derived Growth Factor chambre urinaire.
RANTES Regulated upon Activation, Normal T cell Chaque rein comporte en moyenne 1 million de néphrons,
Expressed and Secreted
REIN Ramipril Efficacy In Nephropathies
l’unité fonctionnelle élémentaire contenant un glomérule.
TGFß Transforming Growth Factor b Cependant la variabilité interindividuelle et interethnique
est importante (300 000 à 1,2 million par rein). Les sujets
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Physiopathologie de la progression des maladies rénales
insuffisance rénale chronique

Mise au point
F ig u r e 1
Effets de la réduction néphronique expérimentale des 5/6e (en rouge) par rapport à des animaux témoins (en bleu) sur les paramètres
de l’hémodynamique glomérulaire, le volume glomérulaire et la densité podocytaire, la protéinurie et les index de sclérose glomérulaire
% SS : index de sclérose glomérulaire (en pourcentage) ; DP : gradient de pression capillaire glomérulaire ; QA : débit plasmatique capillaire glomérulaire ; DFGi : débit de
filtration par glomérule individuel ; Kf nL/s.mmHg : coefficient d’ultrafiltration (en nL/sec.•mmHg) ; NEpC : nombre de cellules épithéliales par glomérule ; Nv : densité
podocytaire (par unité de surface) ; Ualb : excrétion urinaire d’albumine ; Vg : volume glomérulaire.

d’origine africaine par exemple ont moins de néphrons et tension artérielle, etc.), ce qui pourrait expliquer, au moins
des glomérules de plus grande taille, d’autres individus ont en partie, la susceptibilité génétique aux affections rénales
des mutations avec perte de fonction sur les protéines et à la progression.
constituant la barrière glomérulaire. Ces individus ne possè- Globalement les processus décrits ci-dessus aboutissent au col-
dent pas les mêmes capacités d’adaptation en cas d’agres- lapsus segmentaire du glomérule et à la glomérulosclérose
sion néphronique (perte de néphrons, hyperglycémie, hyper- dont la traduction clinique est la protéinurie et l’insuffisance
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rénale progressive. De plus cette séquence de processus teurs de croissance comme l’Insulin Growth factor 1 (IGF-1), le
engendre un phénomène d’auto-aggravation : la perte de TGFß et l’Hepatocyte Growth Factor (HGF), ces facteurs circu-
nouveaux néphrons fonctionnels aggrave l’hypertrophie et lant généralement liés à des protéines [6].
l’hypertension dans les glomérules restants et y augmente le Ces constatations expliquent pourquoi les protéinuries haute-
risque de transformation glomérulosclérotique. ment sélectives, c’est-à-dire composées quasi exclusivement
Il est important de rappeler que le développement de ces d’albumine (lésions glomérulaires minimes) donnent peu de
lésions de glomérulosclérose est indépendant de l’activité de lésions tubulo-interstitielles même en cas d’albuminurie très
la maladie rénale sous-jacente. abondante. En revanche, les protéinuries non spécifiques com-
posées de protéines de gros poids moléculaire sont davantage
Connexion protéinurie-endocytose susceptibles de provoquer la filtration excessive de cytokines
proximale-fibrose interstitielle et de facteurs de croissance, leur réabsorption tubulaire proxi-
Le rôle de la protéinurie d’origine glomérulaire dans la genèse des male et un effet néphritogène.
lésions tubulo-interstitielles d’aval est maintenant bien établi, expli-
quant le lien physiopathologique entre ces 2 compartiments [2, 6].
Activation locale des médiateurs
L’analyse de biopsies rénales de rats avec une néphrose induite
inflammatoires et lésions tubulo-
par la doxorubicine ou une protéinurie liée à l’âge montre
interstitielles provoquées
l’accumulation des protéines filtrées dans le cytoplasme des
par la réabsorption tubulaire
cellules tubulaires proximales, associée à une réaction inflam-
anormale de protéines
matoire interstitielle, une fibrose tubulo-interstitielle et des Dans des cellules tubulaires proximales en culture exposées à
lésions glomérulosclérotiques. Plusieurs autres études expéri- des concentrations croissantes d’albumine, d’IgG ou de trans-
mentales (au cours du diabète induit par la streptozotocine, ferrine, le taux de synthèse de l’endothéline (ET-1) augmente
chez le rat Biobreeding/Worchester (BB/w), chez le rat obèse de plusieurs fois et de façon dose-dépendante. De même,
Zucker avec une néphropathie spontanée et au cours de la l’albumine et la transferrine régulent le gène de MCP-1, la pro-
néphrite passive de Heymann) ont révélé un lien étroit entre téine chémo-attractrice des monocytes, un effet qui est abrogé
les anomalies de la perméabilité de la barrière capillaire glo- par la lysine, qui inhibe la recapture luminale des protéines, et
mérulaire aux protéines et la survenue ultérieure de lésions par l’actinomycine D, un inhibiteur de la transcription des
structurelles rénales. gènes. Des constatations similaires sont rapportées pour l’acti-
Le rein normal est capable de réabsorber et de dégrader jusqu’à vation et l’“up-régulation” par l’albumine de RANTES (Regula-
2 g de protéines filtrées par le glomérule. La réabsorption est un ted upon Activation, Normal T cell Expressed and Secreted),
processus d’endocytose clathrine-dépendante médiée par une cytokine immunorégulatrice avec des propriétés chémo-
l’intermédiaire du complexe apical mégaline-cubuline. tactiques pour les monocytes. L’albumine est également un
L’augmentation de la perméabilité glomérulaire aux macro- stimulus puissant pour l’expression de l’interleukine 8 (IL-8)
molécules permet le passage dans la chambre urinaire glomé- tubulaire, un effet médié par l’intermédiaire du facteur de
rulaire puis en regard du tube proximal, de protéines variées transcription nucléaire NFKB.
en quantité massive : albumine, immunoglobulines, complexe Il est important de signaler que la sécrétion en réponse à une
fer-transferrine, fractions actives du complément, des facteurs surcharge en protéines des médiateurs ET-1, MCP-1, RANTES,
de croissance, diverses cytokines et des LDL (Low Density Lipo- PDGF A-B est polarisée vers le compartiment basolatéral. Un
proteins) oxydées [2, 6]. tel profil de sécrétion aboutit in vivo au relargage de ces
Ces protéines sont en grande partie réabsorbées par ce proces- médiateurs dans l’interstitium et génère un gradient de ché-
sus non régulé d’endocytose mais, en raison de leur abon- mokines au versant basolatéral des cellules tubulaires proxi-
dance, elles vont s’accumuler au niveau des lysosomes des males pour y promouvoir la migration des macrophages et
cellules tubulaires proximales. Les études in vivo ont montré des lymphocytes T, induire la prolifération fibroblastique et
que les cellules tubulaires proximales peuvent modifier leur finalement augmenter la synthèse des protéines de la matrice
phénotype en réponse à une surcharge en protéines [6-8]. extracellulaire [9].
Normalement l’albumine agit comme antioxydant mais Parmi les processus sous-jacents aux lésions interstitielles au
l’abuminurie transporte des substances réactives comme des cours des protéinuries massives, l’activation des protéines
lipopolysaccharides, des acides gras libres, des prostaglandi- complémentaires dans le tubule proximal exerce un effet
nes, des métaux lourds et des hormones stéroïdiennes. La pro-inflammatoire important. Une fixation intracellulaire de
réabsorption de complexes fer-transferrine stimule la produc- C3 a été mise en évidence dans les cellules proximales de
tion de radicaux libres réactifs. Sont également réabsorbées rats protéinuriques par réduction néphronique et précède
des substances chémotactiques liées à des lipides et des fac- l’apparition de l’inflammation. L’induction du C3 tubulaire au
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insuffisance rénale chronique

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cours d’une surcharge en protéines a été rapportée. La syn- Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion peuvent aussi réduire
thèse de C3 pourrait stimuler la migration de cellules T à tra- la protéinurie et les lésions rénales chez des rats âgés. Dans le
vers l’épithélium tubulaire. diabète expérimental, un traitement à court terme ou à long
La réabsorption excessive de protéines par le tube proximal pro- terme avec un IEC (inhibiteur de l’enzyme de conversion) ou
meut la fibrogenèse en favorisant le relargage de chémoattrac- un ARAII (antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II) cor-
tants qui à leur tour stimulent le recrutement local de cellules rige l’hypertension glomérulaire, réduit la protéinurie et limite
mononucléaires. L’accumulation interstitielle de cellules inflam- les lésions structurelles rénales. Les IEC peuvent réduire la pro-
matoires aboutit à la transformation de cellules interstitielles en téinurie et limiter la progression dans de nombreux modèles de
myofibroblastes sous l’influence de médiateurs comme le TGFb, néphropathie progressive comme par exemple la protéinurie
le Platelet Derived Growth Factor (PDGF) et d’autres cytokines. spontanée chez le rat mâle MWF/Ztm ou dans la néphrite pas-
De plus, les cellules tubulaires épithéliales proximales interagis- sive de Heymann, un équivalent expérimental de la glomérulo-
sent avec les fibroblastes interstitiels avoisinants pour promou- néphrite extramembraneuse.
voir la fibrogenèse par le relargage paracrine de molécules pro- Le mécanisme néphroprotecteur des bloqueurs du système
fibrosantes, comme le TGFb, le PDGF et l’endothéline 1 [8, 9]. rénine-angiotensine, seuls médicaments validés en clinique à
La fibrose tubulo-interstitielle est composée principalement de l’heure actuelle, est multifactoriel [10, 11]. Ces médicaments
fibronectine, de collagène de type I et III, de tenascine et plus réduisent le stretch pulsatile et la pression capillaire pulsée et
accessoirement d’autres glycoprotéines comme la thrombo- donc la génération de cytokines profibrosantes. Ils améliorent
spondine, SPARC, l’ostéopontine. Les fibroblastes sont les prin- aussi directement les propriétés intrinsèques de la barrière
cipaux effecteurs de cette fibrose et sécrètent du collagène de capillaire glomérulaire en réduisant la taille des pores de grande
type I, III, IV et V en réponse au TGFß, à l’Epidermal Growth taille, peu restrictifs au passage des macromolécules [10].
Factor (EGF) et à l’IL-2. Aux phases initiales de la fibrogenèse, Indépendamment de ses effets hémodynamiques, l’angioten-
le tissu cicatriciel comporte, outre les fibroblastes, des cellules sine II est capable d’augmenter la production du TGFß, d’acti-
mononuclées et des cellules tubulaires. Lorsque les facteurs de ver celui-ci et de stimuler le gène de l’inhibiteur de l’activateur
croissance disparaissent, les fibroblastes entrent en apoptose du plasminogène de type 1 (PAI-1). L’activation du TGFß aug-
et le tissu fibreux devient acellulaire [6]. mente la synthèse de la matrice extracellulaire alors que la
L’ensemble de ces mécanismes aboutit à la formation d’une stimulation du PAI-1 diminue la dégradation de cette matrice.
fibrose interstitielle dont l’intensité est directement propor- L’ensemble de ces éléments concourt à la fibrogenèse, méca-
tionnelle aux anomalies de perméabilité glomérulaire. D’une nisme donc indirectement médié ou favorisé par des taux éle-
façon générale, ce lien physiopathologique entre les 2 compar- vés locaux d’angiotensine II. Inversement, les médicaments
timents explique pourquoi l’intensité de la fibrose interstitielle bloquant le système rénine-angiotensine semblent capables
est mieux corrélée avec la filtration glomérulaire et la mau- de faire régresser ou de prévenir ces mécanismes fibrogéni-
vaise évolution de la fonction rénale, ceci au cours de toutes ques. Ces effets bénéfiques peuvent être démontrés dans des
les formes de néphropathies progressives, même celles dont modèles à pression artérielle normale au cours desquels le
la cause initiale n’est pas glomérulaire. rôle physiopathologique de la réduction de l’hypertension
intraglomérulaire est probablement moins important.
Les manœuvres qui limitent Chez les rats avec une réduction de masse rénale ou un dia-
le trafic intrarénal des protéines bète induit par la streptozotocine, le blocage du récepteur ET-1
ou ses conséquences peuvent-elles par un antagoniste spécifique peut prévenir les lésions structu-
prévenir la progression relles rénales.
dans les modèles expérimentaux ? Au cours de la néphrose induite par la puromycine, le traite-
Si l’inflammation interstitielle et la fibrose sont bien la consé- ment par un anticorps neutralisant anti-MCP-1 diminue l’infil-
quence de la surcharge protéique, la réduction du trafic des tration interstitielle rénale macrophagique. De même l’accu-
protéines ou de leurs conséquences biologiques devraient pré- mulation interstitielle de monocytes et de lymphocytes T
venir ou retarder la progression des maladies rénales. C’est chez la souris avec une glomérulonéphrite à croissants est
précisément ce qui se passe chez les animaux alimentés par effectivement limitée par un antagoniste sélectif du récepteur
un régime restreint en protides ou traités par les bloqueurs du MetRANTES.
système rénine-angiotensine. L’intrication complexe des voies physiopathologiques de la
Chez les rats avec une réduction de masse rénale au cours du progression suggère que les interventions combinées ont un
diabète expérimental, de la néphrose à l’adriamycine, la meilleur potentiel d’efficacité. La combinaison thérapeutique
réduction de l’apport protidique restaure les propriétés de associant un inhibiteur de l’enzyme de conversion et le myco-
sélectivité de taille de la barrière glomérulaire et prévient la phénolate mofétil, un agent immunosuppresseur qui inhibe la
protéinurie et les lésions rénales. prolifération des cellules T et l’expression des molécules
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d’adhésion, limite la protéinurie et l’accumulation interstitielle pathies diabétiques ou non diabétiques [13]. Ce risque associé
de lymphocytes T et de monocytes et diminue les lésions à la protéinurie apparaît de plus être indépendant des autres
structurelles rénales de façon plus efficace qu’un traitement facteurs de risque bien établis, comme l’hypertension artérielle
par IEC isolément [12]. ou l’hyperglycémie chez le diabétique. Dans l’étude de Lewis
Dans un modèle de néphrite de Heymann avec une protéinurie chez 409 patients diabétiques de type 1 avec néphropathie,
massive, le blocage combiné de l’angiotensine II et de l’ET-1 parmi les paramètres de base la protéinurie était un prédicteur
s’est avéré plus rénoprotecteur que chacun des médicaments puissant et indépendant de l’évolution rénale [14]. Des consta-
seuls. Enfin, des arguments expérimentaux indiquent que des tations analogues ont été retrouvées chez les 840 patients non
anticorps anti-TGFb ajoutés à un traitement chronique par inhi- diabétiques entrés dans l’étude MDRD (Modification of the Diet
biteur de l’enzyme de conversion peuvent normaliser complè- in Renal Diseases) [15].
tement la protéinurie et prévenir les lésions rénales de la Dans l’étude REIN (Ramipril Efficacy In Nephropathies) chez
néphropathie diabétique [6]. 274 patients avec des néphropathies glomérulaires chroniques
Ainsi, il existe de nombreuses preuves expérimentales que la non diabétiques et une protéinurie clinique, la seule variable
limitation de l’excrétion protéique et de ses conséquences sur initiale corrélée significativement avec la diminution de la fil-
l’activation des cellules tubulaires épithéliales est efficace pour tration glomérulaire et la progression vers l’insuffisance rénale
protéger le rein des lésions progressives.
terminale était le débit de protéinurie. Dans cette même
étude, la réduction de protéinurie sous IEC était le seul facteur
La protéinurie, un marqueur de risque
dont les modifications dans le temps prédisaient un ralentisse-
de progression et de perte de fonction
ment de la perte de filtration glomérulaire et la progression
rénale au cours des néphropathies
vers l’insuffisance rénale terminale [16], observation indiquant
chez l’homme
clairement que la rénoprotection est liée directement à la
La protéinurie est depuis longtemps connue comme étant un réduction du trafic protéique.
marqueur de sévérité des maladies rénales. L’opinion habi- Les observations plus récentes de l’étude RENAAL ont confirmé
tuelle est que la protéinurie est principalement un marqueur ces données et montré que l’albuminurie est le principal et le
de lésions rénales et que plus les reins sont détruits, plus ils plus puissant marqueur de la survenue d’événements rénaux
laissent passer l’albumine. chez des patients diabétiques de type 2. L’effet antiprotéinu-
Les données expérimentales ont cependant remis en question rique de l’ARAII losartan explique la plus grande part de l’effet
cette idée reçue. Tout d’abord, il a été montré par des études rénoprotecteur et ceci de façon indépendante à la seule réduc-
de microponction que la protéinurie provient non pas des tion tensionnelle [17].
néphrons dont les glomérules sont détruits mais au contraire
De façon très importante, la protéinurie résiduelle sous IEC
provient des glomérules hypertrophiques restants. D’autre
reste un des facteurs prédominants de l’évolution vers l’insuf-
part, comme cela a été discuté dans les sections précédentes,
fisance rénale terminale, ceci dans l’étude REIN, comme dans
de nombreux éléments indiquent que l’albuminurie et surtout
l’étude RENAAL. Ainsi, la réduction de l’albuminurie est asso-
les autres composants de la protéinurie peuvent par eux-
ciée à une réduction proportionnelle du risque de progression
mêmes altérer le rein.
et l’on peut anticiper qu’une réduction supplémentaire de la
Bien qu’une relation de cause à effet entre la protéinurie et la
protéinurie vers zéro serait associée à une protection maxi-
progression de l’insuffisance rénale soit plus difficile à mettre
male du rein.
en évidence en clinique, le pouvoir prédictif de la protéinurie
ou de l’albuminurie sur la progression a été démontré dans de
nombreuses études chez des patients atteints de néphro- Conflits d’intérêts : aucun

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Physiopathologie de la progression des maladies rénales
insuffisance rénale chronique

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tome 36 > n° 12 > décembre 2007 > cahier 2

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