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AUTOMNE 2016
du
LEADERSHIP
Dix leçons infaillibles
pour progresser, s’imposer
et manager ses équipes
Par Peter Drucker, Nick Craig, Boris Groysberg, W. Chan Kim,
Renée Mauborgne, Robert Goffee, Gareth Jones, Jim Collins…
+ La méthode iconoclaste d’Alex Ferguson à Manchester United
M 08178 - 3H - F: 20,00 E - RD
3’:HIKSLH=]WUUUY:?k@a@a@n@f";
BEL : 20 € – CH : 29 CHF – Can : 29,99 CAD – ESP : 20 € – LUX : 20 € – PORT. CONT. : 20 € – DOM Avion : 20 € – Maroc : 215 DH – Tunisie : 44 TND – Zone CFA Avion : 12 900 XAF
Editorial
Leçons de leadership :
de Drucker à Ferguson
P
eter F. Drucker (1909-2005), Dans ce numéro, nous avons donc,
surnommé le « pape du mana- outre la plume de Peter F. Drucker,
gement », autrichien de convoqué celle des meilleurs spécialistes
naissance, naturalisé améri- contemporains du leadership. Les Britan-
cain dans les années 1940, a niques Robert Goffee et Gareth Jones en
eu une singulière influence sur le monde font partie. Ils sont les auteurs d’un livre
des entreprises. Il était essentiel dans ce et d’un article décoiffants intitulés « Pour-
numéro exceptionnel consacré au leader- quoi quelqu’un devrait-il être dirigé par
ship (le troisième de notre collection «Le vous ? » : une manière habile de changer
Must» lancée à l’automne 2015) de rappe- de paradigme en matière de leadership, en
ler la pensée avant-gardiste de ce cher- s’interrogeant sur les qualités nécessaires
cheur hors normes qui a théorisé le monde aux dirigeants pour être suivis. Tout aussi
du management pendant plus de 60 ans ! originale est la théorie «Océan bleu», de
Ses concepts contre-intuitifs com- W. Chan Kim et Renée Mauborgne, qui,
mencent réellement à irriguer le monde après avoir été appliquée à la stratégie, a
des organisations lorsqu’il publie, en été transposée au leadership ; ou encore,
1946, « Concept of the Corporation », un l’incroyable étude sur les « Leaders de ni-
ouvrage issu d’une immersion prolongée veau 5 » réalisée pendant 5 ans par Jim Col-
chez General Motors. Il est le premier, lins sur un échantillon de 1 435 entreprises.
à l’époque, à écrire que les entreprises Enfin, que vous soyez ou non amateur
pourraient dégager plus de profits simple- de ballon rond, vous lirez avec gourman-
ment en traitant les employés comme des dise l’article consacré aux méthodes de sir
« ressources de valeur », en décentralisant Alex Ferguson à Manchester United. Dans
la prise de décision dans les usines, et en un autre registre que Drucker, Ferguson
offrant des salaires garantis. Il s’attirera aura, comme lui, imprimé sa marque sur
quelque temps les foudres du construc- la durée en restant 26 ans aux manettes de
teur automobile, qui, à l’époque, ne goû- ce club de foot légendaire et en donnant au
tait guère le leadership à l’aune du mana- coaching ses lettres de noblesse. Quelque
gement participatif. Peter F. Drucker ira temps avant de décéder, Peter F. Drucker
plus loin en publiant « What Makes an avait déclaré au magazine « Fortune » qu’il
Effective Executive » dans Harvard Busi- regrettait de ne pas avoir publié un ouvrage
ness Review en 2004, article clé sur le dont le titre aurait été « Gérer l’ignorance ».
leadership, que vous découvrirez en fran- Avec ce solide numéro consacré au leader-
çais dans ce numéro. Là encore, il battra ship, vous ne pourrez définitivement plus
quelques idées en brèche qui n’ont rien vous sentir ni démuni ni ignorant…
perdu de leur saveur et de leur actualité. Bonne lecture.
20
MANAGER?
QU’EST-CE
QU’UN VÉRITABLE 52 POUR ÊTRE UN BON LEADER, CRÉEZ DU LIEN
Les leaders gagneront davantage en influence
en exprimant de la chaleur humaine puis en y ajoutant des
Le leadership ne dépend preuves de compétence.
pas de la personnalité, du Par Amy J.C. Cuddy, Matthew Kohut et John Neffinger
charisme ou du talent
d’un individu: les véritables
managers n’ont pas de
profil type. Mais tous ont
en commun de suivre huit
pratiques simples qui font
d’eux des dirigeants vraiment
efficaces. Par Peter F. Drucker
30 POURQUOI
QUELQU’UN
DEVRAIT-IL ÊTRE DIRIGÉ
PAR VOUS?
Les leaders doivent être
visionnaires et énergiques.
Mais il leur faut aussi
travailler quatre qualités
supplémentaires pour
être suivi par les salariés.
Par Robert Goffee
et Gareth Jones 62 LE LEADERSHIP «OCÉAN BLEU»
Vos salariés sont-ils entièrement investis dans la réussite
de votre entreprise? Voici comment libérer les énergies
et les talents latents. Par W. Chan Kim et Renée Mauborgne
116 LA FORMULE
FERGUSON
Il est l’un des coachs les plus
130
talentueux de tous les temps.
Manager du club de football
Manchester United durant 26 saisons,
LE TRAVAIL D’UNE VIE
sir Alex Ferguson livre les secrets
Keith Lockhart est le chef
de sa méthode iconoclaste,
d’orchestre du Boston Pops
qui a généré des succès sportifs
Orchestra. Il a dirigé près
hors normes.
de 1700concerts, aux côtés
Par Anita Elberse,
d’invités de marque tels
avec sir Alex Ferguson
que Aerosmith, Mariah
Carey, Elton John, Sting…
Interview: Glenn Mangurian
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Traduction A La French, S. Froschl, Directrice exécutive Pôle Premium Gwendoline Michaelis School Publishing Corporation. Tous droits réservés.
I. Grégorat, M. Le Séach, L. Leroy, Directrice marketing et business development
M. Renier, A. Rousseaux, S. Soudais Dorothée Fluckiger (68 76) Hors-série N°3 - Automne 2016
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Les deux jours les plus Notre but est de changer cette situation en aidant
durant toute sa carrière de militaire, mais également Votre vocation en matière de leadership émane de ce
avec ses enfants – elle a décidé de se présenter à que vous êtes, de ce qui vous rend unique. Que vous
l’élection au conseil scolaire, pour un siège âprement soyez entrepreneur dans une start-up ou P-DG d’une
disputé, et a été élue. société figurant sur la liste Fortune 500, agent dans
Cette réflexion, nous l’avons également appli- un centre d’appels ou développeur de logiciels, votre
quée à l’échelle des organisations. Unilever est une vocation est votre marque de fabrique, ce que vous
société favorable à ce type de leadership au service voulez réaliser, la formule magique qui vous motive.
d’une vocation, et Jonathan Donner, son directeur Ce n’est pas ce que vous faites dans votre travail, c’est
mondial de l’apprentissage, a joué un rôle essentiel comment vous le faites et pourquoi : les forces et les
dans l’affinement de notre approche. En travaillant passions que vous apportez à la table quelle que soit
avec sa société et plusieurs autres organisations, la place que vous y occupez. Bien que l’on puisse
nous avons aidé plus de 1 000 leaders à suivre le pro- exprimer sa vocation de différentes manières et dans
cessus de la vocation à l’impact et avons commencé à différents contextes, c’est ce que chacun de vos
suivre et à examiner les progrès qu’ils avaient accom- proches reconnaît comme unique chez vous et qui
plis au cours des deux ou trois dernières années. lui manquerait le plus si vous n’étiez plus là.
Beaucoup ont connu des résultats spectaculaires, Lorsque Kathi a énoncé sa vocation à sa famille et
allant d’une promotion de deux échelons à une amé- à ses amis, leur réponse a été instantanée et enthou-
lioration durable des résultats commerciaux. Plus siaste : « Oui ! C’est tout à fait toi ! Tout pour le travail,
important, une large majorité d’entre eux nous dit tout le temps ! » Quelle que soit la fonction occupée et
avoir développé une nouvelle capacité à s’épanouir, quel que soit le contexte, en tant que capitaine d’une
même dans les moments les plus difficiles. équipe de gymnastique de l’armée, professeure de
Dans cet article, nous présentons notre démarche mathématiques à West Point, de manière informelle
pas à pas pour vous mettre sur cette voie. Nous expli- en famille et entre amis, elle a toujours dirigé depuis
quons comment procéder pour identifier votre voca- les coulisses, se faisant le catalyseur en douceur,
tion, puis comment élaborer un plan d’impact afin de mais en puissance, de la réussite des autres. Dans
produire des résultats concrets. cette nouvelle optique, elle a pu se voir, et voir l’ave-
nir plus nettement. Quand Dolf van den Brink a ré-
QU’EST-CE QUE LA VOCATION ? vélé sa vocation nouvellement définie à son épouse,
La plupart des gens meurent celle-ci a facilement reconnu le « maître wuxia » qui
avait dirigé ses employés pendant les troubles vio-
sans avoir composé toute lents et l’agitation sociale qu’il avait vécus en Répu-
la musique qui est en eux. blique démocratique du Congo (RDC), prêt mainte-
nant à s’attaquer de front aux problèmes qui se
— Oliver Wendell Holmes posaient chez Heineken Etats-Unis.
COMMENT LA TROUVER ?
N’être personne d’autre que
soi-même dans un monde
qui fait tout, jour et nuit,
pour nous transformer en
quelqu’un d’autre, voilà le
plus difficile combat qu’un
être humain peut mener.
— E. E. Cummings
Trouver sa vocation en matière de leadership n’est
pas chose facile. Si cela l’était, nous saurions tous
exactement pourquoi nous sommes ici et nous
vivrions cette vocation à chaque instant. Comme
l’indique E.E. Cummings, nous sommes sans cesse
Fondamentalement, votre vocation en matière de bombardés de messages puissants (de la part de
leadership émane de votre identité, de l’essence de nos parents, de nos patrons, des gourous du mana-
votre être. La vocation n’est pas une liste des di- gement, des publicitaires, des célébrités) quant à ce
plômes, des expériences et des compétences que que nous devrions être (plus intelligent, plus fort,
vous avez accumulés au cours de votre existence. plus riche) et quant à la façon de diriger (rendre les
Prenons-nous (les auteurs de cet article) en exemple : autres plus autonomes, diriger depuis les coulisses,
le fait que Scott soit colonel de l’armée à la retraite, être authentique, répartir le pouvoir). Savoir qui l’on
titulaire d’un MBA et d’un doctorat, n’est pas sa voca- est dans un tel monde, sans même parler d’« être
tion. Sa vocation est d’« aider les autres à donner personne d’autre que soi-même », est en effet une
davantage de sens à leur vie ». La vocation n’est pas tâche difficile. Cependant, notre expérience montre
un titre professionnel, qui se limite à votre poste ou à que lorsqu’on a une idée claire de qui l’on est, le reste
l’entreprise dans laquelle vous travaillez aujourd’hui. suit naturellement.
La vocation de Nick n’est pas de « diriger l’Authentic Certains arriveront sur la voie de la vocation à
Leadership Institute ». Ça, c’est son travail. Sa voca- l’impact avec une tendance naturelle à l’introspec-
tion est de « vous réveiller et de vous faire réaliser que tion et à la réflexion. D’autres trouveront l’expé-
vous êtes en terrain familier ». C’est exactement ce rience désagréable et anxiogène. Quelques-uns se
qu’il fait depuis qu’il est adolescent, et si vous vous contenteront de lever les yeux au ciel. Nous avons
asseyez à ses côtés dans la navette qui relie Boston à travaillé avec des leaders de tous types et nous pou-
New York, il vous réveillera (au sens figuré) aussi. Il vons attester du fait que même les plus sceptiques
ne peut tout simplement pas s’en empêcher. trouvent un intérêt personnel et professionnel à
La vocation n’est certainement pas une expres- cette démarche. Nous avons travaillé avec un juriste
sion ampoulée et passe-partout (« Donner à mon chevronné, au service d’une multinationale, qui se
équipe les moyens de produire des résultats com- qualifiait lui-même de « personne la moins suscep-
merciaux exceptionnels tout en satisfaisant nos tible de trouver un jour ce truc utile ». Pourtant, il en
clients »). Elle doit être spécifique et personnelle, est devenu un tel adepte qu’il a exigé de tous ses col-
résonner en vous et vous seul. Elle n’a pas à être lègues qu’ils suivent le programme. « Je n’ai jamais lu
ambitieuse, ni fondée sur une cause (« Sauver les de livre de développement personnel et je ne compte
l’usine égyptienne a mis la famille en avant dans Définir votre vocation en tant que leader est crucial,
l’énoncé de sa vocation, ses récits révélant que mais il ne suffit pas d’en rédiger l’énoncé. Vous devez
l’amour et le soutien des siens avaient été les facteurs également envisager l’impact que vous aurez sur le
déterminants qui lui avaient permis de surmonter monde qui est le vôtre, en vivant votre vocation. Ce
tous les problèmes qu’il avait pu rencontrer dans sa qui compte vraiment, ce sont vos actions, et non vos
vie, tandis que le responsable des activités de détail paroles. Bien sûr, personne ne peut vivre pleinement
avait utilisé l’expression « tenu d’améliorer » après sa vocation en permanence. Mais avec du travail et
avoir réalisé que ses plus grands accomplissements une planification soignée, nous pouvons le faire avec
se produisaient toujours lorsqu’il poussait les autres, plus de régularité, une plus grande conscience, sans
ainsi que lui-même, à sortir de leurs zones de confort. réserve et efficacement.
Lorsque vous examinerez vos récits, vous trouve- Les plans de la vocation à l’impact diffèrent à bien
rez un fil conducteur, tout comme ces cadres l’ont des égards des plans de développement classiques : ils
fait. Tirez ce fil et vous découvrirez votre vocation commencent par un énoncé de vocation en matière
(lire l’encadré « Enoncés de vocation, du pire au meil- de leadership plutôt que par un objectif commercial
leur » propose des exemples d’énoncés de vocation). ou de carrière. Ils adoptent un point de vue global sur
la vie professionnelle et personnelle plutôt que
COMMENT METTRE SA VOCATION d’ignorer le fait que vous avez une famille ou des inté-
EN PRATIQUE ? rêts et des engagements extérieurs. Ils incorporent un
C’est cela, la joie véritable, langage chargé de sens, insufflé par votre vocation,
pour créer un document qui ne parle qu’à vous, et pas
dans la vie : être au service à n’importe quelle personne occupant votre poste ou
d’un dessein que l’on votre fonction. Ils vous forcent à envisager des oppor-
tunités à long terme propices à l’épanouissement de
considère soi-même comme votre vocation (à trois, à cinq ans), puis, de là, vous
supérieur. aident à travailler à rebours (à deux ans, un an, six
mois, trois mois, 30 jours) pour définir des objectifs
— George Bernard Shaw spécifiques afin de les réaliser.
Lorsque les cadres abordent le développement en
étant motivés par leur vocation, ils alimentent du
même coup leurs aspirations – par exemple, la déci-
PLANIFICATION PLANIFICATION sion de Kathi de participer au conseil scolaire ou
DE LA VOCATION DU DÉVELOPPEMENT l’ambition du directeur d’usine égyptien de gérer la
À L’IMPACT CLASSIQUE fabrication et la logistique à l’échelle du Moyen-
Orient. Les leaders connaissent un regain d’énergie
Utilise un langage chargé de sens, Utilise le langage habituel des affaires.
dans leurs fonctions. Le plan d’impact de Dolf l’a in-
inspiré par la vocation.
cité à aborder son rôle chez Heineken Etats-Unis avec
Se concentre sur les forces pour Se concentre sur les faiblesses quatre devises destinées à son équipe : « Soyez cou-
réaliser les aspirations de l’entreprise. pour redresser la performance. rageux », « Décidez et agissez », « Chassez en meute »
Suscite un énoncé de votre vocation Enonce un objectif au service et « Faites-en une cause personnelle ». Lorsque Jos-
en matière de leadership expliquant de l’entreprise ou de la carrière. tein Solheim, cadre chez Unilever, a élaboré un plan
la façon dont vous dirigerez. de développement axé sur sa vocation, « Faire partie
d’un mouvement global qui pourrait changer le
Définit des objectifs progressifs Mesure le succès au moyen de
monde peut s’avérer amusant et surtout réalisable »,
en lien avec le fait de vivre votre chiffres associés à la mission
vocation de leadership. et aux objectifs de l’entreprise. il s’est rendu compte qu’il voulait rester responsable
de la filiale Ben & Jerry’s plutôt que de monter dans
Se concentre sur l’avenir, Se concentre sur le présent, la hiérarchie d’Unilever.
en travaillant à rebours. en travaillant vers l’avenir. Examinons maintenant un plan de la vocation à
Est propre à vous ; parle de qui Est générique ; parle du poste l’impact fictif (issu d’une combinaison de plusieurs
vous êtes en tant que leader. ou de la fonction. personnes avec lesquelles nous avons travaillé) pour
un examen approfondi du processus. Richard (un
Adopte un point de vue qui englobe Ignore les objectifs et les nom d’emprunt) n’est parvenu à définir sa vocation
le travail et la famille. responsabilités hors du bureau.
qu’après avoir été poussé à parler de sa passion de
suscitant courage, engagement et concentration. QU’EST-CE QUI FAIT les plus grands leaders et les
Lorsqu’ils se sentent déçus ou ont l’impression de plus grandes entreprises ? Les uns et les autres
fléchir, ils sortent leurs plans pour se rappeler ce qu’ils fonctionnent à partir d’un ensemble d’hypothèses
veulent accomplir et comment ils y parviendront. Une légèrement différent sur le monde, sur leur secteur
fois son plan élaboré, le responsable des activités de d’activité, sur ce qui peut ou ne peut pas être fait.
détail, confronté à la concurrence mondiale, a affirmé Cette perspective individuelle leur permet de créer
qu’il « ne craignait plus de faire des choses trop une grande valeur et d’avoir un impact significatif.
difficiles ». Dolf van den Brink a déclaré : « Je sais beau- Tous fonctionnent avec une vocation unique en
coup mieux où je peux véritablement apporter une matière de leadership. Pour devenir un leader
contribution et où je ne le peux pas. J’ai une idée tout véritablement efficace, vous devez faire de même.
à fait claire des types de fonctions auxquelles j’aspire Définissez clairement votre vocation, et mettez-la
et je peux faire des choix explicites en cours de route. » en application.
L'I D É E E N P R ATI Q U E
U
n véritable manager, vraiment efficace solitaires, décontractés ou autoritaires, généreux ou parcimonieux.
(« effective executive ») ne doit pas Mais ce qui les rendait efficaces c’est qu’ils suivaient tous les huit
nécessairement être un leader dans le pratiques suivantes :
sens où l’on emploie communément • Ils se demandaient : « Qu’est-ce qui doit être fait ? »
le terme de nos jours. Harry Truman • Ils se demandaient : « Qu’est-ce qui est bon pour l’entreprise ? »
n’avait pas une once de charisme, et • Ils élaboraient des plans d’action.
pourtant, il faisait partie des dirigeants • Ils assumaient la responsabilité des décisions.
les plus efficaces de l’histoire des • Ils assumaient la responsabilité de la communication.
Etats-Unis. De la même manière, • Ils se concentraient sur les opportunités plutôt que
certains des meilleurs P-DG d’entre- sur les problèmes.
prises ou d’organisations à but non lucratif avec lesquels j’ai travaillé • Ils conduisaient des réunions productives.
au cours de ma longue carrière de consultant n’étaient pas des • Ils pensaient et disaient « nous » plutôt que « je ».
leaders stéréotypés. Leurs personnalités, attitudes, valeurs, forces Les deux premières pratiques leur permettaient d’obtenir les
et faiblesses étaient diverses et variées. Ils étaient extravertis ou connaissances dont ils avaient besoin. Les quatre suivantes les
aidaient à transformer ces connaissances en action urgente. Mais les véritables managers ne s’épar-
efficace. Les deux dernières garantissaient que toute pillent pas : ils se concentrent, dans la mesure du
l’organisation se sentait responsable. possible, sur une seule tâche. Je n’ai jamais rencontré
de manager capable de rester efficace en s’attelant à
Obtenez les informations plus de deux tâches à la fois. Ainsi, après s’être posé
dont vous avez besoin la question maîtresse, les managers efficaces défi-
La première pratique consiste à se demander ce qui nissent des priorités et s’y tiennent. La tâche priori-
doit être fait. Notez : la question n’est pas « Qu’est-ce taire d’un P-DG peut par exemple être de redéfinir la
que je veux faire ? ». S’interroger sur ce qui doit être mission de l’entreprise. Celle du patron d’une busi-
fait et prendre la question au sérieux est indispen- ness unit peut être de redéfinir la relation de cette
sable au succès managérial. Ne pas poser cette ques- entité avec le siège social. Les autres tâches, aussi
tion rendrait inefficace même le plus compétent des importantes ou attrayantes soient-elles, sont repor-
managers. tées à plus tard. Toutefois, après avoir exécuté la
Lorsque Harry Truman est devenu président en tâche prioritaire originale, le manager revoit l’ordre
1945, il savait exactement ce qu’il souhaitait faire : des priorités au lieu de passer directement à la se-
achever les réformes économiques et sociales du conde tâche de la liste de départ. Il se demande :
New Deal de Roosevelt, reportées par la Seconde « Qu’est-ce qui doit être fait maintenant ? ». Cette fa-
Guerre mondiale. Mais en posant cette question, çon de procéder débouche généralement sur de nou-
Truman comprit immédiatement que les affaires velles priorités.
étrangères étaient une priorité absolue. Il organisa Pour le mentionner une nouvelle fois, le P-DG le
alors ses journées de travail de sorte qu’elles com- plus célèbre des Etats-Unis, Jack Welch, se deman-
mençaient par des leçons de politique étrangère dait tous les cinq ans, si l’on en croit son autobiogra-
phie : « Qu’est-ce qui doit être fait maintenant ? » Et à
chaque fois, il trouvait une nouvelle priorité.
Un véritable manager ne Mais ce n’est pas tout. Welch se penchait égale-
si possible, sur une seule vantes. Il se demandait quelle tâche il était le plus à
même d’entreprendre lui-même parmi les deux ou
directement à la suivante.
être capables de parfaitement mener à bien. Ils sont
conscients que les entreprises sont performantes si
la haute direction est performante – et qu’elles ne
peuvent pas l’être dans le cas contraire.
dispensées par le secrétaire d’Etat et le secrétaire de La deuxième pratique des managers efficaces
la Défense. Il devint ainsi le président le plus efficace – tout aussi importante que la première – est de se
que les Etats-Unis aient jamais connu en matière demander : « Est-ce la bonne chose à faire pour l’en-
d’affaires étrangères. Il a réussi à contenir l’expan- treprise ? » Ils ne se demandent pas si cela est béné-
sion du communisme aussi bien en Europe qu’en fique pour les propriétaires, le cours de l’action, les
Asie et à générer 50 ans de croissance économique employés ou les managers. Bien entendu, ils savent
mondiale grâce au plan Marshall. que les actionnaires, employés et managers sont
De façon similaire, Jack Welch a pris conscience d’importants constituants qui doivent soutenir une
que ce qui devait être fait chez General Electric décision, ou tout au moins y consentir, pour que
lorsqu’il est devenu P-DG n’était pas le développe- celle-ci soit efficace. Ils savent que le cours de l’ac-
ment à l’étranger qu’il souhaitait lancer. Il s’agissait tion est essentiel non seulement pour les action-
plutôt de se débarrasser de certaines des activités de naires mais aussi pour l’entreprise, puisque le ratio
GE qui, malgré leur rentabilité, ne pouvaient pas de- cours sur bénéfices détermine le coût du capital.
venir numéro un ou deux de leur secteur d’activité. Mais ils savent aussi qu’en fin de compte une déci-
La réponse à la question « Qu’est-ce qui doit être sion qui n’est pas bénéfique pour l’entreprise ne le
fait ? » comprend presque toujours plus d’une tâche sera pas non plus pour les autres parties prenantes.
attentes. Les managers efficaces prévoient habituel- visant à réexaminer le plan au fur et à mesure des évé-
lement deux contrôles de ce type dans leurs plans nements, il n’a aucun moyen de distinguer ceux qui
d’action. Le premier s’effectue au milieu de la pé- importent et ceux qui ne sont que du bruit.
riode prévue ; par exemple au bout de neuf mois. Le
second a lieu à l’échéance du plan d’action et avant Agissez
l’élaboration du suivant. Lorsqu’ils transforment leurs plans en action, les
Enfin, le plan d’action doit servir de base pour la managers doivent prêter une attention particulière à
gestion du temps du manager. Le temps est la res- la prise de décision, à la communication, aux oppor-
source la plus rare et la plus précieuse de tout ma- tunités (par opposition aux problèmes) et aux réu-
nager. Et les organisations – qu’il s’agisse d’agences nions. Je reprendrai chacun de ces points un par un.
gouvernementales, d’entreprises ou d’organismes à Assumez la responsabilité des décisions.
but non lucratif – sont enclines par nature à gaspil- Aucune décision n’a été prise tant que les gens n’ont
ler du temps. Le plan d’action ne sera d’aucune uti- pas été informés :
lité s’il ne permet pas de définir la gestion du temps • du nom du responsable de sa réalisation ;
du manager. • de la date limite ;
Napoléon aurait déclaré que jamais une victoire • des noms des personnes qui seront affectées
n’avait suivi un plan. Cela étant, il planifiait toutes les par la décision et qui doivent par conséquent
batailles qu’il menait, et de façon bien plus méticu- la connaître, la comprendre et l’approuver
leuse que tout autre général ne l’avait fait auparavant. – ou au moins à laquelle elles ne sont pas
Sans plan d’action, les managers deviennent prison- fermement opposées ;
niers des événements. Et en l’absence de contrôles • des noms des personnes qui doivent être
informées de la décision, même si celle-ci
ne les affecte pas directement.
Un nombre colossal de décisions organisation-
Les managers intelligents nelles se heurte à des difficultés parce qu’elles ne res-
pas hors de leurs domaines ché japonais, alors en croissance rapide, car son en-
treprise, après avoir conclu un accord de coentreprise
de compétences. Ils délèguent. avec un partenaire japonais, n’a jamais explicité clai-
rement qui devait informer les acheteurs que la docu-
Le manager « génie universel » mentation du partenaire était définie en mètres et en
Pensez et dites « nous » par les véritables managers, les «effective execu-
La dernière pratique est la suivante : ne pensez pas tives». Je vais vous en confier une dernière, en bonus.
ou ne dites pas « je ». Pensez et dites « nous ». Les Son importance est telle que je l’élève au rang de
véritables managers ont conscience que la respon- règle : « Ecoutez d’abord, parlez en dernier. »
sabilité finale leur incombe, qu’elle ne peut être ni Les managers efficaces sont différents en termes
partagée, ni déléguée. Mais ils doivent leur autorité de personnalités, de forces, de faiblesses, de valeurs
uniquement à la confiance que l’organisation leur et de croyances. Leur seul point commun : ils
témoigne. Cela signifie qu’ils font passer les besoins prennent les mesures appropriées. Certains sont effi-
et les opportunités de l’organisation avant les leurs. caces de naissance. Mais la demande est bien trop
Cette règle peut paraître simple ; elle ne l’est pas, grande pour être satisfaite par un talent extraordi-
mais doit être strictement observée. naire. L’efficacité est une discipline. Et, comme toute
Nous venons d’examiner huit pratiques suivies discipline, elle peut être étudiée, et doit se mériter.
L'I D É E E N P R ATI Q U E
APPLIQUEZ HUIT RÈGLES DE BASE POUR DEVENIR UN VÉRITABLE MANAGER VRAIMENT EFFICACE
OBTENEZ LES INFORMATIONS DONT VOUS AVEZ BESOIN 5- Assumez la responsabilité de la communication.
1- Demandez-vous ce qui doit être fait. En ce qui concerne vos plans d’action, tenez compte
Lorsqu’il a pris ses fonctions de P-DG chez General Electric, Jack des suggestions de vos supérieurs, de vos subalternes et
Welch s’est posé cette question : « Qu’est-ce qui doit être fait ? » Il de vos pairs. Précisez clairement à chacun d’entre eux
s’est alors rendu compte qu’abandonner des activités de General les informations dont vous avez besoin pour accomplir
Electric ne pouvant se classer premières ou deuxièmes de leur le travail. Accordez la même attention aux besoins
secteur était essentiel – ce qui n’était pas le cas de l’expansion à de vos pairs et de vos supérieurs en termes d’information.
l’étranger qu’il voulait lancer. Une fois que vous avez conscience 6- Concentrez-vous sur les opportunités, pas sur
de ce qui doit être fait, identifiez les tâches pour lesquelles vous les problèmes.
êtes le plus doué, en vous concentrant sur une seule à la fois. C’est en exploitant des opportunités que l’on obtient des résultats,
Après avoir exécuté l’une d’entre elles, définissez et non en résolvant des problèmes. Identifiez tout changement
à nouveau les priorités en vous adaptant aux nouvelles réalités. interne et externe à votre organisation (nouvelles technologies,
2- Demandez-vous ce qui est bon pour l’entreprise.
produits innovants, nouvelles structures
Ne vous torturez pas l’esprit en vous demandant ce qui est mieux
de marché). Demandez-vous : « Comment peut-on exploiter
pour les propriétaires, les investisseurs, les employés ou les
ce changement pour qu’il profite à notre entreprise ? » Placez
clients. Finalement, les décisions qui sont bénéfiques pour votre
ensuite vos meilleurs éléments sur les meilleures opportunités.
entreprise le sont également pour toutes les parties prenantes.
GARANTISSEZ LA RESPONSABILITÉ
TRANSFORMEZ VOS CONNAISSANCES EN ACTION
À L’ÉCHELLE DE L’ENTREPRISE
3- Elaborez des plans d’action.
Construisez des plans précisant à la fois les résultats escomptés 7- Conduisez des réunions productives.
et les contraintes (la démarche est-elle légale et compatible Exprimez clairement le but de chaque réunion (faire une
avec la mission, les valeurs et la politique de l’entreprise ?). annonce ? Présenter un rapport ?). Mettez fin à la réunion
Incluez-y des points de contrôle et les conséquences sur votre dès que le but est atteint. Enchaînez avec de brèves
gestion du temps. Enfin, révisez vos plans pour examiner de communications résumant la discussion et énonçant
nouvelles opportunités. les nouvelles missions et leurs dates limites de réalisation.
4- Assumez la responsabilité des décisions. Le légendaire savoir-faire d’Alfred Sloan, P-DG de General
Assurez-vous que chaque décision spécifie qui est responsable Motors, en matière de suivi de réunions a permis à l’entreprise
de sa réalisation, quand elle doit être mise en œuvre, qui en de dominer l’industrie automobile dans les années 1950.
sera affecté, et qui doit en être informé. Revoyez régulièrement 8- Pensez et dites « nous », et non « je ».
les décisions, notamment celles concernant les embauches Votre autorité découle de la confiance que votre organisation
et les promotions. Vous pourrez ainsi corriger les mauvais choix vous accorde. Pour obtenir les meilleurs résultats, faites toujours
avant que ceux-ci ne causent de réels dégâts. passer les besoins et opportunités de l’entreprise avant les vôtres.
de missions de conseil auprès de dizaines tats. Même si de nombreux leaders que nous avons
étudiés et pris en exemple affichent bel et bien d’ex-
d’entreprises en Europe et aux Etats-Unis. cellents résultats financiers, nous avons centré nos
recherches sur les leaders qui excellent en inspirant
Invariablement, elle déclenche soudain les gens – en gagnant les cœurs, les âmes et les es-
prits. Cette aptitude n’est pas l’alpha et l’oméga dans
un silence stupéfait. On n’entend plus que la vie des affaires, mais tout dirigeant expérimenté
vous dira que c’est déjà beaucoup. De fait, il serait
des genoux qui tremblent. probablement impossible d’obtenir de très bons ré-
sultats sans elle.
Nos recherches sur le leadership ont débuté il y a
Les dirigeants ont de bonnes raisons d’avoir peur. une quarantaine d’années et se poursuivent depuis
Vous ne pouvez rien réaliser sans collaborateurs pour dans trois directions. Premièrement, en tant qu’uni-
vous suivre, or les suiveurs sont difficiles à trouver versitaires, nous avons écumé les principales théo-
en cette époque d’« autonomisation » (« empower- ries pour développer notre propre modèle opération-
ment »). Les cadres supérieurs ont donc tout intérêt nel du leadership efficace (pour en savoir plus sur
à savoir de quoi ils ont besoin pour diriger efficace- l’histoire des idées sur le leadership, voir l’encadré
ment – ils doivent trouver comment impliquer les « Leadership : petite histoire d’un grand sujet »). Deu-
gens et les mobiliser au service des buts de l’entre- xièmement, en tant que consultants, nous avons
prise. Mais la plupart d’entre eux ne savent pas quoi testé notre théorie auprès de milliers de dirigeants au
faire, et qui pourrait le leur reprocher ? Les préconi- cours d’ateliers organisés dans le monde entier et par
sations sont simplement trop nombreuses. Pour la le biais d’observations auprès de dizaines de clients.
seule année 1999, par exemple, plus de 2 000 livres Troisièmement, en tant que dirigeants nous-mêmes,
sur le leadership ont été publiés, y compris des ou- nous avons introduit nos théories dans nos propres
vrages qui font de Moïse et Shakespeare des gourous organisations.
du leadership.
Personne n’a encore dit toute la vérité sur le lea- Révélez vos faiblesses
dership. Certes, chacun convient qu’il faut aux lea- Les leaders qui révèlent leurs faiblesses montrent qui
ders une vision, de l’énergie, de l’autorité et une ils sont – avec leurs imperfections. Ils peuvent par
orientation stratégique. Cela va sans dire. Mais nous exemple admettre qu’ils sont irritables le lundi ma-
avons découvert que les leaders inspirants ont aussi tin, qu’ils sont plus ou moins désorganisés ou même
en commun quatre qualités inattendues : qu’ils sont assez timides. Ces aveux fonctionnent
• Ils affichent sélectivement leurs faiblesses. parce que, avant de s’engager volontairement dans
En exposant une certaine vulnérabilité, ils cet effort, les gens ont besoin de voir que les diri-
montrent qu’ils sont accessibles et humains. geants reconnaissent avoir certains défauts. Exposer
• Ils s’appuient fortement sur leur intuition une faiblesse instaure la confiance et facilite ainsi
pour choisir le moment et les modalités de l’adhésion du personnel. D’ailleurs, si les dirigeants
leurs actes. Leur capacité à recueillir et tentaient de se présenter comme parfaits en tout, à
interpréter des observations psychologiques les quoi bon les aider en quoi que ce soit ? Ils n’auraient
aide à savoir exactement quand et comment agir. nul besoin de suiveurs. Ils montreraient qu’ils sont
• Ils dirigent les salariés grâce à ce que nous capables de se débrouiller eux-mêmes.
Afficher une faiblesse n’a pas seulement pour délibérément en pâture au public un sujet de conver-
effet d’instaurer la confiance et de créer une atmos- sation, sachant fort bien que, à défaut, les journaux
phère de collaboration, cela renforce aussi la solida- inventeraient quelque chose d’encore pire. La prin-
rité entre suiveurs et dirigeants. Prenons l’exemple cesse Diana a peut-être révélé au public ses troubles
d’un cadre dirigeant de notre connaissance, dans un de l’alimentation, mais elle est morte avec une répu-
cabinet international de conseil en management. tation intacte et même renforcée.
Affligé d’un tremblement sévère dû à un problème Cela dit, les dirigeants les plus efficaces savent que
de santé, il a néanmoins accepté de prononcer une l’aveu d’une faiblesse exige de la prudence. Ils recon-
importante conférence. Cet affichage courageux naissent des faiblesses sélectives. Savoir quelle défi-
d’une faiblesse lui a valu une standing ovation de la cience révéler est un art très subtil. La règle d’or est
part d’un auditoire d’ordinaire très critique. Pronon- de ne jamais afficher une faiblesse qui serait considé-
cer cette conférence revenait à admettre : « Je suis rée comme un vice rédhibitoire – c’est-à-dire un dé-
comme vous imparfait. » Laisser voir une imperfec- faut qui compromettrait des aspects essentiels de
tion est efficace car cela souligne l’authenticité d’un votre fonction professionnelle. Imaginez le nouveau
être humain. Richard Branson, fondateur de Virgin, directeur financier d’un grand groupe. Il ne peut pas
est un homme d’affaires brillant et un héros national confesser soudain qu’il n’a jamais compris ce qu’est
au Royaume-Uni (la marque Virgin est si liée à sa per- un flux de trésorerie actualisé. Un leader ne devrait
sonne que sa succession pose d’ailleurs un sérieux révéler qu’un défaut marginal, ou peut-être même
problème). Il fait connaître sa vulnérabilité avec une plusieurs. Paradoxalement, cet aveu l’aidera à dé-
efficacité indéniable. Il se sent mal à l’aise et se re- tourner l’attention de faiblesses majeures.
prend sans cesse quand on l’interroge en public. Une autre stratégie bien connue consiste à choisir
C’est une faiblesse, mais c’est Richard Branson. Tel une faiblesse susceptible d’être considérée à certains
est bien le but de la révélation d’une faiblesse : mon- égards comme une force, se dire boulimique de tra-
trer à vos suiveurs que vous êtes authentique et ac- vail par exemple. Si des leaders révèlent ces défauts
cessible – humain… et plein d’humanité. limités, le public n’en verra pas grand-chose et cela ne
Exposer une faiblesse présente également l’avan- causera pas beaucoup de tort. Mais une mise en garde
tage d’offrir au leader une protection précieuse. La s’impose : si la vulnérabilité du leader n’est pas per-
nature humaine étant ce qu’elle est, si vous ne mon- çue comme authentique, il n’y gagnera le soutien de
trez pas quelque faille, les observateurs risquent de personne. Au contraire, il s’exposera aux moqueries
vous en inventer une. Célébrités et hommes poli- et au mépris. Lors de nos recherches, nous avons
tiques le savent depuis toujours. Souvent, ils jettent maintes fois assisté à un scénario dans lequel un
P-DG feint l’étourderie pour dissimuler des absurdi- place une solution, il réfléchissait à la manière de ne
tés, voire une malhonnêteté. C’est un bon moyen pas informer tout de suite le P-DG basé à Paris quand
pour se mettre à dos ses suiveurs ; ils se rappelleront le téléphone a sonné. C’était le P-DG. « Dis-moi Ro-
très bien ce qui s’est passé ou ce qui a été dit. berto, que diable se passe-t-il à Milan ? » lui a-t-il de-
mandé. Il savait déjà que quelque chose clochait.
Devenez un détecteur Comment ? Il avait ses réseaux, bien sûr. Mais pour
Les leaders inspirants comptent fermement sur leur une grande part, il était doué pour détecter des infor-
instinct pour savoir quand révéler une faiblesse ou mations qui ne lui étaient pas destinées. Il savait in-
une différence. Nous disons qu’ils sont de bons terpréter les silences et détecter des signaux non
verbaux au sein de l’organisation.
Les leaders inspirants comptent Comme il se doit, les chefs d’entreprise les plus
remarquables avec lesquels nous ayons travaillé sont
fermement sur leur instinct tous des détecteurs très subtils. Ray van Schaik, pré-
sident de Heineken au début des années 1990, en est
pour savoir quand révéler une un bon exemple. Le génie de cet homme mesuré et
raffiné réside dans sa capacité à déchiffrer les si-
faiblesse : ils savent recueillir gnaux reçus de ses collègues et de Freddie Heineken,
O
n parle de leadership depuis particulière : la bureaucratie. Les bureaucra- Ce style démocratique « copain-copain »
l’époque de Platon. Mais dans ties, disait-il, effraient non parce qu’elles a été enseigné à des milliers de dirigeants
les organisations du monde sont inefficaces mais parce qu’elles sont américains au cours de séminaires de
entier, des conglomérats efficaces et capables de déshumaniser les formation. La théorie n’avait qu’un inconvé-
anciens aux start-up de la gens. Les romans sombres de Franz Kafka nient. Elle exprimait en fait l’esprit de
nouvelle économie, la même plainte se fait illustrent crûment leurs effets débilitants. l’Amérique de Franklin D. Roosevelt : ouverte,
entendre : nous n’avons pas assez de Encore plus glaçant est ce témoignage de démocratique et méritocratique. Aussi,
leadership. Pourquoi le leadership nous l’un des lieutenants de Hitler, Adolf Eich- quand le maccarthysme et la guerre froide
obsède-t-il à ce point ? La question mérite mann : « Je n’étais qu’un bon bureaucrate. » ont remplacé le New Deal, un style complè-
d’être posée. Weber croyait que la seule force capable de tement nouveau a été requis. Soudain, tout
Une réponse possible tient à la crise de foi résister à la bureaucratisation était le le monde a été incité à se comporter en
ressentie par le monde moderne et qui puise leadership charismatique. Mais le bilan de combattant de la guerre froide ! Le pauvre
ses racines dans la révolution rationaliste du celui-ci au XXe siècle s’avère très mitigé. dirigeant n’y comprenait plus rien.
XVIIIe siècle. Au siècle des Lumières, des Même si des leaders inspirants et transfor- Les idées plus récentes sur le leadership
philosophes comme Voltaire ont affirmé mationnels se sont révélés en temps de sont dominées par la théorie de la contin-
qu’on pouvait maîtriser son destin en faisant guerre, des leaders charismatiques comme gence, selon laquelle le leadership dépend
appel à la raison seule. L’histoire du monde a Hitler, Staline ou Mao Tsé-toung ont commis de la situation. C’est foncièrement vrai,
ainsi pris un tournant incroyablement d’épouvantables atrocités. mais puisque les contingences sont infinies,
optimiste. Au XIXe siècle, deux croyances Au XXe siècle, on a beaucoup douté du
les variétés du leadership le sont aussi.
sont nées de cette idée rationaliste : la foi pouvoir de la raison et de l’aptitude de
Une fois encore, le dirigeant aux abois qui
dans le progrès et la foi dans la perfectibilité l’homme à progresser sans cesse. C’est
recherche un modèle pour l’aider se sent
de l’homme. Il en est résulté une vision du pourquoi le concept de leadership a
irrémédiablement perdu.
monde encore plus radieuse qu’auparavant. commencé à susciter un intérêt intense,
Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle, avec les pour des raisons à la fois pragmatiques et Pour les besoins de cet article, nous avons
écrits de Sigmund Freud puis de Max Weber, philosophiques. Les premières recherches puisé dans toutes les théories du leadership
que des failles sont apparues dans la sérieuses ont commencé au cours des afin de parvenir aux quatre qualités
cuirasse. Ces deux penseurs ont détruit la foi années 1920. La première théorie du essentielles du leadership. Comme Max
de l’homme occidental dans la raison et le leadership – la théorie des traits – a tenté de Weber, nous considérons que le leadership
progrès. La quête de leadership actuelle en décrire les caractéristiques communes des est avant tout antibureaucratique et
est une conséquence directe. leaders efficaces. Des leaders ont été pesés, charismatique. De la théorie des traits, nous
Fondateur de la psychanalyse, Freud a mesurés et soumis à une batterie de tests avons retenu les qualités des faiblesses et
théorisé que sous la surface de l’esprit psychologiques. Mais personne n’a pu des différences. Mais contrairement à la
rationnel réside l’inconscient. Ce dernier, déterminer ce que les leaders efficaces théorie des traits originale, nous ne croyons
a-t-il supposé, est responsable d’une bonne avaient en commun. La théorie des traits n’a pas que tous les leaders présentent les
partie du comportement humain. Weber, pas tardé à passer de faveur après que des mêmes faiblesses ; nos recherches ont
principal critique de Marx et brillant études eurent conclu à grands frais que les seulement montré que tous les dirigeants
sociologue, a aussi exploré les limites de la leaders efficaces étaient soit plus grands exposent certains défauts. La « rude
raison. La force la plus destructrice à l’œuvre que la moyenne, soit moins grands. empathie » est issue de la théorie du style,
dans les institutions, selon lui, est ce qu’il a Dans les années 1940, surtout aux qui a étudié différents types de relations
appelé la rationalité technique – c’est-à-dire Etats-Unis, la théorie des traits a été entre leaders et suiveurs. Enfin, la théorie
la rationalité sans moralité. remplacée par la théorie des styles. Un style du contexte fixe le décor concernant la
Selon Weber, la rationalité technique est de leadership en particulier a été distingué nécessité de savoir quelles compétences
incarnée par une forme d’organisation comme ayant le plus grand potentiel. utiliser dans différentes circonstances.
Années 1940
ses pensées peuvent interférer avec la vérité. Imagi- doivent toujours être encadrées par une confronta-
nez une radio qui capte un certain nombre de si- tion avec le réel. Même le détecteur le plus doué doit
gnaux, dont beaucoup sont faibles et distordus. Sen- valider ses perceptions avec un conseiller de
tir une situation revient au même : à cause du bruit confiance ou l’un de ses proches collaborateurs.
de fond, vous ne pouvez pas toujours être certain de
ce que vous entendez. Le salarié qui voit son patron Travaillez la « rude empathie »
distrait et qui en conclut qu’il va être limogé est un De nos jours, hélas, il y a beaucoup trop d’exagéra-
exemple classique. La plupart des qualités se tion autour de l’idée que les leaders doivent montrer
trouvent avivées par le danger, mais en particulier au qu’ils se soucient de leur équipe. Rien n’est pire que
moment où l’on sent une situation. Chez un leader, de voir un manager manifester sa « bienveillance »
une telle sursensibilité peut mener droit à la catas- envers les autres en revenant du dernier séminaire
trophe. C’est pourquoi les capacités de détecteur de formation aux relations avec le personnel. Les
condition préalable du leadership, mais on montrera ses cheveux longs et à ses cravates voyantes. Mais il
qu’on ne se borne pas à jouer un rôle. Les gens ne se savait très habilement marquer des différences qu’il
dévouent pas pour des dirigeants qui se contentent exploitait pour montrer qu’il était audacieux,
de satisfaire aux obligations de leur poste. Ils en entreprenant et exceptionnel – qu’il était John
veulent plus. Ils veulent quelqu’un qui se soucie pas- Harvey-Jones.
sionnément des gens et du travail – tout comme eux. D’autres ne sont pas aussi conscients de leurs
différences mais les utilisent quand même très effi-
Osez être différent cacement. Richard Surface, par exemple, ancien
Une autre qualité des leaders inspirants est qu’ils directeur général adjoint de l’assureur britannique
capitalisent sur ce qu’il y a d’unique en eux. En fait, Pearl Insurance, arpentait sans cesse ses locaux et
savoir tirer le meilleur parti de ces différences est la dépassait les gens, faisant de son rythme un moyen
qualité la plus importante des quatre énumérées plus de connoter l’urgence. D’autres dirigeants encore
haut. Les leaders les plus efficaces utilisent délibéré- ont la chance que leurs différences soient signalées
ment leurs différences pour marquer une distance pour leur compte par des collègues. Comme l’ex-
sociale. Tout en attirant des suiveurs auprès d’eux, plique Greg Dyke : « Mon épouse me dit : ‘‘Tu fais
les leaders inspirants font sentir qu’ils sont à part. d’instinct des choses que tu ne comprends pas. Ce
Souvent, ils signalent leurs différences par un qui m’inquiète, c’est qu’une fois que tu compren-
style vestimentaire ou une apparence physique bien dras, tu risques de ne plus y arriver !’’ » De fait, il est
reconnaissable, mais la plupart du temps ils pré- apparu lors de nos entretiens que la plupart des diri-
fèrent se distinguer par des qualités comme l’imagi- geants ne sont pas conscients de leurs différences
nation, la loyauté, la compétence, ou même par leur au début mais en viennent à les connaître – et les
façon de serrer la main. Tout peut faire différence, utiliser – plus efficacement à la longue. Franz
mais il est important de le faire savoir. La plupart des Humer, chez Roche, par exemple, a compris qu’il
gens hésitent pourtant à communiquer ce qu’il y a utilisait ses émotions pour susciter des réactions
d’exceptionnel en eux et il leur faut parfois des chez les autres.
La plupart des différences que nous avons dé-
Les leaders les plus efficaces crites sont celles qui tendent à être apparentes, soit
pour le leader lui-même, soit pour les collègues qui
utilisent délibérément leurs l’entourent. Mais des différences plus subtiles sont
susceptibles de produire néanmoins des effets très
différences pour marquer puissants. David Prosser, par exemple, qui a été
P-DG de Legal and General, l’une des plus grandes
une distance sociale. Ils font compagnies d’assurances européennes, n’est ni un
sentir qu’ils sont à part. homme du sérail, ni le produit policé d’une grande
ville. Il est originaire d’une région industrielle, le
sud du pays de Galles. Et bien que généralement
abordable, il a un côté dur, qu’il utilise avec discré-
années pour prendre pleinement conscience de ce tion mais de manière très efficace. Au cours d’une
qui les distingue. C’est un sérieux inconvénient dans réception, un directeur des ventes exalté proclamait
un monde où le réseautage est fondamental et où les à quel point la compagnie était bonne dans les
équipes doivent se former d’un jour à l’autre. ventes croisées de produits. Prosser est intervenu à
Certains leaders savent exactement comment voix basse : « Nous sommes bons, peut-être, mais
tirer parti de leurs différences. Prenez sir John nous ne sommes pas assez bons. » Un frisson par-
Harvey-Jones (1924-2008), ancien directeur général courut la pièce. Que voulait dire Prosser ? Ne vous
d’ICI – autrefois plus grande entreprise industrielle dites pas que nous y sommes et que vous pouvez
du Royaume-Uni. Quand il a publié son autobiogra- vous détendre ! Le leader, c’est moi, et c’est moi qui
phie, un journal britannique l’a chroniqué en y le dis. Ne l’oubliez pas. Prosser utilisait ce même res-
associant une caricature. On y voyait une mous- sort auprès de l’équipe dirigeante, avec de bons ré-
tache, des cheveux noirs et une grosse cravate. Le sultats – afin de maintenir tout le monde en alerte.
dessin était en noir et blanc, mais tout le monde a Les leaders inspirants utilisent ce qui les dis-
compris de qui il s’agissait. Bien entendu, John tingue pour inciter les autres à faire mieux. Ce n’est
Harvey-Jones n’est pas arrivé à la tête d’ICI grâce à pas qu’il y ait du Machiavel en eux, mais ils savent
Le leadership en action
Les quatre qualités décrites ici sont toutes néces-
saires à un leadership inspirant mais ne peuvent être
utilisées mécaniquement. Elles doivent devenir ou
être déjà une partie de la personnalité du dirigeant.
Les femmes leaders peuvent-elles
C’est pourquoi les « livres de cuisine » du manage- rester elles-mêmes ?
ment – ces ouvrages qui préconisent d’imiter Lee Les différences de sexe peuvent être mais le problème est que cela réduit
Iacocca ou Bill Gates – échouent souvent dans leur utilisées dans un sens positif ou leurs chances d’être considérées
mission. Personne ne peut se contenter de singer un négatif. Les femmes, en particulier, se comme des leaders potentiels.
autre dirigeant. Le défi à relever pour les aspirants voient souvent appliquer des stéréo- Elles ne font pas valoir leur vraie
leaders est donc d’être eux-mêmes, en mieux. Vous
types de genre – quoique différents de personnalité et leurs différences.
ceux qu’elles choisiraient elles-mêmes. Une autre réaction aux stéréotypes
pouvez y arriver en devenant de plus en plus
Cela tient en partie au fait qu’elles sont négatifs consiste à s’y opposer
conscient des quatre qualités du leadership décrites moins nombreuses que les hommes collectivement – par exemple en
ici et en les maniant de façon à trouver un style per- parmi les cadres. Selon des recherches organisant une campagne pour faire
sonnel qui vous convienne. Rappelez-vous qu’il en psychologie sociale, un groupe dont valoir les droits, les opportunités
n’existe pas de formule universelle et que celle qui la représentation tombe au-dessous et même le nombre des femmes
convient varie d’un contexte à l’autre. De plus, les de 20 % dans une société donnée au travail. Mais, au jour le jour,
résultats sont souvent subtils, comme le montre fera l’objet de stéréotypes, que cela les femmes n’ont souvent que le temps
l’histoire suivante, qui met en scène sir Richard lui plaise ou non. Pour les femmes,
nécessaire pour survivre, de sorte
cela peut signifier être étiquetée
Sykes, illustre P-DG de Glaxo Wellcome, l’un des plus qu’il leur est impossible de s’organiser
comme « auxiliaire », « nurse » ou
grands laboratoires pharmaceutiques du monde. formellement.
« séductrice », qualificatifs qui risquent
A l’époque où il dirigeait la R&D chez Glaxo, de les empêcher de définir leurs Troisième réaction révélée par nos
Sykes a fait une présentation de fin d’année devant propres différences. recherches : l’utilisation des stéréo-
les principaux chercheurs de la société. A la fin de Lors de recherches que nous avons types par les femmes à leur avantage.
son exposé, l’un d’eux l’a interrogé sur l’une des menées, nous avons découvert que Certaines d’entre elles, par exemple,
beaucoup de femmes – en particulier jouent délibérément le rôle de « nurse »
nouvelles molécules de la société, et tous deux se
parmi les quinquagénaires – tentent au travail, mais elles y mettent tant
sont engagés dans un débat bref mais vif. L’échange
d’échapper à cette dynamique en d’énergie et d’habileté qu’elles
de questions et de réponses avec la salle s’est pour-
disparaissant. Elles essaient de se parviennent à en tirer un avantage.
suivi pendant encore une vingtaine de minutes, L’inconvénient d’une telle stratégie ?
rendre invisibles. Elles portent des
puis le chercheur a remis le sujet sur le tapis. « Doc- vêtements qui cachent leur corps, elles Elle renforce des stéréotypes nocifs
teur Sykes, a-t-il commencé d’une voix forte, vous cherchent à s’aligner sur les hommes et perpétue les difficultés des autres
n’avez toujours pas compris la structure de la nou- en parlant fort. C’est assurément un femmes à faire valoir leurs véritables
velle molécule. » Sykes en a été visiblement agacé. moyen d’éviter un stéréotypage négatif, différences.
À PROPOS
Rejoignant le fond de la pièce, il a manifesté son l’un des hommes d’affaires les plus accomplis du DES AUTEURS
humeur devant tout le gratin intellectuel de l’entre- Royaume-Uni, il ne s’est pas mué en un Anglais Au moment de la
prise. « D’accord, jeune homme, s’est-il écrié, voyons « standard ». Au contraire, il a conservé fièrement un rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
un peu vos notes ! » accent du Nord bien reconnaissable. Il ne manifeste les fonctions suivantes :
Le cas de Sykes fournit un schéma idéal pour pas non plus la réserve et le décorum typique des
évoquer les quatre qualités du leadership. Certains Britanniques : il irradie la passion. Comme d’autres Robert Goffee, professeur
auraient pu voir dans l’irritabilité du personnage vrais leaders, il agit et communique naturellement. de comportement
organisationnel à la LBS.
une faiblesse malencontreuse. Mais dans ce De fait, s’il fallait résumer cet exposé de fin d’année
Gareth Jones, directeur
contexte, son emportement démontrait son pro- chez Glaxo Wellcome, nous dirions que Sykes a été des ressources humaines
fond intérêt pour le débat scientifique fondamental lui-même – avec beaucoup d’habileté. et de la communication
– l’une des valeurs de l’entreprise. C’est pourquoi, interne de la BBC et
ancien professeur de
en se laissant aller à la colère, il a consolidé en fait Eclaircir le mystère développement des
sa crédibilité de dirigeant. Il a montré aussi qu’il Tant qu’il y aura des entreprises, on continuera à dis- organisations. Ils sont
associés-fondateurs du
était un très bon détecteur. S’il avait explosé plus séquer les ingrédients du vrai leadership. Et il y aura cabinet de conseil
tôt au cours de la réunion, il aurait étouffé le débat. toujours autant de théories que de questions. Mais organisationnel Creative
Management Associates,
En revanche, sa colère a été perçue comme une dé- parmi toutes les facettes du leadership qu’on peut
à Londres. Robert Goffee
fense de la foi. L’anecdote révèle aussi l’aptitude de étudier, rares sont celles qui sont aussi difficiles à est aujourd’hui professeur
Sykes à s’identifier à ses collègues et à leur travail. comprendre que la manière de former des leaders. émérite, et Gareth Jones
n’est plus à la BBC. Tous
En discutant avec le chercheur comme avec un col- Les quatre qualités du leadership sont une première deux ont publié « Why
lègue savant, il a réussi à créer un lien d’empathie étape indispensable. Prises ensemble, elles pres- Should Anyone Be Led by
You » (HBR Press) en 2006 .
avec son auditoire. Il était réellement bienveillant, crivent aux dirigeants d’être authentiques. Comme
mais sa bienveillance relevait clairement de la rude nous le conseillons à ceux que nous coachons : La version originale de cet
article est parue dans la
empathie. Enfin, l’histoire montre la propension de « Soyez vous-même – davantage – avec habileté. » version américaine de HBR
Sykes à montrer ses différences. Il avait beau être Nul conseil ne pourrait être plus difficile à suivre. en septembre-octobre 2000.
L'I D É E E N P R ATI Q U E
MEILLEUR
CABINET
DE CONSEIL
ET D’AUDIT
2017
Capital
capital.fr
DIRIGER, C’EST
DIALOGUER
Comment améliorer
l’engagement et la
mobilisation des salariés
dans des entreprises
aujourd’hui moins
hiérarchisées et davantage
organisées en réseau.
Par Boris Groysberg et Michael Slind.
Illustrations: Anne-Gaëlle Amiot
« corporate » et plus décontracté. Il ne s’agit plus terme : ils voulaient qu’ils soient entièrement inves-
d’émettre et de recevoir des ordres, mais de poser tis dans l’activité.
des questions et d’y répondre. L’intimité conversa- Savoir écouter. Les dirigeants qui s’engagent sé-
tionnelle peut se manifester de diverses manières, rieusement dans le dialogue organisationnel savent
notamment en gagnant la confiance de l’autre, en quand ils doivent cesser de parler et commencer à
sachant écouter et en payant de sa personne. écouter. Peu de comportements améliorent autant
Gagner la confiance. En l’absence de confiance, il l’intimité conversationnelle que l’attention que l’on
ne peut y avoir d’intimité. Dans la pratique, l’inverse porte à ce qui est dit. Etre réellement attentif est
est également vrai. Personne ne se lancera dans un signe de respect à l’égard de chacun, quels que soient
échange sincère de points de vue avec quelqu’un qui son rang et son rôle, d’un sens de la curiosité et
semble avoir une intention cachée ou faire preuve même d’un certain degré d’humilité.
d’hostilité ; une discussion entre deux personnes ne Lorsqu’il était à la tête de Cinergy (par la suite ra-
peut être gratifiante et importante que dans la me- chetée par Duke Energy, dont il a été le P-DG jusqu’en
sure où chacun peut se fier à l’autre. 2013), James E. Rogers avait mis en place ce qu’il
Mais la confiance n’est pas facile à obtenir. Dans appelait des « réunions d’écoute ». Il invitait des
les entreprises, il est devenu très difficile pour les groupes de 90 à 100 managers à se réunir durant trois
employés de se fier aux dirigeants ; ce n’est qu’en heures afin d’évoquer les problèmes urgents. Ces dis-
étant authentiques et directs que ces derniers ob- cussions lui ont permis de glaner des informations
tiendront leur confiance. Pour cela, il leur faudra qui auraient pu autrement échapper à son attention.
peut-être aborder des sujets pouvant sembler « ta- Un jour, par exemple, il a entendu un groupe de su-
bous », par exemple le partage des données finan- perviseurs évoquer un problème d’inégalités sala-
cières sensibles. riales. « Savez-vous combien de temps il aurait fallu
L’entreprise américaine Athenahealth, spéciali- pour que cette question remonte la hiérarchie de
sée dans la gestion de dossiers médicaux, va jusqu’à l’entreprise ? », leur a-t-il demandé. Grâce aux remon-
considérer chacun de ses employés comme un « ini- tées émanant directement des personnes concernées
tié », au sens juridique du terme, c’est-à-dire comme par ce problème, il a pu demander au département
un salarié à qui l’on a confié des informations stra- des ressources humaines de se mettre immédiate-
tégiques et financières susceptibles d’influencer ment à la recherche d’une solution.
considérablement les perspectives commerciales Payer de sa personne. Rogers a non seulement in-
de l’entreprise, et donc son cours en Bourse – un sta- vité ses collaborateurs à exprimer leurs préoccupa-
tut généralement accordé aux seuls hauts dirigeants. tions concernant la société, mais il a également solli-
Lorsque Athenahealth a pris la décision risquée de cité leurs avis quant à sa propre performance. Lors
dévoiler sa comptabilité à tous ses salariés, cela a d’une séance, il a demandé aux salariés de lui attri-
déclenché à la fois l’opposition de ses assureurs et la buer une note anonyme allant de A à F. Les résultats,
méfiance de la Commission américaine des opéra- immédiatement affichés sur un grand écran à la vue
tions de Bourse (SEC). Mais les dirigeants de la firme de tous, étaient globalement favorables, mais il est
souhaitaient que leurs employés deviennent des apparu que moins de la moitié des salariés étaient
« initiés » au-delà du seul sens réglementaire du prêts à lui attribuer un A. Rogers a pris la chose au
sérieux et a décidé de répéter cet exercice de manière du sens aux valeurs de l’entreprise. En règle géné-
régulière. Il s’est également mis à poser des ques- rale, les « missions », « visions » et autres déclarations
tions ouvertes sur sa performance. Ironie de l’his- d’intention ne contribuent pas vraiment à instaurer
toire, il a découvert que la « communication interne » l’intimité ; au contraire, elles sont considérées par les
était précisément selon ses salariés le domaine dans employés comme de belles paroles. La firme améri-
lequel il disposait de la plus grande marge de pro- caine a donc tenté une expérience dans sa commu-
gression. Alors même qu’il cherchait à se rapprocher nication sur la diversité, l’une de ses valeurs essen-
d’eux par le biais du dialogue organisationnel, un tielles. Elle a réalisé de petits clips vidéo (sans
employé sur cinq estimait qu’il pouvait mieux faire chichis, sans prétention, sans objectif esthétique)
sur ce plan. L’écoute véritable suppose d’entendre le dans lesquels les hauts dirigeants partageaient de
bon comme le mauvais, d’accueillir la critique, manière très personnelle et spontanée leur point de
même si elle est directe et personnelle, même vue sur la diversité. Ils y parlaient de diversité eth-
lorsqu’elle émane de vos subordonnés. nique, d’orientation sexuelle et d’autres questions
Chez Exelon, un fournisseur d’énergie basé à rarement abordées dans une entreprise. Ian McLean,
Chicago, une forme très personnelle de dialogue or- alors directeur financier chez Exelon, a évoqué son
ganisationnel a émergé d’un projet visant à donner enfance dans une famille ouvrière de Manchester
(Royaume-Uni) et comment il avait été confronté au
mépris en raison de sa classe sociale. Lorsqu’on lui a
demandé de mentionner un moment où il s’était
senti « différent », il a raconté avoir travaillé dans une
banque où la plupart de ses collègues provenaient
Les nouvelles réalités de la de milieux aisés : « J’avais un accent différent… Je
L’intentionnalité du
confiance. Malgré la nature intrinsèquement uni-
directionnelle d’un blog vidéo, Chambers et son
dialogue exige
équipe l’ont rendu interactif en invitant les salariés à
répondre par message vidéo ou par écrit.
transmettent des
vorise l’égalité des chances. Il permet aux partici-
pants de s’approprier le contenu des discussions : ils
peuvent y apporter leurs propres idées et, de fait, s’y
en les affirmant,
tion du contenu qui constitue l’histoire de l’entre-
prise. En considérant leurs salariés comme des
communicants officiels ou quasi officiels de l’entre-
bien sûr, mais surtout prise, les dirigeants inclusifs en font des partenaires
à part entière : ils relèvent le niveau d’engagement
culturels et technologiques s’en sont déjà chargés. celles qui sont soumises au débat. L’intentionnalité
Que vous le vouliez ou non, n’importe qui peut ter du dialogue exige que les dirigeants communiquent
nir (ou embellir) la réputation de votre entreprise des éléments de stratégie aux salariés, sans se
depuis son bureau, simplement en envoyant un do contenter de les énoncer mais en les expliquant,
cument interne à un journaliste, un blogueur ou c’estàdire en obtenant leur consentement plutôt
même un groupe d’amis, ou en écrivant ce qu’il qu’en exigeant leur assentiment. Dans ce nouveau
pense sur un forum en ligne. modèle, les dirigeants présentent de manière ex
Les dirigeants « inclusifs » font donc de nécessité haustive et explicite la vision et la logique qui sous
vertu. Scott Huennekens, le P-DG de Volcano Cor tendent la prise de décision. Résultat : les employés à
poration, estime qu’une approche plus souple de la tous les niveaux de la hiérarchie savent où se situe
communication a rendu la vie dans l’entreprise leur entreprise dans son contexte concurrentiel. En
moins étouffante et plus productive qu’avant. clair, ils deviennent familiers des questions de stra
La libre circulation des informations libère les tégie d’entreprise.
esprits. Certaines entreprises essaient de fixer une Un moyen d’aider les salariés à comprendre la
ligne de conduite élémentaire. Chez Infosys, par stratégie de gouvernance d’une entreprise consiste à
exemple, les dirigeants ont conscience qu’ils ne les laisser prendre part à son élaboration. L’équipe de
peuvent contrôler ce que disent leurs employés sur direction d’Infosys en a fait le test. Fin 2009, au mo
les réseaux sociaux : ils acceptent donc que leurs ment de définir une stratégie organisationnelle pour
salariés soient en désaccord, mais ils leur de 2011, l’entreprise a convié des salariés de tous les ser
mandent de ne pas être désagréables. vices et de tous les échelons à mettre la main à la
De plus, assez souvent, les dirigeants s’aper pâte. En particulier, elle leur a demandé de sou
çoivent qu’un système d’autorégulation par les mettre des idées sur « les grandes tendances transfor
employés comble le vide laissé par le contrôle mationnelles qui touchent nos clients », explique
hiérarchique. Si quelqu’un émet un commentaire Kris Gopalakrishnan, cofondateur et coprésident
inacceptable, la communauté réagit et l’équilibre exécutif du géant indien. Sur la base de ces remon
est rétabli. tées, les planificateurs stratégiques ont dressé une
liste de 17 tendances, allant de la croissance des mar
Intentionnalité : chés émergents à l’importance grandissante du déve
poursuivre un programme loppement durable. Ils ont ensuite mis en place un
Un dialogue personnel, s’il est réellement riche et ensemble de forums en ligne sur lesquels les em
gratifiant, est ouvert mais pas vain. Les participants ployés pouvaient discuter des solutions client à pro
savent globalement ce qu’ils en attendent : se dis poser pour chaque tendance. La technologie et les
À PROPOS traire, convaincre, apprendre… En l’absence d’une réseaux sociaux ont permis d’assurer une participa
DES AUTEURS
Au moment de la telle intention, la conversation se poursuit sans but tion de la base jusqu’au sommet.
rédaction de cet article, ou finit dans une impasse. L’intention confère de En 2008, le groupe Kingfisher, troisième distribu
les auteurs occupaient l’ordre et du sens, même dans les conversations les teur de produits de bricolage au monde, a adopté
les fonctions suivantes :
plus informelles et les plus décousues. Ce principe une nouvelle stratégie visant à regrouper les di
Boris Groysberg est s’applique aussi au dialogue organisationnel. Avec le verses « business units » du groupe, historiquement
professeur en temps, les nombreuses voix qui contribuent au indépendantes, sous une seule entité, en s’appuyant
administration des
entreprises à la processus de communication au sein d’une entre notamment sur le dialogue organisationnel inten
Harvard Business School. prise doivent s’accorder sur le but de cette commu tionnel. Pour lancer le chantier, les dirigeants ont
Michael Slind est écrivain, nication. Autrement dit, le dialogue au sein d’une invité les responsables de la distribution à participer
journaliste et consultant
en communication. entreprise doit refléter un programme commun ali à un séminaire de trois jours à Barcelone. Le deu
gné sur ses objectifs stratégiques. xième jour, ils ont pris part à un atelier de 90 mi
Tous deux ont coécrit
« Talk, Inc. : L’intentionnalité diffère des trois autres éléments nutes reproduisant un bazar oriental. Trois groupes
How Trusted Leaders Use du dialogue organisationnel sur un point essentiel. ont été formés.
Conversation to Power
Their Organizations » Alors que l’intimité, l’interactivité et l’inclusion Les participants du premier groupe, celui des
(Harvard Business Review servent à ouvrir le flux des informations et des idées « vendeurs », ont revêtu un tablier et ont pris place
Press, 2012).
au sein d’une entreprise, l’intentionnalité apporte derrière l’un des vingtdeux étals pour faire l’article
La version originale une dimension de fermeture à ce processus : elle per d’une pratique commerciale développée par l’un de
de cet article a été publiée
en juin 2012 dans l’édition met aux dirigeants et aux employés de faire ressortir leurs collègues chez Kingfisher. Grosso modo, ils
américaine de HBR. les actions stratégiquement pertinentes parmi toutes vendaient des idées. Les participants du deuxième
L'I D É E E N P R ATI Q U E
VAUT-IL MIEUX ÊTRE AIMÉ OU CRAINT ? Nous remarquons bien sûr de nombreux autres
Nicolas Machiavel s’était penché sur cet éternel traits de caractère en chacun, mais ils sont loin d’avoir
dilemme il y a 500 ans et avait alors choisi de miser autant d’impact que la chaleur humaine et la force.
sur la prudence : « On peut répondre que l’idéal se- D’ailleurs, les observations relevant du domaine de la
rait d’être l’un et l’autre, avait-il reconnu, mais psychologie montrent qu’à elles seules ces deux di-
comme il est bien difficile que les deux coexistent, mensions représentent plus de 90% de la variabilité
il est bien plus sûr d’être craint que d’être aimé. » dans l’impression – positive ou négative – que nous
Aujourd’hui, les sciences du comportement ap- font les personnes qui nous entourent.
portent leur propre contribution en démontrant que Ainsi, vaut-il mieux être aimable ou fort ? Au-
Machiavel avait en partie raison : lorsque nous ju- jourd’hui, la plupart des leaders ont tendance à
geons les autres – en particulier ceux qui nous di- mettre en avant, dans leur environnement profes-
rigent – nous commençons par observer deux carac- sionnel, leur force, leurs compétences et leur par-
téristiques : à quel point ils sont aimables (la chaleur cours, mais c’est justement ce qu’il ne faut pas faire.
et l’ouverture d’esprit qu’ils dégagent, la confiance Les leaders qui projettent une telle image de force
qu’ils inspirent) et à quel point ils sont redoutables avant d’avoir établi des relations de confiance
(leur force, leur manière de fonctionner, leurs com- risquent d’inspirer de la peur, et avec elle la multitude
pétences). S’il existe certains désaccords concernant de comportements dysfonctionnels qui l’accom-
la manière de qualifier ces caractéristiques, les cher- pagnent. La peur peut dégrader le potentiel cognitif,
cheurs s’accordent en revanche sur le fait qu’il existe la créativité ou les capacités à résoudre les problèmes,
deux dimensions principales de jugement social. et se traduire par une apathie, voire un désengage-
Pourquoi ces caractéristiques sont-elles si im- ment, de la part des salariés. Il s’agit d’une émotion
portantes ? Parce qu’elles répondent à deux ques- « chaude », dont les effets perdurent. Contrairement
tions cruciales : « Quelles sont les intentions de cette aux émotions plus froides, elle marque notre mé-
personne à mon égard ? » et « Est-il, ou est-elle ca- moire au fer rouge. Les travaux de recherche de Jack
pable d’agir selon ces intentions ? » Combinées, ces Zenger et Joseph Folkman illustrent bien ce point :
estimations sous-tendent nos réactions émotion- dans une étude portant sur 51 836 dirigeants, seuls 27
nelles et comportementales vis-à-vis des autres, ont obtenu des scores les plaçant à la fois dans le
des groupes, et même des marques ou des entre- quartile inférieur en termes de capital sympathie et
prises. Les travaux de recherche menés par l’un des dans le quartile supérieur en termes d’efficacité géné-
coauteurs de cet article, Amy Cuddy, et par ses ho- rale de leur leadership – autrement dit, il y a environ
mologues Susan Fiske, de Princeton, et Peter Glick, une chance sur 2 000 qu’un manager très peu appré-
de l’université Lawrence, montrent que les per- cié soit considéré comme un bon leader.
sonnes jugées compétentes mais plutôt froides sus- De plus en plus de travaux de recherche semblent
citent souvent une certaine jalousie chez les autres, indiquer que la bonne manière d’avoir de l’influence
une émotion à double tranchant qui implique au- – et de diriger – est de commencer par faire preuve
tant de respect que d’animosité. Lorsqu’on respecte d’une certaine chaleur. Celle-ci devient un vecteur
une personne, on cherche à coopérer, à s’associer d’influence : elle facilite la confiance ainsi que
avec elle, tandis que le ressentiment que l’on l’échange et l’intégration des idées. Quelques signaux
éprouve à son égard peut l’exposer à de lourdes at- non verbaux – un hochement de tête, un sourire, un
taques (pensez à Dennis Kozlowski, P-DG de Tyco, geste d’ouverture – peuvent suffire à montrer aux
tombé en disgrâce et dont les frasques financières autres que l’on est heureux d’être en leur compagnie
illégales en ont fait un personnage public antipa- et attentif à leurs préoccupations. Donner la priorité
thique). D’un autre côté, les personnes que l’on es- à la chaleur humaine permet ainsi d’établir immédia-
time chaleureuses mais incompétentes tendent à tement un lien avec ceux qui vous entourent, en leur
inspirer de la pitié, ce qui implique encore une fois montrant que vous les entendez, que vous les com-
une émotion mixte : la compassion nous pousse à prenez, et que vous méritez leur confiance.
aider ceux dont nous avons pitié, mais notre
manque de respect nous mène au final à nous en Lorsque la force s’impose en premier
désintéresser (pensez à ces employés qui se La plupart d’entre nous travaillent dur pour démon-
trouvent marginalisés à l’approche de la retraite ou trer leur compétence. Nous voulons avoir une
à un salarié aux compétences dépassées dans un image forte de nous-même – et nous voulons que
secteur qui évolue rapidement). les autres nous voient ainsi. Nous nous appliquons
à éviter ce qui remettrait notre force en question et peu de chances qu’ils en soient convaincus dans
à fournir d’amples preuves de nos compétences. leur for intérieur – c’est-à-dire qu’ils adhèrent aux
Nous sentons un besoin irrésistible de montrer que valeurs, à la culture et à la mission de l’entreprise
nous sommes à la hauteur, en nous efforçant de de manière sincère et pérenne. Il règne souvent,
présenter les idées les plus novatrices lors de réu- dans les environnements de travail où la confiance
nions, en étant les premiers à nous attaquer à un est absente, une culture du « chacun pour soi »,
nouveau défi et en accumulant le plus grand dans laquelle les personnes ont le sentiment de
nombre d’heures de travail. Nous sommes sûrs de devoir rester vigilantes pour protéger leurs intérêts.
nos propres intentions, aussi ne ressentons-nous Les employés peuvent se montrer peu disposés à
pas le besoin de prouver que nous sommes dignes aider les autres, car ils n’ont aucune certitude que
de confiance – alors même que la preuve qu’une leurs efforts seront reconnus ou qu’on leur rendra la
personne mérite notre confiance est la première pareille. Résultat : les ressources organisationnelles
chose que nous recherchons chez les autres. partagées sont victimes de la « tragédie des biens
Les psychologues organisationnels Andrea Abele,
de l’université d’Erlangen-Nuremberg, et Bogdan
Wojciszke, de l’université de Gdansk, ont relevé ce
phénomène dans différentes situations. Dans l’une
Comment les gens réagiront-ils
de leurs expériences, lorsqu’on leur demandait de à votre style ?
choisir entre des formations basées sur des qualifica- Selon les recherches menées par Amy Cuddy, Susan Fiske et Peter Glick,
tions liées à la compétence (comme la gestion du la manière dont les autres perçoivent vos niveaux de chaleur et de
temps) ou liées à la chaleur humaine (fournir un sou- compétence détermine les émotions que vous suscitez et votre capacité
tien social, par exemple), la plupart des participants à influencer une situation.
Par exemple, si vous êtes éminemment compétent mais manquez de chaleur
ont opté pour une formation liée à la compétence
humaine, vous arriverez à convaincre les gens de vous suivre mais n’obtiendrez
pour eux-mêmes, tandis qu’ils ont choisi des forma- jamais un engagement et un soutien réels de leur part. Et si vous ne dégagez
tions liées aux qualités humaines pour les autres. pas la moindre chaleur humaine, prenez garde à ceux qui pourraient tenter de
Dans une autre expérience, pour laquelle on a de- saboter vos efforts – voire votre carrière.
mandé aux participants de décrire un événement
ayant façonné l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes, la
FORTE
ENGAGEMENT
plupart ont raconté des histoires à leur propos met- ACTIF
AD
AT
TI
PI
IO
VI
EN
RI
S
MALVEILLANCE
les membres de l’organisation se conforment en ACTIVE
apparence aux souhaits de leur dirigeant, mais il y a FAIBLE COMPÉTENCE FORTE
communs » (cf. l’article de Garrett Hardin dans la protagonistes ont investi plus d’argent, sans garantie
revue « Science », 1968, NDLR). de rendement, avec des partenaires qu’ils percevaient
comme étant les plus dignes de confiance, sur la seule
Lorsque la chaleur base d’un bref aperçu de leur visage.
s’impose en premier Dans des situations de management, la confiance
Alors que la plupart d’entre nous s’efforcent de favorise le partage d’information, l’ouverture, la flui-
prouver leur force, il s’avère que la chaleur humaine dité et la coopération. Si l’on est sûr que ses collègues
joue un rôle plus significatif dans le jugement que vont faire les bons choix et être à la hauteur de leurs
les autres portent sur nous – c’est un aspect qu’ils engagements, toute action de planification, de coordi-
évaluent avant la compétence. Psychologue social nation et de mise en œuvre en est facilitée. La
exerçant à Princeton, Alex Todorov étudie, avec ses confiance facilite aussi l’échange et l’acceptation
d’idées – elle permet d’être réceptif au message des
de développer son
core, elle donne l’opportunité de faire évoluer les
comportements et les convictions de chacun, et pas
seulement en apparence. Il s’agit là d’une question
difficile que cela est d’associer chaleur et force – aussi difficile que
cela puisse être si l’on en croit Machiavel. Ces deux
croit Machiavel.
vert, à être à la fois moins menacé et moins mena-
çant dans des situations de stress. Lorsque nous
nous sentons confiant et calme, nous dégageons
authenticité et chaleur.
confrères, les mécanismes cognitifs et neuronaux Une compréhension sommaire de notre constitu-
qui régissent nos « inférences spontanées des traits tion chimique permet de mettre en lumière la manière
de caractère », c’est-à-dire les jugements rapides dont cela fonctionne. On a mis en évidence le rôle
que nous portons lorsque nous observons rapide- de neuropeptides comme l’ocytocine et l’arginine-
ment un visage. vasopressine dans la capacité à nous attacher à
Leurs travaux montrent que, dans ce genre de ju- d’autres êtres humains, à ressentir et à exprimer de
gement, les individus remarquent invariablement la la bienveillance, et à nous comporter de manière
chaleur humaine avant la compétence. Cette préfé- altruiste. Des études récentes semblent également
rence pour la chaleur se confirme également dans indiquer que, dans l’ensemble du règne animal, les
d’autres domaines. Dans une étude réalisée sous la sentiments de force et de pouvoir sont étroitement
direction d’Oscar Ybarra, de l’université du Michigan, liés à deux hormones : la testostérone (associée à
les sujets, qui participaient à un jeu basé sur les mots, l’affirmation de soi, à une peur moindre et à la vo-
identifiaient les termes relatifs à la chaleur (comme lonté de rivaliser et de prendre des risques) et le
« amical ») bien plus rapidement que ceux relatifs aux cortisol (associé au stress et à la réactivité au stress).
compétences (comme « habile »). Une étude menée par Jennifer Lerner, Gary
Les spécialistes de l’économie comportementale, Sherman, Amy Cuddy et d’autres confrères a rassemblé
pour leur part, ont montré que les jugements relatifs à des centaines de personnes inscrites en troisième
la fiabilité entraînent généralement des bénéfices éco- cycle à Harvard afin de comparer leurs niveaux de cor-
nomiques nettement plus importants. Par exemple, tisol avec les niveaux moyens de la population géné-
Mascha van ’t Wout, de l’université Brown, et Alan rale. Les leaders ont montré moins de stress et d’an-
Sanfey, de l’université d’Arizona, ont demandé à des xiété que ce public, et leur physiologie le confirmait :
sujets de décider comment affecter une dotation. Les leurs niveaux de cortisol étaient nettement inférieurs.
En outre, plus ils se trouvaient à un niveau élevé de la N’oubliez pas que les signaux que nous émettons
hiérarchie et avaient de subordonnés à gérer, plus peuvent être ambigus – nous pouvons observer
leur niveau de cortisol était bas. comment un individu réagit à notre présence, mais
Pourquoi ? Très probablement parce que les lea- nous ne savons pas nécessairement à quoi cette per-
ders avaient une capacité à se contrôler très dévelop- sonne réagit. On peut ressentir la chaleur d’un leader
pée – un facteur psychologique connu pour avoir un sans être certain qu’elle s’adresse à nous, on peut
fort effet de tampon contre le stress. D’après les re- sentir sa force mais s’assurer qu’elle est bien concen-
cherches menées par Pranjal Mehta, de l’université trée sur les défis auxquels nous sommes confrontés
de l’Oregon, et de Robert Josephs, de l’université du ensemble. Et, comme nous l’avons remarqué plus
Texas, les leaders les plus performants, quel que soit haut, les jugements sont souvent formulés de ma-
leur sexe, possèdent un profil physiologique unique : nière rapide, à partir d’indices non verbaux. Lorsqu’il
leur taux de testostérone est relativement élevé s’agit de faire face à des situations où la pression est
tandis que leur taux de cortisol est relativement bas. accrue, il est utile que les leaders prennent le temps
De tels leaders font face aux difficultés sans que d’accomplir d’abord un bref rituel d’échauffement
cela les tourmente. Leur comportement n’est pas afin de se mettre dans le bon état d’esprit, en prati-
détendu, mais ils sont détendus émotionnellement. quant et en adoptant des attitudes qui les aideront à
On les considère souvent comme des « guerriers extérioriser des signaux non verbaux positifs.
bienheureux », et l’effet de leur comportement sur Nous appelons cela une approche « de l’intérieur
ceux qui les entourent est indiscutable. Les guerriers vers l’extérieur », par opposition à une stratégie « de
bienheureux nous rassurent en nous convainquant l’extérieur vers l’intérieur » qui consiste à exécuter
que, quels que soient les défis auxquels nous pour- consciemment des comportements spécifiques non
rions être confrontés, les choses finiront bien par se verbaux à un moment donné. Pensez à la différence
résoudre. Ann Richards, ancienne gouverneure du entre la « method acting » et l’approche classique en
Texas, assumait son rôle de guerrière bienheureuse matière de jeu d’acteurs : dans la première, les ac-
en associant son assurance et son autorité person- teurs font l’expérience des émotions de leur person-
nelle à un sourire radieux et à une vivacité d’esprit nage et jouent donc de manière authentique, tandis
qui exprimait clairement qu’elle ne se laissait pas qu’avec l’approche classique les acteurs apprennent
désarçonner par la brutalité du jeu politique. à contrôler très précisément leurs signaux non ver-
Dans les moments de crise, il existe des per- baux. En règle générale, une approche « de l’intérieur
sonnes capables de maintenir ce canal d’influence vers l’extérieur » est plus percutante.
ouvert, voire de l’ouvrir encore plus. La plupart des Il existe de nombreuses tactiques pour exprimer
gens détestent l’incertitude, mais ils la tolèrent bien chaleur et compétence, et elles peuvent être expri-
mieux lorsqu’ils peuvent se tourner vers un leader mées avec plus ou moins d’intensité en fonction des
dont ils sont convaincus qu’il les protège, un leader besoins. Deux des coauteurs de cet article, John
calme, lucide et courageux. Ce sont à ces personnes Neffinger et Matt Kohut, travaillent avec des leaders
que nous faisons confiance, ce sont ces personnes aux profils et aux parcours très différents afin de les
que nous écoutons. accompagner dans la maîtrise des signaux verbaux et
Il existe des exercices physiques qui peuvent fa- non verbaux. Examinons maintenant quelques-unes
voriser la confiance en soi – et même modifier la des meilleures pratiques.
chimie de votre corps afin de ressembler davantage à
un guerrier bienheureux. Dana Carney, Amy Cuddy Comment présenter
et Andy Yap avancent que les personnes adoptent en un abord chaleureux
fait des « postures de pouvoir » associées à la domina- S’efforcer de paraître chaleureux et digne de
tion et à la force dans le règne animal. Ces postures confiance en contrôlant consciemment votre com-
sont ouvertes, déployées et occupent l’espace (ima- munication non verbale peut se retourner contre
ginez Wonder Woman ou Superman campés résolu- vous. Bien trop souvent, votre attitude sera plutôt
ment, les pieds écartés et les mains sur les hanches). perçue comme guindée et artificielle. Il existe des
Leurs travaux de recherche montrent que, en pre- manières d’éviter cet écueil.
nant ces postures ne serait-ce que deux minutes Trouvez la bonne mesure. Lorsqu’on souhaite
avant une interaction sociale, les participants ont montrer un abord plus chaleureux, on amplifie parfois
augmenté leur taux de testostérone et diminué leur le volume et le dynamisme de sa voix, afin d’exprimer
taux de cortisol de manière significative. son enthousiasme. Cela peut être efficace dans
Avoir le sentiment
d’être un imposteur
Il faut en revanche absolument éviter la chose
suivante : sourire avec les sourcils relevés à toute
personne âgée de plus de 5 ans. Cela démontre que
place dans le poste que comme la chaleur, peut se révéler contagieuse. Cela
risque plus de vous coûter en force que de vous
L'I D É E E N P R ATI Q U E
se contentent de faire leurs heures, et d’énergie inexploités qui gît au sein de leur entre-
prise, rapidement et pour un coût limité.
tandis que les 20% restants Nous partons du principe sous-jacent que le lea-
dership peut être à la base comparé à un service
façon contre-productive en exerçant clients : ses chefs, à qui il doit rendre des comptes en
termes de performances, mais aussi ses subordonnés
une influence négative sur leurs (ou « suiveurs »), qui ont besoin d’être guidés et sou-
tenus par lui pour réussir. Lorsque des gens appré-
collègues, en ne venant pas au travail cient votre style de leadership, dans les faits, ils
« l’achètent ». Ils ont envie d’exceller et de s’engager
ou en faisant fuir les clients par encore davantage. Mais lorsque les salariés n’ad-
hèrent pas à votre leadership – ou, en d’autres
leurs négligences. L’institut Gallup termes, ne l’achètent pas –, ils se désengagent et de-
viennent effectivement vos non-clients. A partir du
estime que ces derniers coûtent moment où nous avons commencé à considérer le
leadership sous cet angle, nous nous sommes aper-
500 milliards de dollars par an çus que les concepts et les cadres d’analyse que nous
avions élaborés pour créer une demande nouvelle en
à l’économie américaine. convertissant des non-clients en clients pouvaient
être adaptés afin d’aider les leaders à convertir des
Comment expliquer un tel désinvestissement ? salariés désengagés en salariés investis.
Selon Gallup, la raison principale réside dans un Au cours des dix dernières années, en compa-
leadership défaillant. gnie de Gavin Fraser, un expert du réseau Stratégie
La plupart des cadres – et cela ne se limite pas aux Océan Bleu, nous avons interrogé des centaines de
cadres américains – admettent que l’une de leurs personnes au sein d’entreprises diverses pour tenter
difficultés majeures consiste à combler le fossé béant de comprendre par où pèche le leadership et com-
qui sépare le potentiel des personnes qu’ils dirigent, ment y remédier tout en conservant la ressource la
et le talent et l’énergie que ces mêmes personnes plus précieuse dont dispose tout leader : le temps.
déploient effectivement au travail. Dans cet article, nous vous présentons les résultats
Comme l’a formulé un P-DG : « Nous disposons de de nos recherches.
nombreuses forces vives qui sont réellement dési-
reuses de bien faire leur travail, et cela à tous les Différences par rapport aux approches
niveaux. Si nous parvenons à transformer ces sala- conventionnelles du leadership
riés – à les toucher par un leadership efficace –, nous L’approche « Océan bleu » peut changer rapide-
pourrons compter sur beaucoup de gens capables de ment et radicalement la puissance de votre leader-
faire beaucoup de bonnes choses. » ship. Elle se distingue des approches traditionnelles
Bien entendu, les managers ne font pas exprès sur plusieurs points fondamentaux. Voici les trois
d’être de piètres leaders. Le problème, c’est qu’ils principaux :
manquent d’une vision claire des changements qu’il 1. Se concentrer sur les actions et les activi-
faudrait entreprendre pour permettre à chacun d’ex- tés. Au cours des années passées, de nombreuses
primer le meilleur de soi-même et d’avoir un impact études ont décortiqué les valeurs, les qualités et les
styles de comportements qui définissent un bon la portée de chaque individu et permet d’obtenir un
leadership. Ces études ont permis de former un socle feed-back et des conseils pertinents.
pour les programmes de coaching et de développe- 2. Rapprocher le leadership des réalités du
ment personnel des cadres. Elles partent du principe marché. Les programmes traditionnels de dévelop-
que des changements apportés à ces valeurs, qualités pement du leadership ont plutôt tendance à être
et styles comportementaux se traduiront en fin de génériques et sont souvent déconnectés de ce que
compte par une amélioration des performances. les entreprises représentent aux yeux de leurs
Mais lorsqu’on fait le bilan de ces programmes, il clients ou des résultats qu’elles attendent de leurs
est souvent difficile de trouver des preuves tangibles salariés. Dans le « leadership Océan bleu », en re-
de changements notables. Si l’on reprend les propos vanche, les personnes qui sont au contact des réali-
d’un cadre : « Sans des années d’efforts particuliers, tés du marché sont priées d’expliquer en quoi leurs
comment peut-on transformer le caractère ou le leaders les entravent et ce que ces derniers pour-
comportement d’une personne ? Et peut-on même raient faire afin de les aider à mieux servir les clients
réellement mesurer et évaluer les efforts fournis par ou toute autre partie prenante essentielle. Quand les
les leaders pour s’approprier et intégrer ces caracté- salariés sont impliqués dans la définition de pra-
ristiques et ces styles personnels ? Sur le papier, c’est tiques de leadership destinées à leur permettre de
possible, mais concrètement, c’est difficile. » réussir et que ces pratiques reflètent les réalités du
Le « leadership Océan bleu », a contrario, ne s’inté- marché auxquelles ils sont confrontés, ils sont d’au-
resse pas tant à ce que les leaders doivent être qu’à ce tant plus disposés à créer le meilleur profil de
qu’ils doivent faire pour doper la motivation de leurs leadership possible et à faire en sorte que les nou-
équipes et améliorer leurs résultats. Cette différence velles solutions fonctionnent. Leur coopération vo-
de point de vue est essentielle. Il est considérable- lontaire maximise l’acceptation des nouveaux pro-
ment plus facile de changer les actions et les activités fils de leadership tout en minimalisant les coûts de
d’une personne que ses valeurs, ses qualités ou son leur mise en œuvre.
comportement. Bien sûr, modifier les activités d’un 3. Accorder une part de leadership à tous
leader ne constitue pas en soi une solution complète, les niveaux de management. La plupart des pro-
et avoir les bonnes valeurs, les bonnes qualités et le grammes de leadership se concentrent sur les cadres
bon comportement compte ; mais cette solution est à et leur impact potentiel présent et futur. Mais, pour
MOYENNE
PROFIL DE
LEADERSHIP
ACTUEL:
CONTRÔLE
ET JOUE LA
FAIBLE SÉCURITÉ
IN NANLÉS DE
ER LE S
AC OUR TIN ES
BO P ON UE
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PROFIL DE
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Au terme de quatre à six semaines d’entretiens, Chez BRG, le canevas des cadres dirigeants a révélé
les membres des sous-groupes se réunissent afin que leurs clients considéraient qu’ils consacraient le
d’établir les «« profils de leadership actuels » en re- plus clair de leur temps à des actions et des activités
groupant leurs conclusions et en définissant, à partir relevant du management intermédiaire, tandis que le
de la fréquence des citations, les actions et les acti- canevas des managers intermédiaires indiquait qu’ils
vités de leadership prédominantes pour chacun des semblaient se vouer surtout à la préservation des pro-
trois niveaux. Afin d’aider les sous-groupes à rester cédures bureaucratiques. Les managers de première
concentrés sur des questions réellement cruciales, ligne, quant à eux, étaient perçus comme cherchant
nous leur demandons généralement de s’imposer surtout à faire plaisir à leurs supérieurs afin de satis-
une limite de 10 à 15 actions et activités par niveau. faire leur soif de contrôle, en faisant par exemple di-
Celles-ci figurent sur l’axe horizontal du canevas rectement remonter les demandes des clients. Quand
tandis que l’importance que les leaders leur nous avons demandé aux membres de l’équipe de
accordent est reportée sur l’axe vertical. Ce plafond résumer chaque canevas en une phrase incisive (un
de 10 à 15 permet d’éviter que le canevas ne se trans- exercice qui fait partie du processus), ils ont accolé au
forme en fourre-tout. profil de leadership de première ligne la phrase « Fait
Le résultat est presque toujours révélateur. Il plaisir au chef », au profil des managers intermédiaires
n’est pas inhabituel de découvrir que de 20 à 40% « Contrôle et joue la sécurité », et au profil des cadres
des actions et activités des managers, à tous les ni- dirigeants « Se concentre sur le quotidien » (pour une
veaux, ne revêtent qu’une importance discutable illustration, voir le canevas « Ce que font réellement
aussi bien aux yeux de ceux qui les dirigent que pour les managers intermédiaires »).
leurs subordonnés. Il n’est pas moins courant de Les implications étaient déprimantes. La pire
découvrir que les managers négligent de 20 à 40% d’entre elles visait peut-être le top management, car
des actions et activités que les personnes interro- il est apparu que les cadres dirigeants avaient à peine
gées estiment importantes pour leur niveau. le temps de se consacrer au rôle qui devrait être le
PROFIL DE
LEADERSHIP FUTUR:
LIBÉRER, COACHER
ET AUTONOMISER
PROFIL DE
LEADERSHIP
ACTUEL:
CONTRÔLE
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SÉCURITÉ
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leur – à savoir réfléchir, enquêter, identifier les La seconde série invite les personnes interrogées
opportunités pointant à l’horizon et préparer l’entre- à réfléchir au-delà des frontières de l’entreprise et
prise à les exploiter. Confrontés à des preuves évi- s’intéresse à des actions de leadership qu’elles ont
dentes et répétées des défaillances concernant les effectivement pu observer en dehors de ses murs, en
pratiques de leadership, les sous-groupes se trou- particulier celles susceptibles d’avoir un impact
vaient dans l’impossibilité de défendre les « profils de significatif si elles étaient adoptées en interne, par
leadership » existants. Les canevas présentaient un les leaders de leur niveau. C’est l’occasion de faire
véritable plaidoyer en faveur du changement, aux émerger des idées nouvelles quant à ce que les
trois niveaux. Il était clair que tous les employés, à leaders pourraient faire, mais ne font pas. Il n’est pas
travers l’entreprise, le souhaitaient. question, cependant, de se comparer à des entre-
2. Développer des «profils de leadership prises iconiques, mais de tirer profit de l’expérience
alternatifs». A ce stade, les sous-groupes sont personnelle des employés. Nous avons quasiment
généralement impatients d’étudier ce à quoi ressem- tous rencontré, à un moment ou à un autre de notre
bleraient des « profils de leadership » efficaces pour vie, des personnes qui ont eu une influence extraor-
chaque niveau. Pour y parvenir, ils retournent vers dinairement positive sur nous. Il s’agissait peut-être
leur panel d’interviewés, avec deux séries de d’un entraîneur sportif, d’un enseignant, d’un chef
questions. scout, d’un grand-parent ou encore d’un ancien
La première a pour but de déterminer si chaque patron. Quel que soit ce modèle, il est important que
action et chaque activité du canevas représente les personnes interrogées expliquent en détail quels
plutôt un point froid (absorbant le temps des leaders types d’actions et d’activités seraient susceptibles,
mais apportant peu, voire pas de valeur) ou un point selon elles, d’apporter une vraie valeur à l’entreprise
chaud (dynamisant et motivant pour les salariés, si leur leader actuel les mettait en œuvre.
mais actuellement sous-investi par les leaders, voire Afin de traiter les données de cette seconde
entièrement négligé). vague d’entretiens, les sous-groupes utilisent un
PROFIL DE
LEADERSHIP
FUTUR:
DÉLÉGUER ET
CARTOGRAPHIER
L’AVENIR DE
L’ENTREPRISE
PROFIL DE
LEADERSHIP
ACTUEL:
SE CONCENTRE
SUR LE
QUOTIDIEN
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outil analytique que nous appelons « matrice du lea- niveau de leadership. Ces visuels analytiques
dership Océan bleu » (voir l’illustration correspon- illustrent les « profils de leadership » à même d’amé-
dante). Pour chaque niveau de leadership, les résul- liorer les performances de l’entreprise et des indivi-
tats des entretiens sont intégrés dans cette matrice. dus qui la composent, et sont juxtaposés aux « profils
On commence habituellement par les actions et acti- de leadership » actuels. Les sous-groupes proposent
vités correspondant à des points froids, que l’on ré- un éventail de modèles de leadership, plutôt que de
partit dans les quadrants « Eliminer » et « Réduire » s’arrêter à un seul, afin d’explorer consciencieuse-
en fonction du degré de négativité que les personnes ment le champ des possibles du leadership.
interrogées leur ont attribué. Cela dope tout de suite 3. Sélectionner les «profils de leadership
les sous-groupes, car chacun voit instantanément futurs». Après deux à trois semaines de préparation
les avantages liés au fait d’empêcher les leaders de et de finalisation de leurs « canevas de leadership »,
faire des choses qui apportent peu ou pas de valeur. les sous-groupes les présentent lors de ce que nous
Le fait de réduire ces activités libère aussi pour les appelons un « forum du leadership ». Les participants
leaders concernés le temps et l’espace dont ils ont à ce forum se composent de membres du conseil
besoin pour placer la barre plus haut. Sans cette d’administration, de cadres dirigeants, de managers
bulle d’air, un changement radical de leur style de intermédiaires et de managers de première ligne.
leadership resterait essentiellement un vœu pieux, L’équipe dirigeante à l’origine du projet ouvre cet
vu la masse de travail qui leur incombe déjà. Après événement en présentant le déroulement de l’initia-
avoir géré les points froids, on passe aux points tive et les trois canevas actuels. A partir de ces vi-
chauds, qui sont répartis entre le quadrant « Renfor- suels, l’équipe démontre en quoi le changement
cer », s’il s’agit d’actions et d’activités déjà exis- s’avère nécessaire, confirme que les remarques des
tantes, et le quadrant « Créer », pour celles que les personnes interrogées à tous les niveaux ont été
leaders ne pratiquent pas encore. prises en compte et pose le contexte dans lequel les
Forts de ces contributions, les sous-groupes éla- « profils de leadership futurs » peuvent être compris
borent deux à quatre canevas « futurs » pour chaque et appréciés. Même si les canevas actuels offrent
Les managers de
les bureaux des managers que dans ceux de leurs
subordonnés. Les managers sont par ailleurs char-
gés d’organiser des réunions mensuelles au cours
tous les niveaux ont desquelles ils sollicitent l’avis de leur équipe pour
savoir comment ils progressent dans leur transition
une contribution sable que pour les responsables dont les actions
sont examinées à la loupe – il faut généralement peu
significative
de temps pour que l’esprit d’équipe et le respect
mutuel prennent le dessus, à mesure que tous ob-
servent à quel point les changements en termes
du projet lui-même autant que la leur. En recueillant Devenir un leader Océan bleu À PROPOS
DES AUTEURS
des retours d’expérience sur ces réunions, la direction Nous ne cessons jamais d’être étonnés par le talent
Au moment de la
de l’entreprise peut apprécier la rapidité à laquelle et l’énergie que nous observons dans les organisa- rédaction de cet article,
ces derniers effectuent la transition de leur profil tions que nous étudions. Malheureusement, nous les auteurs occupaient
actuel vers leur profil futur, ce qui devient un facteur sommes tout aussi stupéfaits de constater à quel les fonctions suivantes :
clé lors de leur entretien d’évaluation annuel. Voici ce point ce talent et cette énergie sont gaspillés à cause W. Chan Kim et Renée
qu’ils en disent : « Grâce à un visuel représentant sur des défaillances du leadership en place. Le leader- Mauborgne sont tous deux
professeurs en stratégie
une seule et même page l’ancien et le nouveau profil ship Océan bleu peut permettre de remédier à cela. et management à l’Insead,
de leadership, il nous est facile de suivre la Les « canevas du leadership » donnent aux salariés dont ils codirigent le Blue
progression de l’un à l’autre. Tout le monde peut voir un cadre de travail visuel et concret dans lequel ils Ocean Strategy Institute,
à Fontainebleau, en France.
clairement, et précisément, où nous en sommes dans peuvent identifier des améliorations à apporter au Ensemble, ils ont cosigné
la transition. » leadership en place et en discuter. L’équité du proces- « Blue Ocean Strategy »
(Harvard Business School
Le bénéfice premier que ce processus apporte, sus permet une mise en œuvre et un suivi du chan- Press, 2005). Le livre
lorsqu’il est correctement mené à bien, est un gain de gement plus faciles que dans les approches tradi- a été réédité en français
confiance et donc de coopération volontaire, ce qui tionnelles émanant du haut de la hiérarchie. De plus, en 2015. Voir aussi www.
blueoceanstrategy.com
constitue un élément vital de la relation entre le lea- le leadership Océan bleu permet une transformation
La version originale
der et ceux qui le suivent. Toute personne ayant un qui nécessite moins de temps et d’efforts, car les lea- de cet article a été publiée
jour travaillé en entreprise sait à quel point la ders ne cherchent pas à changer leur personnalité ou en mai 2014 dans l’édition
confiance est importante. Si vous pouvez vous fier à se défaire d’habitudes prises de longue date. Ils américaine de HBR.
aux personnes avec lesquelles vous travaillez et aux modifient tout simplement les tâches qu’ils accom-
processus que vous devez appliquer, vous n’hésiterez plissent. Mieux encore, l’une des grandes forces du
pas à en faire plus et à donner le meilleur de vous- leadership Océan bleu réside dans la possibilité de
même. A l’inverse, si la confiance fait défaut, vous l’adapter à plus ou moins grande échelle. Vous n’avez
vous contenterez de remplir vos obligations au pied pas besoin d’attendre que la direction de votre entre-
de la lettre telles qu’elles sont décrites dans votre prise lance le processus. Quel que soit le niveau de
contrat de travail et vous consacrerez plus d’énergie à management auquel vous appartenez, vous pouvez
défendre votre pré carré qu’à conquérir de nouveaux réveiller le potentiel qui sommeille dans vos équipes
clients et à créer de la valeur. Non seulement ce sera en les invitant à traverser avec vous ces quatre étapes.
un gâchis en termes de compétences, mais cela nuira, Alors, êtes-vous prêt vous aussi à devenir un
souvent, aux performances de l’entreprise. « leader Océan bleu » ?
L'I D É E E N P R ATI Q U E
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entreprise et à promouvoir
votre carrière.
LES SEPT
LOGIQUES D’ACTION
DES LEADERS
On ne naît pas leader, on le devient. Et la façon
dont un leader évolue est cruciale en matière de
changement organisationnel.
Par David Rooke et William R. Torbert. Illustrations : Lucille Clerc
1 L’opportuniste
Notre conclusion la plus rassurante est la suivante:
seuls 5% des leaders de notre panel ont été identifiés
comportement en me disant que je suscitais simple-
ment un ‘‘débat ouvert et honnête’’. Le fait est que je
ne savais simplement pas faire mieux que ça. »
comme méfiants, égocentriques et manipulateurs. Rares sont les opportunistes qui restent mana-
Nous appelons ces leaders des opportunistes, un titre gers longtemps, à moins qu’ils n’évoluent vers des
qui reflète leur tendance à se focaliser sur leurs vic- logiques d’action plus efficaces (comme l’a fait
toires personnelles et à voir le monde ainsi que les Ellison). Leur lutte permanente, leur manière de
autres individus comme des opportunités à exploi- s’autoglorifier et leurs fréquentes infractions aux
ter. Leur approche du monde extérieur est largement règles incarnent l’antithèse du genre de leader pour
déterminée par leur sentiment de contrôle – en qui les gens veulent travailler sur le long terme. Si
d’autres termes, la manière dont ils vont réagir à un vous avez travaillé pour un opportuniste, vous vous
événement dépend avant tout de s’ils pensent pou- en souvenez sûrement comme d’un moment diffi-
voir, ou pas, en manœuvrer l’issue. Ils traitent les cile. De même, les environnements de travail qui
autres comme des objets ou des concurrents qui alimentent l’opportunisme ne durent que rarement,
agissent aussi pour leur propre intérêt. même si les opportunistes survivent souvent plus
Les opportunistes ont tendance à considérer leur longtemps qu’ils ne le devraient car ils génèrent une
mauvais comportement comme légitime, dans un atmosphère grisante dans laquelle les cadres les
monde régi par la loi du talion (« œil pour œil, dent plus jeunes, en particulier, peuvent prendre des
pour dent »). Ils rejettent les feed-back, blâment en risques. Comme l’a dit un cadre supérieur de l’en-
public et contre-attaquent durement. On peut obser- treprise Enron (qui a fait faillite en 2001, NDLR) :
ver cette logique d’action dans les premiers travaux «Avant la chute, nous avons vécu des années pas-
de Larry Ellison (cofondateur d’Oracle en 1977, dont sionnantes. Nous avions l’impression de pouvoir
il a été le P-DG jusqu’en 2014, NDLR). Ellison décrit le tout faire, nous tirer de toutes les situations, écrire
style managérial du début de sa carrière comme un nos propres règles. Le train avançait à une vitesse
« management par le ridicule ». «Vous devez être bon infernale, mais nous montions tous à bord.» Bien
en intimidation intellectuelle et en harcèlement sûr, les actionnaires et retraités d’Enron ont pu esti-
rhétorique, a-t-il dit un jour à Matthew Symonds, mer (à raison) qu’ils payaient un prix bien trop élevé
journaliste à “The Economist”. J’excusais mon pour cette aventure.
2 Le diplomate
Le diplomate donne un sens au monde qui l’en-
toure avec plus de bienveillance que l’opportuniste,
à remplacer un certain nombre de cadres dirigeants
qui avaient de sérieux et récurrents problèmes de
performance et qui résistaient au programme de
mais cette logique d’action peut aussi avoir des ré- changement initié par son prédécesseur. Parce que
percussions extrêmement négatives si le leader est ces changements s’avéraient controversés, le diplo-
un cadre dirigeant. Loyal envers le groupe qu’il sert, mate évitait les réunions, allant jusqu’à planifier des
le diplomate cherche à satisfaire ses collègues – ceux déplacements professionnels au moment où l’équipe
qui occupent des positions supérieures à la sienne –, de direction devait se réunir. Les membres de
tout en évitant le conflit. Cette logique d’action met l’équipe étaient si déçus par l’attitude du diplomate
l’accent sur l’exercice d’un contrôle sur son propre qu’ils ont fini par démissionner en masse. Il a «ré-
comportement – plus que sur les événements exté- solu» cette crise en remerciant l’équipe publique-
rieurs ou les autres. Selon la logique d’action du di- ment pour sa contribution et en y nommant de nou-
plomate, un leader obtient plus de reconnaissance et veaux membres. Finalement, face à l’accumulation
d’influence durables en composant avec les normes des pertes dues à ce piètre management, le comité de
du groupe et en accomplissant correctement ses mis- direction a décidé de rétrograder le diplomate à son
sions quotidiennes. précédent rôle de vice-président.
Dans un rôle de soutien ou dans le cadre d’une
équipe, ce type de responsable a beaucoup à offrir.
Les diplomates fournissent un ciment social à leurs
collègues et s’assurent que les besoins des autres
3 L’expert
La catégorie de leaders la plus importante est
celle des experts, qui représentent 38% des profes-
font l’objet d’attention, ce qui est probablement la sionnels de notre panel. Contrairement aux opportu-
raison pour laquelle la majorité des diplomates tra- nistes, dont la priorité est d’essayer de contrôler le
vaillent aux postes de managers les plus subalternes monde qui les entoure, et aux diplomates, qui s’at-
comme manager de premier niveau, représentant du tachent à contrôler leur propre comportement, les
service client ou infirmier praticien. En effet, une experts tentent d’exercer un contrôle en améliorant
enquête auprès de 497 managers dans différents sec- leur savoir, tant dans leur vie professionnelle que
teurs a montré que 80% des diplomates occupaient personnelle. Elaborer un raisonnement indiscutable
des postes subalternes. A contrario, 80% des stra- est extrêmement important pour les experts. Sans
tèges travaillaient à des échelons supérieurs, ce qui surprise, de nombreux comptables, analystes en in-
laisse supposer que les managers qui évoluent vers vestissement, chercheurs en marketing, ingénieurs
une logique d’action plus efficace – comme celle des software et consultants fonctionnent selon la logique
stratèges – ont plus de chance d’être promus. d’action des experts. Sûrs de leur savoir-faire, ils
Les diplomates posent bien plus problème usent de données factuelles et d’une logique impla-
lorsqu’ils endossent des rôles de hauts dirigeants, car cable dans leur tentative d’obtenir le consensus et
ils essayent d’ignorer le conflit. Ils ont tendance à l’adoption de leurs propositions.
être excessivement polis et aimables et trouvent qua- Les experts sont de formidables contributeurs
siment impossible de donner un feed-back qui met- individuels grâce à leur quête perpétuelle du progrès,
trait les autres à l’épreuve. Initier le changement, de l’efficacité et de la perfection. Mais en tant que
avec ses inévitables conflits, représente une grave managers, ils peuvent poser problème car ils sont
menace pour le diplomate. Il va l’éviter à tout prix, absolument sûrs d’avoir raison. Quand les subordon-
au point même de s’autodétruire. nés parlent d’un patron du genre « à ma façon ou
Prenons l’exemple d’un diplomate qui est devenu rien », ils parlent sans doute de quelqu’un qui fonc-
P-DG par intérim d’une entreprise lorsque son tionne selon la logique d’action des experts. Ils ont
prédécesseur est mort subitement d’une rupture tendance à voir la collaboration comme une perte de
d’anévrisme. Quand le comité de direction s’est di- temps (« Toutes les réunions ne sont pas une perte de
visé sur le choix d’un successeur définitif, il a de- temps... certaines sont annulées ! ») et ils vont sou-
mandé au diplomate de poursuivre sa mission. Notre vent considérer avec dédain l’opinion de ceux qui
diplomate a apprécié son rôle de maître de cérémo- sont moins experts qu’eux. L’intelligence émotion-
nie et était un intervenant très demandé dans les nelle n’est ni souhaitée ni appréciée. Comme l’a dit
manifestations publiques. Malheureusement, il a Scott McNealy, alors P-DG de Sun Microsystems
trouvé bien moins à son goût les nécessaires conflits (rachetée par Oracle en 2009, trois ans après son
induits par la fonction. Il n’a pas réussi, par exemple, départ, NDLR) : « Je ne fais pas dans les sentiments, je
4 Le fonceur
Pour ceux qui espèrent un jour travailler pour
un manager qui les met au défi tout en les soutenant
et qui crée un bon esprit d’équipe ainsi qu’une at-
mosphère de collaboration transversale, voici une
bonne nouvelle. Une grande proportion, soit 30%
des managers de notre étude, ont été identifiés
comme des fonceurs. Même si ces leaders établissent
un environnement de travail positif et concentrent
leurs efforts sur les objectifs, l’inconvénient est le
suivant : leur style empêche souvent de penser hors
des sentiers battus.
Les fonceurs ont une vision du monde bien plus
complexe et intégrée que les managers qui mani-
festent les trois logiques d’action décrites précédem-
ment. Ils sont ouverts aux feed-back et se rendent
compte que nombre d’ambiguïtés et de conflits du
quotidien sont dus à des différences entre les inter-
prétations et entre les manières de communiquer. Ils
savent que transformer ou résoudre les différends
avec créativité demande une sensibilité aux relations
humaines et la capacité d’influencer les autres dans
le bon sens. Les fonceurs peuvent aussi diriger une
équipe avec fiabilité pour mettre en œuvre de nou-
velles stratégies sur une période allant de un à trois
ans, en équilibrant les objectifs immédiats et à long
terme. Une étude sur des ophtalmologues en cabinet
libéral a montré que ceux qui étaient identifiés
comme fonceurs connaissaient un turnover du per-
sonnel moins important, déléguaient plus de respon-
sabilités et détenaient des cabinets qui gagnaient au
moins deux fois le chiffre d’affaires de ceux dirigés
par des experts.
Les fonceurs sont souvent en désaccord avec les
experts. Le subordonné expert, en particulier, trouve
Initier le changement, avec
le leader fonceur difficile à supporter parce qu’il ne ses inévitables conflits,
peut pas nier la réalité de la réussite du fonceur
même s’il se sent supérieur. Prenons l’exemple de représente une grave menace
Hewlett-Packard, où les ingénieurs de recherche ont
tendance à être identifiés comme des experts et les
pour le diplomate . Il va
responsables de laboratoires comme des fonceurs de
haut niveau. Lors d’une réunion de projet, une res-
l’éviter à tout prix, au point
ponsable de laboratoire – incontestablement une même de s’autodétruire.
fonceuse – a posé sa tasse à café avec fracas sur la
table et s’est exclamée : « Je sais que l’on peut mettre intervenir (ce n’était pas la première fois) pour ré-
18 fonctionnalités là-dedans, mais le client veut une soudre un problème créé par son incapacité à
livraison au cours de ce siècle et les huit fonctionna- prendre en considération les processus clés pour
lités principales feront l’affaire. » « Béotienne », a gro- l’entreprise ainsi que les individus qui ne faisaient
gné un ingénieur – un expert. Mais ce genre de pas partie de son équipe.
conflit n’est pas toujours destructeur. En fait, il four- De nombreuses dynamiques créées par des lo-
nit une grande partie du carburant qui déclenche – giques d’action différentes sont illustrées par cette
et maintient – la compétitivité de nombreuses entre- histoire et son dénouement. Le P-DG, dont la propre
prises parmi les plus brillantes des Etats-Unis. logique d’action était celle d’un fonceur, ne voyait
pas comment il pouvait mettre Sharon au défi de
5 L’individualiste
La logique d’action de l’individualiste admet
qu’aucune logique d’action (y compris elle-même)
progresser et d’arrêter de créer de tels problèmes.
Bien que partagé à son sujet, il a décidé de la garder
parce qu’elle faisait ce que l’on attendait d’elle et que
n’est «naturelle», que toutes sont des constructions l’entreprise venait de perdre plusieurs managers
de l’individu et du monde. Cette idée apparemment compétents, bien que peu conventionnels.
abstraite permet aux 10% de leaders individualistes Sharon est donc restée, mais cela n’a duré qu’un
de donner à leur entreprise une valeur aussi utile temps. Elle a fini par quitter l’entreprise pour lancer
qu’unique. Ils mettent les personnalités et les modes un cabinet de conseil en offshore. Quand nous étu-
de communication en perspective et communiquent dierons, dans la seconde partie de cet article, com-
bien avec les gens qui ont d’autres logiques d’action ment aider les dirigeants à changer de logique d’ac-
que la leur. tion de leadership, nous reviendrons sur cette
Ce qui distingue les individualistes des fonceurs, histoire pour voir comment Sharon et son P-DG
c’est qu’ils ont conscience d’un possible conflit entre auraient pu réussir à transformer les leurs.
leurs principes et leurs actes, ou entre les valeurs de
l’entreprise et leur manière de les appliquer. Ce
conflit devient source de tensions, de créativité et
entraîne un désir croissant de progression plus avant.
6 Le stratège
Les stratèges ne constituent que 4% des lea-
ders. Ce qui les distingue des individualistes est
Les individualistes ont également tendance à l’attention qu’ils portent aux contraintes et à
ignorer les règles qu’ils considèrent inutiles, ce qui l’image de l’organisation, considérées comme dis-
fait souvent d’eux une source d’agacement tant pour cutables et transformables. Alors que l’individua-
leurs collègues que pour leurs patrons. «Alors, qu’en liste maîtrise la communication avec ses collègues
pensez-vous ?», nous a demandé l’un de nos clients qui ont des logiques d’action différentes, le stratège
alors qu’il débattait de la possibilité de laisser partir maîtrise les répercussions des actes et des accords
un de ses as de la performance, une femme qui avait sur l’organisation. Le stratège est aussi doué pour
été identifiée comme individualiste. Sharon (ce n’est créer des visions partagées par les différentes lo-
pas son vrai prénom) avait pour mission de monter giques d’action – des visions qui encouragent les
une fonction de service mutualisée offshore en transformations tant personnelles qu’organisation-
République tchèque pour fournir une assistance in- nelles. Selon la logique d’action du stratège, le
formatique à deux divisions, distinctes et en concur- changement organisationnel et social est un proces-
rence en interne, qui opéraient là-bas. Elle a formé sus de développement itératif qui nécessite une
une équipe très soudée en respectant le budget et conscience de soi et une attention particulière de la
avec une telle avance sur le calendrier qu’elle ironi- part du leadership.
sait: « Je livre les services avant même que le dépar- Les stratèges sont plus à l’aise pour gérer les
tement de gestion des risques du groupe ne sorte conflits que ceux qui manifestent d’autres logiques
son rapport affirmant que cela ne peut pas se faire. » d’action et ils sont plus doués pour s’occuper de la
Le souci était que Sharon avait une réputation résistance au changement instinctive des gens. Par
d’électron libre dans toute l’entreprise. Quoiqu’elle conséquent, les stratèges sont de très efficaces
ait fait preuve d’une grande perspicacité politique agents du changement. Nous en avons eu
quand il s’agissait de ses projets personnels, elle a confirmation dans une étude menée sur dix P-DG
offusqué de nombreuses personnes de l’entreprise à dans six secteurs différents. Toutes leurs entre-
cause de sa manière unique et peu conventionnelle prises avaient l’objectif affiché de se transformer et
de procéder. Finalement, le P-DG a été appelé à avaient engagé des consultants pour les aider dans
d’un nouveau code vestimentaire. Des semaines plus sur le terrain avec un maillot des Springboks que
tard, le P-DG s’est exprimé publiquement au sujet de détestaient tant les Sud-Africains noirs, levant en
sa tenue, de la nécessité d’être non conformiste et de même temps son poing fermé – salut du Congrès
se déplacer avec plus d’agilité et de rapidité. national africain (ANC), lançant ainsi un appel re-
Nelson Mandela est un exemple plus célèbre d’al- marquable aux Sud-Africains noirs comme blancs.
chimiste. Même si nous n’avons jamais formelle- Comme Tokyo Sexwale, activiste de l’ANC et Premier
ment établi son profil, il incarne la logique d’action ministre de la province du Gauteng, a dit à son sujet :
de l’alchimiste. En 1995, Mandela a symbolisé l’unité « Seul Mandela pouvait porter un maillot ennemi.
de la nouvelle Afrique du Sud quand il s’est rendu au Seul Mandela pouvait descendre là-bas et être asso-
match de la Coupe du monde de rugby auquel parti- cié aux Springboks. Toutes les années sous terre,
cipaient les Springboks, l’équipe nationale sud-afri- dans les tranchées, le déni, le déni de soi, loin de
caine. Le rugby avait été le bastion de la suprématie chez soi, la prison, ça en valait la peine. C’est tout ce
blanche mais Mandela a assisté au match. Il est entré que nous voulions voir. »
Opportuniste Gagne par tous les moyens. Egocentré, Bon en cas d’urgence et Rares sont les gens qui le suivent
5% manipulateur, adepte de « la loi du plus fort ». d’opportunités commerciales. longtemps.
Diplomate Evite les conflits ouverts. Veut trouver Bon en tant que ciment Ne peut pas donner de feed-
12% sa place, se plie aux normes de groupe ; de soutien au bureau ; back négatifs ou prendre des
ne fait pas de vagues. aide à fédérer les individus. décisions difficiles pour
améliorer la performance.
Expert Dirige avec logique et expertise. Bon contributeur individuel. Manque d'intelligence
38% Recherche l'efficacité rationnelle. émotionnelle, manque
de respect pour ceux qui ont
moins d'expertise que lui.
Fonceur Atteint les objectifs stratégiques. Atteint Bien adapté aux rôles Empêche de penser
30% efficacement les objectifs avec ses équipes ; managériaux ; porté sur l’objectif hors des sentiers battus.
jongle entre les devoirs managériaux et les et l'action.
demandes du marché.
Individualiste Croise les logiques d'action en concurrence, Efficace dans des rôles Agace les collègues et les
10% personnelles et organisationnelles. Crée des d'initiative et de consulting. patrons en ne tenant pas
structures uniques pour réduire les écarts compte des processus et des
entre la stratégie et la performance. personnes clés pour l’entreprise.
Stratège Génère des transformations Efficace comme leader Aucune.
4% organisationnelles et personnelles. Esprit transformationnel.
très collaboratif ; élabore des projets avec
des initiatives pragmatiques et opportunes ;
lutte contre les idées reçues.
Alchimiste Génère des transformations sociales. Bon pour mener des Aucune.
1% Intègre la transformation matérielle, transformations à l'échelle de la
spirituelle et sociétale. société.
1 De l’expert au fonceur
Cette transformation est la plus communément
ders et managers.
climat hostile et tirent grand pour les projets internationaux au sein de la maison
mère – une fonction qu’il a exercée avec un sens ac-
plaisir à unir leurs efforts cru de la collaboration et une conscience plus mar-
quée de la responsabilité sociale de son entreprise
et à obtenir des résultats. sur les marchés émergents.
Les processus formels de formation et de déve-
loppement peuvent également guider les individus
vers une logique d’action de stratège. Les pro-
grammes dans lesquels les participants agissent
comme des leaders et remettent en question leurs
hypothèses souvent convenues sur le leadership et
l’organisation sont très efficaces. De tels programmes
se déroulent soit sur le long terme (un ou deux ans)
soit par le biais d’expériences répétées et intenses qui
favorisent une prise de conscience de chaque instant
individualistes à équilibrer l’action et le questionne- individualiste, était dès lors identifié comme stratège,
À PROPOS
ment et donc à se transformer en équipes de stra- et la plupart des autres membres montraient une DES AUTEURS
tèges. Autre exemple : l’équipe de dirigeants fon- avancée dans leur développement. Cela a aussi eu un Au moment de la
ceuse d’une entreprise de services financiers avec impact sur la philosophie de l’équipe et de l’entre- rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
laquelle nous avons travaillé et qui sortait de deux prise : autrefois divisée dans son fonctionnement, les fonctions suivantes :
ans de réduction drastique des coûts pendant un re- l’équipe a appris à accepter et à assimiler les opinions
tournement de marché. Pour s’adapter à un marché diverses de ses membres. Les enquêtes au sein du per- David Rooke est associé
au sein de Harthill
des services financiers en évolution et en plein essor, sonnel signalaient un engagement accru dans l’entre- Consulting à Hewelsfield,
l’entreprise avait besoin de devenir bien plus vision- prise. Les personnes extérieures ont commencé à en Angleterre.
naire et innovante, et d’apprendre à faire en sorte que considérer l’entreprise comme étant d’avant-garde, ce William R.Torbert est
professeur à la Carroll
son personnel soit engagé. Pour conduire cette trans- qui signifiait que l’organisation était plus en mesure
School of Management
formation, l’équipe devait commencer par elle-même. d’attirer les talents de haut niveau. La troisième an- du Boston College
Nous avons travaillé ensemble pour aider les membres née, le résultat net et le chiffre d’affaires devançaient (Massachusetts).
de l’entreprise à comprendre les contraintes de l’orien- largement ceux des concurrents. Ils sont les co-auteurs
de « Action Inquiry:
tation des fonceurs, ce qui a nécessité plusieurs inter- The Secret of Timely and
ventions au fil du temps. Nous avons commencé par LE PARCOURS de développement du leader n’est pas Transforming Leadership »
facile. Certaines personnes changent peu au cours de (Berrett-Koehler, 2004)
travailler à améliorer la façon dont l’équipe débattait
des problèmes et par coacher les membres individuel- leur vie ; d’autres changent substantiellement. Mal- La version originale
de cet article a été publiée
lement, y compris le P-DG. A mesure que l’équipe évo- gré le rôle incontournable de la génétique, la nature en avril 2005 dans l’édition
luait, il devenait évident que sa composition devait humaine n’est pas figée. Ceux qui ont la volonté de américaine de HBR.
changer : deux dirigeants, qui semblaient au départ travailler pour progresser et pour devenir plus
parfaitement compatibles avec le groupe en raison de conscients d’eux-mêmes peuvent bien entendu évo-
leurs résultats, ont dû être remplacés quand il est de- luer, au fil du temps, et devenir de réels leaders trans-
venu clair qu’ils n’avaient pas envie de s’impliquer et formationnels. Peu d’entre eux peuvent devenir des
d’expérimenter la nouvelle approche. alchimistes, mais beaucoup auront l’envie et le po-
Au cours de cette réorientation, qui a duré un peu tentiel de devenir des individualistes et des stra-
plus de deux ans, l’équipe est devenue un groupe in- tèges. Les entreprises qui aident leurs cadres et leurs
dividualiste avec des capacités émergentes de stra- équipes de leaders à étudier leurs logiques d’action
tège. Le P-DG, qui avait été identifié comme fonceur/ peuvent en récolter les précieux fruits.
L'I D É E E N P R ATI Q U E
Disponible sur :
COMMENT
UN MANAGER
DEVIENT UN
DIRIGEANT
Les sept métamorphoses de sa vision
et de ses responsabilités.
Par Michael D. Watkins. Illustrations : Khuan+Ktron
H
enri (un nom d’emprunt) est un diri- ser la simple gestion des ventes et du marketing, de
geant à haut potentiel, qui travaille se plonger dans le fonctionnement d’un dépar-
depuis quinze ans dans un groupe tement tout entier, d’apprendre à le diriger avec
chimique européen de premier rang. l’aide d’une équipe chevronnée, et de développer
Il a débuté en tant qu’assistant chef ses qualités de leader dans un environnement à
de produit au département des plastiques, puis a très l’abri des problèmes compliqués et des crises. Le
vite été muté à Hong Kong pour contribuer à la mise plan semblait parfait, mais, au bout de quelques
en place de la nouvelle filiale asiatique de ce dépar- mois, Henri s’est retrouvé la tête sous l’eau.
tement. Le chiffre d’affaires grimpant en flèche, Comme Henri, de nombreux managers promet-
Henri a été rapidement promu responsable des teurs trébuchent lorsqu’ils passent de la direction
ventes. Trois ans plus tard, il était de retour sur le d’une fonction à celle d’une entreprise, assument
Vieux Continent en tant que directeur commercial pour la première fois la responsabilité des résultats
pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, à la tête et supervisent des cadres travaillant dans tous les
d’un groupe de 80 collaborateurs. Grâce à sa réussite domaines. Car, au sommet, tout est différent. Pour
à ce poste, il a ensuite été nommé directeur des comprendre à quel point, j’ai observé de manière
ventes de la division polyéthylène. Responsable de approfondie ce tournant critique, en menant une
plusieurs lignes de produits et des services associés, série d’entretiens avec plus de 40 cadres, dont des
il dirigeait alors une équipe de 200 personnes. managers au talent très prometteur, des profession-
L’excellent travail d’Henri l’a propulsé jusqu’à la nels expérimentés des ressources humaines et des
direction du département des résines plastiques, dirigeants ayant récemment pris les rênes d’une
qui compte plus de 3 000 salariés dans le monde. entreprise pour la première fois.
C’est intentionnellement que le groupe lui a confié J’ai constaté que, pour mener à bien cette transi-
ce petit département prospère, dont l’équipe est tion, les cadres doivent procéder à un ensemble de
solide. L’idée était de lui offrir l’occasion de dépas- changements délicats les amenant à faire évoluer
leur manière de diriger et leurs compétences. C’est
ce que j’appelle les sept métamorphoses. Un patron
doit en effet s’efforcer de se transformer, en passant
de spécialiste à généraliste, d’analyste à intégrateur,
de tacticien à stratège, de maçon à architecte, de
Les sept
« solutionneur » de problèmes à maître de l’ordre du
jour, de guerrier à diplomate et de second rôle à
métamorphoses
vedette. Comme nombre de ses pairs, Henri a eu du
mal à gérer toutes ces transformations. Pour com-
prendre ce qui rend ces changements si ardus, nous
Il existe peu de transitions L’étendue et la complexité du poste des collaborateurs bien plus divers.
aussi exigeantes que celle augmentent à un tel point que les Et ils sont confrontés à toute une série
consistant à passer pour directeurs de division fraîchement de questions ardues. Quels sont les
nommés se sentent débordés et grands problèmes sur l’agenda ? A quelles
la première fois de la direction
désorientés. Les compétences qu’ils opportunités et menaces l’activité
d’une fonction à celle de
avaient affinées dans leurs jobs fait-elle face ? Comment assurer le succès
toute une entreprise précédents – maîtrise de leur fonction, de l’entreprise tout entière ? Lors de ce
(ou de toute une division). savoir-faire organisationnel, capacité à tournant crucial, les cadres doivent
construire et à motiver une équipe – ne se métamorphoser, en se concentrant sur
suffisent plus. Pour la première fois, ils sept changements dans leur manière
doivent se transformer en généralistes de diriger, tous délicats à mener à bien.
pouvant comprendre toutes les fonctions Cela exige qu’ils développent de
de l’entreprise. Il leur faut apprendre nouvelles compétences et adoptent un
à embaucher, juger et négocier avec nouveau cadre de pensée.
allons le suivre au détour de chacune d’elles. Nous ment, ce penchant lui a sauté aux yeux lorsque le
le verrons faire face à des surprises troublantes, vice-président des ressources humaines lui a abrup-
émettre des suppositions fausses, se confronter à tement donné son avis sur la relation qu’il
de nouvelles exigences qui lui prennent du temps et entretenait avec la vice-présidente commerciale,
sollicitent son imagination, prendre des décisions Claire : « Vous êtes en train de la rendre folle. Il faut
en toute ignorance et (heureusement) tirer les le- que vous lui laissiez une marge de manœuvre. »
çons de ses erreurs. Cette tendance d’Henri à rester sur son terrain
de prédilection constituait une réaction naturelle
1- De spécialiste à généraliste au stress associé à ses nouvelles et vastes responsa-
Le tout premier défi qu’Henri a dû relever était le bilités. Car si les dirigeants fraîchement nommés
passage de la supervision d’une seule fonction à étaient tous des experts réputés connaissant toutes
celle de l’ensemble des fonctions de l’entreprise. les fonctions de l’entreprise, ce serait formidable,
Durant les deux premiers mois, cette transforma- mais ce n’est évidemment jamais le cas. Il arrive
tion l’a désorienté et a miné sa confiance en son cependant qu’ils aient acquis de l’expérience en
propre jugement. Il est alors tombé dans un piège occupant des postes dans des fonctions diverses, ou
classique : se concentrer sur la fonction qu’il en travaillant sur des projets transversaux, ce qui
connaissait bien et délaisser les autres. Heureuse- leur facilite la tâche (voir l’encadré « Comment for-
mer des chefs d’entreprise solides »). Reste que le recueil de commentaires auprès des différents dé-
passage à la direction d’une société nécessite tou- partements. Ses directeurs des finances et des res-
jours que des cadres ayant été des spécialistes se sources humaines, par exemple, tout en lui rendant
transforment rapidement en généralistes qui compte directement, évaluaient également en
connaissent suffisamment toutes les fonctions de pointillé les performances de leurs départements
l’entreprise pour être à même de la diriger. respectifs, ce qui était utile à Henri pour apprécier
Qu’entend-on donc par « suffisamment » ? Les leur fonctionnement et leur développement. Il dis-
dirigeants doivent pouvoir : 1/prendre des décisions posait donc d’une pléthore de ressources pour l’ai-
qui soient bonnes pour l’ensemble de l’entreprise et der à comprendre ce que « l’excellence » signifiait
2/ évaluer le talent de leurs équipes. Pour ce faire, ils pour chacune des fonctions.
doivent reconnaître que chaque fonction représente En investissant directement dans la création de
une sous-culture distincte, qui possède ses propres systèmes d’évaluation normalisés pour chaque
modèles mentaux et sa propre langue. Les dirigeants fonction, les entreprises peuvent faire en sorte que
compétents comprennent les différentes façons les nouveaux dirigeants prennent leurs marques
dont les professionnels de la finance, du marketing, plus rapidement. Quand bien même leurs entre-
des opérations, des ressources humaines et de la prises ne posséderaient pas de tels systèmes, les
R & D abordent les problèmes, et connaissent aussi aspirants au poste de numéro 1 peuvent se préparer
les divers outils (flux de trésorerie actualisés, en établissant des relations avec des collègues
segmentation de la clientèle, enchaînement des d’autres fonctions et en cherchant à apprendre
d’eux (éventuellement en échange d’éclaircisse-
faire des compromis et d’en expliquer les raisons. souplesse analytique est la capacité de passer aisé-
Là encore, une expérience antérieure au sein ment d’un niveau d’analyse à l’autre : savoir quand
d’équipes transversales ou travaillant sur de nou- se focaliser sur les détails, quand se concentrer sur
veaux produits peut se révéler précieuse pour un le tableau d’ensemble, et comment s’articulent les
dirigeant novice, tout comme un apprentissage en deux niveaux. L’intelligence conceptuelle est, elle,
tant qu’adjoint exécutif auprès d’un dirigeant la capacité de discerner des relations de causalité
confirmé. Mais, en fin de compte, comme Henri majeures ou des schémas significatifs dans une ac-
s’en est lui-même rendu compte, rien ne peut rem- tivité complexe et son environnement – autrement
placer la prise effective des décisions et les leçons dit de séparer le signal du bruit. Quant à la simula-
qu’on tire de leurs conséquences. tion mentale, c’est la capacité d’anticiper la manière
dont les acteurs extérieurs (concurrents, régula-
3- De tacticien à stratège teurs, médias, personnages clés du public) répon-
Au cours des premiers mois, Henri s’est plongé dans dront à vos actions, et de prédire les leurs afin de
les moindres détails de l’entreprise. En se laissant définir la meilleure voie à suivre.
d’abord attirer par l’approche tactique : activités Au cours de la première année d’Henri à son
concrètes, résultats immédiats. Mais il s’est re- poste, un concurrent asiatique a ainsi lancé un
trouvé noyé dans un flot quotidien de réunions, de substitut à bas coût d’un important produit
prises de décisions et de projets à promouvoir. résineux fabriqué par son département. Henri
Le problème était, bien entendu, que le nouveau devait non seulement prendre en compte cette
rôle d’Henri consistait essentiellement à être le menace immédiate, mais aussi réfléchir aux visées
stratège en chef de l’unité qu’il dirigeait. Pour ce probables de ce concurrent. La société asiatique
faire, il a dû lâcher prise sur de nombreux détails, et comptait-elle utiliser ce produit bas de gamme pour
libérer son esprit et son emploi du temps pour établir des relations solides avec ses clients et
pouvoir se concentrer sur les questions primor- proposer peu à peu une offre plus large ? Si oui,
diales. Bref, il lui a fallu adopter une mentalité de quelle riposte son département devait-il envisager ?
stratège. Et comment le concurrent allait-il réagir à ce
Comment des tacticiens accomplis apprennent- qu’Henri allait choisir de faire ? Autant de questions
ils à développer une telle mentalité ? En cultivant auxquelles il n’avait pas à répondre en tant que
trois compétences : la souplesse analytique, l’intel- directeur commercial. En fin de compte, après avoir
ligence conceptuelle et la simulation mentale. La analysé plusieurs plans d’action avec son équipe
Certains dirigeants
fraîchement nommés dirigeante, il a opté pour une baisse des prix,
réduisant ainsi certaines marges afin de ralentir la
faute professionnelle. du leadership est que les gens décrochent des pro-
motions à de hauts postes principalement en vertu
de leur talent à porter des coups et à bloquer leurs
adversaires, alors que les collaborateurs prédis-
posés à la stratégie peinent parfois à des niveaux
inférieurs parce qu’ils s’attardent moins sur les
détails. Des forces darwiniennes peuvent ainsi
laisser des penseurs stratégiques au bord du chemin
réservé aux « hauts potentiels » si les entreprises
n’adoptent pas une politique explicite visant à les
identifier et, dans une certaine mesure, à les proté-
ger lorsqu’ils débutent leur carrière.
4- De maçon à architecte
Trop souvent, les cadres dirigeants s’essaient à la
conception organisationnelle sans y être préparés,
et ils finissent par commettre des fautes profession-
nelles. Ils débutent à leur premier poste d’enver-
gure en désirant le marquer de leur empreinte, puis
ils ciblent des éléments de l’entreprise qui
paraissent relativement faciles à changer, comme la
stratégie ou la structure organisationnelle, sans
saisir pleinement les conséquences que leurs
décisions auront sur l’ensemble de la société.
Quatre mois après sa prise de fonctions, Henri a
ainsi conclu qu’il avait besoin de restructurer l’en-
treprise, afin qu’elle se recentre sur ses clients et
non plus sur les gammes de produits. Il était natu-
rel, en tant qu’ex-directeur commercial, qu’il
prenne cette décision. A ses yeux, l’entreprise était
trop ancrée dans le développement des produits et
des opérations, et sa structure constituait un héri-
tage désuet datant de la création du département. Il
a donc été surpris par le silence stupéfait de son
équipe devant sa proposition de restructuration,
puis par l’opposition farouche qu’elle a suscitée. Il
s’est alors aperçu que la structure existante de cette
division prospère était liée de façon complexe et
subtile à ses processus clés et à son réservoir de
talents. Pour vendre les produits chimiques de la
6- De guerrier à diplomate
Dans ses fonctions précédentes, Henri s’efforçait prin-
cipalement de galvaniser ses troupes pour vaincre la
concurrence. Désormais, il consacrait une part in-
croyable de son temps à essayer d’influencer une mul-
titude d’agents externes, tels que les administrations
chargées de réglementer son activité, les médias, les
investisseurs et les ONG. Ses adjoints étaient bombar-
dés de sollicitations le concernant : on lui demandait
de participer à des forums industriels ou gouverne-
mentaux parrainés par le département des affaires
réglementaires ; d’accepter une entrevue avec un jour-
naliste d’un grand magazine économique ; de rencon-
trer des investisseurs institutionnels importants… Il
connaissait bien certains de ces interlocuteurs, et
d’autres pas du tout. Et ce qui était tout à fait nouveau
pour lui, c’est qu’il devait non seulement interagir
avec cet éventail de parties prenantes, mais aussi
répondre de manière proactive à leurs demandes, en
prenant en compte les intérêts de la société. Or, son
expérience l’avait très peu préparé aux challenges que
doit relever un « diplomate d’entreprise ».
Que fait un diplomate d’entreprise efficace ? Il
utilise les outils de la diplomatie – la négociation, la
persuasion, la gestion de conflits et la formation
d’alliances – pour façonner l’environnement externe
de l’entreprise de manière à favoriser ses objectifs arrivait parfois de souffrir du fait que l’un d’eux
stratégiques. Ce faisant, il se retrouve souvent en avait perdu de vue un objectif à long terme.
train de collaborer avec des acteurs qui sont ses
principaux concurrents sur le marché. 7- De second rôle à vedette
Pour devenir de bons diplomates, les chefs d’en- Pour finir, un chef d’entreprise est placé au milieu de
treprise doivent changer de mentalité. Il leur faut la scène, sous les projecteurs. Henri fut ainsi surpris
saisir comment divers intérêts peuvent converger par l’attention qu’il suscitait et par la nécessité de se
(ou parfois convergent déjà), comprendre la façon tenir presque toujours sur ses gardes. Il découvrit
dont les décisions sont prises dans des types avec stupéfaction à quel point ses paroles et ses actes
d’organisation différents de celui de leur entreprise étaient pris au sérieux. Peu après sa nomination, par
et développer des stratégies efficaces pour influencer exemple, lors d’un entretien avec son vice-président
d’autres acteurs. Ils doivent aussi découvrir de la R & D, il émit l’idée d’un nouveau mode de
comment recruter et gérer des collaborateurs qu’ils conditionnement pour un produit existant. Deux
n’ont souvent jamais supervisés jusqu’alors : les pro- semaines plus tard, un rapport préliminaire de faisa-
fessionnels de fonctions de soutien décisives telles bilité l’attendait sur son bureau.
que les relations avec les pouvoirs publics et la com- Cette dernière métamorphose consiste en partie à
munication. Et il leur faut admettre que les initia- voir s’accroître son influence en tant qu’exemple à
tives de ces collaborateurs ont un horizon plus loin- suivre. Dans une certaine mesure, les managers de
tain que celui de l’activité courante, qui met l’accent tous niveaux sont des modèles. Mais au sommet de
sur les résultats trimestriels ou annuels. Une cam- l’entreprise, leur influence se renforce et tout le
pagne visant à influencer la réglementation peut, par monde se tourne vers eux en quête de vision, d’inspi-
exemple, mettre des années à porter ses fruits. ration ou de signes pointant les « bons » comporte-
Il fallut un certain temps à Henri pour le ments. En bien ou en mal, les styles personnels des
comprendre, le temps pour ses collaborateurs de lui hauts dirigeants sont contagieux, qu’ils soient
expliquer que certains problèmes se traitaient observés par les salariés ou transmis indirectement
péniblement et sur une longue période, et qu’il leur par leurs subordonnés tout au long de la chaîne
message, il lui fallait se reposer sur ses subordonnés charger de la mise en œuvre, afin de se donner du
et utiliser d’autres canaux, comme la vidéo. Après temps pour remplir leur nouveau rôle.
avoir fait le tour des installations de son départe En ce qui concerne Henri, son histoire s’est bien
À PROPOS
ment, Henri s’inquiéta aussi de ne pouvoir percevoir terminée. Il a eu la chance de travailler pour une DE L’AUTEUR
clairement ce qui se passait en première ligne. Plutôt entreprise impliquée dans le développement du Au moment de la
que de se contenter de rencontrer les responsables leadership et de disposer d’une équipe expé rédaction de cet article,
lors de ses visites, il institua des déjeuners informels rimentée, prête à le conseiller utilement. Malgré les l’auteur occupait
les fonctions suivantes :
avec de petits groupes de salariés situés au bas de la nombreux obstacles disséminés sur son parcours,
chaîne hiérarchique et prit part à des forums de dis sa firme a donc continué à prospérer, et Henri a fina Michael D. Watkins est
l’un des cofondateurs de
cussion en ligne permettant à ses collaborateurs de lement trouvé son rythme en tant que chef d’entre Genesis Advisers, un
donner leur avis sur l’entreprise. prise. Trois ans plus tard, armé de cette expérience, cabinet de développement
Les sept métamorphoses nécessitent essen il s’est vu proposer la direction d’un département du leadership spécialisé
dans l’accélération des
tiellement de basculer d’une pensée analytique à une beaucoup plus important et en difficulté, qu’il a processus de prise de
pensée conceptuelle. Ce qui ne signifie pas pour réussi à redresser avec brio. fonctions et de transition.
Il est également professeur
autant que les chefs d’entreprise doivent abandonner Rétrospectivement, voici sa conclusion : « Les à l’IMD et auteur de
les considérations tactiques ou fonctionnelles. Mais compétences qui vous ont fait parvenir où vous êtes « The First 90 Days » et
« Your Next Move ».
ils y consacrent nettement moins de temps que dans ne sont peutêtre pas celles qu’il vous faut pour
leurs postes précédents. En réalité, il leur est souvent vous rendre où vous devez aller. Cela ne diminue en La version originale de
cet article a été publiée
utile d’engager un adjoint – un chef du personnel, un rien vos réussites passées, mais elles ne vous suffi en juin 2012 dans l’édition
directeur d’exploitation, un chef de projet – pour se ront pas pour la prochaine étape du voyage. » américaine de HBR.
L'I D É E E N P R ATI Q U E
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LE LEADERSHIP DE NIVEAU 5
LE LEADERSHIP
LEADERSHIP DE NIVEAU 5 :
DE NIVEAU
LE TRIOMPHE 5
DE L’HUMILITÉ
ET DE LA DÉTERMINATION
E
n 1971, Darwin E. Smith est CE N’EST PAS CE À QUOI
nommé P-DG de Kimberly- VOUS VOUS ATTENDRIEZ
Clark, un poussiéreux fabri- Notre découverte du leadership de niveau 5 est contre-
cant de papier dont l’action intuitive. En effet, on suppose habituellement que,
avait chuté de 36% par rap- pour passer d’une « bonne » à une « excellente » perfor-
port à la moyenne du mar- mance (en anglais, from « good » to « great »), les entre-
ché, au cours des 20 années prises doivent s’appuyer sur des patrons hors du com-
précédentes. Cet homme mun – des personnalités fortes comme Lee Iacocca, Al
doux, d’apparence ordinaire, Dunlap, Jack Welch ou Stanley Gault, qui deviennent
jusqu’alors juriste de l’entre- des célébrités et font les gros titres des journaux.
prise, n’est pas convaincu du choix de son comité de Comparé à ces dirigeants, Darwin Smith donnait
direction – un sentiment renforcé par la remarque l’impression d’arriver de la planète Mars. Timide,
d’un des membres, qui le prend à part pour lui rappe- modeste, maladroit même, il fuyait les projecteurs.
ler qu’il n’a pas toutes les compétences requises pour Un journaliste lui a un jour demandé de décrire son
le poste. Smith y restera pourtant deux décennies. style de management. Smith l’a fixé de derrière ses
Et quelles décennies ! En vingt ans, Smith a opéré lunettes aux épaisses montures noires, vêtu on ne
une formidable transformation et a fait de Kimberly- peut moins à la mode, style garçon de ferme qui aurait
Clark le leader mondial des produits de consomma- acheté son costume en grande surface. Après un long
tion à base de papier transformé. Sous son égide, et pesant silence, il a fini par répondre : « Excentrique. »
l’entreprise a dépassé ses rivaux Scott Paper et Procter Inutile de préciser que son portrait dans le « Wall
& Gamble et a généré un rendement cumulé 4,1 fois Street Journal » ne fut pas des plus exubérants…
supérieur au reste du marché – surpassant ainsi des Pour autant, voir en Smith un mou ou un tendre
compagnies vénérables comme Hewlett-Packard, 3M, serait une grossière erreur. Sa simplicité allait de pair
Coca-Cola et General Electric. avec une détermination farouche, stoïque même.
Le redressement accompli par Smith est l’un des Smith a grandi dans une ferme et travaillait chez In-
meilleurs exemples du XXe siècle illustrant le passage ternational Harvester pour se payer des cours du soir
d’une société d’une performance passablement à l’université de l’Indiana. Un jour, il a perdu un doigt
bonne à une performance véritablement excellente. sur son lieu de travail. On raconte qu’il était présent
Et pourtant, peu de gens, même parmi les passionnés en classe le soir même et qu’il est retourné travailler
de l’histoire des entreprises, ont entendu parler de dès le lendemain. Ce jeune paysan, pauvre mais dé-
Darwin Smith, né en 1926 et décédé en 1995. C’est pro- terminé, a finalement décroché son admission à la
bablement ce qu’il aurait préféré. Smith est l’exemple faculté de droit Harvard.
typique du « leader de niveau 5 »– un individu qui mêle A la tête de Kimberly-Clark, il a fait preuve de la
une extrême humilité à une intense détermination même volonté de fer : deux mois après qu’il a été
professionnelle. Comme l’a montré notre recherche, nommé P-DG, les médecins lui ont diagnostiqué un
étalée sur cinq ans, les dirigeants possédant ces quali- cancer du nez et de la gorge et lui ont annoncé qu’il
tés paradoxales catalysent le passage, statistiquement lui restait moins d’un an à vivre. Il a informé comme
rare, d’une performance « bonne » à « excellente ». il se doit son comité de direction de sa maladie mais
Le « niveau 5 » correspond au plus haut niveau que il l’a prévenu qu’il n’avait aucunement l’intention de
nous ayons identifié dans la hiérarchie des compé- mourir bientôt. Smith a maintenu son rythme de tra-
tences des dirigeants. Les leaders des niveaux infé- vail exigeant tout en se rendant toutes les semaines à
rieurs peuvent parvenir à de très bons résultats, insuf- Houston, depuis le Wisconsin, pour sa radiothérapie.
fisants cependant pour permettre à leur société Il a finalement vécu 25 années supplémentaires, dont
d’accéder à une excellence durable (pour plus de dé- 20 en tant que P-DG.
tails sur ce concept, voir l’encadré « La hiérarchie de La détermination farouche de Smith a été cruciale
niveau 5 »). Et même si un leadership de niveau 5 ne dans la reconstruction de l’entreprise, notamment au
permet pas à lui seul le passage d’une bonne à une moment où il a pris la décision la plus spectaculaire
excellente performance – il faut aussi s’entourer des de toute l’histoire de Kimberly-Clark : la vente des
bonnes personnes (et se débarrasser des mauvaises) moulins à papier.
et créer une culture de la discipline –, notre recherche Explications : peu de temps après sa nomination,
montre qu’il est essentiel. L’excellence est impossible Darwin Smith et son équipe ont compris que le cœur
sans un leader de niveau 5 à la tête de l’entreprise. de métier de l’entreprise – le papier glacé – était
condamné à de piètres performances : le contexte comment ? » En réalité, j’ai même donné à mes
économique était mauvais, la concurrence faible. équipes la consigne explicite de minimiser le rôle des
Mais, se sont-ils dit, si Kimberly-Clark se jetait dans top dirigeants dans leurs analyses, de façon à ne pas
l’arène des produits de consommation dérivés du basculer dans le raisonnement simpliste du « c’est
papier, la bonne santé de ce marché et ses concurrents grâce au P-DG » ou « c’est à cause du P-DG », si com-
d’envergure mondiale, comme Procter & Gamble, mun aujourd’hui.
forceraient l’entreprise soit à se surpasser, soit à Nous n’avons pas cherché le niveau 5 : c’est lui qui
disparaître. nous a trouvés. Au fil de nos recherches, les équipes
Et tel le général qui brûle ses navires en débar- répétaient en permanence : « Impossible de faire
quant en territoire ennemi pour que ses troupes abstraction des dirigeants, même si on le voulait. Ils
n’aient d’autre choix que de vaincre ou mourir, Smith ont tous quelque chose d’inhabituel. » J’étais campé
a annoncé la vente des moulins – y compris celui de sur mes positions : « Les entreprises avec lesquelles
Kimberly, dans le Wisconsin, dont l’entreprise tire on les compare ont aussi des dirigeants. En quoi est-
son nom. Toutes les recettes ont été réinjectées dans ce différent ? » Le débat a fait rage. Et finalement,
les produits de consommation, avec des investisse- comme cela devrait toujours être le cas, les faits ont
ments dans des marques comme les couches Huggies gagné. Les dirigeants des entreprises qui sont passées
ou les mouchoirs Kleenex. La presse professionnelle d’une bonne à une excellente performance et qui ont
a qualifié cette décision de stupide, les analystes de maintenu cette excellence pendant 15 ans ou plus
Wall Street ont déprécié l’action. Mais à aucun mo- sont tous faits du même bois – un bois très différent
ment Smith n’a douté. Vingt-cinq ans plus tard, Kim- de celui de leurs concurrents. Peu importait que l’en-
berly-Clark détenait Scott Paper et battait Procter & treprise soit stable ou en crise, qu’elle s’adresse aux
Gamble dans six catégories de produits sur huit. Alors particuliers ou aux professionnels, qu’elle vende des
qu’il était à la retraite, Smith a déclaré, au sujet de produits ou des services. Peu importait l’époque de
cette exceptionnelle performance : « Je n’ai jamais leur transition ou leur taille : celles qui avaient réussi
cessé d’essayer d’être à la hauteur du poste. » avaient toutes un leader de niveau 5 au moment de
leur transformation.
CE N’EST PAS CE À QUOI NOUS En outre, l’absence de leadership de niveau 5 était
NOUS ATTENDIONS, NON PLUS systématique chez les concurrents avec qui nous les
Avant de développer cette idée du leadership de comparions. C’est ici que je veux en venir : le niveau 5
niveau 5, évoquons d’abord le contexte de notre est une découverte empirique, et non idéologique.
étude. Nous n’avons pas cherché à trouver un leader- C’est une précision importante car cette découverte
ship de niveau 5, ou quoi que ce soit s’en approchant. contredit non seulement la sagesse populaire mais
Notre question initiale était la suivante : « Une bonne aussi une grande partie des théories de management
entreprise peut-elle devenir excellente, et si oui actuelles (pour plus de détails sur la transformation
de pouvoir des gens qui n’ont seur à court terme qui a accepté la surcote de 44%
offerte par Perelman et a réinvesti ses gains en Bourse
pas le germe du niveau 5 en eux, pendant dix ans, a récupéré une mise inférieure de
vers l’excellence.
Malheureusement, Mockler n’a pas eu la chance
de savourer les fruits de ses efforts. En janvier 1991,
entreprises américaines. La performance de l’action En reconstruisant son board et son équipe dirigeante
du fabricant automobile était 2,9 fois supérieure au avec les meilleurs collaborateurs qu’il puisse trouver,
reste du marché à mi-mandat de son patron… quand Cain a envoyé un message fort : les liens familiaux ne
celui-ci s’est mis à concentrer toute son attention sur comptaient plus. Ceux qui n’étaient pas capables
sa propre transformation. Il a multiplié les appari- d’être les meilleurs du secteur à leur poste ont perdu
tions dans des talk-shows télévisés comme le « Today leur travail.
Show » et le « Larry King Live », a tourné dans plus de Ce type de réorganisation sans merci ou presque
80 spots publicitaires, a caressé l’idée de se présenter n’aurait probablement pas étonné de la part d’un
à la présidentielle américaine et a fait la promotion outsider nommé pour redresser l’entreprise. Or Cain
de son autobiographie, écoulée à 7 millions d’exem- travaillait chez Abbott Laboratories depuis 18 ans, il
plaires dans le monde. La propre cote d’Iacocca a faisait même partie de la famille puisqu’il était le fils
grimpé en flèche. Celle de Chrysler, en revanche, est du président précédent. On imagine que les repas de
retombée à 31% au-dessous de la moyenne du mar- famille ont été tendus pendant quelques années
ché durant la seconde moitié de son mandat. chez les Cain (« Désolé d’avoir dû te virer. Tu re-
Après avoir obtenu la célébrité et tous ses à-côtés, prends de la dinde ? »), mais, au final, tout le monde
Iacocca a eu du mal à s’effacer du centre de la scène. a été ravi des performances boursières de l’entre-
Il a retardé tant de fois son départ à la retraite que prise. Cain a su mettre en mouvement une machine
ses collaborateurs ont commencé à raconter en riant de croissance rentable. Entre sa transition, en 1974,
qu’Iacocca signifiait en réalité « I Am Chairman of et 2000, le rendement des actions Abbott était de 4,5
Chrysler Corporation Always » (« Je suis le président pour 1, plus du double de celui des superstars du sec-
de la Chrysler Corporation pour toujours »). Quand teur, Merck et Pfizer.
enfin il est parti à la retraite, il a exigé que le board Charles R. Walgreen III, alias « Cork », illustre lui-
continue à lui fournir un jet privé et des stock-op- aussi la volonté de fer des leaders de niveau 5. Entre
tions. Il a joint par la suite ses forces au roi du rachat 1975 et 2000, Cork a transformé la vieillotte Wal-
d’entreprise, Kirk Kerkorian, pour une OPA hostile greens en une entreprise au rendement de 16 pour 1.
sur Chrysler (qui n’a pas abouti). Toutefois, il a pris Après des années de dialogue et de débats avec ses
une ultime et brillante décision en choisissant un équipes dirigeantes sur l’avenir de la branche restau-
homme modeste mais déterminé (peut-être même ration de la société, le P-DG a senti qu’ils avaient
un niveau 5) comme successeur. Bob Eaton a sauvé enfin atteint un tournant : l’avenir de Walgreens rési-
Chrysler d’une seconde mort possible en une décen- dait dans les pharmacies, pas dans les restaurants.
nie et a posé les bases d’une transition plus Dan Jorndt, qui a succédé à Cork en 1988, décrit la
durable. suite des événements :
« Au cours d’une réunion du comité de planifica-
UNE DÉTERMINATION INFLEXIBLE tion, Cork a dit ‘‘ OK, je commence le décompte à
Outre leur extrême humilité, les leaders de niveau 5 partir d’aujourd’hui. Dans cinq ans, on sera complè-
font aussi preuve dans leur travail d’une volonté ex- tement sortis de la restauration.’’ A l’époque, nous
traordinaire. Quand George Cain devint P-DG d’Ab- avions plus de 500 restaurants. On aurait pu en-
bott Laboratories, cette entreprise familiale apa- tendre une mouche voler. Il a continué : ‘‘Je veux que
thique figurait dans le dernier quartile de l’industrie tout le monde sache que l’horloge tourne.’’ Six mois
pharmaceutique et ne vivait que de l’érythromycine, plus tard, on était à nouveau en réunion de planifica-
sa vache à lait. Leader de niveau 5 typique par son tion et quelqu’un a dit, en passant, qu’il nous restait
absence de prétention, Cain n’avait pas le genre de cinq ans pour sortir du secteur de la restauration.
personnalité inspirante capable de galvaniser ses Cork n’était pas du genre à se mettre à hurler. Il a ta-
troupes mais possédait une force bien plus puis- poté sur la table et a dit ‘‘Non, vous avez quatre ans
sante : une grande exigence. Il ne supportait pas la et demi. Cinq ans, c’était il y a six mois. Il vous reste
médiocrité, quelle que soit sa forme, et se montrait quatre ans et demi.’’ Eh bien, dès le lendemain, les
absolument intolérant envers quiconque estimait choses se sont mises en branle pour réduire cette
qu’être « bon » suffisait. Et pendant les 14 années qui branche de notre activité ! Cork n’a jamais ni hésité,
suivirent sa nomination, il a imposé sans relâche son ni douté. »
désir d’excellence pour Abbott Laboratories. Tout comme Darwin Smith avait vendu les mou-
Il a tout d’abord commencé par s’attaquer à l’une lins de Kimberly-Clark, Cork Walgreen a pris sa déci-
des causes de la médiocrité d’Abbott : le népotisme. sion avec une détermination stoïque. La restauration
« excellente » pendant une courte période, avant de repéré un leitmotiv intéressant dans le discours des
retomber tout aussi vite. dirigeants de ces dernières : ils imputaient générale-
ment leur situation au manque de chance et déplo-
LA FENÊTRE ET LE MIROIR raient les difficultés de l’environnement qu’ils
Dans le cadre de notre recherche, nous avons inter- devaient affronter.
viewé Alan L. Wurtzel, le leader de niveau 5 grâce Comparons par exemple Bethlehem Steel et Nu-
auquel Circuit City, au bord du délabrement et de la cor. Ces deux entreprises de sidérurgie, commerciali-
faillite, est devenue l’une des chaînes de magasins sant des produits très proches, ont eu à affronter la
d’électronique grand public les plus prospères des même concurrence : celle de l’acier importé, vendu à
Etats-Unis (la chaîne avait des magasins en dur très bas prix. Toutes deux accordaient des salaires
jusqu’en 2012, NDLR). 15 ans après le début de sa tran- bien plus élevés que leurs rivaux étrangers ; pourtant
sition, en 1982, Circuit City surpassait la moyenne du leurs dirigeants avaient un point de vue complète-
marché à 18,5 contre 1. ment différent du même environnement.
Nous avons demandé à Wurtzel de lister, par ordre En 1983, le P-DG de Bethlehem Steel résumait les
d’importance, les cinq facteurs essentiels de la trans- problèmes de son entreprise en blâmant les importa-
formation de son entreprise. Son facteur n°1 ? La tions : « Notre premier, deuxième et troisième pro-
chance. « Nous étions sur un très bon marché, avec le blème, ce sont les importations. » Pendant ce temps,
vent dans le dos », nous a-t-il dit. Mais enfin attendez, Ken Iverson et son équipe chez Nucor voyaient ces
avons-nous rétorqué, Silo – le concurrent avec lequel importations comme une bénédiction : « N’a-t-on pas
nous vous avons comparé – était sur le même mar- de la chance ? L’acier, c’est lourd, et eux doivent lui
ché, avec le même vent et des voiles plus grandes. La faire traverser l’océan par bateau. Ça nous donne un
conversation s’est poursuivie, Wurtzel refusant tou- avantage considérable ! » En effet, pour Iverson, les
jours de s’attribuer le mérite de la transition, préfé- premier, deuxième et troisième problèmes auxquels
rant de loin l’accorder à la chance d’avoir été au bon était confrontée la sidérurgie américaine, ce n’était
endroit, au bon moment. Puis, alors que nous lui de- pas les importations mais le management. Il alla
mandions de parler des facteurs qui permettent à une même jusqu’à dénoncer publiquement la politique
transition vers l’excellence de se prolonger dans la gouvernementale de protection contre les importa-
durée, il nous a dit : « La première chose qui me vient tions, en expliquant à un parterre de professionnels
à l’esprit, c’est la chance. J’ai eu la chance de trouver de l’acier médusés que les vrais problèmes du secteur
le bon successeur. » étaient liés au fait que le management n’avait pas su
La chance ! Voilà un facteur bien surprenant à suivre le rythme des avancées technologiques.
mentionner. Pourtant, les leaders de niveau 5 que L’accent porté sur la chance s’est avéré faire partie
nous avons identifiés l’ont tous fréquemment évo- d’un schéma plus large que nous avons surnommé
qué. Nous avons demandé à un dirigeant de l’entre- « la fenêtre et le miroir ». Les leaders de niveau 5,
prise sidérurgique Nucor la raison pour laquelle elle humbles par essence, regardent par la fenêtre et attri-
avait su enchaîner tant de bonnes décisions. Sa ré- buent le mérite de leur situation (même à tort) à des
ponse ? « Je suppose qu’on a tout simplement eu de la facteurs extérieurs à eux-mêmes. S’ils ne parviennent
chance. » Joseph F. Cullman III, le P-DG de niveau 5 de pas à trouver une personne ou un événement en par-
Philip Morris de 1957 à 1978, refusait tout net de s’at- ticulier à qui accorder ce mérite, ils l’attribuent à la
tribuer le mérite du succès de la compagnie et citait la chance. En parallèle, ils assignent les responsabilités
chance d’avoir eu d’excellents collaborateurs, prédé- en regardant dans un miroir et jamais ne citent la mal-
cesseurs et successeurs. Même le livre qu’il a écrit au chance ou les facteurs extérieurs en cas de difficultés.
sujet de sa carrière – qu’il n’a rédigé qu’à la demande A l’inverse, les dirigeants des autres entreprises re-
pressante de ses collègues et sans intention de le dif- gardent généralement par la fenêtre pour trouver des
fuser vraiment en dehors de l’entreprise – portait le facteurs à blâmer mais se pavanent devant le miroir
titre étonnant « I’m a Lucky Guy » (« Je suis un mec en s’attribuant tout le mérite des succès.
chanceux »). Détail amusant à propos de ce concept de fenêtre
L’accent mis sur la chance par les leaders de et de miroir : il ne reflète pas la réalité ! Selon notre
niveau 5 nous a dans un premier temps déroutés. étude, les leaders de niveau 5 étaient bel et bien res-
Après tout, rien ne prouvait que leurs sociétés avaient ponsables de la transformation de leur entreprise…
eu plus de chance (ou moins, d’ailleurs) que les mais ne l’auraient jamais admis. Bien sûr, on ne peut
entreprises de notre groupe témoin. Puis nous avons rentrer dans leur tête pour déterminer s’ils croient
vraiment à ce qu’ils ont vu par la fenêtre ou dans le l’ambition d’un projet plus vaste et plus durable
miroir. Mais ça n’a pas vraiment d’importance : ils se qu’eux-mêmes. Pour ceux-là, le travail sera toujours et
comportent comme si ils y croyaient, et avec une telle avant tout une question de gain : renommée, fortune,
constance qu’ils aboutissent à des résultats pouvoir, adulation, etc. Il ne s’agira jamais de ce qu’ils
exceptionnels. construisent, créent ou contribuent à créer. La grande
ironie de la situation, c’est que la force et l’ambition
ACQUIS OU INNÉ ? personnelle qui amènent généralement ces gens au
Il y a un certain temps, je partageais nos découvertes niveau 4 est précisément en contradiction avant l’hu-
sur le leadership de niveau 5 devant une assemblée milité requise pour s’élever au niveau 5.
de dirigeants. Une femme récemment nommée à la Quand on combine cette ironie avec la croyance
tête de son entreprise a levé la main. « Je suis d’accord encore très répandue au sein des comités de direc-
avec ce que vous racontez sur le leadership de tion que seul un leader hors du commun et égocen-
niveau 5, a-t-elle dit, mais je suis troublée parce que trique peut guider une entreprise vers l’excellence,
j’ai conscience de ne pas encore y parvenir. D’ailleurs, on réalise rapidement pourquoi les dirigeants de ni-
je n’y parviendrai peut-être jamais. J’ai eu ce poste, veau 5 restent rares à la tête de nos sociétés. On
notamment, grâce à mon ego très fort. Etes-vous en continue à placer en position de pouvoir des gens qui
train de dire que je ne peux pas faire exceller mon n’ont pas le germe du niveau 5 en eux, et c’est l’une
entreprise si je ne suis pas de niveau 5 ? » des principales raisons pour laquelle si peu d’entre-
« Laissez-moi en revenir aux faits, lui ai-je ré- prises réussissent une transition durable et quanti-
pondu. Sur les 1 435 entreprises à avoir rejoint le clas- fiable vers l’excellence.
sement Fortune entre 1965 et 1995, nous n’en avons L’autre catégorie est composée de celles et ceux
retenu que 11 dans notre étude. Parmi ces 11, toutes qui pourraient atteindre le niveau 5 : cette capacité est
avaient des leaders de niveau 5 à des postes clés, di- en eux, enfouie peut-être, ou ignorée, ou tout simple-
rection générale comprise, au moment de leur transi- ment naissante. Dans certaines circonstances – et
tion. Je le répète, nous ne sommes pas en train d’affir- avec de l’introspection, l’aide d’un mentor, des pa-
mer que le niveau 5 est le seul élément requis pour rents aimants, une expérience de vie intense ou autre
passer d’une bonne à une excellente performance, chose encore – le germe peut commencer à se déve-
mais c’est un élément essentiel. » lopper. Certains des leaders de niveau 5 de notre
Elle s’est rassise, silencieuse, et je sentais que étude ont vécu des expériences fortes, qui sans
beaucoup dans la salle étaient aussi en train de réflé- doute ont initié le développement du germe en eux.
chir. Finalement, elle a de nouveau levé la main. Darwin Smith s’est pleinement épanoui au niveau 5
« Peut-on apprendre à devenir un leader de niveau après que son cancer lui a fait frôler la mort ; Joe Cull-
5 ? » Je ne connais toujours pas la réponse à cette man a été profondément touché par ce qu’il a vécu
question. Pour être honnête, notre recherche ne s’est pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment la
pas penchée sur la manière dont les leaders de niveau réaffectation de dernière minute qui l’a empêché de
5 le sont devenus, et nous n’avons pas tenté d’expli- monter à bord d’un navire condamné où il aurait très
quer ou de codifier la nature de leurs émotions. Nous certainement perdu la vie. A ses yeux, les 60 années
avons spéculé sur leurs personnalités très particu- suivantes ont constitué un cadeau merveilleux. Une
lières. Sont-ils « coupables » d’avoir déplacé leur am- foi très forte ou une conversion religieuse peuvent
bition vers quelque chose d’autre qu’eux-mêmes ? aussi venir nourrir le germe du niveau 5. Colman
Ont-ils sublimé leur ego pour d’obscures et com- Mockler, par exemple, s’est converti au christianisme
plexes raisons liées à des traumatismes dans leur évangélique au moment de son MBA à Harvard. Gor-
enfance ? Qui sait ? Et, plus important probablement don McKibben explique dans son livre « Cutting
encore, les racines psychologiques du leadership de Edge » qu’il est ensuite devenu un pilier d’un groupe
niveau 5 sont-elles plus importantes que celles du de dirigeants bostoniens qui discutent régulièrement
charisme ou de l’intelligence ? La question subsiste : autour d’un petit déjeuner de l’application des va-
le niveau 5 peut-il s’acquérir ? leurs religieuses à la vie d’entreprise.
Mon hypothèse préliminaire est qu’il y a deux ca- Nous adorerions pouvoir vous donner une liste
tégories de personnes – celles qui ont le germe du ni- des étapes à franchir pour accéder au niveau 5 – autre
veau 5 en elles, et celles qui ne l’ont pas. Cette seconde que contracter un cancer, se convertir ou changer de
catégorie est constituée de gens qui jamais, au grand parents – mais nous n’avons aucune étude chiffrée
jamais, ne pourront assujettir leurs propres besoins à qui viendrait crédibiliser une telle liste. Notre
L'I D É E E N P R ATI Q U E
HUMILITÉ + DÉTERMINATION = NIVEAU 5 entreprise. Mais les dirigeants qui ont ce germe en eux peuvent,
Comment les leaders de niveau 5 manifestent-ils leur humilité ? sous certaines conditions – en pratiquant l’introspection
En attribuant systématiquement le succès de leur entreprise aux ou en vivant un événement profondément marquant telle
autres, aux facteurs extérieurs et à la chance et en se désignant qu’une maladie mortelle – l’amener à se développer.
comme responsables en cas de faibles performances. Ils agissent
avec calme et détermination et motivent leurs équipes non par ATTEINDRE LE NIVEAU 5
un charisme inspirant, mais par des attentes inspirantes. Faites germer le niveau 5 en mettant en œuvre les pratiques
Ces attentes élevées sont la preuve de leur volonté inébranlable. appliquées par les leaders de niveau 5 pour passer d’une
Ils ne supportent pas la médiocrité et se montrent fermes dans « bonne » à une « excellente » performance :
leur décision de mettre tout en œuvre pour atteindre l’excellence, Choisir d’abord les personnes
même s’il faut pour cela sacrifier le reste. Ils sélectionnent de Occupez-vous des gens d’abord, de la stratégie ensuite.
brillants successeurs pour que leur entreprise remporte toujours Embarquez avec vous les bonnes personnes et débarquez
plus de succès à l’avenir. les mauvaises. Puis déterminez la direction du navire.
Faire sien le paradoxe de Stockdale
PEUT-ON APPRENDRE LE LEADERSHIP DE NIVEAU 5 ? Affrontez la réalité, aussi brutale soit-elle
Les leaders de niveau 5 sont au sommet d’une hiérarchie – tout en conservant une foi absolue en votre réussite.
de quatre autres niveaux, plus communs, et possèdent les Créer un volant d’inertie
compétences de ces quatre niveaux. Par exemple, les leaders de Entretenez le volant d’inertie de votre entreprise.
niveau 4 ont une vision claire et convaincante à laquelle ils sont Avec des efforts soutenus, la vitesse augmente jusqu’à ce
dévoués et qu’ils poursuivent avec force. Peut-on passer du que – bam ! – le volant finisse par tourner seul.
niveau 4 au niveau 5 ? Oui, à la condition d’avoir le « germe » Appliquer le concept du hérisson
du niveau 5 en soi. Les leaders qui ne l’ont pas tendent à avoir Voyez votre entreprise comme l’intersection de trois cercles :
des egos monumentaux qu’ils ne peuvent assujettir à une chose ce qu’elle fait de mieux, ce qu’elle fait de plus rentable, ce qui
plus grande et moins fugace qu’eux-mêmes, à savoir leur nourrit la passion de ses collaborateurs. Eliminez tout le reste.
U
ne réussite et une d’excellence » pour les joueurs prometteurs – dès l’âge
endurance telles que de 9 ans – et a recruté dans cette optique plusieurs
celles de sir Alex Fergu- prospecteurs ayant pour mission de lui ramener les
son exigent d’être étu- plus talentueux de ces footballeurs en herbe. La plus
diées de près, et pas célèbre de ces premières trouvailles a été David Bec-
seulement par les ama- kham. Et la plus importante, Ryan Giggs, que Fergu-
teurs de football. Com- son a remarqué en 1986, alors qu’il n’était qu’un mai-
ment a-t-il fait ? Est-il grichon âgé de 13 ans, et qui a été élu en 2011 « meilleur
possible d’identifier les joueur de Manchester United » par les supporters des
constantes qui ont fa- Red Devils. A 40 ans, Giggs était toujours membre de
vorisé ses succès, ainsi que leurs principes direc- l’équipe de Manchester United. Les stars de longue
teurs ? Durant ce qui constitua son ultime année date Paul Scholes et Gary Neville ont de la même fa-
d’études, mon ancien étudiant Tom Dye et moi- çon fait partie des premiers investissements réalisés
même avons mené une série d’entretiens approfon- par Ferguson dans le cadre de son programme pour
dis avec Ferguson sur ses méthodes de leadership. les jeunes. Ils ont formé, avec Giggs et Beckham, le
Nous l’avons également observé en pleine action, cœur des grandes équipes de Manchester United de la
tant sur les terrains d’entraînement de Manchester fin des années 1990 et du début des années 2000. Des
United que dans le célèbre stade d’Old Trafford, à équipes qui ont, selon Ferguson, le mérite d’avoir
l’entrée duquel s’élève désormais une statue de façonné l’identité moderne du club.
3 mètres de haut à l’effigie de l’ancien coach. Nous C’était un immense pari que de miser sur des
avons parlé avec nombre de ses collaborateurs, de jeunes talents, quand l’idée dominante, exprimée
David Gill aux entraîneurs adjoints, en passant par le ainsi par un commentateur de télévision respecté,
responsable des équipements et les joueurs eux- était qu’« on ne peut gagner quoi que ce soit avec des
mêmes. Nous avons aussi observé Ferguson lors de gamins ». Ferguson, pour sa part, avait opté pour une
nombreuses rencontres et eu de rapides discussions approche systémique de la question, en faisant la
avec ses joueurs ou les membres de son staff, aussi distinction entre bâtir une équipe – préoccupation ex-
bien entre deux portes qu’à la cafétéria ou sur les ter- clusive de la plupart des entraîneurs – et bâtir un club.
rains d’entraînement – en fait où que ce soit, dès que
l’occasion se présentait. Plus tard, Ferguson est venu SIR ALEX FERGUSON : « Dès l’instant où je suis arrivé à
nous rendre visite à la Harvard Business School. Il a Manchester United, je n’ai plus pensé qu’à une
assisté au cours consacré à « son » étude de cas, don- chose : bâtir un club de football, et le bâtir de A à Z.
nant son avis et répondant aux questions des étu- Avec pour objectif de créer une fluidité et une conti-
diants, ce qui a transformé la classe en une espèce de nuité des ressources pour l’équipe première. Avec
forum où on ne pouvait que se tenir debout, et a cette approche, les joueurs grandissent tous en-
donné lieu à des échanges tout à fait captivants. semble et développent des liens affectifs, qui, à leur
Ferguson et moi avons discuté des « huit leçons tour, génèrent un état d’esprit. A mon arrivée, seul
de leadership » qui reprennent les points fondamen- un joueur de l’équipe avait moins de 24 ans. Vous
taux de sa méthode. Bien que j’aie pris soin de ne pas imaginez cela, dans un club comme Manchester
trop les extrapoler, il est clair que nombre d’entre United ? Je savais que le fait de concentrer notre
elles peuvent s’appliquer à l’univers du business, attention sur les jeunes allait s’inscrire dans l’his-
voire plus largement encore à la vie dans son en- toire du club. De plus, mon expérience antérieure en
semble. Dans l’article qui suit, je présente chacune tant qu’entraîneur m’avait appris qu’il était possible
de ces leçons comme un résultat de mes observa- de gagner avec de jeunes joueurs, et je savais com-
tions, avant de donner la parole à Alex Ferguson. ment bien travailler avec eux. J’avais donc confiance
et j’étais convaincu que, si Manchester United vou-
–Anita Elberse
lait revenir au premier plan, il était crucial de re-
construire cette structure ‘‘ jeunes’’. On peut trouver
COMMENCEZ PAR LES FONDATIONS cela audacieux, mais la fortune ne sourit-elle pas
Dès son arrivée à Manchester, en 1986, Alex Ferguson aux audacieux ?
s’est employé à créer les bases d’une structure à long La première pensée de la quasi-totalité des entraî-
terme en modernisant le programme de formation neurs qui arrivent dans un nouveau club est de tout
des jeunes du club. Il a mis en place deux « centres faire pour gagner – afin de survivre en tant que
coach. C’est pourquoi ils amènent avec eux des humain, et à leur donner des bases solides pour
joueurs expérimentés. Cette attitude est due au fait poursuivre leur vie. Quand vous offrez leur chance à
que nous évoluons dans un secteur focalisé sur les des jeunes, vous n’allongez pas seulement la durée
résultats : dans certains clubs, il suffit de perdre trois de vie de l’équipe, vous fabriquez de la fidélité. Ils
matchs d’affilée pour se faire remercier. Dans le n’oublieront jamais que vous êtes celui qui leur a
monde du football actuel, où l’on voit arriver un nou- donné leur première chance. Une fois qu’ils ont pris
veau genre de dirigeants et un nouveau genre d’ac- conscience que vous agissez pour leur bien, ils ac-
tionnaires, je ne suis pas sûr qu’un club, quel qu’il ceptent vos méthodes. Vous encouragez en fait le
soit, aurait encore la patience d’accorder quatre ans sentiment d’appartenance à une famille. Accordez à
à un entraîneur pour bâtir une équipe. des jeunes votre attention, donnez-leur l’opportu-
Gagner un match n’apporte qu’un bénéfice à nité de réussir et ils vous étonneront au-delà de ce
court terme, car vous pouvez perdre le suivant. que vous pouvez imaginer. »
Construire un club est un gage de stabilité et de cohé-
rence. Même s’il ne faut jamais quitter des yeux OSEZ REBÂTIR VOTRE ÉQUIPE
l’équipe première, nos efforts pour promouvoir les Même aux moments des plus grandes victoires, Fer-
jeunes ont fini par déboucher sur nos nombreux suc- guson œuvrait pour reconstruire son équipe. Durant
cès des années 1990 et du début des années 2000. la période où il a dirigé le club, il a ainsi composé cinq
Les jeunes joueurs ont alors incarné l’esprit du club. équipes distinctes qui ont gagné le championnat
Je suis toujours fier d’assister à l’éclosion d’un anglais, tout en continuant à remporter sans cesse
jeune joueur. Le travail d’un entraîneur, tout comme des trophées. Ses décisions résultaient de la percep-
celui d’un enseignant, est d’inciter les gens à s’amé- tion aiguë du stade précis où se trouvait son équipe
liorer, à développer leurs compétences techniques, à dans le cycle de reconstruction, et d’une vision tout
se battre pour gagner, à devenir meilleurs au plan aussi fine des cycles de vie des joueurs – à savoir
que le cycle victorieux veaux talents. Nombre des paris de Ferguson ont
concerné de très jeunes joueurs sur le point d’accé-
d’une équipe dure quatre der au statut de superstars (encore qu’il lui soit par-
fois arrivé de puiser dans sa tirelire pour faire venir
ans, après quoi il faut une star établie, comme le buteur hollandais Robin
van Persie, acheté à l’âge de 29 ans pour 35 millions
en moi un sens de la détermination qui a structuré le faire, alors je peux le faire aussi.’’
ma vie. Je me suis mis en tête que je ne renoncerais Je n’ai cessé de répéter à mon équipe que travail-
jamais », nous a-t-il affirmé. ler durement tout au long de sa vie est un talent.
Ferguson en attendait tout autant de ses joueurs. Mais j’en escomptais encore plus de la part des
Il a recruté en priorité ce qu’il appelait des « mauvais joueurs stars. J’attendais d’eux qu’ils travaillent en-
perdants », et a exigé d’eux qu’ils travaillent core plus dur. Je leur disais : ‘‘Vous devez montrer
extrêmement dur. Les années passant, cette attitude que vous êtes les meilleurs.’’ Et ils le faisaient. C’est
47
sterling. Son entrée en Bourse rapporte se conclut la première saison de la
6,7 millions de livres. Premier League (ex-Football League),
formée par 22 clubs en 1992.
millions Manchester remportera le titre
de livres encore 12 fois sous l’ère Ferguson.
pourquoi ils s’avéraient effectivement des stars – des implacable de répliquer aux joueurs qui ont violé
gens prêts à travailler plus dur que les autres. Les ces principes. Si un joueur se conduisait mal, il était
superstars à l’ego démesuré ne constituent pas un mis à l’amende. Et si ce joueur outrepassait la limite
problème, contrairement à ce que pensent beaucoup au risque de menacer la performance de l’équipe,
de gens. Ces joueurs-là ont besoin de gagner, car c’est Ferguson s’en séparait. Ainsi, en 2005, quand Roy
la victoire qui caresse leur ego. Aussi, ils font tout ce Keane, le capitaine chevronné de l’équipe, a criti-
qu’il faut pour y arriver. qué ses coéquipiers, Ferguson a mis fin à son
J’ai souvent vu Cristiano Ronaldo, David Beckham, contrat. Et l’année suivante, lorsque le meilleur
Ryan Giggs, Paul Scholes et d’autres joueurs s’entraî- buteur du club à l’époque, Ruud van Nistelrooy, a
ner des heures durant, et il me fallait les chasser du affiché son mécontentement après avoir été à plu-
terrain. Je tapais à la fenêtre en leur disant : ‘‘On a un sieurs reprises relégué sur le banc, il a été prompte-
match samedi !’’ Mais ils voulaient encore du temps ment transféré au Real Madrid.
pour s’entraîner. Ils avaient compris qu’être titulaire à Dans ces histoires d’autorité, montrer sa force
Manchester United n’est pas un boulot facile. est nécessaire, mais pas suffisant. Il faut aussi agir
sans délai, avant que la situation ne vous échappe :
NE CÉDEZ JAMAIS, en matière de contrôle, la rapidité de la réplique est
AU GRAND JAMAIS, LE CONTRÔLE tout aussi importante que sa force.
« Vous ne pouvez jamais perdre le contrôle quand
vous devez gérer trente professionnels aguerris qui SIR ALEX FERGUSON : « S’il advenait un jour que les
sont tous millionnaires, nous a déclaré Ferguson. Et joueurs contrôlent l’entraîneur de Manchester
si un ou plusieurs d’entre eux cherchent à me United – en d’autres termes, si les joueurs se met-
prendre à parti, à contester mon autorité ou ma taient à décider du contenu des entraînements, des
direction, je m’en occupe personnellement. » Une jours de repos, des règles disciplinaires ou des choix
raison essentielle de la pérennité des principes tactiques – alors Manchester United cesserait d’être
d’excellence à Manchester United tient à la très le club que nous connaissons. Avant d’arriver à Man-
forte détermination de Ferguson et à sa manière chester, je me suis dit que je ne laisserais personne
FA COMMUNITY
SHIELD*
2002 2003 2004 2005 2006
23,3
sterling. Six ans plus tard,
il le revendra 80 millions
millions au Real Madrid, une somme
de livres *AUPARAVANT DÉNOMMÉ FA CHARITY SHIELD
record pour un transfert.
pour tout être humain, rien ne vaut mieux que d’en- d’intelligence tactique. Il est impossible de parvenir
tendre : ‘‘ Bien joué !’’ Ces deux mots, les plus beaux à ce résultat avec une méthode trop douce. Il faut
jamais inventés, sont supérieurs à bien des instiller de la peur, mais sans pour autant se montrer
superlatifs. trop dur : si les joueurs vivent perpétuellement dans
En même temps, dans le vestiaire, il est néces- la crainte, leurs performances en sont affectées.
saire de pointer les erreurs lorsque les joueurs ne L’âge aidant, j’ai pris conscience qu’afficher sans ar-
répondent pas à vos attentes. C’est à cet instant que rêt sa colère ne marchait pas. Il faut choisir ses mo-
les critiques sont importantes. Je les formulais juste ments : l’entraîneur est quelqu’un qui, selon l’ins-
après le match, pas question d’attendre le lundi. tant, joue des rôles différents. Il lui faut parfois agir
Après quoi c’était fini, j’étais déjà dans le match comme un médecin, d’autres fois comme un profes-
d’après : cela n’a pas de sens de critiquer un joueur seur ou un père de famille. »
sans arrêt.
En général, mes causeries d’avant match por- PRÉPAREZ-VOUS À VAINCRE
taient sur nos attentes, sur la confiance que les Les équipes de Ferguson avaient un truc pour arra-
joueurs avaient en eux-mêmes et les uns envers les cher la victoire dans les derniers instants d’un match.
autres. J’aimais faire référence aux traditions de la Notre analyse des résultats de Manchester United sur
classe ouvrière. Tous les joueurs n’en sont pas issus, dix saisons récentes révèle que, durant la période, le
mais peut-être était-ce le cas de leur père, ou de leur club a été le plus performant de la Premier League
grand-père, et je trouvais utile de leur rappeler tout lorsqu’il y avait match nul à la mi-temps, et même à
le chemin qu’ils avaient parcouru. Je leur expliquais quinze minutes de la fin. Les discours inspirés de
à quel point il était important d’avoir une éthique de Ferguson à la mi-temps et ses ajustements tactiques
travail, ce qui semblait sublimer leur fierté. Et je leur judicieux ont certes eu leur part dans ces victoires à
rappelais que ce qui cimente la personnalité d’une l’arraché, mais ils n’expliquent pas tout.
équipe, c’est la confiance entre ses membres et le fait Quand leur équipe est menée au score et que les
de ne pas laisser tomber les autres. minutes s’égrènent, beaucoup d’entraîneurs
A la mi-temps d’un match, vous avez environ huit exhortent leurs joueurs à se projeter vers l’avant et
minutes pour délivrer votre message, aussi est-il vi- à attaquer. Ferguson avait pour sa part une double
tal de bien utiliser le temps imparti. Tout est plus approche, à la fois très agressive et très
facile lorsque vous gagnez : vous pouvez parler aux systématique. Il préparait son équipe pour la vic-
joueurs de la nécessité d’être concentré, leur dire de toire en lui faisant répéter à l’entraînement des
ne pas céder à l’autosatisfaction et rectifier quelques schémas de jeu selon qu’elle aurait besoin de mar-
détails. Mais lorsque l’équipe perd, il faut créer un quer à dix, cinq ou trois minutes de la fin d’un
choc. Même si j’aimais focaliser mon discours sur match : « Les entraînements visent à reproduire des
notre équipe et sur ses forces propres, je devais cor- situations de matchs difficiles. Cela nous permet de
riger ce qui nous faisait perdre. comprendre ce qui est exigé pour gagner dans de
Dans nos séances d’entraînement, nous cher- tels moments », nous a expliqué un des entraîneurs
chions à bâtir une équipe de superathlètes capables adjoints de Manchester United.
COUPE DU MONDE
DES CLUBS FIFA
2007 2008 2009 2010
comment nous jouions à la fin de nos matchs. Quand de l’obstination – elles ne baissaient jamais les bras.
nous étions menés à la mi-temps, mon message était Je n’avais pas réellement besoin de leur faire passer
très simple : ‘‘Pas de panique, concentrez-vous sur ce message. L’obstination est une très belle qualité,
votre tâche, et faites-la bien.’’ Et si nous étions tou- et c’est incroyable de voir ce qui peut parfois survenir
jours menés – disons 1-2 – à un quart d’heure de la fin, dans les ultimes secondes d’un match de football. »
2,3
la valeur est la plus élevée dans le monde. Manchester United. Ce transfert, qui
coûte 35 millions de dollars au club, est
l’un des derniers décidés par Ferguson.
milliards C’est aussi le plus cher alors jamais
de dollars réalisé par Manchester United.
8 MAI 2013
Sir Alex Ferguson quitte Manchester United
et prend sa retraite. Lors de sa dernière
saison, le club remporte son 20e championnat,
soit plus qu’aucun autre club anglais.
Son chiffre d’affaires annuel dépasse alors
320 millions de livres, soit treize fois plus
que vingt ans auparavant, lors du premier titre
de champion d’Angleterre de Ferguson.
À CULTURES DIFFÉRENTES,
LEADERSHIPS DIFFÉRENTS
Faire fonctionner une société internationale soulève toutes du YSC, un cabinet de conseil en psychologie pour les
sortes de problèmes d’organisation et pose une série de multinationales, ont analysé des rapports sur 1 500 cadres
défis en matière de leadership. Superviser les activités dans dirigeants du monde entier afin d’identifier leurs forces
plusieurs pays exige une connaissance approfondie et leurs faiblesses parmi un éventail de savoirs généraux
du secteur et de l’expertise technique, tandis que gérer comportementaux et de compétences techniques
les différences culturelles requiert une intelligence spécialisées. Le graphique illustre le pourcentage de
émotionnelle exceptionnelle. Gurnek Bains et son équipe dirigeants ayant de bonnes compétences dans ces domaines.
SEULS 3% DES
DIRIGEANTS
D’AMÉRIQUE LATINE
SONT COMPÉTENTS EN
TERMES DE RÉFLEXION
STRATÉGIQUE
RÉFLEXION RÉFLEXION RÉFLEXION SOUPLESSE ET RÉFLEXION LEADERSHIP TEAM LEADERSHIP LEADERSHIP LEADERSHIP
AXÉE SUR ANALYTIQUE COMMERCIALE CRÉATIVITÉ STRATÉGIQUE AUTORITAIRE BUILDING ORGANISÉ, STRUCTURÉ INCLUSIF VISIONNAIRE
LE CONCRET INTELLECTUELLE ET CLAIR ET CAPTIVANT
RÉFLEXION LEADERSHIP
60%
50%
LA COLLABORATION
EST UNE FORCE PARMI
LES DIRIGEANTS
D’AMÉRIQUE LATINE
40%
L’OUVERTURE ET
L’AUTHENTICITÉ
ÉMOTIONNELLE
SEMBLENT ÊTRE
DE VRAIS
CHALLENGES
POUR TOUS LES
DIRIGEANTS, 30%
MAIS UN PEU
MOINS EN
EUROPE
20%
10%
LA CRÉATION DE LIENS
ÉTROITS NE SEMBLE
PAS ÊTRE UNE PRIORITÉ
POUR LA PLUPART
DES DIRIGEANTS
CONSCIENCE DE DÉVELOPPEMENT DYNAMISME OUVERTURE ET POSITIVISME, LEADERSHIP CRÉATION DE COLLABORATION ÉTENDUE DE ÉTENDUE DE LA
SOI ET VISION INDIVIDUEL ET AMBITION AUTHENTICITÉ RÉSILIENCE AMICAL LIENS ÉTROITS ET L’EXPÉRIENCE CONNAISSANCE
ÉMOTIONNELLE ÉMOTIONNELLE PROFONDS
Keith Lockhart, chef son décès, ils ont recruté quelqu’un de déjà
célèbre mais pour quelque chose de Comment construisez-vous ce soutien?
d’orchestre du Boston Pops complètement différent : John Williams, En étant une personne à qui l’on peut faire
Orchestra depuis plus qui était connu pour avoir composé la musique entièrement confiance. J’ai eu des sirènes
de « Star Wars » trois ans plus tôt. Après les d’alerte aériennes pendant des concerts, des
de 20 ans, a dirigé près de treize années du maestro Williams, le Pops pannes d’électricité, des pluies torrentielles en
1700 concerts aux Etats- sentait qu’il était sans danger de faire entrer extérieur. Dans ce genre de situations, les gens
quelqu’un dont le nom et la célébrité seraient demandent : « Que veut faire Keith ? » Et si
Unis et à travers le monde, étroitement liés à l’institution. je peux prendre les choses en main en cas
au côté d’invités de marque de crise, c’est déjà beaucoup. Même quand
Récits et Blogs et
expériences photos
Destinations
iincontournables
Adresses de
Ad
globe-trotters
VOYAGES
EXPÉRIENCES
RÉCITS
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