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LE MUST HORS-SÉRIE

AUTOMNE 2016

du
LEADERSHIP
Dix leçons infaillibles
pour progresser, s’imposer
et manager ses équipes
Par Peter Drucker, Nick Craig, Boris Groysberg, W. Chan Kim,
Renée Mauborgne, Robert Goffee, Gareth Jones, Jim Collins…
+ La méthode iconoclaste d’Alex Ferguson à Manchester United

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Editorial

Leçons de leadership :
de Drucker à Ferguson

P
eter F. Drucker (1909-2005), Dans ce numéro, nous avons donc,
surnommé le « pape du mana- outre la plume de Peter F. Drucker,
gement », autrichien de convoqué celle des meilleurs spécialistes
naissance, naturalisé améri- contemporains du leadership. Les Britan-
cain dans les années 1940, a niques Robert Goffee et Gareth Jones en
eu une singulière influence sur le monde font partie. Ils sont les auteurs d’un livre
des entreprises. Il était essentiel dans ce et d’un article décoiffants intitulés « Pour-
numéro exceptionnel consacré au leader- quoi quelqu’un devrait-il être dirigé par
ship (le troisième de notre collection «Le vous ? » : une manière habile de changer
Must» lancée à l’automne 2015) de rappe- de paradigme en matière de leadership, en
ler la pensée avant-gardiste de ce cher- s’interrogeant sur les qualités nécessaires
cheur hors normes qui a théorisé le monde aux dirigeants pour être suivis. Tout aussi
du management pendant plus de 60 ans ! originale est la théorie «Océan bleu», de
Ses concepts contre-intuitifs com- W. Chan Kim et Renée Mauborgne, qui,
mencent réellement à irriguer le monde après avoir été appliquée à la stratégie, a
des organisations lorsqu’il publie, en été transposée au leadership ; ou encore,
1946, « Concept of the Corporation », un l’incroyable étude sur les « Leaders de ni-
ouvrage issu d’une immersion prolongée veau 5 » réalisée pendant 5 ans par Jim Col-
chez General Motors. Il est le premier, lins sur un échantillon de 1 435 entreprises.
à l’époque, à écrire que les entreprises Enfin, que vous soyez ou non amateur
pourraient dégager plus de profits simple- de ballon rond, vous lirez avec gourman-
ment en traitant les employés comme des dise l’article consacré aux méthodes de sir
« ressources de valeur », en décentralisant Alex Ferguson à Manchester United. Dans
la prise de décision dans les usines, et en un autre registre que Drucker, Ferguson
offrant des salaires garantis. Il s’attirera aura, comme lui, imprimé sa marque sur
quelque temps les foudres du construc- la durée en restant 26 ans aux manettes de
teur automobile, qui, à l’époque, ne goû- ce club de foot légendaire et en donnant au
tait guère le leadership à l’aune du mana- coaching ses lettres de noblesse. Quelque
gement participatif. Peter F. Drucker ira temps avant de décéder, Peter F. Drucker
plus loin en publiant « What Makes an avait déclaré au magazine « Fortune » qu’il
Effective Executive » dans Harvard Busi- regrettait de ne pas avoir publié un ouvrage
ness Review en 2004, article clé sur le dont le titre aurait été « Gérer l’ignorance ».
leadership, que vous découvrirez en fran- Avec ce solide numéro consacré au leader-
çais dans ce numéro. Là encore, il battra ship, vous ne pourrez définitivement plus
quelques idées en brèche qui n’ont rien vous sentir ni démuni ni ignorant…
perdu de leur saveur et de leur actualité. Bonne lecture.

Gabriel Joseph-Dezaize, Rédacteur en chef.

4 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Sommaire
10 DE LA VOCATION
À L’IMPACT
Pour découvrir votre vocation
en matière de leadership,
recherchez les passions et les
valeurs qui sont les vôtres
et faites-en un plan d’action.
Par Nick Craig et Scott Snook

20
MANAGER ?
QU’EST-CE
QU’UN VÉRITABLE 52 POUR ÊTRE UN BON LEADER, CRÉEZ DU LIEN
Les leaders gagneront davantage en influence
en exprimant de la chaleur humaine puis en y ajoutant des
Le leadership ne dépend preuves de compétence.
pas de la personnalité, du Par Amy J.C. Cuddy, Matthew Kohut et John Neffinger
charisme ou du talent
d’un individu: les véritables
managers n’ont pas de
profil type. Mais tous ont
en commun de suivre huit
pratiques simples qui font
d’eux des dirigeants vraiment
efficaces. Par Peter F. Drucker

30 POURQUOI
QUELQU’UN
DEVRAIT-IL ÊTRE DIRIGÉ
PAR VOUS ?
Les leaders doivent être
visionnaires et énergiques.
Mais il leur faut aussi
travailler quatre qualités
supplémentaires pour
être suivi par les salariés.
Par Robert Goffee
et Gareth Jones 62 LE LEADERSHIP « OCÉAN BLEU »
Vos salariés sont-ils entièrement investis dans la réussite
de votre entreprise? Voici comment libérer les énergies
et les talents latents. Par W. Chan Kim et Renée Mauborgne

42 DIRIGER, C’EST DIALOGUER


Les dirigeants sont bien plus
crédibles et mobilisateurs lorsqu’ils
76 LES SEPT
LOGIQUES D’ACTION
DES LEADERS
s’engagent dans un dialogue avec leurs La façon dont un leader évolue
collaborateurs et leurs partenaires. est cruciale en matière de
De plus, grâce aux technologies changement organisationnel.
numériques, les salariés peuvent Pour changer de type de logique
s’exprimer publiquement… et vanter les d’action, expérimentez de
mérites de leur entreprise, mieux que nouveaux comportements.
n’importe quelle campagne publicitaire. Par David Rooke et
Par Boris Groysberg et Michael Slind William R. Torbert
6 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016
Le must du leadership
92 COMMENT UN
MANAGER
104 LEADERSHIP
DE NIVEAU 5:
LE TRIOMPHE DE L’HUMILITÉ
DEVIENT UN DIRIGEANT ET DE LA DÉTERMINATION
Chaque métamorphose Comment la performance
qu’un nouveau P-DG doit d’une entreprise passe-t-elle
mettre en œuvre requiert de simplement « bonne »
l’acquisition de nouvelles à «excellente »? Les résultats
compétences et une d’une recherche menée durant
nouvelle mentalité. Voici cinq ans montrent que celles qui
ces transformations et ce réussissent cette transition ont à
qu’elles exigent d’un cadre. leur tête un leader «de niveau 5».
Par Michael D. Watkins Ces dirigeants associent
une profonde humilité à une
détermination professionnelle
intense. Un leadership de niveau5
peut-il s’apprendre? Si oui,
comment l’atteindre?
Par Jim Collins

116 LA FORMULE
FERGUSON
Il est l’un des coachs les plus

130
talentueux de tous les temps.
Manager du club de football
Manchester United durant 26 saisons,
LE TRAVAIL D’UNE VIE
sir Alex Ferguson livre les secrets
Keith Lockhart est le chef
de sa méthode iconoclaste,
d’orchestre du Boston Pops
qui a généré des succès sportifs
Orchestra. Il a dirigé près
hors normes.
de 1700concerts, aux côtés
Par Anita Elberse,
d’invités de marque tels
avec sir Alex Ferguson
que Aerosmith, Mariah
Carey, Elton John, Sting…
Interview: Glenn Mangurian

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Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 7


Contributeurs

W. Chan Kim et Renée


Mauborgne sont professeurs et
chercheurs à l’Insead. Auteurs
de «Stratégie Océan bleu», Sir Alex Ferguson
ils ont appliqué cette théorie est considéré comme
au management et inventé l’un plus grands coachs
le concept de «leadership» de tous les temps.
Océan bleu». Ils expliquent Manager de l’équipe de football
aux managers comment libérer de Manchester United
le potentiel des salariés. pendant 26 saisons, il a pris
sa retraite en mai 2013. Et ses
conseils de leadership ne
s’appliquent –évidemment–
pas seulement au sport.

Peter F. Drucker (1909-2005),


surnommé le «pape du management»,
a enseigné à la New York University de
1950 à 1971. Puis il a occupé la chaire
Marie Rankin Clarke des sciences
sociales et du management à la Peter
F. Drucker and Masatoshi Ito Graduate
School of Management, à la Claremont
Graduate University (Californie), de 1971 Jim Collins est un éminent
à sa mort. Il a rédigé près de 25 articles spécialiste du management.
ILLUSTRATION: ALINE ZALKO / PHOTOS: JUSTIN STEPHENS, INSEAD, SEAN POLLACK, DR

pour Harvard Business Review et publié Il a fondé un laboratoire


de recherches à Boulder Robert Goffee et Gareth
près de 40 ouvrages sur le management. (Colorado). Sur un échantillon Jones, tous deux britanniques,
ont publié un ouvrage
Dans une leçon magistrale, il livre de 1435 entreprises, il a identifié
retentissant en 2006 :
une réflexion fondamentale sur ce qu’est – au terme de cinq ans de
recherche– ce qu’il appelle le «Why Should Anyone Be Led
un véritable manager, un « effective «leader de niveau 5». Selon Jim By You?». Ils ont découvert
que les dirigeants qui réussissent
executive » : un cadre dirigeant Collins, aucune entreprise ne
sont ceux qui arrivent à être
peut atteindre l’excellence sans
efficace qui applique huit pratiques lui avoir à sa tête ce type de leader, suivis par des personnes
permettant de se distinguer et de hisser pétri d’une profonde humilité qui reconnaissent en eux quatre
qualités. Pas forcément
son organisation vers le sommet. et d’une détermination
celles auxquelles on pense
professionnelle intense.
spontanément…

8 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


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DE LA
VOCATION
À L’IMPACT
Découvrez votre passion, et mettez-la en application.
Par Nick Craig et Scott Snook. Illustrations : Nicolas Dehghani
Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 11
DE LA VOCATION À L’IMPACT

Les deux jours les plus Notre but est de changer cette situation en aidant

importants de votre vie les cadres à trouver leur vocation en matière de


leadership, à la définir et à la mettre en pratique.
sont le jour où vous S’appuyant sur le travail majeur réalisé par notre
êtes né et le jour où vous collègue Bill George, nos programmes couvraient à
l’origine un  large éventail de sujets associés au
découvrirez pourquoi. leadership à proprement parler, mais, ces dernières
— Mark Twain années, la vocation est devenue la pierre angulaire
de notre enseignement et de notre accompagne-
Au cours des dernières années, l’intérêt suscité par le ment. Les cadres nous affirment qu’elle est la clé
leadership au service d’une vocation a explosé. C’est d’un développement accéléré et d’un impact plus
avec conviction que les universitaires soutiennent profond, dans leur vie professionnelle comme dans
que la fonction la plus importante d’un cadre, c’est leur vie privée. En effet, nous estimons que formuler
d’être le garant de la finalité de l’organisation. Les votre vocation et trouver le courage de la vivre en
experts économiques expliquent que la vocation est tant que leader, ce à quoi nous faisons référence par
un facteur essentiel pour réaliser une performance la formule « de la vocation à l’impact », est l’action la
exceptionnelle, tandis que les psychologues la plus importante que vous puissiez entreprendre en
décrivent comme la voie vers le mieux-être. termes de développement.
Les médecins ont constaté que les personnes qui Prenez le cas de Dolf van den Brink, président
avaient un but dans la vie étaient moins susceptibles et  P-DG de Heineken Etats-Unis. En travaillant avec
de tomber malades. De plus en plus, la vocation nous nous, il est parvenu à définir sa vocation de manière
est présentée comme la clé pour naviguer dans le résolument unique, « Etre le maître wuxia, sauveur
monde complexe, instable et ambigu auquel nous du  royaume », un énoncé qui reflète sa passion pour
sommes aujourd’hui confrontés, monde où les stra- les films de kung-fu chinois, l’inspiration qu’il tire
tégies évoluent constamment et où l’on a du mal à des  guerriers sages et habiles qu’on y voit, et la force
distinguer les bonnes décisions des mauvaises. mentale dont il fait preuve dans des situations très
En dépit de la généralisation de cette compréhen- risquées qui  le poussent à agir. C’est grâce à cette
sion, un défi de taille subsiste. Dans le cadre de notre impulsion qu’il a pu  élaborer un plan visant à relan-
travail, qui consiste à former des milliers de managers cer une entreprise traditionnelle en difficulté dans
au sein d’organisations, de GE aux Girl Scouts, et à des conditions économiques extrêmement com-
enseigner à tout autant de cadres et d’étudiants à la plexes. Nous avons également vu un responsable
Harvard Business School, nous avons constaté que d’activités de détail évoquer sa vocation récemment
moins de 20% des leaders avaient un sens aigu de leur cernée avec précision – « Tenu d’améliorer la situa-
propre vocation. Et ceux qui sont capables de traduire tion, avec qui que ce soit, où que ce soit et de quelque
leur vocation par un énoncé concret sont encore façon que ce soit » – afin de mettre en œuvre les
moins nombreux. Certes, ils peuvent formuler claire- « changements difficiles et perturbants » indispen-
ment la mission de leur entreprise : chez Google, sables pour repousser un concurrent mondial. Et
« Organiser l’information à l’échelle mondiale et la nous avons vu un directeur d’usine en Egypte
rendre universellement accessible et utile », ou encore s’appuyer sur sa vocation – « Créer des familles
chez Charles Schwab (célèbre maison américaine de d’excellence » – pour convaincre ses employés de
courtage en Bourse, NDLR), « L’allié inébranlable de respecter le mouvement de protestation de 2012,
l’investisseur individuel ». Mais si on leur demande de non pas en rejoignant les manifestations, mais en
décrire leur propre vocation, c’est généralement à une conservant la loyauté qui les unissait et en assurant
formulation générique et vague qu’ils ont recours : le fonctionnement de leur activité commune.
« Aider les autres à exceller », « Assurer la réussite », Nous avons été témoins de résultats similaires
« Donner à mes collègues l’autonomie dont ils ont en  dehors du monde de l’entreprise. Kathi Snook
besoin pour exceller ». Le fait qu’ils soient très peu (l’épouse de Scott, coauteur de cet article), colonelle
nombreux à disposer d’un plan clair pour traduire de l’armée à la retraite, a éprouvé des difficultés à
cette vocation dans la pratique pose tout autant pro- reprendre le travail après avoir été mère au foyer
blème. En effet, les leaders limitent de ce fait leurs pendant plusieurs années. Mais après avoir réussi à
aspirations et échouent souvent à réaliser leurs objec- formuler sa vocation – « Etre la clé de la réussite, avec
tifs professionnels et personnels les plus ambitieux. douceur, discrétion et ardeur », ce qu’elle a fait

12 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F
LE PROBLÈME LA SOLUTION UN PLAN EFFICACE
De plus en plus, la vocation est La première étape pour découvrir Pour qu’un plan soit efficace :
considérée comme la clé pour naviguer votre vocation en matière de leadership • utilisez un langage qui n’ait
dans le monde complexe auquel nous consiste à fouiller votre vécu à du sens que pour vous ;
sommes aujourd’hui confrontés, la recherche des thèmes majeurs • concentrez-vous d’abord
un monde où les stratégies évoluent qui révèlent vos passions et vos valeurs sur vos aspirations globales,
constamment et où l’on a du mal à de toujours. Vous rédigerez ensuite définissez ensuite les objectifs
distinguer les bonnes décisions des un énoncé de vocation concis qui à plus court terme, en travaillant
mauvaises. Dans le même temps, peu vous donnera du courage et de l’énergie. à rebours avec un degré
de leaders ont un sens aigu de leur Enfin, vous élaborerez un plan de spécificité croissant ;
propre vocation en matière de leadership « de la vocation à l’impact ». • mettez en avant les forces que
ou un plan clair pour le traduire en vous apporterez à la table ;
mesures concrètes. En conséquence, • adoptez un point de vue global
ils échouent souvent à réaliser leurs sur le travail et la famille.
objectifs professionnels et personnels
les plus ambitieux.

durant toute sa carrière de militaire, mais également Votre vocation en matière de leadership émane de ce
avec ses  enfants – elle a décidé de se présenter à que vous êtes, de ce qui vous rend unique. Que vous
l’élection au conseil scolaire, pour un siège âprement soyez entrepreneur dans une start-up ou P-DG d’une
disputé, et a  été élue. société figurant sur la liste Fortune  500, agent dans
Cette réflexion, nous l’avons également appli- un centre d’appels ou développeur de logiciels, votre
quée à l’échelle des organisations. Unilever est une vocation est votre marque de fabrique, ce que vous
société favorable à ce type de leadership au service voulez réaliser, la formule magique qui vous motive.
d’une vocation, et Jonathan Donner, son directeur Ce n’est pas ce que vous faites dans votre travail, c’est
mondial de l’apprentissage, a joué un rôle essentiel comment vous le faites et pourquoi : les forces et les
dans l’affinement de notre approche. En travaillant passions que vous apportez à la table quelle que soit
avec sa société et plusieurs autres organisations, la place que vous y occupez. Bien que l’on puisse
nous avons aidé plus de 1 000 leaders à suivre le pro- exprimer sa vocation de différentes manières et dans
cessus de la  vocation à l’impact et avons commencé à différents contextes, c’est ce que chacun de vos
suivre et à examiner les progrès qu’ils avaient accom- proches reconnaît comme unique chez vous et qui
plis au cours des deux ou trois dernières années. lui manquerait le plus si vous n’étiez plus là.
Beaucoup ont connu des résultats spectaculaires, Lorsque Kathi a énoncé sa vocation à sa famille et
allant d’une promotion de deux échelons à une amé- à ses amis, leur réponse a été instantanée et enthou-
lioration durable des résultats commerciaux. Plus siaste : « Oui ! C’est tout à fait toi ! Tout pour le travail,
important, une large majorité d’entre eux nous dit tout le temps ! » Quelle que soit la fonction occupée et
avoir développé une nouvelle capacité à s’épanouir, quel que soit le contexte, en tant que capitaine d’une
même dans les moments les plus difficiles. équipe de gymnastique de l’armée, professeure de
Dans cet article, nous présentons notre démarche mathématiques à West Point, de manière informelle
pas à pas pour vous mettre sur cette voie. Nous expli- en famille et entre amis, elle a toujours dirigé depuis
quons comment procéder pour identifier votre voca- les coulisses, se faisant le catalyseur en douceur,
tion, puis comment élaborer un plan d’impact afin de mais en puissance, de la réussite des autres. Dans
produire des résultats concrets. cette nouvelle optique, elle a pu se voir, et voir l’ave-
nir plus nettement. Quand Dolf van den Brink a ré-
QU’EST-CE QUE LA VOCATION ? vélé sa vocation nouvellement définie à son épouse,

La plupart des gens meurent celle-ci a facilement reconnu le « maître wuxia » qui
avait dirigé ses employés pendant les troubles vio-
sans avoir composé toute lents et l’agitation sociale qu’il avait vécus en Répu-
la musique qui est en eux. blique démocratique du Congo (RDC), prêt mainte-
nant à s’attaquer de front aux problèmes qui se
— Oliver Wendell Holmes posaient chez Heineken Etats-Unis.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 13


DE LA VOCATION À L’IMPACT

baleines » ou « Nourrir ceux qui souffrent de la


faim »). Et ce n’est pas ce que vous pensez qu’elle
devrait être. C’est ce que vous ne pouvez vous empê-
cher d’être. En fait, cela peut ne pas être forcément
très flatteur (« Etre une source d’irritation constante
qui fait avancer les  gens »).

COMMENT LA TROUVER ?
N’être personne d’autre que
soi-même dans un monde
qui fait tout, jour et nuit,
pour nous transformer en
quelqu’un d’autre, voilà le
plus difficile combat qu’un
être humain peut mener.
— E. E. Cummings
Trouver sa vocation en matière de leadership n’est
pas chose facile. Si cela l’était, nous saurions tous
exactement pourquoi nous sommes ici et nous
vivrions cette vocation à chaque instant. Comme
l’indique E.E. Cummings, nous sommes sans cesse
Fondamentalement, votre vocation en matière de bombardés de messages puissants (de la part de
leadership émane de votre identité, de l’essence de nos  parents, de nos patrons, des gourous du mana-
votre être. La vocation n’est pas une liste des di- gement, des publicitaires, des célébrités) quant à ce
plômes, des expériences et des compétences que que nous devrions être (plus intelligent, plus fort,
vous avez accumulés au cours de votre existence. plus riche) et quant à la façon de diriger (rendre les
Prenons-nous (les auteurs de cet article) en exemple : autres plus autonomes, diriger depuis les coulisses,
le fait que Scott soit colonel de l’armée à la retraite, être authentique, répartir le pouvoir). Savoir qui l’on
titulaire d’un MBA et d’un doctorat, n’est pas sa voca- est dans un tel monde, sans même parler d’« être
tion. Sa vocation est d’« aider les autres à donner personne d’autre que soi-même », est en effet une
davantage de sens à leur vie ». La vocation n’est pas tâche difficile. Cependant, notre expérience montre
un titre professionnel, qui se limite à votre poste ou à que lorsqu’on a une idée claire de qui l’on est, le reste
l’entreprise dans laquelle vous travaillez aujourd’hui. suit naturellement.
La vocation de Nick n’est pas de « diriger l’Authentic Certains arriveront sur la voie de la vocation à
Leadership Institute ». Ça, c’est son travail. Sa voca- l’impact avec une tendance naturelle à l’introspec-
tion est de « vous réveiller et de vous faire réaliser que tion et à la réflexion. D’autres trouveront l’expé-
vous êtes en terrain familier ». C’est exactement ce rience désagréable et anxiogène. Quelques-uns se
qu’il fait depuis qu’il est adolescent, et si vous vous contenteront de lever les yeux au ciel. Nous avons
asseyez à ses côtés dans la navette qui relie Boston à travaillé avec des leaders de tous types et nous pou-
New York, il vous réveillera (au sens figuré) aussi. Il vons attester du fait que même les plus sceptiques
ne peut tout simplement pas s’en empêcher. trouvent un intérêt personnel et professionnel à
La vocation n’est certainement pas une expres- cette démarche. Nous avons travaillé avec un juriste
sion ampoulée et passe-partout (« Donner à mon chevronné, au service d’une multinationale, qui se
équipe les moyens de produire des résultats com- qualifiait lui-même de « personne la moins suscep-
merciaux exceptionnels tout en satisfaisant nos tible de trouver un jour ce truc utile ». Pourtant, il en
clients »). Elle doit être spécifique et personnelle, est devenu un tel adepte qu’il a exigé de tous ses col-
résonner en vous et vous seul. Elle n’a pas à être lègues qu’ils suivent le programme. « Je n’ai jamais lu
ambitieuse, ni fondée sur une cause (« Sauver les de livre de développement personnel et je ne compte

14 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


ENONCÉS DE VOCATION
pas le faire, a-t-il déclaré à ses employés. Mais si vous DU PIRE… … AU MEILLEUR
voulez devenir un leader d’exception, vous devez
connaître votre vocation en matière de leadership. » Diriger le département des nouveaux Mettre fin au « chaos ».
La clé pour toucher à la fois les rêveurs et les scep-
marchés afin de produire des
résultats commerciaux exceptionnels.
tiques est de mettre au point un processus qui laisse
place à l’expression de l’individualité et propose
Etre moteur dans le secteur des Apporter l’eau et l’électricité aux
aussi des conseils pratiques pas à pas.
infrastructures, afin de permettre 2  milliards de personnes qui en sont
Le premier exercice consiste à trouver dans votre à chacun de produire les résultats privées.
vécu des traits communs et des thèmes majeurs. nécessaires tout en maîtrisant
L’idée est d’identifier vos forces, vos valeurs et vos les nouveaux guides de notre activité
passions fondamentales de toujours, ces quêtes qui et en équilibrant les exigences
vous stimulent et vous réjouissent. Nous nous ap- familiales et professionnelles.
puyons sur diverses questions directrices, mais nous
avons constaté que trois d’entre elles étaient particu- Appuyer et faciliter constamment Créer du génie avec ténacité.
le développement et le
lièrement efficaces :
perfectionnement, le mien
• Qu’aimiez-vous tout particulièrement faire comme celui des autres, pour
lorsque vous étiez enfant, avant que le produire de meilleurs résultats.
monde ne vous dise ce que vous devriez ou
ne devriez pas aimer ou faire ? Décrivez l’un de
ces moments et ce que vous avez ressenti.
découvert une grenouille et s’est sentie envahie d’un
• Parlez-nous de deux des expériences les plus sentiment de triomphe. L’énoncé de vocation qu’elle
difficiles que vous ayez jamais vécues. a rédigé ensuite, « Toujours trouver les grenouilles ! »,
Comment vous ont-elles façonné ? correspond parfaitement à sa fonction actuelle de
vice-présidente senior de la R & D de sa société.
• Aujourd’hui, qu’aimez-vous faire dans votre Une autre cadre s’est appuyée sur deux « expé-
vie  qui vous aide à jouer votre partition ? riences fondatrices » tirées de son vécu pour rédiger
l’énoncé de sa vocation. La première était person-
Il est vivement recommandé de chercher à nelle : il y a des années, jeune mère divorcée de deux
répondre à ces questions dans le cadre d’un petit enfants, elle s’était retrouvée sans domicile et men-
groupe avec quelques pairs, car nous avons constaté diait dans la rue, mais elle a utilisé son intelligence
qu’il était quasiment impossible d’identifier seul pour rebondir. La seconde était professionnelle :
sa  vocation en matière de leadership. pendant la crise de 2008, elle avait dû superviser le
Il est difficile d’obtenir une image claire de vous- retrait de sa société du continent asiatique et fermer
même sans l’aide de collègues ou d’amis de confiance le fleuron de la société dans cette région. Malgré un
qui vous servent de miroir. marché du travail ne laissant que peu d’espoir, elle
Une fois ce travail de réflexion effectué, essayez est parvenue à aider chacun de ses employés à trou-
de rédiger un énoncé clair, concis et déclaratif de ver un autre emploi avant de les laisser partir. Après
votre vocation : « Ma vocation en matière de leader- avoir parlé de ces situations avec son groupe, elle a
ship est… » Les mots employés dans l’énoncé de modifié l’énoncé de sa vocation, passant de « Ap-
votre vocation doivent être les vôtres. Ils doivent puyer et faciliter constamment le développement et
saisir votre essence. Et ils doivent vous inciter à agir. le perfectionnement, le mien comme celui des
Pour vous donner une idée de la façon dont le autres, pour produire de meilleurs résultats » à « Avec
processus fonctionne, prenez les expériences de ténacité, créer du génie ».
quelques cadres. Lorsqu’on a demandé à une mana- Dolf van den Brink a trouvé son énoncé de
ger quelles étaient ses passions d’enfance, elle nous « maître wuxia » après avoir exploré non seulement
a dit avoir grandi dans la campagne écossaise et ses préférences cinématographiques, mais aussi son
qu’elle prenait un grand plaisir à partir en « explora- expérience extraordinairement éprouvante en RDC,
tion ». Un  jour, elle était sortie avec un ami, bien lorsque des mani festants se sont attaqués à la
décidée à trouver des grenouilles ; ils avaient passé brasserie qu’il gérait et qu’il a dû ordonner de la
toute la journée à aller de mare en mare, retournant barricader pour protéger ses employés et empêcher
chaque pierre. Juste avant la tombée de la nuit, elle a la mise à sac de son établissement. Le directeur de

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 15


DE LA VOCATION À L’IMPACT

l’usine égyptienne a mis la famille en avant dans Définir votre vocation en tant que leader est crucial,
l’énoncé de sa vocation, ses récits révélant que mais il ne suffit pas d’en rédiger l’énoncé. Vous devez
l’amour et le soutien des siens avaient été les facteurs également envisager l’impact que vous aurez sur le
déterminants qui lui avaient permis de surmonter monde qui est le vôtre, en vivant votre vocation. Ce
tous les problèmes qu’il avait pu rencontrer dans sa qui compte vraiment, ce sont vos actions, et non vos
vie, tandis que le responsable des activités de détail paroles. Bien sûr, personne ne peut vivre pleinement
avait utilisé l’expression « tenu d’améliorer » après sa vocation en permanence. Mais avec du travail et
avoir réalisé que ses plus grands accomplissements une planification soignée, nous pouvons le faire avec
se produisaient toujours lorsqu’il poussait les autres, plus de régularité, une plus grande conscience, sans
ainsi que lui-même, à sortir de leurs zones de confort. réserve et efficacement.
Lorsque vous examinerez vos récits, vous trouve- Les plans de la vocation à l’impact diffèrent à bien
rez un fil conducteur, tout comme ces cadres l’ont des égards des plans de développement classiques : ils
fait. Tirez ce fil et vous découvrirez votre vocation commencent par un énoncé de vocation en matière
(lire l’encadré « Enoncés de vocation, du pire au meil- de leadership plutôt que par un objectif commercial
leur » propose des exemples d’énoncés de vocation). ou de carrière. Ils adoptent un point de vue global sur
la vie professionnelle et personnelle plutôt que
COMMENT METTRE SA VOCATION d’ignorer le fait que vous avez une famille ou des inté-
EN PRATIQUE ? rêts et des engagements extérieurs. Ils incorporent un

C’est cela, la joie véritable, langage chargé de sens, insufflé par votre vocation,
pour créer un document qui ne parle qu’à vous, et pas
dans la vie : être au service à n’importe quelle personne occupant votre poste ou
d’un dessein que l’on votre fonction. Ils vous forcent à envisager des oppor-
tunités à long terme propices à l’épanouissement de
considère soi-même comme votre vocation (à trois, à cinq ans), puis, de là, vous
supérieur. aident à travailler à rebours (à deux ans, un an, six
mois, trois mois, 30 jours) pour définir des objectifs
— George Bernard Shaw spécifiques afin de les réaliser.
Lorsque les cadres abordent le développement en
étant motivés par leur vocation, ils alimentent du
même coup leurs aspirations – par exemple, la déci-
PLANIFICATION PLANIFICATION sion de Kathi de participer au conseil scolaire ou
DE LA VOCATION DU DÉVELOPPEMENT l’ambition du directeur d’usine égyptien de gérer la
À L’IMPACT CLASSIQUE fabrication et la logistique à l’échelle du Moyen-
Orient. Les leaders connaissent un regain d’énergie
Utilise un langage chargé de sens, Utilise le langage habituel des affaires.
dans leurs fonctions. Le plan d’impact de Dolf l’a in-
inspiré par la vocation.
cité à aborder son rôle chez Heineken Etats-Unis avec
Se concentre sur les forces pour Se concentre sur les faiblesses quatre devises destinées à son équipe : « Soyez cou-
réaliser les aspirations de l’entreprise. pour redresser la performance. rageux », « Décidez et agissez », « Chassez en meute »
Suscite un énoncé de votre vocation Enonce un objectif au service et « Faites-en une cause personnelle ». Lorsque Jos-
en matière de leadership expliquant de l’entreprise ou de la carrière. tein Solheim, cadre chez Unilever, a élaboré un plan
la façon dont vous dirigerez. de développement axé sur sa vocation, « Faire partie
d’un mouvement global qui pourrait changer le
Définit des objectifs progressifs Mesure le succès au moyen de
monde peut s’avérer amusant et surtout réalisable »,
en lien avec le fait de vivre votre chiffres associés à la mission
vocation de leadership. et aux objectifs de l’entreprise. il s’est rendu compte qu’il voulait rester responsable
de la filiale Ben  &  Jerry’s plutôt que de monter dans
Se concentre sur l’avenir, Se concentre sur le présent, la hiérarchie d’Unilever.
en travaillant à rebours. en travaillant vers l’avenir. Examinons maintenant un plan de la vocation à
Est propre à vous ; parle de qui Est générique ; parle du poste l’impact fictif (issu d’une combinaison de plusieurs
vous êtes en tant que leader. ou de la fonction. personnes avec lesquelles nous avons travaillé) pour
un examen approfondi du processus. Richard (un
Adopte un point de vue qui englobe Ignore les objectifs et les nom d’emprunt) n’est parvenu à définir sa vocation
le travail et la famille. responsabilités hors du bureau.
qu’après avoir été poussé à parler de sa passion de

16 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


toujours pour la voile ; soudain, il a trouvé un en-
semble d’expériences et le langage nécessaires pour
redéfinir la façon dont il voyait son travail au service
des achats.
Le plan de développement de Richard commence
par L’ÉNONCÉ DE VOCATION qu’il a rédigé : « Exploiter
tous les éléments pour remporter la course ». Cet
énoncé est suivi d’UNE EXPLICATION des raisons de
cette vocation : les travaux de recherche indiquent
que comprendre ce qui nous motive améliore
beaucoup notre capacité à réaliser des objectifs
ambitieux.
Ensuite, Richard aborde ses OBJECTIFS DE TROIS
À  CINQ  ANS en utilisant le langage de son énoncé de
vocation. Nous constatons qu’il est préférable de
commencer par viser cette échéance ; plusieurs
années représentent une période suffisamment
longue pour que même les managers les plus désabu-
sés puissent espérer vivre réellement leur vocation
d’ici-là. Mais elle n’est pas lointaine au point de tom-
ber dans la complaisance. Occuper un poste de pre- chose qui leur donne de l’énergie et aide les autres à
mier plan peut être un objectif –  dans le cas de Richard, prendre conscience de leurs forces. Prenez la décision
occuper une fonction au sein des achats mondiaux –, de Richard de contribuer à l’effort des achats straté-
mais l’accent doit porter sur la façon dont vous le ferez giques mondiaux : cela ne fait pas partie de son « tra-
et sur le type de leader que vous serez. vail quotidien », mais lui permet de s’impliquer dans
Puis il considère LES OBJECTIFS À DEUX ANS. Il un projet davantage en rapport avec sa motivation.
s’agit d’un délai au cours duquel l’avenir lointain et Nous arrivons maintenant aux choses sérieuses.
la réalité actuelle commencent à se rejoindre. Quelles Quelles sont les PROCHAINES ÉTAPES CRUCIALES à
nouvelles responsabilités assumerez-vous ? Que de- suivre dans les six prochains mois, dans les trois
vez-vous faire pour vous préparer au plus long prochains mois et dans les trente jours à venir pour
terme ? N’oubliez pas de tenir compte de votre vie réaliser les objectifs à un an que vous vous êtes fixés ?
personnelle, car vous devrez vivre pleinement votre L’importance des petites victoires est bien documen-
vocation dans tous les domaines. Les objectifs de tée dans presque toutes les disciplines du manage-
Richard font explicitement référence à sa famille, ment, des initiatives de changement à l’innovation.
« son équipe à terre ». Lorsque vous détaillez les étapes suivantes, ne notez
La cinquième étape, définir les OBJECTIFS À UN AN, pas toutes les exigences de votre travail. Listez les
est souvent la plus difficile. De nombreuses personnes activités ou les résultats les plus importants au regard
se posent la question suivante : « Que faire si presque de votre vocation et de vos ambitions nouvellement
tout ce que je fais aujourd’hui ne correspond en rien à clarifiées en matière de leadership. Vous remarquerez
ma vocation en matière de leadership ? Comment y probablement que certaines de vos tâches vous pa- À PROPOS
DES AUTEURS
arriver à partir de la situation actuelle ? » Nous avons raissent moins urgentes qu’avant, tandis que d’autres,
Au moment de la
trouvé deux façons de remédier à ce problème. Cher- jusque-là mises de côté, ont maintenant la priorité. rédaction de cet article,
chez d’abord à savoir si vous pouvez modifier le récit Enfin, nous examinons les RELATIONS CLÉS néces- les auteurs occupaient
associé à certains aspects de votre travail, ou changer saires pour que votre plan devienne réalité. Identifiez les fonctions suivantes :
la façon dont vous effectuez certaines tâches, afin les personnes qui peuvent vous aider à vivre pleine- Nick Craig est président
qu’elles deviennent une expression de votre vocation. ment votre vocation en matière de leadership. Pour de l’Authentic Leadership
Institut. Scott Snook est
Ainsi, la phrase « un bateau en état de naviguer » aide Richard, il s’agit de Sarah, la responsable RH, qui l’ai- chargé d’enseignement en
Richard à saisir l’intérêt de gérer un processus d’achats dera à constituer son équipe, et de son épouse, Jill, la administration des affaires à
basique. Puis demandez-vous si vous pouvez ajouter responsable de son « équipe à terre ». la Harvard Business School.
une activité qui corresponde parfaitement à votre Les cadres nous affirment que leurs plans indivi- La version originale de
cet article a été publiée
vocation. Nous avons constaté que la plupart des gens duels de la vocation à l’impact les aident à rester en mai 2014 dans l’édition
peuvent consacrer 5 à 10% de leur temps à quelque fidèles à leurs objectifs à court et à long terme, en américaine de HBR.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 17


DE LA VOCATION À L’IMPACT

suscitant courage, engagement et concentration. QU’EST-CE QUI FAIT les plus grands leaders et les
Lorsqu’ils se sentent déçus ou ont l’impression de plus grandes entreprises ? Les uns et les autres
fléchir, ils sortent leurs plans pour se rappeler ce qu’ils fonctionnent à partir d’un ensemble d’hypothèses
veulent accomplir et comment ils y parviendront. Une légèrement différent sur le monde, sur leur secteur
fois son plan élaboré, le responsable des activités de d’activité, sur ce qui peut ou ne peut pas être fait.
détail, confronté à la concurrence mondiale, a affirmé Cette perspective individuelle leur permet de créer
qu’il « ne craignait plus de faire des choses trop une grande valeur et d’avoir un impact significatif.
difficiles ». Dolf van den Brink a déclaré : « Je sais beau- Tous fonctionnent avec une vocation unique en
coup mieux où je peux véritablement apporter une matière de leadership. Pour devenir un leader
contribution et où je ne le peux pas. J’ai une idée tout véritablement efficace, vous devez faire de même.
à fait claire des types de fonctions auxquelles j’aspire Définissez clairement votre vocation, et mettez-la
et je peux faire des choix explicites en cours de route. » en application.

L'I D É E E N P R ATI Q U E

UN PLAN DE LA VOCATION À L’IMPACT Construire un bateau en état de naviguer :


maintenir le processus TFLS dans la limite
Cet exemple de plan montre comment Richard s’appuie sur sa des coûts et de la trésorerie prévisionnels.
vocation personnelle de leadership pour envisager des aspirations COMMENT VAIS-JE PROCÉDER :
globales, puis travailler à rebours afin de définir des objectifs • accélérer la reconfiguration de l’équipe ;
plus spécifiques. • obtenir l’adhésion de la direction
sur la nouvelle approche concernant
1 ÉLABORER UN ÉNONCÉ DE VOCATION les achats.
Exploiter tous les éléments pour remporter la course. Investir dans mon équipe à terre : prendre
2 RÉDIGER UNE EXPLICATION deux semaines de vacances, sans e-mails.
J’adore la voile. Adolescent, puis vers mes 20 ans, j’ai participé à des courses sur des 6 ÉLABORER LES ÉTAPES CRUCIALES
skiffs haute performance avec trois équipiers et j’ai presque été jusqu’aux JO. La voile SUIVANTES
est maintenant mon hobby et ma passion ; un défi qui exige discipline, équilibre et Constituer l’équipe : finaliser
coordination. Vous ne savez jamais dans quelle direction le vent va tourner et, à la fin, les recrutements clés.
vous ne gagnez la course qu’en vous fiant aux capacités conjuguées de votre équipe, Tracer la voie : jeter les bases
à votre intuition et à l’enchaînement des actions. pour les projets Sympix et TFLS.
3 FIXER DES OBJECTIFS un nouveau modèle d’achats, en COMMENT VAIS-JE PROCÉDER :
DE TROIS À CINQ ANS SIX MOIS :
redéfinissant notre relation avec
Etre connu pour former les meilleures • finaliser les plans de relève ;
les fournisseurs et en générant
équipes et remporter les courses
des économies de coût de 10%. • définir le calendrier de Sympix.
majeures : assumer une fonction au sein
S’attaquer à une course plus ambitieuse : TROIS MOIS :
des achats mondiaux et utiliser
assumer une fonction européenne avec • décrocher un remplacement de niveau
cette opportunité pour faire passer
mon entreprise devant la concurrence. des responsabilités plus importantes. international pour Jim ;
COMMENT VAIS-JE PROCÉDER : • programmer les « périodes d’action »
COMMENT VAIS-JE PROCÉDER : pour se concentrer sans e-mails.
• faire en sorte que chacun sente • anticiper les défis majeurs,
puis les affronter ; TRENTE JOURS :
qu’il fait partie de la même équipe ;
• insister sur les solutions innovantes, • faire venir, de Shanghai, Alex au board ;
• naviguer dans des conditions
mais néanmoins rigoureuses et • se mettre d’accord sur les paramètres
imprévisibles et voir les sautes
de vent avant tout le monde ; pragmatiques  ; du projet TFLS ;
• rester calme lorsque nous perdons des • constituer et former l’équipe gagnante. • diriger pendant un jour Sympix
courses individuelles ; en tirer les leçons hors site.
Développer mon équipe à terre :
et se préparer pour les prochaines. apprendre aux garçons à faire de la voile. Resserrer les liens avec mon équipe
Célébrer mon équipe à terre : s’assurer à terre : être davantage présent au côté
5 FIXER DES OBJECTIFS À UN AN de Jill et des garçons.
que nous faisons en famille une activité
Viser l’or : commencer à développer
qui nous unit. 7 CONSULTER LES RELATIONS CLÉS
un nouveau processus d’achats.
4 FIXER LES OBJECTIFS À DEUX ANS Gagner la petite course : livrer le projet Sarah, responsable RH
Remporter l’or : mettre en œuvre Sympix plus tôt que prévu. Jill, responsable de mon équipe à terre

18 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


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QU’EST-CE QU’UN
VÉRITABLE MANAGER ?
Les grands managers peuvent être charismatiques ou insipides,
généreux ou pingres, portés par les idées ou obsédés par
les chiffres. Mais ce qui les sépare des véritables managers
est que ces derniers suivent huit pratiques simples qui font
d’eux des dirigeants vraiment efficaces.
Par Peter F. Drucker. Illustrations : Marion Brosse

U
n véritable manager, vraiment efficace solitaires, décontractés ou autoritaires, généreux ou parcimonieux.
(« effective executive ») ne doit pas Mais ce qui les rendait efficaces c’est qu’ils suivaient tous les huit
nécessairement être un leader dans le pratiques  suivantes :
sens où l’on emploie communément • Ils se demandaient : « Qu’est-ce qui doit être fait ? »
le terme de nos jours. Harry Truman • Ils se demandaient : « Qu’est-ce qui est bon pour l’entreprise ? »
n’avait pas une once de charisme, et • Ils élaboraient des plans d’action.
pourtant, il faisait partie des dirigeants • Ils assumaient la responsabilité des décisions.
les plus efficaces de l’histoire des • Ils assumaient la responsabilité de la communication.
Etats-Unis. De la même manière, • Ils se concentraient sur les opportunités plutôt que
certains des meilleurs P-DG d’entre- sur les problèmes.
prises ou d’organisations à but non lucratif avec lesquels j’ai travaillé • Ils conduisaient des réunions productives.
au cours de ma longue carrière de consultant n’étaient pas des • Ils pensaient et disaient « nous » plutôt que « je ».
leaders stéréotypés. Leurs personnalités, attitudes, valeurs, forces Les deux premières pratiques leur permettaient d’obtenir les
et faiblesses étaient diverses et variées. Ils étaient extravertis ou connaissances dont ils avaient besoin. Les quatre suivantes les

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 21


QU’EST-CE QU’UN VÉRITABLE MANAGER ?

aidaient à transformer ces connaissances en action urgente. Mais les véritables managers ne s’épar-
efficace. Les deux dernières garantissaient que toute pillent pas : ils se concentrent, dans la mesure du
l’organisation se sentait responsable. possible, sur une seule tâche. Je n’ai jamais rencontré
de manager capable de rester efficace en s’attelant à
Obtenez les informations plus de deux tâches à la fois. Ainsi, après s’être posé
dont vous avez besoin la question maîtresse, les managers efficaces défi-
La première pratique consiste à se demander ce qui nissent des priorités et s’y tiennent. La tâche priori-
doit être fait. Notez : la question n’est pas « Qu’est-ce taire d’un P-DG peut par exemple être de redéfinir la
que je veux faire ? ». S’interroger sur ce qui doit être mission de l’entreprise. Celle du patron d’une busi-
fait et prendre la question au sérieux est indispen- ness unit peut être de redéfinir la relation de cette
sable au succès managérial. Ne pas poser cette ques- entité avec le siège social. Les autres tâches, aussi
tion rendrait inefficace même le plus compétent des importantes ou attrayantes soient-elles, sont repor-
managers. tées à plus tard. Toutefois, après avoir exécuté la
Lorsque Harry Truman est devenu président en tâche prioritaire originale, le manager revoit l’ordre
1945, il savait exactement ce qu’il souhaitait faire : des priorités au lieu de passer directement à la se-
achever les réformes économiques et sociales du conde tâche de la liste de départ. Il se demande :
New Deal de Roosevelt, reportées par la Seconde « Qu’est-ce qui doit être fait maintenant ? ». Cette fa-
Guerre mondiale. Mais en posant cette question, çon de procéder débouche généralement sur de nou-
Truman comprit immédiatement que les affaires velles priorités.
étrangères étaient une priorité absolue. Il organisa Pour le mentionner une nouvelle fois, le P-DG le
alors ses journées de travail de sorte qu’elles com- plus célèbre des Etats-Unis, Jack Welch, se deman-
mençaient par des leçons de politique étrangère dait tous les cinq ans, si l’on en croit son autobiogra-
phie  : « Qu’est-ce qui doit être fait maintenant ? » Et à
chaque fois, il trouvait une nouvelle priorité.
Un véritable manager ne Mais ce n’est pas tout. Welch se penchait égale-

s’éparpille pas : il se concentre,


ment sur un autre problème avant de décider vers où
concentrer ses efforts au cours des cinq années sui-

si possible, sur une seule vantes. Il se demandait quelle tâche il était le plus à
même d’entreprendre lui-même parmi les deux ou

tâche. Puis il revoit l’ordre trois premières de sa liste. Il se concentrait ensuite


sur cette tâche et déléguait les autres. Les managers
des priorités au lieu de passer efficaces se concentrent sur les travaux qu’ils savent

directement à la suivante.
être capables de parfaitement mener à bien. Ils sont
conscients que les entreprises sont performantes si
la haute direction est performante – et qu’elles ne
peuvent pas l’être dans le cas contraire.
dispensées par le secrétaire d’Etat et le secrétaire de La deuxième pratique des managers efficaces
la Défense. Il devint ainsi le président le plus efficace – tout aussi importante que la première – est de se
que les Etats-Unis aient jamais connu en matière demander : « Est-ce la bonne chose à faire pour l’en-
d’affaires étrangères. Il a réussi à contenir l’expan- treprise ? » Ils ne se demandent pas si cela est béné-
sion du communisme aussi bien en Europe qu’en fique pour les propriétaires, le cours de l’action, les
Asie et à générer 50  ans de croissance économique employés ou les managers. Bien entendu, ils savent
mondiale grâce au plan Marshall. que les actionnaires, employés et managers sont
De façon similaire, Jack Welch a pris conscience d’importants constituants qui doivent soutenir une
que ce qui devait être fait chez General Electric décision, ou tout au moins y consentir, pour que
lorsqu’il est devenu P-DG n’était pas le développe- celle-ci soit efficace. Ils savent que le cours de l’ac-
ment à l’étranger qu’il souhaitait lancer. Il s’agissait tion est essentiel non seulement pour les action-
plutôt de se débarrasser de certaines des activités de naires mais aussi pour l’entreprise, puisque le ratio
GE qui, malgré leur rentabilité, ne pouvaient pas de- cours sur bénéfices détermine le coût du capital.
venir numéro un ou deux de leur secteur d’activité. Mais ils savent aussi qu’en fin de compte une déci-
La réponse à la question « Qu’est-ce qui doit être sion qui n’est pas bénéfique pour l’entreprise ne le
fait ? » comprend presque toujours plus d’une tâche sera pas non plus pour les autres parties prenantes.

22 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F
LE CONSTAT LE DÉNOMINATEUR COMMUN LA VOIE DU PROGRÈS
Peur de ne pas être un leader né ? De Le dénominateur commun des leaders En vous disciplinant pour appliquer
manquer de charisme, de talent ou d’un véritables ? S’attaquer aux bons sujets, de ces règles, vous obtiendrez les
autre ingrédient magique ? Rassurez-vous : la bonne manière, en suivant huit règles : connaissances nécessaires pour prendre
le leadership ne dépend pas de facteurs 1- Se demander ce qui doit être fait. des décisions judicieuses, transformer
comme la personnalité ou le talent. En 2- Se demander ce qui est bon pour ces connaissances en action efficace,
réalité, les meilleurs dirigeants ont des l’entreprise. et garantir la responsabilité à l’échelle
personnalités, des attitudes, des valeurs 3- Elaborer des plans d’action. de votre entreprise.
et des forces très différentes – ils sont 4- Assumer la responsabilité des
extravertis ou solitaires, décontractés ou décisions.
autoritaires, généreux ou parcimonieux, 5- Assumer la responsabilité de la
axés sur les chiffres ou sur les idées. communication.
6- Se concentrer sur les opportunités,
pas sur les problèmes.
7- Conduire des réunions productives.
8- Penser et dire « nous », et non « je ».

Cette deuxième pratique est particulièrement Rédigez un plan d’action


importante pour les managers d’entreprises déte- Le manager est une personne d’action ; il met les
nues ou dirigées par des familles – qui représentent choses à exécution. Les connaissances lui sont inu-
la majorité des entreprises dans tous les pays – no- tiles tant qu’il ne les traduit pas en actes. Mais avant
tamment lorsqu’il s’agit de prendre des décisions de passer à l’action, il doit planifier sa ligne de
concernant le personnel. Dans une entreprise fami- conduite. Il doit réfléchir aux résultats escomptés,
liale performante, un membre de la famille n’est aux éventuelles contraintes, aux révisions futures,
promu que s’il est sensiblement meilleur que tous aux points de contrôle et aux conséquences sur la
les autres employés de même niveau extérieurs à la future gestion de son temps.
famille. Au cours des premières années de DuPont, Premièrement, le manager définit les résultats
par exemple, lorsque c’était encore une entreprise escomptés en s’interrogeant : « Quelles contributions
familiale, tous les hauts dirigeants (à l’exception du l’entreprise devrait-elle attendre de moi dans un dé-
directeur financier et de l’avocat) étaient des lai de 18 mois à deux ans ? Sur quels résultats vais-je
membres de la famille. Tous les descendants mas- m’engager ? Avec quelles dates limites ? » Il examine
culins des fondateurs avaient droit à un poste de ensuite les contraintes qui se posent : « La démarche
premier échelon au sein de l’entreprise. Au-delà de est-elle éthique ? Est-elle légale ? Est-elle compatible
ce niveau d’entrée, un membre de la famille n’était avec la mission, les valeurs et la politique de l’organi-
promu que si un panel composé essentiellement de sation ? » Des réponses affirmatives ne garantissent
managers extérieurs à la famille estimait que les pas l’efficacité de l’action. Mais la violation de ces
compétences et les performances du candidat contraintes conduit à coup sûr à une action aussi
étaient supérieures à celles de tous les autres em- mauvaise qu’inefficace.
ployés de même niveau. Cette même règle a été Le plan d’action constitue une déclaration d’in-
appliquée pendant un siècle au sein de la fruc- tention plutôt qu’un engagement. Il ne doit pas de-
tueuse entreprise familiale britannique J. Lyons & venir un carcan. Il devrait régulièrement faire l’objet
Company (désormais intégrée à un important de révisions, puisque de chaque succès et de chaque
conglomérat), lorsqu’elle dominait les secteurs bri- échec naissent de nouvelles opportunités. C’est éga-
tanniques de l’alimentaire et de l’hôtellerie. lement le cas des changements relatifs au contexte
Se demander : « Qu’est-ce qui est bon pour l’en- commercial, au marché et aux personnes au sein de
treprise ? » ne garantit pas que la bonne décision l’entreprise en particulier – tous ces changements
sera prise. Même le plus brillant des managers reste nécessitent une révision du plan. Un plan rédigé doit
humain et donc susceptible de commettre des er- anticiper les besoins en termes de flexibilité.
reurs. Mais ne pas se poser cette question garantit En outre, le plan d’action doit mettre en place un
quasiment qu’une mauvaise décision sera prise. système de contrôle des résultats par rapport aux

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 23


QU’EST-CE QU’UN VÉRITABLE MANAGER ?

attentes. Les managers efficaces prévoient habituel- visant à réexaminer le plan au fur et à mesure des évé-
lement deux contrôles de ce type dans leurs plans nements, il n’a aucun moyen de distinguer ceux qui
d’action. Le premier s’effectue au milieu de la pé- importent et ceux qui ne sont que du bruit.
riode prévue ; par exemple au bout de neuf mois. Le
second a lieu à l’échéance du plan d’action et avant Agissez
l’élaboration du suivant. Lorsqu’ils transforment leurs plans en action, les
Enfin, le plan d’action doit servir de base pour la managers doivent prêter une attention particulière à
gestion du temps du manager. Le temps est la res- la prise de décision, à la communication, aux oppor-
source la plus rare et la plus précieuse de tout ma- tunités (par opposition aux problèmes) et aux réu-
nager. Et les organisations – qu’il s’agisse d’agences nions. Je reprendrai chacun de ces points un par un.
gouvernementales, d’entreprises ou d’organismes à Assumez la responsabilité des décisions.
but non lucratif – sont enclines par nature à gaspil- Aucune décision n’a été prise tant que les gens n’ont
ler du temps. Le plan d’action ne sera d’aucune uti- pas été informés :
lité s’il ne permet pas de définir la gestion du temps • du nom du responsable de sa réalisation ;
du manager. • de la date limite ;
Napoléon aurait déclaré que jamais une victoire • des noms des personnes qui seront affectées
n’avait suivi un plan. Cela étant, il planifiait toutes les par la décision et qui doivent par conséquent
batailles qu’il menait, et de façon bien plus méticu- la connaître, la comprendre et l’approuver
leuse que tout autre général ne l’avait fait auparavant. –  ou au moins à laquelle elles ne sont pas
Sans plan d’action, les managers deviennent prison- fermement opposées ;
niers des événements. Et en l’absence de contrôles • des noms des personnes qui doivent être
informées de la décision, même si celle-ci
ne les affecte pas directement.
Un nombre colossal de décisions organisation-
Les managers intelligents nelles se heurte à des difficultés parce qu’elles ne res-

ne décident pas et n’agissent


pectent pas ces règles. Dans les années 1970, l’un de
mes clients a perdu sa position de leader sur le mar-

pas hors de leurs domaines ché japonais, alors en croissance rapide, car son en-
treprise, après avoir conclu un accord de coentreprise

de compétences. Ils délèguent. avec un partenaire japonais, n’a jamais explicité clai-
rement qui devait informer les acheteurs que la docu-
Le manager « génie universel » mentation du partenaire était définie en mètres et en

n’est pas encore né.


kilogrammes, et non en pieds et en livres – et per-
sonne n’avait jamais relayé l’information.
Revoir les décisions périodiquement – à une date
déterminée au préalable – est tout aussi important
que les prendre avec soin dès le départ. De cette ma-
nière, il est possible de corriger une mauvaise déci-
sion avant qu’elle ne cause de réels dégâts. Ces révi-
sions peuvent tout couvrir, des résultats aux
hypothèses qui sous-tendent la décision.
Une telle révision est particulièrement importante
pour les décisions les plus cruciales et les plus diffi-
ciles : celles concernant les embauches et les promo-
tions. Des études portant sur les décisions liées au
personnel montrent que seulement un tiers de ces
choix se révèle réellement fructueux. Un tiers de ces
décisions est susceptible d’être neutre – ni un succès,
ni un fiasco. Et un tiers est un échec, pur et simple.
Les managers efficaces en ont conscience et
examinent (six à neuf mois plus tard) les résultats de
leurs décisions en matière de personnel. S’ils

24 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


constatent qu’une décision n’a pas fourni les résultats l’organisation, à commencer par les collaborateurs
escomptés, ils n’en concluent pas que la personne individuels et les responsables de première ligne.
concernée n’a pas été performante. Ils en déduisent Ces décisions soi-disant de bas niveau sont extrême-
plutôt qu’ils ont eux-mêmes commis une erreur. ment importantes dans une organisation fondée sur
Dans une entreprise efficacement gérée, il est en- le savoir. Les travailleurs du savoir sont censés dispo-
tendu que des employés qui échouent à un nouveau ser de meilleures connaissances dans leurs domaines
poste, notamment après une promotion, ne sont pas de spécialisation – par exemple, en comptabilité fis-
nécessairement ceux qu’il faut blâmer. cale – que n’importe qui d’autre, de sorte que leurs
Les managers ont également le devoir, envers décisions sont susceptibles d’avoir un effet d’un bout
l’organisation et envers leurs collègues, de ne pas to- à l’autre de l’entreprise. Prendre de bonnes décisions
lérer les individus non productifs à des postes impor- est une compétence clé tous niveaux confondus. Elle
tants. L’employé n’est peut-être pas responsable de sa doit être enseignée ouvertement à tout le monde au
contre-performance, mais il doit néanmoins être sein des organisations fondées sur le savoir.
écarté. Dans le cas d’un échec à un nouveau poste, Assumez la responsabilité de la communi-
l’employé devrait avoir la possibilité de reprendre des cation. Les managers efficaces s’assurent que leurs
fonctions correspondant à son ancien niveau et à son plans d’action et leurs besoins en termes d’informa-
précédent salaire. Cette option est rarement présen- tion sont bien compris. Plus précisément, cela signi-
tée ; en règle générale, ces personnes partent de leur fie qu’ils font part de leurs plans et demandent leur
plein gré, du moins quand leur employeur est une opinion à tous leurs collègues – supérieurs, subal-
entreprise américaine. Mais l’existence même de ternes et pairs. Par la même occasion, ils précisent à
cette option peut avoir un puissant effet, encoura- chacun les informations dont ils auront besoin pour
geant les individus à quitter des emplois sécurisés et accomplir le travail. Le flux d’information partant du
confortables et à accepter une nouvelle affectation subalterne et remontant jusqu’au chef retient géné-
risquée. La performance de l’entreprise dépend de la ralement le plus l’attention. Mais les dirigeants
volonté des employés de prendre de tels risques. doivent accorder la même attention aux besoins en
L’examen systématique des décisions peut égale- informations des pairs et des supérieurs.
ment se révéler être un formidable outil de développe- Nous savons tous, grâce à l’ouvrage de Chester
ment personnel. Comparer les résultats d’une décision Barnard, « The Functions of the Executive », publié
avec les attentes initiales permet aux managers d’iden- en 1938, que la cohésion des organisations est due à
tifier leurs forces, leurs possibilités d’amélioration l’information plutôt qu’à la propriété ou à l’autorité.
ainsi que les connaissances qui leur font défaut et les Pourtant, un bien trop grand nombre de managers
informations qui leur manquent. Cette méthode leur agissent comme si l’information et son flux rele-
indique leurs partis pris. Bien souvent, elle leur montre vaient de la responsabilité du spécialiste de l’infor-
que leurs décisions n’ont pas fourni les résultats es- mation – par exemple, le comptable. Par conséquent,
comptés parce qu’ils n’ont pas confié le poste en ques- ils reçoivent une énorme quantité de données inu-
tion à la bonne personne. Affecter les meilleurs élé- tiles et inutilisables pour eux, et peu d’informations
ments aux bonnes fonctions est une tâche complexe et qui leur sont nécessaires. Pour remédier à ce pro-
essentielle que de nombreux managers négligent, no- blème, chaque manager doit identifier l’information
tamment parce que les meilleurs éléments sont déjà dont il a besoin, la demander et insister jusqu’à ce
trop occupés. L’examen systématique des décisions qu’il l’obtienne.
montre aussi aux managers leurs propres faiblesses, et Concentrez-vous sur les opportunités. Les
souligne en particulier les domaines dans lesquels ils bons managers se concentrent sur les opportunités
sont tout simplement incompétents. Les managers et non sur les problèmes. Bien entendu, il faut remé-
intelligents ne décident pas et n’agissent pas hors de dier aux problèmes, il n’est pas question de cacher la
leurs domaines de compétences. Ils délèguent. Tout le poussière sous le tapis. Mais la résolution des pro-
monde est incompétent dans certains domaines ; le blèmes, aussi nécessaire soit-elle, ne produit aucun
manager « génie universel » n’est pas encore né. résultat. Elle prévient les dégâts. L’exploitation des
La plupart des discussions concernant la prise de opportunités, quant à elle, produit des résultats.
décision partent du principe que seuls les managers Par-dessus tout, les véritables managers savent
supérieurs prennent des décisions, ou que seules aborder le changement comme une opportunité et
leurs décisions importent. C’est une grave erreur. non comme une menace. Ils examinent les change-
Des décisions sont prises à tous les niveaux de ments de façon systématique, qu’ils soient internes

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 25


QU’EST-CE QU’UN VÉRITABLE MANAGER ?

ou externes à l’entreprise, et se demandent : « Com- la pulpe de bois et négligeait totalement


ment pouvons-nous exploiter ce changement et le les possibilités offertes par les 90% restants,
transformer en opportunité pour notre entreprise ? » qui étaient perdus) ;
Plus précisément, les managers recherchent des • une innovation dans un processus, un produit
opportunités dans les sept situations suivantes : ou un service, qu’elle soit interne ou externe
• un succès ou un échec inattendu au sein à l’entreprise ou au secteur dans lequel elle opère ;
de leur propre entreprise, dans une entreprise • des changements dans la structure du secteur
concurrente ou dans leur secteur d’activité ; d’activité et dans la structure du marché ;
• un écart entre la situation actuelle et la situation • l’évolution démographique ;
potentielle dans un marché, un processus, • des changements dans les mentalités,
un produit ou un service (par exemple, au les valeurs, la perception, l’état d’esprit,
XIXe siècle, l’industrie du papier se concentrait la signification des choses ;
sur les 10% de chaque arbre devenant de • de nouvelles connaissances ou une nouvelle
technologie.
Les managers efficaces s’assurent par ailleurs que
les problèmes ne submergent pas les opportunités.
Dans la plupart des entreprises, la première page du
rapport mensuel recense les problèmes clés. Or, il est
bien plus judicieux de lister les opportunités sur la
première page et de reporter les problèmes sur la
deuxième. A moins d’une véritable catastrophe, les
problèmes ne sont pas discutés au cours des réunions
de management avant que les opportunités aient été
analysées et correctement traitées.
La gestion des effectifs est un autre aspect essen-
tiel d’une vision axée sur les opportunités. Les mana-
gers efficaces confient à leurs meilleurs éléments des
opportunités et non des problèmes. Pour gérer les ef-
fectifs afin de saisir les opportunités, on peut deman-
der à chaque membre d’un groupe de management de
dresser deux listes tous les six mois : une liste d’oppor-
tunités pour l’ensemble de l’entreprise et une liste des
employés les plus performants d’un bout à l’autre de
l’entreprise. Ces listes font ensuite l’objet de discus-
sions avant d’être fusionnées en deux listes maî-
tresses. Les meilleurs éléments sont ensuite affectés
aux meilleures opportunités. Notez qu’au Japon, cette
méthode d’affectation est considérée comme une
tâche RH primordiale dans une grande entre-
prise ou dans un ministère ; cette pratique
fait partie des éléments majeurs dans le
monde des affaires japonais.
Conduisez des réunions productives.
Le manager non-gouvernemental le plus visible, le
plus puissant et sans doute le plus efficace dans

Les managers efficaces l’Amérique de la Seconde Guerre mondiale et des an-


nées suivantes n’était pas un homme d’affaires. Il

confient à leurs meilleurs s’agissait du cardinal Francis Spellman, archevêque


catholique du diocèse de New York et conseiller de
éléments des opportunités plusieurs présidents américains. Lorsque Spellman a
pris les commandes, le diocèse était en faillite et com-
et non des problèmes. plètement démoralisé. Spellman a souvent raconté

26 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


qu’au cours de ses journées, il n’était seul que deux Une réunion en vue d’informer le manager
fois, pendant 25 minutes : lorsqu’il disait la messe convoqué. Le manager doit écouter et poser des
dans sa chapelle privée juste après son lever, et questions. Il ou elle doit résumer sans pour autant
lorsqu’il faisait ses prières du soir avant de se coucher. donner une présentation.
Le reste du temps, il était toujours en réunion avec Une réunion dont le seul but est de per-
d’autres personnes – en commençant par un petit mettre aux participants d’être en présence du
déjeuner avec une organisation catholique et en ter- manager. Les réunions autour de petits déjeuners et
minant par un dîner avec une autre. de dîners du cardinal Spellman étaient de cet acabit.
Les managers supérieurs ne sont pas autant empri- Il n’existe aucun moyen de rendre ces réunions pro-
sonnés que l’archevêque d’un important diocèse ca- ductives. Elles sont la conséquence du statut de ma-
tholique. Mais toutes les études portant sur leur jour- nager. Les managers supérieurs sont efficaces dans la
née de travail ont révélé que même les managers et mesure où ils peuvent empêcher ces réunions d’em-
professionnels juniors sont en compagnie d’autres piéter sur leurs journées. Spellman, par exemple,
personnes – c’est-à-dire en réunion quelconque – plus était efficace en grande partie parce qu’il limitait ces
de la moitié du temps chaque jour travaillé. Les seules réunions aux petits déjeuners et dîners et libérait
exceptions concernent quelques chercheurs seniors. ainsi le reste de sa journée.
Même une conversation avec un seul interlocuteur est Rendre une réunion productive requiert une
une réunion. Ainsi, pour être efficaces, les managers bonne dose de discipline. Le manager doit détermi-
doivent rendre les réunions productives. Ils doivent ner quel type de réunion est approprié et s’en tenir à
s’assurer que les réunions sont des séances de travail ce format. Il est également nécessaire de mettre fin à
et non des séances vides de sens. la réunion dès lors que le but spécifique a été atteint.
La clé pour conduire une réunion productive est Les bons managers ne soulèvent pas d’autres points à
de décider à l’avance du type de réunion dont il discuter. Ils résument et prennent congé.
s’agira. Les différents types de réunions nécessitent Un bon suivi est tout aussi important que la réu-
différentes formes de préparation et différents nion en elle-même. Le grand maître du suivi était
résultats : Alfred Sloan, le dirigeant d’entreprise le plus efficace
Une réunion en vue de préparer une déclara- que j’aie jamais connu. Sloan, qui a dirigé General
tion, une annonce ou un communiqué de presse. Motors des années 1920 aux années 1950, passait la
Pour que cette réunion soit productive, l’un des plupart de ses six jours de travail hebdomadaire en
membres doit d’abord avoir rédigé en amont un réunion –  trois jours par semaine en réunions for-
brouillon. A la fin de la réunion, un membre désigné melles de comité avec des membres définis, et trois
au préalable doit prendre la responsabilité de trans- jours dans des réunions ad hoc en tête-à-tête avec
mettre le texte final. des managers de General Motors ou avec un petit
Une réunion en vue de faire une annonce – groupe de managers. Au début de chaque réunion,
par exemple, un changement organisationnel. Sloan en annonçait le but. Puis il écoutait. Il ne pre-
Cette réunion doit se limiter à l’annonce et à la discus- nait jamais de notes et parlait rarement – unique- À PROPOS
sion à ce sujet. ment pour éclaircir un point confus. A la fin, il résu- DE L’AUTEUR
Une réunion au cours de laquelle un membre mait, remerciait les participants et prenait congé. Au moment de la
rédaction de cet article,
fait un rapport. Le rapport, et uniquement le rap- Immédiatement après, il rédigeait un bref mémo l’auteur occupait les
port, doit faire l’objet d’une discussion. adressé à l’une des personnes présentes lors de la fonctions suivantes :
Une réunion au cours de laquelle plusieurs réunion. Dans cette note, il résumait la discussion et Peter F. Drucker
(1909-2005) occupait la
membres ou tous les membres font un rapport. ses conclusions et expliquait clairement les missions chaire Marie Rankin Clarke
Soit il ne doit y avoir aucune discussion, soit la décidées au cours de la réunion (y compris la déci- des sciences sociales et du
discussion doit se limiter aux questions de clari- sion d’organiser une autre réunion sur le sujet ou management à la Peter
F. Drucker and Masatoshi
fication. Autrement, une brève discussion peut avoir d’étudier une question). Il précisait la date limite et Ito Graduate School of
lieu pour chaque rapport, au cours de laquelle tous le manager qui serait responsable de la mission. Il Management, Claremont
Graduate University, en
les participants peuvent poser des questions. Si tel envoyait une copie du mémo à tous les participants Californie. Il a rédigé
est le format choisi, les rapports doivent être de la réunion. Ce sont ces mémos – tous de véritables près de deux douzaines
d’articles pour HBR.
distribués au préalable à tous les participants bien chefs-d’œuvre – qui ont fait de Sloan un manager
avant la réunion. Dans ce type de réunion, chaque redoutablement efficace. La version originale de
cet article a été publiée
rapport doit se limiter à une durée prédéfinie – par Les managers efficaces savent que toute réunion en juin 2004 dans l’édition
exemple, 15  minutes. non productive est une totale perte de temps. américaine de HBR.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 27


QU’EST-CE QU’UN VÉRITABLE MANAGER ?

Pensez et dites « nous » par les véritables managers, les «effective execu-
La dernière pratique est la suivante : ne pensez pas tives». Je vais vous en confier une dernière, en bonus.
ou ne dites pas « je ». Pensez et dites « nous ». Les Son importance est telle que je l’élève au rang de
véritables managers ont conscience que la respon- règle : « Ecoutez d’abord, parlez en dernier. »
sabilité finale leur incombe, qu’elle ne peut être ni Les managers efficaces sont différents en termes
partagée, ni déléguée. Mais ils doivent leur autorité de personnalités, de forces, de faiblesses, de valeurs
uniquement à la confiance que l’organisation leur et de croyances. Leur seul point commun : ils
témoigne. Cela signifie qu’ils font passer les besoins prennent les mesures appropriées. Certains sont effi-
et les opportunités de l’organisation avant les leurs. caces de naissance. Mais la demande est bien trop
Cette règle peut paraître simple ; elle ne l’est pas, grande pour être satisfaite par un talent extraordi-
mais doit être strictement observée. naire. L’efficacité est une discipline. Et, comme toute
Nous venons d’examiner huit pratiques suivies discipline, elle peut être étudiée, et doit se mériter.

L'I D É E E N P R ATI Q U E

APPLIQUEZ HUIT RÈGLES DE BASE POUR DEVENIR UN VÉRITABLE MANAGER VRAIMENT EFFICACE
OBTENEZ LES INFORMATIONS DONT VOUS AVEZ BESOIN 5- Assumez la responsabilité de la communication.
1- Demandez-vous ce qui doit être fait. En ce qui concerne vos plans d’action, tenez compte
Lorsqu’il a pris ses fonctions de P-DG chez General Electric, Jack des suggestions de vos supérieurs, de vos subalternes et
Welch s’est posé cette question : « Qu’est-ce qui doit être fait ? » Il de vos pairs. Précisez clairement à chacun d’entre eux
s’est alors rendu compte qu’abandonner des activités de General les informations dont vous avez besoin pour accomplir
Electric ne pouvant se classer premières ou deuxièmes de leur le travail. Accordez la même attention aux besoins
secteur était essentiel – ce qui n’était pas le cas de l’expansion à de vos pairs et de vos supérieurs en termes d’information.
l’étranger qu’il voulait lancer. Une fois que vous avez conscience 6- Concentrez-vous sur les opportunités, pas sur
de ce qui doit être fait, identifiez les tâches pour lesquelles vous les problèmes.
êtes le plus doué, en vous concentrant sur une seule à la fois. C’est en exploitant des opportunités que l’on obtient des résultats,
Après avoir exécuté l’une d’entre elles, définissez et non en résolvant des problèmes. Identifiez tout changement
à nouveau les priorités en vous adaptant aux nouvelles réalités. interne et externe à votre organisation (nouvelles technologies,
2- Demandez-vous ce qui est bon pour l’entreprise.
produits innovants, nouvelles structures
Ne vous torturez pas l’esprit en vous demandant ce qui est mieux
de marché). Demandez-vous : « Comment peut-on exploiter
pour les propriétaires, les investisseurs, les employés ou les
ce changement pour qu’il profite à notre entreprise ? » Placez
clients. Finalement, les décisions qui sont bénéfiques pour votre
ensuite vos meilleurs éléments sur les meilleures opportunités.
entreprise le sont également pour toutes les parties prenantes.
GARANTISSEZ LA RESPONSABILITÉ
TRANSFORMEZ VOS CONNAISSANCES EN ACTION
À L’ÉCHELLE DE L’ENTREPRISE
3- Elaborez des plans d’action.
Construisez des plans précisant à la fois les résultats escomptés 7- Conduisez des réunions productives.
et les contraintes (la démarche est-elle légale et compatible Exprimez clairement le but de chaque réunion (faire une
avec la mission, les valeurs et la politique de l’entreprise ?). annonce ? Présenter un rapport ?). Mettez fin à la réunion
Incluez-y des points de contrôle et les conséquences sur votre dès que le but est atteint. Enchaînez avec de brèves
gestion du temps. Enfin, révisez vos plans pour examiner de communications résumant la discussion et énonçant
nouvelles opportunités. les nouvelles missions et leurs dates limites de réalisation.
4- Assumez la responsabilité des décisions. Le légendaire savoir-faire d’Alfred Sloan, P-DG de General
Assurez-vous que chaque décision spécifie qui est responsable Motors, en matière de suivi de réunions a permis à l’entreprise
de sa réalisation, quand elle doit être mise en œuvre, qui en de dominer l’industrie automobile dans les années 1950.
sera affecté, et qui doit en être informé. Revoyez régulièrement 8- Pensez et dites « nous », et non « je ».
les décisions, notamment celles concernant les embauches Votre autorité découle de la confiance que votre organisation
et les promotions. Vous pourrez ainsi corriger les mauvais choix vous accorde. Pour obtenir les meilleurs résultats, faites toujours
avant que ceux-ci ne causent de réels dégâts. passer les besoins et opportunités de l’entreprise avant les vôtres.

28 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


POURQUOI
QUELQU’UN
DEVRAIT-IL
ÊTRE DIRIGÉ
PAR VOUS ?
Chacun sait que les leaders doivent être
visionnaires et énergiques. Mais pour inspirer
autrui, il leur faut quatre autres qualités.
Probablement pas celles auxquelles
vous penseriez. N’importe qui ou presque
peut les cultiver à condition d’être prêt
à creuser au plus profond de soi-même.
Par Robert Goffee et Gareth Jones.
Illustrations : Guillaumit

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 31


POURQUOI QUELQU’UN DEVRAIT-IL ÊTRE DIRIGÉ PAR VOUS ?

S i vous voulez imposer le silence à une


assemblée de dirigeants, essayez
le truc suivant. Demandez-leur :
« Pourquoi quelqu’un aurait-il envie d’être
dirigé par vous ? » Voici longtemps que
appelons une « rude empathie ». Les leaders
inspirants manifestent une empathie passionnée
– et réaliste – avec les gens et se soucient
intensément du travail des salariés.
• Ils révèlent leurs différences. Ils tirent parti de
ce qu’il y a d’unique en eux.
Vous pouvez parvenir au sommet sans posséder ces
qualités, mais peu de gens auront envie d’être dirigés
par vous.
Notre théorie sur les quatre qualités essentielles
nous posons cette question à l’occasion du leadership, notez-le, ne se rapporte pas aux résul-

de missions de conseil auprès de dizaines tats. Même si de nombreux leaders que nous avons
étudiés et pris en exemple affichent bel et bien d’ex-

d’entreprises en Europe et aux Etats-Unis. cellents résultats financiers, nous avons centré nos
recherches sur les leaders qui excellent en inspirant

Invariablement, elle déclenche soudain les gens – en gagnant les cœurs, les âmes et les es-
prits. Cette aptitude n’est pas l’alpha et l’oméga dans

un silence stupéfait. On n’entend plus que la vie des affaires, mais tout dirigeant expérimenté
vous dira que c’est déjà beaucoup. De fait, il serait
des genoux qui tremblent. probablement impossible d’obtenir de très bons ré-
sultats sans elle.
Nos recherches sur le leadership ont débuté il y a
Les dirigeants ont de bonnes raisons d’avoir peur. une quarantaine d’années et se poursuivent depuis
Vous ne pouvez rien réaliser sans collaborateurs pour dans trois directions. Premièrement, en tant qu’uni-
vous suivre, or les suiveurs sont difficiles à trouver versitaires, nous avons écumé les principales théo-
en cette époque d’« autonomisation » (« empower- ries pour développer notre propre modèle opération-
ment »). Les cadres supérieurs ont donc tout intérêt nel du leadership efficace (pour en savoir plus sur
à savoir de quoi ils ont besoin pour diriger efficace- l’histoire des idées sur le leadership, voir l’encadré
ment – ils doivent trouver comment impliquer les « Leadership : petite histoire d’un grand sujet »). Deu-
gens et les mobiliser au service des buts de l’entre- xièmement, en tant que consultants, nous avons
prise. Mais la plupart d’entre eux ne savent pas quoi testé notre théorie auprès de milliers de dirigeants au
faire, et qui pourrait le leur reprocher ? Les préconi- cours d’ateliers organisés dans le monde entier et par
sations sont simplement trop nombreuses. Pour la le biais d’observations auprès de dizaines de clients.
seule année 1999, par exemple, plus de 2 000 livres Troisièmement, en tant que dirigeants nous-mêmes,
sur le leadership ont été publiés, y compris des ou- nous avons introduit nos théories dans nos propres
vrages qui font de Moïse et Shakespeare des gourous organisations.
du leadership.
Personne n’a encore dit toute la vérité sur le lea- Révélez vos faiblesses
dership. Certes, chacun convient qu’il faut aux lea- Les leaders qui révèlent leurs faiblesses montrent qui
ders une vision, de l’énergie, de l’autorité et une ils sont – avec leurs imperfections. Ils peuvent par
orientation stratégique. Cela va sans dire. Mais nous exemple admettre qu’ils sont irritables le lundi ma-
avons découvert que les leaders inspirants ont aussi tin, qu’ils sont plus ou moins désorganisés ou même
en commun quatre qualités inattendues : qu’ils sont assez timides. Ces aveux fonctionnent
• Ils affichent sélectivement leurs faiblesses. parce que, avant de s’engager volontairement dans
En exposant une certaine vulnérabilité, ils cet effort, les gens ont besoin de voir que les diri-
montrent qu’ils sont accessibles et humains. geants reconnaissent avoir certains défauts. Exposer
• Ils s’appuient fortement sur leur intuition une faiblesse instaure la confiance et facilite ainsi
pour choisir le moment et les modalités de l’adhésion du personnel. D’ailleurs, si les dirigeants
leurs actes. Leur capacité à recueillir et tentaient de se présenter comme parfaits en tout, à
interpréter des observations psychologiques les quoi bon les aider en quoi que ce soit ? Ils n’auraient
aide à savoir exactement quand et comment agir. nul besoin de suiveurs. Ils montreraient qu’ils sont
• Ils dirigent les salariés grâce à ce que nous capables de se débrouiller eux-mêmes.

32 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F
LA QUESTION LA VOIE À SUIVRE LA LEÇON À RETENIR
La question « Pourquoi quelqu’un Comment y parvenir  ? Bien sûr, il vous Dosez et assortissez ces qualités afin de
devrait-il être dirigé par vous  ?  » angoisse faut une vision, de l’énergie, de l’autorité trouver le bon style pour le bon moment.
la plupart des dirigeants. A juste titre. et une orientation stratégique – et aussi Sans ces quatre qualités, vous pourriez
Vous ne pouvez rien réaliser sans des ces quatre qualités supplémentaires : vous hisser au sommet. Mais peu de gens
gens qui vous suivent, or les suiveurs ne • Montrer que vous êtes humain en accepteraient de vous suivre, et votre
courent pas les rues en cette époque révélant sélectivement vos faiblesses. entreprise n’atteindrait pas ses meilleurs
d’« autonomisation » – sauf pour les • Etre un « détecteur », capter les données résultats.
dirigeants qui excellent à saisir le cœur, psychologiques grâce auxquelles vous
la raison et l’esprit de leurs salariés. vous fierez à votre intuition.
• Gérer les salariés avec une « rude
empathie ». Veiller passionnément sur
eux et sur leur travail, tout en ne leur
donnant que ce qui leur est nécessaire
pour exceller.
• Oser être différent, en capitalisant sur
ce que vous avez d’unique.

Afficher une faiblesse n’a pas seulement pour délibérément en pâture au public un sujet de conver-
effet d’instaurer la confiance et de créer une atmos- sation, sachant fort bien que, à défaut, les journaux
phère de collaboration, cela renforce aussi la solida- inventeraient quelque chose d’encore pire. La prin-
rité entre suiveurs et dirigeants. Prenons l’exemple cesse Diana a peut-être révélé au public ses troubles
d’un cadre dirigeant de notre connaissance, dans un de l’alimentation, mais elle est morte avec une répu-
cabinet international de conseil en management. tation intacte et même renforcée.
Affligé d’un tremblement sévère dû à un problème Cela dit, les dirigeants les plus efficaces savent que
de santé, il a néanmoins accepté de prononcer une l’aveu d’une faiblesse exige de la prudence. Ils recon-
importante conférence. Cet affichage courageux naissent des faiblesses sélectives. Savoir quelle défi-
d’une faiblesse lui a valu une standing ovation de la cience révéler est un art très subtil. La règle d’or est
part d’un auditoire d’ordinaire très critique. Pronon- de ne jamais afficher une faiblesse qui serait considé-
cer cette conférence revenait à admettre : « Je suis rée comme un vice rédhibitoire – c’est-à-dire un dé-
comme vous imparfait. » Laisser voir une imperfec- faut qui compromettrait des aspects essentiels de
tion est efficace car cela souligne l’authenticité d’un votre fonction professionnelle. Imaginez le nouveau
être humain. Richard Branson, fondateur de Virgin, directeur financier d’un grand groupe. Il ne peut pas
est un homme d’affaires brillant et un héros national confesser soudain qu’il n’a jamais compris ce qu’est
au Royaume-Uni (la marque Virgin est si liée à sa per- un flux de trésorerie actualisé. Un leader ne devrait
sonne que sa succession pose d’ailleurs un sérieux révéler qu’un défaut marginal, ou peut-être même
problème). Il fait connaître sa vulnérabilité avec une plusieurs. Paradoxalement, cet aveu l’aidera à dé-
efficacité indéniable. Il se sent mal à l’aise et se re- tourner l’attention de faiblesses majeures.
prend sans cesse quand on l’interroge en public. Une autre stratégie bien connue consiste à choisir
C’est une faiblesse, mais c’est Richard Branson. Tel une faiblesse susceptible d’être considérée à certains
est bien le but de la révélation d’une faiblesse : mon- égards comme une force, se dire boulimique de tra-
trer à vos suiveurs que vous êtes authentique et ac- vail par exemple. Si des leaders révèlent ces défauts
cessible – humain… et plein d’humanité. limités, le public n’en verra pas grand-chose et cela ne
Exposer une faiblesse présente également l’avan- causera pas beaucoup de tort. Mais une mise en garde
tage d’offrir au leader une protection précieuse. La s’impose : si la vulnérabilité du leader n’est pas per-
nature humaine étant ce qu’elle est, si vous ne mon- çue comme authentique, il n’y gagnera le soutien de
trez pas quelque faille, les observateurs risquent de personne. Au contraire, il s’exposera aux moqueries
vous en inventer une. Célébrités et hommes poli- et au mépris. Lors de nos recherches, nous avons
tiques le savent depuis toujours. Souvent, ils jettent maintes fois assisté à un scénario dans lequel un

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 33


POURQUOI QUELQU’UN DEVRAIT-IL ÊTRE DIRIGÉ PAR VOUS ?

P-DG feint l’étourderie pour dissimuler des absurdi- place une solution, il réfléchissait à la manière de ne
tés, voire une malhonnêteté. C’est un bon moyen pas informer tout de suite le P-DG basé à Paris quand
pour se mettre à dos ses suiveurs ; ils se rappelleront le téléphone a sonné. C’était le P-DG. « Dis-moi Ro-
très bien ce qui s’est passé ou ce qui a été dit. berto, que diable se passe-t-il à Milan ? » lui a-t-il de-
mandé. Il savait déjà que quelque chose clochait.
Devenez un détecteur Comment ? Il avait ses réseaux, bien sûr. Mais pour
Les leaders inspirants comptent fermement sur leur une grande part, il était doué pour détecter des infor-
instinct pour savoir quand révéler une faiblesse ou mations qui ne lui étaient pas destinées. Il savait in-
une différence. Nous disons qu’ils sont de bons terpréter les silences et détecter des signaux non
verbaux au sein de l’organisation.

Les leaders inspirants comptent Comme il se doit, les chefs d’entreprise les plus
remarquables avec lesquels nous ayons travaillé sont

fermement sur leur instinct tous des détecteurs très subtils. Ray van Schaik, pré-
sident de Heineken au début des années 1990, en est
pour savoir quand révéler une un bon exemple. Le génie de cet homme mesuré et
raffiné réside dans sa capacité à déchiffrer les si-
faiblesse : ils savent recueillir gnaux reçus de ses collègues et de Freddie Heineken,

les données psychologiques. représentant de la troisième génération de la famille,


« toujours là sans être là ». Tandis que certains cadres
supérieurs passaient beaucoup de temps à interpré-
ter les désirs du principal actionnaire, van Schaik
détecteurs d’ambiance, c’est-à-dire qu’ils savent devint capable de « savoir d’instinct » ce que Freddie
recueillir et interpréter des données psychologiques. Heineken voulait. Cette aptitude reposait sur de
Ils parviennent à sentir les signaux de leur entourage nombreuses années de travail à ses côtés au conseil
et savent ce qui se passe sans qu’on ait besoin de le d’administration du groupe, mais elle allait au-delà :
leur dire. van Schaik parvenait à lire en Heineken alors même
Franz Humer, P-DG puis président du groupe que leurs personnalités étaient très différentes et
pharmaceutique Roche jusqu’en mars 2014, est qu’ils ne travaillaient pas directement ensemble.
l’exemple même du bon « détecteur ». Il savait extrê- Des cas comme celui de Ray van Schaik appellent
mement bien capter les changements de climat et cependant à une certaine réserve. Les leaders
d’ambiance ; il était capable de déchiffrer des si- doivent être d’excellents détecteurs, certes, mais
gnaux subtils et de sentir des courants d’opinion en sentir peut être une source de problèmes. En effet, à
profondeur, ignorés des personnes moins perspi- force de calculer jusqu’où ils peuvent aller, les lea-
caces. Il dit avoir acquis cette compétence lorsqu’il ders risquent de perdre leurs suiveurs. La situation
était guide touristique, vers ses 25 ans, alors qu’il politique de l’Irlande du Nord en est un excellent
était responsable de groupes de cent personnes, exemple. A la fin des années 1990, plusieurs diri-
voire davantage. « Je ne touchais pas de salaire, juste geants – David Trimble, Gerry Adams et Tony Blair,
des pourboires, explique-t-il. Assez vite, j’ai su com- ainsi que George Mitchell – ont pris des initiatives de
ment traiter tel ou tel groupe. A la longue, j’ai pu pré- paix sans précédent. A chaque étape de ce parcours,
dire à 10% près ce qu’un groupe donné allait me rap- il leur a fallu sentir jusqu’où ils pouvaient aller sans
porter. » De fait, les bons détecteurs parviennent à s’aliéner leur électorat. Dans les affaires, songez aux
évaluer sans peine des sentiments non exprimés ; ils fusions et acquisitions. Si dirigeants et négociateurs
peuvent juger très exactement quelles relations vont ne parviennent pas à convaincre leurs suiveurs en
fonctionner ou non. Le processus est complexe et temps utile que l’opération est une bonne chose, la
ceux qui en ont été témoins savent qu’il donne des valeur et la bonne volonté s’érodent vite. Vodafone
résultats impressionnants. et France Telecom ont vécu une telle situation lors
Considérez ce directeur des ressources humaines de la vente et du rachat d’Orange.
avec qui nous avons travaillé dans une multinatio- Un autre danger est associé aux qualités de dé-
nale du divertissement. Un jour, il a appris qu’un tecteur. Par définition, sentir une situation suppose
problème de distribution en Italie risquait de pertur- une projection, cet état d’esprit par lequel vous at-
ber le fonctionnement international de l’entreprise. tribuez vos propres idées à d’autres personnes et à
Comme il lui fallait un peu de temps pour mettre en d’autres choses. Quand une personne se « projette »,

34 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Leadership :
petite histoire d’un grand sujet

O
n parle de leadership depuis particulière : la bureaucratie. Les bureaucra- Ce style démocratique « copain-copain »
l’époque de Platon. Mais dans ties, disait-il, effraient non parce qu’elles a été enseigné à des milliers de dirigeants
les organisations du monde sont inefficaces mais parce qu’elles sont américains au cours de séminaires de
entier, des conglomérats efficaces et capables de déshumaniser les formation. La théorie n’avait qu’un inconvé-
anciens aux start-up de la gens. Les romans sombres de Franz Kafka nient. Elle exprimait en fait l’esprit de
nouvelle économie, la même plainte se fait illustrent crûment leurs effets débilitants. l’Amérique de Franklin D. Roosevelt : ouverte,
entendre : nous n’avons pas assez de Encore plus glaçant est ce témoignage de démocratique et méritocratique. Aussi,
leadership. Pourquoi le leadership nous l’un des lieutenants de Hitler, Adolf Eich- quand le maccarthysme et la guerre froide
obsède-t-il à ce point ? La question mérite mann : « Je n’étais qu’un bon bureaucrate. » ont remplacé le New Deal, un style complè-
d’être posée. Weber croyait que la seule force capable de tement nouveau a été requis. Soudain, tout
Une réponse possible tient à la crise de foi résister à la bureaucratisation était le le monde a été incité à se comporter en
ressentie par le monde moderne et qui puise leadership charismatique. Mais le bilan de combattant de la guerre froide ! Le pauvre
ses racines dans la révolution rationaliste du celui-ci au XXe siècle s’avère très mitigé. dirigeant n’y comprenait plus rien.
XVIIIe siècle. Au siècle des Lumières, des Même si des leaders inspirants et transfor- Les idées plus récentes sur le leadership
philosophes comme Voltaire ont affirmé mationnels se sont révélés en temps de sont dominées par la théorie de la contin-
qu’on pouvait maîtriser son destin en faisant guerre, des leaders charismatiques comme gence, selon laquelle le leadership dépend
appel à la raison seule. L’histoire du monde a Hitler, Staline ou Mao Tsé-toung ont commis de la situation. C’est foncièrement vrai,
ainsi pris un tournant incroyablement d’épouvantables atrocités. mais puisque les contingences sont infinies,
optimiste. Au XIXe siècle, deux croyances Au XXe siècle, on a beaucoup douté du
les variétés du leadership le sont aussi.
sont nées de cette idée rationaliste : la foi pouvoir de la raison et de l’aptitude de
Une fois encore, le dirigeant aux abois qui
dans le progrès et la foi dans la perfectibilité l’homme à progresser sans cesse. C’est
recherche un modèle pour l’aider se sent
de l’homme. Il en est résulté une vision du pourquoi le concept de leadership a
irrémédiablement perdu.
monde encore plus radieuse qu’auparavant. commencé à susciter un intérêt intense,
Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle, avec les pour des raisons à la fois pragmatiques et Pour les besoins de cet article, nous avons
écrits de Sigmund Freud puis de Max Weber, philosophiques. Les premières recherches puisé dans toutes les théories du leadership
que des failles sont apparues dans la sérieuses ont commencé au cours des afin de parvenir aux quatre qualités
cuirasse. Ces deux penseurs ont détruit la foi années 1920. La première théorie du essentielles du leadership. Comme Max
de l’homme occidental dans la raison et le leadership – la théorie des traits – a tenté de Weber, nous considérons que le leadership
progrès. La quête de leadership actuelle en décrire les caractéristiques communes des est avant tout antibureaucratique et
est une conséquence directe. leaders efficaces. Des leaders ont été pesés, charismatique. De la théorie des traits, nous
Fondateur de la psychanalyse, Freud a mesurés et soumis à une batterie de tests avons retenu les qualités des faiblesses et
théorisé que sous la surface de l’esprit psychologiques. Mais personne n’a pu des différences. Mais contrairement à la
rationnel réside l’inconscient. Ce dernier, déterminer ce que les leaders efficaces théorie des traits originale, nous ne croyons
a-t-il supposé, est responsable d’une bonne avaient en commun. La théorie des traits n’a pas que tous les leaders présentent les
partie du comportement humain. Weber, pas tardé à passer de faveur après que des mêmes faiblesses ; nos recherches ont
principal critique de Marx et brillant études eurent conclu à grands frais que les seulement montré que tous les dirigeants
sociologue, a aussi exploré les limites de la leaders efficaces étaient soit plus grands exposent certains défauts. La « rude
raison. La force la plus destructrice à l’œuvre que la moyenne, soit moins grands. empathie » est issue de la théorie du style,
dans les institutions, selon lui, est ce qu’il a Dans les années 1940, surtout aux qui a étudié différents types de relations
appelé la rationalité technique – c’est-à-dire Etats-Unis, la théorie des traits a été entre leaders et suiveurs. Enfin, la théorie
la rationalité sans moralité. remplacée par la théorie des styles. Un style du contexte fixe le décor concernant la
Selon Weber, la rationalité technique est de leadership en particulier a été distingué nécessité de savoir quelles compétences
incarnée par une forme d’organisation comme ayant le plus grand potentiel. utiliser dans différentes circonstances.
Années 1940

Foi dans le progrès


Révolution et la perfectibilité Théorie
XVIIIe rationaliste XIXe de l’homme XXe du style
siècle Philosophie siècle Max Weber siècle Théorie Théorie de
Années 1920

des Sigmund Freud des traits la contingence


Lumières

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 35


POURQUOI QUELQU’UN DEVRAIT-IL ÊTRE DIRIGÉ PAR VOUS ?

ses pensées peuvent interférer avec la vérité. Imagi- doivent toujours être encadrées par une confronta-
nez une radio qui capte un certain nombre de si- tion avec le réel. Même le détecteur le plus doué doit
gnaux, dont beaucoup sont faibles et distordus. Sen- valider ses perceptions avec un conseiller de
tir une situation revient au même : à cause du bruit confiance ou l’un de ses proches collaborateurs.
de fond, vous ne pouvez pas toujours être certain de
ce que vous entendez. Le salarié qui voit son patron Travaillez la « rude empathie »
distrait et qui en conclut qu’il va être limogé est un De nos jours, hélas, il y a beaucoup trop d’exagéra-
exemple classique. La plupart des qualités se tion autour de l’idée que les leaders doivent montrer
trouvent avivées par le danger, mais en particulier au qu’ils se soucient de leur équipe. Rien n’est pire que
moment où l’on sent une situation. Chez un leader, de voir un manager manifester sa « bienveillance »
une telle sursensibilité peut mener droit à la catas- envers les autres en revenant du dernier séminaire
trophe. C’est pourquoi les capacités de détecteur de formation aux relations avec le personnel. Les

Quatre mythes répandus à propos du leadership


Dans nos recherches comme dans notre travail de conseil, nous avons l’atelier au bureau présidentiel. Par défini-
tion, les leaders sont simplement des gens
vu des dirigeants se méprendre profondément sur ce qui fait un leader qui ont des suiveurs, et le rang hiérarchique
inspirant. Voici quatre mythes parmi les plus répandus : n’y est pas pour grand-chose. Des institu-
tions militaires efficaces comme l’U.S. Navy
TOUT LE MONDE PEUT ÊTRE UN LEADER. choses ne sont pas aussi simples. Dans les
ont compris depuis longtemps combien il
Faux. Il manque à beaucoup de cadres secteurs quasi monopolistiques, les
est important de former des leaders dans
dirigeants la connaissance de soi ou entreprises peuvent souvent réussir avec un
l’authenticité nécessaires au leadership. toute l’organisation.
management compétent plutôt qu’un
Or l’une et l’autre ne sont qu’une partie de leadership excellent. De même, certaines LES LEADERS SONT D’EXCELLENTS COACHS.
l’équation. Il faut aussi la volonté d’être entreprises dotées de bons leaders Rarement. Toute une petite industrie s’est
leader, et nombre de salariés talentueux n’ont n’obtiennent pas nécessairement des développée autour de ce précepte : les bons
pas envie d’endosser cette responsabilité. résultats, surtout à court terme. leaders devraient être de bons coachs.
D’autres préfèrent consacrer plus de temps Mais cette idée suppose qu’une seule
à leur vie privée qu’au travail. Après tout, LES PERSONNES QUI ARRIVENT personne peut tout à la fois inspirer les
il n’y a pas que le travail dans la vie, et il n’y a AU SOMMET SONT DES LEADERS. troupes et leur enseigner des compétences
pas que le poste de patron dans le travail. Pas nécessairement. L’un des malentendus techniques. Bien entendu, il peut arriver que
les plus persistants est que les personnes de grands leaders soient aussi d’excellents
LES LEADERS OBTIENNENT
DES RÉSULTATS CONCRETS. qui occupent des postes de leadership sont entraîneurs, mais nous ne le constatons
Pas toujours. Si les résultats étaient des leaders. Mais les gens qui arrivent au qu’occasionnellement. Les leaders les plus
toujours affaire de bon leadership, choisir sommet ont pu y parvenir grâce à leur typiques sont ceux dont les forces caracté-
des leaders serait facile. Dans tous les cas, habileté manœuvrière et pas nécessaire- ristiques résident dans leur aptitude à
la meilleure stratégie consisterait à chercher ment grâce à de vraies qualités de leader- stimuler les autres grâce à leur vision plutôt
dans les entreprises les gens qui ont les ship. De plus, on trouve de vrais leaders un que grâce à leurs talents de coach : Steve
meilleurs résultats. Mais évidemment, les peu partout dans les organisations, de Jobs était de ceux-là.

36 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


vrais leaders n’ont pas besoin de formation pour quand se mettre en retrait. Considérez la situation
convaincre leurs salariés qu’ils font attention à eux. vécue chez Unilever à une époque où le groupe déve-
Ils éprouvent une empathie forte avec les gens qu’ils loppait Persil Power, un détergent qu’il a finalement
dirigent. Et ils s’intéressent de près au travail accom- fallu retirer du marché car il détruisait les tissus. Mal-
pli par leurs salariés. gré les premiers signes des difficultés du produit, le
Considérez le cas d’Alain Levy, ancien P-DG de P-DG d’alors, Niall FitzGerald, a épaulé ses troupes.
Polygram. Malgré ses airs d’intellectuel plutôt ré- « C’était là qu’on m’attendait, mais je n’aurais pas dû
servé, il était très habile à faire disparaître la dis- y être, dit-il. J’aurais dû rester en retrait, tranquille et
tance entre lui et ses suiveurs. Il lui est arrivé d’ai- détaché, observer l’ensemble de la situation, faire
der de jeunes responsables de catalogues en attention au client. » Mais il n’est pas facile de conci-
Australie à sélectionner des singles au sein d’un al- lier implication et détachement, d’autant plus que, si
bum. Ce choix était alors une tâche cruciale dans vous vous y prenez bien, la rude empathie est plus
l’édition musicale : la sélection d’un morceau pou- exigeante pour vous que pour vos salariés. « A en
vait déterminer le succès ou l’échec du disque.
Alain Levy s’est assis aux côtés des jeunes gens et
s’est plongé dans ce travail avec passion, ajoutant sa Idéalement, la « rude empathie »
voix à la mêlée : « Espèces d’idiots ! Vous ignorez de
quoi vous parlez ; on commence toujours par un
équilibre respect pour
morceau dansant ! » Il a suffi de 24 heures pour que
l’anecdote se répande dans toute l’entreprise ; ja-
l’individu et respect du travail
mais Levy n’avait bénéficié de meilleures relations à accomplir. Mais satisfaire
publiques. « Alain Levy sait vraiment choisir des
singles », a-t-on dit. En fait, il savait s’identifier au aux deux n’est pas facile.
travail et pénétrer dans le monde de ses suiveurs
(un monde où un langage coloré est de rigueur)
pour leur montrer qu’il prenait les choses à cœur. croire certaines théories du management, la bien-
Clairement, comme le montre cet exemple, nous veillance ne demande pas d’effort. C’est faux , dit
ne croyons pas que l’empathie des leaders inspirants Paulanne Mancuso, qui a été P-DG de Calvin Klein
soit aussi lénifiante que semble le dire la littérature Cosmetics. Vous êtes obligé de faire des choses que
du management. Au contraire, il nous semble que les vous n’avez pas envie de faire, et c’est dur. » C’est dur
vrais leaders dirigent à l’aide d’une démarche parti- d’être rude. La rude empathie a aussi l’avantage
culière que nous appelons « rude empathie ». La rude d’obliger les dirigeants à prendre des risques. Quand
empathie consiste à donner aux gens ce qu’il leur Greg Dyke a pris les rênes de la BBC, ses concurrents
faut, non ce qu’ils désirent. Des organisations du secteur privé avaient les moyens de consacrer à
comme le corps des Marines des Etats-Unis et les leurs programmes nettement plus d’argent que la
cabinets de conseils en sont des spécialistes. Les BBC. Dyke a vite compris que, pour prospérer dans
nouveaux arrivés sont encouragés à donner le meil- un monde numérique, la BBC devrait dépenser da-
leur d’eux-mêmes : « progresser ou partir », tel est le vantage. Il l’a expliqué à ses collaborateurs franche-
mot d’ordre. Chris Satterwaite, devenu P-DG de ment et sans détour. Une fois leur adhésion acquise,
Chime en 2003 et ancien patron de plusieurs agences il a entrepris de réorganiser l’entreprise de fond en
de publicité, comprend en quoi consiste la rude em- comble. Malgré de nombreux licenciements, il est
pathie. Il gère habilement les défis de la direction de parvenu à maintenir la motivation du personnel. Il
créatifs tout en prenant des décisions sans conces- attribue son succès à sa rude empathie envers ses
sion. « S’il le faut, je peux être brutal, dit-il. Mais tant salariés : « Lorsque les gens sont de votre côté, vous
qu’ils sont avec moi, je promets à mes collaborateurs pouvez prendre les décisions difficiles qui s’avèrent
qu’ils apprendront des choses. » indispensables. »
Idéalement, la rude empathie équilibre respect Une dernière remarque sur la rude empathie : les
pour l’individu et respect du travail à accomplir. plus aptes à l’utiliser sont les gens qui se soucient
Mais satisfaire aux deux n’est pas facile, surtout si vraiment de quelque chose. Et quand on se soucie
l’entreprise est en mode survie. En de telles circons- profondément de quelque chose – quoi que ce soit –
tances, les leaders attentifs doivent donner de leur on a plus de chances de montrer sa vraie personna-
personne avec les gens qui les entourent et savoir lité. Non seulement on affichera son authenticité,

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 37


POURQUOI QUELQU’UN DEVRAIT-IL ÊTRE DIRIGÉ PAR VOUS ?

condition préalable du leadership, mais on montrera ses cheveux longs et à ses cravates voyantes. Mais il
qu’on ne se borne pas à jouer un rôle. Les gens ne se savait très habilement marquer des différences qu’il
dévouent pas pour des dirigeants qui se contentent exploitait pour montrer qu’il était audacieux,
de satisfaire aux obligations de leur poste. Ils en entreprenant et exceptionnel – qu’il était John
veulent plus. Ils veulent quelqu’un qui se soucie pas- Harvey-Jones.
sionnément des gens et du travail – tout comme eux. D’autres ne sont pas aussi conscients de leurs
différences mais les utilisent quand même très effi-
Osez être différent cacement. Richard Surface, par exemple, ancien
Une autre qualité des leaders inspirants est qu’ils directeur général adjoint de l’assureur britannique
capitalisent sur ce qu’il y a d’unique en eux. En fait, Pearl Insurance, arpentait sans cesse ses locaux et
savoir tirer le meilleur parti de ces différences est la dépassait les gens, faisant de son rythme un moyen
qualité la plus importante des quatre énumérées plus de connoter l’urgence. D’autres dirigeants encore
haut. Les leaders les plus efficaces utilisent délibéré- ont la chance que leurs différences soient signalées
ment leurs différences pour marquer une distance pour leur compte par des collègues. Comme l’ex-
sociale. Tout en attirant des suiveurs auprès d’eux, plique Greg Dyke : « Mon épouse me dit : ‘‘Tu fais
les leaders inspirants font sentir qu’ils sont à part. d’instinct des choses que tu ne comprends pas. Ce
Souvent, ils signalent leurs différences par un qui m’inquiète, c’est qu’une fois que tu compren-
style vestimentaire ou une apparence physique bien dras, tu risques de ne plus y arriver !’’ » De fait, il est
reconnaissable, mais la plupart du temps ils pré- apparu lors de nos entretiens que la plupart des diri-
fèrent se distinguer par des qualités comme l’imagi- geants ne sont pas conscients de leurs différences
nation, la loyauté, la compétence, ou même par leur au début mais en viennent à les connaître – et les
façon de serrer la main. Tout peut faire différence, utiliser – plus efficacement à la longue. Franz
mais il est important de le faire savoir. La plupart des Humer, chez Roche, par exemple, a compris qu’il
gens hésitent pourtant à communiquer ce qu’il y a utilisait ses émotions pour susciter des réactions
d’exceptionnel en eux et il leur faut parfois des chez les autres.
La plupart des différences que nous avons dé-

Les leaders les plus efficaces crites sont celles qui tendent à être apparentes, soit
pour le leader lui-même, soit pour les collègues qui

utilisent délibérément leurs l’entourent. Mais des différences plus subtiles sont
susceptibles de produire néanmoins des effets très

différences pour marquer puissants. David Prosser, par exemple, qui a été
P-DG de Legal and General, l’une des plus grandes
une distance sociale. Ils font compagnies d’assurances européennes, n’est ni un

sentir qu’ils sont à part. homme du sérail, ni le produit policé d’une grande
ville. Il est originaire d’une région industrielle, le
sud du pays de Galles. Et bien que généralement
abordable, il a un côté dur, qu’il utilise avec discré-
années pour prendre pleinement conscience de ce tion mais de manière très efficace. Au cours d’une
qui les distingue. C’est un sérieux inconvénient dans réception, un directeur des ventes exalté proclamait
un monde où le réseautage est fondamental et où les à quel point la compagnie était bonne dans les
équipes doivent se former d’un jour à l’autre. ventes croisées de produits. Prosser est intervenu à
Certains leaders savent exactement comment voix basse : « Nous sommes bons, peut-être, mais
tirer parti de leurs différences. Prenez sir John nous ne sommes pas assez bons. » Un frisson par-
Harvey-Jones (1924-2008), ancien directeur général courut la pièce. Que voulait dire Prosser ? Ne vous
d’ICI – autrefois plus grande entreprise industrielle dites pas que nous y sommes et que vous pouvez
du Royaume-Uni. Quand il a publié son autobiogra- vous détendre ! Le leader, c’est moi, et c’est moi qui
phie, un journal britannique l’a chroniqué en y le dis. Ne l’oubliez pas. Prosser utilisait ce même res-
associant une caricature. On y voyait une mous- sort auprès de l’équipe dirigeante, avec de bons ré-
tache, des cheveux noirs et une grosse cravate. Le sultats – afin de maintenir tout le monde en alerte.
dessin était en noir et blanc, mais tout le monde a Les leaders inspirants utilisent ce qui les dis-
compris de qui il s’agissait. Bien entendu, John tingue pour inciter les autres à faire mieux. Ce n’est
Harvey-Jones n’est pas arrivé à la tête d’ICI grâce à pas qu’il y ait du Machiavel en eux, mais ils savent

38 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


d’instinct que les suiveurs donneront un coup de
collier si leur dirigeant est juste un peu à part. Le
leadership, après tout, n’est pas un concours de
popularité.
Il existe bien sûr un danger : que les dirigeants
exagèrent leur différence par souci de bien montrer
qu’ils sont à part. Certains, même, commettent l’er-
reur fatale de perdre le contact avec leurs suiveurs.
Une fois qu’ils ont mis trop de distance, ils cessent
d’être de bons senseurs et perdent leur aptitude à
détecter et à veiller. C’est apparemment ce qui s’est
passé du temps où Robert Horton était P-DG de BP,
au début des années 1990. Un affichage ostentatoire
de son intelligence considérable (redoutable, même)
a parfois mené les autres à le considérer comme arro-
gant et prétentieux. Il en est résulté une surdifféren-
ciation qui a finalement joué un rôle dans son évic-
tion, trois ans seulement après sa nomination.

Le leadership en action
Les quatre qualités décrites ici sont toutes néces-
saires à un leadership inspirant mais ne peuvent être
utilisées mécaniquement. Elles doivent devenir ou
être déjà une partie de la personnalité du dirigeant.
Les femmes leaders peuvent-elles
C’est pourquoi les « livres de cuisine » du manage- rester elles-mêmes ?
ment – ces ouvrages qui préconisent d’imiter Lee Les différences de sexe peuvent être mais le problème est que cela réduit
Iacocca ou Bill Gates – échouent souvent dans leur utilisées dans un sens positif ou leurs chances d’être considérées
mission. Personne ne peut se contenter de singer un négatif. Les femmes, en particulier, se comme des leaders potentiels.
autre dirigeant. Le défi à relever pour les aspirants voient souvent appliquer des stéréo- Elles ne font pas valoir leur vraie
leaders est donc d’être eux-mêmes, en mieux. Vous
types de genre – quoique différents de personnalité et leurs différences.
ceux qu’elles choisiraient elles-mêmes. Une autre réaction aux stéréotypes
pouvez y arriver en devenant de plus en plus
Cela tient en partie au fait qu’elles sont négatifs consiste à s’y opposer
conscient des quatre qualités du leadership décrites moins nombreuses que les hommes collectivement – par exemple en
ici et en les maniant de façon à trouver un style per- parmi les cadres. Selon des recherches organisant une campagne pour faire
sonnel qui vous convienne. Rappelez-vous qu’il en psychologie sociale, un groupe dont valoir les droits, les opportunités
n’existe pas de formule universelle et que celle qui la représentation tombe au-dessous et même le nombre des femmes
convient varie d’un contexte à l’autre. De plus, les de 20 % dans une société donnée au travail. Mais, au jour le jour,
résultats sont souvent subtils, comme le montre fera l’objet de stéréotypes, que cela les femmes n’ont souvent que le temps
l’histoire suivante, qui met en scène sir Richard lui plaise ou non. Pour les femmes,
nécessaire pour survivre, de sorte
cela peut signifier être étiquetée
Sykes, illustre P-DG de Glaxo Wellcome, l’un des plus qu’il leur est impossible de s’organiser
comme « auxiliaire », « nurse » ou
grands laboratoires pharmaceutiques du monde. formellement.
« séductrice », qualificatifs qui risquent
A l’époque où il dirigeait la R&D chez Glaxo, de les empêcher de définir leurs Troisième réaction révélée par nos
Sykes a fait une présentation de fin d’année devant propres différences. recherches : l’utilisation des stéréo-
les principaux chercheurs de la société. A la fin de Lors de recherches que nous avons types par les femmes à leur avantage.
son exposé, l’un d’eux l’a interrogé sur l’une des menées, nous avons découvert que Certaines d’entre elles, par exemple,
beaucoup de femmes – en particulier jouent délibérément le rôle de « nurse »
nouvelles molécules de la société, et tous deux se
parmi les quinquagénaires – tentent au travail, mais elles y mettent tant
sont engagés dans un débat bref mais vif. L’échange
d’échapper à cette dynamique en d’énergie et d’habileté qu’elles
de questions et de réponses avec la salle s’est pour-
disparaissant. Elles essaient de se parviennent à en tirer un avantage.
suivi pendant encore une vingtaine de minutes, L’inconvénient d’une telle stratégie ?
rendre invisibles. Elles portent des
puis le chercheur a remis le sujet sur le tapis. « Doc- vêtements qui cachent leur corps, elles Elle renforce des stéréotypes nocifs
teur Sykes, a-t-il commencé d’une voix forte, vous cherchent à s’aligner sur les hommes et perpétue les difficultés des autres
n’avez toujours pas compris la structure de la nou- en parlant fort. C’est assurément un femmes à faire valoir leurs véritables
velle molécule. » Sykes en a été visiblement agacé. moyen d’éviter un stéréotypage négatif, différences.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 39


POURQUOI QUELQU’UN DEVRAIT-IL ÊTRE DIRIGÉ PAR VOUS ?

À PROPOS
Rejoignant le fond de la pièce, il a manifesté son l’un des hommes d’affaires les plus accomplis du DES AUTEURS
humeur devant tout le gratin intellectuel de l’entre- Royaume-Uni, il ne s’est pas mué en un Anglais Au moment de la
prise. « D’accord, jeune homme, s’est-il écrié, voyons « standard ». Au contraire, il a conservé fièrement un rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
un peu vos notes ! » accent du Nord bien reconnaissable. Il ne manifeste les fonctions suivantes :
Le cas de Sykes fournit un schéma idéal pour pas non plus la réserve et le décorum typique des
évoquer les quatre qualités du leadership. Certains Britanniques : il irradie la passion. Comme d’autres Robert Goffee, professeur
auraient pu voir dans l’irritabilité du personnage vrais leaders, il agit et communique naturellement. de comportement
organisationnel à la LBS.
une faiblesse malencontreuse. Mais dans ce De fait, s’il fallait résumer cet exposé de fin d’année
Gareth Jones, directeur
contexte, son emportement démontrait son pro- chez Glaxo Wellcome, nous dirions que Sykes a été des ressources humaines
fond intérêt pour le débat scientifique fondamental lui-même – avec beaucoup d’habileté. et de la communication
– l’une des valeurs de l’entreprise. C’est pourquoi, interne de la BBC et
ancien professeur de
en se laissant aller à la colère, il a consolidé en fait Eclaircir le mystère développement des
sa crédibilité de dirigeant. Il a montré aussi qu’il Tant qu’il y aura des entreprises, on continuera à dis- organisations. Ils sont
associés-fondateurs du
était un très bon détecteur. S’il avait explosé plus séquer les ingrédients du vrai leadership. Et il y aura cabinet de conseil
tôt au cours de la réunion, il aurait étouffé le débat. toujours autant de théories que de questions. Mais organisationnel Creative
Management Associates,
En revanche, sa colère a été perçue comme une dé- parmi toutes les facettes du leadership qu’on peut
à Londres. Robert Goffee
fense de la foi. L’anecdote révèle aussi l’aptitude de étudier, rares sont celles qui sont aussi difficiles à est aujourd’hui professeur
Sykes à s’identifier à ses collègues et à leur travail. comprendre que la manière de former des leaders. émérite, et Gareth Jones
n’est plus à la BBC. Tous
En discutant avec le chercheur comme avec un col- Les quatre qualités du leadership sont une première deux ont publié « Why
lègue savant, il a réussi à créer un lien d’empathie étape indispensable. Prises ensemble, elles pres- Should Anyone Be Led by
You » (HBR Press) en 2006 .
avec son auditoire. Il était réellement bienveillant, crivent aux dirigeants d’être authentiques. Comme
mais sa bienveillance relevait clairement de la rude nous le conseillons à ceux que nous coachons : La version originale de cet
article est parue dans la
empathie. Enfin, l’histoire montre la propension de « Soyez vous-même – davantage – avec habileté. » version américaine de HBR
Sykes à montrer ses différences. Il avait beau être Nul conseil ne pourrait être plus difficile à suivre. en septembre-octobre 2000.

L'I D É E E N P R ATI Q U E

DÉVELOPPEZ QUATRE QUALITÉS QUI FERONT DE VOUS UN LEADER REMARQUABLE


RÉVÉLEZ VOS FAIBLESSES Exemple : d’argent aux programmes et moins aux
Personne n’a envie de travailler avec un Franz Humer, talentueux président hommes. Avant de restructurer son
leader parfait : il n’a besoin de l’aide de du groupe Roche jusqu’en mars 2014, entreprise, il a eu une explication franche
personne, dirait-on. Montrez que vous savait percevoir les courants d’opinion et directe avec son personnel. Malgré
êtes humain – avec vos défauts. Vous invisibles, évaluer les non-dits et juger de nombreuses suppressions d’emploi,
instaurerez une collaboration et une avec précision la qualité des relations. il a préservé la motivation des gens.
solidarité entre vos suiveurs et vous, et
vous soulignerez que vous êtes accessible. Conseil : OSEZ ÊTRE DIFFÉRENT
• Testez vos perceptions : validez-les Capitaliser sur ce qu’il y a d’unique en
Conseils : avec un conseiller de confiance
• N’exposez pas une faiblesse que les vous est un moyen d’indiquer que vous
ou un très proche collaborateur. êtes un leader à part et d’inciter les
autres considéreraient comme
rédhibitoire (un nouveau directeur PRATIQUEZ UNE RUDE EMPATHIE autres à faire mieux. Les suiveurs font
financier ne doit pas laisser voir qu’il Les vrais leaders pratiquent davantage d’efforts si leur leader est juste
ignore ce qu’est un flux de trésorerie passionnément l’empathie avec leurs un peu différent.
actualisé !). Choisissez plutôt une faiblesse suiveurs et veillent intensément sur le Conseils :
marginale. travail de leur personnel. Il y a de la • N’exagérez pas votre différence – vous
• Pointez un défaut que d’autres « rudesse » dans leur empathie, c’est-à- risqueriez de perdre le contact avec vos
considèrent comme une force, par dire que ce qu’ils donnent n’est pas suiveurs. Robert Horton, ancien P-DG de
exemple la boulimie de travail. nécessairement ce que les gens désirent British Petroleum, affichait ostensiblement
mais ce dont ils ont besoin pour réussir sa formidable intelligence. Ses suiveurs y
DEVENEZ UN DÉTECTEUR au mieux. ont vu de l’arrogance et se sont détachés
Aiguisez votre aptitude à capter et de lui. Il a été limogé au bout de trois ans.
interpréter des signaux interpersonnels Exemple :
Greg Dyke, alors P-DG de la BBC, savait • Distinguez-vous par des qualités
subtils afin de détecter ce qui se passe comme l’imagination, la compétence
sans que les autres aient à vous le dire. que, pour survivre dans un monde
numérique, sa firme devait consacrer plus et l’esprit aventurier.

40 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


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42 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 43
D
DIRIGER, C’EST DIALOGUER

à-face. Un bon dirigeant met aussi en place de


bonnes pratiques et promeut des normes culturelles
distillant une sensibilité au dialogue au sein de toute
l’entreprise. L’un des principaux avantages de cette
approche est qu’elle permet à une grande entreprise
ou à une entreprise en croissance de fonctionner
comme une petite structure. En discutant avec leurs
employés au lieu de simplement leur donner des
ordres, les dirigeants peuvent obtenir ou conserver
certaines des qualités qui permettent aux start-up
de surpasser leurs concurrents (flexibilité opération-
nelle, haut niveau d’engagement, alignement straté-
gique fort).
Durant l’élaboration de notre modèle, nous avons
observé que le dialogue organisationnel reprend
quatre attributs essentiels du dialogue interper-
sonnel : l’intimité, l’interactivité, l’inclusion et l’in-
epuis quelques années, le management autoritaire tentionnalité. Mais les dirigeants qui gèrent leur en-
du style « je commande et vous exécutez » est de treprise en se basant sur le dialogue n’ont pas besoin
moins en moins viable. La mondialisation, les nou- (pour ainsi dire) de mettre les points sur ces quatre i.
velles technologies, la manière dont les entreprises Notre étude nous a montré que ces éléments ont
créent de la valeur et interagissent avec les clients tendance à se renforcer mutuellement et, in fine, à
ont nettement réduit l’efficacité du leadership fusionner pour former un processus intégré unique.
directif et descendant. Par quoi ce modèle sera-t-il
remplacé ? La réponse se trouve en partie dans la Intimité :
façon dont les dirigeants communiquent au sein de se rapprocher des salariés
leur entreprise, c’est-à-dire dont ils gèrent les flux Dans la sphère privée, les conversations sont d’au-
d’informations circulant vers et entre leurs salariés. tant plus riches que les participants se sentent
La communication d’entreprise classique doit céder proches les uns des autres, au sens propre comme au
la place à un processus plus dynamique et plus sens figuré. De la même manière, le dialogue organi-
sophistiqué. Surtout, ce processus doit être sationnel exige que les dirigeants réduisent les dis-
conversationnel. tances – institutionnelles, comportementales, voire
Nous en sommes venus à cette conclusion lors spatiales – qui les séparent souvent de leurs em-
d’un récent projet de recherche axé sur la communi- ployés. Lorsque l’intimité organisationnelle existe,
cation d’entreprise au XXIe siècle. Pendant plus de les personnes investies du pouvoir décisionnel re-
deux ans, nous avons interrogé des communicants cherchent et obtiennent la confiance (et donc l’atten-
professionnels ainsi que des dirigeants dans toutes tion) de ceux qui travaillent sous leur autorité. Elles
sortes d’entreprises (grandes et petites, tradition- le font en veillant à écouter leurs employés, quel que
nelles et start-up, à but lucratif et non lucratif, soit leur échelon, et en apprenant à leur parler de
américaines et internationales). Nous avons discuté manière directe et authentique. La proximité phy-
avec près de 150 personnes dans plus de 100 firmes. sique entre dirigeants et employés n’est pas toujours
Toutes ont implicitement ou explicitement évoqué possible. Ni toujours essentielle. Ce qui est essentiel
leurs efforts pour « instaurer le dialogue » avec leurs en revanche, c’est la proximité psychique ou émo-
employés ou leur envie de « faire avancer le dialogue » tionnelle. Les dirigeants adeptes du dialogue des-
au sein de leur entreprise. En se basant sur ces infor- cendent de leur perchoir et relèvent le défi consistant
mations et les exemples recueillis durant cette étude, à communiquer de manière personnelle et transpa-
nous avons élaboré un modèle de leadership que rente avec leurs employés.
nous appelons « dialogue organisationnel ». Cette intimité différencie le dialogue organisa-
Nous avons découvert qu’aujourd’hui un bon tionnel de la communication d’entreprise classique.
dirigeant communique avec ses employés non pas Il ne s’agit plus de transmettre l’information du
en leur donnant des ordres, mais en dialoguant avec sommet jusqu’à la base, mais de permettre l’échange
eux, comme s’il s’agissait d’une discussion en face- d’idées de manière ascendante. Le ton est moins

44 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F

La communication Aujourd’hui, les dirigeants ou implicites. Le dialogue La bonne nouvelle pour


descendante sont bien plus crédibles et organisationnel traduit une les dirigeants, c’est que
et à sens unique mobilisateurs lorsqu’ils nouvelle réalité : grâce aux ces salariés peuvent parler
s’engagent dans un dialogue technologies numériques de leur entreprise de
entre un dirigeant
avec leurs collaborateurs et et sociales, les salariés manière plus intéressante
et ses salariés
leurs partenaires, caractérisé ont trouvé un moyen de et attrayante que n’importe
n’est plus utile, par un échange franc d’idées s’exprimer publiquement. quelle campagne publicitaire.
ni même réaliste. et d’informations, sous-tendu Et ils s’en serviront, que leur
par des intentions explicites patron le veuille ou non.

« corporate » et plus décontracté. Il ne s’agit plus terme : ils voulaient qu’ils soient entièrement inves-
d’émettre et de recevoir des ordres, mais de poser tis dans l’activité.
des questions et d’y répondre. L’intimité conversa- Savoir écouter. Les dirigeants qui s’engagent sé-
tionnelle peut se manifester de diverses manières, rieusement dans le dialogue organisationnel savent
notamment en gagnant la confiance de l’autre, en quand ils doivent cesser de parler et commencer à
sachant écouter et en payant de sa personne. écouter. Peu de comportements améliorent autant
Gagner la confiance. En l’absence de confiance, il l’intimité conversationnelle que l’attention que l’on
ne peut y avoir d’intimité. Dans la pratique, l’inverse porte à ce qui est dit. Etre réellement attentif est
est également vrai. Personne ne se lancera dans un signe de respect à l’égard de chacun, quels que soient
échange sincère de points de vue avec quelqu’un qui son rang et son rôle, d’un sens de la curiosité et
semble avoir une intention cachée ou faire preuve même d’un certain degré d’humilité.
d’hostilité ; une discussion entre deux personnes ne Lorsqu’il était à la tête de Cinergy (par la suite ra-
peut être gratifiante et importante que dans la me- chetée par Duke Energy, dont il a été le P-DG jusqu’en
sure où chacun peut se fier à l’autre. 2013), James E. Rogers avait mis en place ce qu’il
Mais la confiance n’est pas facile à obtenir. Dans appelait des « réunions d’écoute ». Il invitait des
les entreprises, il est devenu très difficile pour les groupes de 90 à 100 managers à se réunir durant trois
employés de se fier aux dirigeants ; ce n’est qu’en heures afin d’évoquer les problèmes urgents. Ces dis-
étant authentiques et directs que ces derniers ob- cussions lui ont permis de glaner des informations
tiendront leur confiance. Pour cela, il leur faudra qui auraient pu autrement échapper à son attention.
peut-être aborder des sujets pouvant sembler « ta- Un jour, par exemple, il a entendu un groupe de su-
bous », par exemple le partage des données finan- perviseurs évoquer un problème d’inégalités sala-
cières sensibles. riales. « Savez-vous combien de temps il aurait fallu
L’entreprise américaine Athenahealth, spéciali- pour que cette question remonte la hiérarchie de
sée dans la gestion de dossiers médicaux, va jusqu’à l’entreprise ? », leur a-t-il demandé. Grâce aux remon-
considérer chacun de ses employés comme un « ini- tées émanant directement des personnes concernées
tié », au sens juridique du terme, c’est-à-dire comme par ce problème, il a pu demander au département
un salarié à qui l’on a confié des informations stra- des ressources humaines de se mettre immédiate-
tégiques et financières susceptibles d’influencer ment à la recherche d’une solution.
considérablement les perspectives commerciales Payer de sa personne. Rogers a non seulement in-
de l’entreprise, et donc son cours en Bourse – un sta- vité ses collaborateurs à exprimer leurs préoccupa-
tut généralement accordé aux seuls hauts dirigeants. tions concernant la société, mais il a également solli-
Lorsque Athenahealth a pris la décision risquée de cité leurs avis quant à sa propre performance. Lors
dévoiler sa comptabilité à tous ses salariés, cela a d’une séance, il a demandé aux salariés de lui attri-
déclenché à la fois l’opposition de ses assureurs et la buer une note anonyme allant de A à F. Les résultats,
méfiance de la Commission américaine des opéra- immédiatement affichés sur un grand écran à la vue
tions de Bourse (SEC). Mais les dirigeants de la firme de tous, étaient globalement favorables, mais il est
souhaitaient que leurs employés deviennent des apparu que moins de la moitié des salariés étaient
« initiés » au-delà du seul sens réglementaire du prêts à lui attribuer un A. Rogers a pris la chose au

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 45


DIRIGER, C’EST DIALOGUER

sérieux et a décidé de répéter cet exercice de manière du sens aux valeurs de l’entreprise. En règle géné-
régulière. Il s’est également mis à poser des ques- rale, les « missions », « visions » et autres déclarations
tions ouvertes sur sa performance. Ironie de l’his- d’intention ne contribuent pas vraiment à instaurer
toire, il a découvert que la « communication interne » l’intimité ; au contraire, elles sont considérées par les
était précisément selon ses salariés le domaine dans employés comme de belles paroles. La firme améri-
lequel il disposait de la plus grande marge de pro- caine a donc tenté une expérience dans sa commu-
gression. Alors même qu’il cherchait à se rapprocher nication sur la diversité, l’une de ses valeurs essen-
d’eux par le biais du dialogue organisationnel, un tielles. Elle a réalisé de petits clips vidéo (sans
employé sur cinq estimait qu’il pouvait mieux faire chichis, sans prétention, sans objectif esthétique)
sur ce plan. L’écoute véritable suppose d’entendre le dans lesquels les hauts dirigeants partageaient de
bon comme le mauvais, d’accueillir la critique, manière très personnelle et spontanée leur point de
même si elle est directe et personnelle, même vue sur la diversité. Ils y parlaient de diversité eth-
lorsqu’elle émane de vos subordonnés. nique, d’orientation sexuelle et d’autres questions
Chez Exelon, un fournisseur d’énergie basé à rarement abordées dans une entreprise. Ian McLean,
Chicago, une forme très personnelle de dialogue or- alors directeur financier chez Exelon, a évoqué son
ganisationnel a émergé d’un projet visant à donner enfance dans une famille ouvrière de Manchester
(Royaume-Uni) et comment il avait été confronté au
mépris en raison de sa classe sociale. Lorsqu’on lui a
demandé de mentionner un moment où il s’était
senti « différent », il a raconté avoir travaillé dans une
banque où la plupart de ses collègues provenaient
Les nouvelles réalités de la de milieux aisés : « J’avais un accent différent… Je

communication des dirigeants n’étais pas intégré, on ne m’invitait jamais, et j’en


venais à penser que je n’étais pas aussi intelligent
Cinq tendances à long terme obligent à passer qu’eux… Je ne souhaite à personne de connaître ce
de la communication d’entreprise au dialogue sentiment. » Un témoignage sincère qui a fortement
impressionné les salariés.
organisationnel.
Interactivité :
ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE promouvoir le dialogue
Le poids du secteur tertiaire dépassant largement celui de l’industrie, et
l’économie de la connaissance ayant supplanté d’autres formes de travail, Par définition, une conversation personnelle
il est devenu plus urgent de trouver des manières sophistiquées de produire suppose qu’il y ait un échange de questions et de
et de diffuser l’information. commentaires entre deux personnes ou plus. Le son
qui émane de la bouche d’une seule personne ne
ÉVOLUTION ORGANISATIONNELLE constitue évidemment pas une conversation. Cela
Les entreprises étant plus horizontales et moins hiérarchiques, et les salariés vaut également pour le dialogue organisationnel : les
étant pour leur part davantage impliqués dans la création de valeur,
dirigeants ne parlent pas seulement à leurs em-
la communication latérale et ascendante est devenue aussi importante que
la communication verticale et descendante. ployés, ils parlent aussi avec eux. Cette interactivité
rend la conversation ouverte et fluide, plutôt que fer-
ÉVOLUTION MONDIALE mée et directive. Elle permet d’éviter le monologue
La main-d’œuvre étant plus hétérogène et plus éparpillée, il faut désormais et laisse place à la vitalité imprévisible du dialogue.
composer avec diverses réalités culturelles et géographiques, ce qui nécessite La recherche de l’interactivité renforce l’intimité et
des interactions fluides et complexes.
s’en inspire : les efforts visant à combler le fossé entre
ÉVOLUTION GÉNÉRATIONNELLE les employés et leurs dirigeants seront anéantis si les
Les enfants de la génération du millénaire (NDLR : ceux qui ont eu 18 ans en employés ne disposent pas des outils et du soutien
l’an 2000 ou après) ayant fait leur arrivée dans le monde de l’entreprise, institutionnel dont ils ont besoin pour s’exprimer ou
ils attendent de leurs collègues et des figures d’autorité qu’ils communiquent (le cas échéant) se défendre.
de manière dynamique et bidirectionnelle. Cette importance croissante accordée à l’interac-
tivité reflète en partie les changements survenus
ÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE
Les réseaux numériques ayant fait de la connectivité instantanée une norme dans l’utilisation que nous faisons des moyens de
de travail, et les réseaux sociaux étant devenus aussi puissants qu’omniprésents, communication. Durant des décennies, la technolo-
les moyens de communication plus anciens et moins interactifs sont dépassés. gie rendait difficile, voire impossible, les interactions

46 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


au sein des entreprises, pour peu qu’elles aient at-
teint une certaine taille. Les supports qu’elles utili-
saient pour communiquer massivement et efficace-
ment (notamment imprimés ou diffusés) ne
fonctionnaient que dans un seul sens.
L’apparition de nouveaux canaux a bouleversé
cette structure unidirectionnelle. Les technologies
sociales offrent aux dirigeants et à leurs employés la
capacité de créer un environnement d’entreprise re-
produisant le style et l’esprit du dialogue personnel.
Pour autant, l’interactivité ne consiste pas seule-
ment à trouver la bonne technologie et à la déployer.
Il est tout aussi important, si ce n’est plus, d’étayer
les médias sociaux par la pensée sociale. Trop sou-
vent, la culture d’entreprise latente sape toute tenta-
tive visant à transformer la communication interne
en un phénomène bidirectionnel. Pour de nombreux
dirigeants et managers, il est très tentant d’utiliser
les supports à leur disposition comme s’il s’agissait
de mégaphones. Dans certaines entreprises, toute-
fois, la direction favorise une culture réellement inte-
ractive (valeurs, normes et comportements) qui crée
un espace de dialogue accueillant.
Pour comprendre comment fonctionne l’interac-
tivité, prenons l’exemple de Cisco Systems. Il se
trouve que ce groupe américain fabrique et vend di-
vers produits relevant du domaine des technologies
sociales. En les utilisant en interne, les employés ont
exploré les avantages qu’il y a à favoriser une com-
munication bidirectionnelle de qualité. L’un de ces
produits, TelePresence, permet de simuler une réu-
nion en « présentiel » entre des personnes se trouvant
à des endroits différents. De grands écrans créent un
effet immersif et les tables de réunion spécialement
conçues et disposées dans une configuration ad hoc La proximité physique
entre dirigeants
donnent l’impression aux participants d’être tous
assis dans la même pièce. En un sens, il s’agit d’une
forme de vidéo chat en ligne, exempte des délais et
des coupures qui viennent souvent perturber ce
genre de conversation. Plus important, cette techno- et employés n’est pas
toujours possible.
logie répond au problème crucial de l’échelle visuelle.
Lorsque les ingénieurs de Cisco ont étudié les interac-
tions à distance, ils ont découvert que si une per-
sonne apparaît sur un écran dans un format inférieur
de 80 % à sa taille réelle, ses interlocuteurs seront La proximité psychique
moins enclins à discuter avec elle.
TelePresence est un outil technologique ou émotionnelle,
est elle, en revanche,
sophistiqué qui permet aux participants d’appa-
raître en taille réelle et de se regarder dans les yeux,
pour des échanges spontanés et immédiats. Selon
Randy Pond, vice-président exécutif des opérations,
des procédés et des systèmes de Cisco, ce type essentielle.
Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 47
DIRIGER, C’EST DIALOGUER

d’interaction offre l’avantage de reproduire les


conditions d’une véritable discussion de groupe – ce
qu’il a illustré par une anecdote.
Un jour qu’il était assis à son bureau pour
une vidéoconférence et qu’il pouvait observer
ses collègues sur son écran d’ordinateur, il a
fait un commentaire au groupe et l’un des
participants s’est pris la tête dans les mains,
sans doute pour exprimer sa consternation, et
probablement sans s’imaginer que Pond pouvait
le voir. Pond nous a raconté : «J’ai alors dit ‘‘Je te
vois. Si tu n’es pas d’accord, dis-le moi.”» Il a ainsi
pu engager la conversation avec son collègue scep-
tique pour connaître le fin mot de l’histoire. Cette
information aurait certes pu émerger par une forme
de communication moins interactive, mais de ma-
nière beaucoup moins efficace.
Cette culture de la communication, chez
Cisco, est aussi fortement alimentée par son
P-DG, John Chambers, qui anime divers fo-
rums afin de garder le contact avec ses em-
ployés. Tous les deux mois environ, il organise
par exemple un « chat anniversaire » ouvert à
toutes les personnes dont l’anniversaire tombe
durant cette période. Les top managers ne sont
pas invités, de peur que leur présence ne dis-
suade les participants de parler ouvertement.
John Chambers tient également un blog vi-
déo et enregistre une fois par mois un message
court et spontané qu’il envoie par e-mail à
tous les salariés : il s’adresse à eux de ma-
nière directe, informelle et sans notes, ce qui
favorise l’immédiateté et renforce la

L’intentionnalité du
confiance. Malgré la nature intrinsèquement uni-
directionnelle d’un blog vidéo, Chambers et son

dialogue exige
équipe l’ont rendu interactif en invitant les salariés à
répondre par message vidéo ou par écrit.

que les dirigeants Inclusion : étendre le rôle des salariés


Lorsqu’il fonctionne bien, le dialogue personnel fa-

transmettent des
vorise l’égalité des chances. Il permet aux partici-
pants de s’approprier le contenu des discussions : ils
peuvent y apporter leurs propres idées et, de fait, s’y

principes stratégiques, engager corps et âme. De même, le dialogue organi-


sationnel incite les salariés à participer à l’élabora-

en les affirmant,
tion du contenu qui constitue l’histoire de l’entre-
prise. En considérant leurs salariés comme des
communicants officiels ou quasi officiels de l’entre-

bien sûr, mais surtout prise, les dirigeants inclusifs en font des partenaires
à part entière : ils relèvent le niveau d’engagement

en les expliquant. émotionnel que les salariés apportent à la vie de


l’entreprise en général.

48 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L’inclusion apporte une dimension cruciale aux l’opinion ou d’y contribuer de manière pertinente
éléments d’intimité et d’interactivité. Alors que peut constituer une manière rapide et intelligente
l’intimité dépend des efforts déployés par les diri- d’accroître la réputation de l’entreprise auprès des
geants pour se rapprocher des salariés, l’inclusion grands acteurs de l’industrie.
se concentre sur le rôle que jouent ces derniers Ces dernières années, Juniper Networks a financé
dans ce processus. Elle accroît également la pra- des initiatives visant à inciter des leaders d’opinion
tique de l’interactivité en permettant aux salariés potentiels à sortir de leurs laboratoires et de leurs
d’émettre leurs propres idées, souvent via les ca- bureaux pour se rendre à des événements publics
naux officiels de l’entreprise, au lieu de simplement afin de partager leurs connaissances avec les experts
rejeter les idées présentées par d’autres. Elle leur et le grand public. Les ingénieurs de la société
permet d’être des fournisseurs de contenu de travaillent à la prochaine génération de circuits
première ligne. électroniques, systèmes et composants ; ils peuvent
Dans un modèle de communication d’entreprise donc fournir des informations importantes sur les
standard, les hauts dirigeants et les communicants tendances en la matière. Pour s’assurer de toucher la
professionnels monopolisent la création de bonne cible, Juniper envoie ses ingénieurs dans
contenu et contrôlent de près ce que les gens des conférences technologiques nationales et
écrivent ou disent via les canaux officiels de l’entre- internationales et organise pour eux régulièrement
prise. Mais lorsque l’esprit d’inclusion existe, les des rencontres avec les clients.
salariés peuvent endosser de nouveaux rôles, « Storytellers ». Nous sommes habitués à entendre
prendre de l’importance, créer eux-mêmes des les professionnels de la communication parler d’une
contenus et devenir des ambassadeurs, des leaders entreprise, mais rien ne remplace les histoires vécues
d’opinion ou des « storytellers ». et racontées par le personnel sur le terrain. Lorsque
Ambassadeurs de marque. Lorsqu’ils sont pas- les employés parlent de leur propre expérience, sans
sionnés par les produits et les services de leur entre- l’embellir, le message prend vie.
prise, les salariés en deviennent les meilleurs repré- Le géant du stockage de données EMC récolte
sentants en chair et en os. Cela se fait souvent tout activement les témoignages de ses employés. Les
naturellement : beaucoup de gens aiment leur métier dirigeants y puisent des idées destinées à améliorer
et en parlent spontanément en dehors du travail. la performance de l’entreprise et des points de vue
Mais certaines entreprises encouragent activement sur la firme elle-même. L’objectif étant de faire
ce genre de comportement. comprendre que toutes les idées sont les bienve-
Coca-Cola, par exemple, a élaboré un programme nues, d’où qu’elles viennent.
officiel d’« ambassadeurs » afin d’encourager les sala- En 2009, l’entreprise a ainsi publié « The Wor-
riés à promouvoir l’image et les produits Coke en king Mother Experience » (www.emc.com), un livre
paroles et en pratique. L’Intranet de la firme leur de 250 pages rédigé par et pour les salariés sur le
fournit un certain nombre de ressources, parmi les- thème de la réussite professionnelle et personnelle.
quelles un outil leur permettant de participer béné- Ce projet, né au sein des équipes, a été mené par
volement à diverses activités sponsorisées par Coca- Frank Hauck, alors vice-président exécutif du mar-
Cola. Parmi les neuf comportements que la firme keting mondial et de la qualité client. Il n’est pas
recommande à ses ambassadeurs figure celui d’« ai- rare que les grandes sociétés du type d’EMC se
der la société à marquer des points dans les maga- lancent dans ce genre de projets éditoriaux pour
sins », c’est-à-dire prendre l’initiative de nettoyer les flatter leur ego. Pourtant, dans le cas présent, il ne
rayons ou les produits, par exemple, ou signaler les s’agissait pas d’une action de communication cor-
ruptures de stock. porate, mais d’un projet initié et géré par les sala-
Leaders d’opinion. Pour développer des prises de riés eux-mêmes. Des dizaines d’employés d’EMC
position dans leur domaine d’activité, les entreprises tiennent également des blogs, souvent publics,
peuvent demander à des consultants ou à des dans lesquels ils commentent librement leur quoti-
professionnels en interne de rédiger des discours, dien dans l’entreprise et font part de leurs idées en
des articles, des livres blancs, etc. Mais souvent, les matière de technologie.
réflexions les plus innovantes émergent du cœur Naturellement, cette forme d’inclusion suppose
de l’entreprise, là où les nouveaux produits et que les responsables abandonnent une bonne part
services sont élaborés et testés. Donner aux de contrôle sur la manière dont le groupe est pré-
personnes concernées les moyens d’influencer senté au public. Dans les faits, les changements

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 49


DIRIGER, C’EST DIALOGUER

culturels et technologiques s’en sont déjà chargés. celles qui sont soumises au débat. L’intentionnalité
Que vous le vouliez ou non, n’importe qui peut ter­ du dialogue exige que les dirigeants communiquent
nir (ou embellir) la réputation de votre entreprise des éléments de stratégie aux salariés, sans se
depuis son bureau, simplement en envoyant un do­ contenter de les énoncer mais en les expliquant,
cument interne à un journaliste, un blogueur ou c’est­à­dire en obtenant leur consentement plutôt
même un groupe d’amis, ou en écrivant ce qu’il qu’en exigeant leur assentiment. Dans ce nouveau
pense sur un forum en ligne. modèle, les dirigeants présentent de manière ex­
Les dirigeants « inclusifs » font donc de nécessité haustive et explicite la vision et la logique qui sous­
vertu. Scott Huennekens, le P-DG de Volcano Cor­ tendent la prise de décision. Résultat : les employés à
poration, estime qu’une approche plus souple de la tous les niveaux de la hiérarchie savent où se situe
communication a rendu la vie dans l’entreprise leur entreprise dans son contexte concurrentiel. En
moins étouffante et plus productive qu’avant. clair, ils deviennent familiers des questions de stra­
La libre circulation des informations libère les tégie d’entreprise.
esprits. Certaines entreprises essaient de fixer une Un moyen d’aider les salariés à comprendre la
ligne de conduite élémentaire. Chez Infosys, par stratégie de gouvernance d’une entreprise consiste à
exemple, les dirigeants ont conscience qu’ils ne les laisser prendre part à son élaboration. L’équipe de
peuvent contrôler ce que disent leurs employés sur direction d’Infosys en a fait le test. Fin 2009, au mo­
les réseaux sociaux : ils acceptent donc que leurs ment de définir une stratégie organisationnelle pour
salariés soient en désaccord, mais ils leur de­ 2011, l’entreprise a convié des salariés de tous les ser­
mandent de ne pas être désagréables. vices et de tous les échelons à mettre la main à la
De plus, assez souvent, les dirigeants s’aper­ pâte. En particulier, elle leur a demandé de sou­
çoivent qu’un système d’autorégulation par les mettre des idées sur « les grandes tendances transfor­
employés comble le vide laissé par le contrôle mationnelles qui touchent nos clients », explique
hiérarchique. Si quelqu’un émet un commentaire Kris Gopalakrishnan, cofondateur et coprésident
inacceptable, la communauté réagit et l’équilibre exécutif du géant indien. Sur la base de ces remon­
est rétabli. tées, les planificateurs stratégiques ont dressé une
liste de 17 tendances, allant de la croissance des mar­
Intentionnalité : chés émergents à l’importance grandissante du déve­
poursuivre un programme loppement durable. Ils ont ensuite mis en place un
Un dialogue personnel, s’il est réellement riche et ensemble de forums en ligne sur lesquels les em­
gratifiant, est ouvert mais pas vain. Les participants ployés pouvaient discuter des solutions client à pro­
savent globalement ce qu’ils en attendent : se dis­ poser pour chaque tendance. La technologie et les
À PROPOS traire, convaincre, apprendre… En l’absence d’une réseaux sociaux ont permis d’assurer une participa­
DES AUTEURS
Au moment de la telle intention, la conversation se poursuit sans but tion de la base jusqu’au sommet.
rédaction de cet article, ou finit dans une impasse. L’intention confère de En 2008, le groupe Kingfisher, troisième distribu­
les auteurs occupaient l’ordre et du sens, même dans les conversations les teur de produits de bricolage au monde, a adopté
les fonctions suivantes :
plus informelles et les plus décousues. Ce principe une nouvelle stratégie visant à regrouper les di­
Boris Groysberg est s’applique aussi au dialogue organisationnel. Avec le verses « business units » du groupe, historiquement
professeur en temps, les nombreuses voix qui contribuent au indépendantes, sous une seule entité, en s’appuyant
administration des
entreprises à la processus de communication au sein d’une entre­ notamment sur le dialogue organisationnel inten­
Harvard Business School. prise doivent s’accorder sur le but de cette commu­ tionnel. Pour lancer le chantier, les dirigeants ont
Michael Slind est écrivain, nication. Autrement dit, le dialogue au sein d’une invité les responsables de la distribution à participer
journaliste et consultant
en communication. entreprise doit refléter un programme commun ali­ à un séminaire de trois jours à Barcelone. Le deu­
gné sur ses objectifs stratégiques. xième jour, ils ont pris part à un atelier de 90 mi­
Tous deux ont coécrit
« Talk, Inc. : L’intentionnalité diffère des trois autres éléments nutes reproduisant un bazar oriental. Trois groupes
How Trusted Leaders Use du dialogue organisationnel sur un point essentiel. ont été formés.
Conversation to Power
Their Organizations » Alors que l’intimité, l’interactivité et l’inclusion Les participants du premier groupe, celui des
(Harvard Business Review servent à ouvrir le flux des informations et des idées « vendeurs », ont revêtu un tablier et ont pris place
Press, 2012).
au sein d’une entreprise, l’intentionnalité apporte derrière l’un des vingt­deux étals pour faire l’article
La version originale une dimension de fermeture à ce processus : elle per­ d’une pratique commerciale développée par l’un de
de cet article a été publiée
en juin 2012 dans l’édition met aux dirigeants et aux employés de faire ressortir leurs collègues chez Kingfisher. Grosso modo, ils
américaine de HBR. les actions stratégiquement pertinentes parmi toutes vendaient des idées. Les participants du deuxième

50 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


groupe, tous membres du comité exécutif, jouaient un moyen d’atteindre l’alignement stratégique au
le rôle de facilitateurs, déambulant dans les allées et sein d’un groupe diversifié de participants.
lançant des mots d’encouragement. Le troisième
groupe, le plus important, regroupait les acheteurs LE DIALOGUE existe dans toute entreprise, que l’on en
chargés de passer d’un étal à l’autre, d’examiner la soit conscient ou pas. Cela a toujours été le cas, mais
« marchandise » et d’« acheter » éventuellement une aujourd’hui, ces conversations ont le potentiel de se
idée. Pour cela, ils disposaient de cinq chèques créés propager bien au-delà de vos murs et d’échapper à
pour l’occasion. Ces transactions n’ont pas été suivies votre contrôle. Les dirigeants astucieux savent utili-
d’effet une fois l’atelier terminé, mais elles ont per- ser ces conversations à leur avantage et gérer les flux
mis de transmettre un message fort aux vendeurs : d’information de façon honnête et ouverte. Les com-
« Ce que vous me dites m’impressionne. » munications à sens unique appartiennent au passé, et
Le but de la manœuvre était d’encourager les campagnes marketing mielleuses ont cessé d’im-
l’échange de meilleures pratiques entre collègues pressionner les salariés comme les clients. Ceux-ci
dans un environnement informel, désordonné et prêteront l’oreille à la conversation si elle est intime,
bruyant, mais aussi de présenter le dialogue comme interactive, inclusive et intentionnelle.

L'I D É E E N P R ATI Q U E

LES QUATRE ÉLÉMENTS DU DIALOGUE ORGANISATIONNEL


Comment passer de la communication d’entreprise à la communication organisationnelle.

INTIMITÉ INTERACTIVITÉ INCLUSION INTENTIONNALITÉ


Comment les dirigeants Comment les dirigeants utilisent Comment les dirigeants élaborent Comment les dirigeants
entretiennent des rapports les canaux de communication les contenus organisationnels communiquent leur stratégie
avec les employés

Ancien modèle : communication d’entreprise


Les flux d’informations sont Les messages sont diffusés Les hauts dirigeants élaborent La communication est
avant tout descendants. Le ton aux employés. et contrôlent les messages. fragmentée, réactive et ad hoc.
est formel et institutionnel. Les supports écrits, les Les salariés sont des Les dirigeants utilisent
rapports et les discours consommateurs passifs l’assertion pour obtenir
prédominent. d’information. l’alignement stratégique.

Nouveau modèle : communication organisationnelle


La communication est Les dirigeants parlent avec Les dirigeants abandonnent Des intentions claires
personnelle et directe. (et non à) leurs employés. une part de contrôle sur les sous-tendent toute
Les dirigeants valorisent la La culture organisationnelle contenus. la communication.
confiance et l’authenticité. favorise les interactions en Les employés contribuent Les dirigeants prennent
face-à-face et bidirectionnelles. à l’élaboration des messages le temps d’expliquer ces
organisationnels. intentions aux salariés.
La stratégie découle du
dialogue organisationnel.

Ce que cela change pour les employeurs et les salariés


Les dirigeants écoutent les Les dirigeants utilisent Les dirigeants invitent Les dirigeants élaborent
salariés au lieu de se contenter la vidéo et les médias sociaux les employés à parler leurs messages autour de
de leur parler. pour faciliter la communication de l’entreprise. la stratégie de l’entreprise.
Les salariés s’investissent dans bidirectionnelle. Les salariés jouent Les salariés participent
un échange d’idées ascendant. Les employés interagissent un rôle d’ambassadeur à la création de la stratégie
avec leurs collègues dans de la marque et de leader à l’aide de moyens de
des blogs et des forums d’opinion. communication conçus
de discussion. dans ce but.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 51


POUR ÊTRE UN
BON LEADER,
CRÉEZ DU LIEN
Pour exercer de l’influence,
vous devez trouver l’équilibre entre
compétence et chaleur humaine.
Par Amy J. C. Cuddy, Matthew Kohut et John Neffinger.
Illustrations : Brecht Vandenbroucke

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 53


POUR ÊTRE UN BON LEADER, CRÉEZ DU LIEN

VAUT-IL MIEUX ÊTRE AIMÉ OU CRAINT ? Nous remarquons bien sûr de nombreux autres
Nicolas Machiavel s’était penché sur cet éternel traits de caractère en chacun, mais ils sont loin d’avoir
dilemme il y a 500 ans et avait alors choisi de miser autant d’impact que la chaleur humaine et la force.
sur la prudence : « On peut répondre que l’idéal se- D’ailleurs, les observations relevant du domaine de la
rait d’être l’un et l’autre, avait-il reconnu, mais psychologie montrent qu’à elles seules ces deux di-
comme il est bien difficile que les deux coexistent, mensions représentent plus de 90% de la variabilité
il est bien plus sûr d’être craint que d’être aimé. » dans l’impression –  positive ou négative  – que nous
Aujourd’hui, les sciences du comportement ap- font les personnes qui nous entourent.
portent leur propre contribution en démontrant que Ainsi, vaut-il mieux être aimable ou fort ? Au-
Machiavel avait en partie raison : lorsque nous ju- jourd’hui, la plupart des leaders ont tendance à
geons les autres –  en particulier ceux qui nous di- mettre en avant, dans leur environnement profes-
rigent  – nous commençons par observer deux carac- sionnel, leur force, leurs compétences et leur par-
téristiques : à quel point ils sont aimables (la chaleur cours, mais c’est justement ce qu’il ne faut pas faire.
et l’ouverture d’esprit qu’ils dégagent, la confiance Les leaders qui projettent une telle image de force
qu’ils inspirent) et à quel point ils sont redoutables avant d’avoir établi des relations de confiance
(leur force, leur manière de fonctionner, leurs com- risquent d’inspirer de la peur, et avec elle la multitude
pétences). S’il existe certains désaccords concernant de comportements dysfonctionnels qui l’accom-
la manière de qualifier ces caractéristiques, les cher- pagnent. La peur peut dégrader le potentiel cognitif,
cheurs s’accordent en revanche sur le fait qu’il existe la créativité ou les capacités à résoudre les problèmes,
deux dimensions principales de jugement social. et se traduire par une apathie, voire un désengage-
Pourquoi ces caractéristiques sont-elles si im- ment, de la part des salariés. Il s’agit d’une émotion
portantes ? Parce qu’elles répondent à deux ques- « chaude », dont les effets perdurent. Contrairement
tions cruciales : « Quelles sont les intentions de cette aux émotions plus froides, elle marque notre mé-
personne à mon égard ? » et « Est-il, ou est-elle ca- moire au fer rouge. Les travaux de recherche de Jack
pable d’agir selon ces intentions ? » Combinées, ces Zenger et Joseph Folkman illustrent bien ce point :
estimations sous-tendent nos réactions émotion- dans une étude portant sur 51 836 dirigeants, seuls 27
nelles et comportementales vis-à-vis des autres, ont obtenu des scores les plaçant à la fois dans le
des groupes, et même des marques ou des entre- quartile inférieur en termes de capital sympathie et
prises. Les travaux de recherche menés par l’un des dans le quartile supérieur en termes d’efficacité géné-
coauteurs de cet article, Amy Cuddy, et par ses ho- rale de leur leadership  –  autrement dit, il y a environ
mologues Susan Fiske, de Princeton, et Peter Glick, une chance sur 2 000 qu’un manager très peu appré-
de l’université Lawrence, montrent que les per- cié soit considéré comme un bon leader.
sonnes jugées compétentes mais plutôt froides sus- De plus en plus de travaux de recherche semblent
citent souvent une certaine jalousie chez les autres, indiquer que la bonne manière d’avoir de l’influence
une émotion à double tranchant qui implique au- –  et de diriger  – est de commencer par faire preuve
tant de respect que d’animosité. Lorsqu’on respecte d’une certaine chaleur. Celle-ci devient un vecteur
une personne, on cherche à coopérer, à s’associer d’influence : elle facilite la confiance ainsi que
avec elle, tandis que le ressentiment que l’on l’échange et l’intégration des idées. Quelques signaux
éprouve à son égard peut l’exposer à de lourdes at- non verbaux –  un hochement de tête, un sourire, un
taques (pensez à Dennis Kozlowski, P-DG de Tyco, geste d’ouverture  – peuvent suffire à montrer aux
tombé en disgrâce et dont les frasques financières autres que l’on est heureux d’être en leur compagnie
illégales en ont fait un personnage public antipa- et attentif à leurs préoccupations. Donner la priorité
thique). D’un autre côté, les personnes que l’on es- à la chaleur humaine permet ainsi d’établir immédia-
time chaleureuses mais incompétentes tendent à tement un lien avec ceux qui vous entourent, en leur
inspirer de la pitié, ce qui implique encore une fois montrant que vous les entendez, que vous les com-
une émotion mixte : la compassion nous pousse à prenez, et que vous méritez leur confiance.
aider ceux dont nous avons pitié, mais notre
manque de respect nous mène au final à nous en Lorsque la force s’impose en premier
désintéresser (pensez à ces employés qui se La plupart d’entre nous travaillent dur pour démon-
trouvent marginalisés à l’approche de la retraite ou trer leur compétence. Nous voulons avoir une
à un salarié aux compétences dépassées dans un image forte de nous-même – et nous voulons que
secteur qui évolue rapidement). les autres nous voient ainsi. Nous nous appliquons

54 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F
LE PROBLÈME LE DÉBAT LES ENSEIGNEMENTS
Les leaders mettent généralement Des dizaines d’années de recherches Cela est difficile à réaliser mais
l’accent sur leurs forces et sur en psychologie et en sociologie montrent pas impossible, et dépend
leurs compétences dans l’environnement que, en s’attachant à exprimer d’abord de votre constitution chimique et
professionnel, ce qui risque de de la chaleur – puis en y ajoutant de vos inclinations. Les auteurs
susciter l’hostilité de leurs collègues des preuves de compétence – les leaders proposent des conseils spécifiques
et de leurs subordonnés. trouveront un chemin plus direct sur la manière d’exprimer chaleur
vers l’influence. et force dans diverses situations.

à éviter ce qui remettrait notre force en question et peu de chances qu’ils en soient convaincus dans
à fournir d’amples preuves de nos compétences. leur for intérieur –  c’est-à-dire qu’ils adhèrent aux
Nous sentons un besoin irrésistible de montrer que valeurs, à la culture et à la mission de l’entreprise
nous sommes à la hauteur, en nous efforçant de de manière sincère et pérenne. Il règne souvent,
présenter les idées les plus novatrices lors de réu- dans les environnements de travail où la confiance
nions, en étant les premiers à nous attaquer à un est absente, une culture du « chacun pour soi »,
nouveau défi et en accumulant le plus grand dans laquelle les personnes ont le sentiment de
nombre d’heures de travail. Nous sommes sûrs de devoir rester vigilantes pour protéger leurs intérêts.
nos propres intentions, aussi ne ressentons-nous Les employés peuvent se montrer peu disposés à
pas le besoin de prouver que nous sommes dignes aider les autres, car ils n’ont aucune certitude que
de confiance –  alors même que la preuve qu’une leurs efforts seront reconnus ou qu’on leur rendra la
personne mérite notre confiance est la première pareille. Résultat : les ressources organisationnelles
chose que nous recherchons chez les autres. partagées sont victimes de la «  tragédie des biens
Les psychologues organisationnels Andrea Abele,
de l’université d’Erlangen-Nuremberg, et Bogdan
Wojciszke, de l’université de Gdansk, ont relevé ce
phénomène dans différentes situations. Dans l’une
Comment les gens réagiront-ils
de leurs expériences, lorsqu’on leur demandait de à votre style ?
choisir entre des formations basées sur des qualifica- Selon les recherches menées par Amy Cuddy, Susan Fiske et Peter Glick,
tions liées à la compétence (comme la gestion du la manière dont les autres perçoivent vos niveaux de chaleur et de
temps) ou liées à la chaleur humaine (fournir un sou- compétence détermine les émotions que vous suscitez et votre capacité
tien social, par exemple), la plupart des participants à influencer une situation.
Par exemple, si vous êtes éminemment compétent mais manquez de chaleur
ont opté pour une formation liée à la compétence
humaine, vous arriverez à convaincre les gens de vous suivre mais n’obtiendrez
pour eux-mêmes, tandis qu’ils ont choisi des forma- jamais un engagement et un soutien réels de leur part. Et si vous ne dégagez
tions liées aux qualités humaines pour les autres. pas la moindre chaleur humaine, prenez garde à ceux qui pourraient tenter de
Dans une autre expérience, pour laquelle on a de- saboter vos efforts – voire votre carrière.
mandé aux participants de décrire un événement
ayant façonné l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes, la
FORTE

ENGAGEMENT
plupart ont raconté des histoires à leur propos met- ACTIF
AD

tant l’accent sur leur propre compétence et leur auto-


M
IR

détermination (« J’ai obtenu mon brevet de pilote du


É

AT
TI
PI

IO

premier coup »), tandis que, lorsqu’ils décrivaient un


N

événement de même nature pour quelqu’un d’autre,


CHALEUR

ils insistaient sur la bienveillance et la générosité de MALVEILLANCE SOUTIEN


PASSIVE PASSIF
la personne (« Mon ami a donné des cours particu-
liers de maths à l’enfant de son voisin et a refusé le
moindre paiement »).
M

Mais faire passer ses compétences en premier


ÉP

VI
EN
RI
S

entame le leadership : sans une base de confiance,


FAIBLE

MALVEILLANCE
les membres de l’organisation se conforment en ACTIVE
apparence aux souhaits de leur dirigeant, mais il y a FAIBLE COMPÉTENCE FORTE

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 55


POUR ÊTRE UN BON LEADER, CRÉEZ DU LIEN

communs  » (cf. l’article de Garrett Hardin dans la protagonistes ont investi plus d’argent, sans garantie
revue «  Science  », 1968, NDLR). de rendement, avec des partenaires qu’ils percevaient
comme étant les plus dignes de confiance, sur la seule
Lorsque la chaleur base d’un bref aperçu de leur visage.
s’impose en premier Dans des situations de management, la confiance
Alors que la plupart d’entre nous s’efforcent de favorise le partage d’information, l’ouverture, la flui-
prouver leur force, il s’avère que la chaleur humaine dité et la coopération. Si l’on est sûr que ses collègues
joue un rôle plus significatif dans le jugement que vont faire les bons choix et être à la hauteur de leurs
les autres portent sur nous – c’est un aspect qu’ils engagements, toute action de planification, de coordi-
évaluent avant la compétence. Psychologue social nation et de mise en œuvre en est facilitée. La
exerçant à Princeton, Alex Todorov étudie, avec ses confiance facilite aussi l’échange et l’acceptation
d’idées –  elle permet d’être réceptif au message des

La meilleure manière autres  – et dope ainsi la quantité et la qualité des idées


produites dans une organisation. Plus important en-

de développer son
core, elle donne l’opportunité de faire évoluer les
comportements et les convictions de chacun, et pas
seulement en apparence. Il s’agit là d’une question

influence est d’associer cruciale en matière d’influence ou de capacité à faire


accepter pleinement son message par autrui.

chaleur et force – aussi Le « guerrier bienheureux »


La meilleure manière de développer son influence

difficile que cela est d’associer chaleur et force –  aussi difficile que
cela puisse être si l’on en croit Machiavel. Ces deux

puisse être si l’on en caractéristiques peuvent en fait se renforcer mu-


tuellement : se sentir fort nous aide à être plus ou-

croit Machiavel.
vert, à être à la fois moins menacé et moins mena-
çant dans des situations de stress. Lorsque nous
nous sentons confiant et calme, nous dégageons
authenticité et chaleur.
confrères, les mécanismes cognitifs et neuronaux Une compréhension sommaire de notre constitu-
qui régissent nos « inférences spontanées des traits tion chimique permet de mettre en lumière la manière
de caractère », c’est-à-dire les jugements rapides dont cela fonctionne. On a mis en évidence le rôle
que nous portons lorsque nous observons rapide- de neuropeptides comme l’ocytocine et l’arginine-
ment un visage. vasopressine dans la capacité à nous attacher à
Leurs travaux montrent que, dans ce genre de ju- d’autres êtres humains, à ressentir et à exprimer de
gement, les individus remarquent invariablement la la bienveillance, et à nous comporter de manière
chaleur humaine avant la compétence. Cette préfé- altruiste. Des études récentes semblent également
rence pour la chaleur se confirme également dans indiquer que, dans l’ensemble du règne animal, les
d’autres domaines. Dans une étude réalisée sous la sentiments de force et de pouvoir sont étroitement
direction d’Oscar Ybarra, de l’université du Michigan, liés à deux hormones : la testostérone (associée à
les sujets, qui participaient à un jeu basé sur les mots, l’affirmation de soi, à une peur moindre et à la vo-
identifiaient les termes relatifs à la chaleur (comme lonté de rivaliser et de prendre des risques) et le
« amical ») bien plus rapidement que ceux relatifs aux cortisol (associé au stress et à la réactivité au stress).
compétences (comme « habile »). Une étude menée par Jennifer Lerner, Gary
Les spécialistes de l’économie comportementale, Sherman, Amy Cuddy et d’autres confrères a rassemblé
pour leur part, ont montré que les jugements relatifs à des centaines de personnes inscrites en troisième
la fiabilité entraînent généralement des bénéfices éco- cycle à Harvard afin de comparer leurs niveaux de cor-
nomiques nettement plus importants. Par exemple, tisol avec les niveaux moyens de la population géné-
Mascha van ’t Wout, de l’université Brown, et Alan rale. Les leaders ont montré moins de stress et d’an-
Sanfey, de l’université d’Arizona, ont demandé à des xiété que ce public, et leur physiologie le confirmait :
sujets de décider comment affecter une dotation. Les leurs niveaux de cortisol étaient nettement inférieurs.

56 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Pourquoi la chaleur humaine
l’emporte-t-elle sur la force ?
La supériorité de la chaleur humaine se manifeste de nombreuses
manières, qui sont étroitement liées et qui soulignent toute l’importance
de créer du lien avec les individus avant d’essayer de les diriger.
Le besoin d’appartenance part des chercheurs en psychologie sociale devenez l’un d’« eux » –  le management, la
Les gens ont besoin d’être intégrés, que la dynamique des groupes – et ce pour direction – on commence à vous quitter.
d’éprouver un sentiment d’appartenance. En une bonne raison : la préférence que l’on
La soif d’être compris
fait, certains psychologues avancent même accorde au groupe auquel on appartient est
Les gens désirent profondément être vus
que l’instinct grégaire figure parmi nos si forte que, même dans des conditions
besoins primaires en tant qu’êtres humains. et entendus. Malheureusement, autant
extrêmes (comme le fait de savoir que
Les expériences de la neuroscientifique l’attribution à un groupe a été faite de la capacité à définir les perspectives
Naomi Eisenberg et de ses confrères manière aléatoire et que les groupes sont est importante pour un bon leadership,
semblent indiquer que ce besoin est si eux-mêmes définis de manière arbitraire), autant être en position de pouvoir
prononcé que, lorsque nous sommes exclus les gens préfèrent toujours les membres de réduit la compréhension des autres points
(même par des gens qui nous sont quasiment leur groupe à ceux qui n’en font pas partie. de vue. Lorsqu’on possède du pouvoir
étrangers), nous ressentons une souffrance En tant que leader, vous devez vous assurer sur les autres, la capacité à les voir en tant
qui s’apparente à une forte douleur physique. qu’individus diminue. Aussi les leaders
d’appartenir aux groupes clés de votre
« Nous » contre « eux » organisation. En fait, vous voulez être le doivent-ils constamment, et consciemment,
Au cours des dernières décennies, peu de membre en vue au sein de ce groupe, son faire l’effort de s’imaginer à la place des
domaines ont reçu autant d’attention de la représentant choisi. Car dès que vous personnes qu’ils dirigent.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 57


POUR ÊTRE UN BON LEADER, CRÉEZ DU LIEN

En outre, plus ils se trouvaient à un niveau élevé de la N’oubliez pas que les signaux que nous émettons
hiérarchie et avaient de subordonnés à gérer, plus peuvent être ambigus  –  nous pouvons observer
leur niveau de cortisol était bas. comment un individu réagit à notre présence, mais
Pourquoi ? Très probablement parce que les lea- nous ne savons pas nécessairement à quoi cette per-
ders avaient une capacité à se contrôler très dévelop- sonne réagit. On peut ressentir la chaleur d’un leader
pée –  un facteur psychologique connu pour avoir un sans être certain qu’elle s’adresse à nous, on peut
fort effet de tampon contre le stress. D’après les re- sentir sa force mais s’assurer qu’elle est bien concen-
cherches menées par Pranjal Mehta, de l’université trée sur les défis auxquels nous sommes confrontés
de l’Oregon, et de Robert Josephs, de l’université du ensemble. Et, comme nous l’avons remarqué plus
Texas, les leaders les plus performants, quel que soit haut, les jugements sont souvent formulés de ma-
leur sexe, possèdent un profil physiologique unique : nière rapide, à partir d’indices non verbaux. Lorsqu’il
leur taux de testostérone est relativement élevé s’agit de faire face à des situations où la pression est
tandis que leur taux de cortisol est relativement bas. accrue, il est utile que les leaders prennent le temps
De tels leaders font face aux difficultés sans que d’accomplir d’abord un bref rituel d’échauffement
cela les tourmente. Leur comportement n’est pas afin de se mettre dans le bon état d’esprit, en prati-
détendu, mais ils sont détendus émotionnellement. quant et en adoptant des attitudes qui les aideront à
On les considère souvent comme des « guerriers extérioriser des signaux non verbaux positifs.
bienheureux », et l’effet de leur comportement sur Nous appelons cela une approche « de l’intérieur
ceux qui les entourent est indiscutable. Les guerriers vers l’extérieur », par opposition à une stratégie « de
bienheureux nous rassurent en nous convainquant l’extérieur vers l’intérieur » qui consiste à exécuter
que, quels que soient les défis auxquels nous pour- consciemment des comportements spécifiques non
rions être confrontés, les choses finiront bien par se verbaux à un moment donné. Pensez à la différence
résoudre. Ann Richards, ancienne gouverneure du entre la « method acting » et l’approche classique en
Texas, assumait son rôle de guerrière bienheureuse matière de jeu d’acteurs : dans la première, les ac-
en associant son assurance et son autorité person- teurs font l’expérience des émotions de leur person-
nelle à un sourire radieux et à une vivacité d’esprit nage et jouent donc de manière authentique, tandis
qui exprimait clairement qu’elle ne se laissait pas qu’avec l’approche classique les acteurs apprennent
désarçonner par la brutalité du jeu politique. à contrôler très précisément leurs signaux non ver-
Dans les moments de crise, il existe des per- baux. En règle générale, une approche « de l’intérieur
sonnes capables de maintenir ce canal d’influence vers l’extérieur » est plus percutante.
ouvert, voire de l’ouvrir encore plus. La plupart des Il existe de nombreuses tactiques pour exprimer
gens détestent l’incertitude, mais ils la tolèrent bien chaleur et compétence, et elles peuvent être expri-
mieux lorsqu’ils peuvent se tourner vers un leader mées avec plus ou moins d’intensité en fonction des
dont ils sont convaincus qu’il les protège, un leader besoins. Deux des coauteurs de cet article, John
calme, lucide et courageux. Ce sont à ces personnes Neffinger et Matt Kohut, travaillent avec des leaders
que nous faisons confiance, ce sont ces personnes aux profils et aux parcours très différents afin de les
que nous écoutons. accompagner dans la maîtrise des signaux verbaux et
Il existe des exercices physiques qui peuvent fa- non verbaux. Examinons maintenant quelques-unes
voriser la confiance en soi – et même modifier la des meilleures pratiques.
chimie de votre corps afin de ressembler davantage à
un guerrier bienheureux. Dana Carney, Amy Cuddy Comment présenter
et Andy Yap avancent que les personnes adoptent en un abord chaleureux
fait des « postures de pouvoir » associées à la domina- S’efforcer de paraître chaleureux et digne de
tion et à la force dans le règne animal. Ces postures confiance en contrôlant consciemment votre com-
sont ouvertes, déployées et occupent l’espace (ima- munication non verbale peut se retourner contre
ginez Wonder Woman ou Superman campés résolu- vous. Bien trop souvent, votre attitude sera plutôt
ment, les pieds écartés et les mains sur les hanches). perçue comme guindée et artificielle. Il existe des
Leurs travaux de recherche montrent que, en pre- manières d’éviter cet écueil.
nant ces postures ne serait-ce que deux minutes Trouvez la bonne mesure. Lorsqu’on souhaite
avant une interaction sociale, les participants ont montrer un abord plus chaleureux, on amplifie parfois
augmenté leur taux de testostérone et diminué leur le volume et le dynamisme de sa voix, afin d’exprimer
taux de cortisol de manière significative. son enthousiasme. Cela peut être efficace dans

58 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


certaines situations mais, si ceux qui vous entourent Pensez à la différence
entre la « method
n’ont rien fait qui soit particulièrement susceptible de
provoquer un tel enthousiasme de votre part, ils par-
tiront du principe que vous faites semblant ou que
vous encensez tout le monde sans distinction.
Une manière plus juste de générer de la chaleur acting » et l’approche
classique en matière
à travers votre voix est d’opter pour un registre plus
grave et un volume plus bas, comme vous le feriez
pour réconforter un ami. Cherchez un ton qui
suggère que vous êtes franc avec vos interlocuteurs,
que vous partagez la vérité telle qu’elle est, sans
faux-semblants ni fioritures émotionnelles.
de jeu d’acteurs.
Ainsi, vous envoyez le signal que vous leur faites
confiance et que vous savez qu’ils vont bien gérer
les choses. Vous pouvez même, de temps à autre, Imaginez, par exemple, que votre entreprise soit
partager une anecdote personnelle, impliquant une en pleine réorganisation et que votre équipe soit très
certaine intimité, sans aller trop loin, sur le ton de la anxieuse en raison des changements qui pourraient
confidence, afin de montrer que vous êtes acces- advenir – en termes de qualité, d’innovation ou de
sible et ouvert. sécurité de l’emploi. Sachez montrer que vous avez
Supposez, par exemple, que vous souhaitiez conscience des peurs et des préoccupations des per-
établir un lien avec de nouveaux employés que vous sonnes avec qui vous parlez, à l’occasion de réunions
rencontrez pour la première fois. Vous pouvez par- formelles ou de conversations autour d’un café. Re-
tager quelque chose de personnel dès le départ, gardez-les dans les yeux et dites-leur : « Je sais que
comme le souvenir de ce que vous avez ressenti à tout le monde est submergé par l’incertitude en ce
un moment similaire au cours de votre carrière. moment et que cela est déroutant. » On vous respec-
Cela suffit souvent à installer un ton engageant. tera pour avoir évoqué l’énorme non-dit et on sera
Validez le bien-fondé des sentiments. Avant d’autant plus ouvert à ce que vous avez à dire.
de décider de ce qu’ils pensent de votre message, Souriez vraiment. Lorsque nous sourions avec
les gens décident de ce qu’ils pensent de vous. Si sincérité, la chaleur se nourrit d’elle-même : le fait
vous montrez à vos salariés que vous partagez à peu de nous sentir heureux nous fait sourire et sourire
près la même vision du monde qu’eux, vous faites nous rend heureux. Cette expression de feed-back
non seulement preuve d’empathie mais aussi, à que nous arborons sur le visage est également
leurs yeux, de bon sens – la qualité suprême pour contagieuse. Nous avons en effet tendance à refléter
que l’on vous écoute. Et donc, si vous souhaitez que les expressions et les émotions non verbales des
vos collègues vous écoutent et soient d’accord avec autres, et donc, lorsque nous voyons une personne
vous, commencez par être d’accord avec eux. rayonner et dégager une chaleur sincère, nous ne

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 59


POUR ÊTRE UN BON LEADER, CRÉEZ DU LIEN

Avoir le sentiment
d’être un imposteur
Il faut en revanche absolument éviter la chose
suivante : sourire avec les sourcils relevés à toute
personne âgée de plus de 5 ans. Cela démontre que

– de ne pas être à sa vous cherchez désespérément à plaire et à être ap-


précié, et exprime une forme d’anxiété qui, tout

place dans le poste que comme la chaleur, peut se révéler contagieuse. Cela
risque plus de vous coûter en force que de vous

l’on occupe et que l’on


faire gagner en chaleur.

Comment exprimer sa force


va être « démasqué » – La force, ou la compétence, peut être établie à tra-
vers le poste que vous occupez, à travers votre

est très courant.


réputation et vos performances effectives. Mais
votre présence, ou votre comportement, comptera
aussi dans tous les cas. La manière dont vous vous
comportez n’établit bien évidemment pas votre
niveau de qualification, mais reste perçue comme
une preuve solide de votre attitude –  votre sérieux
pouvons pas nous empêcher de sourire à notre tour. et votre détermination à vous attaquer à un défi  – et
La chaleur ne se simule pas aisément, bien sûr, cela constitue en soi une composante non
et un sourire poli ne trompe personne. Pour dégager négligeable de votre force dans son ensemble.
un abord chaleureux, il faut d’abord l’éprouver réel- L’astuce consiste à savoir cultiver cette allure sans
lement. Un sourire naturel, par exemple, fait non paraître menaçant.
seulement intervenir les muscles qui entourent la Prenez les commandes. Si la chaleur est une
bouche mais aussi ceux du contour des yeux  –  les chose difficile à simuler, la confiance en soi est un
fameuses pattes-d’oie. élément dont il est encore plus difficile de se per-
Et alors, comment produit-on un sourire naturel ? suader. Avoir le sentiment d’être un imposteur – de
Trouvez une raison ou une autre de vous sentir heu- ne pas être à sa place dans le poste que l’on occupe
reux, où que vous soyez, même si cela veut dire qu’il et que l’on va être « démasqué » – est très courant.
vous faut en dernier ressort rire du mauvais pas dans Mais douter de soi sape totalement votre capacité à
lequel vous vous trouvez. Dans les situations impli- projeter de l’assurance, de l’enthousiasme et de la
quant un groupe, les introvertis peuvent choisir une passion, autant de qualités qui définissent votre
personne sur laquelle se concentrer. Ceci peut vous présence. En fait, si vous vous voyez comme un
aider à générer le même sentiment de réconfort que imposteur, les autres vous verront aussi de cette
l’on trouve auprès de sa famille ou de ses amis. manière. Avoir un sentiment de maîtrise et de
KNP Communications a ainsi accompagné une confiance est une question de rapport à soi-même.
responsable qui rencontrait des difficultés à établir Et lorsqu’on est connecté avec sa propre personne,
un lien avec son équipe. Dans la mesure où elle avait il est bien plus facile de l’être avec les autres.
gravi les échelons en tant qu’ingénieur possédant de Adopter certaines postures physiques, comme
grandes capacités analytiques, elle dégageait une nous l’avons vu plus haut, peut aider. Même si nous
certaine compétence et de la détermination mais pas y faisons référence en tant que postures de pouvoir,
beaucoup de chaleur humaine. elles n’augmentent pas notre domination sur les
Nous avons cependant remarqué que, lorsqu’elle autres. Elles concernent la notion d’autorité person-
parlait de l’endroit où elle avait grandi et de ce qu’elle nelle –  votre manière de fonctionner et votre capa-
avait appris au contact de la communauté très unie cité à vous autoréguler. Récemment, les recherches
qui vivait dans son quartier, tout son être se menées par Dacher Keltner, de l’université de Cali-
détendait et elle arborait un large sourire. Inclure fornie, à Berkeley, ont montré que le fait de se sentir
une anecdote concernant son éducation pour lancer fort de cette manière vous permet de vous débarras-
une réunion ou commencer une présentation lui ser des peurs et des inhibitions qui peuvent vous
permit finalement ensuite de montrer à ses collègues empêcher d’exprimer le meilleur de vous-même, de
une facette cordiale d’elle-même, à laquelle ils votre authenticité et de votre enthousiasme lors de
pouvaient s’identifier. situations professionnelles aux enjeux élevés, telles

60 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


qu’une présentation à des investisseurs ou un dis- Se tenir droit est une manière particulièrement
cours devant un parterre de personnes influentes. efficace de démontrer sa force, car cela n’empêche
Tenez-vous droit. On ne saurait trop souligner pas un abord chaleureux comme c’est souvent le cas
l’importance d’un bon maintien pour exprimer l’au- avec d’autres indicateurs de force, tels que les mou-
torité et l’intention d’être pris au sérieux. Comme vements tranchants, les sourcils froncés ou encore
l’avait écrit Maya Angelou (auteur, poète, actrice, le menton relevé. Les personnes qui enjoignent à
chanteuse et militante afro-américaine décédée en leurs enfants de se tenir droits et de sourire ont
2014, ndlr) : « Tenez-vous droit et réalisez qui vous peut-être trouvé le secret : cette simple combinaison
êtes, que vous surplombez ces circonstances qui pourrait bien être la meilleure manière d’exprimer
sont les vôtres. » Un bon maintien ne signifie pas simultanément force et chaleur.
adopter une position dans laquelle la poitrine est
exagérément projetée en avant, que l’on connaît sous SI VOUS SOUHAITEZ diriger les autres de façon
le nom de « garde-à-vous » dans les institutions mili- efficace, il vous faut trouver le bon équilibre entre
taires, ni même relever haut le menton. Cela signifie chaleur et compétence. S’il est difficile d’exprimer À PROPOS
simplement vous tenir sur toute votre hauteur, utili- les deux caractéristiques à la fois, chaleur et compé- DES AUTEURS
ser vos muscles pour redresser la courbure en S de tence peuvent toutefois se renforcer mutuellement Au moment de la
rédaction de cet article,
votre colonne vertébrale plutôt que de vous avachir. –  et les retombées positives peuvent être considé- les auteurs occupaient
Peut-être cela semble-t-il futile, mais le fait de maxi- rables. Savoir gagner la confiance et l’estime de ceux les fonctions suivantes :
miser l’espace physique qu’occupe votre corps a un qui vous entourent est un sentiment agréable. Avoir
Amy J. C. Cuddy est
impact important sur la manière dont votre public le sentiment de maîtriser une situation l’est aussi. professeure associée
réagit à votre présence, quelle que soit votre taille. Les deux vous permettent d’avoir plus d’influence en administration des
entreprises à la Harvard
Contrôlez-vous. Lorsque vous vous déplacez, sur les gens. Business School.
dirigez-vous délibérément et précisément vers un Les stratégies que nous suggérons peuvent sem- Matthew Kohut et John
point précis au lieu de propulser vos membres dans bler gênantes dans un premier temps, mais elles Neffinger ont cosigné
« Compelling People : The
tous les sens. Et après vous être déplacé, restez im- créent rapidement un cercle vertueux de feed-back Hidden Qualities That Make
mobile. Toute agitation, tout gigotement ou tout positif. Etre calme et confiant permet d’être Us Influential » (Hudson
Street Press, août 2013)
autre parasite visuel est le signe que vous ne contrô- chaleureux, ouvert et reconnaissant, et d’agir avec et sont les associés
lez pas la situation. L’immobilité est une preuve de des manières qui reflètent et expriment vos valeurs fondateurs du cabinet
KNP Communications.
calme. Associée à un bon maintien, elle vous permet- et vos priorités. Une fois votre chaleur humaine
tra d’atteindre ce qu’on appelle l’aisance, qui exprime reconnue, votre force est accueillie comme un La version originale
de cet article a été publiée
équilibre et stabilité, des aspects importants d’une élément rassurant. Votre leadership n’est plus une en juillet-août 2013 dans
présence crédible en termes de leadership. menace, mais un cadeau. l’édition américaine de HBR.

L'I D É E E N P R ATI Q U E

TECHNIQUE D’INFLUENCE : COMMENT PASSER DU FROID AU CHAUD  ?


La manière dont vous vous présentez dans des situations professionnelles détermine en grande
partie la manière dont les autres vous perçoivent. Même si vous n’êtes pas une personne
naturellement très chaleureuse, pratiquer ces approches et les utiliser dans des situations aussi
bien formelles qu’informelles peut vous aider à trouver la voie pour exercer plus d’influence.
LORSQUE VOUS VOUS TENEZ DEBOUT LORSQUE VOUS ÊTES ASSIS
Aspect froid Aspect froid
Votre menton est pointé vers le bas. Votre corps est orienté dans une position l’éloignant de votre interlocuteur.
Votre corps se détourne de votre interlocuteur. Vos bras croisés expriment une certaine froideur et un manque de
Vos mains sont fermées et vos mouvements tranchants. réceptivité.
Aspect chaleureux Vous êtes assis au « garde-à-vous » ou dans une position agressive.
Placez votre poids sur une hanche Aspect chaleureux
afin de ne pas paraître trop rigide ou tendu. Penchez-vous vers l’avant de manière non agressive afin d’exprimer
Inclinez légèrement la tête. intérêt et engagement.
Gardez les mains ouvertes, accueillantes. Placez vos mains confortablement sur vos genoux ou sur la table.
Cherchez un langage corporel professionnel mais détendu.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 61


62 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016
LE «LEADERSHIP
OCÉAN BLEU»
Vos salariés sont-ils entièrement investis dans la réussite
de votre entreprise? Voici comment libérer les énergies et
les talents latents.
Par W. Chan Kim et Renée Mauborgne. Illustrations: Les Jeanclode
LE « LEADERSHIP OCÉAN BLEU »

TRISTE CONSTAT POUR LE MONDE


DE L’ENTREPRISE : seuls 30% des profond. Nous sommes convaincus que les leaders
peuvent y arriver en utilisant une approche que
salariés s’appliquent à bien faire leur nous appelons le « leadership Océan bleu ». Celle-ci
est inspirée de nos travaux de recherche sur la
travail. Selon une étude de l’institut « stratégie Océan bleu », le modèle que nous avons
mis au point pour créer de nouveaux marchés en
Gallup (« State of the American transformant des non-clients en clients. Elle ap-

Workplace », 2013), 50% d’entre eux


plique les mêmes concepts et cadres d’analyse afin
d’aider les leaders à libérer l’« océan bleu » de talent

se contentent de faire leurs heures, et d’énergie inexploités qui gît au sein de leur entre-
prise, rapidement et pour un coût limité.

tandis que les 20% restants Nous partons du principe sous-jacent que le lea-
dership peut être à la base comparé à un service

expriment leur mécontentement de que les salariés d’une entreprise « achètent » ou


« n’achètent pas ». En ce sens, chaque leader a des

façon contre-productive en exerçant clients : ses chefs, à qui il doit rendre des comptes en
termes de performances, mais aussi ses subordonnés

une influence négative sur leurs (ou « suiveurs »), qui ont besoin d’être guidés et sou-
tenus par lui pour réussir. Lorsque des gens appré-

collègues, en ne venant pas au travail cient votre style de leadership, dans les faits, ils
« l’achètent ». Ils ont envie d’exceller et de s’engager
ou en faisant fuir les clients par encore davantage. Mais lorsque les salariés n’ad-
hèrent pas à votre leadership – ou, en d’autres
leurs négligences. L’institut Gallup termes, ne l’achètent pas –, ils se désengagent et de-
viennent effectivement vos non-clients. A partir du
estime que ces derniers coûtent moment où nous avons commencé à considérer le
leadership sous cet angle, nous nous sommes aper-
500 milliards de dollars par an çus que les concepts et les cadres d’analyse que nous
avions élaborés pour créer une demande nouvelle en
à l’économie américaine. convertissant des non-clients en clients pouvaient
être adaptés afin d’aider les leaders à convertir des
Comment expliquer un tel désinvestissement ? salariés désengagés en salariés investis.
Selon Gallup, la raison principale réside dans un Au cours des dix dernières années, en compa-
leadership défaillant. gnie de Gavin Fraser, un expert du réseau Stratégie
La plupart des cadres – et cela ne se limite pas aux Océan Bleu, nous avons interrogé des centaines de
cadres américains – admettent que l’une de leurs personnes au sein d’entreprises diverses pour tenter
difficultés majeures consiste à combler le fossé béant de comprendre par où pèche le leadership et com-
qui sépare le potentiel des personnes qu’ils dirigent, ment y remédier tout en conservant la ressource la
et le talent et l’énergie que ces mêmes personnes plus précieuse dont dispose tout leader : le temps.
déploient effectivement au travail. Dans cet article, nous vous présentons les résultats
Comme l’a formulé un P-DG : « Nous disposons de de nos recherches.
nombreuses forces vives qui sont réellement dési-
reuses de bien faire leur travail, et cela à tous les Différences par rapport aux approches
niveaux. Si nous parvenons à transformer ces sala- conventionnelles du leadership
riés – à les toucher par un leadership efficace –, nous L’approche « Océan bleu » peut changer rapide-
pourrons compter sur beaucoup de gens capables de ment et radicalement la puissance de votre leader-
faire beaucoup de bonnes choses. » ship. Elle se distingue des approches traditionnelles
Bien entendu, les managers ne font pas exprès sur plusieurs points fondamentaux. Voici les trois
d’être de piètres leaders. Le problème, c’est qu’ils principaux :
manquent d’une vision claire des changements qu’il 1. Se concentrer sur les actions et les activi-
faudrait entreprendre pour permettre à chacun d’ex- tés. Au cours des années passées, de nombreuses
primer le meilleur de soi-même et d’avoir un impact études ont décortiqué les valeurs, les qualités et les

64 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F
LE PROBLÈME LA SOLUTION CAS D’ÉTUDE
Selon l’institut Gallup, seuls 30% Une nouvelle approche, appelée Un groupe de grande distribution
des salariés investissent effectivement « leadership Océan bleu », a le pouvoir britannique a mis en application le
leur talent et leur énergie dans de libérer un océan d’énergie et de talent « leadership Océan bleu » afin de redéfinir
la réussite de leur entreprise. inexploités au sein des entreprises. Cette ce que représentait l’efficacité pour les
50% d’entre eux se contentent de faire approche repose sur un processus en cadres de première ligne, les cadres
leurs heures, tandis que les 20% restants quatre étapes permettant aux leaders de intermédiaires et ceux appartenant
expriment leur mécontentement comprendre clairement, et exactement, à la direction. L’impact a été marquant.
de manière contre-productive. quels changements sont nécessaires afin En ce qui concerne les salariés de
Gallup estime en outre qu’à lui seul que leurs effectifs donnent le meilleur première ligne, par exemple, le turnover
le groupe des 20% coûte chaque année d’eux-mêmes, tout en préservant leur est passé d’environ 40% à 11%
environ 500 milliards de dollars ressource la plus précieuse : le temps. la première année, ce qui a permis
à l’économie américaine. Toujours selon Un outil analytique, le « canevas de réduire les coûts de recrutement et
Gallup, la raison principale du du leadership », permet aux leaders de formation de 50%. En tenant compte
désengagement des employés réside de visualiser quelles activités il leur de la baisse de l’absentéisme,
dans un leadership défaillant. faut éliminer, réduire, renforcer le groupe a réalisé 50 millions de dollars
ou créer afin de transformer des salariés d’économies la première année, tandis
désengagés en salariés investis. que la satisfaction des clients, pour
sa part, a augmenté de plus de 30%.

styles de comportements qui définissent un bon la portée de chaque individu et permet d’obtenir un
leadership. Ces études ont permis de former un socle feed-back et des conseils pertinents.
pour les programmes de coaching et de développe- 2. Rapprocher le leadership des réalités du
ment personnel des cadres. Elles partent du principe marché. Les programmes traditionnels de dévelop-
que des changements apportés à ces valeurs, qualités pement du leadership ont plutôt tendance à être
et styles comportementaux se traduiront en fin de génériques et sont souvent déconnectés de ce que
compte par une amélioration des performances. les entreprises représentent aux yeux de leurs
Mais lorsqu’on fait le bilan de ces programmes, il clients ou des résultats qu’elles attendent de leurs
est souvent difficile de trouver des preuves tangibles salariés. Dans le « leadership Océan bleu », en re-
de changements notables. Si l’on reprend les propos vanche, les personnes qui sont au contact des réali-
d’un cadre : « Sans des années d’efforts particuliers, tés du marché sont priées d’expliquer en quoi leurs
comment peut-on transformer le caractère ou le leaders les entravent et ce que ces derniers pour-
comportement d’une personne ? Et peut-on même raient faire afin de les aider à mieux servir les clients
réellement mesurer et évaluer les efforts fournis par ou toute autre partie prenante essentielle. Quand les
les leaders pour s’approprier et intégrer ces caracté- salariés sont impliqués dans la définition de pra-
ristiques et ces styles personnels ? Sur le papier, c’est tiques de leadership destinées à leur permettre de
possible, mais concrètement, c’est difficile. » réussir et que ces pratiques reflètent les réalités du
Le « leadership Océan bleu », a contrario, ne s’inté- marché auxquelles ils sont confrontés, ils sont d’au-
resse pas tant à ce que les leaders doivent être qu’à ce tant plus disposés à créer le meilleur profil de
qu’ils doivent faire pour doper la motivation de leurs leadership possible et à faire en sorte que les nou-
équipes et améliorer leurs résultats. Cette différence velles solutions fonctionnent. Leur coopération vo-
de point de vue est essentielle. Il est considérable- lontaire maximise l’acceptation des nouveaux pro-
ment plus facile de changer les actions et les activités fils de leadership tout en minimalisant les coûts de
d’une personne que ses valeurs, ses qualités ou son leur mise en œuvre.
comportement. Bien sûr, modifier les activités d’un 3. Accorder une part de leadership à tous
leader ne constitue pas en soi une solution complète, les niveaux de management. La plupart des pro-
et avoir les bonnes valeurs, les bonnes qualités et le grammes de leadership se concentrent sur les cadres
bon comportement compte ; mais cette solution est à et leur impact potentiel présent et futur. Mais, pour

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 65


LE «LEADERSHIP OCÉAN BLEU»

CE QUE FONT RÉELLEMENT


LES MANAGERS INTERMÉDIAIRES
Les «canevas du leadership actuel» détaillent les activités auxquelles se consacrent les
managers du point de vue des salariés, ainsi que le temps et l’énergie qu’ils dédient à ces
activités, toujours selon les salariés. Le canevas ci-dessous concerne les managers intermé-
diaires de l’entreprise de distribution British Retail Group et révèle que les employés les voient
comme des personnes s’appliquant à faire respecter les règles tout en jouant la sécurité.

QUANTITÉ DE TEMPS ET D’EFFORTS


IMPORTANTE

MOYENNE

PROFIL DE
LEADERSHIP
ACTUEL:
CONTRÔLE
ET JOUE LA
FAIBLE SÉCURITÉ
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qu’une organisation connaisse le succès, il est essen- Les quatre étapes du


tiel que ses managers aient un vrai pouvoir entre les leadership Océan bleu
mains, et ce à tous les niveaux. Car des perfor- Voyons maintenant comment mettre en pratique le
mances exceptionnelles sont souvent dues à la mo- leadership Océan bleu. Cela passe par quatre étapes :
tivation et aux actions des cadres intermédiaires et 1. Regarder la réalité du leadership en face.
de première ligne, plus proches du marché. Pour Les entreprises commettent souvent l’erreur de
reprendre les propos d’un cadre dirigeant : « A vrai discuter d’abord d’un changement de leaders avant de
dire, nous, les top managers, ne sommes pas sur le résoudre les divergences de points de vue sur ce qu’ils
terrain, nous ne pouvons donc pas pleinement me- font. Sans une compréhension partagée de l’état ac-
surer les actions des salariés de première ligne ou tuel du leadership, y compris de ses défaillances, le
du management intermédiaire. Nous avons besoin changement est tout simplement irrecevable.
de leaders efficaces à tous les niveaux afin d’optimi- Aboutir à cette compréhension est l’objectif de la pre-
ser les performances de l’entreprise. » mière étape. Nous avons recours pour cela à ce que
Le « leadership Océan bleu » est conçu pour être nous appelons des « canevas du leadership actuel »,
appliqué à trois niveaux de management distincts : c’est-à-dire à des représentations graphiques permet-
le top management, le management intermédiaire et tant de visualiser comment les managers, à tous les
le management de première ligne. Cette approche niveaux, investissent leur temps et leurs efforts, de
appelle des profils de leaders variés pour corres- l’avis de ceux qui « achètent » leur leadership. L’entre-
pondre aux tâches, aux niveaux de pouvoir et aux prise lance le processus en établissant un canevas
environnements spécifiques à chaque échelon. Le pour chacun des trois niveaux de management.
fait d’accorder des capacités de leadership réelles En général, on compose une équipe de douze à
aux salariés de première ligne libère le talent et la quinze cadres dirigeants pour mener à bien le projet.
motivation latents d’une partie essentielle des Ils doivent provenir de différents départements et
forces vives. Et savoir répartir le leadership de façon être reconnus comme de bons leaders au sein de
solide et équilibrée améliore significativement les l’entreprise, afin de garantir une crédibilité immédiate
performances de l’entreprise. à l’équipe. Cette équipe est ensuite divisée en trois

66 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


sous-groupes de plus petite taille, qui se concentrent de clarifier cette observation et a découvert que deux
chacun sur un niveau et qui ont pour responsabilité actions sous-tendaient ce jugement. D’une part, les
de s’entretenir avec les clients des leaders concernés managers avaient tendance à partager les responsa-
– aussi bien les responsables que les subordonnés – bilités entre plusieurs personnes, ce qui créait des
en s’assurant qu’un nombre représentatif de chaque problèmes au moment de rendre des comptes et
catégorie est impliqué dans la démarche. engendrait des rivalités en interne. Résultat : les gens
Le but est de mieux comprendre comment le lea- s’accusaient les uns les autres en permanence et
dership est vécu au sein de l’entreprise et d’instaurer avaient le sentiment que les managers cherchaient à
à tous les échelons un dialogue au sujet du rôle que les diviser. Le sous-groupe a également découvert
jouent, et que devraient jouer, les leaders à chaque que les managers étaient très souvent en réunion
niveau. Les clients des leaders sont donc invités à avec les cadres dirigeants. Cela amenait leurs subor-
dire quelles sont les actions et activités – bonnes ou donnés à en conclure que leurs managers cher-
mauvaises – auxquelles leurs leaders consacrent le chaient plus à maximiser leur « temps de parole »
plus de temps. Et quelles sont celles qui sont essen- politique et à se faire valoir qu’à être présents à leurs
tielles à la motivation ou aux performances, mais que côtés pour les soutenir.
ceux-ci négligent. Il est important d’entrer dans les
détails ; les canevas actuels doivent être fondés sur
des actions et des activités reflétant la réalité
concrète du marché et les objectifs de performance Les managers sont
incités à aller dans le
spécifiques à chaque niveau. Cela implique un cer-
tain travail d’approfondissement.
Dans une entreprise de grande distribution que
nous appellerons le British Retail Group (BRG), un
grand nombre de personnes interrogées ont fait sens du changement,
conscients que leur
remarquer que les managers intermédiaires passaient
beaucoup de temps à faire de la politique. Le sous-
groupe responsable de ce niveau a creusé le sujet afin

chef en fera de même.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 67


LE «LEADERSHIP OCÉAN BLEU»

CANEVAS DE LEADERSHIP FUTUR


MANAGERS DE PREMIÈRE LIGNE :
AU SERVICE DES CLIENTS ET NON DU PATRON
Activités actuelles des managers de première ligne de British Retail Group (BRG) et activités auxquelles ils devraient se consacrer, selon les employés.

QUANTITÉ DE TEMPS ET D’EFFORTS


IMPORTANTE PROFIL DE
LEADERSHIP FUTUR:
ÊTRE PLUS DIRECT POUR
MIEUX SERVIR LES CLIENTS

PROFIL DE
LEADERSHIP
ACTUEL:
FAIT PLAISIR
AU CHEF

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Au terme de quatre à six semaines d’entretiens, Chez BRG, le canevas des cadres dirigeants a révélé
les membres des sous-groupes se réunissent afin que leurs clients considéraient qu’ils consacraient le
d’établir les «« profils de leadership actuels » en re- plus clair de leur temps à des actions et des activités
groupant leurs conclusions et en définissant, à partir relevant du management intermédiaire, tandis que le
de la fréquence des citations, les actions et les acti- canevas des managers intermédiaires indiquait qu’ils
vités de leadership prédominantes pour chacun des semblaient se vouer surtout à la préservation des pro-
trois niveaux. Afin d’aider les sous-groupes à rester cédures bureaucratiques. Les managers de première
concentrés sur des questions réellement cruciales, ligne, quant à eux, étaient perçus comme cherchant
nous leur demandons généralement de s’imposer surtout à faire plaisir à leurs supérieurs afin de satis-
une limite de 10 à 15 actions et activités par niveau. faire leur soif de contrôle, en faisant par exemple di-
Celles-ci figurent sur l’axe horizontal du canevas rectement remonter les demandes des clients. Quand
tandis que l’importance que les leaders leur nous avons demandé aux membres de l’équipe de
accordent est reportée sur l’axe vertical. Ce plafond résumer chaque canevas en une phrase incisive (un
de 10 à 15 permet d’éviter que le canevas ne se trans- exercice qui fait partie du processus), ils ont accolé au
forme en fourre-tout. profil de leadership de première ligne la phrase « Fait
Le résultat est presque toujours révélateur. Il plaisir au chef », au profil des managers intermédiaires
n’est pas inhabituel de découvrir que de 20 à 40% « Contrôle et joue la sécurité », et au profil des cadres
des actions et activités des managers, à tous les ni- dirigeants « Se concentre sur le quotidien » (pour une
veaux, ne revêtent qu’une importance discutable illustration, voir le canevas « Ce que font réellement
aussi bien aux yeux de ceux qui les dirigent que pour les managers intermédiaires »).
leurs subordonnés. Il n’est pas moins courant de Les implications étaient déprimantes. La pire
découvrir que les managers négligent de 20 à 40% d’entre elles visait peut-être le top management, car
des actions et activités que les personnes interro- il est apparu que les cadres dirigeants avaient à peine
gées estiment importantes pour leur niveau. le temps de se consacrer au rôle qui devrait être le

68 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


CANEVAS DE LEADERSHIP FUTUR
MANAGERS INTERMÉDIAIRES :
PLUS DE COACHING, MOINS DE CONTRÔLE
Activités actuelles des leaders intermédiaires de British Retail Group (BRG) et activités auxquelles ils devraient se consacrer, selon les employés.

QUANTITÉ DE TEMPS ET D’EFFORTS


IMPORTANTE

PROFIL DE
LEADERSHIP FUTUR:
LIBÉRER, COACHER
ET AUTONOMISER

PROFIL DE
LEADERSHIP
ACTUEL:
CONTRÔLE
ET JOUE LA
SÉCURITÉ
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leur – à savoir réfléchir, enquêter, identifier les La seconde série invite les personnes interrogées
opportunités pointant à l’horizon et préparer l’entre- à réfléchir au-delà des frontières de l’entreprise et
prise à les exploiter. Confrontés à des preuves évi- s’intéresse à des actions de leadership qu’elles ont
dentes et répétées des défaillances concernant les effectivement pu observer en dehors de ses murs, en
pratiques de leadership, les sous-groupes se trou- particulier celles susceptibles d’avoir un impact
vaient dans l’impossibilité de défendre les « profils de significatif si elles étaient adoptées en interne, par
leadership » existants. Les canevas présentaient un les leaders de leur niveau. C’est l’occasion de faire
véritable plaidoyer en faveur du changement, aux émerger des idées nouvelles quant à ce que les
trois niveaux. Il était clair que tous les employés, à leaders pourraient faire, mais ne font pas. Il n’est pas
travers l’entreprise, le souhaitaient. question, cependant, de se comparer à des entre-
2. Développer des «profils de leadership prises iconiques, mais de tirer profit de l’expérience
alternatifs». A ce stade, les sous-groupes sont personnelle des employés. Nous avons quasiment
généralement impatients d’étudier ce à quoi ressem- tous rencontré, à un moment ou à un autre de notre
bleraient des « profils de leadership » efficaces pour vie, des personnes qui ont eu une influence extraor-
chaque niveau. Pour y parvenir, ils retournent vers dinairement positive sur nous. Il s’agissait peut-être
leur panel d’interviewés, avec deux séries de d’un entraîneur sportif, d’un enseignant, d’un chef
questions. scout, d’un grand-parent ou encore d’un ancien
La première a pour but de déterminer si chaque patron. Quel que soit ce modèle, il est important que
action et chaque activité du canevas représente les personnes interrogées expliquent en détail quels
plutôt un point froid (absorbant le temps des leaders types d’actions et d’activités seraient susceptibles,
mais apportant peu, voire pas de valeur) ou un point selon elles, d’apporter une vraie valeur à l’entreprise
chaud (dynamisant et motivant pour les salariés, si leur leader actuel les mettait en œuvre.
mais actuellement sous-investi par les leaders, voire Afin de traiter les données de cette seconde
entièrement négligé). vague d’entretiens, les sous-groupes utilisent un

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 69


LE «LEADERSHIP OCÉAN BLEU»

CANEVAS DE LEADERSHIP FUTUR


CADRES DIRIGEANTS :
DU QUOTIDIEN À LA PERSPECTIVE D’ENSEMBLE
Activités actuelles des cadres dirigeants de British Retail Group (BRG) et activités auxquelles ils devraient se consacrer, selon les employés.

QUANTITÉ DE TEMPS ET D’EFFORTS


IMPORTANTE

PROFIL DE
LEADERSHIP
FUTUR:
DÉLÉGUER ET
CARTOGRAPHIER
L’AVENIR DE
L’ENTREPRISE

PROFIL DE
LEADERSHIP
ACTUEL:
SE CONCENTRE
SUR LE
QUOTIDIEN
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outil analytique que nous appelons « matrice du lea- niveau de leadership. Ces visuels analytiques
dership Océan bleu » (voir l’illustration correspon- illustrent les « profils de leadership » à même d’amé-
dante). Pour chaque niveau de leadership, les résul- liorer les performances de l’entreprise et des indivi-
tats des entretiens sont intégrés dans cette matrice. dus qui la composent, et sont juxtaposés aux « profils
On commence habituellement par les actions et acti- de leadership » actuels. Les sous-groupes proposent
vités correspondant à des points froids, que l’on ré- un éventail de modèles de leadership, plutôt que de
partit dans les quadrants « Eliminer » et « Réduire » s’arrêter à un seul, afin d’explorer consciencieuse-
en fonction du degré de négativité que les personnes ment le champ des possibles du leadership.
interrogées leur ont attribué. Cela dope tout de suite 3. Sélectionner les «profils de leadership
les sous-groupes, car chacun voit instantanément futurs». Après deux à trois semaines de préparation
les avantages liés au fait d’empêcher les leaders de et de finalisation de leurs « canevas de leadership »,
faire des choses qui apportent peu ou pas de valeur. les sous-groupes les présentent lors de ce que nous
Le fait de réduire ces activités libère aussi pour les appelons un « forum du leadership ». Les participants
leaders concernés le temps et l’espace dont ils ont à ce forum se composent de membres du conseil
besoin pour placer la barre plus haut. Sans cette d’administration, de cadres dirigeants, de managers
bulle d’air, un changement radical de leur style de intermédiaires et de managers de première ligne.
leadership resterait essentiellement un vœu pieux, L’équipe dirigeante à l’origine du projet ouvre cet
vu la masse de travail qui leur incombe déjà. Après événement en présentant le déroulement de l’initia-
avoir géré les points froids, on passe aux points tive et les trois canevas actuels. A partir de ces vi-
chauds, qui sont répartis entre le quadrant « Renfor- suels, l’équipe démontre en quoi le changement
cer », s’il s’agit d’actions et d’activités déjà exis- s’avère nécessaire, confirme que les remarques des
tantes, et le quadrant « Créer », pour celles que les personnes interrogées à tous les niveaux ont été
leaders ne pratiquent pas encore. prises en compte et pose le contexte dans lequel les
Forts de ces contributions, les sous-groupes éla- « profils de leadership futurs » peuvent être compris
borent deux à quatre canevas « futurs » pour chaque et appréciés. Même si les canevas actuels offrent

70 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


souvent une image consternante de la réalité, comme assistance aux clients en difficulté et réalise des
ce fut le cas chez BRG, les « profils de leadership » ne ventes transversales significatives : autant d’actions
sont présentés et discutés qu’à un niveau collectif. et d’activités de leadership qui gonflent à bloc le mo-
Ceci rend les managers plus ouverts au changement, ral des employés de première ligne, enthousiasment
car ils ont le sentiment que tout le monde est dans le les clients, et ont un impact direct sur les profits de
même bateau. l’entreprise.
Le décor étant posé, les sous-groupes présentent « Libérer, coacher et autonomiser » était la phrase
les profils futurs en accrochant leurs canevas au mur résumant le profil futur du management intermé-
de façon à ce que l’auditoire puisse bien les voir. Le diaire (voir graphique). Ici, le temps et l’attention des
sous-groupe ayant travaillé sur les leaders de pre- leaders glissent du contrôle des employés vers leur
mière ligne est habituellement celui qui commence. soutien. Ceci implique qu’ils éliminent et réduisent
Après la présentation, on donne aux participants une partie de leurs activités de supervision – comme
trois Post-it en leur demandant d’en coller un à côté exiger des rapports hebdomadaires sur les appels
du « profil de leadership » qu’ils préfèrent. Et si ce client et les dépenses en fournitures de bureau, par
canevas leur semble particulièrement convaincant, exemple – qui entamaient le moral des troupes et
ils peuvent lui attribuer jusqu’à trois Post-it. clouaient les managers de première ligne à leurs
Une fois tous les votes enregistrés, les cadres diri- bureaux. Le profil comprend également de nouvelles
geants de l’entreprise interrogent les participants sur actions destinées à la gestion, à la diffusion et à l’in-
ce qui a motivé leur vote. Le même processus est tégration des connaissances des managers de pre-
répété pour les deux autres niveaux de leadership (il mière ligne et de leurs équipes. Pratiquement, cela
nous semble plus facile de traiter chaque niveau consiste à consacrer plus de temps au coaching et au
séparément et séquentiellement, et procéder ainsi feed-back en face-à-face.
permet aux votants de mieux garder en mémoire les La phrase résumant le profil futur des cadres diri-
termes de l’échange). geants (voir graphique) était : « Déléguer et cartogra-
Au bout de quatre heures environ, toute l’assis- phier l’avenir de l’entreprise ». Une fois les actions et
tance dispose d’une vision claire du « profil de lea- activités des managers de première ligne et des ma-
dership actuel pour chaque niveau, des « matrices du nagers intermédiaires redéfinies, les cadres diri-
leadership Océan bleu » complétées, et d’une sélec- geants disposent de plus de temps pour prendre de
tion de « profils de leadership futurs » susceptibles la hauteur et étudier les changements qui affectent
d’engendrer un changement significatif dans la per- leur secteur et leurs conséquences sur la stratégie et
formance du leadership. Forts de ces informations, sur l’entreprise. Ils peuvent alors passer moins de
des votes et des commentaires des participants, les temps sur les urgences.
dirigeants se réunissent hors de la salle et sélec- Les membres du conseil d’administration pré-
tionnent le « profil de leadership futur » à attribuer sents à ce forum étaient convaincus que les « profils
pour chaque niveau. Ils reviennent ensuite expliquer de leadership futurs » serviraient aussi bien les inté-
leurs décisions à l’assemblée. rêts des clients que ceux des actionnaires tout en
Dans le cas de BRG, plus de 125 personnes ont allant dans le sens des objectifs de croissance. Les
voté pour les profils, et les participants au forum ont managers de première ligne étaient enthousiastes et
ensuite accueilli avec enthousiasme les trois profils prêts à aller de l’avant. Les cadres dirigeants,
finalement sélectionnés. La phrase résumant le jusqu’alors submergés par des tâches relevant du
profil futur des managers de première ligne (voir management intermédiaire qu’ils devaient coordon-
graphique) était « Arrêter les conneries » (malheureu- ner et traiter, eurent le sentiment de pouvoir enfin
sement, elle a ensuite été reformulée pour devenir : sortir la tête de l’eau pour voir la beauté de l’Océan
« Etre plus direct pour mieux servir les clients »). qu’ils allaient cartographier.
Dans ce profil, les managers de première ligne ar- Le « profil de leadership futur » le plus délicat
rêtent de faire remonter l’essentiel des demandes était celui des managers intermédiaires. Lâcher
des clients vers le management intermédiaire et prise et autonomiser ses subordonnés peut se révé-
passent moins de temps à se perdre dans les ler difficile pour les managers qui se situent à ce rang
méandres des procédures. Leur temps est alors de l’organisation. Cependant, les « profils de leader-
consacré à former le personnel de première ligne afin ship futurs » des managers de première ligne et ceux
qu’il se consacre aux missions de l’entreprise, résolve de la direction ont préparé le terrain et permis à ce
les problèmes des clients, apporte rapidement niveau de s’ouvrir au changement.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 71


LE « LEADERSHIP OCÉAN BLEU »

4. Institutionnaliser de nouvelles pratiques


de leadership. Une fois le forum terminé, les
membres des sous-groupes en communiquent les
résultats aux personnes qu’ils ont interviewées
mais qui n’ont pas assisté au forum.
L’entreprise distribue alors les profils futurs
ayant été approuvés aux managers de chaque ni-
veau. Les membres des sous-groupes les convient à
des réunions afin de leur présenter le canevas qui
leur correspond et de leur expliquer ce qui doit être
exclu, atténué, renforcé, et créé. Cette étape ren-
force l’adhésion que l’initiative s’efforce d’instau-
rer : les managers de l’entreprise sont en effet brie-
fés à chaque étape du processus et leurs remarques
sont prises en compte. Et, dans la mesure où chaque
manager est en fait lui-même client d’un autre ni-
veau de leadership, tous les managers sont incités à
travailler dans le sens du changement, conscients
que leurs propres responsables en feront autant à
partir de la contribution qu’ils ont eux-mêmes di-
rectement apportée.
Les leaders sont ensuite chargés de transmettre
le message à leurs subordonnés directs et de leur
expliquer la manière dont les nouveaux profils de
leadership vont leur permettre d’être personnelle-
ment plus efficaces. Afin que chacun ait les nou-
veaux profils en tête, les canevas futurs leur corres-
pondant sont affichés en évidence aussi bien dans

Les managers de
les bureaux des managers que dans ceux de leurs
subordonnés. Les managers sont par ailleurs char-
gés d’organiser des réunions mensuelles au cours

tous les niveaux ont desquelles ils sollicitent l’avis de leur équipe pour
savoir comment ils progressent dans leur transition

déclaré se sentir vers un nouveau profil. Tous les commentaires


doivent être illustrés par des exemples précis. Le

moins stressés, plus


leader a-t-il réduit les actions et activités qu’il est
supposé éliminer et réduire, comme l’indique le
nouveau profil de leadership ? Si c’est le cas, de

dynamisés et plus quelle manière ? Si ce n’est pas le cas, dans quelles


situations continue-t-il à les appliquer ? De même,

confiants dans leur


se concentre-t-il plus sur ce qui apporte de la valeur
et met-il en œuvre les nouvelles activités figurant
dans son profil ? Même si ces réunions peuvent être

capacité à apporter quelque peu déstabilisantes au départ – aussi bien


pour les employés qui doivent critiquer leur respon-

une contribution sable que pour les responsables dont les actions
sont examinées à la loupe – il faut généralement peu

significative
de temps pour que l’esprit d’équipe et le respect
mutuel prennent le dessus, à mesure que tous ob-
servent à quel point les changements en termes

à l’entreprise. de pratiques de leadership ont une influence posi-


tive sur leurs performances.

72 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Grâce aux transformations mises en évidence place afin de faire véritablement progresser le
dans les profils futurs, BRG a réussi à consolider son leadership sur le terrain. Voici d’ailleurs la réaction
leadership, avec un impact important pour un coût typique d’un employé : « Au départ, j’ai pensé que
modéré. Considérons les résultats obtenus ne serait- c’était encore une de ces initiatives à propos
ce qu’au niveau des salariés de première ligne. Le tur- desquelles les dirigeants nous abreuvent de grands
nover, pour cette catégorie du personnel qui compte discours sur le changement, et continuent en réalité à
plus de 10 000 personnes, a chuté d’environ 40% à faire ce qu’ils ont toujours fait. Mais quand j’ai vu que
11% au cours de la première année, ce qui a permis de les directeurs pilotaient eux-mêmes le processus et se
réduire les dépenses à la fois de recrutement et de retroussaient les manches pour mettre en œuvre le
formation de près de 50%. Cette année-là, le total des changement, je me suis dit : ‘‘Ah… Finalement, peut-
économies, en incluant celles dues à la réduction de être qu’ils sont sincères.’’ »
l’absentéisme, s’est élevé à plus de 50  millions de dol- • Les salariés sont impliqués dans la définition de
lars. De plus, le taux de satisfaction des clients de ce que les leaders devraient faire. Dans la mesure où
BRG a augmenté de plus de 30% et les managers de les profils futurs découlent des contributions indi-
tous les niveaux ont déclaré qu’ils se sentaient moins viduelles des salariés, ces derniers accordent plus de
stressés, plus dynamisés par leur aptitude à agir, et crédibilité aux changements effectués. Le processus
plus confiants dans leur capacité à apporter une leur donne en outre le sentiment d’être plus proches
contribution positive à l’entreprise, aux clients et à de leurs leaders car ils s’approprient davantage les
leur propre développement personnel. actions de ces derniers, comme ils ont pu l’exprimer
dans les propos suivants : « Les directeurs nous ont
La mise en œuvre est intégrée dit qu’ils allaient venir parler aux salariés de tous les
dans les quatre étapes niveaux afin de comprendre ce que, selon nous, nos
Toute initiative de changement est susceptible managers devaient faire ou ne pas faire, afin de nous
d’être confrontée à un certain scepticisme, qui peut inciter à nous dépasser. Je me suis dit : ‘‘Je le croirai
s’assimiler au syndrome « Faites le dos rond, les quand ils viendront frapper à ma porte.’’ Et ils sont
voilà qui reviennent à la charge ». Si au départ le lea- effectivement venus. »
dership Océan bleu se heurte aussi à ce type de ré- • Les salariés, à tous les niveaux, ont leur mot à
actions, il les déjoue en mettant l’accent sur une dire dans la décision finale. Un échantillon issu des
bonne exécution du processus. Les quatre étapes trois niveaux de management au sein de l’entreprise
sont basées sur des principes d’équité : engagement, prend part au vote qui sert à désigner les nouveaux
échanges et énoncé clair des attentes. On ne saurait profils de leadership. Même si la décision ultime
trop souligner l’importance de ces principes, et concernant le choix des profils futurs appartient aux
nous avons depuis plus de vingt ans publié de nom- cadres dirigeants et que ces derniers sont libres de
breux travaux concernant leur impact sur la qualité choisir ceux qui n’ont pas recueilli le plus de voix, il
de la mise en œuvre (voir, par exemple, notre article leur est demandé de justifier leur décision de manière
« Fair Process : Managing in the Knowledge Eco- claire et argumentée auprès de tous les participants.
nomy », HBR, édition américaine, juillet-août 1997). Voici le genre de feed-back que cela engendre : « Nous
Dans le contexte de développement du leader- craignions que nos commentaires soient restés lettre
ship, l’application d’un processus équitable permet morte, mais nos doutes se sont dissipés lorsque nous
à tous d’adhérer aux « profils de leadership futurs » avons pu constater que nos remarques figuraient dans
et de se les approprier, et instaure un climat de les profils futurs. Nous avons réalisé à ce moment-là
confiance, ce qui prépare le terrain pour leur mise que nous avions été entendus. »
en œuvre. Ces principes sont appliqués de diverses • Il est facile de suivre les progrès réalisés. Dans la
manières, les pratiques les plus importantes étant mesure où ce qui doit changer pour passer des profils
les suivantes : de leadership actuels aux profils futurs est clair, il est
• Des cadres dirigeants respectés constituent les facile d’en suivre la progression. Des réunions
fers de lance du processus. Leur investissement mensuelles à ce sujet entre les leaders et leurs
personnel ne se limite pas à la forme, ils réalisent les subordonnés permettent à l’entreprise de vérifier
entretiens et élaborent les canevas. Cela souligne l’avancement des travaux. Nous avons pu observer
fortement l’importance de l’initiative et permet à tous que ces réunions permettent aux leaders de jouer la
de se sentir respectés, tout en conférant à ces cadres transparence ; elles les motivent aussi pour progresser
dirigeants le sens profond des actions à mettre en sur la voie du changement et renforcent la crédibilité

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 73


LE « LEADERSHIP OCÉAN BLEU »

du projet lui-même autant que la leur. En recueillant Devenir un leader Océan bleu À PROPOS
DES AUTEURS
des retours d’expérience sur ces réunions, la direction Nous ne cessons jamais d’être étonnés par le talent
Au moment de la
de l’entreprise peut apprécier la rapidité à laquelle et l’énergie que nous observons dans les organisa- rédaction de cet article,
ces derniers effectuent la transition de leur profil tions que nous étudions. Malheureusement, nous les auteurs occupaient
actuel vers leur profil futur, ce qui devient un facteur sommes tout aussi stupéfaits de constater à quel les fonctions suivantes :
clé lors de leur entretien d’évaluation annuel. Voici ce point ce talent et cette énergie sont gaspillés à cause W. Chan Kim et Renée
qu’ils en disent : « Grâce à un visuel représentant sur des défaillances du leadership en place. Le leader- Mauborgne sont tous deux
professeurs en stratégie
une seule et même page l’ancien et le nouveau profil ship Océan bleu peut permettre de remédier à cela. et management à l’Insead,
de leadership, il nous est facile de suivre la Les « canevas du leadership » donnent aux salariés dont ils codirigent le Blue
progression de l’un à l’autre. Tout le monde peut voir un cadre de travail visuel et concret dans lequel ils Ocean Strategy Institute,
à Fontainebleau, en France.
clairement, et précisément, où nous en sommes dans peuvent identifier des améliorations à apporter au Ensemble, ils ont cosigné
la transition. » leadership en place et en discuter. L’équité du proces- « Blue Ocean Strategy »
(Harvard Business School
Le bénéfice premier que ce processus apporte, sus permet une mise en œuvre et un suivi du chan- Press, 2005). Le livre
lorsqu’il est correctement mené à bien, est un gain de gement plus faciles que dans les approches tradi- a été réédité en français
confiance et donc de coopération volontaire, ce qui tionnelles émanant du haut de la hiérarchie. De plus, en 2015. Voir aussi www.
blueoceanstrategy.com
constitue un élément vital de la relation entre le lea- le leadership Océan bleu permet une transformation
La version originale
der et ceux qui le suivent. Toute personne ayant un qui nécessite moins de temps et d’efforts, car les lea- de cet article a été publiée
jour travaillé en entreprise sait à quel point la ders ne cherchent pas à changer leur personnalité ou en mai 2014 dans l’édition
confiance est importante. Si vous pouvez vous fier à se défaire d’habitudes prises de longue date. Ils américaine de HBR.
aux personnes avec lesquelles vous travaillez et aux modifient tout simplement les tâches qu’ils accom-
processus que vous devez appliquer, vous n’hésiterez plissent. Mieux encore, l’une des grandes forces du
pas à en faire plus et à donner le meilleur de vous- leadership Océan bleu réside dans la possibilité de
même. A l’inverse, si la confiance fait défaut, vous l’adapter à plus  ou moins grande échelle. Vous n’avez
vous contenterez de remplir vos obligations au pied pas besoin d’attendre que la direction de votre entre-
de la lettre telles qu’elles sont décrites dans votre prise lance le processus. Quel que soit le niveau de
contrat de travail et vous consacrerez plus d’énergie à management auquel vous appartenez, vous pouvez
défendre votre pré carré qu’à conquérir de nouveaux réveiller le potentiel qui sommeille dans vos équipes
clients et à créer de la valeur. Non seulement ce sera en les invitant à traverser avec vous ces quatre étapes.
un gâchis en termes de compétences, mais cela nuira, Alors, êtes-vous prêt vous aussi à devenir un
souvent, aux performances de l’entreprise. « leader Océan bleu » ?

L'I D É E E N P R ATI Q U E

UTILISEZ LA MATRICE DU LEADERSHIP OCÉAN BLEU ÉLIMINER RENFORCER


Quelles sont les actions Quelles sont les actions
La matrice du leadership Océan bleu est un outil et activités dans et activités dans
analytique qui invite les salariés à réfléchir aux actions lesquelles les leaders lesquelles les leaders
et aux activités que les leaders devraient réduire, parce investissent leur temps investissent leur temps
et leur intelligence et leur intelligence
qu’elles entravent les équipes, et à celles dans lesquelles qui devraient être qui devraient être
ils devraient davantage s’investir, car elles incitent les éliminées ? beaucoup plus
équipes à donner le meilleur d’elles-mêmes. Les activités développées ?
courantes appartenant aux profils actuels des leaders RÉDUIRE CRÉER
(qu’elles ajoutent de la valeur ou non) et les nouvelles Quelles sont les actions Quelles sont les
et activités dans actions et activités
activités qui, selon les employés, ajouteraient une valeur lesquelles les leaders dans lesquelles les
significative si les leaders les entreprenaient, sont réparties investissent leur temps leaders devraient
entre les quatre catégories de la matrice. Les entreprises et leur intelligence qui investir leur temps
devraient être réduites et leur intelligence
se basent ensuite sur ces matrices pour élaborer bien en deçà de leur et ne le font
les nouveaux profils visant un leadership efficace. niveau actuel ? pas actuellement   ?

74 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


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LES SEPT LOGIQUES D’ACTION DES LEADERS

LES SEPT
LOGIQUES D’ACTION
DES LEADERS
On ne naît pas leader, on le devient. Et la façon
dont un leader évolue est cruciale en matière de
changement organisationnel.
Par David Rooke et William R. Torbert. Illustrations : Lucille Clerc

76 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 77
LES SEPT LOGIQUES D’ACTION DES LEADERS

L A PLUPART DES PSYCHOLOGUES DU DÉVELOPPEMENT S’ACCORDENT


À DIRE QUE CE QUI DIFFÉRENCIE LES LEADERS N’EST PAS TANT LEUR
PHILOSOPHIE DU LEADERSHIP, LEUR PERSONNALITÉ OU LEUR STYLE DE
MANAGEMENT QUE LEUR «LOGIQUE D’ACTION» INTÉRIEURE. C’EST-À-DIRE
LA MANIÈRE DONT ILS INTERPRÈTENT CE QUI LES ENTOURE ET RÉAGISSENT
QUAND LEUR POUVOIR OU LEUR SÉCURITÉ SONT MIS EN CAUSE. POURTANT,
RELATIVEMENT PEU DE LEADERS ESSAIENT DE COMPRENDRE LEUR PROPRE
LOGIQUE D’ACTION. ET ILS SONT ENCORE MOINS NOMBREUX À EXPLORER LA
POSSIBILITÉ D’EN CHANGER.
Ils devraient s’y mettre, parce que nous avons propres actions et le monde qui les entoure. Ces « por-
découvert que les leaders qui entreprennent une traits » permettent d’identifier, parmi les sept lo-
démarche de compréhension et de développement giques d’action de développement – opportuniste,
d’eux-mêmes peuvent non seulement sublimer leur diplomate, expert, fonceur, individualiste, stratège
propre potentiel, mais aussi celui de leur entreprise. ou alchimiste –, celle qui sert de mode de pensée pré-
Au cours de notre étroite collaboration avec la psy- dominant chez un leader. Les leaders peuvent chan-
chologue Susanne Cook-Greuter –  et de nos 25 ans de ger de catégorie à mesure du développement de leurs
consulting fondé sur des enquêtes approfondies aptitudes. Ainsi, repasser le Leadership Development
dans des entreprises telles que Deutsche Bank, Har- Profile après plusieurs années peut indiquer si, oui ou
vard Pilgrim Health Care, Hewlett-Packard, NSA, non, la logique d’action d’un leader a évolué.
Trillium Asset Management, Aviva et Volvo  – nous Pendant 25 ans (entre 1980 et 2005, NDLR), nous
avons travaillé avec des milliers de cadres cherchant avons, comme d’autres chercheurs, fait remplir ces
à développer leurs compétences de leadership. La phrases à compléter à des milliers de managers et de
bonne nouvelle, c’est que les leaders qui font l’effort professionnels, la plupart âgés de 25 à 55 ans, dans
de comprendre leur propre logique d’action peuvent des centaines d’entreprises américaines et euro-
améliorer leur aptitude à diriger. Mais, pour ce faire, péennes (ainsi que des organismes à but non lucratif
il est important de commencer par identifier quel et gouvernementaux) de divers secteurs. Nous nous
genre de leader vous êtes actuellement. sommes aperçus que les niveaux de performance des
entreprises comme des personnes variaient en fonc-
SEPT STYLES DE LEADERSHIP tion de la logique d’action. Surtout, nous avons dé-
Notre étude s’appuie sur un outil d’enquête consti- couvert que les trois types de leaders qui étaient as-
tué de phrases avec des blancs à remplir, appelé le sociés à une performance d’entreprise en dessous de
Leadership Development Profile (« profil de dévelop- la moyenne (les opportunistes, les diplomates et les
pement du leadership »). Ce test consiste à demander experts) représentaient 55% de notre panel. Ils
aux participants de compléter 36 phrases qui com- étaient significativement moins efficaces dans la
mencent par des formules comme «Un bon leader...». mise en œuvre de stratégies organisationnelles que
Leurs réponses varient grandement : les fonceurs, qui représentent 30% du panel. De plus,
« ... fait claquer le fouet. » seuls les derniers 15% du panel de managers (les indi-
« ... se rend compte qu’il est important que ses vidualistes, les stratèges et les alchimistes) mon-
subordonnés atteignent un haut niveau de traient une capacité constante à innover et à trans-
performance. » former leur entreprise avec succès.
« ... jongle avec des forces concurrentes et assume Pour comprendre comment les leaders se re-
la responsabilité de ses décisions. » trouvent classés dans des catégories et des niveaux
En demandant aux participants de compléter des de performance d’entreprise si différents, penchons-
phrases de ce genre, il est possible pour des évalua- nous plus en détail sur chacun des styles de leader-
teurs très qualifiés de dresser le portrait des diffé- ship, en partant du moins productif (qui est aussi le
rentes manières dont les participants analysent leurs moins complexe).

78 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F
LE CONSTAT LE PIÈGE À EVITER LA VOIE À SUIVRE permet de remettre
Toute entreprise a besoin de Comment éviter un tel Certains leaders s’appuient en cause les représentations
leaders transformationnels scénario ? En commençant sur des logiques d’action qui contraignent leur
– ceux qui conduisent des par admettre que les qui entravent la organisation et de surmonter
changements qui augmentent grands leaders ne performance de l’entreprise. la résistance au changement.
la rentabilité, la part de se distinguent pas par Les opportunistes, par Ils créent des visions
marché et bouleversent leur personnalité ou exemple, croient qu’il faut partagées convaincantes
les règles du jeu dans par leur philosophie gagner par tous les moyens et conduisent les initiatives
leur secteur d’activité. mais par leur logique et exploitent souvent pragmatiques nécessaires
Mais peu de dirigeants d’action, c’est-à-dire les autres pour remporter pour les concrétiser.
comprennent les atouts la manière qu’ils ont des victoires personnelles. Même si les stratèges
uniques requis pour d’interpréter leur propre Rares sont ceux qui les suivent sont rares, vous pouvez
devenir un tel leader. comportement et celui bien longtemps. D’autres développer les atouts
Le résultat ? Ils passent des autres, et celle profils s’avèrent de puissants qui les caractérisent.
à côté de l’opportunité de qu’ils ont de garder agents du changement. Comment ? Identifiez votre
développer ces atouts. Eux le pouvoir et de se En particulier les stratèges, actuelle logique d’action et
et leur entreprise y perdent. protèger des menaces. qui pensent que chaque travaillez pour passer au
aspect de leur entreprise niveau supérieur. L’avantage ?
est ouvert à la discussion Vous aidez votre entreprise à
et à la transformation. mener les changements dont
Leur logique d’action leur elle a besoin pour exceller.

1 L’opportuniste
Notre conclusion la plus rassurante est la suivante:
seuls 5% des leaders de notre panel ont été identifiés
comportement en me disant que je suscitais simple-
ment un ‘‘débat ouvert et honnête’’. Le fait est que je
ne savais simplement pas faire mieux que ça. »
comme méfiants, égocentriques et manipulateurs. Rares sont les opportunistes qui restent mana-
Nous appelons ces leaders des opportunistes, un titre gers longtemps, à moins qu’ils n’évoluent vers des
qui reflète leur tendance à se focaliser sur leurs vic- logiques d’action plus efficaces (comme l’a fait
toires personnelles et à voir le monde ainsi que les Ellison). Leur lutte permanente, leur manière de
autres individus comme des opportunités à exploi- s’autoglorifier et leurs fréquentes infractions aux
ter. Leur approche du monde extérieur est largement règles incarnent l’antithèse du genre de leader pour
déterminée par leur sentiment de contrôle – en qui les gens veulent travailler sur le long terme. Si
d’autres termes, la manière dont ils vont réagir à un vous avez travaillé pour un opportuniste, vous vous
événement dépend avant tout de s’ils pensent pou- en souvenez sûrement comme d’un moment diffi-
voir, ou pas, en manœuvrer l’issue. Ils traitent les cile. De même, les environnements de travail qui
autres comme des objets ou des concurrents qui alimentent l’opportunisme ne durent que rarement,
agissent aussi pour leur propre intérêt. même si les opportunistes survivent souvent plus
Les opportunistes ont tendance à considérer leur longtemps qu’ils ne le devraient car ils génèrent une
mauvais comportement comme légitime, dans un atmosphère grisante dans laquelle les cadres les
monde régi par la loi du talion (« œil pour œil, dent plus jeunes, en particulier, peuvent prendre des
pour dent »). Ils rejettent les feed-back, blâment en risques. Comme l’a dit un cadre supérieur de l’en-
public et contre-attaquent durement. On peut obser- treprise Enron (qui a fait faillite en 2001, NDLR) :
ver cette logique d’action dans les premiers travaux «Avant la chute, nous avons vécu des années pas-
de Larry Ellison (cofondateur d’Oracle en 1977, dont sionnantes. Nous avions l’impression de pouvoir
il a été le P-DG jusqu’en 2014, NDLR). Ellison décrit le tout faire, nous tirer de toutes les situations, écrire
style managérial du début de sa carrière comme un nos propres règles. Le train avançait à une vitesse
« management par le ridicule ». «Vous devez être bon infernale, mais nous montions tous à bord.» Bien
en intimidation intellectuelle et en harcèlement sûr, les actionnaires et retraités d’Enron ont pu esti-
rhétorique, a-t-il dit un jour à Matthew Symonds, mer (à raison) qu’ils payaient un prix bien trop élevé
journaliste à “The Economist”. J’excusais mon pour cette aventure.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 79


LES SEPT LOGIQUES D’ACTION DES LEADERS

2 Le diplomate
Le diplomate donne un sens au monde qui l’en-
toure avec plus de bienveillance que l’opportuniste,
à remplacer un certain nombre de cadres dirigeants
qui avaient de sérieux et récurrents problèmes de
performance et qui résistaient au programme de
mais cette logique d’action peut aussi avoir des ré- changement initié par son prédécesseur. Parce que
percussions extrêmement négatives si le leader est ces changements s’avéraient controversés, le diplo-
un cadre dirigeant. Loyal envers le groupe qu’il sert, mate évitait les réunions, allant jusqu’à planifier des
le diplomate cherche à satisfaire ses collègues – ceux déplacements professionnels au moment où l’équipe
qui occupent des positions supérieures à la sienne –, de direction devait se réunir. Les membres de
tout en évitant le conflit. Cette logique d’action met l’équipe étaient si déçus par l’attitude du diplomate
l’accent sur l’exercice d’un contrôle sur son propre qu’ils ont fini par démissionner en masse. Il a «ré-
comportement – plus que sur les événements exté- solu» cette crise en remerciant l’équipe publique-
rieurs ou les autres. Selon la logique d’action du di- ment pour sa contribution et en y nommant de nou-
plomate, un leader obtient plus de reconnaissance et veaux membres. Finalement, face à l’accumulation
d’influence durables en composant avec les normes des pertes dues à ce piètre management, le comité de
du groupe et en accomplissant correctement ses mis- direction a décidé de rétrograder le diplomate à son
sions quotidiennes. précédent rôle de vice-président.
Dans un rôle de soutien ou dans le cadre d’une
équipe, ce type de responsable a beaucoup à offrir.
Les diplomates fournissent un ciment social à leurs
collègues et s’assurent que les besoins des autres
3 L’expert
La catégorie de leaders la plus importante est
celle des experts, qui représentent 38% des profes-
font l’objet d’attention, ce qui est probablement la sionnels de notre panel. Contrairement aux opportu-
raison pour laquelle la majorité des diplomates tra- nistes, dont la priorité est d’essayer de contrôler le
vaillent aux postes de managers les plus subalternes monde qui les entoure, et aux diplomates, qui s’at-
comme manager de premier niveau, représentant du tachent à contrôler leur propre comportement, les
service client ou infirmier praticien. En effet, une experts tentent d’exercer un contrôle en améliorant
enquête auprès de 497 managers dans différents sec- leur savoir, tant dans leur vie professionnelle que
teurs a montré que 80% des diplomates occupaient personnelle. Elaborer un raisonnement indiscutable
des postes subalternes. A contrario, 80% des stra- est extrêmement important pour les experts. Sans
tèges travaillaient à des échelons supérieurs, ce qui surprise, de nombreux comptables, analystes en in-
laisse supposer que les managers qui évoluent vers vestissement, chercheurs en marketing, ingénieurs
une logique d’action plus efficace – comme celle des software et consultants fonctionnent selon la logique
stratèges – ont plus de chance d’être promus. d’action des experts. Sûrs de leur savoir-faire, ils
Les diplomates posent bien plus problème usent de données factuelles et d’une logique impla-
lorsqu’ils endossent des rôles de hauts dirigeants, car cable dans leur tentative d’obtenir le consensus et
ils essayent d’ignorer le conflit. Ils ont tendance à l’adoption de leurs propositions.
être excessivement polis et aimables et trouvent qua- Les experts sont de formidables contributeurs
siment impossible de donner un feed-back qui met- individuels grâce à leur quête perpétuelle du progrès,
trait les autres à l’épreuve. Initier le changement, de l’efficacité et de la perfection. Mais en tant que
avec ses inévitables conflits, représente une grave managers, ils peuvent poser problème car ils sont
menace pour le diplomate. Il va l’éviter à tout prix, absolument sûrs d’avoir raison. Quand les subordon-
au point même de s’autodétruire. nés parlent d’un patron du genre « à ma façon ou
Prenons l’exemple d’un diplomate qui est devenu rien », ils parlent sans doute de quelqu’un qui fonc-
P-DG par intérim d’une entreprise lorsque son tionne selon la logique d’action des experts. Ils ont
prédécesseur est mort subitement d’une rupture tendance à voir la collaboration comme une perte de
d’anévrisme. Quand le comité de direction s’est di- temps (« Toutes les réunions ne sont pas une perte de
visé sur le choix d’un successeur définitif, il a de- temps... certaines sont annulées ! ») et ils vont sou-
mandé au diplomate de poursuivre sa mission. Notre vent considérer avec dédain l’opinion de ceux qui
diplomate a apprécié son rôle de maître de cérémo- sont moins experts qu’eux. L’intelligence émotion-
nie et était un intervenant très demandé dans les nelle n’est ni souhaitée ni appréciée. Comme l’a dit
manifestations publiques. Malheureusement, il a Scott McNealy, alors P-DG de Sun Microsystems
trouvé bien moins à son goût les nécessaires conflits (rachetée par Oracle en 2009, trois ans après son
induits par la fonction. Il n’a pas réussi, par exemple, départ, NDLR) : « Je ne fais pas dans les sentiments, je

80 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


laisse ça à Barry Manilow (chanteur et compositeur
américain, NDLR). »
Il n’est donc pas étonnant qu’après avoir, sans
succès, plaidé pour réduire les coûts face aux pertes
grandissantes pendant l’éclatement de la bulle Inter-
net en 2001 et 2002, près d’une douzaine de membres
de l’équipe de direction de McNealy soit partie.

4 Le fonceur
Pour ceux qui espèrent un jour travailler pour
un manager qui les met au défi tout en les soutenant
et qui crée un bon esprit d’équipe ainsi qu’une at-
mosphère de collaboration transversale, voici une
bonne nouvelle. Une grande proportion, soit 30%
des managers de notre étude, ont été identifiés
comme des fonceurs. Même si ces leaders établissent
un environnement de travail positif et concentrent
leurs efforts sur les objectifs, l’inconvénient est le
suivant : leur style empêche souvent de penser hors
des sentiers battus.
Les fonceurs ont une vision du monde bien plus
complexe et intégrée que les managers qui mani-
festent les trois logiques d’action décrites précédem-
ment. Ils sont ouverts aux feed-back et se rendent
compte que nombre d’ambiguïtés et de conflits du
quotidien sont dus à des différences entre les inter-
prétations et entre les manières de communiquer. Ils
savent que transformer ou résoudre les différends
avec créativité demande une sensibilité aux relations
humaines et la capacité d’influencer les autres dans
le bon sens. Les fonceurs peuvent aussi diriger une
équipe avec fiabilité pour mettre en œuvre de nou-
velles stratégies sur une période allant de un à trois
ans, en équilibrant les objectifs immédiats et à long
terme. Une étude sur des ophtalmologues en cabinet
libéral a montré que ceux qui étaient identifiés
comme fonceurs connaissaient un turnover du per-
sonnel moins important, déléguaient plus de respon-
sabilités et détenaient des cabinets qui gagnaient au
moins deux fois le chiffre d’affaires de ceux dirigés
par des experts.
Les fonceurs sont souvent en désaccord avec les
experts. Le subordonné expert, en particulier, trouve
Initier le changement, avec
le leader fonceur difficile à supporter parce qu’il ne ses inévitables conflits,
peut pas nier la réalité de la réussite du fonceur
même s’il se sent supérieur. Prenons l’exemple de représente une grave menace
Hewlett-Packard, où les ingénieurs de recherche ont
tendance à être identifiés comme des experts et les
pour le diplomate . Il va
responsables de laboratoires comme des fonceurs de
haut niveau. Lors d’une réunion de projet, une res-
l’éviter à tout prix, au point
ponsable de laboratoire – incontestablement une même de s’autodétruire.
fonceuse – a posé sa tasse à café avec fracas sur la

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 81


LES SEPT LOGIQUES D’ACTION DES LEADERS

table et s’est exclamée : « Je sais que l’on peut mettre intervenir (ce n’était pas la première fois) pour ré-
18 fonctionnalités là-dedans, mais le client veut une soudre un problème créé par son incapacité à
livraison au cours de ce siècle et les huit fonctionna- prendre en considération les processus clés pour
lités principales feront l’affaire. » « Béotienne », a gro- l’entreprise ainsi que les individus qui ne faisaient
gné un ingénieur – un expert. Mais ce genre de pas partie de son équipe.
conflit n’est pas toujours destructeur. En fait, il four- De nombreuses dynamiques créées par des lo-
nit une grande partie du carburant qui déclenche – giques d’action différentes sont illustrées par cette
et maintient – la compétitivité de nombreuses entre- histoire et son dénouement. Le P-DG, dont la propre
prises parmi les plus brillantes des Etats-Unis. logique d’action était celle d’un fonceur, ne voyait
pas comment il pouvait mettre Sharon au défi de

5 L’individualiste
La logique d’action de l’individualiste admet
qu’aucune logique d’action (y compris elle-même)
progresser et d’arrêter de créer de tels problèmes.
Bien que partagé à son sujet, il a décidé de la garder
parce qu’elle faisait ce que l’on attendait d’elle et que
n’est «naturelle», que toutes sont des constructions l’entreprise venait de perdre plusieurs managers
de l’individu et du monde. Cette idée apparemment compétents, bien que peu conventionnels.
abstraite permet aux 10% de leaders individualistes Sharon est donc restée, mais cela n’a duré qu’un
de donner à leur entreprise une valeur aussi utile temps. Elle a fini par quitter l’entreprise pour lancer
qu’unique. Ils mettent les personnalités et les modes un cabinet de conseil en offshore. Quand nous étu-
de communication en perspective et communiquent dierons, dans la seconde partie de cet article, com-
bien avec les gens qui ont d’autres logiques d’action ment aider les dirigeants à changer de logique d’ac-
que la leur. tion de leadership, nous reviendrons sur cette
Ce qui distingue les individualistes des fonceurs, histoire pour voir comment Sharon et son P-DG
c’est qu’ils ont conscience d’un possible conflit entre auraient pu réussir à transformer les leurs.
leurs principes et leurs actes, ou entre les valeurs de
l’entreprise et leur manière de les appliquer. Ce
conflit devient source de tensions, de créativité et
entraîne un désir croissant de progression plus avant.
6 Le stratège
Les stratèges ne constituent que 4% des lea-
ders. Ce qui les distingue des individualistes est
Les individualistes ont également tendance à l’attention qu’ils portent aux contraintes et à
ignorer les règles qu’ils considèrent inutiles, ce qui l’image de l’organisation, considérées comme dis-
fait souvent d’eux une source d’agacement tant pour cutables et transformables. Alors que l’individua-
leurs collègues que pour leurs patrons. «Alors, qu’en liste maîtrise la communication avec ses collègues
pensez-vous ?», nous a demandé l’un de nos clients qui ont des logiques d’action différentes, le stratège
alors qu’il débattait de la possibilité de laisser partir maîtrise les répercussions des actes et des accords
un de ses as de la performance, une femme qui avait sur l’organisation. Le stratège est aussi doué pour
été identifiée comme individualiste. Sharon (ce n’est créer des visions partagées par les différentes lo-
pas son vrai prénom) avait pour mission de monter giques d’action – des visions qui encouragent les
une fonction de service mutualisée offshore en transformations tant personnelles qu’organisation-
République tchèque pour fournir une assistance in- nelles. Selon la logique d’action du stratège, le
formatique à deux divisions, distinctes et en concur- changement organisationnel et social est un proces-
rence en interne, qui opéraient là-bas. Elle a formé sus de développement itératif qui nécessite une
une équipe très soudée en respectant le budget et conscience de soi et une attention particulière de la
avec une telle avance sur le calendrier qu’elle ironi- part du leadership.
sait: « Je livre les services avant même que le dépar- Les stratèges sont plus à l’aise pour gérer les
tement de gestion des risques du groupe ne sorte conflits que ceux qui manifestent d’autres logiques
son rapport affirmant que cela ne peut pas se faire. » d’action et ils sont plus doués pour s’occuper de la
Le souci était que Sharon avait une réputation résistance au changement instinctive des gens. Par
d’électron libre dans toute l’entreprise. Quoiqu’elle conséquent, les stratèges sont de très efficaces
ait fait preuve d’une grande perspicacité politique agents du changement. Nous en avons eu
quand il s’agissait de ses projets personnels, elle a confirmation dans une étude menée sur dix P-DG
offusqué de nombreuses personnes de l’entreprise à dans six secteurs différents. Toutes leurs entre-
cause de sa manière unique et peu conventionnelle prises avaient l’objectif affiché de se transformer et
de procéder. Finalement, le P-DG a été appelé à avaient engagé des consultants pour les aider dans

82 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


ce processus. Chaque P-DG a complété un Leader-
ship Development Profile. Ces profils ont montré
que cinq d’entre eux étaient des stratèges et que les
7 L’alchimiste
La dernière logique d’action pour laquelle nous
disposons de données et d’expérience est celle de
cinq autres étaient répartis entre d’autres logiques l’alchimiste. Nos recherches sur les quelques leaders
d’action. Les stratèges ont réussi à générer une ou que nous avons identifiés comme alchimistes
plusieurs transformations organisationnelles sur laissent supposer que ce qui les distingue des stra-
une période de quatre ans. La rentabilité, la part de tèges est leur capacité à se renouveler ou même à se
marché et la réputation de leur entreprise s’étaient réinventer, ainsi que leur entreprise, de manière his-
toutes améliorées. Au contraire, seuls deux des cinq toriquement significative. Alors que le stratège va
autres P-DG ont réussi à transformer leur entreprise passer d’un engagement à un autre, l’alchimiste a
– malgré l’aide des consultants qui avaient eux- une extraordinaire capacité à gérer simultanément
mêmes des profils de stratèges. de nombreuses situations à différents niveaux. L’al-
Les stratèges sont fascinés par trois niveaux chimiste peut parler aux rois comme aux roturiers. Il
d’interaction sociale différents : les relations per- peut s’occuper des priorités immédiates sans jamais
sonnelles, les relations organisationnelles et les perdre de vue les objectifs à long terme.
développements nationaux et internationaux. Pre- Les alchimistes représentent 1% de notre panel,
nons l’exemple de Joan Bavaria, une P-DG qui, en ce qui montre combien il est rare de les trouver dans
1985, était identifiée comme stratège. Bavaria a créé le monde des affaires ou n’importe où ailleurs. Par le
l’un des premiers fonds d’investissement sociale- biais d’un processus de recherche approfondi, nous
ment responsables, une nouvelle sous-division du
secteur de l’investissement, qui, dès fin 2001, gérait
plus de trois mille milliards de dollars. En 1982, Ba- L’alchimiste peut s’occuper
varia a créé Trillium Asset Management, une entre-
prise détenue par ses salariés (qu’elle a dirigée des priorités immédiates
jusqu’à son décès en 2008, NDLR). Elle a également
coécrit les Principes environnementaux du Ceres
sans jamais perdre de vue
que des dizaines de sociétés de premier ordre ont
signés. A la fin des années 1990, Ceres, en partena-
les objectifs à long terme.
riat avec les Nations unies, a créé la Global Repor-
ting Initiative, qui soutient la transparence et la avons trouvé six alchimistes volontaires pour parti-
responsabilité financières, sociales et environne- ciper à une étude poussée de leurs tâches quoti-
mentales à travers le monde. diennes. Quoiqu’il s’agisse à l’évidence d’un tout
Nous voyons ici la logique d’action du stratège à petit nombre qui ne peut pas statistiquement justi-
l’œuvre. Bavaria a saisi le moment unique où elle fier une généralisation, il est utile de noter que ces
pouvait transformer l’investissement éthique en six alchimistes partageaient certaines caractéris-
business viable, puis a fondé Trillium pour mettre tiques. Au quotidien, tous étaient impliqués dans
son plan à exécution. Les stratèges ont en général diverses organisations et trouvaient le temps de trai-
des idées de business avec une conscience sociale, ter les problèmes soulevés par chacune d’elles. Ce-
qui sont menées à bien de manière très collaborative. pendant, ils n’étaient pas dans la précipitation per-
Ils cherchent à combiner des visions idéalistes à des manente – ils ne consacraient pas non plus plusieurs
initiatives pragmatiques et opportunes ainsi qu’à des heures d’affilée à une seule activité. En général, les
actions de principe. Bavaria a travaillé au-delà des alchimistes sont charismatiques, ont une conscience
limites de sa propre entreprise pour influencer le aiguë et vivent selon des critères moraux élevés. Ils
domaine de l’investissement socialement respon- s’attachent intensément à la vérité. Surtout, ils sont
sable dans son ensemble et a ensuite fait du dévelop- capables de saisir des moments uniques dans l’his-
pement de standards pour la responsabilité sociale et toire de leur entreprise en créant des symboles et des
environnementale une démarche internationale en y métaphores qui touchent le cœur et l’esprit des gens.
impliquant les Nations unies. De nombreux fonceurs Dans un établissement financier conservateur au
vont utiliser leur influence pour promouvoir avec Royaume-Uni, un P-DG récemment nommé est ar-
succès leur propre entreprise. Le stratège s’efforce de rivé au travail vêtu d’un survêtement au lieu de son
créer des principes et pratiques éthiques qui dé- habituel costume à rayures, mais n’en a touché mot
passent ses intérêts ou ceux de son entreprise. à personne. Les gens se sont demandé s’il s’agissait

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 83


LES SEPT LOGIQUES D’ACTION DES LEADERS

d’un nouveau code vestimentaire. Des semaines plus sur le terrain avec un maillot des Springboks que
tard, le P-DG s’est exprimé publiquement au sujet de détestaient tant les Sud-Africains noirs, levant en
sa tenue, de la nécessité d’être non conformiste et de même temps son poing fermé – salut du Congrès
se déplacer avec plus d’agilité et de rapidité. national africain (ANC), lançant ainsi un appel re-
Nelson Mandela est un exemple plus célèbre d’al- marquable aux Sud-Africains noirs comme blancs.
chimiste. Même si nous n’avons jamais formelle- Comme Tokyo Sexwale, activiste de l’ANC et Premier
ment établi son profil, il incarne la logique d’action ministre de la province du Gauteng, a dit à son sujet :
de l’alchimiste. En 1995, Mandela a symbolisé l’unité « Seul Mandela pouvait porter un maillot ennemi.
de la nouvelle Afrique du Sud quand il s’est rendu au Seul Mandela pouvait descendre là-bas et être asso-
match de la Coupe du monde de rugby auquel parti- cié aux Springboks. Toutes les années sous terre,
cipaient les Springboks, l’équipe nationale sud-afri- dans les tranchées, le déni, le déni de soi, loin de
caine. Le rugby avait été le bastion de la suprématie chez soi, la prison, ça en valait la peine. C’est tout ce
blanche mais Mandela a assisté au match. Il est entré que nous voulions voir. »

Sept façons d’être leader


Les différents leaders font preuve de types de logiques d’action. Les moins être la première étape vers le
différents types de logiques d’action – c’est- efficaces en matière de leadership développement d’un style de leadership
à-dire les manières dont ils interprètent ce organisationnel sont celles des plus efficace. Si vous vous identifiez
qui les entoure et réagissent quand leur opportunistes et des diplomates ; à un individualiste, par exemple, vous
pouvoir ou leur sécurité sont mis en cause. les plus efficaces sont celles des stratèges et pouvez travailler, par le biais d’actions
Dans notre recherche effectuée auprès de des alchimistes. formelles et informelles, à développer les
milliers de leaders, nous avons observé sept Connaître votre propre logique d’action peut atouts et les caractéristiques d’un stratège.

LOGIQUE D’ACTION CARACTÉRISTIQUES FORCES FAIBLESSES


% du panel de l’étude

Opportuniste Gagne par tous les moyens. Egocentré, Bon en cas d’urgence et Rares sont les gens qui le suivent
5% manipulateur, adepte de « la loi du plus fort ». d’opportunités commerciales. longtemps.
Diplomate Evite les conflits ouverts. Veut trouver Bon en tant que ciment Ne peut pas donner de feed-
12% sa place, se plie aux normes de groupe ; de soutien au bureau ; back négatifs ou prendre des
ne fait pas de vagues. aide à fédérer les individus. décisions difficiles pour
améliorer la performance.
Expert Dirige avec logique et expertise. Bon contributeur individuel. Manque d'intelligence
38% Recherche l'efficacité rationnelle. émotionnelle, manque
de respect pour ceux qui ont
moins d'expertise que lui.
Fonceur Atteint les objectifs stratégiques. Atteint Bien adapté aux rôles Empêche de penser
30% efficacement les objectifs avec ses équipes ; managériaux ; porté sur l’objectif hors des sentiers battus.
jongle entre les devoirs managériaux et les et l'action.
demandes du marché.
Individualiste Croise les logiques d'action en concurrence, Efficace dans des rôles Agace les collègues et les
10% personnelles et organisationnelles. Crée des d'initiative et de consulting. patrons en ne tenant pas
structures uniques pour réduire les écarts compte des processus et des
entre la stratégie et la performance. personnes clés pour l’entreprise.
Stratège Génère des transformations Efficace comme leader Aucune.
4% organisationnelles et personnelles. Esprit transformationnel.
très collaboratif ; élabore des projets avec
des initiatives pragmatiques et opportunes ;
lutte contre les idées reçues.
Alchimiste Génère des transformations sociales. Bon pour mener des Aucune.
1% Intègre la transformation matérielle, transformations à l'échelle de la
spirituelle et sociétale. société.

84 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


ÉVOLUER EN TANT QUE LEADER soutenir un changement de leadership. Jenny a fait
La découverte la plus marquante – et la plus encou- l’expérience d’une perte de confiance dans le sys-
rageante – de notre recherche est la suivante : les tème et d’un sentiment d’ennui, d’agacement, de
leaders peuvent passer d’une logique d’action à une burn-out, de dépression et même de colère. Elle s’est
autre. Nous avons en effet trouvé plusieurs exemples mise à se poser des questions existentielles. Mais un
de leaders qui ont réussi à passer de la catégorie ex- autre signe de la disposition d’un leader à changer
pert à fonceur, de fonceur à individualiste et d’indi- est une attirance accrue envers les qualités qu’il
vidualiste à stratège. commence à pressentir chez les gens avec des lo-
Prenons le cas de Jenny, l’une de nos clientes, qui giques d’actions plus efficaces. Jenny, comme nous
était initialement identifiée comme experte. Déçue l’avons vu, a été attirée par son groupe de pairs stra-
par son rôle au sein du service de relations publiques tèges de même que par son mentor, qui manifestait
de son entreprise, elle a démissionné afin de «faire le la logique d’action de l’alchimiste, et elle en a gran-
point sur ce que je veux vraiment faire», expliquait- dement bénéficié. Cette recherche de nouveaux
elle. Six mois plus tard, elle a rejoint une entreprise points de vue transparaît souvent au cours des trans-
différente dans un rôle similaire et, deux ans après, formations personnelles : le leader prêt à changer
nous avons de nouveau établi son profil : elle était commence à nouer de nouvelles relations. Il peut
toujours identifiée comme experte. Décider de dé- aussi faire l’expérience de nouvelles formes de pra-
missionner de la première entreprise, de prendre un tiques spirituelles ou de nouvelles formes de concen-
« congé sabbatique » puis de rejoindre une deuxième tration et d’expression personnelle, comme jouer
entreprise n’avait rien changé à sa logique d’action. A d’un instrument de musique ou faire du tai-chi.
ce stade, Jenny a souhaité rejoindre un groupe de Des événements extérieurs peuvent également
pairs, des leaders qui se sont engagés à étudier leurs déclencher et soutenir la transformation. Une pro-
actuels modèles de leadership et à expérimenter de motion, par exemple, peut donner à un leader l’op-
nouvelles manières d’agir. Ce groupe privilégiait le portunité d’élargir sa palette d’aptitudes. Plus haut,
point de vue du stratège (et le fondateur du groupe a nous avons évoqué la frustration d’ingénieurs de
été identifié comme un alchimiste), ce qui a finale- recherche experts chez Hewlett-Packard face à l’atti-
ment aidé au développement de Jenny. Elle a appris tude des responsables de laboratoires fonceurs en ce
que son habitude de toujours adopter une posture qui concerne les produits et la livraison. Un an après
critique, qu’elle considérait comme « utilement ob- sa promotion, un ingénieur jusqu’alors « expert »,
jective », l’isolait et générait de la défiance. Suite aux devenu responsable de laboratoire –  rôle qui néces-
feed-back du groupe de pairs, elle a commencé une site une coordination avec les autres et la coopéra-
série de petites expériences privées, comme poser tion entre services –, était identifié comme « fon-
des questions au lieu de critiquer. Elle s’est rendu ceur ». Bien qu’il ait au départ subi les foudres de ses
compte qu’au lieu de voir les défauts chez les autres, anciens camarades (« Vendu ! »), sa nouvelle
elle devait clarifier en quoi elle pouvait participer et, conscience de fonceur signifiait qu’il portait plus
ce faisant, a commencé le passage d’experte à fon- d’attention aux besoins des clients et déchiffrait
ceuse. Spirituellement, Jenny a appris qu’elle avait mieux les plannings de livraison. Pour la première
besoin d’une communauté de questionnement au fois, il comprenait le manège entre les ingénieurs
quotidien au centre de sa vie, et a trouvé un foyer tentant de perfectionner la technologie et les mana-
pour poursuivre sa réflexion dans des réunions de gers essayant de livrer des produits sans dépasser
quakers (Société religieuse des Amis, NDLR) qui, budgets et délais.
plus tard, ont soutenu (et ont d’ailleurs signalé) sa Les changements dans les pratiques de travail et
transformation de fonceuse en individualiste. l’environnement d’un manager peuvent aussi facili-
Deux ans plus tard, Jenny a quitté ce deuxième ter sa transformation. Dans l’une des entreprises que
emploi pour lancer sa propre entreprise, moment où nous avons étudiées, les leaders passaient de fon-
elle a commencé à être identifiée comme stratège. ceurs à individualistes en partie grâce à de simples
Passer par trois logiques d’action différentes en une changements d’organisation et de processus. Par
période si courte était très inhabituel. Nous n’avons exemple, les dirigeants autres que le P-DG avaient
eu que deux autres exemples de leaders ayant l’occasion de mener les réunions de l’équipe de di-
changé deux fois en moins de quatre ans. rection. Ces opportunités, encouragées par un nou-
Comme l’illustre le cas de Jenny, un certain vel état d’esprit d’ouverture, de feed-back et des dé-
nombre de changements personnels peuvent bats francs, ont permis à de nombreux leaders de

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 85


LES SEPT LOGIQUES D’ACTION DES LEADERS

l’entreprise de se développer professionnellement. conscience des différentes hypothèses qu’eux-


Des interventions de développement planifiées et mêmes ou les autres peuvent formuler. Ces efforts
structurées forment un autre moyen de soutenir la peuvent aider les experts à pratiquer de nouvelles
transformation du leadership. Nous avons travaillé stratégies de discussion comme : « Vous avez peut-
avec une éminente entreprise d’exploration pétro- être raison, mais j’aimerais comprendre ce qui vous
lière et gazière pour développer les capacités (déjà de amène à croire cela. » De plus, ceux qui souhaitent
haut niveau) d’un groupe de futurs directeurs. Les pousser les experts au niveau supérieur doivent en-
logiques d’action de ces managers ont été identifiées visager de récompenser les compétences des fon-
puis ils ont été interrogés par deux consultants qui ceurs comme l’obtention de résultats dans les délais,
ont exploré chacune de leurs logiques et la façon la capacité à manager pour la performance et la capa-
dont elles les contraignaient ou leur donnaient les cité à mettre en œuvre des priorités stratégiques.
moyens de remplir leurs rôles actuels ou récents. Les Parmi les études en écoles de commerce, les MBA
défis ont été évoqués, de même qu’un aperçu du sont enclins à encourager le développement des
potentiel de l’individu et un possible plan de déve- pragmatiques fonceurs en frustrant les experts per-
loppement. Suite à cet exercice, plusieurs managers fectionnistes. Les lourdes charges de travail, le re-
dont les aptitudes d’individualistes et de stratèges cours à des études de cas multidisciplinaires et ambi-
n’avaient pas été bien comprises par l’entreprise ont gus ainsi que l’obligation de travailler en groupe
été valorisés et impliqués différemment dans leur favorisent le développement des fonceurs. Au
rôle. De plus, la définition même du talent de leader- contraire, les MSc (Masters of Science), en particulier
ship de l’entreprise a été reformulée afin d’y inclure dans des disciplines telles que la finance ou la re-
les aptitudes des logiques d’action des individua- cherche en marketing, ont tendance à renforcer le
listes et des stratèges. A son tour, l’entreprise s’est point de vue des experts.
vue demander de revoir radicalement sa grille de Pourtant, la transition de l’expert au fonceur de-
compétences pour y intégrer des attentes telles que meure l’un des goulots d’étranglement les plus pé-
«voit les problèmes sous plusieurs angles» et «crée nibles dans la plupart des entreprises. Nous avons
un profond changement sans pouvoir formel». tous entendu la sempiternelle complainte d’ingé-
Maintenant que nous avons examiné de façon nieurs, avocats et autres professionnels qui, en rai-
générale certains des changements et interventions son de leur succès en tant qu’experts, se sont vu
qui peuvent soutenir le développement du leader- confier des responsabilités managériales dans le seul
ship, penchons-nous sur certaines spécificités but de les éloigner du travail qu’ils aiment. Leur défi
concernant la manière dont les transformations les consiste dès lors à travailler comme des fonceurs
plus courantes sont susceptibles d’avoir lieu. très efficaces qui peuvent continuer à utiliser leur
expertise approfondie pour réussir en tant que lea-

1 De l’expert au fonceur
Cette transformation est la plus communément
ders et managers.

observée et pratiquée par les hommes et femmes


d’affaires et les acteurs de l’Executive Education et
de la formation en management. En ce qui concerne
2 Du fonceur à l’individualiste
Même si les entreprises et les écoles de com-
merce ont plutôt bien réussi à faire évoluer les
la dernière génération, voire la suivante, les services leaders vers la logique d’action des fonceurs, elles
de formation des grandes entreprises ont soutenu le affichent, à quelques exceptions près, un bilan la-
développement des managers d’experts à fonceurs mentable en matière de reconnaissance, de soutien
en lançant des programmes intitulés « le manage- et de développement actif des leaders vers les
ment par objectifs », « la délégation efficace » et « ma- logiques d’action des individualistes et des stra-
nager les personnes pour des résultats ». Ces pro- tèges, sans parler de celle des alchimistes. Ce n’est
grammes mettent en général l’accent sur l’obtention pas surprenant. Dans de nombreuses organisations,
de résultats par le biais de stratégies souples plutôt le fonceur, fort de son dynamisme et de l’attention
que par le biais d’une bonne méthode utilisée de la qu’il porte au résultat, est considéré comme le but
bonne manière. ultime du développement : «C’est un secteur
Les leaders et les coachs de cadres consciencieux concurrentiel – nous devons absolument nous
peuvent également élaborer des exercices et des concentrer sur le profit.»
questionnements bien structurés en rapport avec le Pour les leaders, dépasser la logique d’action du
travail quotidien pour aider les experts à prendre fonceur demande une approche bien différente de

86 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


La transition de l’expert
celle requise pour la transition d’expert à fonceur. au fonceur demeure l’un des
Les interventions doivent développer la conscience
de soi de la part du leader en évolution tout comme
goulots d’étranglement
une conscience plus aiguë d’autres visions du les plus pénibles dans la plupart
des entreprises.
monde. Dans les relations tant professionnelles que
personnelles, la parole et l’écoute doivent finir par
être vécues non pas comme des moyens nécessaires
et considérés comme acquis de communiquer des
idées prédéfinies, mais comme des actions intrinsè- échanger à plusieurs reprises au cours de l’année à
quement avant-gardistes et créatives. Les fonceurs venir, à partir du moment où vous commencerez à
utilisent le questionnement pour déterminer si eux- appliquer les nouveaux principes auxquels nous
mêmes, les équipes et l’organisation dont ils font aboutirons, quels qu’ils soient. Cela vous paraît-il
partie atteignent leurs objectifs et comment ils pour- être une bonne façon d’utiliser notre temps ou avez-
raient y parvenir plus efficacement. L’individualiste vous un autre point de vue sur le sujet ? »
en développement, toutefois, commence à réfléchir Notez que le consultant dans le rôle du P-DG fait
et à s’interroger à propos des objectifs en eux-mêmes l’éloge de Sharon, puis lui décrit clairement ses
– dans l’optique d’améliorer de futurs objectifs. Les limites, lui propose ensuite la voie à suivre pour al-
plans de développement annuels qui définissent de ler plus loin et finit par une interrogation qui donne
nouveaux objectifs, qui sont générés à partir le moyen au P-DG (qui joue Sharon) de redéfinir le
d’échanges approfondis et menés en toute confiance, dilemme s’il le souhaite. Ainsi, au lieu de donner au
qui sont activement soutenus par le coaching des P-DG un conseil à sens unique sur ce qu’il devrait
cadres et minutieusement révisés en fin de cycle, faire, le coach joue un scénario de dialogue avec lui,
peuvent être des moteurs cruciaux à ce stade. Toute- illustrant un nouveau genre de pratique et laissant
fois, peu de comités de direction et de P-DG appré- le P-DG libre de juger si la relation jouée est une re-
cient à sa juste valeur cet investissement en temps et lation positive. Le but n’est pas tant d’apprendre au
celui-ci se retrouve trop facilement sacrifié face aux P-DG un nouveau registre d’échange mais de le
objectifs à court terme qui peuvent sembler plus ur- mettre plus à l’aise avec la manière dont l’indivi-
gents pour les leaders dont les logiques d’action sont dualiste perçoit et donne un sens au monde qui
moins développées. l’entoure et quel feed-back peut le motiver pour
Revenons au cas de Sharon, l’individualiste dé- qu’il s’engage à apprendre davantage. De telles ex-
crite précédemment, que son P-DG fonceur n’arrivait périmentations précises, avec de nouvelles façons
pas à manager. Comment un coach ou un consultant d’écouter et de parler, peuvent progressivement
aurait-il pu aider ce P-DG à se sentir moins menacé faire disparaître les peurs associées à l’apprentis-
par Sharon et plus apte à soutenir son développe- sage transformationnel.
ment tout en étant plus ouvert à ses propres besoins
et à son propre potentiel ? Il aurait pu par exemple
s’essayer aux jeux de rôles, en demandant au P-DG
de jouer Sharon alors que le coach ou le consultant
3 Vers le stratège et au-delà
Les leaders qui évoluent vers les logiques d’ac-
tion du stratège et de l’alchimiste ne cherchent plus,
aurait endossé le rôle du P-DG. Le jeu de rôle aurait en premier lieu, les compétences personnelles qui
pu se dérouler comme suit : les rendront plus efficaces dans les systèmes d’orga-
« Sharon, je veux vous parler de votre avenir ici, nisation existants. Ils auront déjà maîtrisé la plupart
au sein de notre entreprise. La réalisation du projet de ces compétences. Ils explorent plutôt les disci-
tchèque qui a respecté le budget et qui a été en plines et les engagements en jeu dans la création de
avance est un signe de plus qui montre que vous projets, d’équipes, de réseaux, d’alliances straté-
faites preuve d’initiative, de créativité et de détermi- giques et d’organisations entières à partir d’un ques-
nation pour faire partie de notre équipe de direction. tionnement collaboratif. C’est cette pratique conti-
En même temps, j’ai dû recoller certains morceaux nue de redéfinition par le questionnement qui leur
derrière vous, ce que je n’aurais pas dû avoir à faire. permet, ainsi qu’à leur entreprise, de si bien réussir.
J’aimerais que nous réfléchissions ensemble à la Le cheminement vers les logiques d’action du
manière dont vous pouvez aborder de futurs projets stratège et de l’alchimiste est qualitativement
de façon à éliminer ce désagrément et à mettre les différent des autres processus de développement du
acteurs clés de votre côté. Ensuite, nous pourrons leadership. Pour commencer, les stratèges et les

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 87


LES SEPT LOGIQUES D’ACTION DES LEADERS

alchimistes émergents ne cherchent plus de mentors


pour les aider à aiguiser des compétences existantes
et pour les guider vers des réseaux d’influence
(même s’ils peuvent chercher des conseils spirituels
et éthiques de la part de mentors). Ils cherchent plu-
tôt à s’impliquer dans un mentorat mutuel avec des
pairs qui font déjà partie de leur réseau (tels que des
membres du conseil d’administration, des hauts diri-
geants ou des leaders au sein d’une discipline scien-
tifique). L’objectif de ce mentorat entre pairs expéri-
mentés ne consiste pas, en termes conventionnels, à
augmenter les chances de réussite mais à créer une
communauté durable de personnes qui peuvent re-
mettre en cause les hypothèses et les pratiques du
leader émergent comme celles de son entreprise, de
son secteur ou d’un autre domaine d’activité.
Nous avons justement observé ce genre de déve-
loppement de pair à pair lorsqu’un client expéri-
menté a commencé à s’inquiéter du fait que lui, son
entreprise et l’ensemble de son secteur fonction-
naient à l’échelle du fonceur. Cette inquiétude, bien
sûr, était en soi un signe de sa disposition à dépasser
cette logique. Ce dirigeant – le P-DG d’une entreprise
d’hygiène dentaire – et son entreprise connaissaient
l’un des plus beaux succès parmi les filiales de la
maison mère. Cependant, en prenant conscience que
lui et ceux qui l’entouraient avaient fait profil bas, il
a décidé de lancer un projet de recherche – sur l’in-
troduction d’une hygiène dentaire abordable dans
les pays en développement – qui sortait vraiment des
sentiers battus pour lui comme pour l’entreprise.
Le moment choisi par le P-DG était le bon pour
une telle initiative et il a saisi l’occasion d’entamer un
questionnement collaboratif avec des collègues dans
La plupart des dirigeants tout le pays. Finalement, il a proposé un projet édu-
catif et caritatif que la maison mère a financé. Ce diri-
s’épanouissent dans un geant a été promu à une nouvelle vice-présidence

climat hostile et tirent grand pour les projets internationaux au sein de la maison
mère – une fonction qu’il a exercée avec un sens ac-

plaisir à unir leurs efforts cru de la collaboration et une conscience plus mar-
quée de la responsabilité sociale de son entreprise
et à obtenir des résultats. sur les marchés émergents.
Les processus formels de formation et de déve-
loppement peuvent également guider les individus
vers une logique d’action de stratège. Les pro-
grammes dans lesquels les participants agissent
comme des leaders et remettent en question leurs
hypothèses souvent convenues sur le leadership et
l’organisation sont très efficaces. De tels programmes
se déroulent soit sur le long terme (un ou deux ans)
soit par le biais d’expériences répétées et intenses qui
favorisent une prise de conscience de chaque instant

88 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


des participants en provoquant un choc dissonant individuels qui contribuaient à leur développement
qui les incite à réexaminer leur vision du monde. Les en tant que leaders.
programmes novateurs de ce genre existent dans Malheureusement, peu d’entreprises se servent
quelques universités et cabinets de consultants à tra- des équipes de cette façon. La plupart des dirigeants
vers le monde. Par exemple, l’université de Bath, au fonctionnent selon la logique d’action des fonceurs
Royaume-Uni, sponsorise un master en deux ans sur - ils préfèrent des objectifs et des délais sans ambi-
la responsabilité et les pratiques commerciales, dans guïté et travailler avec des stratégies, des tactiques et
lequel les étudiants travaillent ensemble lors de six des projets clairs, souvent dans des délais très serrés.
rencontres d’une semaine. Ces programmes pré- Ils s’épanouissent dans un climat hostile (« Quand
voient de petites équipes d’apprentissage, des écrits avancer devient difficile, la difficulté fait avancer. »)
autobiographiques, des jeux de rôle, des expériences et tirent grand plaisir à unir leurs efforts et à obtenir
intenses en pleine nature et un projet d’entreprise des résultats. En général, les chefs d’équipes et plu-
sur un an qui demande de l’action et de la réflexion. sieurs autres membres seront des fonceurs, avec plu-
Il est intéressant de noter que nombre de personnes sieurs experts et peut-être un ou deux individua-
qui suivent ces cursus témoignent que ces expé- listes ou stratèges (qui se sentent, en général,
riences ont eu le même pouvoir de transformation ignorés). De telles équipes de fonceurs ne prennent
qu’un événement bouleversant comme une crise pas le temps de ralentir pour réfléchir, sont suscep-
professionnelle, une crise existentielle ou un nou- tibles de rejeter les questions sur les objectifs et les
veau mariage. hypothèses en tant «qu’interminables élucubra-
tions» et réagissent en général avec hostilité aux
LES LOGIQUES D’ACTION exercices créatifs qu’elles appellent des distractions
DES ÉQUIPES ET DES ENTREPRISES « farfelues ». Finalement, ces comportements vont
Jusqu’à présent, notre propos s’est concentré sur les limiter la réussite d’une équipe de fonceurs.
styles de leadership des individus. Mais nous avons En général, la situation est pire dans les grandes
découvert que nos catégories de styles de leadership entreprises établies où les équipes de dirigeants
peuvent servir à décrire des équipes comme des fonctionnent comme des experts. Dans ce cas, les
organisations. Nous allons ici aborder brièvement vice-présidents se considèrent comme des chefs et
les logiques d’action des équipes. voient leurs équipes comme une formalité de remon-
Sur le long terme, les équipes les plus efficaces tée de l’information. Le quotidien des équipes est
sont celles qui ont une culture de stratège, celles dépourvu de toute résolution de problèmes, prises
dans lesquelles le groupe perçoit les défis de l’acti- de décisions ou tentatives de définition d’une straté-
vité comme des opportunités de croissance et d’ap- gie en commun. Les équipes de dirigeants limitées à
prentissage, tant pour les individus que pour l’entre- la logique d’action des diplomates fonctionnent en-
prise. Une équipe de direction, dans l’une des core moins bien. Elles se caractérisent par de fortes
entreprises avec laquelle nous avons travaillé, a dé- différences dans les statuts, des normes irrévocables
cidé d’inviter les managers des différents services à et des cérémonies rituelles de « cour » qui sont minu-
coopérer avec les équipes time-to-market dédiées tieusement orchestrées.
aux nouveaux produits. Cette opportunité étant per- Les équipes d’individualistes, plus susceptibles
çue comme une distraction risquée, peu de mana- de se trouver dans des organisations créatives, de
gers se sont portés volontaires, à l’exception des indi- consulting ou à but non lucratif, sont plutôt rares et
vidualistes et des stratèges en herbe. Cependant, très différentes des équipes de fonceurs, d’experts et
l’équipe de direction apportait assez de soutien et de de diplomates. Contrairement aux équipes de fon-
feed-back pour assurer une réussite précoce aux ceurs, elles peuvent être très portées sur la réflexion.
équipes. Très vite, les premiers participants ont été En fait, elles peuvent consacrer un temps excessif à
promus et placés à la tête de leurs propres équipes passer en revue les objectifs, les hypothèses et les
transversales. Les fonceurs de l’entreprise, consta- pratiques de travail. Dans la mesure où les contribu-
tant que d’autres montaient en grade, ont commencé tions et les intérêts personnels sont très importants
à se porter volontaire pour rejoindre ces équipes. Peu pour ces équipes, prendre rapidement une décision
à peu, de plus en plus de personnes au sein de l’en- peut s’avérer difficile.
treprise faisaient l’expérience d’un leadership par- Mais, comme les individus, les équipes peuvent
tagé, de la mise à l’épreuve mutuelle de leurs hypo- changer de style. Par exemple, nous avons vu des
thèses et pratiques respectives ainsi que de défis P-DG stratèges qui aidaient des équipes de dirigeants

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 89


LES SEPT LOGIQUES D’ACTION DES LEADERS

individualistes à équilibrer l’action et le questionne- individualiste, était dès lors identifié comme stratège,
À PROPOS
ment et donc à se transformer en équipes de stra- et la plupart des autres membres montraient une DES AUTEURS
tèges. Autre exemple : l’équipe de dirigeants fon- avancée dans leur développement. Cela a aussi eu un Au moment de la
ceuse d’une entreprise de services financiers avec impact sur la philosophie de l’équipe et de l’entre- rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
laquelle nous avons travaillé et qui sortait de deux prise : autrefois divisée dans son fonctionnement, les fonctions suivantes :
ans de réduction drastique des coûts pendant un re- l’équipe a appris à accepter et à assimiler les opinions
tournement de marché. Pour s’adapter à un marché diverses de ses membres. Les enquêtes au sein du per- David Rooke est associé
au sein de Harthill
des services financiers en évolution et en plein essor, sonnel signalaient un engagement accru dans l’entre- Consulting à Hewelsfield,
l’entreprise avait besoin de devenir bien plus vision- prise. Les personnes extérieures ont commencé à en Angleterre.
naire et innovante, et d’apprendre à faire en sorte que considérer l’entreprise comme étant d’avant-garde, ce William R.Torbert est
professeur à la Carroll
son personnel soit engagé. Pour conduire cette trans- qui signifiait que l’organisation était plus en mesure
School of Management
formation, l’équipe devait commencer par elle-même. d’attirer les talents de haut niveau. La troisième an- du Boston College
Nous avons travaillé ensemble pour aider les membres née, le résultat net et le chiffre d’affaires devançaient (Massachusetts).
de l’entreprise à comprendre les contraintes de l’orien- largement ceux des concurrents. Ils sont les co-auteurs
de « Action Inquiry:
tation des fonceurs, ce qui a nécessité plusieurs inter- The Secret of Timely and
ventions au fil du temps. Nous avons commencé par LE PARCOURS de développement du leader n’est pas Transforming Leadership »
facile. Certaines personnes changent peu au cours de (Berrett-Koehler, 2004)
travailler à améliorer la façon dont l’équipe débattait
des problèmes et par coacher les membres individuel- leur vie ; d’autres changent substantiellement. Mal- La version originale
de cet article a été publiée
lement, y compris le P-DG. A mesure que l’équipe évo- gré le rôle incontournable de la génétique, la nature en avril 2005 dans l’édition
luait, il devenait évident que sa composition devait humaine n’est pas figée. Ceux qui ont la volonté de américaine de HBR.
changer : deux dirigeants, qui semblaient au départ travailler pour progresser et pour devenir plus
parfaitement compatibles avec le groupe en raison de conscients d’eux-mêmes peuvent bien entendu évo-
leurs résultats, ont dû être remplacés quand il est de- luer, au fil du temps, et devenir de réels leaders trans-
venu clair qu’ils n’avaient pas envie de s’impliquer et formationnels. Peu d’entre eux peuvent devenir des
d’expérimenter la nouvelle approche. alchimistes, mais beaucoup auront l’envie et le po-
Au cours de cette réorientation, qui a duré un peu tentiel de devenir des individualistes et des stra-
plus de deux ans, l’équipe est devenue un groupe in- tèges. Les entreprises qui aident leurs cadres et leurs
dividualiste avec des capacités émergentes de stra- équipes de leaders à étudier leurs logiques d’action
tège. Le P-DG, qui avait été identifié comme fonceur/ peuvent en récolter les précieux fruits.

L'I D É E E N P R ATI Q U E

CHANGER VOTRE TYPE DE LOGIQUE D’ACTION


Pour changer de type de logique d’action, expérimentez de nouveaux comportements interpersonnels,
nouez de nouveaux genres de relations et cernez les bénéfices des opportunités de travail. Par exemple :
Pour passer… d’expert à fonceur
Concentrez-vous davantage sur l’obtention de résultats Pour passer… d’individualiste à stratège
plutôt que sur le perfectionnement de vos connaissances : Impliquez-vous dans un développement de pair à pair :
•Prenez conscience des différences entre vos hypothèses et •Mettez en place un mentorat mutuel avec des membres
celles des autres. Par exemple, pratiquez de nouvelles stratégies de votre réseau professionnel (membres du conseil
de discussion telles que : «Vous avez sans doute raison mais d’administration, hauts dirigeants, leaders d’un secteur) qui
j’aimerais comprendre ce qui vous amène à croire cela. »  peuvent remettre en question vos hypothèses et vos pratiques,
•Suivez des formations sur des sujets comme la délégation ainsi que celles de votre entreprise et de votre secteur d’activité.
efficace ou la manière de diriger des équipes très performantes. Exemple :
Le P-DG d’une entreprise d’hygiène dentaire a envisagé
Pour passer… de fonceur à individualiste d’introduire des soins abordables dans les pays en
Au lieu de prendre les objectifs à atteindre pour acquis : développement. Il a exploré l’idée avec des collègues dans tout
•Réfléchissez à la valeur des objectifs en eux-mêmes, afin le pays et a finalement proposé un projet éducatif et caritatif que
d’améliorer les futurs objectifs. sa maison mère a accepté de financer. Il a été promu à une
•Suivez un planning annuel de développement du leadership nouvelle vice-présidence pour les projets internationaux au sein
pour définir posément les objectifs ayant le plus fort impact. de la maison mère.

90 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Harvard Business Review présente
LE MUST DE L’INNOVATION

Disponible sur :
COMMENT
UN MANAGER
DEVIENT UN
DIRIGEANT
Les sept métamorphoses de sa vision
et de ses responsabilités.
Par Michael D. Watkins. Illustrations : Khuan+Ktron

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 93


COMMENT UN MANAGER DEVIENT UN DIRIGEANT

H
enri (un nom d’emprunt) est un diri- ser la simple gestion des ventes et du marketing, de
geant à haut potentiel, qui travaille se plonger dans le fonctionnement d’un dépar-
depuis quinze ans dans un groupe tement tout entier, d’apprendre à le diriger avec
chimique européen de premier rang. l’aide d’une équipe chevronnée, et de développer
Il a débuté en tant qu’assistant chef ses qualités de leader dans un environnement à
de produit au département des plastiques, puis a très l’abri des problèmes compliqués et des crises. Le
vite été muté à Hong Kong pour contribuer à la mise plan semblait parfait, mais, au bout de quelques
en place de la nouvelle filiale asiatique de ce dépar- mois, Henri s’est retrouvé la tête sous l’eau.
tement. Le chiffre d’affaires grimpant en flèche, Comme Henri, de nombreux managers promet-
Henri a été rapidement promu responsable des teurs trébuchent lorsqu’ils passent de la direction
ventes. Trois ans plus tard, il était de retour sur le d’une fonction à celle d’une entreprise, assument
Vieux Continent en tant que directeur commercial pour la première fois la responsabilité des résultats
pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, à la tête et supervisent des cadres travaillant dans tous les
d’un groupe de 80 collaborateurs. Grâce à sa réussite domaines. Car, au sommet, tout est différent. Pour
à ce poste, il a ensuite été nommé directeur des comprendre à quel point, j’ai observé de manière
ventes de la division polyéthylène. Responsable de approfondie ce tournant critique, en menant une
plusieurs lignes de produits et des services associés, série d’entretiens avec plus de 40 cadres, dont des
il dirigeait alors une équipe de 200 personnes. managers au talent très prometteur, des profession-
L’excellent travail d’Henri l’a propulsé jusqu’à la nels expérimentés des ressources humaines et des
direction du département des résines plastiques, dirigeants ayant récemment pris les rênes d’une
qui compte plus de 3 000 salariés dans le monde. entreprise pour la première fois.
C’est intentionnellement que le groupe lui a confié J’ai constaté que, pour mener à bien cette transi-
ce petit département prospère, dont l’équipe est tion, les cadres doivent procéder à un ensemble de
solide. L’idée était de lui offrir l’occasion de dépas- changements délicats les amenant à faire évoluer
leur manière de diriger et leurs compétences. C’est
ce que j’appelle les sept métamorphoses. Un patron
doit en effet s’efforcer de se transformer, en passant
de spécialiste à généraliste, d’analyste à intégrateur,
de tacticien à stratège, de maçon à architecte, de

Les sept
« solutionneur » de problèmes à maître de l’ordre du
jour, de guerrier à diplomate et de second rôle à

métamorphoses
vedette. Comme nombre de ses pairs, Henri a eu du
mal à gérer toutes ces transformations. Pour com-
prendre ce qui rend ces changements si ardus, nous

Chacune des métamorphoses DE SPÉCIALISTE D’ANALYSTE DE TACTICIEN


que le directeur d’une À GÉNÉRALISTE À INTÉGRATEUR À STRATÈGE
fonction de l’entreprise Comprendre les modèles Intégrer le savoir Savoir passer aisément des
mentaux, les outils et les collectif d’équipes détails à une vue d’ensemble
doit entreprendre lorsqu’il concepts utilisés par les transversales et opter et percevoir les modèles
devient P-DG pour fonctions clés de l’entreprise pour des compromis sous-jacents dans des
la première fois requiert et développer des schémas adéquats afin de résoudre des environnements complexes.
l’acquisition de nouvelles d’évaluation des dirigeants de problèmes organisationnels Anticiper et influencer les
ces fonctions. complexes. réactions des principaux
compétences et une acteurs extérieurs.
nouvelle mentalité. Voici
ces transformations
et ce qu’elles exigent
d’un cadre.

94 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F

Il existe peu de transitions L’étendue et la complexité du poste des collaborateurs bien plus divers.
aussi exigeantes que celle augmentent à un tel point que les Et ils sont confrontés à toute une série
consistant à passer pour directeurs de division fraîchement de questions ardues. Quels sont les
nommés se sentent débordés et grands problèmes sur l’agenda ? A quelles
la première fois de la direction
désorientés. Les compétences qu’ils opportunités et menaces l’activité
d’une fonction à celle de
avaient affinées dans leurs jobs fait-elle face ? Comment assurer le succès
toute une entreprise précédents – maîtrise de leur fonction, de l’entreprise tout entière ? Lors de ce
(ou de toute une division). savoir-faire organisationnel, capacité à tournant crucial, les cadres doivent
construire et à motiver une équipe – ne se métamorphoser, en se concentrant sur
suffisent plus. Pour la première fois, ils sept changements dans leur manière
doivent se transformer en généralistes de diriger, tous délicats à mener à bien.
pouvant comprendre toutes les fonctions Cela exige qu’ils développent de
de l’entreprise. Il leur faut apprendre nouvelles compétences et adoptent un
à embaucher, juger et négocier avec nouveau cadre de pensée.

allons le suivre au détour de chacune d’elles. Nous ment, ce penchant lui a sauté aux yeux lorsque le
le verrons faire face à des surprises troublantes, vice-président des ressources humaines lui a abrup-
émettre des suppositions fausses, se confronter à tement donné son avis sur la relation qu’il
de nouvelles exigences qui lui prennent du temps et entretenait avec la vice-présidente commerciale,
sollicitent son imagination, prendre des décisions Claire : « Vous êtes en train de la rendre folle. Il faut
en toute ignorance et (heureusement) tirer les le- que vous lui laissiez une marge de manœuvre. »
çons de ses erreurs. Cette tendance d’Henri à rester sur son terrain
de prédilection constituait une réaction naturelle
1- De spécialiste à généraliste au stress associé à ses nouvelles et vastes responsa-
Le tout premier défi qu’Henri a dû relever était le bilités. Car si les dirigeants fraîchement nommés
passage de la supervision d’une seule fonction à étaient tous des experts réputés connaissant toutes
celle de l’ensemble des fonctions de l’entreprise. les fonctions de l’entreprise, ce serait formidable,
Durant les deux premiers mois, cette transforma- mais ce n’est évidemment jamais le cas. Il arrive
tion l’a désorienté et a miné sa confiance en son cependant qu’ils aient acquis de l’expérience en
propre jugement. Il est alors tombé dans un piège occupant des postes dans des fonctions diverses, ou
classique : se concentrer sur la fonction qu’il en travaillant sur des projets transversaux, ce qui
connaissait bien et délaisser les autres. Heureuse- leur facilite la tâche (voir l’encadré « Comment for-

DE MAÇON DE « SOLUTIONNEUR » DE GUERRIER DE SECOND RÔLE


À ARCHITECTE DE PROBLÈMES À MAÎTRE À DIPLOMATE À VEDETTE
Comprendre comment analyser DE L’ORDRE DU JOUR Façonner proactivement Adopter des comportements
et concevoir des systèmes Définir les problèmes sur l’environnement dans lequel qui vous installent en tant
organisationnels afin que la lesquels l’organisation doit l’entreprise évolue en qu’exemple à suivre dans
stratégie, la structure, les se concentrer et repérer influençant les principaux l’entreprise, et apprendre
modèles opérationnels et les ceux qui ne relèvent pas acteurs extérieurs, y compris à communiquer avec
compétences s’agencent de strictement d’une fonction de le gouvernement, les ONG, des groupes importants et à
manière efficace, et tirer parti l’entreprise, mais sont les médias et les investisseurs. les inspirer, tant de manière
de cette compréhension pour néanmoins importants. directe que – et ce de plus
entreprendre les réorganisations en plus – indirecte.
nécessaires.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 95


COMMENT UN MANAGER DEVIENT UN DIRIGEANT 

mer des chefs d’entreprise solides »). Reste que le recueil de commentaires auprès des différents dé-
passage à la direction d’une société nécessite tou- partements. Ses directeurs des finances et des res-
jours que des cadres ayant été des spécialistes se sources humaines, par exemple, tout en lui rendant
transforment rapidement en généralistes qui compte directement, évaluaient également en
connaissent suffisamment toutes les fonctions de pointillé les performances de leurs départements
l’entreprise pour être à même de la diriger. respectifs, ce qui était utile à Henri pour apprécier
Qu’entend-on donc par « suffisamment » ? Les leur fonctionnement et leur développement. Il dis-
dirigeants doivent pouvoir : 1/prendre des décisions posait donc d’une pléthore de ressources pour l’ai-
qui soient bonnes pour l’ensemble de l’entreprise et der à comprendre ce que « l’excellence » signifiait
2/  évaluer le talent de leurs équipes. Pour ce faire, ils pour chacune des fonctions.
doivent reconnaître que chaque fonction représente En investissant directement dans la création de
une sous-culture distincte, qui possède ses propres systèmes d’évaluation normalisés pour chaque
modèles mentaux et sa propre langue. Les dirigeants fonction, les entreprises peuvent faire en sorte que
compétents comprennent les différentes façons les nouveaux dirigeants prennent leurs marques
dont les professionnels de la finance, du marketing, plus rapidement. Quand bien même leurs entre-
des opérations, des ressources humaines et de la prises ne posséderaient pas de tels systèmes, les
R & D abordent les problèmes, et connaissent aussi aspirants au poste de numéro 1 peuvent se préparer
les divers outils (flux de trésorerie actualisés, en établissant des relations avec des collègues
segmentation de la clientèle, enchaînement des d’autres fonctions et en cherchant à apprendre
d’eux (éventuellement en échange d’éclaircisse-

En fin de compte, rien


ments sur le poste qu’ils occupent), afin de pouvoir
développer leur propre modèle de pensée.

ne peut remplacer 2- D’analyste à intégrateur


La mission première des dirigeants fonctionnels est

la prise effective des de recruter, former et gérer des individus dont la


tâche est d’analyser en profondeur des activités

décisions et les leçons


spécifiques. Le travail d’un chef d’entreprise est de
gérer et d’intégrer les savoirs collectifs de ces

qu’on tire de leurs


équipes fonctionnelles pour résoudre des pro-
blèmes organisationnels majeurs.
Ce changement de perspective a rapidement mis

conséquences. Henri en difficulté, lorsqu’il a cherché à satisfaire


les nombreuses demandes contradictoires de
l’entreprise. Par exemple, sa vice-présidente com-
merciale voulait attaquer le marché avec un nou-
opérations, planification des embauches, franchis- veau produit, tandis que son directeur des opéra-
sement des étapes…) utilisés dans chaque domaine. tions craignait que la production ne puisse pas
Il leur faut être capables de parler la langue de décoller assez vite pour suivre les prévisions de
chaque fonction et, au besoin, de servir d’inter- demande du département commercial. L’équipe
prètes. Et ils doivent par-dessus tout savoir poser d’Henri attendait de lui qu’il concilie les besoins de
les bonnes questions et employer les bons critères l’offre (opérations) avec ceux de la demande (com-
pour évaluer et recruter des collaborateurs qui su- mercial), qu’il sache quand se concentrer sur les
perviseront des domaines hors de leur propre résultats trimestriels (finance), quand investir dans
champ d’expertise. l’avenir (R & D), qu’il décide comment répartir les
Le bon côté des choses pour Henri, outre sa no- ressources entre l’opérationnel et l’innovation, et
mination à la tête d’une unité très performante, tout ceci parmi bien d’autres choix…
était que son entreprise avait mis en place des sys- Rappelons qu’un cadre doit avoir une connais-
tèmes fiables pour évaluer et former des cadres ta- sance générale des différentes fonctions pour
lentueux au sein des fonctions clés. Bien conçus, répondre à ces questions antagoniques. Mais ce
ces systèmes portaient notamment sur l’examen n’est pas suffisant. Les compétences requises
des performances, l’évaluation à 360 degrés et le tiennent moins à l’analyse qu’à la faculté de savoir

96 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Comment former des chefs d’entreprise solides
Au début de leur Lorsque leur Parfois, juste avant Pour leur première
carrière, offrez aptitude à diriger leur première promotion
aux dirigeants devient évidente, promotion, envoyez d’envergure, placez
potentiels : offrez aux hauts les talents les nouveaux
• de l’expérience sur des projets potentiels : prometteurs… dirigeants à la tête
transversaux, puis l’occasion • un poste dans une équipe … suivre une solide formation de départements :
de les diriger ; de direction confirmée ; pour cadres, traitant de • petits, originaux et prospères ;
• une mission internationale compétences telles que la
• de l’expérience avec les conception organisationnelle, • composés d’équipes
(dans le cas d’une entreprise acteurs extérieurs expérimentées et sûres d’elles,
mondiale) ; l’amélioration des processus
(investisseurs, médias, et le management de transition, auprès desquelles ils vont
• une exposition à un large principaux clients) ; ce qui leur permettra, en plus, pouvoir apprendre.
éventail de situations : • un titre de responsable de se construire des réseaux
lancement d’une activité, exécutif auprès d’un dirigeant extérieurs.
croissance accélérée, succès expérimenté ;
durable, remaniement,
redressement et fermeture. • une nomination à la tête
d’une mission d’intégration
postacquisition ou d’une
restructuration importante.

faire des compromis et d’en expliquer les raisons. souplesse analytique est la capacité de passer aisé-
Là encore, une expérience antérieure au sein ment d’un niveau d’analyse à l’autre : savoir quand
d’équipes transversales ou travaillant sur de nou- se focaliser sur les détails, quand se concentrer sur
veaux produits peut se révéler précieuse pour un le tableau d’ensemble, et comment s’articulent les
dirigeant novice, tout comme un apprentissage en deux niveaux. L’intelligence conceptuelle est, elle,
tant qu’adjoint exécutif auprès d’un dirigeant la capacité de discerner des relations de causalité
confirmé. Mais, en fin de compte, comme Henri majeures ou des schémas significatifs dans une ac-
s’en est lui-même rendu compte, rien ne peut rem- tivité complexe et son environnement – autrement
placer la prise effective des décisions et les leçons dit de séparer le signal du bruit. Quant à la simula-
qu’on tire de leurs conséquences. tion mentale, c’est la capacité d’anticiper la manière
dont les acteurs extérieurs (concurrents, régula-
3- De tacticien à stratège teurs, médias, personnages clés du public) répon-
Au cours des premiers mois, Henri s’est plongé dans dront à vos actions, et de prédire les leurs afin de
les moindres détails de l’entreprise. En se laissant définir la meilleure voie à suivre.
d’abord attirer par l’approche tactique : activités Au cours de la première année d’Henri à son
concrètes, résultats immédiats. Mais il s’est re- poste, un concurrent asiatique a ainsi lancé un
trouvé noyé dans un flot quotidien de réunions, de substitut à bas coût d’un important produit
prises de décisions et de projets à promouvoir. résineux fabriqué par son département. Henri
Le problème était, bien entendu, que le nouveau devait non seulement prendre en compte cette
rôle d’Henri consistait essentiellement à être le menace immédiate, mais aussi réfléchir aux visées
stratège en chef de l’unité qu’il dirigeait. Pour ce probables de ce concurrent. La société asiatique
faire, il a dû lâcher prise sur de nombreux détails, et comptait-elle utiliser ce produit bas de gamme pour
libérer son esprit et son emploi du temps pour établir des relations solides avec ses clients et
pouvoir se concentrer sur les questions primor- proposer peu à peu une offre plus large ? Si oui,
diales. Bref, il lui a fallu adopter une mentalité de quelle riposte son département devait-il envisager ?
stratège. Et comment le concurrent allait-il réagir à ce
Comment des tacticiens accomplis apprennent- qu’Henri allait choisir de faire ? Autant de questions
ils à développer une telle mentalité ? En cultivant auxquelles il n’avait pas à répondre en tant que
trois compétences : la souplesse analytique, l’intel- directeur commercial. En fin de compte, après avoir
ligence conceptuelle et la simulation mentale. La analysé plusieurs plans d’action avec son équipe

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 97


COMMENT UN MANAGER DEVIENT UN DIRIGEANT 

Certains dirigeants
fraîchement nommés dirigeante, il a opté pour une baisse des prix,
réduisant ainsi certaines marges afin de ralentir la

qui veulent modifier


perte de sa part de marché – une décision qu’il n’a
jamais eu à regretter.
Naît-on ou devient-on stratège ? Un peu les deux

l’architecture de leur sans doute. Il ne fait aucun doute que la réflexion


stratégique, comme toute autre compétence, peut

organisation finissent s’améliorer au fur et à mesure qu’on l’exerce. Tou-


tefois, la capacité à passer aisément d’un niveau

par commettre une


d’analyse à l’autre, à reconnaître des tendances et à
construire des modèles mentaux exige un certain
don naturel. L’un des paradoxes du développement

faute professionnelle. du leadership est que les gens décrochent des pro-
motions à de hauts postes principalement en vertu
de leur talent à porter des coups et à bloquer leurs
adversaires, alors que les collaborateurs prédis-
posés à la stratégie peinent parfois à des niveaux
inférieurs parce qu’ils s’attardent moins sur les
détails. Des forces darwiniennes peuvent ainsi
laisser des penseurs stratégiques au bord du chemin
réservé aux « hauts potentiels » si les entreprises
n’adoptent pas une politique explicite visant à les
identifier et, dans une certaine mesure, à les proté-
ger lorsqu’ils débutent leur carrière.

4- De maçon à architecte
Trop souvent, les cadres dirigeants s’essaient à la
conception organisationnelle sans y être préparés,
et ils finissent par commettre des fautes profession-
nelles. Ils débutent à leur premier poste d’enver-
gure en désirant le marquer de leur empreinte, puis
ils ciblent des éléments de l’entreprise qui
paraissent relativement faciles à changer, comme la
stratégie ou la structure organisationnelle, sans
saisir pleinement les conséquences que leurs
décisions auront sur l’ensemble de la société.
Quatre mois après sa prise de fonctions, Henri a
ainsi conclu qu’il avait besoin de restructurer l’en-
treprise, afin qu’elle se recentre sur ses clients et
non plus sur les gammes de produits. Il était natu-
rel, en tant qu’ex-directeur commercial, qu’il
prenne cette décision. A ses yeux, l’entreprise était
trop ancrée dans le développement des produits et
des opérations, et sa structure constituait un héri-
tage désuet datant de la création du département. Il
a donc été surpris par le silence stupéfait de son
équipe devant sa proposition de restructuration,
puis par l’opposition farouche qu’elle a suscitée. Il
s’est alors aperçu que la structure existante de cette
division prospère était liée de façon complexe et
subtile à ses processus clés et à son réservoir de
talents. Pour vendre les produits chimiques de la

98 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


société, par exemple, les commerciaux avaient 5- De « solutionneur » de problèmes
besoin de les connaître à fond et de pouvoir conseil- à maître de l’ordre du jour
ler les acheteurs sur leur utilisation. Basculer vers De nombreux managers sont promus aux échelons
une approche axée sur les clients leur aurait supérieurs en vertu de leur capacité à résoudre des
demandé de vendre une gamme plus étendue de problèmes. Or, une fois devenus patrons, ils doivent
produits complexes, et donc d’acquérir beaucoup moins se focaliser sur la recherche de solutions que
d’autres connaissances techniques. Même si le sur la définition des défis auxquels l’entreprise doit
passage à cette structure présentait des avantages faire face.
potentiels, il fallait donc examiner aussi ses incon- Pour ce faire, Henri devait identifier l’ensemble
vénients. Sa mise en œuvre aurait nécessité des des opportunités et des menaces auxquelles son
ajustements importants dans les processus et de activité était confrontée, et attirer l’attention de son
gros investissements en formation. Bref, il était équipe sur les plus importantes. Il lui fallait aussi
nécessaire de pousser la réflexion et l’analyse. identifier les « trous noirs », ces questions qui ne
Lorsque des dirigeants grimpent jusqu’au som- relèvent pas vraiment d’une seule fonction – comme
met de l’entreprise, ils deviennent responsables de la diversité du personnel –, mais qui sont cependant
la conception et de la modification de l’architecture importantes pour l’entreprise.
de son organisation : sa stratégie, sa structure, ses Le nombre de ces sujets de préoccupation avait
processus et son réservoir de compétences. Pour de quoi donner le vertige à Henri. Lorsqu’il dirigeait
devenir des architectes efficaces, ils doivent se le département commercial, il avait réalisé à quel
mettre à penser en termes de systèmes. Il leur faut point il était difficile pour un chef d’entreprise d’éta-
comprendre comment s’agencent les éléments clés blir des priorités entre les questions qui lui étaient
de l’organisation et ne pas croire naïvement, posées tous les jours, toutes les semaines
comme Henri, qu’ils peuvent en modifier un sans ou tous les mois. Il fut pourtant surpris par l’am-
réfléchir aux conséquences de ce changement sur pleur et la complexité de certains problèmes. Se
les autres. Henri l’a appris à la dure, car son expé- demandant comment répartir son temps, il s’était
rience de dirigeant fonctionnel ne lui avait jamais immédiatement senti surchargé. Il savait qu’il avait
donné l’occasion de concevoir une organisation besoin de déléguer davantage, mais s’interrogeait
comme un système. De plus, son absence d’expé- sur les tâches et les missions qu’il pouvait confier
rience en réorganisation de services à grande sans risque à d’autres.
échelle ne lui avait pas permis de le comprendre par Les compétences qu’il avait acquises en tant que
l’expérimentation. dirigeant fonctionnel – maîtrise des outils et des
Henri ne fait pas figure d’exception. Si les chefs techniques de vente et de marketing, savoir-faire
d’entreprise doivent connaître les principes de la organisationnel, capacité à mobiliser les talents et à
réorganisation de services et de la gestion du chan- encourager le travail d’équipe – se révélaient insuf-
gement – et notamment les mécanismes de concep- fisantes. Pour déterminer les problèmes sur les-
tion organisationnelle, d’amélioration des proces- quels son équipe devait se concentrer – autrement
sus et de gestion de la transition –, rares sont les dit, pour décider de l’agenda –, il lui fallait ap-
cadres prometteurs à recevoir une formation théo- prendre à naviguer dans un environnement bien
rique dans ces domaines. La plupart sont donc mal plus incertain et équivoque qu’il n’en avait l’habi-
outillés pour devenir architectes de leur entreprise tude. Il avait aussi besoin d’apprendre à communi-
– ou même pour se comporter en clients avertis quer ses priorités, de façon à ce que l’entreprise
lorsqu’ils font face à des consultants en développe- puisse les traiter. Grâce à son expérience commer-
ment organisationnel. Henri avait une fois de plus ciale, ce dernier point n’était pas le plus ardu. Le
la chance de disposer de collaborateurs expérimen- vrai défi consistait à élaborer l’ordre du jour et, dans
tés, et il a eu le bon sens de se fier à leurs remarques une certaine mesure, il lui fallait se former sur le
avisées soulignant les nombreuses interactions tas. Mais là encore, il a été aidé par les membres de
qu’il n’avait pas envisagées de prime abord. Tous son équipe, qui le pressaient de définir une orienta-
les nouveaux dirigeants ne sont pas aussi chan- tion concernant les problèmes qu’ils considéraient
ceux, bien entendu. Cependant, si leurs entreprises comme cruciaux. De plus, Henri pouvait s’appuyer
ont su investir dans des programmes de formation sur le processus de planification annuelle de l’entre-
de cadres traitant de la réorganisation de services, prise, qui lui fournissait un canevas pour définir les
ils seront mieux préparés à cette métamorphose. principaux objectifs de son département.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 99


COMMENT UN MANAGER DEVIENT UN DIRIGEANT 

6- De guerrier à diplomate
Dans ses fonctions précédentes, Henri s’efforçait prin-
cipalement de galvaniser ses troupes pour vaincre la
concurrence. Désormais, il consacrait une part in-
croyable de son temps à essayer d’influencer une mul-
titude d’agents externes, tels que les administrations
chargées de réglementer son activité, les médias, les
investisseurs et les ONG. Ses adjoints étaient bombar-
dés de sollicitations le concernant : on lui demandait
de participer à des forums industriels ou gouverne-
mentaux parrainés par le département des affaires
réglementaires ; d’accepter une entrevue avec un jour-
naliste d’un grand magazine économique ; de rencon-
trer des investisseurs institutionnels importants… Il
connaissait bien certains de ces interlocuteurs, et
d’autres pas du tout. Et ce qui était tout à fait nouveau
pour lui, c’est qu’il devait non seulement interagir
avec cet éventail de parties prenantes, mais aussi
répondre de manière proactive à leurs demandes, en
prenant en compte les intérêts de la société. Or, son
expérience l’avait très peu préparé aux challenges que
doit relever un « diplomate d’entreprise ».
Que fait un diplomate d’entreprise efficace ? Il
utilise les outils de la diplomatie – la négociation, la
persuasion, la gestion de conflits et la formation
d’alliances – pour façonner l’environnement externe
de l’entreprise de manière à favoriser ses objectifs arrivait parfois de souffrir du fait que l’un d’eux
stratégiques. Ce faisant, il se retrouve souvent en avait perdu de vue un objectif à long terme.
train de collaborer avec des acteurs qui sont ses
principaux concurrents sur le marché. 7- De second rôle à vedette
Pour devenir de bons diplomates, les chefs d’en- Pour finir, un chef d’entreprise est placé au milieu de
treprise doivent changer de mentalité. Il leur faut la scène, sous les projecteurs. Henri fut ainsi surpris
saisir comment divers intérêts peuvent converger par l’attention qu’il suscitait et par la nécessité de se
(ou parfois convergent déjà), comprendre la façon tenir presque toujours sur ses gardes. Il découvrit
dont les décisions sont prises dans des types avec stupéfaction à quel point ses paroles et ses actes
d’organisation différents de celui de leur entreprise étaient pris au sérieux. Peu après sa nomination, par
et développer des stratégies efficaces pour influencer exemple, lors d’un entretien avec son vice-président
d’autres acteurs. Ils doivent aussi découvrir de la R & D, il émit l’idée d’un nouveau mode de
comment recruter et gérer des collaborateurs qu’ils conditionnement pour un produit existant. Deux
n’ont souvent jamais supervisés jusqu’alors : les pro- semaines plus tard, un rapport préliminaire de faisa-
fessionnels de fonctions de soutien décisives telles bilité l’attendait sur son bureau.
que les relations avec les pouvoirs publics et la com- Cette dernière métamorphose consiste en partie à
munication. Et il leur faut admettre que les initia- voir s’accroître son influence en tant qu’exemple à
tives de ces collaborateurs ont un horizon plus loin- suivre. Dans une certaine mesure, les managers de
tain que celui de l’activité courante, qui met l’accent tous niveaux sont des modèles. Mais au sommet de
sur les résultats trimestriels ou annuels. Une cam- l’entreprise, leur influence se renforce et tout le
pagne visant à influencer la réglementation peut, par monde se tourne vers eux en quête de vision, d’inspi-
exemple, mettre des années à porter ses fruits. ration ou de signes pointant les « bons » comporte-
Il fallut un certain temps à Henri pour le ments. En bien ou en mal, les styles personnels des
comprendre, le temps pour ses collaborateurs de lui hauts dirigeants sont contagieux, qu’ils soient
expliquer que certains problèmes se traitaient observés par les salariés ou transmis indirectement
péniblement et sur une longue période, et qu’il leur par leurs subordonnés tout au long de la chaîne

100 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Vous serez surpris par
la force de l’attention
hiérarchique. Cet impact est inévitable, mais les chefs
d’entreprise peuvent tenter de le contrôler en prenant
conscience de leur image et en s’efforçant de mani-
fester une certaine empathie envers leurs collabora-
teurs. En se souvenant qu’ils étaient eux-mêmes des qui se porte sur le chef
subordonnés il n’y a pas si longtemps, et qu’ils ti-
raient alors des conclusions en observant le compor- d’entreprise et par
la nécessité de vous
tement de leurs patrons…
Ensuite, il faut réaliser ce que signifie en pratique
diriger des groupes de gens importants. Comment
leur offrir une vision convaincante ? Comment la
partager avec eux de façon à les inspirer ? Pour y tenir presque toujours
arriver, Henri, un communicant aguerri et habitué à
vendre des idées aussi bien que des produits, a dû
ajuster sa façon de penser (moins, cependant, que
sur vos gardes.
certains de ses homologues). A son poste précédent,
il avait maintenu des contacts personnels corrects
– parfois sporadiques – avec la plupart de ses colla-
borateurs. Mais il supervisait désormais plus de
3 000 personnes, éparpillées dans le monde entier,
et cela devenait impossible.
Il en saisit clairement les conséquences en
travaillant avec son équipe à la mise au point de
la stratégie annuelle. Au moment de la communiquer
au reste de l’entreprise, il se rendit compte qu’il ne
pouvait s’en charger lui-même. Pour faire passer le

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 101


COMMENT UN MANAGER DEVIENT UN DIRIGEANT 

message, il lui fallait se reposer sur ses subordonnés charger de la mise en œuvre, afin de se donner du
et utiliser d’autres canaux, comme la vidéo. Après temps pour remplir leur nouveau rôle.
avoir fait le tour des installations de son départe­ En ce qui concerne Henri, son histoire s’est bien
À PROPOS
ment, Henri s’inquiéta aussi de ne pouvoir percevoir terminée. Il a eu la chance de travailler pour une DE L’AUTEUR
clairement ce qui se passait en première ligne. Plutôt entreprise impliquée dans le développement du Au moment de la
que de se contenter de rencontrer les responsables leadership et de disposer d’une équipe expé­ rédaction de cet article,
lors de ses visites, il institua des déjeuners informels rimentée, prête à le conseiller utilement. Malgré les l’auteur occupait
les fonctions suivantes :
avec de petits groupes de salariés situés au bas de la nombreux obstacles disséminés sur son parcours,
chaîne hiérarchique et prit part à des forums de dis­ sa firme a donc continué à prospérer, et Henri a fina­ Michael D. Watkins est
l’un des cofondateurs de
cussion en ligne permettant à ses collaborateurs de lement trouvé son rythme en tant que chef d’entre­ Genesis Advisers, un
donner leur avis sur l’entreprise. prise. Trois ans plus tard, armé de cette expérience, cabinet de développement
Les sept métamorphoses nécessitent essen­ il s’est vu proposer la direction d’un département du leadership spécialisé
dans l’accélération des
tiellement de basculer d’une pensée analytique à une beaucoup plus important et en difficulté, qu’il a processus de prise de
pensée conceptuelle. Ce qui ne signifie pas pour réussi à redresser avec brio. fonctions et de transition.
Il est également professeur
autant que les chefs d’entreprise doivent abandonner Rétrospectivement, voici sa conclusion : « Les à l’IMD et auteur de
les considérations tactiques ou fonctionnelles. Mais compétences qui vous ont fait parvenir où vous êtes « The First 90 Days » et
« Your Next Move ».
ils y consacrent nettement moins de temps que dans ne sont peut­être pas celles qu’il vous faut pour
leurs postes précédents. En réalité, il leur est souvent vous rendre où vous devez aller. Cela ne diminue en La version originale de
cet article a été publiée
utile d’engager un adjoint – un chef du personnel, un rien vos réussites passées, mais elles ne vous suffi­ en juin  2012 dans l’édition
directeur d’exploitation, un chef de projet – pour se ront pas pour la prochaine étape du voyage. » américaine de HBR.

L'I D É E E N P R ATI Q U E

COMMENT ÉVALUER UN DIRECTEUR COMMERCIAL ?


Les chefs d’entreprise ont besoin d’évaluer le travail de tous leurs cadres fonctionnels, et pas seulement
celui des cadres de leur domaine d’origine. Un modèle simple, répertoriant de manière systématique les
critères les plus importants à surveiller pour chaque fonction ainsi que des indicateurs d’alerte, aidera
les nouveaux dirigeants à prendre leurs marques. En voici un exemple pour la fonction commerciale :
INDICATEURS CLÉS INDICATEURS DE INDICATEURS RELATIFS SIGNAUX D’ALARME
DE PERFORMANCE GESTION DU PERSONNEL À LA CLIENTÈLE Départs regrettables parmi
Ventes des produits clés Taux de vacance par région Taux de satisfaction et de le personnel commercial.
par rapport à ceux des ou département. fidélisation de la clientèle. Stagnation ou baisse
concurrents. Taux de promotion interne Preuves de la compréhension des ventes.
Croissance des parts de et efficacité du canal de des profils d’acheteurs. Manque de formation interne
marché pour les produits clés. succession interne. Interaction moyenne des pour les futurs responsables
Mise en œuvre effective Nombre de départs agents commerciaux avec commerciaux.
des engagements regrettables de collaborateurs les clients. Promotions internes aux
du business plan. et motifs de ces départs. résultats médiocres.
Recrutements et sélections Incapacité à communiquer les
réussis. avantages et les inconvénients
des produits.
Mauvaise évaluation
des atouts et des faiblesses
de l’entreprise.
Temps insuffisant passé avec
les clients ou sur le terrain.
Collaboration insuffisante
avec l’équipe marketing
et les autres fonctions clés.

102 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


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j’indique ci-dessous mon adresse mail : droits, il vous suffit de nous écrire en envoyant un e-mail ou un courrier à cil@prismamedia.com ou PRISMA
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LE LEADERSHIP DE NIVEAU 5

LE LEADERSHIP
LEADERSHIP DE NIVEAU 5 :
DE NIVEAU
LE TRIOMPHE 5
DE L’HUMILITÉ
ET DE LA DÉTERMINATION

Qu’est-ce qui propulse la performance d’une entreprise


de simplement bonne à excellente ? Une recherche a été
menée pendant cinq ans pour répondre à cette question.
Et les découvertes qui en ressortent devraient changer
la façon dont nous voyons le leadership.
Par Jim Collins. Illustration s : Olivier Rinckel
104 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016
Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 105
LE LEADERSHIP DE NIVEAU 5

E
n 1971, Darwin E. Smith est CE N’EST PAS CE À QUOI
nommé P-DG de Kimberly- VOUS VOUS ATTENDRIEZ
Clark, un poussiéreux fabri- Notre découverte du leadership de niveau 5 est contre-
cant de papier dont l’action intuitive. En effet, on suppose habituellement que,
avait chuté de 36% par rap- pour passer d’une « bonne » à une « excellente » perfor-
port à la moyenne du mar- mance (en anglais, from « good » to « great »), les entre-
ché, au cours des 20 années prises doivent s’appuyer sur des patrons hors du com-
précédentes. Cet homme mun – des personnalités fortes comme Lee Iacocca, Al
doux, d’apparence ordinaire, Dunlap, Jack Welch ou Stanley Gault, qui deviennent
jusqu’alors juriste de l’entre- des célébrités et font les gros titres des journaux.
prise, n’est pas convaincu du choix de son comité de Comparé à ces dirigeants, Darwin Smith donnait
direction – un sentiment renforcé par la remarque l’impression d’arriver de la planète Mars. Timide,
d’un des membres, qui le prend à part pour lui rappe- modeste, maladroit même, il fuyait les projecteurs.
ler qu’il n’a pas toutes les compétences requises pour Un journaliste lui a un jour demandé de décrire son
le poste. Smith y restera pourtant deux décennies. style de management. Smith l’a fixé de derrière ses
Et quelles décennies ! En vingt ans, Smith a opéré lunettes aux épaisses montures noires, vêtu on ne
une formidable transformation et a fait de Kimberly- peut moins à la mode, style garçon de ferme qui aurait
Clark le leader mondial des produits de consomma- acheté son costume en grande surface. Après un long
tion à base de papier transformé. Sous son égide, et pesant silence, il a fini par répondre : « Excentrique. »
l’entreprise a dépassé ses rivaux Scott Paper et Procter Inutile de préciser que son portrait dans le « Wall
& Gamble et a généré un rendement cumulé 4,1 fois Street Journal » ne fut pas des plus exubérants…
supérieur au reste du marché –  surpassant ainsi des Pour autant, voir en Smith un mou ou un tendre
compagnies vénérables comme Hewlett-Packard, 3M, serait une grossière erreur. Sa simplicité allait de pair
Coca-Cola et General Electric. avec une détermination farouche, stoïque même.
Le redressement accompli par Smith est l’un des Smith a grandi dans une ferme et travaillait chez In-
meilleurs exemples du XXe siècle illustrant le passage ternational Harvester pour se payer des cours du soir
d’une société d’une performance passablement à l’université de l’Indiana. Un jour, il a perdu un doigt
bonne à une performance véritablement excellente. sur son lieu de travail. On raconte qu’il était présent
Et pourtant, peu de gens, même parmi les passionnés en classe le soir même et qu’il est retourné travailler
de l’histoire des entreprises, ont entendu parler de dès le lendemain. Ce jeune paysan, pauvre mais dé-
Darwin Smith, né en 1926 et décédé en 1995. C’est pro- terminé, a finalement décroché son admission à la
bablement ce qu’il aurait préféré. Smith est l’exemple faculté de droit Harvard.
typique du « leader de niveau 5 »– un individu qui mêle A la tête de Kimberly-Clark, il a fait preuve de la
une extrême humilité à une intense détermination même volonté de fer : deux mois après qu’il a été
professionnelle. Comme l’a montré notre recherche, nommé P-DG, les médecins lui ont diagnostiqué un
étalée sur cinq ans, les dirigeants possédant ces quali- cancer du nez et de la gorge et lui ont annoncé qu’il
tés paradoxales catalysent le passage, statistiquement lui restait moins d’un an à vivre. Il a informé comme
rare, d’une performance « bonne » à « excellente ». il se doit son comité de direction de sa maladie mais
Le « niveau 5 » correspond au plus haut niveau que il l’a prévenu qu’il n’avait aucunement l’intention de
nous ayons identifié dans la hiérarchie des compé- mourir bientôt. Smith a maintenu son rythme de tra-
tences des dirigeants. Les leaders des niveaux infé- vail exigeant tout en se rendant toutes les semaines à
rieurs peuvent parvenir à de très bons résultats, insuf- Houston, depuis le Wisconsin, pour sa radiothérapie.
fisants cependant pour permettre à leur société Il a finalement vécu 25 années supplémentaires, dont
d’accéder à une excellence durable (pour plus de dé- 20 en tant que P-DG.
tails sur ce concept, voir l’encadré « La hiérarchie de La détermination farouche de Smith a été cruciale
niveau 5 »). Et même si un leadership de niveau 5 ne dans la reconstruction de l’entreprise, notamment au
permet pas à lui seul le passage d’une bonne à une moment où il a pris la décision la plus spectaculaire
excellente performance – il faut aussi s’entourer des de toute l’histoire de Kimberly-Clark : la vente des
bonnes personnes (et se débarrasser des mauvaises) moulins à papier.
et créer une culture de la discipline –, notre recherche Explications : peu de temps après sa nomination,
montre qu’il est essentiel. L’excellence est impossible Darwin Smith et son équipe ont compris que le cœur
sans un leader de niveau 5 à la tête de l’entreprise. de métier de l’entreprise – le papier glacé – était

106 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F
LA RECHERCHE ET LE CONSTAT LES QUALITÉS OBSERVÉES LE LEADER EMBLÉMATIQUE
Parmi 1 435 entreprises extraites du Les leaders de « niveau 5 » associent une Darwin Smith, P-DG entre 1971 et 1991
classement Fortune 500, de 1965 à 1995, profonde humilité à une détermination de Kimberly-Clark (produits de grande
Jim Collins et son équipe (au terme d’une professionnelle intense. Cette consommation à base de papier),
recherche qui a duré de 1996 à 2000) combinaison rare et paradoxale vient à incarnait à merveille le leadership de
en ont identifié 11 qui sont passées d’une l’encontre de ce que nous croyons sur ce niveau 5. Timide et maladroit, il fuyait
« bonne » à une « excellente » performance. qui fait un grand leader. Des célébrités les projecteurs mais faisait preuve
C’est-à-dire que leurs actions affichent comme Lee Iacocca, P-DG de Chrysler de d’une volonté de fer. Il a redéfini avec
un rendement au moins trois fois 1978 à 1992, ont souvent fait la une des détermination le cœur de métier de sa
supérieur à la moyenne du marché ; journaux. Mais ce sont des leaders société en dépit du scepticisme de Wall
et ce, durant les 15 années qui ont suivi affables et implacables comme Darwin Street. Sous son égide, Kimberly-Clark
une période de transition majeure. Smith, l’ancien patron de Kimberly-Clark, est devenu le leader international de son
Point commun de ces firmes  ? Un leader qui propulsent leur entreprise vers secteur, avec une action au rendement
de « niveau 5  » à leur tête. l’excellence et l’y maintiennent. 4,1  fois supérieur au reste du marché.

condamné à de piètres performances : le contexte comment ? » En réalité, j’ai même donné à mes
économique était mauvais, la concurrence faible. équipes la consigne explicite de minimiser le rôle des
Mais, se sont-ils dit, si Kimberly-Clark se jetait dans top dirigeants dans leurs analyses, de façon à ne pas
l’arène des produits de consommation dérivés du basculer dans le raisonnement simpliste du « c’est
papier, la bonne santé de ce marché et ses concurrents grâce au P-DG » ou « c’est à cause du P-DG », si com-
d’envergure mondiale, comme Procter & Gamble, mun aujourd’hui.
forceraient l’entreprise soit à se surpasser, soit à Nous n’avons pas cherché le niveau 5 : c’est lui qui
disparaître. nous a trouvés. Au fil de nos recherches, les équipes
Et tel le général qui brûle ses navires en débar- répétaient en permanence : « Impossible de faire
quant en territoire ennemi pour que ses troupes abstraction des dirigeants, même si on le voulait. Ils
n’aient d’autre choix que de vaincre ou mourir, Smith ont tous quelque chose d’inhabituel. » J’étais campé
a annoncé la vente des moulins – y compris celui de sur mes positions : « Les entreprises avec lesquelles
Kimberly, dans le Wisconsin, dont l’entreprise tire on les compare ont aussi des dirigeants. En quoi est-
son nom. Toutes les recettes ont été réinjectées dans ce différent ? » Le débat a fait rage. Et finalement,
les produits de consommation, avec des investisse- comme cela devrait toujours être le cas, les faits ont
ments dans des marques comme les couches Huggies gagné. Les dirigeants des entreprises qui sont passées
ou les mouchoirs Kleenex. La presse professionnelle d’une bonne à une excellente performance et qui ont
a qualifié cette décision de stupide, les analystes de maintenu cette excellence pendant 15 ans ou plus
Wall Street ont déprécié l’action. Mais à aucun mo- sont tous faits du même bois – un bois très différent
ment Smith n’a douté. Vingt-cinq ans plus tard, Kim- de celui de leurs concurrents. Peu importait que l’en-
berly-Clark détenait Scott Paper et battait Procter & treprise soit stable ou en crise, qu’elle s’adresse aux
Gamble dans six catégories de produits sur huit. Alors particuliers ou aux professionnels, qu’elle vende des
qu’il était à la retraite, Smith a déclaré, au sujet de produits ou des services. Peu importait l’époque de
cette exceptionnelle performance : « Je n’ai jamais leur transition ou leur taille : celles qui avaient réussi
cessé d’essayer d’être à la hauteur du poste. » avaient toutes un leader de niveau 5 au moment de
leur transformation.
CE N’EST PAS CE À QUOI NOUS En outre, l’absence de leadership de niveau 5 était
NOUS ATTENDIONS, NON PLUS systématique chez les concurrents avec qui nous les
Avant de développer cette idée du leadership de comparions. C’est ici que je veux en venir : le niveau  5
niveau 5, évoquons d’abord le contexte de notre est une découverte empirique, et non idéologique.
étude. Nous n’avons pas cherché à trouver un leader- C’est une précision importante car cette découverte
ship de niveau 5, ou quoi que ce soit s’en approchant. contredit non seulement la sagesse populaire mais
Notre question initiale était la suivante : « Une bonne aussi une grande partie des théories de management
entreprise peut-elle devenir excellente, et si oui actuelles (pour plus de détails sur la transformation

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 107


LE LEADERSHIP DE NIVEAU 5

des entreprises passant d’une « bonne » à une « excel-


lente » performance, voir l’encadré « Six attitudes
caractérisant les leaders de niveau 5 »).

HUMILITÉ + VOLONTÉ = NIVEAU 5


Les leaders de niveau 5 sont l’incarnation même de la
dualité : modestes mais entêtés, timides mais
impavides. Pour comprendre ce concept, pensez à
Abraham Lincoln, qui n’a jamais laissé son ego sup-
planter son ambition de créer une nation forte et pé-
renne. L’écrivain Henry Adams le qualifiait de « per-
sonnalité calme, paisible et timide ». Mais ceux qui
ont vu dans ces manières discrètes un caractère faible
se sont lourdement trompés – comme l’atteste la
mort de 250 000 confédérés et 360 000 combattants
de l’Union, dont Lincoln lui-même.
Même s’il peut sembler excessif de comparer les
11  leaders de niveau 5 de notre étude à Abraham Lin-
coln, tous font preuve de la même dualité. Prenez
Colman M. Mockler, P-DG de Gillette de 1975 à 1991.
Mockler, qui a dû faire face à trois tentatives de ra-
chat, était un homme réservé et affable aux manières
douces, presque nobles. En dépit d’affrontements
épiques avec ses adversaires – l’homme d’affaires
Ronald Perelman deux fois, le fonds d’investissement
Coniston Partners une fois –, il ne s’est jamais départi
de son style timide et courtois. Au summum de la
crise, il a conservé une attitude calme et impassible,
traitant les affaires courantes de l’entreprise avant de
gérer les OPA de ses adversaires.
Ceux qui ont pris la modestie apparente de
Mockler pour un signe de faiblesse en ont été pour
leur frais. Lors d’une course aux procurations, lui et
ses managers ont appelé un par un des milliers d’in-
vestisseurs pour obtenir leur voix : il lui était tout sim-
plement incapable d’abandonner. Il a choisi de se
battre pour l’avenir de Gillette, alors même qu’il au-
rait pu empocher des millions de dollars en reven-

On continue à placer en position dant ses actions.


Imaginez un instant qu’il ait capitulé. L’investis-

de pouvoir des gens qui n’ont seur à court terme qui a accepté la surcote de 44%
offerte par Perelman et a réinvesti ses gains en Bourse
pas le germe du niveau 5 en eux, pendant dix ans, a récupéré une mise inférieure de

et c’est l’une des principales


64% à celle de l’actionnaire resté fidèle à Mockler et
Gillette. Si Mockler avait abandonné la bataille, per-

raisons pour laquelle si peu sonne, vraisemblablement, ne se raserait aujourd’hui


avec un Sensor, un Lady Sensor ou un Mach III – et

d’entreprises réussissent une des centaines de millions d’hommes seraient aban-


donnés à leur combat quotidien contre le chaume de
transition durable et quantifiable leurs joues.

vers l’excellence.
Malheureusement, Mockler n’a pas eu la chance
de savourer les fruits de ses efforts. En janvier 1991,

108 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


La hiérarchie du « niveau 5 »
Le leader de niveau 5 est au sommet d’une hiérarchie de compétences ;
l’entreprise a reçu en avant-première l’exemplaire du il est, selon notre recherche, indispensable à l’évolution d’une entreprise vers
magazine « Forbes » à paraître. L’illustration de cou- l’excellence. Qu’y a-t-il sous ce sommet ? Quatre niveaux convenables en soi,
verture montre Mockler au sommet d’une montagne, mais dépourvus de la puissance du niveau 5. Il n’est pas nécessaire de passer
brandissant au-dessus de sa tête un rasoir géant dans successivement par chaque niveau pour atteindre le haut de la hiérarchie, mais
pour être un leader de niveau 5 accompli, il faut posséder les compétences
une posture triomphale. Quelques minutes après
des quatre autres niveaux, plus les caractéristiques particulières du niveau 5.
avoir vu cette reconnaissance officielle des 16 années
de lutte qu’il avait menées, alors qu’il revenait dans NIVEAU 5
son bureau, Mockler s’est écroulé au sol, victime Dirigeant
d’une violente crise cardiaque. Bâtit une excellence durable grâce à une combinaison paradoxale d’humilité
et de détermination.
Même s’il avait su qu’il mourrait en plein mandat,
Mockler n’aurait rien changé à son approche. Son NIVEAU 4
apparence placide cachait une personnalité intense Leader efficace
et une détermination à transformer en or tout ce qu’il
S’investit dans une vision claire et convaincante qu’il poursuit avec acharnement.
Stimule ses équipes pour atteindre un niveau d’exigence élevé.
touchait – pas pour ce qu’il y gagnait, mais parce qu’il
ne pouvait imaginer faire autrement. Tout comme NIVEAU 3
Lincoln refusa de laisser s’échapper sa chance de bâtir
Manager compétent
Organise ses équipes et ses ressources afin de poursuivre efficacement des
une nation forte et pérenne, Mockler ne put se ré-
objectifs prédéfinis.
soudre à abandonner l’entreprise aux mains de ceux
qui cherchaient à la détruire. NIVEAU 2
Collaborateur actif
Contribue à la réalisation des objectifs de l’équipe, travaille efficacement
UNE MODESTIE FASCINANTE en groupe.
L’histoire de Mockler illustre la modestie typique des
NIVEAU 1
leaders de niveau 5 (pour un résumé de leurs princi-
Individu très compétent
paux traits de personnalité, voir l’encadré « Le yin et Participe de façon productive grâce à son talent, son savoir, ses compétences
le yang des leaders de niveau 5 »). En effet, au cours et ses bonnes habitudes de travail.
de nos entretiens avec ces dirigeants, nous avons été
marqués par la façon dont ils parlent d’eux-mêmes –
ou plutôt, dont ils n’en parlent pas. Ils peuvent discu-
ter des heures entières de leur entreprise et des
contributions de leurs collègues mais détournent jour) en réduisant drastiquement ses effectifs, en di-
instinctivement la conversation dès qu’on aborde minuant de moitié le budget de R & D et en boostant
leur propre rôle. Quand on les presse de parler d’eux, la croissance de l’entreprise aux stéroïdes pour mieux
ils disent des choses comme « j’espère ne pas donner la revendre ensuite. Et après l’avoir revendue et em-
l’impression de parler comme un ponte » ou « je ne poché ses millions rapidement gagnés, Dunlap a écrit
crois pas avoir beaucoup de mérite dans la situation. une autobiographie dans laquelle il se targuait d’être
Nous avons la chance d’avoir des équipes formi- un « Rambo en costard ». On imagine mal Darwin
dables ». L’un d’eux a même affirmé : « Il y a beaucoup Smith se dire « Tiens, mais c’est moi ce Rambo  ! » et
de gens dans cette entreprise qui feraient un meilleur encore moins le clamer haut et fort.
patron que moi. » Alors certes, l’histoire de Scott Paper est l’une des
A l’inverse, les P-DG des entreprises du groupe plus spectaculaires de notre étude, mais son cas n’est
témoin se livrent à de véritables parades. Scott Paper, pas isolé. Dans plus de deux tiers des entreprises té-
l’entreprise à laquelle nous avons comparé Kimberly- moins, nous avons noté la présence d’egos gargan-
Clark, a engagé comme P-DG Al Dunlap – un homme tuesques qui ont contribué à la chute ou à l’insigni-
qui racontait ses exploits à qui voulait l’entendre fiance persistante de leur société. Nous avons
(même si beaucoup s’en seraient passés). Dix-neuf retrouvé ce schéma de façon particulièrement pré-
mois après sa nomination, il confiait à « Business gnante dans les entreprises témoins instables – celles
Week » : « On se souviendra de Scott pour son redres- qui ont connu une amélioration sous l’égide d’un
sement, le plus réussi et le plus rapide de l’histoire leader de type 4, talentueux mais égocentrique, pour
des entreprises américaines. Les autres redresse- mieux s’effondrer quelques années plus tard.
ments font pâle figure à côté. » Lui-même a accumulé Lee Iacocca, par exemple, a sauvé Chrysler de la
100 millions de dollars pour 603 journées de travail catastrophe en réussissant l’un des redressements
chez Scott Paper (soit environ 165 000 dollars par les plus acclamés (à juste titre) de l’histoire des

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 109


LE LEADERSHIP DE NIVEAU 5

entreprises américaines. La performance de l’action En reconstruisant son board et son équipe dirigeante
du fabricant automobile était 2,9 fois supérieure au avec les meilleurs collaborateurs qu’il puisse trouver,
reste du marché à mi-mandat de son patron… quand Cain a envoyé un message fort : les liens familiaux ne
celui-ci s’est mis à concentrer toute son attention sur comptaient plus. Ceux qui n’étaient pas capables
sa propre transformation. Il a multiplié les appari- d’être les meilleurs du secteur à leur poste ont perdu
tions dans des talk-shows télévisés comme le « Today leur travail.
Show » et le « Larry King Live », a tourné dans plus de Ce type de réorganisation sans merci ou presque
80 spots publicitaires, a caressé l’idée de se présenter n’aurait probablement pas étonné de la part d’un
à la présidentielle américaine et a fait la promotion outsider nommé pour redresser l’entreprise. Or Cain
de son autobiographie, écoulée à 7 millions d’exem- travaillait chez Abbott Laboratories depuis 18 ans, il
plaires dans le monde. La propre cote d’Iacocca a faisait même partie de la famille puisqu’il était le fils
grimpé en flèche. Celle de Chrysler, en revanche, est du président précédent. On imagine que les repas de
retombée à 31% au-dessous de la moyenne du mar- famille ont été tendus pendant quelques années
ché durant la seconde moitié de son mandat. chez les Cain (« Désolé d’avoir dû te virer. Tu re-
Après avoir obtenu la célébrité et tous ses à-côtés, prends de la dinde ? »), mais, au final, tout le monde
Iacocca a eu du mal à s’effacer du centre de la scène. a été ravi des performances boursières de l’entre-
Il a retardé tant de fois son départ à la retraite que prise. Cain a su mettre en mouvement une machine
ses collaborateurs ont commencé à raconter en riant de croissance rentable. Entre sa transition, en 1974,
qu’Iacocca signifiait en réalité « I Am Chairman of et 2000, le rendement des actions Abbott était de 4,5
Chrysler Corporation Always » (« Je suis le président pour 1, plus du double de celui des superstars du sec-
de la Chrysler Corporation pour toujours »). Quand teur, Merck et Pfizer.
enfin il est parti à la retraite, il a exigé que le board Charles R. Walgreen III, alias « Cork », illustre lui-
continue à lui fournir un jet privé et des stock-op- aussi la volonté de fer des leaders de niveau 5. Entre
tions. Il a joint par la suite ses forces au roi du rachat 1975 et 2000, Cork a transformé la vieillotte Wal-
d’entreprise, Kirk Kerkorian, pour une OPA hostile greens en une entreprise au rendement de 16 pour 1.
sur Chrysler (qui n’a pas abouti). Toutefois, il a pris Après des années de dialogue et de débats avec ses
une ultime et brillante décision en choisissant un équipes dirigeantes sur l’avenir de la branche restau-
homme modeste mais déterminé (peut-être même ration de la société, le P-DG a senti qu’ils avaient
un niveau 5) comme successeur. Bob Eaton a sauvé enfin atteint un tournant : l’avenir de Walgreens rési-
Chrysler d’une seconde mort possible en une décen- dait dans les pharmacies, pas dans les restaurants.
nie et a posé les bases d’une transition plus Dan Jorndt, qui a succédé à Cork en 1988, décrit la
durable. suite des événements :
« Au cours d’une réunion du comité de planifica-
UNE DÉTERMINATION INFLEXIBLE tion, Cork a dit ‘‘ OK, je commence le décompte à
Outre leur extrême humilité, les leaders de niveau 5 partir d’aujourd’hui. Dans cinq ans, on sera complè-
font aussi preuve dans leur travail d’une volonté ex- tement sortis de la restauration.’’ A l’époque, nous
traordinaire. Quand George Cain devint P-DG d’Ab- avions plus de 500 restaurants. On aurait pu en-
bott Laboratories, cette entreprise familiale apa- tendre une mouche voler. Il a continué : ‘‘Je veux que
thique figurait dans le dernier quartile de l’industrie tout le monde sache que l’horloge tourne.’’ Six mois
pharmaceutique et ne vivait que de l’érythromycine, plus tard, on était à nouveau en réunion de planifica-
sa vache à lait. Leader de niveau 5 typique par son tion et quelqu’un a dit, en passant, qu’il nous restait
absence de prétention, Cain n’avait pas le genre de cinq ans pour sortir du secteur de la restauration.
personnalité inspirante capable de galvaniser ses Cork n’était pas du genre à se mettre à hurler. Il a ta-
troupes mais possédait une force bien plus puis- poté sur la table et a dit ‘‘Non, vous avez quatre ans
sante : une grande exigence. Il ne supportait pas la et demi. Cinq ans, c’était il y a six mois. Il vous reste
médiocrité, quelle que soit sa forme, et se montrait quatre ans et demi.’’ Eh bien, dès le lendemain, les
absolument intolérant envers quiconque estimait choses se sont mises en branle pour réduire cette
qu’être « bon » suffisait. Et pendant les 14 années qui branche de notre activité  ! Cork n’a jamais ni hésité,
suivirent sa nomination, il a imposé sans relâche son ni douté. »
désir d’excellence pour Abbott Laboratories. Tout comme Darwin Smith avait vendu les mou-
Il a tout d’abord commencé par s’attaquer à l’une lins de Kimberly-Clark, Cork Walgreen a pris sa déci-
des causes de la médiocrité d’Abbott : le népotisme. sion avec une détermination stoïque. La restauration

110 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


n’était pas leur activité principale, même si elle gouverne 40 trimestres consécutifs de croissance
contribuait sensiblement aux profits de l’entreprise. des revenus – une performance assurément impres-
Le problème, au fond, était plus sentimental que fi- sionnante et digne de respect.
nancier. Après tout, l’entreprise avait inventé le Mais Gault n’a pas laissé une entreprise capable
milkshake malté et la restauration était une tradition d’exceller sans lui. Le successeur qu’il a désigné n’a
familiale de longue date, remontant au grand-père tenu qu’un an à son poste, le suivant a dû faire face à
de Cork. Certains restaurants avaient même été bap- une équipe de management si inconsistante qu’il lui
tisés en référence au P-DG –la chaîne Corky’s, par a fallu endosser un temps quatre rôles à la fois tout
exemple. Mais qu’importe : si Walgreen devait faire en se dépêchant d’identifier un adjoint potentiel. Les
voler en éclat cette tradition pour se recentrer sur le successeurs de Gault ont non seulement dû affronter
domaine dans lequel l’entreprise pouvait être la un vide managérial mais également un vide straté-
meilleure du monde (les pharmacies) et mettre un gique qui a fini par mettre l’entreprise à genoux.
terme à tout ce qui ne générait pas de bénéfices Bien sûr, vous pourriez objecter – comme l’a fait
conséquents, alors Cork le ferait. Tranquillement, un article de « Fortune » – que l’écroulement de Rub-
obstinément et simplement. bermaid après le départ de Gault prouve l’excellence
Une dernière remarque, captivante néanmoins, de son leadership. Gault a été un leader de niveau 4
sur notre découverte du niveau 5 : l’ambition de ce épatant, probablement le meilleur au cours des
type de leaders n’étant pas tournée vers eux-mêmes 60  dernières années. Mais il n’était pas de niveau 5,
mais vers leur entreprise, ils sélectionnent systéma- et c’est précisément la raison pour laquelle la perfor-
tiquement des successeurs brillants. Les leaders de mance de son entreprise est passée de « bonne » à
niveau 5 ont à cœur que le succès de leur entreprise
perdure et se soucient peu que personne ne sache
qu’ils sont à l’origine de ce succès. Comme nous l’a
confié l’un d’eux : « Je veux pouvoir, installé dans ma
véranda, constater que l’entreprise est l’une des Le yin et le yang des leaders de niveau 5
meilleures au monde et me dire ‘‘J’y ai travaillé.’’ » À
l’inverse, les leaders de niveau 4 échouent générale-
ment à lancer leur entreprise sur la voie d’un succès
pérenne. Après tout, quel meilleur témoignage de DÉTERMINATION
PROFESSIONNELLE
votre grandeur personnelle que l’effondrement de la Crée une réussite superbe,
Fait
société après votre départ ? preuve catalyse la transition de la performance
Dans plus des trois quarts des entreprises té- d’une vers l’excellence.
moins, nous avons constaté que les dirigeants forte Fait preuve d’une détermination inébranlable
modestie, et met tout en œuvre pour produire les meilleurs
avaient provoqué l’échec de leur successeur ou choisi
fuit l’adulation résultats possibles sur le long terme, quelle qu’en
des successeurs faibles – voire les deux. Voyez Rub- soit la difficulté.
du public, ne se
bermaid, qui de l’obscurité est passée au statut de Définit ses attentes et l’excellence visée,
vante jamais.
société parmi les plus admirées du classement For- Agit avec une n’accepte rien d’autre.
tune 500 –  et qui, tout aussi rapidement, est tombée détermination calme Regarde par la fenêtre, et non dans le
dans un tel état qu’elle a dû être cédée à Newell. et posée, s’appuie miroir, pour attribuer le
L’architecte de cette histoire incroyable ? Un lea- principalement sur son niveau mérite du succès de
élevé d’exigence et non sur son charisme pour son entreprise
der charismatique et brillant, Stanley C. Gault, dont
motiver ses troupes. – aux autres,
le nom est devenu à la fin des années 1980 synonyme aux facteurs
Canalise ses ambitions vers l’entreprise et non vers
du succès de Rubbermaid. Les 312 articles que notre extérieurs, à
lui-même, désigne des successeurs brillants pour
équipe de recherche a rassemblés sur la société ont que l’excellence perdure – et augmente encore. la chance.
révélé que Gault était un dirigeant redoutable et égo- Regarde dans le miroir et non par la fenêtre quand
centrique. Dans l’un de ces articles, il réagit à l’accu- il cherche le responsable de mauvais résultats,
sation d’être un tyran en déclarant : « Oui, mais un ne blâme jamais les autres, les facteurs
tyran sincère. » Dans un autre, ses propos sur la externes ou la malchance.
conduite du changement comportent 44 fois le mot HUMILITÉ PERSONNELLE
« je » et seulement 16 fois le mot « nous. » Bien sûr,
Gault avait toutes les raisons d’être fier de son succès
en tant que patron : Rubbermaid a généré sous sa

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 111


LE LEADERSHIP DE NIVEAU 5

« excellente » pendant une courte période, avant de repéré un leitmotiv intéressant dans le discours des
retomber tout aussi vite. dirigeants de ces dernières : ils imputaient générale-
ment leur situation au manque de chance et déplo-
LA FENÊTRE ET LE MIROIR raient les difficultés de l’environnement qu’ils
Dans le cadre de notre recherche, nous avons inter- devaient affronter.
viewé Alan L. Wurtzel, le leader de niveau 5 grâce Comparons par exemple Bethlehem Steel et Nu-
auquel Circuit City, au bord du délabrement et de la cor. Ces deux entreprises de sidérurgie, commerciali-
faillite, est devenue l’une des chaînes de magasins sant des produits très proches, ont eu à affronter la
d’électronique grand public les plus prospères des même concurrence : celle de l’acier importé, vendu à
Etats-Unis (la chaîne avait des magasins en dur très bas prix. Toutes deux accordaient des salaires
jusqu’en 2012, NDLR). 15 ans après le début de sa tran- bien plus élevés que leurs rivaux étrangers ; pourtant
sition, en 1982, Circuit City surpassait la moyenne du leurs dirigeants avaient un point de vue complète-
marché à 18,5 contre 1. ment différent du même environnement.
Nous avons demandé à Wurtzel de lister, par ordre En 1983, le P-DG de Bethlehem Steel résumait les
d’importance, les cinq facteurs essentiels de la trans- problèmes de son entreprise en blâmant les importa-
formation de son entreprise. Son facteur n°1 ? La tions : « Notre premier, deuxième et troisième pro-
chance. « Nous étions sur un très bon marché, avec le blème, ce sont les importations. » Pendant ce temps,
vent dans le dos », nous a-t-il dit. Mais enfin attendez, Ken Iverson et son équipe chez Nucor voyaient ces
avons-nous rétorqué, Silo – le concurrent avec lequel importations comme une bénédiction : « N’a-t-on pas
nous vous avons comparé – était sur le même mar- de la chance ? L’acier, c’est lourd, et eux doivent lui
ché, avec le même vent et des voiles plus grandes. La faire traverser l’océan par bateau. Ça nous donne un
conversation s’est poursuivie, Wurtzel refusant tou- avantage considérable ! » En effet, pour Iverson, les
jours de s’attribuer le mérite de la transition, préfé- premier, deuxième et troisième problèmes auxquels
rant de loin l’accorder à la chance d’avoir été au bon était confrontée la sidérurgie américaine, ce n’était
endroit, au bon moment. Puis, alors que nous lui de- pas les importations mais le management. Il alla
mandions de parler des facteurs qui permettent à une même jusqu’à dénoncer publiquement la politique
transition vers l’excellence de se prolonger dans la gouvernementale de protection contre les importa-
durée, il nous a dit : « La première chose qui me vient tions, en expliquant à un parterre de professionnels
à l’esprit, c’est la chance. J’ai eu la chance de trouver de l’acier médusés que les vrais problèmes du secteur
le bon successeur. » étaient liés au fait que le management n’avait pas su
La chance ! Voilà un facteur bien surprenant à suivre le rythme des avancées technologiques.
mentionner. Pourtant, les leaders de niveau 5 que L’accent porté sur la chance s’est avéré faire partie
nous avons identifiés l’ont tous fréquemment évo- d’un schéma plus large que nous avons surnommé
qué. Nous avons demandé à un dirigeant de l’entre- « la fenêtre et le miroir ». Les leaders de niveau 5,
prise sidérurgique Nucor la raison pour laquelle elle humbles par essence, regardent par la fenêtre et attri-
avait su enchaîner tant de bonnes décisions. Sa ré- buent le mérite de leur situation (même à tort) à des
ponse ? « Je suppose qu’on a tout simplement eu de la facteurs extérieurs à eux-mêmes. S’ils ne parviennent
chance. » Joseph F. Cullman III, le P-DG de niveau 5 de pas à trouver une personne ou un événement en par-
Philip Morris de 1957 à 1978, refusait tout net de s’at- ticulier à qui accorder ce mérite, ils l’attribuent à la
tribuer le mérite du succès de la compagnie et citait la chance. En parallèle, ils assignent les responsabilités
chance d’avoir eu d’excellents collaborateurs, prédé- en regardant dans un miroir et jamais ne citent la mal-
cesseurs et successeurs. Même le livre qu’il a écrit au chance ou les facteurs extérieurs en cas de difficultés.
sujet de sa carrière – qu’il n’a rédigé qu’à la demande A l’inverse, les dirigeants des autres entreprises re-
pressante de ses collègues et sans intention de le dif- gardent généralement par la fenêtre pour trouver des
fuser vraiment en dehors de l’entreprise – portait le facteurs à blâmer mais se pavanent devant le miroir
titre étonnant « I’m a Lucky Guy » (« Je suis un mec en s’attribuant tout le mérite des succès.
chanceux »). Détail amusant à propos de ce concept de fenêtre
L’accent mis sur la chance par les leaders de et de miroir : il ne reflète pas la réalité ! Selon notre
niveau 5 nous a dans un premier temps déroutés. étude, les leaders de niveau 5 étaient bel et bien res-
Après tout, rien ne prouvait que leurs sociétés avaient ponsables de la transformation de leur entreprise…
eu plus de chance (ou moins, d’ailleurs) que les mais ne l’auraient jamais admis. Bien sûr, on ne peut
entreprises de notre groupe témoin. Puis nous avons rentrer dans leur tête pour déterminer s’ils croient

112 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


SIX ATTITUDES CARACTÉRISANT
LES LEADERS DE NIVEAU 5
Le leadership de niveau 5 est un facteur essentiel pour qu’une entreprise nourrit la passion de ses collaborateurs.
On avance à partir du moment où on
passe d’une « bonne » à une « excellente » performance, mais ce n’est pas comprend le concept du hérisson et où on
le seul. Notre recherche a dévoilé de multiples facteurs permettant aux l’applique de façon systématique et
entreprises d’atteindre l’excellence. constante, en éliminant tout ce qui ne rentre
pas dans ces trois cercles.
CHOISIR D’ABORD LES PERSONNES Le processus s’apparente plutôt à un effort CHOISIR DES ACCÉLÉRATEURS TECHNOLOGIQUES
On s’attendrait à ce que les leaders de continu pour pousser une énorme Les entreprises qui ont atteint l’excellence
niveau 5 aient avant tout en tête une vision et et lourde roue dans une direction donnée. ont une relation paradoxale avec la
une stratégie. Au lieu de cela, ils se Les premières poussées permettent technologie. D’un côté, elles évitent de
préoccupent d’abord des gens et ensuite de à la roue de faire un tour. Si on maintient se jeter avec frénésie sur les nouveautés.
la stratégie. Ils font monter à bord les l’effort, elle en fait deux, puis cinq, De l’autre, elles sont pionnières dans
bonnes personnes, débarquent les puis dix, et enfin atteint son moment l’emploi de technologies rigoureusement
mauvaises, placent les gens aux bons d’inertie et prend franchement de la vitesse. sélectionnées et investissent de manière
endroits puis, seulement, fixent le cap. Les entreprises du groupe témoin n’ont audacieuse et visionnaire dans celles
FAIRE SIEN LE PARADOXE DE STOCKDALE jamais atteint l’élan nécessaire : elles directement en lien avec leur concept du
Fruit de notre recherche, ce paradoxe tire ont au contraire vacillé dans un sens hérisson. Tels des turbocompresseurs, ces
son nom de l’amiral James Stockdale, décoré puis l’autre, sous le poids de changements accélérateurs technologiques créent une
de la plus haute distinction militaire de plans, de décisions subies et de explosion qui accélère la vitesse de la roue .
américaine (Medal of Honor). Il a survécu restructurations radicales.
PRATIQUER UNE CULTURE DE LA DISCIPLINE
7 ans dans un camp vietcong en s’accrochant APPLIQUER LE CONCEPT DU HÉRISSON Quand on observe les entreprises qui
à deux croyances contradictoires : sa vie ne Dans un essai célèbre, le philosophe Isaiah atteignent l’excellence, on s’aperçoit
pouvait être pire qu’à ce moment… et sa vie Berlin décrit deux approches de la pensée qu’elles déploient systématiquement
serait un jour meilleure que jamais. Comme et de la vie à l’aide d’une parabole simple : trois formes de discipline : celle des équipes,
l’amiral Stockdale, les dirigeants de niveau 5 le renard en sait un peu sur tout, le hérisson celle de la réflexion et celle de l’action.
affrontent la réalité dans toute sa cruauté, ne connaît qu’une chose, mais très bien. Avec des équipes disciplinées, plus
tout en gardant une foi inébranlable dans Le renard est compliqué, le hérisson simple. besoin de hiérarchie. Avec une réflexion
le fait qu’ils finiront par triompher. Ils Et le hérisson gagne. Notre recherche montre disciplinée, plus besoin de bureaucratie.
s’accrochent à ces deux disciplines – la foi et que pour décoller, il faut avoir Avec une action disciplinée, plus
les faits – en même temps, tout le temps. une lecture simple, à l’instar de celle du besoin de contrôles excessifs.
CRÉER UN VOLANT D’INERTIE hérisson, de la zone d’intersection de trois En combinant culture de la discipline et
On n’atteint pas l’excellence du jour cercles : ce que l’entreprise fait de mieux, éthique entrepreneuriale, vous obtenez
au lendemain, ni d’un simple bond. ce qu’elle fait de plus rentable, et ce qui l’alchimie magique de l’excellence.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 113


LE LEADERSHIP DE NIVEAU 5

vraiment à ce qu’ils ont vu par la fenêtre ou dans le l’ambition d’un projet plus vaste et plus durable
miroir. Mais ça n’a pas vraiment d’importance : ils se qu’eux-mêmes. Pour ceux-là, le travail sera toujours et
comportent comme si ils y croyaient, et avec une telle avant tout une question de gain : renommée, fortune,
constance qu’ils aboutissent à des résultats pouvoir, adulation, etc. Il ne s’agira jamais de ce qu’ils
exceptionnels. construisent, créent ou contribuent à créer. La grande
ironie de la situation, c’est que la force et l’ambition
ACQUIS OU INNÉ ? personnelle qui amènent généralement ces gens au
Il y a un certain temps, je partageais nos découvertes niveau 4 est précisément en contradiction avant l’hu-
sur le leadership de niveau 5 devant une assemblée milité requise pour s’élever au niveau 5.
de dirigeants. Une femme récemment nommée à la Quand on combine cette ironie avec la croyance
tête de son entreprise a levé la main. « Je suis d’accord encore très répandue au sein des comités de direc-
avec ce que vous racontez sur le leadership de tion que seul un leader hors du commun et égocen-
niveau 5, a-t-elle dit, mais je suis troublée parce que trique peut guider une entreprise vers l’excellence,
j’ai conscience de ne pas encore y parvenir. D’ailleurs, on réalise rapidement pourquoi les dirigeants de ni-
je n’y parviendrai peut-être jamais. J’ai eu ce poste, veau 5 restent rares à la tête de nos sociétés. On
notamment, grâce à mon ego très fort. Etes-vous en continue à placer en position de pouvoir des gens qui
train de dire que je ne peux pas faire exceller mon n’ont pas le germe du niveau 5 en eux, et c’est l’une
entreprise si je ne suis pas de niveau 5 ? » des principales raisons pour laquelle si peu d’entre-
« Laissez-moi en revenir aux faits, lui ai-je ré- prises réussissent une transition durable et quanti-
pondu. Sur les 1 435 entreprises à avoir rejoint le clas- fiable vers l’excellence.
sement Fortune entre 1965 et 1995, nous n’en avons L’autre catégorie est composée de celles et ceux
retenu que 11 dans notre étude. Parmi ces 11, toutes qui pourraient atteindre le niveau 5 : cette capacité est
avaient des leaders de niveau 5 à des postes clés, di- en eux, enfouie peut-être, ou ignorée, ou tout simple-
rection générale comprise, au moment de leur transi- ment naissante. Dans certaines circonstances – et
tion. Je le répète, nous ne sommes pas en train d’affir- avec de l’introspection, l’aide d’un mentor, des pa-
mer que le niveau 5 est le seul élément requis pour rents aimants, une expérience de vie intense ou autre
passer d’une bonne à une excellente performance, chose encore – le germe peut commencer à se déve-
mais c’est un élément essentiel. » lopper. Certains des leaders de niveau 5 de notre
Elle s’est rassise, silencieuse, et je sentais que étude ont vécu des expériences fortes, qui sans
beaucoup dans la salle étaient aussi en train de réflé- doute ont initié le développement du germe en eux.
chir. Finalement, elle a de nouveau levé la main. Darwin Smith s’est pleinement épanoui au niveau 5
« Peut-on apprendre à devenir un leader de niveau après que son cancer lui a fait frôler la mort ; Joe Cull-
5 ? » Je ne connais toujours pas la réponse à cette man a été profondément touché par ce qu’il a vécu
question. Pour être honnête, notre recherche ne s’est pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment la
pas penchée sur la manière dont les leaders de niveau réaffectation de dernière minute qui l’a empêché de
5 le sont devenus, et nous n’avons pas tenté d’expli- monter à bord d’un navire condamné où il aurait très
quer ou de codifier la nature de leurs émotions. Nous certainement perdu la vie. A ses yeux, les 60 années
avons spéculé sur leurs personnalités très particu- suivantes ont constitué un cadeau merveilleux. Une
lières. Sont-ils « coupables » d’avoir déplacé leur am- foi très forte ou une conversion religieuse peuvent
bition vers quelque chose d’autre qu’eux-mêmes ? aussi venir nourrir le germe du niveau 5. Colman
Ont-ils sublimé leur ego pour d’obscures et com- Mockler, par exemple, s’est converti au christianisme
plexes raisons liées à des traumatismes dans leur évangélique au moment de son MBA à Harvard. Gor-
enfance ? Qui sait ? Et, plus important probablement don McKibben explique dans son livre « Cutting
encore, les racines psychologiques du leadership de Edge » qu’il est ensuite devenu un pilier d’un groupe
niveau 5 sont-elles plus importantes que celles du de dirigeants bostoniens qui discutent régulièrement
charisme ou de l’intelligence ? La question subsiste : autour d’un petit déjeuner de l’application des va-
le niveau 5 peut-il s’acquérir ? leurs religieuses à la vie d’entreprise.
Mon hypothèse préliminaire est qu’il y a deux ca- Nous adorerions pouvoir vous donner une liste
tégories de personnes – celles qui ont le germe du ni- des étapes à franchir pour accéder au niveau 5 – autre
veau 5 en elles, et celles qui ne l’ont pas. Cette seconde que contracter un cancer, se convertir ou changer de
catégorie est constituée de gens qui jamais, au grand parents – mais nous n’avons aucune étude chiffrée
jamais, ne pourront assujettir leurs propres besoins à qui viendrait crédibiliser une telle liste. Notre

114 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


recherche a montré que le niveau 5 était une compo- direction. On ne peut garantir que vous deviendrez
sante clé de la boîte noire permettant aux résultats ainsi un leader de niveau 5 accompli, mais au moins À PROPOS
DE L’AUTEUR
d’une entreprise de passer de « bonne » à « excel- aurez-vous un point de départ tangible, surtout si
Au moment de la
lente ». Cette boîte noire en contient une autre, qui vous avez le germe en vous. rédaction de cet article,
renferme la trajectoire par laquelle un individu ac- On ne peut avancer, sans se tromper, le pourcen- l’auteur occupait
les fonctions suivantes :
cède au niveau 5. On pourrait spéculer sur le contenu tage de gens qui ont le germe en eux, ni combien par-
de cette seconde boîte noire, mais ce ne serait, juste- viendront à le développer suffisamment pour devenir Jim Collins dirige un
ment, que des spéculations. un leader de niveau 5. Même ceux d’entre nous qui, cabinet d’études spécialisé
dans le management à
En bref, le niveau 5 est une idée très satisfaisante, au sein de l’équipe de recherche, ont identifié ce Boulder (Colorado). Les
véridique, puissante et absolument essentielle pour germe en eux, ne peuvent dire s’ils réussiront à at- idées développées dans cet
article figurent dans son
le passage d’une bonne à une excellente perfor- teindre un tel niveau. Et pourtant, nous tous qui livre «Good to Great : Why
mance. Mais créer une feuille de route « Comment avons travaillé sur cet aspect sommes inspirés par Some Companies Make the
accéder au niveau 5 en 10 étapes » reviendrait à déva- l’idée de tenter d’y parvenir. Darwin Smith, Colman Leap… and Others Don’t»
(HarperBusiness, 2001).
loriser le concept. Mockler, Alan Wurtzel et tous les autres leaders de Ce livre a été traduit en
Le meilleur conseil que je puisse vous donner, niveau 5 dont nous avons découvert l’existence sont français sous le titre :
« De la performance à
basé sur notre recherche, est de pratiquer les disci- devenus pour nous des modèles à suivre. Que nous l’excellence. Devenir une
plines que nous avons découvertes et qui permettent parvenions ou non à atteindre ce niveau, cela vaut la entreprise leader »
(Pearson, 2013).
d’atteindre l’excellence. Puisque nous avons établi peine d’essayer. Car, comme toujours quand on
une forte corrélation entre chacune de ces disciplines touche du doigt ce qu’il y a de meilleur en l’être hu- La version originale de cet
article a été publiée en
et le niveau 5, nous supposons que les appliquer main, on sait que nos vies et toutes nos initiatives juillet-août 2005 dans
consciencieusement vous conduira dans la bonne sortiront grandies de nos efforts pour y parvenir. l’édition américaine de HBR.

L'I D É E E N P R ATI Q U E
HUMILITÉ + DÉTERMINATION = NIVEAU 5 entreprise. Mais les dirigeants qui ont ce germe en eux peuvent,
Comment les leaders de niveau 5 manifestent-ils leur humilité ? sous certaines conditions – en pratiquant l’introspection
En attribuant systématiquement le succès de leur entreprise aux ou en vivant un événement profondément marquant telle
autres, aux facteurs extérieurs et à la chance et en se désignant qu’une maladie mortelle – l’amener à se développer.
comme responsables en cas de faibles performances. Ils agissent
avec calme et détermination et motivent leurs équipes non par ATTEINDRE LE NIVEAU 5
un charisme inspirant, mais par des attentes inspirantes. Faites germer le niveau 5 en mettant en œuvre les pratiques
Ces attentes élevées sont la preuve de leur volonté inébranlable. appliquées par les leaders de niveau 5 pour passer d’une
Ils ne supportent pas la médiocrité et se montrent fermes dans « bonne » à une « excellente » performance :
leur décision de mettre tout en œuvre pour atteindre l’excellence, Choisir d’abord les personnes
même s’il faut pour cela sacrifier le reste. Ils sélectionnent de Occupez-vous des gens d’abord, de la stratégie ensuite.
brillants successeurs pour que leur entreprise remporte toujours Embarquez avec vous les bonnes personnes et débarquez
plus de succès à l’avenir. les mauvaises. Puis déterminez la direction du navire.
Faire sien le paradoxe de Stockdale
PEUT-ON APPRENDRE LE LEADERSHIP DE NIVEAU 5 ? Affrontez la réalité, aussi brutale soit-elle
Les leaders de niveau 5 sont au sommet d’une hiérarchie – tout en conservant une foi absolue en votre réussite.
de quatre autres niveaux, plus communs, et possèdent les Créer un volant d’inertie
compétences de ces quatre niveaux. Par exemple, les leaders de Entretenez le volant d’inertie de votre entreprise.
niveau 4 ont une vision claire et convaincante à laquelle ils sont Avec des efforts soutenus, la vitesse augmente jusqu’à ce
dévoués et qu’ils poursuivent avec force. Peut-on passer du que – bam ! – le volant finisse par tourner seul.
niveau 4 au niveau 5  ? Oui, à la condition d’avoir le « germe » Appliquer le concept du hérisson
du niveau 5 en soi. Les leaders qui ne l’ont pas tendent à avoir Voyez votre entreprise comme l’intersection de trois cercles :
des egos monumentaux qu’ils ne peuvent assujettir à une chose ce qu’elle fait de mieux, ce qu’elle fait de plus rentable, ce qui
plus grande et moins fugace qu’eux-mêmes, à savoir leur nourrit la passion de ses collaborateurs. Eliminez tout le reste.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 115


LA FORMULE
FERGUSON
par Anita Elberse, avec sir Alex Ferguson

C’est l’un des plus


grands coachs
de tous les temps.
Avant de prendre sa retraite, en mai 2013, sir Alex Ferguson
a été durant 26 saisons le manager du club de football
Manchester United, une des équipes sportives qui ont le plus
de valeur et alignent le plus de succès. Durant cette période,
le club a gagné 13 titres nationaux (Premier League),
ainsi que 25 autres trophées nationaux et internationaux
– soit près du double de ce que le numéro 2 sur la liste des
entraîneurs de football d’outre-Manche peut revendiquer.
Ferguson a été en réalité bien plus qu’un coach. Il a joué
un rôle central dans l’organisation de Manchester United,
en dirigeant non seulement l’équipe première, mais le club
tout entier : « Steve Jobs était Apple. Sir Alex est Manchester
United », affirme David Gill, l’ancien président du club.
En 2012, Anita Elberse, professeure à la Harvard Business
School, a eu l’occasion exceptionnelle de se pencher sur
l’approche du management de Ferguson. Elle a élaboré à partir
PHOTO : SEAN POLLACK

de ses observations une étude de cas pour la Harvard Business


School. C’est avec Ferguson lui-même qu’elle analyse
aujourd’hui ses méthodes, couronnées de succès hors normes.
Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 117
LA FORMULE FERGUSON

U
ne réussite et une d’excellence » pour les joueurs prometteurs – dès l’âge
endurance telles que de 9 ans – et a recruté dans cette optique plusieurs
celles de sir Alex Fergu- prospecteurs ayant pour mission de lui ramener les
son exigent d’être étu- plus talentueux de ces footballeurs en herbe. La plus
diées de près, et pas célèbre de ces premières trouvailles a été David Bec-
seulement par les ama- kham. Et la plus importante, Ryan Giggs, que Fergu-
teurs de football. Com- son a remarqué en 1986, alors qu’il n’était qu’un mai-
ment a-t-il fait ? Est-il grichon âgé de 13 ans, et qui a été élu en 2011 « meilleur
possible d’identifier les joueur de Manchester United » par les supporters des
constantes qui ont fa- Red Devils. A 40 ans, Giggs était toujours membre de
vorisé ses succès, ainsi que leurs principes direc- l’équipe de Manchester United. Les stars de longue
teurs ? Durant ce qui constitua son ultime année date Paul Scholes et Gary Neville ont de la même fa-
d’études, mon ancien étudiant Tom Dye et moi- çon fait partie des premiers investissements réalisés
même avons mené une série d’entretiens approfon- par Ferguson dans le cadre de son programme pour
dis avec Ferguson sur ses méthodes de leadership. les jeunes. Ils ont formé, avec Giggs et Beckham, le
Nous l’avons également observé en pleine action, cœur des grandes équipes de Manchester United de la
tant sur les terrains d’entraînement de Manchester fin des années 1990 et du début des années 2000. Des
United que dans le célèbre stade d’Old Trafford, à équipes qui ont, selon Ferguson, le mérite d’avoir
l’entrée duquel s’élève désormais une statue de façonné l’identité moderne du club.
3  mètres de haut à l’effigie de l’ancien coach. Nous C’était un immense pari que de miser sur des
avons parlé avec nombre de ses collaborateurs, de jeunes talents, quand l’idée dominante, exprimée
David Gill aux entraîneurs adjoints, en passant par le ainsi par un commentateur de télévision respecté,
responsable des équipements et les joueurs eux- était qu’« on ne peut gagner quoi que ce soit avec des
mêmes. Nous avons aussi observé Ferguson lors de gamins ». Ferguson, pour sa part, avait opté pour une
nombreuses rencontres et eu de rapides discussions approche systémique de la question, en faisant la
avec ses joueurs ou les membres de son staff, aussi distinction entre bâtir une équipe –  préoccupation ex-
bien entre deux portes qu’à la cafétéria ou sur les ter- clusive de la plupart des entraîneurs – et bâtir un club.
rains d’entraînement – en fait où que ce soit, dès que
l’occasion se présentait. Plus tard, Ferguson est venu SIR ALEX FERGUSON : « Dès l’instant où je suis arrivé à
nous rendre visite à la Harvard Business School. Il a Manchester United, je n’ai plus pensé qu’à une
assisté au cours consacré à « son » étude de cas, don- chose : bâtir un club de football, et le bâtir de A à Z.
nant son avis et répondant aux questions des étu- Avec pour objectif de créer une fluidité et une conti-
diants, ce qui a transformé la classe en une espèce de nuité des ressources pour l’équipe première. Avec
forum où on ne pouvait que se tenir debout, et a cette approche, les joueurs grandissent tous en-
donné lieu à des échanges tout à  fait captivants. semble et développent des liens affectifs, qui, à leur
Ferguson et moi avons discuté des « huit leçons tour, génèrent un état d’esprit. A mon arrivée, seul
de leadership » qui reprennent les points fondamen- un joueur de l’équipe avait moins de 24 ans. Vous
taux de sa méthode. Bien que j’aie pris soin de ne pas imaginez cela, dans un club comme Manchester
trop les extrapoler, il est clair que nombre d’entre United ? Je savais que le fait de concentrer notre
elles peuvent s’appliquer à l’univers du business, attention sur les jeunes allait s’inscrire dans l’his-
voire plus largement encore à la vie dans son en- toire du club. De plus, mon expérience antérieure en
semble. Dans l’article qui suit, je présente chacune tant qu’entraîneur m’avait appris qu’il était possible
de ces leçons comme un résultat de mes observa- de gagner avec de jeunes joueurs, et je savais com-
tions, avant de donner la parole à Alex Ferguson. ment bien travailler avec eux. J’avais donc confiance
et j’étais convaincu que, si Manchester United vou-
–Anita Elberse
lait revenir au premier plan, il était crucial de re-
construire cette structure ‘‘ jeunes’’. On peut trouver
COMMENCEZ PAR LES FONDATIONS cela audacieux, mais la fortune ne sourit-elle pas
Dès son arrivée à Manchester, en 1986, Alex Ferguson aux audacieux ?
s’est employé à créer les bases d’une structure à long La première pensée de la quasi-totalité des entraî-
terme en modernisant le programme de formation neurs qui arrivent dans un nouveau club est de tout
des jeunes du club. Il a mis en place deux « centres faire pour gagner – afin de survivre en tant que

118 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


L'I D É E E N B R E F
LE BILAN LA QUESTION LES LEÇONS
Avant de prendre sa retraite en mai 2013, Quelles étaient les méthodes L’approche de Ferguson peut être
après avoir dirigé durant vingt-six ans le qui ont conduit sir Alex Ferguson décomposée en huit principes directeurs,
club de football Manchester United, sir à une telle réussite, et peuvent-elles qui vont de l’avantage de prendre ses
Alex Ferguson a été l’un des entraîneurs s’appliquer sur d’autres terrains ? distances pour observer jusqu’aux détails
les plus titrés, tous sports confondus. de la préparation menant à la victoire.
Avec lui, le club a gagné 13 fois la
Premier League et remporté 25 autres
trophées anglais et internationaux.

coach. C’est pourquoi ils amènent avec eux des humain, et à leur donner des bases solides pour
joueurs expérimentés. Cette attitude est due au fait poursuivre leur vie. Quand vous offrez leur chance à
que nous évoluons dans un secteur focalisé sur les des jeunes, vous n’allongez pas seulement la durée
résultats : dans certains clubs, il suffit de perdre trois de vie de l’équipe, vous fabriquez de la fidélité. Ils
matchs d’affilée pour se faire remercier. Dans le n’oublieront jamais que vous êtes celui qui leur a
monde du football actuel, où l’on voit arriver un nou- donné leur première chance. Une fois qu’ils ont pris
veau genre de dirigeants et un nouveau genre d’ac- conscience que vous agissez pour leur bien, ils ac-
tionnaires, je ne suis pas sûr qu’un club, quel qu’il ceptent vos méthodes. Vous encouragez en fait le
soit, aurait encore la patience d’accorder quatre ans sentiment d’appartenance à une famille. Accordez à
à un entraîneur pour bâtir une équipe. des jeunes votre attention, donnez-leur l’opportu-
Gagner un match n’apporte qu’un bénéfice à nité de réussir et ils vous étonneront au-delà de ce
court terme, car vous pouvez perdre le suivant. que vous pouvez imaginer. »
Construire un club est un gage de stabilité et de cohé-
rence. Même s’il ne faut jamais quitter des yeux OSEZ REBÂTIR VOTRE ÉQUIPE
l’équipe première, nos efforts pour promouvoir les Même aux moments des plus grandes victoires, Fer-
jeunes ont fini par déboucher sur nos nombreux suc- guson œuvrait pour reconstruire son équipe. Durant
cès des années 1990 et du début des années 2000. la période où il a dirigé le club, il a ainsi composé cinq
Les jeunes joueurs ont alors incarné l’esprit du club. équipes distinctes qui ont gagné le championnat
Je suis toujours fier d’assister à l’éclosion d’un anglais, tout en continuant à remporter sans cesse
jeune joueur. Le travail d’un entraîneur, tout comme des trophées. Ses décisions résultaient de la percep-
celui d’un enseignant, est d’inciter les gens à s’amé- tion aiguë du stade précis où se trouvait son équipe
liorer, à développer leurs compétences techniques, à dans le cycle de reconstruction, et d’une vision tout
se battre pour gagner, à devenir meilleurs au plan aussi fine des cycles de vie des joueurs – à savoir

UN VOYAGE VERS LA GLOIRE


6 NOVEMBRE 1986
Alex Ferguson est nommé manager
entraîneur de Manchester United,
après avoir gagné dix titres avec le
club d’Aberdeen, dont une Coupe
européenne aux dépens du Real Madrid.
Manchester United est alors classé
PHOTOS : GETTY IMAGES

20e (sur 22) de la Premier League et


est menacé de relégation. Sous la
houlette de Ferguson, le club termine
finalement la saison à la 11e place.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 119


LA FORMULE FERGUSON

Bien que j’aie toujours


essayé de le réfuter, je crois départs, plus d’argent que la plupart de ses rivaux
– ce qui lui a permis de continuer à miser sur de nou-

que le cycle victorieux veaux talents. Nombre des paris de Ferguson ont
concerné de très jeunes joueurs sur le point d’accé-

d’une équipe dure quatre der au statut de superstars (encore qu’il lui soit par-
fois arrivé de puiser dans sa tirelire pour faire venir

ans, après quoi il faut une star établie, comme le buteur hollandais Robin
van Persie, acheté à l’âge de 29 ans pour 35 millions

changer certaines choses. de dollars, au début de la saison 2012-2013). Le club


laissait du temps à ces jeunes en les mettant dans les
meilleures conditions pour réussir. La majorité des
joueurs plus âgés étaient vendus à d’autres clubs,
alors qu’ils étaient encore très cotés, mais quelques
l’état de leur contribution au rendement global de vétérans de haut niveau étaient conservés pour as-
l’équipe à tout moment. Le processus de développe- surer la continuité et projeter la culture de Manches-
ment des talents incluait inévitablement de se sépa- ter United vers l’avenir.
rer à un moment donné de certains joueurs, y com-
pris des vétérans fidèles auxquels Ferguson était SIR ALEX FERGUSON: « Nous distinguions trois
personnellement attaché. Sur ce sujet, Ryan Giggs groupes de joueurs selon leur âge : les 30 ans et plus,
nous a dit : « Il ne regarde jamais l’instant présent, il les 23-30  ans et les plus jeunes. L’idée de base,
est toujours tourné vers l’avenir. Il a ce don de savoir c’était que les jeunes étaient en pleine phase de
ce qu’il faut renforcer et ce qu’il faut renouveler. » développement et qu’ils réussiraient à atteindre un
Nos analyses des données concernant les trans- jour le niveau de leurs aînés. Bien que j’aie toujours
ferts de joueurs sur une décennie révèlent à quel essayé de le réfuter, je crois que le cycle victorieux
point Ferguson excellait aussi dans le rôle de gestion- d’une équipe dure quatre ans, après quoi il faut
naire d’un portefeuille de talents. Il a été un stratège changer certaines choses. Nous avons donc essayé
rationnel et systématique. Au cours des dix dernières de développer une vision de l’équipe à trois ou
années, durant lesquelles Manchester United a ga- quatre ans, et de prendre des décisions en consé-
gné le titre national à cinq reprises, le club a dépensé quence. Du fait que je suis resté à Manchester
moins que ses rivaux (Chelsea, Manchester City, United très longtemps, je pouvais me permettre de
Liverpool) pour acquérir des joueurs, en particulier planifier à l’avance – car personne ne s’attendait à ce
grâce à sa politique de jeunes : les moins de 25 ans y que je parte où que ce soit. De ce point de vue, j’ai
représentaient en effet une part beaucoup plus été très chanceux.
importante des achats de nouveaux joueurs que chez L’objectif était d’évoluer graduellement, en reti-
ses concurrents. Et, dans la mesure où le club était rant les joueurs les plus âgés de l’équipe et en y inté-
disposé à vendre des joueurs qui avaient encore de grant des jeunes. Cela soulevait deux questions.
belles années devant eux, il gagnait, grâce à ces Premièrement, qui avions-nous comme joueurs en

FA CHARITY COUPE DES VAINQUEURS SUPERCOUPE


CUP SHIELD DE COUPE DE L’UEFA
1987 1988 1989 1990 1991

12 MAI 1990 2 MARS 1991


Manchester United remporte son Ryan Giggs fait ses débuts en Football League.
premier trophée de l’ère Ferguson, Agé de 17 ans, Giggs est issu du centre de
la prestigieuse Coupe d’Angleterre formation des jeunes de Manchester United,
(FA Cup). Sous sa houlette, le club réorganisé par Ferguson dès son arrivée. Giggs
gagnera en tout 38 titres nationaux est considéré comme un des joueurs les plus
et internationaux, ce qui fait de influents depuis la création du club, il y a 135
Ferguson le manager le plus titré ans. Il a joué près de 1„000 matchs (un record)
de l’histoire du football anglais. et gagné 35 trophées avec Manchester United.

120 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


devenir et, selon nous, comment allaient-ils évoluer s’est propagée : les joueurs n’acceptaient pas que
dans les trois ans à venir ? Deuxièmement, y avait-il leurs partenaires ne donnent pas le meilleur d’eux-
des signes montrant que des joueurs se faisaient mêmes, les plus grandes stars ne faisant pas
vieux ? Certains peuvent continuer à jouer très long- exception.
temps, comme Ryan Giggs, Paul Scholes ou Rio Fer-
dinand, mais l’âge a son importance. La chose la SIR ALEX FERGUSON : « Tout ce que nous faisions ten-
plus dure, c’est de se séparer d’un joueur qui a été un dait à pérenniser les standards que nous avions défi-
type formidable – mais la vérité est sur le terrain. Si nis pour le club – aussi bien pour bâtir l’équipe que
vous voyez le changement, la détérioration, vous pour la préparer, la motiver ou parler tactique. Ainsi,
devez vous demander à quoi ressembleront les nous n’avons jamais toléré une séance d’entraîne-
choses dans deux ans. » ment médiocre. Ce que vous voyez à l’entraînement
se révèle les jours de match. C’est pourquoi chaque
PLACEZ LA BARRE TRÈS HAUT, séance était axée sur la qualité : nous n’autorisions
ET RESPONSABILISEZ CHACUN aucun relâchement et nous mettions l’accent sur
POUR ATTEINDRE L’OBJECTIF l’intensité, la concentration, la vitesse – bref sur la
C’est avec des accents passionnés que Ferguson performance de haut niveau. Grâce à quoi nous es-
parle de sa volonté d’inspirer des valeurs à ses périons voir nos joueurs s’améliorer à chaque
joueurs. Au-delà du développement de leurs com- séance.
pétences techniques, il a cherché à leur apprendre à Je devais placer la barre plus haut pour mes
s’améliorer et à ne jamais renoncer – en d’autres joueurs. Il fallait qu’ils ne renoncent jamais. Je ne
termes, à devenir des gagnants. cessais de leur répéter : ‘‘ Si vous renoncez une fois,
Son intense désir de victoire vient pour partie de vous renoncerez une deuxième fois…’’ Et mon
sa propre expérience en tant que joueur. Après avoir éthique et mon énergie ont semblé contaminer le
intégré avec succès plusieurs petits clubs écossais, il club : j’étais le premier à arriver, à sept heures du
avait signé dans une grande équipe – les Glasgow matin chaque jour, jusqu’à ce que, à la fin de mes
Rangers, dont il était supporter quand il était enfant. années comme entraîneur, bon nombre des
Mais il fut rapidement mis sur la touche par le nou- membres de mon staff soient là avant moi. Je crois
vel entraîneur et il quitta le club au bout de trois sai- qu’ils ont compris pourquoi je venais si tôt : parce
sons, avec pour tout trophée une médaille de fina- qu’il y avait du travail et qu’il fallait l’accomplir. Et
liste de la Coupe d’Ecosse. « L’adversité a fait naître ils devaient se dire quelque chose comme : ‘‘S’il peut
ILLUSTRATIONS : GRAHAM SAMUELS

en moi un sens de la détermination qui a structuré le faire, alors je peux le faire aussi.’’
ma vie. Je me suis mis en tête que je ne renoncerais Je n’ai cessé de répéter à mon équipe que travail-
jamais », nous a-t-il affirmé. ler durement tout au long de sa vie est un talent.
Ferguson en attendait tout autant de ses joueurs. Mais j’en escomptais encore plus de la part des
Il a recruté en priorité ce qu’il appelait des « mauvais joueurs stars. J’attendais d’eux qu’ils travaillent en-
perdants », et a exigé d’eux qu’ils travaillent core plus dur. Je leur disais : ‘‘Vous devez montrer
extrêmement dur. Les années passant, cette attitude que vous êtes les meilleurs.’’ Et ils le faisaient. C’est

LEAGUE CUP PREMIER


LEAGUE
1992 1993 1994 1995 1996

7 JUIN 1991 2 MAI 1993


Le président Martin Edwards introduit Manchester United remporte le
Manchester United à la Bourse de Londres. championnat anglais pour la
Le club est alors estimé à 47 millions de livres première fois depuis 26 ans. Ainsi

47
sterling. Son entrée en Bourse rapporte se conclut la première saison de la
6,7 millions de livres. Premier League (ex-Football League),
formée par 22 clubs en 1992.
millions Manchester remportera le titre
de livres encore 12 fois sous l’ère Ferguson.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 121


LA FORMULE FERGUSON

pourquoi ils s’avéraient effectivement des stars – des implacable de répliquer aux joueurs qui ont violé
gens prêts à travailler plus dur que les autres. Les ces principes. Si un joueur se conduisait mal, il était
superstars à l’ego démesuré ne constituent pas un mis à l’amende. Et si ce joueur outrepassait la limite
problème, contrairement à ce que pensent beaucoup au risque de menacer la performance de l’équipe,
de gens. Ces joueurs-là ont besoin de gagner, car c’est Ferguson s’en séparait. Ainsi, en 2005, quand Roy
la victoire qui caresse leur ego. Aussi, ils font tout ce Keane, le capitaine chevronné de l’équipe, a criti-
qu’il faut pour y arriver. qué ses coéquipiers, Ferguson a mis fin à son
J’ai souvent vu Cristiano Ronaldo, David Beckham, contrat. Et l’année suivante, lorsque le meilleur
Ryan Giggs, Paul Scholes et d’autres joueurs s’entraî- buteur du club à l’époque, Ruud van Nistelrooy, a
ner des heures durant, et il me fallait les chasser du affiché son mécontentement après avoir été à plu-
terrain. Je tapais à la fenêtre en leur disant : ‘‘On a un sieurs reprises relégué sur le banc, il a été prompte-
match samedi !’’ Mais ils voulaient encore du temps ment transféré au Real Madrid.
pour s’entraîner. Ils avaient compris qu’être titulaire à Dans ces histoires d’autorité, montrer sa force
Manchester United n’est pas un boulot facile. est nécessaire, mais pas suffisant. Il faut aussi agir
sans délai, avant que la situation ne vous échappe :
NE CÉDEZ JAMAIS, en matière de contrôle, la rapidité de la réplique est
AU GRAND JAMAIS, LE CONTRÔLE tout aussi importante que sa force.
« Vous ne pouvez jamais perdre le contrôle quand
vous devez gérer trente professionnels aguerris qui SIR ALEX FERGUSON : « S’il advenait un jour que les
sont tous millionnaires, nous a déclaré Ferguson. Et joueurs contrôlent l’entraîneur de Manchester
si un ou plusieurs d’entre eux cherchent à me United – en d’autres termes, si les joueurs se met-
prendre à parti, à contester mon autorité ou ma taient à décider du contenu des entraînements, des
direction, je m’en occupe personnellement. » Une jours de repos, des règles disciplinaires ou des choix
raison essentielle de la pérennité des principes tactiques – alors Manchester United cesserait d’être
d’excellence à Manchester United tient à la très le club que nous connaissons. Avant d’arriver à Man-
forte détermination de Ferguson et à sa manière chester, je me suis dit que je ne laisserais personne

Je me suis dit que je ne laisserais


personne avoir plus de poids que moi.
Votre personnalité doit être plus
trempée que celles des joueurs.

LIGUE DES COUPE


CHAMPIONS INTERCONTINENTALE
1997 1998 1999 2000 2001

10 SEPTEMBRE 1998 AOÛT 1998 – MAI 1999 14 AVRIL 2001


Lancement de la chaîne payante Manchester United réalise le triplé Sir Alex Ferguson devient
MUTV, diffusant des talk-shows, championnat – Coupe d’Angleterre – Ligue le premier entraîneur
des interviews de joueurs et de des champions. C’est le seul depuis 1888 (création de
membres du staff et des rediffusions club britannique à avoir jamais obtenu un la Football League) à
de matchs. En 2013, la chaîne est tel résultat sur une saison. Alex Ferguson remporter le titre de
présente dans 57 pays et rapporte est anobli par la reine Elizabeth II pour champion trois saisons
près de 9 millions de livres sterling services rendus au sport. La cote d’amour de suite. Exploit réitéré
par an à Manchester United. du club monte en flèche. en 2007-2008-2009.

122 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


avoir plus de poids que moi. Votre personnalité doit FAITES PASSER LE BON MESSAGE
être plus trempée que celles des joueurs, c’est vital. AU BON MOMENT
A certains moments, vous devez vous demander si Quand il s’agissait de communiquer des décisions à
tel ou tel joueur affecte l’atmosphère du vestiaire, la ses joueurs, Ferguson – et cela peut paraître surpre-
performance de l’équipe, ou encore votre autorité sur nant compte tenu de sa réputation de fermeté et de
l’équipe ou le staff. Si c’est le cas, il vous faut couper grande exigence – travaillait beaucoup pour adapter
les ponts, il n’y a pas d’autre solution. Peu importe si son discours à la situation.
cela concerne le meilleur joueur du monde. Le projet Quand il lui fallait annoncer à un joueur qu’il ne
à long terme d’un club est plus important que n’im- serait pas dans le onze de départ (alors que le joueur
porte quel individu, et le manager doit être le person- s’attendait à en faire partie), il remplissait cette
nage le plus important du club. mission avec délicatesse. « En tête-à-tête, car ce n’est
Certains clubs anglais ont si souvent changé pas simple. Je lui disais : “Je commets peut-être une
d’entraîneur que le pouvoir est revenu aux joueurs grosse erreur (je commençais toujours par cette
dans le vestiaire. C’est extrêmement dangereux. Si un phrase), mais pour aujourd’hui, je considère que
coach n’a pas le pouvoir, il ne durera pas. A ce poste, c’est la meilleure équipe possible.” J’essayais de leur
vous devez arriver à tout contrôler, et les joueurs insuffler de la confiance, en leur expliquant qu’il ne
doivent admettre qu’en tant qu’entraîneur vous avez s’agissait que d’un choix tactique et que des matchs
le pouvoir de changer le cours des événements. plus importants s’annonçaient. »
Vous pouvez vous compliquer la vie – sur bien des Pendant les entraînements qui précédaient les
plans – en vous posant la question : ‘‘Est-ce que les rencontres, Ferguson et ses adjoints mettaient l’ac-
joueurs m’apprécient ?’’ Mais si vous faites bien votre cent sur les aspects positifs. Et bien que les médias
métier, les joueurs vous respectent, et c’est tout ce l’aient souvent dépeint comme l’auteur de discours
dont vous avez besoin. féroces à la mi-temps ou lors des discussions d’après
J’avais tendance à agir vite lorsque je m’apercevais match, en réalité, il modulait son approche. « Vous ne
qu’un joueur commençait à développer une influence pouvez pas toujours arriver en criant et en hurlant.
néfaste. Certains diraient peut-être que j’agissais sur Cela ne marche pas », nous a-t-il déclaré. L’ancien
un coup de tête, mais je crois pour ma part qu’il était joueur Andy Cole exprime les choses ainsi : « Si vous
essentiel que je prenne mes décisions rapidement. avez perdu, mais que sir Alex considère que vous
Pourquoi aurais-je dû aller me coucher en étant avez tout donné, pas de problème. Mais si vous
assailli par le doute ? Dès mon réveil le matin suivant, perdez après vous être traîné sur le terrain… alors
je prenais les mesures nécessaires pour maintenir la attention les oreilles ! »
discipline. Il est important d’avoir confiance en soi
pour prendre une décision et ensuite aller de l’avant. SIR ALEX FERGUSON: « Personne n’aime être critiqué.
Il ne s’agit pas de rechercher l’affrontement, ni des Et peu de gens s’améliorent grâce à la critique. A
occasions de manifester son pouvoir : il s’agit d’avoir l’inverse, la plupart réagissent positivement à des
le contrôle de la situation et d’exercer son autorité encouragements. C’est pourquoi j’essayais d’en
quand un problème survient. » adresser quand je le pouvais. Pour un joueur, comme

FA COMMUNITY
SHIELD*
2002 2003 2004 2005 2006

1ER AOÛT 2002 12 AOÛT 2003


Un contrat de 23,3 millions de livres Le club achète le Portugais
par an est signé avec Nike pour 13 ans. Cristiano Ronaldo au
Le club signera avec Adidas pour 750 Sporting de Lisbonne pour
millions sur 10 ans à partir de 2015-2016. 12,2 millions de livres

23,3
sterling. Six ans plus tard,
il le revendra 80 millions
millions au Real Madrid, une somme
de livres *AUPARAVANT DÉNOMMÉ FA CHARITY SHIELD
record pour un transfert.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 123


LA FORMULE FERGUSON

pour tout être humain, rien ne vaut mieux que d’en- d’intelligence tactique. Il est impossible de parvenir
tendre : ‘‘ Bien joué !’’ Ces deux mots, les plus beaux à ce résultat avec une méthode trop douce. Il faut
jamais inventés, sont supérieurs à bien des instiller de la peur, mais sans pour autant se montrer
superlatifs. trop dur : si les joueurs vivent perpétuellement dans
En même temps, dans le vestiaire, il est néces- la crainte, leurs performances en sont affectées.
saire de pointer les erreurs lorsque les joueurs ne L’âge aidant, j’ai pris conscience qu’afficher sans ar-
répondent pas à vos attentes. C’est à cet instant que rêt sa colère ne marchait pas. Il faut choisir ses mo-
les critiques sont importantes. Je les formulais juste ments : l’entraîneur est quelqu’un qui, selon l’ins-
après le match, pas question d’attendre le lundi. tant, joue des rôles différents. Il lui faut parfois agir
Après quoi c’était fini, j’étais déjà dans le match comme un médecin, d’autres fois comme un profes-
d’après : cela n’a pas de sens de critiquer un joueur seur ou un père de famille. »
sans arrêt.
En général, mes causeries d’avant match por- PRÉPAREZ-VOUS À VAINCRE
taient sur nos attentes, sur la confiance que les Les équipes de Ferguson avaient un truc pour arra-
joueurs avaient en eux-mêmes et les uns envers les cher la victoire dans les derniers instants d’un match.
autres. J’aimais faire référence aux traditions de la Notre analyse des résultats de Manchester United sur
classe ouvrière. Tous les joueurs n’en sont pas issus, dix saisons récentes révèle que, durant la période, le
mais peut-être était-ce le cas de leur père, ou de leur club a été le plus performant de la Premier League
grand-père, et je trouvais utile de leur rappeler tout lorsqu’il y avait match nul à la mi-temps, et même à
le chemin qu’ils avaient parcouru. Je leur expliquais quinze minutes de la fin. Les discours inspirés de
à quel point il était important d’avoir une éthique de Ferguson à la mi-temps et ses ajustements tactiques
travail, ce qui semblait sublimer leur fierté. Et je leur judicieux ont certes eu leur part dans ces victoires à
rappelais que ce qui cimente la personnalité d’une l’arraché, mais ils n’expliquent pas tout.
équipe, c’est la confiance entre ses membres et le fait Quand leur équipe est menée au score et que les
de ne pas laisser tomber les autres. minutes s’égrènent, beaucoup d’entraîneurs
A la mi-temps d’un match, vous avez environ huit exhortent leurs joueurs à se projeter vers l’avant et
minutes pour délivrer votre message, aussi est-il vi- à attaquer. Ferguson avait pour sa part une double
tal de bien utiliser le temps imparti. Tout est plus approche, à la fois très agressive et très
facile lorsque vous gagnez : vous pouvez parler aux systématique. Il préparait son équipe pour la vic-
joueurs de la nécessité d’être concentré, leur dire de toire en lui faisant répéter à l’entraînement des
ne pas céder à l’autosatisfaction et rectifier quelques schémas de jeu selon qu’elle aurait besoin de mar-
détails. Mais lorsque l’équipe perd, il faut créer un quer à dix, cinq ou trois minutes de la fin d’un
choc. Même si j’aimais focaliser mon discours sur match : « Les entraînements visent à reproduire des
notre équipe et sur ses forces propres, je devais cor- situations de matchs difficiles. Cela nous permet de
riger ce qui nous faisait perdre. comprendre ce qui est exigé pour gagner dans de
Dans nos séances d’entraînement, nous cher- tels moments », nous a expliqué un des entraîneurs
chions à bâtir une équipe de superathlètes capables adjoints de Manchester United.

COUPE DU MONDE
DES CLUBS FIFA
2007 2008 2009 2010

16 MAI 2005 18 AOÛT 2008


L’Américain Malcom Glazer Saudi Telecom signe un accord de 5 ans avec
acquiert la majorité des actions de Manchester United, qui lui donne accès à des
Manchester United et retire le titre extraits des matchs et à d’autres contenus
de la Bourse de Londres. Puis il pour les téléphones portables. Les recettes
prend le contrôle de la totalité du extrasportives représentent une part croissante
capital. Durant les quatorze ans des revenus du club. Sur la saison 2015-2016,
où il a été coté en Bourse, la valeur Forbes estime les revenus commerciaux de
du club a été multipliée par 17. Machester United à 317 millions de livres.

124 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Quand nous étions menés,
Les séances d’entraînement insistaient sur la ré-
pétition de thèmes techniques et tactiques : « Nous
mon message était très
considérons les entraînements comme des occasions
d’apprendre et de progresser, dit Ferguson. Les
simple : « Pas de panique,
joueurs pensent sans doute parfois “voilà que ça
recommence”, mais c’est cela qui nous aide à ga-
concentrez-vous sur votre
gner. » Il semble que cette approche ne se limite pas à
la croyance, somme toute banale, selon laquelle les
tâche, et faites-la bien. »
équipes qui gagnent doivent leurs succès à des habi-
tudes bien ancrées – elles peuvent exécuter certains
schémas de jeu de manière quasi automatique. On j’étais prêt à prendre plus de risques. Je pouvais me
perçoit en effet autre chose dans le cas de Manches- satisfaire d’une défaite par 1 but à 3 si nous nous
ter United : la marque sous-jacente d’une insatisfac- étions donné une bonne chance d’égaliser ou de ga-
tion permanente et la recherche constante de ma- gner. C’est pourquoi, dans ces dernières quinze mi-
nières de s’améliorer. Ce que Ferguson résume par nutes, nous y allions à fond. On faisait entrer un atta-
ces mots : « Le message est simple : dans ce club, quant supplémentaire et on se préoccupait un peu
l’immobilisme n’est pas de mise. » moins de défendre. Nous savions que si nous finis-
sions par l’emporter par 3 buts à 2, nous éprouve-
SIR ALEX FERGUSON : « Gagner est dans ma nature. J’ai rions des sensations fantastiques. Et si nous perdions
défini mes propres critères au cours d’une si longue 1-3, ce n’était pas grave, puisque nous aurions perdu
période qu’il n’y a pour moi plus aucune autre op- de toute façon.
tion : je dois gagner. A chaque fois que nous entrions C’était cela notre style : être positif, audacieux, et
sur le terrain, je comptais vaincre. Même avec cinq prendre des risques. Nous étions là pour gagner. Nos
joueurs majeurs blessés, je m’attendais à vaincre. supporters le comprenaient et ils étaient derrière
Dans certaines équipes, les joueurs se blottissent les nous. C’était grisant, vous savez, de voir l’équipe par-
uns contre les autres avant le coup d’envoi. Pas les tir à l’abordage dans le dernier quart d’heure ! Le
miens. Dès que nous posions le pied sur la pelouse, bombardement du but adverse, des types qui
j’étais confiant. Je savais les joueurs préparés et prêts courent dans tous les sens, des joueurs en plein com-
à jouer, car tout avait été fait pour cela avant que bat. Bien sûr, vous pouvez perdre sur une contre-at-
l’équipe ne pénètre dans l’enceinte du stade. taque, mais rien ne vaut le fantastique bonheur de
Je suis un joueur – j’aime prendre des risques – et l’emporter après avoir pensé que vous étiez battu.
vous pouvez vous en rendre compte en observant Je pense qu’en chacune de mes équipes, il y avait
PHOTO : COLORIBUS.COM

comment nous jouions à la fin de nos matchs. Quand de l’obstination – elles ne baissaient jamais les bras.
nous étions menés à la mi-temps, mon message était Je n’avais pas réellement besoin de leur faire passer
très simple : ‘‘Pas de panique, concentrez-vous sur ce message. L’obstination est une très belle qualité,
votre tâche, et faites-la bien.’’ Et si nous étions tou- et c’est incroyable de voir ce qui peut parfois survenir
jours menés – disons 1-2 – à un quart d’heure de la fin, dans les ultimes secondes d’un match de football. »

2011 2012 2013

10 AOÛT 2012 17 AOÛT 2012


La famille Glazer introduit le titre Manchester L’international néerlandais Robin
United à la Bourse de New York. Valorisation : van Persie, qui jouait pour Arsenal,
2,3 milliards de dollars. C’est le club sportif dont signe un contrat de quatre ans avec

2,3
la valeur est la plus élevée dans le monde. Manchester United. Ce transfert, qui
coûte 35 millions de dollars au club, est
l’un des derniers décidés par Ferguson.
milliards C’est aussi le plus cher alors jamais
de dollars réalisé par Manchester United.

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 125


LA FORMULE FERGUSON

MISEZ SUR LE POUVOIR l’équipe et sa composition. C’est censé être ça, le


DE L’OBSERVATION boulot d’entraîneur adjoint.’’ Un autre adjoint ajouta :
Alex Ferguson a commencé sa carrière d’entraîneur ‘‘ Je pense qu’il a raison, patron’’, et me fit remarquer
en 1974 dans le petit club écossais d’East Stirling- que je pourrais tirer avantage de ne pas diriger moi-
shire, alors qu’il avait 32 ans. Il n’était donc pas plus même systématiquement tous les entraînements de
âgé que certains de ses joueurs et s’occupait lui- l’équipe. Sur le coup, ma réponse fut : ‘‘Non, non,
même de tout. Au cours de son ascension – à St Mir- non’’, mais après avoir réfléchi pendant quelques
ren, puis à Aberdeen, en Ecosse (où il a remporté un jours, j’ai ensuite dit : ‘‘Je veux bien essayer, mais je
succès spectaculaire), jusqu’à Manchester United – il ne promets rien.’’ Pourtant, au fond de moi, je savais
a de plus en plus délégué les séances d’entraînement qu’il avait raison. J’ai donc fini par lui déléguer les
à ses assistants. Mais il était toujours présent. Et il entraînements, et ce fut la meilleure décision que
observait. Le passage de l’entraînement proprement j’aie jamais prise.
dit à l’observation lui a permis alors, explique-t-il, de Je n’en ai pas moins gardé la mainmise sur le
mieux juger les performances des joueurs et les club : ma présence et ma capacité de superviser ont
joueurs eux-mêmes : « En position d’entraîneur sur le perduré, et je me suis alors aperçu que ce qu’on
terrain, vous ne voyez pas tout », fait-il remarquer. peut saisir par l’observation est incroyablement
Un observateur assidu peut, par contre, repérer les précieux. Une fois la tête sortie du guidon, je suis
changements dans les habitudes d’entraînement, le devenu conscient d’une foule de détails et mon
niveau d’énergie et l’assiduité au travail des joueurs. niveau d’expertise s’est beaucoup amélioré. Voir un
La clé consiste donc à déléguer à d’autres la su- changement dans les habitudes d’un joueur, ou
pervision directe et à leur faire confiance pour réali- bien la soudaine baisse de son enthousiasme, me
À PROPOS ser ce travail, afin de se rendre disponible pour ob- permettait d’approfondir le sujet avec lui : s’agis-
DE L’AUTEUR
server vraiment les choses. sait-il de problèmes familiaux ? d’argent ? de fatigue
Au moment de la
physique ? quid de son moral ?… Parfois je pouvais
rédaction de cet article,
l’auteur occupait les SIR ALEX FERGUSON
: « L’observation est la dernière
fonctions suivantes
: pierre de ma méthode de management. Au début de
Anita Elberse est ma carrière d’entraîneur, je m’attachais à remplir cer-
professeure d’administration taines conditions de base : pouvoir bien jouer le jeu,
des affaires à la Harvard comprendre les compétences techniques nécessaires
Business School (chaire
Lincoln Filene). Elle a publié pour gagner au plus haut niveau, coacher les joueurs
l’ouvrage «…Blockbusters…: et prendre des décisions. Un jour, à Aberdeen, tandis
Hit-making, Risk-taking,
and the Big Business que je partageais une tasse de thé avec un de mes
of Entertainment…» (Henry adjoints, il me dit : ‘‘Je ne sais pas pourquoi tu m’as
Holt, 2013).
fait venir ici.’’ ‘‘Qu’est-ce que tu racontes ?’’, répon-
La version originale dis-je. Il me répliqua : ‘‘ Je ne fais rien, si ce n’est faire
de cet article a été publiée
en octobre 2013 dans travailler l’équipe des jeunes, alors qu’en théorie je
l’édition américaine de HBR. suis ici pour t’assister dans l’entraînement de

8 MAI 2013
Sir Alex Ferguson quitte Manchester United
et prend sa retraite. Lors de sa dernière
saison, le club remporte son 20e championnat,
soit plus qu’aucun autre club anglais.
Son chiffre d’affaires annuel dépasse alors
320 millions de livres, soit treize fois plus
que vingt ans auparavant, lors du premier titre
de champion d’Angleterre de Ferguson.

126 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


Pour moi, la capacité à voir
même sentir qu’un joueur était blessé alors qu’il
s’estimait en pleine forme.
les choses, en particulier
Je crois que peu de gens comprennent vraiment
la valeur de l’observation. J’en suis venu à la considé-
celles qu’on ne s’attend pas
rer comme une part essentielle de mes compétences
managériales. Pour moi, la capacité à voir les choses,
à voir, est un élément clé.
en particulier celles qu’on ne s’attend pas à voir, est
un élément clé. »
chirurgie), assurant ainsi un niveau de confidentia-
NE CESSEZ JAMAIS DE VOUS ADAPTER lité impossible à obtenir dans un hôpital public, où
Pendant le quart de siècle passé par Ferguson à les détails sur la santé de tel ou tel joueur fuitent
Manchester United, le monde du football a radica- immanquablement dans les médias.
lement changé, tant du point de vue des enjeux fi-
nanciers (avec les conséquences aussi bien posi- SIR ALEX FERGUSON: « Quand j’ai débuté, il n’y avait
tives que négatives que cela a entraîné) que de la pas d’agents, et, bien que les matchs fussent télévi-
connaissance de ce qui peut améliorer le jeu et les sés, les médias n’élevaient pas les joueurs au rang de
joueurs. S’adapter au changement n’est jamais fa- stars d’Hollywood et ne cherchaient pas sans cesse
cile, et c’est peut-être encore plus ardu pour ceux à débusquer de nouvelles histoires les concernant.
qui se trouvent au sommet depuis très longtemps. Les stades se sont améliorés, les terrains sont main-
Et pourtant, Ferguson a instillé partout son désir de tenant en parfait état, tandis que la médecine spor-
changement. David Gill me l’a confirmé : « Il a fait tive influe largement sur la manière dont nous pré-
preuve d’une fantastique capacité d’adaptation face parons la saison. Des propriétaires venus de Russie,
à l’évolution de ce sport. » du Moyen-Orient ou d’autres régions du monde ont
Au milieu des années 1990, Ferguson a été le pre- déversé énormément d’argent dans le football, et ils
mier à mettre sur le terrain des équipes composées mettent la pression sur les managers des clubs.
d’un nombre important de jeunes joueurs dans le Quant aux joueurs, leurs vies sont bien plus proté-
cadre de la peu prestigieuse League Cup – une pra- gées qu’autrefois, ce qui les rend bien plus fragiles
tique qui a d’abord fait scandale, avant de se banali- que ceux qui jouaient il y a vingt-cinq ans.
ser au sein des clubs de Premier League (soit les Une des choses que j’ai le mieux réussies au
20  meilleurs clubs du pays). De même, il a été le pre- cours de toutes ces années, c’est la conduite du
mier à laisser quatre avants-centres se disputer deux changement. Je crois que, pour le maîtriser, il faut
places pendant toute une saison, une stratégie que l’accepter. Ce qui signifie aussi faire confiance aux
beaucoup d’observateurs ont à l’époque estimé ingé- gens que vous embauchez. Dès que vous engagez
rable, mais qui a pourtant débouché sur le triplé de quelqu’un, vous devez lui faire confiance. Si vous
la saison 1998-1999 : championnat, Coupe d’Angle- ‘‘ micromanagez’’ en disant aux gens ce qu’ils
terre et Coupe de l’UEFA. doivent faire, ce n’est pas la peine de les recruter.
Hors terrain, Ferguson n’a cessé de développer L’essentiel est de ne pas stagner. Il y a quelques an-
son staff, recrutant une équipe de scientifiques nées, j’ai dit à David Gill : ‘‘ La seule façon de conser-
spécialistes du sport pour aider les entraîneurs de ver des joueurs à Manchester United, c’est d’avoir le
United. Suivant leur suggestion, il a fait installer des meilleur centre d’entraînement en Europe.’’ C’est
stands de distribution de vitamine D dans les alors que nous avons lancé la construction du centre
vestiaires, afin de compenser le déficit de soleil à médical. Il ne faut jamais rester immobile.
Manchester. De même, il a défendu l’usage de gilets La plupart des gens ayant mon type de parcours
à capteurs GPS, qui permettent d’analyser les ne cherchent pas à changer. Pour ma part, j’ai
performances des joueurs vingt minutes après un toujours considéré que je ne pouvais pas m’offrir le
entraînement. Il a aussi été le premier entraîneur à luxe de ne pas changer. Il nous fallait gagner – c’était
salarier un optométriste et à engager un professeur pour moi la seule option possible – et j’ai exploré
de yoga pour travailler deux fois par semaine avec tous les moyens d’améliorer nos performances. Je
ses joueurs. Il a enfin inauguré avant son départ une n’ai cessé de travailler dur. J’ai traité chaque succès
clinique médicale dernier cri sur le site même du comme s’il s’agissait du premier. Mon job consistait
terrain d’entraînement, afin de pouvoir traiter sur à maximiser nos chances de gagner. C’est ce qui m’a
place toutes les affections des joueurs (hors toujours guidé. » 

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 127


L’ÉTAT DE LA QUESTION

À CULTURES DIFFÉRENTES,
LEADERSHIPS DIFFÉRENTS
Faire fonctionner une société internationale soulève toutes du YSC, un cabinet de conseil en psychologie pour les
sortes de problèmes d’organisation et pose une série de multinationales, ont analysé des rapports sur 1 500 cadres
défis en matière de leadership. Superviser les activités dans dirigeants du monde entier afin d’identifier leurs forces
plusieurs pays exige une connaissance approfondie et leurs faiblesses parmi un éventail de savoirs généraux
du secteur et de l’expertise technique, tandis que gérer comportementaux et de compétences techniques
les différences culturelles requiert une intelligence spécialisées. Le graphique illustre le pourcentage de
émotionnelle exceptionnelle. Gurnek Bains et son équipe dirigeants ayant de bonnes compétences dans ces domaines.

LES DIRIGEANTS EUROPÉENS ONT EU


LES MEILLEURS RÉSULTATS POUR
LEUR CAPACITÉ À CONQUÉRIR
LES CŒURS ET LES ESPRITS ;
LES DIRIGEANTS D’AFRIQUE
SUBSAHARIENNE, LES PLUS FAIBLES

LES DIRIGEANTS D’AFRIQUE


SUBSAHARIENNE ONT DES
RÉSULTATS RELATIVEMENT
PEU ÉLEVÉS EN RÉFLEXION
COMMERCIALE MAIS TRÈS
ÉLEVÉS EN SOUPLESSE
INTELLECTUELLE

SEULS 3% DES
DIRIGEANTS
D’AMÉRIQUE LATINE
SONT COMPÉTENTS EN
TERMES DE RÉFLEXION
STRATÉGIQUE

RÉFLEXION RÉFLEXION RÉFLEXION SOUPLESSE ET RÉFLEXION LEADERSHIP TEAM LEADERSHIP LEADERSHIP LEADERSHIP
AXÉE SUR ANALYTIQUE COMMERCIALE CRÉATIVITÉ STRATÉGIQUE AUTORITAIRE BUILDING ORGANISÉ, STRUCTURÉ INCLUSIF VISIONNAIRE
LE CONCRET INTELLECTUELLE ET CLAIR ET CAPTIVANT

RÉFLEXION LEADERSHIP

ÉTATS-UNIS MOYEN-ORIENT INDE AMÉRIQUE LATINE


CONSEILS POUR • Admettez que d’autres ne • Adoptez un style de • Résistez à l’envie de jouer • Ne vous sentez pas rejeté
DES LEADERS partagent peut-être pas votre leadership moins hiérarchique votre rôle de façon trop stricte lorsque les autres se comportent
TRAVAILLANT
SUR LA SCÈNE désir d’action et plus inclusif • Pensez : « l’équipe avant tout » de façon formelle
MONDIALE • Ne laissez pas votre vision • Montrez votre aisance • Développez des idées • Adoptez un style moins directif
positive des choses passer de façon discrète de façon inclusive • Soyez prêt à donner et à recevoir
pour de l’optimisme naïf • Ne soyez jamais trop fier ou un feed-back honnête
• Soyez moins attaché
• Développez votre capacité susceptible face au feed-back aux processus
d’écoute
CONSEILS POUR • Ne perdez pas de temps, • Investissez dans les • Découragez l’individualisme • Etablissez des relations
LES PERSONNES soyez bref et concentrez-vous rapports de confiance chaleureuses
TRAVAILLANT • Soyez délicat quand vous
AUX CÔTÉS DE sur le concret et dans les relations donnez du feed-back et soyez • Assurez-vous que structures
CES LEADERS • Reconnaissez que les Américains à long terme patient face à la résistance et processus sont impeccables
valorisent l’efficacité et l’action • Soyez sensible aux différences • Encouragez l’initiative • Pour délivrer un feed-back
• Soyez direct et ouvert entre tradition et modernité et les questions difficile, soyez délicat et positif

128 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


La version originale de cet article a été publiée
en mai 2015 dans l’édition américaine de HBR.
LES DIRIGEANTS D’AMÉRIQUE
LATINE FONT PREUVE D’UNE
VOLONTÉ ET D’UNE AMBITION
EXTRAORDINAIRES 70%
LES LEADERS LES PLUS
CAPTIVANTS ET LES PLUS
SYMPATHIQUES SEMBLENT
VENIR D’AMÉRIQUE LATINE,
SUIVIS PAR CEUX DE CHINE

60%

50%

LA COLLABORATION
EST UNE FORCE PARMI
LES DIRIGEANTS
D’AMÉRIQUE LATINE
40%

L’OUVERTURE ET
L’AUTHENTICITÉ
ÉMOTIONNELLE
SEMBLENT ÊTRE
DE VRAIS
CHALLENGES
POUR TOUS LES
DIRIGEANTS, 30%
MAIS UN PEU
MOINS EN
EUROPE

20%

10%
LA CRÉATION DE LIENS
ÉTROITS NE SEMBLE
PAS ÊTRE UNE PRIORITÉ
POUR LA PLUPART
DES DIRIGEANTS

CONSCIENCE DE DÉVELOPPEMENT DYNAMISME OUVERTURE ET POSITIVISME, LEADERSHIP CRÉATION DE COLLABORATION ÉTENDUE DE ÉTENDUE DE LA
SOI ET VISION INDIVIDUEL ET AMBITION AUTHENTICITÉ RÉSILIENCE AMICAL LIENS ÉTROITS ET L’EXPÉRIENCE CONNAISSANCE
ÉMOTIONNELLE ÉMOTIONNELLE PROFONDS

CONSCIENCE DE SOI MOTIVATION INTERPERSONNEL AUTRE

AFRIQUE SUBSAHARIENNE EUROPE CHINE


• Créez de vrais liens avec votre • Soyez davantage orienté • Restez positif face aux contretemps
équipe et collaborez de façon vers l’action • Ne soyez pas timoré lorsque
très étroite • Soyez plus flexible face au vous partagez votre opinion
• Reconnaissez la valeur de la changement et à l’incertitude et lorsque vous passez à l’action
structure et de l’organisation • Opérez de façon moins structurée • Equilibrez le sens de l’analyse avec
• Travaillez pour gagner les cœurs et moins rigide celui de l’exploration conceptuelle
et les esprits
• Brisez les barrières en étant moins • Respectez le désir d’inclusion • Profitez du désir de progression
formel ; utilisez votre humour • Concentrez-vous sur l’alignement de l’équipe
• Reconnaissez la valeur de la clarté et l’engagement • Comptez sur des initiés
• Investissez du temps dans • Consacrez plus de temps pour vous aider à tisser des liens
le développement individuel à l’exécution • Donnez de l’importance
et d’équipe • Faites honneur aux rôles des autres à l’harmonie et à l’équilibre
ainsi qu’à leurs prises de décision

Hors-série Automne 2016 Harvard Business Review 129


Le travail d’une vie RETROUVEZ L’INTERVIEW DANS SON
 INTÉGRALITÉ SUR HBRFRANCE.FR

quelle organisation, s’il n’y a personne pour


être un suiveur, vous avez un problème.

Comment le chef d’orchestre valorise-t-il


chacun tout en créant une collaboration qui
fonctionne? La clé est de faire en sorte que les
musiciens se sentent investis dans les décisions
–  pour qu’elles soient aussi les leurs. Ce n’est
pas toujours facile. Si un joueur de basson a un
solo au milieu d’un morceau et que vous lui
dites : « Je n’aime vraiment pas la direction
que cela prend », comment faire pour que le
musicien adhère à votre idée ? Contrairement
à la plupart des entreprises, vous n’avez pas le
luxe d’avoir un bureau fermé dans lequel vous
pouvez avoir ce genre d’explications. Vous
critiquez plutôt cette personne face à 85 de ses
PHOTO: BOSTON GLOBE

pairs. Cela peut être humiliant, et les autres


peuvent se mettre sur la défensive au nom de
leur collègue. Donc, même si vous avez une
autorité formelle en tant que chef d’orchestre,
si vous n’avez pas bâti du soutien à partir de la
base dès le départ, vous allez être en difficulté.

Keith Lockhart, chef son décès, ils ont recruté quelqu’un de déjà
célèbre mais pour quelque chose de Comment construisez-vous ce soutien? 
d’orchestre du Boston Pops complètement différent : John Williams, En étant une personne à qui l’on peut faire

Orchestra depuis plus qui était connu pour avoir composé la musique entièrement confiance. J’ai eu des sirènes
de « Star Wars » trois ans plus tôt. Après les d’alerte aériennes pendant des concerts, des
de 20 ans, a dirigé près de treize années du maestro Williams, le Pops pannes d’électricité, des pluies torrentielles en
1700 concerts aux Etats- sentait qu’il était sans danger de faire entrer extérieur. Dans ce genre de situations, les gens
quelqu’un dont le nom et la célébrité seraient demandent : « Que veut faire Keith ? » Et si
Unis et à travers le monde, étroitement liés à l’institution. je peux prendre les choses en main en cas
au côté d’invités de marque de crise, c’est déjà beaucoup. Même quand

tels que Aerosmith, Mariah Qu’avez-vous entrepris pour vous approprier le


Pops? Le meilleur conseil que l’on m’ait donné
les choses se passent bien, chaque joueur
compte sur vous. Une violoniste peut sembler
Carey, Elton John, Sting... à ce propos m’a en fait été prodigué par John enfermée dans sa partition. Mais elle sait
Interview: Glenn Mangurian Williams. Je dînais avec lui le soir précédent exactement quand elle a besoin de vous
l’annonce de ma nomination comme nouveau regarder pour être guidée. Et j’ai intérêt à être
HBR: Cela fait plus de 20 ans que vous chef d’orchestre, le 5 février 1995. Il m’a dit : là. J’ai l’habitude de dire aux étudiants dans
occupez ce poste, mais les gens vous voient « Les gens ici aiment le Boston Pops, ils aiment mes cours de direction d’orchestre : « Si, parfois,
encore comme le nouveau chef d’orchestre… l’institution. Il ne s’agit pas de toi. Sois vous pensez que votre rôle est mineur, faites
Keith Lockhart: A Boston, il faut à peu près seulement l’intendant attentionné de cette juste une erreur : à l’instant même où vous
100  ans pour ne plus être le nouveau. Sans rire, institution ; montre que tu aimes le Pops et ils la ferez, plus de 80 paires d’yeux seront fixées
le défi n’est pas tant de devenir le chef t’aimeront pour ça. Tu n’as pas à te préoccuper sur vous, vous lançant des regards noirs. »
d’orchestre en titre, mais de poursuivre l’œuvre de la manière de te l’approprier. » Les gens imaginent que, lorsque vous devenez
d’une personne que les gens à Boston chef d’orchestre, vous êtes dans un délire
connaissent même s’il est mort avant leur Diriger des musiciens conduit à des défis napoléonien – que vous voulez vous tenir sur
naissance : Arthur Fiedler. Fiedler est décédé inhabituels. La plupart des concertistes ont eu cette grosse boîte et exercer votre pouvoir.
lors de sa 50e année aux commandes. Quand « le rêve ». Chaque musicien de la section Si j’étais là pour le pouvoir, je ne pense pas
il est mort, son nom était inextricablement lié violons pensait qu’il serait celui qui jouerait que je pourrais faire en sorte que l’orchestre
au Pops. Le Pops savait qu’il serait difficile le « Concerto pour violon » de Tchaïkovski me suive n’importe où. Je ne suis pas accro
de nommer un nouveau chef d’orchestre sans face à l’orchestre, en le menant avec son élan au pouvoir, mais à la responsabilité.
que personne ne dise : « Ah, mais ce n’est pas musical. Peu ont rêvé d’être des individus
La version originale de cet article a été publiée
Fiedler. » Donc, dans les années 1980, après qui suivent les ordres. Mais dans n’importe en octobre 2006 dans l’édition américaine de HBR.

130 Harvard Business Review Hors-série Automne 2016


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