Vous êtes sur la page 1sur 96

HISTOIRE DE LA LITTERATURE FRANÇAISE

Le Moyen Âge
La Renaissance
Le XVIIe siècle
(cours)

Bucuresti
2013

1
Unité 1
Conditions sociales, économiques, politiques et culturelles
Le Moyen Âge est une longue période historique qui dure presque dix
siècles, du Ve au XVe siècle. La littérature de langue française commence à
exister réellement au début du XIe siècle. Pour comprendre cette période, il faut
brosser le tableau de la société dans laquelle naissent les premières œuvres de la
littérature française.
Du XIe au XVe siècle, deux événements historiques ont un retentissement
particulier sur la mentalité et la littérature de cette époque : les Croisades et la
guerre de Cent Ans. Les Croisades sont des expéditions militaires organisées
pour délivrer la Terre Sainte des Infidèles (les Musulmans). Il y a eu huit
croisades, la dernière s’achevant en 1291 par la perte définitive de Jérusalem.
Pendant plusieurs générations, partir en croisade représente à la fois un vœu
religieux, par lequel on rachète ses fautes et une extraordinaire aventure.
La guerre de Cent Ans débute en 1337. Les origines du conflit sont anciennes et
complexes et visent la succession au trône de France, demandé par les Anglais et
les Français. Charles VII se fait sacrer en 1429 et la guerre prend fin. N’oublions
pas le rôle joué par Jeanne d’Arc, capturée et brûlée en 1431.
La société est divisée en trois classes : les « oratores » (ceux qui prient),
les « bellatores » (ceux qui se battent) et les « laborantes » (ceux qui travaillent).
L’organisation de la société féodale repose sur les liens personnels qui unissent
un suzerain à son vassal. Mais dès le XIIe siècle, l’essor des villes mène à
l’apparition des confréries urbaines socio-professionnelles. Au XVe siècle, toute
une part de la littérature sera devenue celle de la ville et des bourgeois. La
culture est à cette époque essentiellement religieuse ; on parle et on écrit en
latin, mais la volonté de créer une culture profane va favoriser l’établissement et
le progrès du français. Cependant la même foi ardente anime toutes les couches
de la société. L’écrivain du Moyen Âge est intimement lié à la société dans
laquelle il vit. Ainsi, ses œuvres reflètent les idéaux de cette communauté dans

2
des genres littéraires tout à fait différents. La chanson de geste glorifie la
chevalerie. En racontant les aventures d’un chevalier pendant des événements
historiques remontant aux siècles antérieurs (gesta=acte accompli), la chanson
de geste reflète l’idéal de la société féodale : respect absolu des engagements
féodaux entre suzerain et vassal. Le chevalier obéit à un code d’honneur, il est
fidèle à son seigneur, ne vit que pour la guerre et il est fier de ses exploits
guerriers. La littérature courtoise ajoute une nouvelle valeur à l’idéal
chevaleresque : le service d’amour, qui met les préoccupations amoureuses au
centre de la vie. Non seulement le chevalier est brave, mais il a en plus le désir
de plaire et essaie de porter à leur perfection les qualités chevaleresques et
courtoises.
Quant à la littérature satirique, elle s’adresse à la classe dominante pour
rappeler une exigence morale ou religieuse. Elle ne critique pas la chevalerie
dans son essence ; elle se limite à dénoncer une faute, une erreur, un
manquement qui peut compromettre les valeurs reconnues par tous.
Il faudrait savoir qui sont les auteurs au Moyen Âge. Il y en a plusieurs
pour un même texte, vu le caractère oral de ces productions littéraires. Un
remaniement du texte original est fait par le jongleur, qui n’est pas seulement un
homme de spectacle, mais aussi celui qui récite des poèmes qu’il a appris par
cœur. Il ne se contente pas de réciter ; il compose lui-même des vers qu’il ajoute
à l’œuvre récitée. Le copiste lui aussi fait évoluer le texte primitif. En recopiant
le manuscrit, il intervient avec sa personnalité. Il lui arrive de retrancher une
partie d’un texte ou d’en rajouter, d’en moderniser la langue. Mais il faut aussi
rendre au clerc ce qui lui appartient probablement. S’il remanie des œuvres déjà
existantes, c’est avec sa culture classique, ce qui donne aux textes une autre
marque que celle du jongleur ; mais souvent il crée lui-même une œuvre
originale, qui n’a guère à voir avec l’inspiration populaire.

3
Unité 2
Les chansons de geste
La Chanson de Roland

Le XIIe siècle occupe une place particulière dans la littérature française. On y


découvre trois textes fondamentaux de la littérature française : La Chanson de
Roland, Tristan et Iseut et Le Roman de Renart .

La Chanson de Roland ramène aux sources du genre narratif. Ce grand


poème qui raconte un épisode guerrier annonce déjà le genre romanesque. La
plus ancienne des chansons de geste, ce long poème raconte dans un dialecte
anglo-normand les hauts faits de Roland contre les Sarrasins. Il conserve la
mémoire d’un événement historique connu, remontant au XIIIe siècle. Il s’agit
de l’expédition organisée par l’empereur Charlemagne pour aller assiéger
Saragosse (Espagne), occupée par les Infidèles. Après avoir subi un échec face
aux Musulmans, l’armée repasse les Pyrénées et pille au passage des villes
chrétiennes. L’arrière-garde est attaquée par des montagnards basques (par des
chrétiens donc) qui massacrent les Francs. Dans la bataille, le comte Roland
trouve la mort.
La vérité historique n’est pas totalement respectée. Cette modification
peut être expliquée par la visée finale du poème : glorifier la figure du grand
empereur chrétien à une époque où la royauté française paraît bien faible, exalter
l’idéal de la guerre sainte contre les Infidèles, vanter l’idéal chevaleresque et les
liens vassaliques à l’époque où ils commencent à s’affaiblir, célébrer l’esprit
national quand il commence à naître.
Les thèmes de La Chanson de Roland ne sont pas dus à l’inspiration de tel
ou tel auteur ; ils appartiennent à la tradition et sont constamment repris d’une
chanson de geste à l’autre. Ce poème s’inscrit dans le cycle de Charlemagne.
D’une chanson à l’autre on retrouve les mêmes traits et les mêmes thèmes :

4
l’héroïsme (Roland accepte de rester avec l’arrière-garde alors qu’il devine
l’issue du combat) ; la grandeur des exploits militaires (récits de passe armes,
détails des blessures) ; l’exploitation des liens féodaux ; l’épopée de la foi (on
combat les Infidèles, Olivier et Roland meurent en chrétiens). Les personnages
eux-mêmes sont traditionnels : à côté du roi, et pour lui, se bat le preux, mis en
valeur par un brillant ou par un traître. Ces thèmes peu nombreux sont traités de
façon traditionnelle : ainsi le récit de la guerre se fait par l’intermédiaire de
combats singuliers. Mais, parmi les thèmes traditionnels, l’amour a peu de
place : l’épisode de la mort d’Aude est la trace d’un ajout fait à une époque où le
roman courtois est en vogue. La Chanson de Roland n’accorde guère de place à
l’analyse psychologique des héros, parce qu’il faut simplifier le schéma narratif
et exagérer les actions afin de magnifier quelques types humains dans lesquels la
collectivité va reconnaître l’incarnation de ses valeurs.
Tout y est simplifié : la guerre se réduit à un seul combat et à un seul lieu.
Car, au cœur de la chanson, se trouve un lieu, Roncevaux, où disparaît la fine
fleur des guerriers francs, parce Roland devait y mourir. En Roncevaux
convergent tous les enjeux du texte : celui des guerres impériales, qui ouvre et
clôt la chanson ; celui de la lutte contre l’infidèle ; celui des liens vassaliques ;
celui du récit lui-même, dont la bataille est le moment capital.
A l’inverse, la chanson fait une grande part à l’amplification, pour accentuer
l’aspect héroïque du récit. Ainsi les Francs, à Roncevaux, sont face à 400 000 de
Sarasins (tandis qu’ils n’étaient que 20 000) ; lorsque Roland sonne du cor, il
met une telle force que sa tempe éclate ; lorsqu’il meurt, c’est une véritable
tempête qui se déclenche. La peine est toujours extrême : lorsque Roland voit
Olivier blessé, il s’évanouit de douleur ; Aude meurt foudroyée par le chagrin
lorsqu’elle apprend la mort de Roland. L’exagération a la même fonction que la
simplification : elle stylise le personnage, le sentiment, l’action, en lui donnant
une valeur symbolique grandiose.

5
Quant à la composition, La Chanson de Roland n’est pas faite pour être
lue, mais pour être entendue. Cet aspect oral impose à l’œuvre des
caractéristiques précises. Elle est composée de laisses, ensemble de vers dont
l’unité est l’assonance : tous les vers se terminent par la même voyelle
accentuée. Cette assonance aidait le travail de mémoire du jongleur. De plus,
une laisse développe une seule idée ou raconte un seul fait ; elle repose donc
également sur une unité de signification. Pour faciliter le travail de mémoire du
jongleur, il existe un système de répétitions d’une laisse à l’autre qui ponctue
une progression dans le texte : ainsi la laisse suivante apporte un renseignement
supplémentaire, marque une montée pathétique. Les deux systèmes de laisses-
similaires ou formules, aident la déclamation devant un auditoire plus ou moins
attentif, en créant un effet de refrain ; elles mettent d’autant mieux en lumière
une nouveauté dans une laisse. Ainsi le texte crée une variation dans la
répétition, ce qui est le principe même de la chanson.
A retenir !
- la Chanson de Roland est l’un des textes fondamentaux du XIIe siècle ;
- les thèmes appartiennent à la tradition et sont repris d’une chanson de geste à
l’autre ;
- la vérité historique n’est pas totalement respectée ;
- ce grand poème qui raconte un épisode guerrier annonce déjà le genre
romanesque.
Contrôle des connaissances
1. Présentez l’intrigue de l’œuvre.
2. Relevez les thèmes majeurs de l’œuvre.
Suggestion de sujet à développer
Dresser le portrait moral de Roland
Bibliographie
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982

6
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises -
Moyen Âge, Hachette, 1967

Unité 3
Le roman courtois
Tristan et Iseut

La légende de Tristan et Iseut est l’une des plus célèbres de la littérature


médiévale : deux jeunes amants vivant un amour interdit et affirmant leur droit à
la passion contre les lois sociales et religieuses ; deux jeunes amants liés l’un à
l’autre jusque dans la mort et par-delà la mort même. Cette légende, née en
France, n’appartient pas seulement à la littérature française et elle a même
dépassé le cadre du Moyen Âge. La littérature française connaît deux extraits de
deux versions de l’œuvre, celui de Béroul, qui compte 4500 vers, celui de
Thomas, qui en compte 3000.
Tristan et Iseut n’est pas un roman au sens moderne du terme, avec un
début, un développement et une fin, mais une suite d’épisodes indépendants les
uns des autres, auxquels on peut toujours rajouter un élément. Ce roman s’inscrit
dans la lignée des œuvres d’inspiration courtoise. L’adjectif signifie « propre à
la cour ». Parce que le public qui écoute le poème est celui de la cour, on
continue d’y trouver des héros guerriers comme dans la chanson de geste. Ainsi,
Tristan a lui aussi les caractéristiques traditionnelles de ces héros : la force et la
loyauté envers le suzerain. Comme tout héros, il a délivré la Cornouailles d’un
tribut qu’elle devait payer à l’Irlande ; il a ensuite tué le monstre qui terrorisait
le pays d’Iseut ; il a fait preuve d’un courage exceptionnel en sautant dans le
vide, du haut d’une falaise. Comme Roland, il est, tout au long de sa vie, un

7
brave chevalier au service d’un suzerain. Mais, en cette seconde moitié du XII e
siècle, lorsque la bourgeoisie se constitue comme une caste fermée, ce n’est plus
seulement la force guerrière qui va manifester la valeur du chevalier, mais aussi
sa courtoisie. Le preux chevalier doit aussi posséder la noblesse du cœur, la
franchise, la politesse. L’amour de Tristan est celui d’un chevalier courtois : il
vit son amour pour Iseut dans les épreuves, celle de la séparation, celle du temps
qui passe. Le cadre même dans lequel cet amour est vécu répond à la définition
du genre courtois : l’amour est nécessairement adultère ; puisque c’est un amour
qui doit progresser et se surpasser dans l’épreuve, il ne peut pas être celui du
couple marié. Mais l’amour triomphe de toutes les embûches : même la mort ne
sépare pas Tristan et Iseut.
Même si Tristan et Iseut est un roman courtois, certaines de ses
caractéristiques s’éloignent nettement de la fin’amour, thème central de la
pensée courtoise. Tristan et Iseut n’ont pas choisi de s’aimer ; ils sont victimes
du philtre (boisson magique) qu’ils ont bu par mégarde, ils sont victimes de la
fatalité. Au contraire, la fin’amour est une acte de raison. D’autre part, dans le
roman, dès la première scène d’aveu, c’est la souffrance et le chagrin qui
prédominent dans le discours des amants ; ils ne se réjouissent jamais d’avoir bu
ce philtre ; l’amour courtois, lui, tend vers le bonheur, récompense des épreuves
endurées. Le philtre qui a uni Tristan et Iseut symbolise le contraire même du
sentiment de l’amour courtois : les deux amants sont à jamais déchirés entre cet
amour interdit mais impossible à oublier et leurs engagements envers Marc,
suzerain de Tristan et mari d’Iseut. Ils sont donc le symbole des amants maudits,
victimes d’une puissance supérieure.
Pour que le public comprenne la vie intérieure des héros, Béroul et
Thomas font appel à quelques procédés. Tout d’abord, ils se servent du
dialogue. Lorsque Tristan et Iseut se parlent pour la première fois après avoir bu
le philtre, ils se rendent compte de leur sentiment grâce à leurs propres paroles.
Lorsqu’ Iseut appelle Tristan « seigneur », elle s’engage car elle le reconnaît

8
comme son maître. A travers ce dialogue, le public comprend le drame qui se
noue entre les jeunes gens. Le monologue permet aussi de comprendre les
pensées du héros. Ainsi, lorsqu’ Iseut arrive auprès du corps de Tristan, déjà
mort, elle prononce un assez long discours : le pronom « vous » indique comme
destinataire Tristan, mais aussi le public. On retrouve ce même monologue
lorsque Marc s’interroge sur le comportement des amants : c’est un moyen de
faire comprendre au public l’attitude et les sentiments du roi. Cependant,
l’analyse psychologique se trouve limitée par la tendance des auteurs du Moyen
Âge à tout ramener à des types et à des lois constantes, en utilisant pour cela
proverbes et lieux communs.
A retenir !
- la légende de Tristan et Iseut est l’une des plus célèbres de la littérature
médiévale ;
- Tristan et Iseut n’est pas un roman au sens moderne du terme, mais une suite
d’épisodes indépendants les uns des autres, auxquels on peut toujours rajouter
un élément ;
- ce poème s’inscrit dans la lignée du roman courtois.
Contrôle des connaissances
1. Qu’est-ce que « la fin’amor » ?
2. Relevez les éléments qui font de cette œuvre un roman d’inspiration
courtoise.
3. Relevez le rôle du dialogue et du monologue dans cette œuvre.
Suggestion de sujet à développer
Comparer le mythe de l’amour de Tristan et Yseut avec un autre mythe de
l’amour de la littérature universelle
Bibliographie
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982

9
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises -
Moyen Âge, Hachette, 1967
Philippe, Walter, Tristan et Yseut-Béroul, Hatier, 2002

Unité 4

Chrétien de Troyes (1135-1185)

Il est, à juste titre, considéré comme le premier « romancier » médiéval et


le plus grand. Sa carrière se repartit sur une quinzaine d’années (de 1170 à
1185). Impressionné comme tous les poètes contemporains par le mythe de
Tristan et Iseut, il s’est efforcé dans l’essentiel de son œuvre de résoudre
l’antinomie entre l’amour courtois, adultère par principe et par nécessité, et la
morale chrétienne, évidemment désapprobatrice à l’égard d’un tel code.
Le Conte de Graal introduit dans la littérature un héros neuf, sans passé
littéraire et vierge de toute éducation chevaleresque et courtoise. Il systématise
une technique, où s’ébauche la méthode de l’entrelacement, fondée sur le va-et-
vient de la narration entre deux personnages, deux histoires, deux quêtes
inachevées. Il dispose une constellation nouvelle de personnages et de motifs.
L’identité du « Graal », mystérieux objet que voit Perceval, est loin d’être
claire : il peut s’agir d’un objet celtique, chaudron de Brân le Béni ou corne de
l’abondance à la mode irlandaise, ou bien d’un objet chrétien doté d’une valeur
liturgique. Les continuateurs du thème du Graal, le christianiseront entièrement,
au point d’en faire le « Saint-Graal », coupe dans laquelle Joseph d’Arimathie
recueillit le sang de Jésus-Christ.
Chez Chrétien de Troyes, le Graal ne contient qu’une seule hostie qui,
depuis quinze ans, forme la seule nourriture du vieux père du Roi Pêcheur. La

10
réussite de Chrétien est d’avoir proposé par le Graal un symbole irréductible à
une signification unique. S’il y a symbole, c’est dans le sens étymologique du
mot et alors le Graal serait « ce qui conduit l’homme à l’objet suprême de son
désir ». La structure du roman est bipartite. La première partie, qui ne débute pas
à la cour d ‘Arthur, présente la triple initiation de Perceval à la chevalerie, à
l’amour, à cette vérité « autre » qu’est le Graal. Dans la deuxième partie,
l’action se dédouble, l’auteur suivant tour à tour les aventures de Perceval et de
Gauvin.
L’épisode central de la première partie est sans doute la visite de Perceval
au Château du Graal et la possession du Graal. L’arrivée à la cour d’Arthur de
la Laide Demoiselle, qui reproche à Perceval son silence et son échec présenté
comme définitif, constitue la scène-clé de la deuxième partie du roman. Alors
que tous les autres chevaliers choisissent des aventures qui les couvriront d’une
gloire vaine, Perceval commencera sa quête du Graal qui ne lui procurera aucun
bénéfice et quittera définitivement la cour d’Arthur. Chrétien n’a pas achevé son
roman, mais tout porte à croire que le héros retrouvera le Graal et se retrouvera
soi-même. Contrairement aux actions du protagoniste qui sont les étapes d’un
processus, celles de Gauvin ne sont que des épisodes sans lien entre eux. C’est
pourquoi Gauvain n’aboutit qu’au monde de l’illusoire, au Château des Dames,
monde des morts. A travers Gauvin, le monde arthurien dans son ensemble est
contesté et son déclin est anticipé.
Ce qui caractérise les romans de Chrétien de Troyes, c’est le fait qu’ils
sont régis par une double cohérence, mythique et chevaleresque et la présence
de la cohérence narrative immédiate et celle du récit mythique. Dans la culture
européenne, le « moment Chrétien de Troyes » se définit par le passage du
mythe au roman. Même le scénario de ses romans est mythique : le voyage du
héros qui comprend un aller dans « l’autre monde » et un retour triomphant.
Mais il est avant tout romancier. Il faut remarquer son talent de faire alterner
l’histoire et le discours direct et indirect. Le narrateur se limite à raconter ce qui

11
s’est passé. Le plus souvent l’auteur est absent de la narration. Les événements
narratifs se présentent au lecteur dans l’ordre où ils apparaissent aux
personnages mêmes. L’analyse psychologique se rattache étroitement à la
narration. Les procédés d’analyse chers à Chrétien sont les dialogues et les
monologues (en fait des dialogues intérieurs). Lorsqu’il veut présenter des états
psychologiques instables, des débats intérieurs, la présence simultanée de
sentiments contradictoires, il fait appel au style indirect libre. La perspective
romanesque s’enrichit et devient plus complexe avec chaque roman. Chrétien
joue sur l’alternance de deux temps : le temps profane, linéaire, mesurable et le
temps sacré, non-mesurable, sorte d’intemporel où le passé, le présent et l’avenir
se confondent. L’opposition fondamentale qui joue dans l’organisation de
l’espace est celle entre courtois et non-courtois. L’espace courtois est la cour
d’Arthur, vrai centre sacré du monde chevaleresque. Mais il y a aussi de
nouveaux espaces qui tendent à supplanter le vieux centre. Pleinement maître de
son art, il ne cesse d’avertir le lecteur du statut de fiction de l’œuvre. Le texte
devient ainsi une somme de virtualités que le lecteur est appelé à actualiser par
sa capacité de déchiffrage.

A retenir !
- il est, à juste titre, considéré comme le premier « romancier » médiéval et le
plus grand ;
- ce qui caractérise les romans de Chrétien de Troyes, c’est le fait qu’ils sont
régis par une double cohérence, mythique et chevaleresque ;
- les procédés d’analyse chers à Chrétien sont les dialogues et les monologues
(en fait des dialogues intérieurs)
- l’analyse psychologique se rattache étroitement à la narration
- Le Conte de Graal introduit dans la littérature un héros neuf, sans passé
littéraire et vierge de toute éducation chevaleresque et courtoise
Contrôle des connaissances

12
1. Relevez la structure du roman.
2. Que symbolise le Graal dans son roman ?
Suggestion de sujet à développer
Relever les éléments qui marquent le passage du mythe au roman.
Bibliographie
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises -
Moyen Âge, Hachette, 1967

Unité 5

Le Roman de Renart

Le Roman de Renart se présente comme une suite de poèmes


indépendants les uns des autres, de longueur variée, appelés « branches ». Ces
branches ont un point commun : le récit de la lutte du goupil (le renard) contre le
loup. On trouve trois tons différents dans les cent mille vers que comporte le
Roman de Renart. Les plus anciennes branches racontent de façon alerte les
aventures de Renart trompeur et, parfois, trompé. C’est l’esprit de parodie qui
domine ici, parodie des chansons de geste et des romans courtois, avec une
satire légère et amusée de la société féodale, de la justice, de la religion. C’est un
ton héroï-comique. Plus tard, le ton moral et satirique fait irruption dans les
branches du début du XIIe siècle, pour n’être plus que satirique et amer dans les
dernières branches de la moitié du XIIe siècle.
Renart est, à sa façon, un héros de chanson de geste : il possède un
château, il est marié, attaché à sa femme, à ses enfants et aux membres de sa
famille, il croit en Dieu. En un mot, il possède toutes les caractéristiques du

13
preux chevalier, mais il ne respecte aucune des valeurs symboles : au lieu
d’honorer son suzerain, il bafoue la justice ; au lieu du service d’amour, il viole
la femme du roi et du loup ; au lieu de mettre sa force au service de son
suzerain, il s’en sert pour tromper et voler ; au lieu de respecter la religion, il
trahit aussitôt le serment qu’il a fait. La société dans laquelle se déroule le
roman est donc calquée sur la société féodale contemporaine. A travers la
peinture des animaux, ce sont des hommes dont on se moque, en parodiant les
usages chevaleresques et courtois.
Dans Le Roman de Renart, les motifs comme les procédés comiques sont
variés. Pourtant c’est un rire ambigu qui naît du texte. Le roman utilise les
thèmes comiques peu nombreux du Moyen Âge, liés à la nourriture, aux réalités
corporelles, au quiproquo verbal, au triomphe de la ruse sur la force. La
nourriture, qui tient une place importante dans le roman, a une double fonction :
soit elle fait effectivement rire, lorsque son besoin crée des scènes de tromperie,
soit elle justifie les actes répréhensibles de Renart lorsqu’il vole. Mais le mieux
exploité reste le motif de la ruse triomphant de la force : toute la lutte entre
Renart et Isengrin repose sur l’infériorité physique de Renart et sa supériorité
intellectuelle ; Isengrin est toujours victime de ses ruses. Le comique verbal et le
quiproquo tiennent eux aussi une grande place dans le roman. Le meilleur
exemple en est l’extraordinaire discours que tient Renart à Isengrin, en se faisant
passer pour un autre. On se retrouve alors dans la situation classique où un
personnage parle de l’autre, qu’il croit absent, en sa présence ; l’autre en profite
pour insulter ou ridiculiser le premier. Le comique naît aussi de l’observation
précise des attitudes et des gestes, du souci du détail précis, des scènes très
concrètes. La parodie, présente elle aussi dans ce roman, résulte du décalage
entre le vocabulaire qu’emploie un personnage et ce qu’il est, entre le
vocabulaire employé et l’objet dont il est question. La satire cherche à dépasser
le simple comique et permet de comprendre le sens du rire au Moyen Âge. Il ne
s’agit plus de rire gratuitement d’un appétit excessif, mais de dénoncer l’attitude

14
des vassaux qui se complaisent dans des guerres individuelles, des brigandages.
On rit, mais c’est un rire ambigu. Ainsi, on rit de Renart qui triomphe par ses
ruses ; or Renart est lui-même le contre-exemple du chevalier idéal de la société
féodale : on devrait donc condamner son attitude. Mais Renart est aussi le
symbole du vassal que ses conditions de vie réduisent à des expédients rusés,
puisqu’il ne peut pas compter sur sa force ; s’il est cynique, voleur, haineux,
c’est peut-être parce que la société ne lui laisse que cette possibilité. Il y a alors
dans le rire que provoque Renart, une critique de la société. Le rire médiéval se
limite à rendre perceptible le divorce entre un idéal et une réalité assez
misérable. C’est un rire pessimiste, mais il ne propose aucune solution de
changement.
A retenir !
- Le Roman de Renart se présente comme une suite de poèmes indépendants les
uns des autres ;
- la société dans laquelle se déroule le roman est calquée sur la société féodale
contemporaine ;
- à travers la peinture des animaux, ce sont des hommes dont on se moque, en
parodiant les usages chevaleresques et courtois.

Contrôle des connaissances


1. Dressez le portrait du Renart.
2. Relevez les principaux motifs et procédés comiques.
Suggestion de sujet à développer
Choisir un extrait et analyser les procédés comiques
Bibliographie
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises -
Moyen Âge, Hachette, 1967

15
Unité 6
Le Roman de la Rose

Parmi les traités d’amour, qui se veulent des arts d’aimer modernes,
l’œuvre la plus intéressante c’est Le Roman de la Rose. C’est une œuvre écrite
par deux auteurs, ce qui explique son caractère hybride. La première partie est
marquée par la tendance courtoise traditionnelle, la deuxième par la tendance
moralisatrice et didactique du XIIIe siècle. Dans la première partie, Guillaume
de Lorris combine le thème de l’amour à la fiction du rêve. Il imagine de
raconter un rêve qu’il a fait à l’âge de 28 ans. Ainsi est cautionné le caractère
novateur de ce récit centré sur un « je » qui a été le protagoniste du rêve et qui a
vécu dans la « réalité » de ce que prédisait le songe. Instance énonciative, il
relate et rime ce songe qui fait encore parfois partie de son présent vif.
Abolissant les contraintes du vraisemblable et perturbant les lois qui
régissent l’espace et le temps humains, la fiction du rêve permet également de
donner corps et mouvement aux entités abstraites de la lyrique courtoise et d’en
projeter les motifs-clés dans le temps du récit. Pour chaque figure, la description
tente le passage de l’apparence à l’essence. La description statique des « vices »,
cloués aux murs (derrière lesquels se trouve le « verger ») s’oppose à la
description dynamique des « vertus ».
Deux personnifications ont un rôle plus actif : Oiseuse, qui introduit le
rêveur dans le verger et Amour, présenté comme chasseur qui décoche les
flèches. Mais il y a aussi des personnifications qui incarnent les sentiments et les
mouvements contradictoires de la rose, de son désir d’amour, qui organisent
l’alternance des succès et des échecs de l’amant. Le recours aux figures
allégoriques permet aussi de généraliser l’expérience individuelle et subjective
du rêveur. Tel est l’objet du discours et des commandements d’Amour, des
sages mises en garde de Raison, des conseils plus ambigus d’Ami. Mais le motif

16
du « verger d’Amour» est aussi le lieu où la fontaine de Narcisse symbolise non
la mort de l’amant épris de son propre reflet, mais la source même de l ‘amour.
Et pourtant l’Amant ne peut pas cueillir la Rose, symbole de la femme aimée,
car il est empêché par Raison qui l’avertit que l’amour est nuisible à l’homme.
La continuation de Jean de Meung reprend le cadre du songe et la trame
proposée par Guillaume, mais l’action proprement-dite passe au second plan.
L’essentiel du texte est occupé par les longs discours que tiennent les
personnifications. La caractéristique la plus immédiate de ce texte est son
ambition encyclopédique et totalisante. Ce « miroir aux amoureux », comme le
désigne son auteur, embrasse, interroge, critique, condamne, exalte tour à tour
toutes les formes de l’amour. Mais il est aussi un « miroir » du monde, une vaste
et composite encyclopédie du savoir médiéval. Première manifestation en langue
française d’une poésie philosophique et scientifique, le texte véhicule également
une réflexion qui, par la métaphore de la quête érotique, aborde et traite la
plupart des problèmes philosophiques et moraux qui peuvent instruire et
alimenter la réflexion du lecteur. La leçon qui se dégage, la « définitive
sentence » qui est prononcée, semble bien être le nécessaire respect, par
l’homme, des lois naturelles incarnées, à tous les sens du mot, par l’amour.
Ainsi, il fait de l’amour une force naturelle assurant la continuation de l’espèce.
Ce qui caractérise aussi le texte, c’est la permanente lucidité de l’auteur. Il
ne croit ni aux songes, ni aux visions, ni aux superstitions, ni aux vertus
magiques des éléments. Ses idées en matière de politique sont également
intéressantes ; il parle de l’origine des propriétés comme le ferait un philosophe
des Lumières. Selon lui, le mal est dans la société, l’harmonie et l’équilibre se
retrouvent dans la Nature, dont il propose le culte. Il insiste aussi sur le mérite
personnel, qui n’a rien à voir avec la condition sociale.
Ce texte est vite devenu un ouvrage de référence par les savoirs divers qu’il
transmet, par les développements satiriques qu’il propose, par la quête
allégorique de l’amour.

17
A retenir !
- la personnification occupe une place de choix ;
- ce « miroir aux amoureux », embrasse, interroge, critique, condamne, exalte
tour à tour toutes les formes de l’amour.
- le recours aux figures allégoriques permet de généraliser l’expérience
individuelle et subjective du rêveur.
Contrôle des connaissances
1. Relevez les principales caractéristiques et leur rôle dans cette œuvre.
Suggestion de sujet à développer
Dans un extrait, au choix, relever les personnifications et les allégories
Bibliographie
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises -
Moyen Âge, Hachette, 1967

Unité 7
Charles d’Orléans (1394-1465)
Les genres poétiques ne portent pas le même nom au Moyen Âge et au
XXe siècle, car ce qui compte d’abord, c’est la forme de la poésie et non de son
thème. Un poète qui compose une ballade ou un rondeau est un poète lyrique,
même s’il écrit sur des thèmes conventionnels ou impersonnels ; au contraire,
les confidences s’apparentent à la poésie morale et didactique. La poésie lyrique
est au départ populaire, faite de chansons de toile (que l’on chante en tissant) et
racontant les plaintes d’une dame en mal d’amour ou de chansons à danser,
exprimant les plaintes d’une femme mal mariée ou célébrant le renouveau du
printemps. Avec le lyrisme courtois et l’expression de la fin’amour, cette poésie
est devenue savante : les troubadours du Languedoc, qui la créent au XIe siècle

18
sont relayés par les trouvères du nord de la France dès le XII e siècle. La chanson
d’amour devient un genre noble par excellence. Du XIIe au XVe siècle, les
sensibilités changent, le statut du poète aussi.
Mais la poésie reste souvent une œuvre de commande, elle fait partie du
décor de la cour d’un grand seigneur. Le changement vers le lyrisme personnel
s’opère en fait avec Charles d’Orléans, qui sait exprimer des événements intimes
à travers les moules poétiques traditionnels de la ballade ou du rondeau.
Charles d’Orléans (1394-1465) Son nom est celui d’une des quatre familles
princières de France. Duc et prince de sang, père du futur roi de France Louis
XII, Charles d’Orléans a eu une vie tourmentée. L’assassinat de son père, Louis
d’Orléans, frère du roi Charles VI, l’engage dans une lutte acharnée contre la
famille de Bourgogne. Le mariage avec la fille du comte d’Armagnac l’aide à
obtenir la célébration officielle de son père et à retrouver sa place à la cour. Mais
en 1415 il est fait prisonnier par les Anglais et ne reverra la France que 25 ans
plus tard. Dans l’inaction, dans l’attente vaine, il retrouve la poésie qui devient
pour lui un divertissement et une consolation. La poésie lui attire le renom que
la politique lui avait refusé. Il meurt dans son château de Blois, en 1465.
Dans la poésie, il abandonne le ton impersonnel de la poésie courtoise et
nourrit ses poèmes de la mélancolie qui l’habite. C’est ainsi qu’il donne à
l’écriture poétique une dimension nouvelle, qui la rend proche de notre
sensibilité, celle de l’émotion personnelle. Il excelle dans les poèmes à forme
fixe, ballade et rondeau. Il sait jouer du refrain sans en être prisonnier. Dans la
ballade « Las ! Mort, qui t’a fait si hardie », les mêmes mots, avec un sens
différent, s’appliquent à la situation personnelle du poète ou définissent le séjour
du purgatoire dont il souhaite que sa femme sorte rapidement. Dans le rondeau
« Le temps a laissé son manteau », le refrain trouve sa place sans forcer le sens
du texte. On remarque encore le talent du poète à son utilisation du rythme. Les
sonorités sont, elles aussi, bien choisies pour souligner le sens du poème. De
même, le choix d’une rime en « i » pour illustrer la gaieté du printemps ou

19
d ‘une rime en « oi » pour traduire la mélancolie et l’ennui répond parfaitement
au sens des textes. Sans aucun doute il est un maître de la perfection formelle.
La poésie de Charles d’Orléans est largement ouverte sur les événements
de sa vie personnelle, ses mariages, donc la présence de sa dame (« Las ! Mort,
qui t’a fait si hardie »), son long exil en Angleterre (« En regardant vers le pays
de France »). C’est au XVe siècle que l’existence individuelle commence à
devenir matière à poésie et c’est sans doute cet aspect personnel qui touche
aujourd’hui le lecteur. Il y a de la naïveté ou de la maladresse peut-être, mais on
entend là un homme qui dit simplement son chagrin. Au-delà de la maîtrise
parfaite des techniques poétiques, Charles d’Orléans ouvre ainsi des voies à
l’expression de la sensibilité personnelle.
A retenir !
- il abandonne le ton impersonnel de la poésie courtoise et nourrit ses
poèmes de la mélancolie qui l’habite ;
-il donne à l’écriture poétique une dimension nouvelle, celle de l’émotion
personnelle ;
- il excelle dans les poèmes à forme fixe, ballade et rondeau
Contrôle des connaissances
1. Relevez les principaux éléments qui contribuent au renouvellement du
langage poétique.
Suggestion de sujet à développer
Faire l’analyse d’un poème au choix
Bibliographie
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises -
Moyen Âge, Hachette, 1967
Guillaume, Picot, Poésie lyrique au Moyen Âge, Larousse, 1975

20
Unité 8

François Villon

Il est le plus connu des poètes du Moyen Âge à cause de sa vie hors de
commun et des sentiments pathétiques qui mettent le lecteur moderne en
communication avec sa poésie. Il a trop souvent connu la prison, le
bannissement ou la menace d’une mort prochaine, pour n’avoir pas été inspiré
par la forme du testament. Dans sa première œuvre, « Le Lais », synonyme de
legs, il s’amuse à donner en héritage à ses amis un soulier, une coquille d’œuf,
des cheveux. Le ton est satirique, mais laisse déjà entendre, face à la mort, une
inquiétude que « Le Testament » amplifie. Dans cet ensemble de 186 huitains,
mêlés de ballades et de poésies diverses, il fait un retour sur sa jeunesse,
l’ensemble de sa vie ; certes, le ton reste satirique, quand il s’en prend à
l’évêque qui l’a emprisonné, mais l’œuvre est le plus souvent lyrique.
Dès « Le Testament », Villon donne une double leçon. D’une part, la
pauvreté est ce qu’elle est, mais la richesse n’est peut-être pas plus enviable. Il
rappelle aux gens que la roue de la fortune tourne et que les hommes sont égaux
devant la mort. Alors que signifient la pauvreté, la richesse, la beauté ? Pour
accentuer la portée de la leçon, il recourt au discours direct, en faisant parler son
cœur et le discours qu’il s’adresse ainsi à lui-même vaut alors pour tout homme.
Dans « Le Testament », il emprunte une forme traditionnelle, mêlant des
notations personnelles aux idées de son temps. Sur un ton ironique d’abord, il
règle des comptes avec l’évêque qui l’a emprisonné ; puis il fait le bilan de sa
vie et, pour finir, médite sur la mort. Villon hérite des thèmes traditionnels du
Moyen Âge sur le caractère éphémère des biens terrestres et l’égalité de tous
devant la mort. Il y ajoute un thème macabre, l’horreur devant le spectacle
physique de la mort, devant la décomposition de la chair.

21
Dans « La Ballade pour prier Notre Dame » on retrouve d’autres
formulations didactiques qui peuvent être lues comme les articles d’un
catéchisme. Villon fait parler sa mère dans cette ballade écrite en forme de
prière. Pour exprimer la foi simple d’une femme sans instruction, le poète sait
lui-même trouver un langage simple et rendre la confiance naïve de cette mère
en une autre mère, céleste celle-là. Son talent est de savoir traduire les émotions
d’autrui. « La Ballade des pendus », l’un des poèmes les plus connus de la
littérature française, naît d’une situation réelle. Villon, une fois incarcéré, est
condamné à être pendu. Il attendra quelque temps avant de savoir que sa peine
est remise, et il lui en reste un sentiment à la fois d’effroi devant la mort et de
communion avec les malheureux pendus. Dans la ballade, il choisit de faire
parler les pendus, comme une voix d’outre-tombe venant avertir les vivants et
appeler leurs prières.
Bien que nourrie des événements de la vie du poète, l’œuvre de François Villon
s’offre au lecteur comme la méditation, le cri d’angoisse d’un homme, non pas
en ce qu’il a d’individuel, mais en ce qu’il exprime les hommes de son temps.
A retenir !
Contrôle des connaissances
1. Présentez les principaux poèmes et les thèmes majeurs dont ils traitent.
Suggestion de sujet à développer
L’analyse du poème « La Ballade des pendus ».
Bibliographie
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises -
Moyen Âge, Hachette, 1967
Guillaume, Picot, Poésie lyrique au Moyen Âge, Larousse, 1975

22
Unité 9
La Renaissance

L’histoire littéraire et artistique associe au XVIe siècle le mot


« Renaissance ». C’est dans une société en pleine mutation qu’une nouvelle
littérature voit le jour. L’un des changements de société les plus importants en ce
début du XVIe siècle est la constitution des grands Etats politiques.
L’Angleterre, l’Espagne et surtout la France s’organisent en Etats puissants,
autour d’un pouvoir politique central. Parallèlement, le sentiment d’appartenir à
une nation est de plus en plus vif dans la population. Ce nouveau sentiment
pèsera lourdement dans les querelles religieuses du XVI e siècle. Le pouvoir de
l’Eglise est de plus en plus contesté. Des changements s’opèrent aussi dans les
structures sociales. La population reste rurale à plus de quatre-vingts pour cent,
la population urbaine s’accroît rapidement. Le pouvoir économique remplace le
pouvoir féodal, ce qui va influencer les mentalités, les mœurs, les arts de la
Renaissance. Le développement des villes entraîne un changement dans le
niveau d’instruction de la population. Ainsi les villes créent des collèges qui
vont être les principaux vecteurs de l’esprit nouveau : l’humanisme. La langue
française, de plus en plus unifiée, change le contexte culturel du royaume. Enfin,
la diffusion du livre bouleverse, elle aussi, le contexte culturel à la fin du Moyen
Âge. Le livre se répand dans les écoles, mais aussi dans les foires commerciales.
Le statut de l’œuvre littéraire et celui de l’écrivain lui-même s’en trouvent
changés. Cependant l’artiste n’est pas encore indépendant ; il est à la fois celui
qui embellit par son art le cadre de vie et celui qui peut assurer la gloire d’un
prince en le célébrant. L’écrivain, lui aussi, parce qu’il dépend d’un mécène, une
partie importante de son œuvre est faite de pièces de commande. Mais il a sa
place à la Cour et on lui reconnaît un rang d’exception parmi les courtisans.
Née au XVIe siècle en Italie, la pensée humaniste, qui se caractérise par
une nouvelle approche du savoir et une nouvelle conception de l’homme, s’est

23
vite répandue dans toute l’Europe. Mais qu’est-ce que l’humanisme ?
Aujourd’hui il est défini comme une « doctrine qui a pour objet le
développement des qualités de l’homme ». (Petit Larousse) En fait, cette notion
définit le mouvement qui unit, au XVIe siècle, les « humanistes » des pays
européens. Le mot humanisme est bâti sur le mot « homme » : il s’agit de tendre,
grâce à l’effort de la raison, vers un modèle de perfection humaine, dans tous les
domaines. Comment y parvenir ? En méditant sur la sagesse antique, ce qui
suppose de redécouvrir l’ensemble de la littérature gréco-latine, et, pour cela, de
réformer l’enseignement. Avec Gutenberg, l’industrie de l’imprimerie s’installe
à Paris et à Lyon. Vers 1500, 40 villes possèdent une librairie (endroit où on
édite, on imprime et on vend des livres). De nombreux dictionnaires et ouvrages
de grammaire sont publiés. On commente aussi, on traduit ou on adapte des
textes anciens, dans les domaines littéraires, juridiques et scientifiques. La
réflexion pédagogique tient une place importante dans les écrits des humanistes.
De nouveaux principes et méthodes se mettent en place : ne plus compter sur la
mémoire et les qualités de répétition et faire progresser l’élève à son rythme, par
le dialogue avec le maître. Il faut aussi respecter un équilibre entre les
disciplines intellectuelles (langues, sciences, musique), physiques (sport, danse,
jeu), morales et sociales (religion, règles de la vie sociale).
Les humanistes croient fondamentalement au progrès de l’homme. Ils
méditent sur la littérature antique pour y découvrir des valeurs morales et
intellectuelles anciennes et les adapter au monde nouveau. Mais les autorités
catholiques acceptent mal leurs positions, car ils soumettent les textes bibliques
au même examen critique que les autres œuvres philosophiques, ce qui paraît
sacrilège aux esprits traditionnels de la Sorbonne. Les théologiens réformés
s’opposeront eux aussi à la philosophie humaniste : leur vision pessimiste de
l’homme et leur méfiance envers les textes profanes de l’Antiquité expliquent
cette opposition.

24
Les humanistes sont pacifistes, parce qu’ils ont un esprit cosmopolite, dû
aux échanges intellectuels, aux voyages, à leur optimisme. Leur foi dans les
progrès de l’homme fait d’eux des réformateurs et non des révolutionnaires.
Les grands traits de l’humanisme sont donc le souci d’une culture apprise
à la source, les recherches pédagogiques, la volonté de réforme sans rupture
brutale, le désir d’équilibre des pouvoirs dans la société, le pacifisme, le
cosmopolitisme.
Bibliographie
Anne Berthelot, François Cornilliat, Moyen Âge-XVIe siècle, Nathan, coll. Henri
Mittérand, 1988
4. Itinéraires littéraires - Moyen Âge –XVIe siècle, Hatier, 1988
5. P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises
XVIe siècle, Hachette, 1966

Unité 10
La Pléiade

Selon la mythologie, les Pléiades sont les sept filles d’Atlas, devenues
constellation ; de là le nom de Pléiade donné à un groupe de sept poètes
d’Alexandrie (IIIe siècle av.J.-C.). Ronsard et ses amis ont repris à leur compte
cette appellation, mais il ne s’agit plus de sept poètes. L’appellation commune,
pour désigner la génération poétique qui se reconnaît dans la Défense et
Illustration de la langue française de Du Bellay, est celle de Brigade, troupe de
jeunes auteurs enthousiastes. Dans la Brigade, Ronsard a distingué une Pléiade.
L’essentiel est le culte commun des Lettres antiques, la volonté de lutter
contre l’ignorance, de rénover les formes et de réactiver les mythes, le goût

25
d’une écriture savante, nourrie de la libre imitation des Anciens et des
Modernes, faire de la poésie la clé de voûte de la culture. En un mot, l’imitation.
Ce qui frappe au contraire dans l’entreprise de la Pléiade, c’est le souci de
variété, qui commande d’explorer tous les genres, tous les styles et surtout de ne
jamais s’en tenir à l’imitation d’un seul auteur. Le poète de la Pléiade est
toujours en train de s’approprier le texte d’autrui, de s’en emparer pour le re-
créer. L’inspiration est en quelque sorte la métaphore de leur amour de la langue
et du monde fantastique que la langue, arrachée à son usage ordinaire, permet de
créer. Bien plus que leurs prédécesseurs, les poètes de la Pléiade s’abandonnent
à l’imaginaire. Chaque poète donne une inflexion particulière à l’ambition
initiale. La doctrine varie suivant les genres abordés. Enfin, l’Histoire s’en
mêle : les guerres de Religion vont diviser les poètes et transformer l’idée qu’ils
se font du « métier » poétique. En rendant à chacun sa trajectoire personnelle, on
ne perdra pas de vue ce qu’ils ont en commun : la plus haute idée de la poésie,
« œuvre à part ». Cette ambition les obsède. Ce qui est en jeu, c’est la gloire, but
suprême de leur désir, la gloire qui confère l’immortalité.
Dans le domaine de la poésie, les membres de la Pléiade condamnent les
genres qui ont existé avant eux ; il faut donc les remplacer par des genres
nouveaux. Ils inventent ainsi l’ode, l’épopée, l’hymne. C’est aux membres de la
Pléiade que l’on doit aussi la consécration du sonnet, devenu vite une forme
poétique qui se prête à toutes sortes de sujets. Les règles de la composition du
sonnet sont établies par Du Bellay et Ronsard, qui en font une des formes les
plus remarquables de la poésie française.
Bibliographie
Anne Berthelot, François Cornilliat, Moyen Âge-XVIe siècle, Nathan, coll. Henri
Mittérand, 1988
4. Itinéraires littéraires - Moyen Âge –XVIe siècle, Hatier, 1988
5. P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises
XVIe siècle, Hachette, 1966

26
Unité 11
Joachim Du Bellay (1522-1560)
Itinéraire poétique

Il est considéré comme l’un des plus grands poètes du XVIe siècle. En
même temps que Défense et Illustration de la langue française, Du Bellay fait
paraître sa première œuvre L’Olive, le premier recueil de sonnets écrit en
français. L’ensemble a souvent été jugé comme un pur exercice de style ; certes,
l’expression des sentiments amoureux est conventionnelle, mais les sonnets
présentent de nombreuses réussites. De plus, il y exprime des idées néo-
platoniciennes (l’idée d’amour platonique, c’est-à-dire purement spirituel,
progressant par le refus des plaisirs physiques vers la béatitude d’un amour
idéal) ou chrétiennes. Ce premier recueil montre comment l’auteur a d’abord
envisagé d’illustrer la langue française en imitant les Latins et les Italiens. En
1553, dans l’ode « Contre les Pétrarquistes », il se moque lui-même de l’Olive et
des discours amoureux inspirés de Pétrarque et il souhaite trouver une
inspiration plus naturelle et plus personnelle.
L’occasion est offerte par son déplacement à Rome, avec son oncle Jean,
cardinal et très lié à François Ier. C’est grâce à ce déplacement qu’il va composer
ses œuvres majeures, sur une idée très originale, celle du « journal de voyage ».
Il note les réflexions qui lui inspire son voyage dans des sonnets qu’il
regroupera en deux recueils principaux : les Antiquités de Rome suivi du
« Songe ou Vision sur le même sujet » et « Les Regrets », consacré à la Rome
moderne. Les Antiquités de Rome retiennent l’attention à plus d’un titre. C’est
d’abord la première fois qu’on consacre, en France, une œuvre entière à l’illustre
cité, c’est aussi la première fois que son destin est chanté en vers. Mais surtout, à
travers les 32 sonnets des « Antiquités » et les quinze formant un appendice,
« Songe ou Vision sur le même sujet », le lecteur est frappé par la beauté de la

27
langue, la poésie des images, la richesse des comparaisons, la maîtrise étonnante
du rythme et de la composition de chaque sonnet.
Parlant de la Rome moderne, ses poésies ne sont pas moins originales.
Dans les « Regrets », il traduit d’abord sa nostalgie de l’Anjou natal et les
douloureux accents de sa plainte parleront désormais à tous les exilés. Mais il se
plaint aussi de sa vie quotidienne. Il est ainsi amené à décrire la Rome moderne
(celle du XVIe siècle), la Cour pontificale et ses mœurs, la ville des affaires, les
bas quartiers et leur faune. Son génie satirique trouve là sa meilleure inspiration.
Le recueil de sonnets se transforme donc en un journal inspiré par la vie
quotidienne du poète. Du Bellay est l’un des premiers à utiliser aussi
personnellement l’écriture poétique et c’est cette modernité qui nous touche.
La poésie amoureuse est peu originale, mais le thème de la prison
d’amour, du poète prisonnier de l’amour de sa dame est traité de façon plus gaie
que réellement plaintive. Elle est bâtie principalement sur des jeux d’antithèses :
joie/douleur, absence/présence, jour-lumière/nuit-obscurité. Elle utilise
l’hyperbole et accorde une place importante aux allusions mythologiques. Au
contraire, la poésie élégiaque est une poésie de plainte personnelle. Du Bellay
dit son sentiment d’exil, sa nostalgie du pays natal, la ruine de ses espoirs de
carrière loin de la cour de France, sa lassitude physique et morale. La poésie
satirique est souvent amère, comme dans le portrait du flatteur, du courtisan ou
dans son autoportrait. Il est un observateur à la fois précis et lucide des
comportements humains. La poésie religieuse est une inspiration originale, car
peu de poètes ont exprimé leurs sentiments profonds. Le désir de retrouver le
monde pur des Idées loin du monde charnel traduit à la fois une inspiration néo-
platonicienne et chrétienne.
Même si la structure des sonnets est variée, ils sont toujours bâtis sur un
mouvement qui entraîne le lecteur ; on peut trouver une phrase unique, qui
donne au sonnet ampleur et majesté ; on peut aussi rencontrer une accumulation
d’infinitifs juxtaposés, qui ajoute une à une les touches d’un portrait. D’autres

28
sonnets préparent l’image, la sentence, le trait d’esprit final qui clôt le texte sur
un point d’orgue ou lui donne un prolongement mystérieux ; d’autres encore
sont bâtis sur l’opposition entre deux idées, entre deux moments, entre une cause
et son résultat. Le plan d’un sonnet de Du Bellay est toujours porteur d’un sens.
Mais il accomplit aussi un travail sur la langue même : selon les principes de la
Pléiade, il fabrique des verbes sur des noms ou encore des noms sur des
adjectifs ; il invente des diminutifs et n’hésite pas à employer un vocabulaire
technique. Du Bellay a inventé en français le sonnet en tant que forme poétique.
Les poètes des siècles suivants lui sont redevables de cet héritage.
Contrôle des connaissances
1. Relevez les thèmes majeurs de sa poésie.
2. Relevez quelques traits caractéristiques de ses sonnets.
Suggestion de sujet à développer
Travail sur « D’un vanneur de blé, aux vents » (thèmes, personnages, style)
Bibliographie
Anne Berthelot, François Cornilliat, Moyen Âge-XVIe siècle, Nathan, coll. Henri
Mittérand, 1988
4. Itinéraires littéraires - Moyen Âge –XVIe siècle, Hatier, 1988
5. P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises
XVIe siècle, Hachette, 1966
Wendel-Bellenger, Yvonne (1971), Du Bellay – Défense et illustration de la
langue française. Œuvres poétiques diverses, Larousse, coll. « Classiques
Larousse »

Unité 12
Pierre de Ronsard (1524-1585)

29
Itinéraire poétique

Il commence par publier les Quatre Premiers Livres des odes en 1550. Ce
recueil mêle la poésie de la nature, la poésie amoureuse, la poésie érudite imitée
du grec. Le succès est mitigé. Dans le recueil suivant, Les Amours, il va imiter
Pétrarque. Puis, recherchant une plus grande simplicité, il publie le Bocage, les
Mélanges et la Continuation des Amours. Cette veine lui convient puisqu’il
poursuit avec la Nouvelle Continuation des Amours. Ces recueils amoureux
chantent l’amour de Cassandre, puis de Marie. Il est héritier d’une longue
tradition de littérature amoureuse. Sur le catalogue plus ou moins stéréotypé des
sentiments amoureux – joie espérée, douleur de la solitude, demande pressante -,
il compose, à son tour, une œuvre très riche. Si Ronsard excelle dans les poèmes
amoureux, il manifeste aussi son talent dans d’autres genres.
En 1555, il publie les Hymnes de 155. La Pléiade appelle en effet les
poètes à composer des épopées, des hymnes, des discours, pour offrir au public
une poésie plus ample et plus grave. Ronsard rédige ainsi deux livres d’hymnes.
Ce sont d’abord des poèmes tout faits pour la louange du protecteur du poète ;
mais Ronsard peut aussi y exprimer une réflexion philosophique, scientifique,
ou encore y peindre de grandes fresques mythologiques. Ronsard a été aussi un
poète engagé. Les écrivains de la Pléiade et surtout Ronsard, ont une haute idée
de leur rôle auprès des grands de la Cour, du roi. Porte-parole de son temps,
guide du souverain, il rédige des œuvres politiques, nées des graves troubles
religieux et civils dont il est témoin : le Discours des misères de ce temps, la
Continuation du discours des misères ou encore pour défendre le catholicisme,
la Réponse aux injures et calomnies qu’il adresse aux calvinistes en 1563.
Dans toute sa carrière d’écrivain, Ronsard ne connaît qu’un seul échec,
celui de la Franciade. Ce grand poème à la gloire de la France est publié sans
être achevé. Toutefois jusqu’à la fin de sa vie, il demeure le premier poète de

30
son temps. Pour montrer à son rival Desportes qu’il est toujours le « Prince des
poètes », il publie le recueil « Sur la mort de Marie ». Dans ces poèmes, il
confond le souvenir de la jeune morte, Marie de Clèves, la maîtresse d’Henri III
et celui de son inspiratrice Marie, disparue depuis 20 ans. La poésie de
commande et la poésie personnelle se mêlent donc ici. Un autre recueil s’inspire
également de la mort, les « Sonnets pour Hélène ». Jusqu’à la fin de sa vie
Ronsard reprend son œuvre, trie, ordonne. Il écrit jusqu’au dernier moment, ce
qui lui a permis d’évoquer sa propre mort. Avec les deux derniers recueils, une
dimension nouvelle apparaît : la mort y est beaucoup plus présente, celle des
autres, mais aussi celle que le poète sent approcher de lui.

Thèmes majeurs de sa poésie.

L’amour. Selon lui, ce plaisir qu’il faut goûter est le résultat d’une loi naturelle
et universelle. Lorsque le poète amoureux est heureux, il est en harmonie avec le
monde ; si sa demande n’est pas exaucée, il se sent en rupture avec lui. Ainsi
l’amour s’accorde à un sentiment vif de la nature, du décor champêtre, de la
douceur des ambiances bucoliques, de la communion symbolique avec les
animaux, les fleurs. L’amour, que l’on poursuit, semble conduire à des
sentiments contradictoires : bonheur et souffrance, attente et désespoir. Le poète
est ouvert à la vie qui passe et à ses plaisirs, toujours réceptif, suivant les
métamorphoses de son cœur, signes intenses de vie. Ainsi, les poésies de
Ronsard traduisent un art de vivre sensuel, dans lequel l’évocation de la mort est
un appel pressant à goûter le bonheur et le plaisir (« Mignonne, allons voir si la
rose »)
La fuite du temps et la mort. Le thème de la fuite du temps anime de
nombreux poèmes. Puisque le temps passe vite et détruit tout, il faut se dépêcher
de vivre et d’aimer, en goûtant le plaisir du moment présent. Ronsard reprend à
son compte la sentence « Carpe diem » de l’épicurisme latin : « Cueille le jour »,

31
c’est-à-dire profite de l’instant qui passe. Le temps détruit les choses et les êtres,
il détruit la beauté. Le poète souffre devant l’altération des choses et le
sentiment de fragilité de la vie humaine. Cette souffrance est sans reconfort.
L’amant ne se console pas de rejoindre dans une autre vie la femme qu’il a
perdue, il est frustré de son désir ( « Terre, ouvre-moi ton sein » ). D’où un appel
à vivre l’instant présent. Par ailleurs, le temps qui passe et qui renouvelle toute
vie dans son cycle, dévoile la vérité profonde des choses et des êtres et a en lui
quelque chose de rassurant : la nature à la fois détruit et conserve, le temps fait
vieillir la femme aimée, mais Marie, morte jeune et devenue rose, conserve dans
la nature une éternelle jeunesse et la garde aussi de siècle en siècle grâce au
travail du poète ( « Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose » )
Gloire et poésie. Ronsard donne du poète une très haute image. Inspiré par les
dieux, investi d’un rôle auprès des hommes, il confère la gloire qui dépasse le
temps, devient lui-même par son œuvre un personnage hors du temps (« Quand
vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle »). Doué de ce pouvoir, le poète
assume aussi la part d’action qui lui revient. Il entre donc dans les fonctions de
la poésie de dire la gloire passée, d’appeler sur son siècle le regard des siècles à
venir. Ainsi, l’aspiration à la gloire est la source de grandes œuvres qui
triomphent de la mort et du temps.
Tous ces thèmes sont essentiels dans la poésie de Ronsard, mais il ne faut
pas oublier son premier projet, défendre et illustrer la langue française.
Comme son ami, Du Bellay, il a atteint la perfection dans l’écriture du sonnet.
Mais plus que son ami, il a su en varier les thèmes, les tons, les compositions.
Mais on peut constater que l’un des poèmes les plus célèbres de Ronsard,
« Mignonne allons voir si la rose » est une ode. Ainsi, le talent du poète est tel
que le choix de la forme ne change rien à la beauté du texte. Et le choix de la
poésie au lieu de la prose, dans les discours, n’ôte ni force ni rythme aux propos
de l’auteur. Ronsard a été appelé par ses contemporains « Prince des poètes ».
La richesse de son œuvre, le nombre de sujets qui y sont abordés, la variété des

32
tons qu’on y entend, enfin la haute idée de la fonction poétique qu’il a défendue
et illustrée dans son œuvre et dans sa vie, justifient ce titre de nos jours encore.
Contrôle des connaissances
1. Relevez les thèmes majeurs de sa poésie. Quelles sont les principales idées
qui s’en dégagent ?
Suggestion de sujet à développer
Travail sur « Sonnet à Marie » (thèmes, style)
Bibliographie
Anne Berthelot, François Cornilliat, Moyen Âge-XVIe siècle, Nathan, coll. Henri
Mittérand, 1988
4. Itinéraires littéraires - Moyen Âge –XVIe siècle, Hatier, 1988
5. P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises
XVIe siècle, Hachette, 1966
Sabbah, Hélène (1985), La fuite du temps. De Ronsard au XXe siècle, Hatier

Unité 13

François Rabelais (1494-1553)

L’auteur des chroniques drôles et gaillardes de Pantagruel et Gargantua


est un homme complexe, d’une personnalité à multiples facettes. Il est un moine
humaniste plus ou moins en rupture avec l’autorité religieuse, un médecin
unanimement reconnu, l’un des écrivains les plus importants de la littérature
française.
Son premier livre, Pantagruel paraît en 1532. Rabelais n’a pas créé de
toutes pièces le héros Pantagruel ; c’est un personnage de la littérature du
Moyen Âge, petit diable marin qui personnifie la soif. Mais Rabelais en fait un
géant, répondant ainsi au goût du public. L’ouvrage suit le plan des chroniques :
la naissance extraordinaire du héros, les hauts faits de son enfance, de sa

33
jeunesse, ses exploits guerriers. Dans le ton de ces chroniques merveilleuses,
Rabelais exprime ses idées humanistes.
Gargantua, publié en 1535, raconte les aventures du père de Pantagruel ;
au lieu de donner une suite à sa première chronique, Rabelais s’amuse à
remonter le temps. Le titre complet du livre indique la filiation des deux récits :
« La Vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, jadis composée
par Maître Alcofrybas, abstracteur de quinte essence. Livre plein de
Pantagruélisme ». Sans abandonner la verve comique, cet ouvrage mène plus
loin ses interrogations. Après les chapitres consacrés à l’enfance et à l’éducation
du géant, Rabelais donne à ses héros l’occasion de mettre en œuvre l’éducation
humaniste qu’il a reçue lors d’une guerre. C’est pour l’auteur l’occasion d’une
réflexion politique sur la guerre et la conquête. Parmi les récompenses offertes
aux vainqueurs, Gargantua crée l’abbaye de Thélème, qui semble définir l’idéal
de vie et de sagesse de l’auteur.
Le Tiers Livre des faits et des dits héroïques du bon Pantagruel, publié en
1546, reprend les personnages du « Pantagruel », mais le contenu a changé. Au
centre de l’œuvre, Panurge consulte longuement différentes personnes pour
savoir s’il doit se marier et s’il sera cocu. Panurge engage une quête burlesque
d’abord, puis sérieuse auprès des représentants de tous les savoirs enseignés à
l’époque. Or nul ne peut aider Panurge à se décider et rabelais montre ainsi
l’inutilité d’un conseil extérieur dans une décision morale.
Quart Livre et Cinquième Livre (1552 et posthume) racontent la suite des
aventures de Panurge et de ses amis. Le Quart Livre s’inscrit dans la vogue des
livres de voyage. On rêvait à l’époque d’un passage au nord-ouest du Canada,
qui devait permettre d’atteindre l’Extrême-Orient. Rabelais fait accomplir à ses
héros un voyage très précis, qu’on peut suivre sur les cartes de navigation du
XVe siècle. Cet extraordinaire voyage a un but : trouver l’oracle de la Dive
Bouteille pour répondre à la question de Panurge concernant son mariage. Le
voyage aboutit enfin dans le « Cinquième Livre ». Cette œuvre n’est pas d’égale

34
valeur, mais elle apporte une conclusion intéressante aux aventures de Panurge
et de ses amis. Arrivés enfin auprès de la Dive Bouteille, celle-ci rend son
oracle, en prononçant ce simple mot « Trinch ». Il ne reste plus aux héros qu’à
interpréter cette admirable pensée.

Thèmes majeurs de l’œuvre de Rabelais.

La connaissance. A travers Pantagruel et Gargantua, Rabelais peint


l’idéal d’une connaissance universelle à son époque : une connaissance touchant
tous les temps et tous les domaines. La connaissance de la nature occupe une
place particulière dans son programme. Rabelais est médecin et ses études l’ont
conduit à observer le corps humain ; d’autre part, en revenant aux textes
antiques, il retrouve le goût de l’observation concrète des faits physiques,
géographiques, botaniques qui caractérise les auteurs latins. Il faut donc suivre
et connaître la nature et non la mutiler en l’homme.
L’action. Rabelais décrit un programme d’éducation qui puisse amener
un prince humaniste à l’exercice du pouvoir. Les tâches royales sont plus
étendues qu’elles ne l’étaient dans les conceptions politiques du Moyen Âge.
Gargantua conduit son armée, mais organise aussi l’abbaye de Thélème, signe
d’une époque où n’existe plus un pouvoir religieux reconnu de tous ; c’est le
souverain qui fonde l’abbaye et en établit le règlement. Après la guerre
défensive qu’il a menée, Gargantua organise le pays vaincu sans l’annexer ni le
piller : c’est là le devoir d’un souverain responsable et pacifique. Les questions
économiques ne sont pas oubliées. Dans son enfance, le futur roi visite les
artisans ; dans un autre épisode, Panurge discute avec Pantagruel des dettes : le
souverain est aussi responsable de l’économie de son pays. Ainsi, l’éducation
humaniste tend vers une fin tout à fait pratique, l’exercice du pouvoir,
l’organisation du royaume. Le discours pédagogique n’est pas clos sur lui-
même : il forme les futurs acteurs de la société qu’espère la Renaissance.

35
La religion. Rabelais fait dans son œuvre la satire du catholicisme.
Cependant il donne une forte instruction religieuse à ses héros, qui prend sa
source dans la lecture des textes sacrés. C’est une position bien nouvelle, car il
s’agit de la lecture des Evangélistes, premiers réformateurs de l’Eglise autour
d’Erasme et de Marguerite de Navarre. Ils prônent la connaissance exacte des
textes bibliques, l’abandon du culte des saints et une plus grande liberté par
rapport à Rome.
L’art de l’écriture En choisissant pour héros des géants, Rabelais peut
grossir ses effets et ainsi rendre plus évident son message. Dans les épisodes
guerriers, par exemple, l’absurdité de certaines situations, due au gigantisme,
souligne l’absurdité générale des hommes se faisant la guerre. D’autre part, il
aime symboliser ses idées pour leur donner plus de force ; ainsi Gargantua et
Pantagruel représentent le prince humaniste. Rabelais ne cherche pas à créer
beaucoup de personnages : le grossissement et le symbolisme compensent la
multiplicité des épisodes en garantissant l’efficacité du message. Il n’épargne au
lecteur aucune fantaisie pour créer le comique. Lorsqu’il compare le jeune
Pantagruel à une monstrueuse tortue, lorsqu’il raconte les hauts faits de Panurge,
lorsqu’il pousse la logique du gigantisme jusqu’à faire pénétrer le narrateur dans
la bouche de Pantagruel, on peut penser que Rabelais affirme ainsi que tout est
bon, même ce qui paraît le plus fou, pour faire rire le lecteur. Mais grâce au rire,
il veut délivrer un message sérieux – sa foi en l’humanisme. Dans le même sens
se comprend la grossièreté du texte : tout langage est bon, même le plus fou, le
plus cru, s’il fait rire et réagir le lecteur. La joie de vivre, c’est d’abord celle du
corps, des appétits humains qu’il faut dire dans le langage qui est le leur. Dire
les plaisirs du corps, c’est respecter la nature de l’homme.
Il cultive les jeux de mots, en forgeant, par exemple, les noms des
personnages. Il aime accumuler de synonymes pour donner plus de couleur au
texte. Il emprunte à tous les registres de la langue : médical, juridique,
pédagogique, paysan, érudit, grossier, populaire ( dictons et proverbes ).

36
A retenir !
Contrôle des connaissances
1. Relevez la structure de son œuvre.
2. Précisez les thèmes les plus importants de son œuvre.
Suggestion de sujet à développer
L’homme dans la vision de Rabelais
Bibliographie
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
Itinéraires littéraires - Moyen Âge –XVIe siècle, Hatier, 1988
5. P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises
XVIe siècle, Hachette, 1966
Jean-Christian, Dumont, Gargantua – extraits – Rabelais, Larousse, 1972
Michel, Butor, Denis, Hollier, Rabelais ou c’était pour rire, Larousse, 1972

Unité 14
Montaigne ( Michel Eyquem ) (1533-1592)

Montaigne est essentiellement l’homme d’une seule œuvre, les Essais,


dans laquelle il entend se « peindre » lui-même. Il a aussi écrit un Journal de
voyage en Italie qui, par sa nature, n’est guère différent des Essais.
Les Essais se présentent sous la forme de trois livres. On ne distingue pas
d’ordre apparent dans l’œuvre. Dans le Livre I, les premiers chapitres présentent
une compilation de faits curieux, d’observations d’ordre politique et militaire ;
les suivants réfléchissent sur de grands thèmes : la philosophie, la mort, l’amitié,
la solitude, l’éducation. Le Livre II, plus centré sur le personnage de Montaigne
lui-même, expose des idées personnelles et des goûts littéraires. Le Livre III,
après le récit de voyage en Europe, développe des réflexions politiques,

37
méthodologiques ; on y trouve aussi des considérations sur le Nouveau Monde ;
la connaissance intime de l’auteur y est plus poussée.
Dans son œuvre, il se propose à suivre plusieurs objectifs. Tout d’abord,
la peinture du moi. En effet, il entreprend la rédaction d’une œuvre dont
l’intention est nouvelle en littérature. Son projet ne vise ni la défense ni la
glorification de l’auteur et n’a pas d’ambition moralisante. Montaigne désire
peindre sans fard son être singulier, dans tous ses aspects physiques,
intellectuels, moraux. Il refuse donc de séparer le corps de l’âme, parce que le
corps tient une place importante dans la réflexion. Source de plaisir ou de
douleur, il peut être une aide ou un handicap dans le travail de réflexion et de
jugement. La peinture de son être physique n’est pas complaisante, elle suit les
règles de la peinture de l’âme et participe à la définition d’une philosophie aussi
spirituelle que charnelle. Quant à la peinture de l’être moral et intellectuel, elle
se fait par touches, dans la vérité d’un regard ponctuel que Montaigne porte sur
lui-même ; il ne cherche pas à donner de lui une image définitive ; au contraire,
il peint le changement, le « passage » que son être subit constamment ; d’où une
sorte de portrait éclaté, dont les pièces se superposent (« Du repentir).
La peinture de l’homme universel constitue un autre objectif de son
œuvre. Car à travers le portrait qu’il tente de faire de lui-même, il désire peindre
l’homme universel. Ainsi, toute réflexion sur un événement particulier de sa vie
l’amène à s’interroger sur les questions majeures de la destinée humaine :
qu’est-ce que la mort ?qu’est-ce que le sentiment qui pousse un individu vers
l’autre ?
De même, il utilise son expérience personnelle pour réfléchir sur les
problèmes religieux, sociaux, politiques de son époque. Parce qu’il est magistrat,
il peut voir fonctionner de près la justice de son temps ; aussi prend-il
courageusement parti contre la torture couramment pratiquée (De la cruauté).
Parce qu’il habite une région particulièrement bouleversée par les guerres de
Religion, il juge sans complaisance les armées qu’il voit se livrer à des actes

38
répréhensibles (De la physionomie). Parce qu’il est un homme public lorsqu’il
occupe les fonctions de maire de Bordeaux, il s’interroge sur les rapports entre
l’individu dans sa vie privée et l’individu dans sa vie sociale (De ménager sa
volonté). Parce qu’il rencontre des sauvages et s’entretient avec eux, il nous
livre des réflexions tout à fait pertinentes sur le colonialisme (Les coches, Des
cannibales). Le lecteur des Essais rencontre dans l’œuvre un homme particulier,
Michel de Montaigne, mais rencontre aussi l’homme en général dans le miroir
que lui offrent les réflexions d’un écrivain du XVIe siècle.
Un autre objectif tout aussi important est l’essai d’une méthode de réflexion.
En donnant à son œuvre le titre d’Essais, Montaigne indique au lecteur le sens
même de celle-ci. « Essayer », au XVIe siècle, signifie « faire l’expérience de »,
« faire une tentative, un exercice » ; « s’essayer » a pour synonyme « se mettre
en situation d’apprentissage ». Ainsi l’œuvre de Montaigne offre au lecteur deux
possibilités de lecture : connaître les résultats de l’expérience que l’auteur tente,
en se peignant lui-même, mais aussi suivre cette expérience tout au long de sa
réalisation.
Chaque chapitre est consacré à un « essai », au sens littéraire actuel du
terme. En les rédigeant, il « essaye » une méthode de réflexion. Ainsi, il propose
dans un premier temps une anecdote pour soutenir une idée, puis il raconte une
anecdote contraire à la première et tente une conclusion. Il n’hésite pas ensuite à
rajouter un autre exemple, un autre commentaire, quelquefois plusieurs années
après. D’autre part, il se laisse conduire par ses propres pensées : nombreux sont
les développements, les digressions qui n’ont pas de rapport apparent avec le
thème que le titre du chapitre annonce. Faire l’expérience de la pensée, c’est
accepter de livrer au lecteur une pensée inachevée, ouverte sur une réflexion
postérieure, qui fait des tours et des détours pour traiter un sujet. Il ne cherche
pas à rédiger des pensées définitives ; le lecteur est invité à suivre les étapes, les
différents « essais » de tel ou tel jugement.

39
Enfin, son œuvre se propose aussi la recherche d’une écriture. Les Essais
se présentent comme une sorte de dialogue qu’entretient Montaigne avec lui-
même et avec les autres. En reprenant sans cesse ce qu’il a écrit, Montaigne
montre son souci d’aboutir à une meilleure expression de ses idées. Il dit
souvent d’ailleurs à quel point il éprouve de la difficulté à traduire exactement
ce qu’il veut dire. En laissant chaque page ouverte à un ajout, à une reprise, il se
donne à lui-même la possibilité d’aller toujours plus loin dans la précision de
son écriture. C’est dans le même esprit qu’il parsème son texte de nombreuses
citations latines et grecques. Il ne s’agit en aucun cas d’ornements gratuits. Il
complète ce qu’il écrit par ce que d’autres ont écrit mieux, différemment, avec
d’autres mots que les siens. L’écriture de Montaigne possède aussi bien des
aspects baroques. Un chapitre reste ouvert, son thème est décentré par rapport au
titre ou à l’attente du lecteur, ou encore son thème est multiple. Ses différentes
parties s’emboîtent les unes dans les autres. Un ajout peut venir contredire un
premier jugement. L’esthétique baroque est traduite dans cette multiplicité des
jugements portés, qui ne sont jamais définitifs.

Les leçons des « Essais » Une première leçon est d’accepter la condition
humaine. Montaigne a évolué du stoïcisme à l’épicurisme en passant par le
scepticisme. Son stoïcisme (idée de la grandeur de l’homme, mépris de la
souffrance, désir d’une mort exemplaire, idée que le but de la philosophie est
d’ « apprendre à mourir ») cède le pas au scepticisme (reconnaissance des
misères de la condition humaine), puis à l’épicurisme (acceptation de la mort
comme faisant partie de la nature, désir de jouir de la vie en accord avec la
Nature). Alors que son époque est déchirée par des querelles religieuses, il reste
pour ainsi dire indifférent à ce domaine. Il s’accorde avec le christianisme dans
la vision de la condition humaine (l’homme est faible par nature, ne peut accéder
à la vérité). En revanche, il ne reconnaît pas à l’homme une position centrale
dans l’univers et n’envisage pas la vie après la mort dans la perspective

40
chrétienne. Le nom de Jésus-Christ est quasiment absent des « Essais » et Dieu
lui-même est souvent confondu avec la Nature divinisée. Au contraire de
l’homme de la Renaissance, qui concevait le bonheur comme une harmonie
entre Dieu et sa créature, Montaigne cherche l’harmonie de l’homme avec lui-
même, dans le monde d’ici-bas. Sa philosophie consiste donc à bien se connaître
pour accepter la condition humaine.
Une seconde leçon porte sur l’idée de faire la part du citoyen et de
l’individu. Il sépare nettement la vie publique et la vie privée. Dans son
comportement social, il est fidèle aux lois de son pays. Né dans un pays
catholique, il le reste, par horreur des bouleversements que les guerres civiles
entraînent. Il sait rester en dehors des passions politiques, parce qu’il souhaite à
son pays l’ordre et la stabilité nécessaires à la vie civile. Dans sa vie personnelle
et intime, il défend la liberté, le droit à la critique, le respect de l’homme.
Une troisième leçon porte sur l’idée d’inventer la pédagogie. De la « Lettre
de Gargantua », dans laquelle Rabelais expose le programme d’éducation de la
génération de 1530, aux Essais de Montaigne, on peut saisir une nette évolution.
Alors que les humanistes voulaient tout faire apprendre à leurs élèves,
Montaigne propose de faire davantage raisonner l’enfant. Sa formule, « plutôt la
tête bien faite que bien pleine » revient constamment, depuis 1580, dans toute
recherche pédagogique. Surtout, on doit à Montaigne deux réflexions nouvelles :
l’une sur la qualité de la relation entre l’élève et le « conducteur » ; ce nouveau
type de pédagogue doit savoir évaluer les capacités de son élève, son niveau de
connaissance, pour établir un programme qui lui permette effectivement
d’accompagner l’enfant sur les chemins du savoir. L’autre réflexion nouvelle
porte sur les méthodes mêmes de l’enseignement : il refuse la brutalité des
méthodes traditionnelles et propose de laisser une place importante à l’aspect
ludique de l’éducation.

41
Le succès de cette œuvre s’explique sans doute par le fait que chacun peut
« s’essayer » lui-même, essayer ses propres opinions en suivant le chemin tracé
par Montaigne.
A retenir !
- dans son œuvre, il se propose à suivre plusieurs objectifs : la peinture du moi,
la peinture de l’homme universel et l’essai d’une méthode de réflexion ;
- il s’accorde avec le christianisme dans la vision de la condition humaine ;
- il sépare nettement la vie publique et la vie privée ;
- Montaigne propose de faire davantage raisonner l’enfant
Contrôle des connaissances
1. Relevez les objectifs que se propose l’auteur dans son œuvre.
2. Présentez les trois leçons des Essais.
Suggestion de sujet à développer
L’homme dans la vision de Montaigne.
Bibliographie
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
Itinéraires littéraires - Moyen Âge –XVIe siècle, Hatier, 1988
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIe
siècle, Hachette, 1966
Ménager, Daniel, Essais –Montaigne, Larousse, 1972

Unité 15

LE XVIIe siècle - climat socio-historique et culturel

Le XVIIe siècle, qui va de 1598 à 1715, comporte quatre grandes étapes.

42
De 1598 à 1630, c’est le temps de l’instabilité. La remise en ordre du pays est
longue et difficile. Le conflit religieux est sans cesse prêt à se rallumer. C’est là
une situation propice à l’épanouissement du baroque, au triomphe d’une
littérature marquée par la démesure, à l’écoute de la diversité de la vie.
Les années 1630-1661 voient la persistance des troubles. Mais grâce à la
consolidation du pouvoir du ministre Richelieu, la situation commence à se
rétablir, l’autorité de l’Etat tend à s’affirmer. Après sa mort, son action sera
poursuivie par Mazarin. Le baroque continue à exercer son emprise sur la
littérature, mais une aspiration à la raison et à une recherche de la perfection se
fait jour.
De 1661 à 1685 se construit la monarchie absolue. Louis XIV gouverne par lui-
même et élabore un système fondé sur l’ordre et la concentration des pouvoirs.
C’est alors que fleurit une génération d’écrivains qui ont en commun leur goût
pour une littérature tempérée, équilibrée, reposant sur des règles précises de
construction. C’est le triomphe des normes, l’affirmation de ce qu’on appelle le
classicisme.
De 1685 à 1715, Louis XIV consolide son édifice. Mais il n’évite pas la rigidité.
Elle apparaît, dès le début de la période, avec la révocation de l’édit de Nantes.
Elle marque la fin de ce long règne, qui s’achève dans la sclérose. Dans le
domaine littéraire, les solutions classiques commencent à s’user ; le roman et le
théâtre sont en crise. Mais certains écrivains essaient de faire souffler un vent
nouveau ; ils soulignent la nécessité de réformes politiques et sociales : le
XVIIIe siècle se prépare.
Le Baroque au XVIIe siècle. De façon générale, le mot baroque rend compte
d’une forme d’esprit qui peut apparaître à n’importe quelle époque. Mais cette
notion renvoie plus précisément à une période limitée dans le temps (1598-
1630) et réunit une série de données qui caractérisent cette partie du XVII e
siècle. Attaché à une conception d’un monde en transformation permanente,

43
avide de liberté, conscient de la force des apparences, ouvert à la complexité de
la vie, le baroque concerne l’ensemble du domaine artistique de cette époque.
Une des idées forces de la pensée baroque est que le monde est en train de se
construire. Rien n’est définitif. Rien n’est figé. Tout se modifie sans cesse. Tout
change. Tout bouge. Le mouvement est roi : il triomphe dans les œuvres de
l’architecte italien Bernin, il marque la musique de Monteverdi, il est présent
dans l’Astrée d’Honoré d’Urfé.
Le goût pour le provisoire détermine les goûts de l’homme baroque. Il est attiré
par l’eau, image même de l’écoulement, ou par le feu aux formes étranges et
éphémères. Il aime se déguiser, se travestir. C’est l’apparence qui compte, c’est
« l’habit qui fait le moine ». De même, l’homme baroque est très sensible à la
nature dont les modifications au fil des saisons sont des signes concrets,
palpables de ces transformations incessantes.
Ces changements incessants conduisent l’homme baroque à développer un sens
aigu de la complexité. Une réalité n’est jamais simple. Afin d’exprimer cette
complexité, les écrivains ont une prédilection pour la métaphore et la
personnification. Une réalité peut être contradictoire. L’antithèse est apte à
rendre compte de ces contradictions.
Dans ce monde qui se construit, l’être humain dispose d’une liberté d’action.
Les dures conditions de sa vie lui ont montré que certes il pouvait être vaincu,
mais qu’il pouvait aussi triompher. Quant à la mort, elle n’est qu’une transition
dans cette incessante transformation que connaît la matière.
L’homme baroque ne s’enferme pas à l’intérieur de lui-même. Ouvert sur
l’extérieur, il exerce sa curiosité sur tout ce qui l’entoure ; il est avant tout
homme d’action. La conception de l’amour des baroques est particulièrement
significative de ce comportement. Le sentiment amoureux n’est jamais
suffisamment puissant pour enfermer le héros baroque dans une passion
indestructible et exclusive. La fidélité n’est pas son fort ; il peut être désespéré,
mais il meurt rarement d’amour.

44
Dans le domaine artistique, l’homme baroque rejette l’absolu. Ce rejet de
l’absolu explique le développement du décoratif. En architecture, les éléments
de décor recouvrent la « vérité » de l’édifice. Les décorateurs baroques sont
passés maîtres dans l’art du trompe-l’œil. A l’intérieur des édifices, ils excellent
à peindre des fenêtres, des colonnes, à donner l’illusion du volume ou de la
profondeur. Cette floraison décorative démontre la volonté des créateurs de
laisser s’exprimer leur fantaisie, de revendiquer la pleine liberté d’expression.
Bref, le baroque, c’est la vie, c’est l’art de vivre.
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel, Dictionnaire Grandes Œuvres de la littérature
française, Larousse, 1998
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIIe siècle,
Hachette, 1966
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti, 1982
Itinéraires littéraires, XVIIe siècle, Hatier, 1988

Unité 16
Le classicisme

Pour ce qui est de la délimitation chronologique on pourrait proposer la période


comprise entre les années 1640-1685. L’année 1640 représente déjà un bilan,
puisqu’il y a plusieurs grandes étapes de franchies avant cette date : la réforme
de Malherbe, la création de l’Académie (1635) et la querelle du Cid (1637).
L’année 1640 marque l’année de gloire de Corneille avec sa pièce, « Horace ».
D’ailleurs, c’est Corneille qui inaugure véritablement la tragédie classique.
L’année 1685 indique le début chronologique de la Querelle des Anciens et des
Modernes. Le début de la création des académies montre bien, dans le domaine
esthétique, la volonté de se donner le repère d’une vérité.
Le souci de perfection esthétique est constamment doublé du souci de perfection
éthique. La perfection morale sera définie par deux types essentiels : le type
social, illustré par la catégorie de l’honnête homme, le type littéraire évoluant

45
donc dans un espace plus restreint, illustré par la catégorie du généreux.
L’honnête homme, en tant que type moral idéal du XVIIe siècle, représente une
synthèse des qualités morales, intellectuelles et mondaines exigées par
l’époque ; il s’impose par son attitude modérée, offrant par là un modèle
irréprochable de comportement vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis de la société.
L’honnête homme, tel qu’il est conçu au XVIIe siècle, apparaît en égale mesure
comme une aspiration du bourgeois et du noble.
Ce qui caractérise le XVIIe siècle, c’est sa tendance vers la fusion des arts, vers
un art total. La valeur de l’art classique est donnée par l’attention accordée aux
justes proportions, aux effets de symétrie, à l’élégance sobre. L’architecture
française se remarque par le même souci d’équilibre et d’ordre. En peinture on
aborde des sujets mythologiques (Poussin), on évoque l’antiquité (Lorrain), on
accorde une attention de plus en plus importante au portrait (Mignard,
Champaigne), on présente même des scènes de la vie quotidienne (Louis le
Nain).
La valeur des œuvres littéraires du XVIIe siècle sera assurée par la fusion du
critère esthétique et du critère éthique. Telle est la justification de la devise, à
valeur de règle suprême : instruire et plaire. Les écrivains assument une double
qualité, celle d’artiste et de moraliste. Corneille, Racine, Molière le prouveront
admirablement.
Transmettre l’idée de perfection par l’éloge des vertus, par l’intensité du
sacrifice et de la souffrance, par un effort continu de réflexion signifie pour les
écrivains de cette époque manifester un souci constant pour ceux auxquels ils
s’adressent. L’art du spectacle suppose la perfection des rapports qui
s’établissent entre la scène et le public. Auteur, acteur et spectateur sont appelés
à réaliser un tout cohérent.
L’empreinte esthétique dominante demeure l’empreinte classique. Qui dit
classique, dit immuable (certes pour ce qui est de la valeur).

46
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel, Dictionnaire Grandes Œuvres de
la littérature française, Larousse, 1998
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIIe
siècle, Hachette, 1966
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
Horville, Robert, Histoire de la littérature en France au XVIIe siècle, Hatier,
1985
Itinéraires littéraires, XVIIe siècle, Hatier, 1988

Unité 17
La pensée classique – René Descartes

La Renaissance s’était caractérisée par la volonté grandissante de l’homme de


connaître l’univers où il vit, par la remise en cause des idées reçues, par le
développement de l’esprit scientifique. Le XVIIe siècle prolonge et accentue
cette tendance qui s’affirme dans l’aspiration à la connaissance, dans le désir de
déchiffrer le monde, dans la quête passionnée de la vérité. C’est alors que se
précise la méthode des sciences expérimentales qui ouvre de nouveaux espaces à
la connaissance. Francis Bacon, en Angleterre, Galilée, en Italie, René Descartes
et Blaise Pascal, en France, s’engagent sur cette voie pleine de promesses.

René Descartes (1596-1650)


Le système cartésien, le cartésianisme, qui marquera toute la pensée occidentale,
apparaît d’une grande rigueur. L’image même qu’utilise Descartes dans les
« Principes de la philosophie » (1644) en souligne la cohérence : il précise en
effet que la connaissance, la science « est comme un arbre ». Les racines sont
constituées, selon lui, par la métaphysique. Comme il l’indique dans

47
« Méditations métaphysiques » (1641), toute la connaissance est subordonnée à
l’existence de Dieu, parce que c’est Dieu qui a créé les vérités et qui les révèle à
l’homme. L’homme doit donc partir de Dieu pour dégager les règles
indispensables à la compréhension du monde. C’est le but que se propose
Descartes dans « Discours sur la méthode » (1637).
La physique, qui envisage les principes auxquels obéit l’univers, forme le tronc
de l’arbre de la science. Quant aux branches, elles sont constituées par les autres
sciences qui découlent des règles de la physique, qui sont subordonnées à
l’organisation du monde. La morale est une de ces branches : elle établit les
règles du comportement de l’homme et apparaît ainsi comme l’aboutissement, le
couronnement, le fruit de la démarche de la connaissance. Cependant, dans le
« Discours sur la méthode » il propose une morale provisoire. Parmi les règles
qu’il dégage, la première consiste à obéir aux lois et aux coutumes du pays.
Descartes a élaboré une méthode rigoureuse, guide sûr du savoir. Après avoir
utilisé le doute méthodique qui consiste à faire table rase de toutes les certitudes,
à tout nier, il conclut à l’existence d’une raison (« je doute, donc je pense, je
pense, donc je suis »), puis se demande comment cette raison peut amener
l’homme à la vérité. C’est alors qu’il fait intervenir Dieu. C’est parce que Dieu
existe, parce qu’il a créé à la fois le monde et l’outil nécessaire pour le
comprendre, c’est-à-dire l’esprit humain, que l’homme est susceptible de saisir
la vérité. Mais cette raison doit fonctionner correctement. Et Descartes dégage
quatre moments principaux dans son fonctionnement. Tout d’abord, la vérité est
garantie à partir du moment où Dieu la fait paraître claire , évidente. Dès lors, la
raison doit mettre en œuvre l’analyse, qui consiste à décomposer les faits
complexes en une série de données simples. Intervient ensuite la synthèse , qui
vise à reconstruire une complexité cohérente à partir des éléments isolés. Enfin,
prend place la vérification destinée à réparer des erreurs et des oublis éventuels.
Dans ce système cartésien, l’être humain conserve sa liberté : il peut refuser ou
accepter cette vérité offerte par Dieu. L’homme est également libre de son

48
comportement moral : pour Descartes, les passions ne sont pas, en elles-mêmes,
bonnes ou mauvaises. C’est leur usage qui en fait des qualités ou des défauts.
Dès lors, l’expérience et la volonté jouent un rôle déterminant pour orienter, de
façon positive, l’action humaine. Néanmoins, Descartes propose quatre
principes fondamentaux auxquels l’homme se doit obéir : la croyance en un
Dieu tout-puissant, la certitude de l’immortalité de l’âme, la conscience de
l’immensité de l’univers, le sentiment de n’être qu’un élément d’un tout. A ces
règles essentielles, il ajoute des impératifs plus quotidiens qui constituent la
morale provisoire exposée dans le « Discours sur la méthode » : obéir aux lois et
aux coutumes du pays, modifier ses désirs plutôt que le monde, se vaincre soi-
même au lieu d’essayer de dominer les événements, agir toujours avec fermeté
et résolution.
A retenir !
- il précise en effet que la connaissance, la science « est comme un arbre » ;
- Descartes a élaboré une méthode rigoureuse, guide sûr du savoir
- il propose une morale provisoire ;
- Descartes propose quatre principes fondamentaux auxquels l’homme se doit
obéir : la croyance en un Dieu tout-puissant, la certitude de l’immortalité de
l’âme, la conscience de l’immensité de l’univers, le sentiment de n’être qu’un
élément d’un tout.
Contrôle des connaissances
1. Relevez les étapes de la méthode cartésienne et leurs visées.
2. Précisez les quatre principes auxquels l’homme se doit obéir.
Suggestion de sujet à développer
Travail sur un extrait de «Discours sur la méthode »
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel, Dictionnaire Grandes Œuvres de
la littérature française, Larousse, 1998

49
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIIe
siècle, Hachette, 1966
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
Horville, Robert, Histoire de la littérature en France au XVIIe siècle, Hatier,
1985
Itinéraires littéraires, XVIIe siècle, Hatier, 1988

Unité 18
La pensée classique - Blaise Pascal (1623-6662)

Pascal part d’un constat pessimiste. L’homme, de par sa nature même, est un
être faible et misérable. Jeté sur cette terre, il n’a pas lieu de se réjouir, d’adopter
une position triomphaliste, d’affirmer sa supériorité. Physiquement il est très
limité. Son infériorité physique est due à la place moyenne qu’il occupe dans la
création et est aggravée par les forces de destruction qui s’acharnent sur son
corps, qui l’accable sous les coups de la maladie, de la vieillesse et de la mort.
Intellectuellement il n’est guère mieux partagé. Il est tellement soumis à son
corps, il en est tellement dépendent qu’il voit sans cesse la vérité se dérober. Les
puissances trompeuses le dominent. Dans sa vie sociale, il trouve commode
d’obéir à des coutumes, de confondre force te justice. Son amour-propre le
pousse à tout interpréter en fonction de ses intérêts. Quant à sa situation morale,
il est incapable de regarder sa misère en face. Il tente d’y échapper : il refuse la
vérité et se réfugie dans un comportement de fuite, dans des activités qui
favorisent l’oubli. Ainsi limité, l’homme ne renonce pas à chercher le bonheur.
Mais ce bonheur auquel il aspire est un bonheur borné, un bonheur
d’apparences. Il essaie de le trouver dans les satisfactions de son amour-propre.
Pour tromper son angoisse, il fuit dans le divertissement. Il s’efforce de

50
s’étourdir, dans l’action, dans les plaisirs, dans les jeux. Il se donne des buts
futiles, ayant ainsi l’illusion de la puissance, l’impression d’être maître des
événements, de leur imprimer sa marque. (Pensées)
Le vrai bonheur de l’homme est en Dieu. C’est en se vouant pleinement à lui
qu’il pourra vivre pleinement et assurer son salut. Pascal défend l’idée janséniste
selon laquelle ce salut dépend de la grâce que Dieu accorde ou refuse à ses
créatures (Les Provinciales) ; Mais l’homme, plongé dans l’angoisse que suscite
l’incertitude de cette grâce, doit accompagner la volonté divine. Il conserve donc
une part de liberté. C’est pourquoi Pascal fait appel à la volonté, à la
détermination et à la raison de ses lecteurs. Aux athées, il conseille de miser sur
la vie éternelle en échange de quelques sacrifices durant la vie terrestre
éphémère. Ou encore, il propose la méthode de la prière intensive, susceptible
de déclencher le mécanisme de la foi.
Dans sa quête de la connaissance, Pascal s’offre de répondre à une question
cruciale : « comment saisir la vérité ? » Il propose une méthodologie souple,
adaptée à la nature des domaines abordés. La vérité de Dieu, les principes qui
règlent le monde ne peuvent être saisis que par le cœur. Pascal montre qu’il
existe deux manières d’aborder le vaste domaine de la connaissance. L’esprit de
géométrie apte à la déduction, habile à raisonner logiquement en partant de
quelques principes généraux, convient, plus particulièrement, aux sciences
exactes. L’esprit de finesse est l’instrument privilégié des sciences humaines.
Mais il ne suffit pas d’analyser, d’élaborer des méthodes susceptibles de cerner
la vérité. Il faut diffuser cette vérité, la faire comprendre. Cela suppose tout un
art de persuasion. Pour convaincre et persuader, Pascal utilise une gamme très
étendue de moyens. Cette variété est même indispensable. Comme le savant,
l’écrivain doit adapter son expression au sujet qu’il traite. Il faut aussi tenir
compte des personnes auxquelles il s’adresse, savoir exploiter leurs goûts et
leurs faiblesses. Ainsi, Pascal passe du lyrisme, lorsqu’il évoque l’homme perdu
dans l’univers, au raisonnement logique. L’art de persuader, c’est aussi l’art

51
d’écrire. Dans les « Pensées », Pascal expose et applique des règles d’écriture
dont l’ensemble constitue une véritable doctrine littéraire. Ce qui est le plus
important pour lui dans un ouvrage c’est la façon dont on dit quelque chose, la
manière dont on organise des mots et des pensées qui existaient déjà, c’est l’art
de rajeunir des idées anciennes. Dans la pratique, il est constamment guidé par
ce souci de renouvellement. L’expression, dont la qualité essentielle est
l’originalité, doit éviter de tomber dans le procédé : » La vraie éloquence se
moque de l’éloquence. » Le style sera naturel et ainsi transparaîtra à travers lui
la personnalité de celui qui écrit. C’est donc l’homme qui i compte avant tout.
Une subtile alliance entre ce qui relève du réel et ce qui est destiné à plaire est
enfin indispensable.
A retenir !
- est un être faible et misérable : physiquement il est très limité et soumis à son
corps, moralement, il est incapable de regarder sa misère en face, mais ne
renonce pas à chercher le bonheur ;
- dans sa quête de la connaissance, il propose une méthodologie souple, adaptée
à la nature des domaines abordés ;
- Pascal montre qu’il existe deux manières d’aborder le vaste domaine de la
connaissance : l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse.
Contrôle des connaissances
Précisez les étapes qu’il propose pour pouvoir saisir la vérité.
Suggestion de sujet à développer
L’homme dans la vision de Blaise Pascal.
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel, Dictionnaire Grandes Œuvres de
la littérature française, Larousse, 1998
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIIe
siècle, Hachette, 1966

52
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
Horville, Robert, Histoire de la littérature en France au XVIIe siècle, Hatier,
1985

Unité 19
Le roman d’amour - Madame de La Fayette

Dans la conception du XVIIe siècle, les faits historiques sont perturbés par la
place prépondérante accordée à l’amour qui est présenté comme la cause, le
moteur de toutes les actions. Ses romans sont à la fois historiques car,
consciemment ou non, la France du XVIe siècle qu’elle décrit dissimule la
France de son époque. Les apparences règnent en maîtresses dans le milieu de la
cour où se déroule l’action de ses romans. Dans le cadre somptueux du Louvre
ou des châteaux du roi et de ses courtisans, chacun cherche à se distinguer par
l’importance de son train de vie, le bon goût de son habillement, l’esprit de ses
propos. Et tout cela parce que dans cette vie hautement sociale, on est
constamment sous le regard de l’autre. Voilà qui rend difficiles les entretiens
particuliers, qui oblige à une dissimulation constante. Il faut sans cesse veiller
ses paroles, prendre garde à ses actions. Dans ce monde d’artifice, il est bien
difficile de ne pas tomber dans les pièges tendus. Ainsi, la princesse de Clèves
sera victime de la force de ces apparences. Il est cependant une force à laquelle
ne résistent pas les apparences : l’amour.
Dans sa peinture de l’amour, Madame de La Fayette reprend les schémas
traditionnels. L’amour est déclenché par le coup de foudre qui provoque
l’étonnement, la stupéfaction, l’admiration et fait ainsi fonctionner le piège de la
séduction. C’est la beauté, une beauté parfaite qui, au départ, suscite l’amour.
Mais, par la suite, d’autres qualités interviennent telles que l’honnêteté et
l’esprit. Et la passion peut désormais se déchaîner. Irrésistible, elle emporte tout.

53
Cet amour pourrait devenir paisible et heureux. Mais la fatalité intervient. Elle
suscite d’abord la rencontre de ses victimes, pour mieux ensuite provoquer leur
malheur. La passion qu’elle fait naître se révèle impossible, parce qu’elle
enfreint les règles de la morale et de la société. La princesse de Montpensier et
la princesse de Clèves sont mariées ; elles ont donc l’obligation de repousser
l’amour qu’elles éprouvent pour le duc de Guise et pour le duc de Nemours.
Selon Madame de La Fayette, deux forces contradictoires gouvernent l’être
humain : des forces d’ordre, de raison, cautionnées par la société et des forces de
désordre, de désir, qui provoquent des impulsions individuelles anarchiques. Dès
lors, le bonheur est impossible à atteindre.
Dans un article que publie, en 1984, la revue Confluences, Albert Camus montre
comment, dans les romans de Madame de La Fayette, la passion se révèle
destructrice, apparaît comme une force de désordre qui perturbe profondément
les personnages. Selon lui, Madame de La Fayette nous enseigne une très
particulière conception de l’amour. Son postulat singulier est que cette passion
met l’être en péril. Ce qu’on sent à l’œuvre dans tous ses romans, c’est une
constante méfiance envers l’amour. Elle prend comme ressort de son intrigue
« une extraordinaire théorie du mariage considéré comme un moindre mal : il
vaut mieux être fâcheusement mariée que de souffrir de la passion. » C’est une
idée de l’ordre. L’ordre dont il s’agit pour elle est moins celui d’une société que
celui d’une pensée et d’une âme.
Madame de La Fayette a choisi la brièveté, trait de style propre au classicisme.
Cette brièveté n’exclut pas la diversité d’une écriture qui combine
harmonieusement narrations, portraits, descriptions, dialogues et analyse
psychologique. Le récit est, en général, mené avec une grande lenteur, comme
pour souligner que, dans ce monde dominé par la fatalité, l’action est inutile. Le
portrait, alors à la mode, a pour fonction de fournir un témoignage d’ensemble
sur les mœurs et de dégager les traits significatifs d’un individu. Les
descriptions permettent de planter le décor, d’évoquer cette somptuosité qui

54
caractérise la cour. Les dialogues montrent les rapports qui existent entre les
personnages, démontent, en particulier, le grand jeu des apparences et des
dissimulations. L’analyse psychologique, tantôt transcrit les états d’âme tels que
les ressentent de l’intérieur les personnages, tantôt les décrit de l’extérieur, tels
que peut les noter un observateur.
A retenir !
- dans sa peinture de l’amour, Madame de La Fayette reprend les schémas
traditionnels ;
- selon Madame de La Fayette, deux forces contradictoires gouvernent l’être
humain : des forces d’ordre, de raison, cautionnées par la société et des forces de
désordre, de désir, qui provoquent des impulsions individuelles anarchiques ;
- dans les romans de Madame de La Fayette, la passion se révèle destructrice ;
- ce qu’on sent à l’œuvre dans tous ses romans, c’est une constante méfiance
envers l’amour.
Contrôle des connaissances
Dressez le portrait moral de la princesse de Clèves
Suggestion de sujet à développer
L’amour dans la vision de Madame de La Fayette
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel, Dictionnaire Grandes Œuvres de
la littérature française, Larousse, 1998
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIIe
siècle, Hachette, 1966
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
Horville, Robert, Histoire de la littérature en France au XVIIe siècle, Hatier,
1985

55
Unité 20
Les principes de la doctrine classique

La doctrine classique exprime l’heureuse jonction qui se réalise entre une


tradition remontant à Aristote et les données de la réalité du XVII e siècle
concrétisées dans le goût du public. Elle doit être envisagée à travers trois
étapes, chacune d’elles marquée par la personnalité d’un ou de plusieurs artistes-
théoriciens.
En tant que précurseur de la future poétique classique, Malherbe marque la
première étape, celle de son esquisse, de sa préparation. Il se propose de
transmettre son culte de la rigueur dans la création littéraire. Selon lui, l’acte
poétique est le résultat d’une démarche lucide, fondée sur l’effet conjoint de la
raison et de la volonté. Les théoriciens de la doctrine retiendront l’idée des justes
proportions, des constructions équilibrées issues du respect de l’ordre et de la
clarté. Ils vont ajouter à la dimension absolue de la raison le rôle de
l’imagination.
La deuxième étape, la plus prolifique, est celle de la formation
proprement-dite de la doctrine. Elle est due à ses véritables artisans : Chapelain,
Georges de Scudéry, La Mesnardière, l’abbé d’Aubignac. Ils ne sont pas
vraiment originaux car leur appui essentiel se trouve dans La Poétique
d’Aristote. Par ses quatre règles : la vraisemblance, le merveilleux, les
bienséances et les trois unités (action, temps, lieu), la doctrine classique apparaît
comme le reflet de l’enseignement d’Aristote, ou plus précisément, comme une
adaptation au goût du public du XVIIe siècle. La vraisemblance, règle
primordiale, pose au fond le problème de la transformation ou de l’adéquation
de la vérité historique aux besoins de la scène. L’auteur ne s’érige pas en
historien, mais en poète qui présente les événements tels qu’ils peuvent arriver
selon le vraisemblable. La Mesnardière se fait l’écho d’Aristote en disant que le
faux qui est vraisemblable doit être plus estimé que le véritable étrange. La

56
source de la vraisemblance est la dimension de l’expérience humaine, elle
renvoie par conséquent à une vérité psychologique universelle. Le but d’une
action ou d’un comportement vraisemblable est de persuader et de produire de la
sorte l’effet de catharsis, la purification des passions par les passions. De la
sorte, le tragique acquiert une sorte de fonction purificatrice. Ceci détermine
l’ampleur du thème global de la tragédie classique, le monde des passions.
La vraisemblance pose implicitement le problème d’une certaine liberté
des auteurs, donc le rôle de l’imagination n’est pas exclu. L’abbé d’Aubignac
recommande aux auteurs l’utilisation en égale mesure de l’histoire et de
l’imagination. Si la représentation représente l’essence du poème dramatique,
c’est parce que grâce à cette norme on assure la communication entre la scène et
le public. Indirectement, c’est le public qui dicte les normes d’une œuvre
dramatique au XVIIe siècle, car l’émotion esthétique qu’il cherche doit aller de
pair avec l’acte de persuasion : « Si le sujet n’est conforme aux mœurs et aux
sentiments des spectateurs, il ne réussira jamais, quelque soin que le Poète y
emploie. »
Si le vraisemblable acquiert le plus grand poids dans une création
dramatique classique, sa dimension est accrue par le lien qui existe entre cette
règle et celle des bienséances. La règle des bienséances recommandait qu’on
évite certains spectacles bas, violents ou sanglants et que ce respect de la pudeur
marque également le discours des personnages. C’est la norme qui confirme le
mieux le caractère aristocratique de la tragédie classique. Les bienséances
s’appuient sur la jonction entre code classique et code précieux. Cette règle
explique de même la fusion qui s’opère entre poétique classique et rhétorique
précieuse. De là, l’appui sur la métonymie et la litote.
Le merveilleux est destiné à accroître la dimension du vraisemblable.
Pour Chapelain, la merveille représente une condition pour la perfection de la
poésie dramatique. L’abbé d’Aubignac laisse entendre que le merveilleux
constitue un élément de surprise.

57
Quant à la règle des trois unités, le rôle primordial revient à l’unité
d’action dont dépend l’entière organisation d’une construction dramatique
classique. Elle est étroitement rattachée à la présence du conflit et s’appuie sur
une gradation évidente qui doit assurer une ambiance extrêmement tendue.
L’unité d’action met en jeu aussi le problème de la symétrie, critère fondamental
de l’esthétique classique. Ce jeu symétrique, axe de la pièce, devient source de
tension et divise les personnages, en marquant les distances et les
rapprochements qui s’ensuivent. L’unité de temps limite le déroulement de
l’action à vingt-quatre heures. Cela fait que le discours des personnages s’appuie
sur l’alternance du passé composé et du passé simple. L’unité de temps se
rattache donc elle aussi à la présence de la tension et des obstacles. Cela
confirme que la temporalité dans une tragédie classique dépend elle aussi de la
vraisemblance, car afin de persuader et d’émouvoir le public, il faut que l’action
vraisemblable se déroule à l’intérieur d’une durée vraisemblable. C’est toujours
par le respect pour la vraisemblance que s’explique l’unité de lieu, unité qui
pose au fond le problème du rapport texte-représentation.
La troisième étape de la doctrine classique pourrait être désignée comme
l’étape de synthèse due à Boileau. Il apparaît comme le grand législateur du
classicisme. Il a eu le mérite d’en codifier les règles. Dans une grande partie de
son œuvre – « Epîtres », « Satires », « Art poétique », il se consacre à cette
tâche, prodigue ses conseils, dégage les impératifs à respecter. C’est un véritable
art d’écrire qu’il propose. C’est dans l’ « Art poétique » que figure l’essentiel du
message critique de Boileau. La construction de cet ouvrage est rigoureuse et
symétrique. Le chant I définit les grandes règles de l’écriture : respecter la
langue, rechercher la perfection à force de travail, soumettre ses ouvrages à des
critiques sincères. Le chant IV analyse le comportement de l’écrivain. Ils
encadrent les chants II et III : le chant II se penche sur les formes littéraires
mineures, comme l’ode ou le sonnet, et le chant III envisage les grands genres,
la tragédie, l’épopée, la comédie.

58
Boileau a le mérite de dégager les grands principes du classicisme. Il est
attaché à l’imitation des auteurs de l’Antiquité qui sont des références, des
modèles à suivre. S’il pense que l’inspiration est nécessaire, il considère qu’elle
doit être soigneusement maîtrisée par le travail, laborieusement mise en forme
par la technique. Dans ces conditions, l’élaboration de l’œuvre littéraire exige
deux qualités principales : la raison et l’ordre qui imposent le naturel, la clarté,
la justesse des termes et la pureté de la langue. Voilà des valeurs bien austères.
Pour tempérer cette austérité, il convient d’introduire des données plus aimables,
comme la passion dans l’expression, la variété du style, l’harmonie des vers.
Ainsi sera trouvé cet heureux équilibre entre la recherche du didacticisme et les
exigences du plaisir.
A retenir !
- la doctrine classique comporte trois étapes ;
- Boileau a le mérite de dégager les grands principes du classicisme ;
- quant à la règle des trois unités, le rôle primordial revient à l’unité d’action
dont dépend l’entière organisation d’une construction dramatique classique.
Contrôle des connaissances
Relevez les principes et les règles de cette doctrine.
Suggestion de sujet à développer
Relever l’essentiel du message critique de Boileau.
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel, Dictionnaire Grandes Œuvres de
la littérature française, Larousse, 1998
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIIe
siècle, Hachette, 1966
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982

59
Unité 21
La tragédie classique - Pierre Corneille (1606-1684)

L’héroïsme est au centre du théâtre de Corneille. Ses pièces sont construites


autour d’un ou plusieurs personnages dont le but suprême de leur vie, c’est de
veiller à leur gloire, de défendre, en toute occasion, leur honneur. Défendre son
honneur, c’est, pour le héros cornélien, correspondre à l’image qu’il a de lui-
même. Il s’agit donc d’abord d’un comportement personnel, individuel :
Rodrigue se voit comme un brave (« Le Cid ») ; Horace se considère comme un
patriote (« Horace ») ; Auguste s’estime généreux (« Cinna ») ; Pauline sublime
sa foi conjugale (« Polyeucte ») et Polyeucte sa foi religieuse (« Polyeucte ») ;
Sertorius exalte la liberté (« Sertorius »). Tous, même Matamore qui, sur le
mode dérisoire, se veut un surhomme au courage sans limites (« L’Illusion
magique »), mettent toute leur énergie pour correspondre à cet idéal qu’ils se
sont donné.
Dans cette conception de l’honneur, interviennent aussi des valeurs qui
dépassent l’individu, qui viennent de l’histoire ou de la société, qui rendent
chaque héros dépendant d’une communauté, responsable devant elle. Ainsi, en
vengeant son père, Rodrigue (« Le Cid ») ne défend pas seulement son honneur
personnel, mais aussi l’honneur de sa caste ; Horace (« Horace ») lutte pour la
survie de sa patrie, Polyeucte (« Polyeucte ») reste fidèle à sa foi chrétienne,
mais aussi à l’ensemble des croyants dont il fait partie ; Sertorius (« Sertorius »),
dans son amour pour la liberté, poursuit l’idéal républicain de tous les Romains.
Le héros cornélien est confronté à un grand dilemme : l’amour ou l’honneur.
Car face à l’honneur, se dresse souvent l’amour. Ce sont deux impulsions
contradictoires. L’honneur est considéré à l’époque comme un sentiment fort.
L’amour passe au contraire pour un sentiment faible. Lorsque ces deux forces
s’affrontent, lorsqu’elles se combattent, elles provoquent chez le héros des cas

60
de conscience : c’est ce qu’on appelle le dilemme cornélien. L’honneur lui
apparaît beaucoup plus important que l’amour. Le devoir finit généralement par
triompher : Rodrigue s’engage résolument sur la voie de la vengeance ; Horace
choisit le patriotisme au détriment de ses liens familiaux ; Polyeucte préfère,
sans hésitation, sa foi chrétienne à son amour pour sa femme, sa vie spirituelle à
sa vie corporelle. Les héros cornéliens sont donc dominés par une impulsion
tellement forte qu’elle réduit l’autre impulsion au silence.
Il arrive parfois que l’honneur assimile en quelque sorte l’amour, se conjugue
avec lui. Rodrigue, par exemple, sait que, s’il renonce à venger son père, loin de
conserver l’amour pour Chimène, il le perdra, car celle qu’il aime ne lui
pardonnera pas ce manquement à l’honneur. Ce qui est fondamentalement
tragique dans le théâtre de Corneille, c’est d’avoir à lutter contre soi-même. Or
cette lutte intérieure ne dure guère et c’est contre des obstacles extérieurs que les
héros cornéliens ont à combattre.
La démarche du héros cornélien suppose donc une grande maîtrise de ses
impulsions. Elle exige aussi de dominer les autres. Ce comportement, qui
explique l’importance du thème du pouvoir, ne va pas sans égoïsme. Horace ne
tient nullement compte de la souffrance de sa femme et de sa sœur. Polyeucte a
renoncé à la vie terrestre, sans considérer que son épouse continue à s’y
débattre. Sertorius utilise Viriate et Aristie comme des pièces sur l’échiquier
politique. Savoir s’ils font le bonheur des autres ou s’ils les plongent dans le
malheur ne les préoccupe guère. Ce qui compte pour eux, c’est leur volonté
inébranlable une fois la décision prise. L’empereur Auguste le montre bien,
lorsque, après avoir hésité un moment entre le pardon et le châtiment des
comploteurs, il s’écrie : « Je suis maître de moi comme de l’univers ;/ je le suis,
je veux l’être. » (« Cinna »)
Pour être exemplaires, significatifs, les personnages doivent avoir un
comportement excessif. C’est parce que Horace exprime avec démesure son
patriotisme qu’il devient le modèle à la fois admirable et inquiétant de ce

61
patriotisme. C’est parce qu’Auguste pousse jusqu’au bout le sens du pardon
qu’il est l’exemple de la générosité. C’est parce que Cléopâtre ne connaît aucune
limite dans sa cruauté et son désir de vengeance qu’elle est la cruauté même. On
est loin de la modération classique et des vraisemblances. Pour Corneille, la
vérité historique passe avant la vraisemblance. C’est que Corneille a une
conception très large des fameuses règles classiques qui sont en train de
s’établir. Il refuse d’en être esclave. Il n’est pas toujours fidèle à leur esprit. Ces
règles, écrit-il, il conviendrait de « les apprivoiser adroitement avec notre
théâtre ; »
Corneille met son style, fait de rigueur et de tension, au service de son
système dramatique. Son vocabulaire, où les termes de « gloire », d’« honneur »,
de « devoir », de « vertu » reviennent constamment, révèle l’importance du
thème de l’héroïsme. Le recours fréquent à l’antithèse souligne les hésitations,
les cas de conscience qui, malgré leur détermination, marquent les personnages.
La construction de ses personnages répond à une double préoccupation. D’un
côté, il évite en faire des êtres abstraits, des symboles desséchés. Mais,
parallèlement, il a le goût des vérités générales. Son désir de démontrer, de
dégager des réalités valables pour tous se concrétise dans le recours à la
maxime, à la sentence. Il a le génie de la forme concise.
A retenir !
- l’héroïsme est au centre du théâtre de Corneille ;
- le héros cornélien est confronté à un grand dilemme : l’amour ou l’honneur ;
- la démarche du héros cornélien suppose donc une grande maîtrise de ses
impulsions ;
- pour être exemplaires, significatifs, les personnages doivent avoir un
comportement excessif ;
- Corneille met son style, fait de rigueur et de tension, au service de son système
dramatique.
Contrôle des connaissances

62
1. Relevez les traits caractéristiques du héros tels qu’ils apparaissent dans ses
tragédies.
2. Relevez en quoi consiste le grand dilemme du personnage cornélien.
Suggestion de sujet à développer
Après avoir lu « Le Cid » :
- présentez l’intrigue de la pièce ;
- dressez le portrait du Cid ;
- dressez le portrait de Chimène ;
- relevez les thèmes majeurs de cette tragédie.
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel, Dictionnaire Grandes Œuvres de
la littérature française, Larousse, 1998
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIIe
siècle, Hachette, 1966
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
Mallet, Jean-Daniel, La tragédie et la comédie, Hatier, 2001
Couprie, Alain, Le Cid – Pierre Corneille, Hatier, 2005

Unité 22

La tragédie classique - Jean Racine ( 1639-1699 )

L’amour est au centre du théâtre de Racine. C’est lui qui déclenche tous les
conflits, qui est la cause de toutes les aliénations. C’est un sentiment complexe,
qui revêt de multiples aspects, qui se manifeste de multiples façons. Comme
dans le théâtre de Corneille, il s’oppose souvent à l’honneur : les personnages

63
ont à choisir entre leur passion et leur devoir. Mais chez Racine, l’amour est
toujours plus fort.
Et pourtant, dans la tragédie racinienne, la fatalité est reine. Elle est
inexorable. Elle attend sa proie, elle sait qu’elle ne lui échappera pas. Le
personnage racinien s’inscrit dans une perspective janséniste. Déterminé par le
destin, il n’a pas la maîtrise de son existence. Contrairement au héros cornélien,
il doit accepter la vie que la fatalité lui assigne. Ses possibilités de choix sont
réduites. Il peut lutter, mais c’est inutilement qu’il se débat dans les mailles du
filet où il est emprisonné. Le personnage racinien a beau être lucide, il a beau
savoir qu’il court tout droit à sa perte, il ne peut rien faire pour éviter la
catastrophe, pour modifier la situation : Oreste est persuadé qu’Hermione ne
l’aimera jamais, mais il ne renonce pas pour autant à ses sentiments qui le
conduisent au bord de la folie (« Andromaque ») ; Phèdre ne se dissimule pas la
répulsion qu’elle provoque chez Hippolyte, mais rien ne l’empêche de lui dire ce
qu’elle éprouve pour lui (« Phèdre »). Les personnages du théâtre racinien sont
semblables à ces dormeurs qui, plongés dans un épouvantable cauchemar, se
voient courir au désastre, à la mort, sans pouvoir les éviter, se sentent poursuivis
par des êtres effrayants, sans avoir la force de faire un geste pour leur échapper.
Cette fatalité entraîne une aliénation insupportable. Les personnages raciniens
n’ont pas de prise sur les événements. Ils vivent dans la souffrance, dans le
sentiment de l’inutilité de l’action. Bajazet offre l’exemple même de cette
difficulté à agir. Il est partagé entre son amour pour Atalide et la nécessité de
ménager Roxane qui détient entre ses mains le pouvoir et qui, forcément
amoureuse de lui, est maîtresse de sa vie. Confronté à cette contradiction, il ne
cesse d’hésiter, avant de rompre avec la sultane (« Bajazet »).
Cette aliénation que subissent les personnages raciniens est d’autant plus
grande que les obstacles qu’ils affrontent sont plus forts. Ceux qui semblent les
plus favorisés, ceux qui sont unis par un amour partagé n’échappent pas à
l’adversité. Ils se heurtent à des forces invincibles qui les mettent en échec.

64
Bajazet et Atalide succombent face à Roxane (« Bajazet »), Britannicus et Junie
ne peuvent résister à la cruauté de l’empereur Néron (« Britannicus »), Titus et
Bérénice doivent céder devant la volonté populaire (« Bérénice »).La situation
est encore plus tragique, lorsque l’obstacle se trouve à l’intérieur même du
couple : aimer, sans être aimé, avoir à combattre ce que l’on aime, tel est le
drame d’Oreste (« Andromaque »), de Roxane (« Bajazet ») ou de Phèdre
(« Phèdre »). Il arrive même que les personnages eux-mêmes soient
profondément divisés, qu’ils soient le siège de violentes et irréductibles
contradictions. C’est le cas d’Andromaque obligée de choisir entre sa fidélité
envers son mari et la vie de son fils (« Andromaque »), ou d’Atalide qui doit,
pour sauver Bajazet, renoncer à lui (« Bajazet »). Ce qui déchire souvent les
personnages raciniens, c’est le choix entre la générosité et l’égoïsme, entre leurs
impulsions individuelles qui reposent sur des valeurs de désir et les impératifs
moraux qui s’appuient sur les valeurs de la raison. Cette contradiction éclate, en
particulier, chez Phèdre, que le désir pousse vers Hippolyte, tandis que sa raison
l’incite à renoncer à sa passion. Dans une perspective janséniste, les personnages
raciniens apparaissent ainsi les enjeux de cette lutte sans merci entre les forces
du bien et les forces du mal. Englués dans le péché, plongés dans l’obscurité, ils
aspirent à une lumière, à un salut qui se dérobent sans cesse. C’est que, la
plupart du temps, ces deux impulsions contradictoires sont également vitales :
abandonner l’une d’elles, c’est souffrir atrocement, c’est se mutiler gravement.
Aussi la tragédie racinienne s’achève-t-elle souvent dans la mort, seule capable
de supprimer définitivement les contradictions. Le cas d’Athalie est quelque peu
différent : totalement engagée dans un combat sans merci contre Joad et Joas, les
représentants de la religion qu’elle a reniée, la reine de Juda n’a pas à lutter
contre elle-même. Résolue, sûre de ses positions, si elle éprouve quelques
troubles de conscience, ils ne durent pas très longtemps (« Athalie »). Mais la
fatalité lui oppose un obstacle infranchissable, celui de ses adversaires soutenus

65
par Dieu. S’il y a contradiction, elle est entre deux camps : le bien s’oppose au
mal et marque son triomphe par un dénouement sanglant.
Le jeu des contradictions atteint une dimension particulièrement tragique
lorsqu’il concerne l’amour et le pouvoir. Les personnages de tragédie ont en
effet des responsabilités politiques qui interviennent inévitablement dans leurs
relations sentimentales. Dans le théâtre de Corneille, la passion devait céder à la
raison d’Etat. Chez Racine, c’est au contraire le pouvoir qui se met au service de
la passion. Le schéma de « Britannicus » est, à cet égard, exemplaire. Agrippine,
à la mort de son mari, a désigné comme successeur à la tête de l’Empire romain
son fils, Néron, de préférence à Britannicus, héritier légitime du trône. En
revanche, elle soutient Britannicus dans son amour pour Junie dont Néron est
également épris. Néron va utiliser son pouvoir pour venir à bout des résistances :
il enlève Junie, fait empoisonner son rival et arrête sa mère. Dans « Bajazet », le
comportement de Roxane est comparable. Elle est disposée à mettre son pouvoir
au service de Bajazet, à condition qu’il lui accorde son amour. La puissance
permet ainsi à ceux qui la détiennent de se livrer à un véritable chantage :
Pyrrhus promet à Andromaque de protéger son fils, si elle accepte de l’épouser.
C’est ce jeu inexorable de l’amour et du pouvoir qui explique le double visage
des personnages raciniens qui, maîtres de la destinée de ceux qu’ils aiment, se
montrent tour à tour tendres et cruels, généreux et égoïstes.
Alors que Pierre Corneille avait puisé les sujets de ses pièces dans l’Antiquité
latine, Racine s’inspire surtout des auteurs grecs. Son principal modèle est
Euripide auquel il emprunte le sens de la passion et la rigueur de la construction
dramatique. Dans les préfaces de ses pièces, Racine a indiqué, avec précision,
ses préoccupations et ses objectifs. Son théâtre, c’est, avant tout, le théâtre de la
passion. Le choc des sentiments anime la tragédie. De leur confrontation, de leur
excès, naît l’émotion. Mais il s’en dégage aussi un enseignement moral. Le
spectateur est averti des conséquences désastreuses de ces impulsions
incontrôlées. Pour mettre en scène cette passion, la construction des pièces est

66
d’une grande rigueur. Elle suit les règles classiques et convient tout à fait à la
rigueur de la fatalité. L’unité de ton permet de dégager l’essence tragique.
L’unité de lieu montre des personnages enfermés à la fois dans une
confrontation insupportable avec les autres et dans un repliement aliénant sue
eux-mêmes. L’unité de temps et l’unité d’action conduisent à la concentration et
soulignent que la pièce se déroule durant un moment privilégié de la crise.
Racine veut une action simple, chargée de peu de matière.
L’expression elle-même concourt à l’efficacité dramatique, tout en
diffusant ce que l’on appelle le chant racinien, souvent porteur de lyrisme. Le
fréquent recours à la mythologie permet le développement de tout un jeu de
symboles et donne au texte une coloration poétique. Les antithèses, riches
d’effets, révèlent les contradictions qui divisent les personnages. Le groupement
des vers en quatrains confère une ampleur propice à l’émotion. La musique des
sonorités et la simplicité de la phrase qui la véhicule soulignent l’union intime
de cette passion et de cette rigueur qui sont les données essentielles du théâtre de
Racine.
A retenir !
- l’amour est au centre du théâtre de Racine ;
- il s’oppose souvent à l’honneur : les personnages ont à choisir entre leur
passion et leur devoir ; mais l’amour est toujours plus fort ;
- dans la tragédie racinienne, la fatalité est reine et entraîne une aliénation
insupportable;
- le jeu des contradictions atteint une dimension particulièrement tragique
lorsqu’il concerne l’amour et le pouvoir.
Contrôle des connaissances
1. Précisez le rôle joué par la fatalité dans le devenir du personnage racinien.
2. Relevez les thèmes majeurs de son théâtre.
3. Relevez les objectifs de ses pièces.
Suggestion de sujet à développer

67
Après avoir lu « Andromaque :
- dressez le portrait moral de l’héroïne ;
- relevez le thème central et sa visée.
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel, Dictionnaire Grandes Œuvres de
la littérature française, Larousse, 1998
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIIe
siècle, Hachette, 1966
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
Mallet, Jean-Daniel, La tragédie et la comédie, Hatier, 2001

Unité 23
La comédie - Molière ( Jean-Baptiste Poquelin ) (1622-1673)

Itinéraire thématique.
Durant toute sa carrière, Molière poursuit un objectif pour lui primordial :
distraire ses contemporains. Pour parvenir à ce but, il utilise, plus
particulièrement, trois procédés. Ces trois procédés apparaissent avec une
grande netteté dans trois pièces : « Le Dépit amoureux », « Amphitryon », « Les
Fourberies de Scapin ».
Dans « Le Dépit amoureux », il mise sur le caractère divertissant, surprenant,
des complications de l’intrigue, en élaborant un scénario complexe, riche en
coups de théâtre.
« Amphitryon », qui reprend le sujet d’une pièce de l’auteur latin Plaute, joue
sur les méprises, sur les quiproquos provoqués par la présence de personnages
doubles. A l’aspect comique de l’intrigue s’ajoute un autre registre, celui du
merveilleux créé par les interventions divines.

68
Dans « Les Fourberies de Scapin », il utilise de nombreux procédés comiques :
comme dans la farce, il multiplie les poursuites, les coups, les chutes, ou il joue,
plus subtilement, sur les situations et les mots. Il y ajoute aussi une certaine
tonalité romanesque.
Dès le début de sa carrière, Molière prend plaisir à bien cerner les caractères de
ses personnages. Cette volonté ne fait que s’affirmer au fil des années. Il suscite
le rire en se livrant à une critique de la société de son époque, en construisant
des personnages hauts en couleur. Dans « Les Précieuses ridicules » c’est de
l’excès de la préciosité plutôt que de la préciosité elle-même qu’il donne à rire.
Il utilise deux registres comiques : le comique de mots créé par l’abus du
langage précieux et un comique né des caractères qui vient révéler la situation
ridicule dans laquelle se mettent les précieuses.
« Les Fâcheux » est une comédie-ballet. Son intrigue n’est qu’un prétexte pour
mettre en scène des fâcheux, c’est-à-dire des importuns qui, totalement
accaparés par leur manie, se montrent d’un sans-gêne insupportable et ne cessent
de déranger les deux amoureux.
« Le Bourgeois gentilhomme » tourne autour du thème du parvenu, dont
Monsieur Jourdain est un exemple éloquent. Ce que Molière ridiculise, ce n’est
pas le désir de M. Jourdain de s’élever socialement et de s’instruire. Il le
ridiculise parce qu’il procède avec excès et surtout parce qu’il cherche à sortir
de sa condition, à échapper à sa naissance. Toutes les richesses accumulées ne
serviront à rien, parce qu’il restera à jamais un bourgeois et un parvenu.
Dans « Le Malade imaginaire » c’est un malade imaginaire que Molière prend
pour cible, un personnage obsédé par la maladie et par la médecine dont il a fait
l’essentiel de ses préoccupations. Il critique aussi les médecins du XVIIe siècle
qui, détenteurs d’une fausse science, impuissants à guérir, abritent leur
ignorance derrière leurs termes latins et leur longue robe, se servent de leur
prétendu savoir pour imposer leur pouvoir. Ironie du sort, Molière lui-même

69
mourra victime de leur incompétence, au cours d’une représentation de cette
pièce où il les ridiculise.
Lorsqu’il joue sur le comique des caractères, Molière porte témoignage sur
l’organisation sociale de son temps. Les comportements de ses personnages
révèlent le fonctionnement de la société du XVIIe. Dans quatre de ses comédies,
qui se situent au centre de sa carrière, il s’engage plus avant dans cette
direction : il pose les problèmes fondamentaux de la société, réfléchit sur les
rapports de pouvoir. Sans renoncer aux effets comiques, il aborde ainsi la grande
comédie.
Dans « L’Ecole des femmes », il démystifie l’institution du mariage. Sous un
schéma apparemment anodin, apparaît une réflexion profonde. L’action et le
comportement des personnages ont pour résultat de dénoncer l’exercice dévoyé
du pouvoir et de montrer la force de la nature face à la contrainte.
Dans « Tartuffe », il montre les effets de la fausse dévotion. Apparemment, il
utilise le schéma traditionnel de la comédie d’intrigue. Mais sous cette intrigue
conventionnelle, se précise une dénonciation de la fausse piété et des excès de la
religion. Comme le titre de la pièce l’indique, Tartuffe est un imposteur. Alors
que la querelle de « L’Ecole des femmes » semblait s’apaiser, Tartuffe relance
les attaques des adversaires de Molière. Il est la cible des arrivistes qui utilisent
une piété d’apparence pour faire carrière. La dénonciation de l’hypocrisie
religieuse les dérange parce qu’elle les concerne directement, parce qu’elle les
montre du doigt. Il provoque aussi l’hostilité des directeurs de conscience qui,
comme Tartuffe, avaient pour fonction de donner des conseils spirituels et
s’immisçaient ainsi dans les affaires de famille.
« Dom Juan » est une tragi-comédie qui met en scène le conflit entre la position
libertine et une conception du monde fondée sur la religion. La pièce met en
scène deux personnages principaux : Dom Juan, athée, libertin, séducteur, qui
refuse la morale traditionnelle et Sganarelle, dont la foi tourne à la superstition
et qui est un défenseur de cette morale traditionnelle. Tout au long de la pièce,

70
plusieurs thèmes se succèdent ou se mêlent : le libertinage amoureux, l’honneur,
l’argent, la religion. Le thème de la religion occupe une place essentielle et
permet à Dom Juan d’exposer ses idées : il révèle sa conception matérialiste du
monde, dit son refus d’un Dieu qui l’empêche d’exprimer sa liberté, se fait
l’apologiste d’une hypocrisie qu’il juge nécessaire pour éviter d’être sanctionné
par la société. Avec cette pièce, Molière accentue encore le caractère « engagé »
de son théâtre. Les adversaires de Molière triomphent et la pièce est interdite (
après 15 représentations).
Dans « Le Misanthrope », Molière pose un problème social important, celui de
la sincérité. La pièce révèle la faillite des deux solutions extrêmes : la recherche
absolue de la vérité préconisée par le misanthrope Alceste et la compromission
de l’hypocrisie que cultive la coquette Célimène. Entre ces deux conceptions, le
comportement fondé sur le respect lucide des conventions apparaît plus efficace,
mieux adapté.

Unité 24
Molière - thèmes majeurs de son théâtre.
Les personnages et les dangers de la marginalisation. Si l’on observe
l’ensemble des personnages du théâtre de Molière, certains d’entre eux frappent
par leu pittoresque. Ce sont des êtres hauts en couleur : leurs noms sont souvent
passés dans le langage courant. Tartuffe, Dom Juan ou Harpagon sont devenus
exemplaires et servent à désigner un comportement, un caractère de l’homme.
Un point commun les réunit : ce sont des originaux, des individus à part. Il en
est qui se situent en marge de la société, parce qu’ils en refusent les règles de
fonctionnement. Tartuffe remet en cause la religion de l’intérieur, en l’utilisant
pour son intérêt personnel, en en faisant une machine à exercer le pouvoir. Dom
Juan rejette en bloc toutes les conventions qui assurent la solidité de l’édifice
social. Alceste, du « Misanthrope », dénonce l’hypocrisie ambiante, cette
hypocrisie sans laquelle la vie collective ne serait plus supportable. La démesure

71
qui marque leur action aggrave encore les effets de leur marginalisation. C’est
l’excès en lui-même qui entraîne des conséquences pernicieuses pour une autre
catégorie de personnages, caractérisés par la démesure qu’ils mettent dans la
manifestation de leur comportement. Ce sont les extravagants, les passionnés,
qui poussent jusqu’à la manie la passion dont ils sont habités. C’est harpagon de
« L’Avare », obsédé par l’argent ; c’est Monsieur Jourdain du « Bourgeois
gentilhomme » entiché de noblesse ; c’est le trio des « Femmes savantes »
fasciné par la connaissance ; c’est Argan du « Malade imaginaire » voué à la
maladie et aux médecins. Le sort de ces personnages n’est guère enviable : ils
connaissent la défaite. Elle est grave, elle constitue une sanction quasiment
pénale pour ceux qui perturbent la société : Alceste est condamné à l’exil,
Tartuffe à la prison, Dom Juan à la mort. Pour les autres, elle est plus légère :
ils ne sont pas condamnés qu’à l’échec et au ridicule. Ils illustrent tous le
constat de Molière : les êtres en marge n’ont plus leur place dans la société de
cette seconde partie du XVIIe siècle qui les élimine inexorablement.
Les méfaits d’une autorité dévoyée. Les pièces de Molière marquent
également un rejet de l’autorité dévoyée et donnent ainsi une interprétation
originale de la comédie d’intrigue traditionnelle. Les pères, qui s’opposent au
mariage souhaité par les jeunes amoureux, sont ridicules et odieux, parce qu’ils
le font au nom d’un pouvoir perverti. Ce n’est pas l’autorité parentale qui est
condamnée. C’est l’usage qui en est fait. Les pères, au lieu de veiller au bonheur
de leurs enfants, ne pensent qu’à leur propre intérêt. Enfermés dans leur
égoïsme, ils ne cherchent qu’à satisfaire leurs passions, leurs manies. Ils
additionnent ainsi deux données négatives, l’excès et la perversion de leur
pouvoir. Aussi leur échec et parallèlement le triomphe des jeunes amoureux
apparaissent-ils au spectateur totalement mérités. La sanction semble encore
plus juste, lorsqu’un personnage met son autorité parentale au service de son
propre bonheur amoureux. Arnolphe de « L’Ecole des femmes » est
particulièrement odieux, parce qu’il utilise ses pouvoirs de tuteur pour obliger

72
Agnès à l’épouser. Il en est de même d’Harpagon de « L’Avare », lorsqu’il
entend interdire à son fils de se marier avec la jeune Marianne, parce qu’il a
décidé d’en faire sa femme. De son côté, Tartuffe est très condamnable parce
qu’il détourne le pouvoir de la religion, qu’il s’en sert pour s’emparer de la
famille d’Orgon toute entière.
Les solutions du juste milieu. Contre ces débordements, ces excès, s’affirment
des solutions de modération, de juste milieu. Face aux personnages qui
constituent le camp négatif des marginaux et des imposteurs, d’autres
personnages font partie du camp des modérés, des raisonnables. La voix du bon
sens se fait entendre. Souvent un combat oppose ces deux camps : d’une part, le
camp du père, du gendre souhaité par lui et, d’autre part, le camp des jeunes
amoureux aidés par les servantes et les serviteurs rusés. Les exemples en sont
nombreux ( « Tartuffe », « Les Femmes savantes »). Parfois, apparaît tout
l’éventail des positions possibles face à un problème, comme dans « Le
Misanthrope » : d’un côté, Alceste représente la sincérité excessive, de l’autre,
une série de personnages qui incarnent l’hypocrisie ; au centre, des personnages
(Philinte et Eliante), offrent l’exemple des solutions du juste milieu. Dans ce
combat, la victoire reste aux défenseurs de ces solutions moyennes : dans
« Tartuffe », Mariane et Valère se marieront, dans « Les Femmes savantes »,
Henriette et Clitandre connaîtront le bonheur ; dans « Le Misanthrope », Eliante
et Philinte s’épouseront.
Le jeu de la nature et de la raison. Deux autres notions semblent s’opposer
dans les comédies de Molière : la raison et la nature. Cette opposition est
apparente, parce que pratiquées avec justesse et modération, ces deux valeurs
sont tout à fait conciliables. A première vue, raison et nature se combattent. Le
père de famille est censé veiller au bonheur de ses enfants, leur apprendre les
valeurs de la raison. En préconisant un mariage de raison, il empêche les jeunes
amoureux de céder à leur désir, de subir les désillusions à venir d’un mariage
d’amour. Mais c’est, en fait, on l’a vu, une fausse raison qu’ils défendent, c’est

73
une raison subordonnée à leur propre désir. Dans ces conditions, la voix de la
nature que font entendre les jeunes amoureux représente la voix de la véritable
raison. Les solutions qu’ils défendent sont les seules solutions sages, parce
qu’elles reposent sur une véritable communion entre les êtres et non sur un
arrangement artificiel. Agnès de « L’Ecole des femmes » offre, dans ce
domaine, un exemple particulièrement parlant.
Un large éventail de tonalités. La construction des pièces, l’élaboration des
intrigues se font autour de ces oppositions. Les affrontements entre les
personnages s’inscrivent à l’intérieur des comportements. Ainsi la peinture des
caractères entre dans la logique de l’action, en est le moteur. Ainsi se
construisent des types théâtraux pittoresques. Obstacles au bonheur des jeunes
amoureux, ils tirent leur signification des manies qu’ils cultivent. Intrigue et
caractères peuvent être traités de multiples façons, donner lieu à une grande
variété de registres, du plus tendu au plus comique. Le tragique peut être proche,
comme dans les quatre comédies « politiques » : « L’Ecole des femmes »,
« Tartuffe », « Dom Juan » et « Le Misanthrope », qui évoquent des problèmes
sociaux essentiels et introduisent ainsi une tension dramatique. Le romanesque
est souvent présent, comme dans « Le Dépit amoureux » dont le sujet repose sur
le déguisement d’une fille en garçon, ou dans « Les Fourberies de Scapin » qui
s’achève sur de providentielles retrouvailles. Le merveilleux est sollicité, avec la
statue du commandeur de « Dom Juan » ou les dieux d’ »Amphitryon ». Dans
un registre plus léger, Molière pratique souvent le divertissement, en multipliant
les comédies-ballet qui font intervenir le chant et la danse, dans « Les
Fâcheux », dans « Le Bourgeois gentilhomme » ou dans « Le Malade
imaginaire ».
L’art de Molière.
Molière a recourt à toute la gamme de procédés comiques. Il manie avec art le
pamphlet dans « L’Impromptu de Versailles ». Le comique de situation
concerne, par exemple, les précieuses qui font assaut de politesse et de subtilité

74
(« Les Précieuses ridicules »). Le comique de mots marque l’expression
précieuse des femmes savantes ou la langue pédante, encombrée de latin, du
médecin (« Le Malade imaginaire »). La répétition accentue le comique dû à
l’inadaptation d’une réaction d’un personnage plongé dans son obsession (« Les
Fourberies de Scapin »). Le comique de farce, fait de poursuites, de chutes, de
coups, de situations ou de mots scabreux, prend place dans « La Jalousie du
Barbouillé », « Les Fourberies de Scapin », L’Ecole des femmes.
Certes, Molière a médité sur les leçons théâtrales des auteurs de l’Antiquité dont
il s’est parfois inspiré. Mais il s’intéresse au présent plutôt qu’au passé. Plus que
les auteurs de l’Antiquité, ce sont les auteurs italiens et français de son temps
qui l’influencent. Il doit beaucoup à la commedia dell’arte italienne à laquelle il
emprunte ses types pittoresques et sa gestuelle. Il est redevable à la farce
française dont il reprend les procédés comiques.
Son système dramatique s’inscrit résolument dans le concret et est le résultat
d’une pratique, d’une expérience. Directeur de troupe, il sait que la vocation
première de l’homme de théâtre est de divertir, que le but principal est de plaire.
Mais il faut également instruire. Moraliser est le deuxième objectif qu’il
convient de poursuivre. Pour cela, il existe une recette infaillible : pour
détourner des vices en amusant, il suffit de les rendre ridicules. Pour atteindre ce
but, il faut que les personnages soient naturels, vrais et suffisamment
représentatifs, exemplaires.
Pragmatique, Molière n’a pas le fétichisme des règles. Elles doivent être
inspirées par le bon sens. Le grand principe qui guide Molière dans l’élaboration
de ses pièces est que le public est le juge compétent de la valeur d’une pièce et
d’un spectacle.
A retenir !

Contrôle des connaissances


1. Relevez les thèmes majeurs de son théâtre.

75
2. Mettez en évidence ce que Molière veut dénoncer à travers ses personnages.
3. Précisez quelques procédés comiques mis en œuvre par Molière.
Suggestion de sujet à développer
Après avoir lu Tartuffe :
-présenter brièvement l’intrigue de la pièce ;
- dresser le portrait moral de Tartuffe ;
- rechercher les types de comique rencontrés dans la pièce.
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel, Dictionnaire Grandes Œuvres de
la littérature française, Larousse, 1998
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Manuel des études littéraires françaises XVIIe
siècle, Hachette, 1966
Histoire de la littérature française, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti,
1982
Mallet, Jean-Daniel, La tragédie et la comédie, Hatier, 2001
Hutier, Jean-Benoît Tartuffe-Molière, Hatier, 1993
Dauvin, Sylvie et Jacques, L’Avare-Molière, Hatier, 1979

Unité 25
Le portrait - La Bruyère
Le portrait est un genre à la mode dans la littérature du XVIIe siècle. Très
apprécié des habitués des salons, il fleurit aussi bien dans le théâtre, avec
Molière, dans le roman, avec Madame de La Fayette, dans la poésie avec Saint-
Amant et connaît un développement considérable dans la littérature d’idées,
avec le cardinal de Retz ou Saint-Simon. Mais ce n’est pas une invention de
l’époque. Il s’appuie sur une longue tradition qui remonte à l’Antiquité. La
Bruyère, qui a porté le genre à la perfection, s’inspire lui-même de l’écrivain et
philosophe grec Théophraste. Il fait d’ailleurs précéder ses « Caractères » d’une

76
traduction de son modèle et intitule son ouvrage « Les Caractères de
Théophraste traduits du grec, avec les Caractères ou les Mœurs de ce siècle. »
Les caractères se présentent comme une suite de maximes, de réflexions
et de portraits. Au nombre de 1120, ces éléments numérotés prennent place dans
seize chapitres dont les titres indiquent les thèmes principaux. Le but de La
Bruyère est clair : il s’agit de décrire les caractères et les mœurs de son temps,
de révéler les ridicules et les injustices liés aux comportements humains. Il
consacre de nombreux développements à montrer les dangers de l’excès qui
voue l’homme à des comportements obsessionnels et le rend souvent ridicule.
La modération, le juste milieu, c’est la valeur essentielle pour La Bruyère.
L’excès, la démesure, c’est le défaut majeur qu’il faut éviter à tout prix. Les
résultats en sont déplorables : l’homme s’enferme dans des comportements
obsessionnels, se replie sur soi-même, s’isole des autres, devient intolérant.
Dans « Les Caractères », il multiplie les portraits de ces personnages soumis à
des monomanies. Il en souligne avec force les ridicules, pour amuser ses
lecteurs, mais aussi pour les persuader de ne pas les imiter. S’ils sont
condamnables, c’est parce qu’en fait leur comportement est asocial, inadapté,
c’est parce qu’il remet en cause les règles de conduite indispensables au
maintien même d’une vie sociale. Les apparences se révèlent aussi dangereuses.
Chacun essaie de donner de lui-même l’image la plus flatteuse, de se mettre en
avant, de dissimuler sa véritable nature. Aucun domaine n’échappe à la
puissance des apparences. La cour vit sous leur règne (De la cour). Le désir de
paraître triomphe chez les gens en vue, qui éclate chez les parvenus qui font
assaut de luxe, qui étalent scandaleusement leur richesse. La religion même est
sous l’emprise des apparences, si bien qu’il est souvent difficile de distinguer les
faux dévots des libertins. La vraie valeur est constamment piétinée par les
fausses valeurs : les nobles mettent en avant leur naissance pour mépriser la
bourgeoisie parlementaire pourtant plus méritante, les riches écrasent les
pauvres et ne reconnaissent pas l’utilité de leur travail. La Bruyère ne se

77
contente pas d’une critique des vices et des ridicules des individus. Il va
beaucoup plus loin et se livre à une profonde analyse politique. Il montre
comment le système monarchique de l’époque repose sur la hiérarchie et la
centralisation (« Du souverain »), sur l’exaltation de la grandeur (« Des
grands »), sur la montée des valeurs d’argent (« Des biens de fortune »). Il
dénonce avec vigueur les abus de pouvoir, la suffisance des grands et
l’arrogance des parvenus. Il a des cris d’indignation lorsqu’il évoque la misère
des paysans ( « De l’homme »). Il montre la nécessité des réformes et annonce
ainsi les luttes que mèneront les philosophes du XVIIIe siècle.
La Bruyère accorde une importance primordiale à l’expression. Il adopte
une écriture impressionniste qui vagabonde au gré de ses centres d’intérêt et de
ses préoccupations. La recherche de la variété va dans le même sens : portraits,
maximes, réflexions, récits, descriptions se succèdent. Vérité particulière et
vérité générale s’allient, peinture morale et peinture physique se mêlent, abstrait
et concret se marient. Tout un jeu de ruptures vient constamment souligner les
contradictions qui divisent les personnages : la vérité s’oppose aux apparences ;
ce qu’est réellement un individu contraste avec ce qui devrait convenir à ses
fonctions ou à sa condition sociale. L’effet de surprise provoqué par un trait
final riche de comique accentue parfois cette division des personnages.
L’art d’écrire se révèle donc essentiel pour La Bruyère. Mais c’est un
métier qui s’apprend, une technique que l’on doit dominer. Pour y parvenir,
chacun doit suivre un certain nombre d’impératifs, la simplicité, le naturel, la
clarté, la propriété des termes. Il considère aussi que celui qui écrit doit
s’efforcer de moraliser. Il faut donc abandonner toute vanité littéraire et ne pas
être à l’affût du succès immédiat qui donne la notoriété.
A retenir !
- les caractères se présentent comme une suite de maximes, de réflexions et de
portraits ;

78
- le but de La Bruyère est clair : il s’agit de décrire les caractères et les mœurs de
son temps, de révéler les ridicules et les injustices liés aux comportements
humains.
- il multiplie les portraits de ces personnages soumis à des monomanies ;
- l’art d’écrire se révèle essentiel pour La Bruyère. Mais c’est un métier qui
s’apprend, une technique que l’on doit dominer.
Contrôle des connaissances
1. Quel est le but des « Caractères » ?
2. Relevez les principaux défauts de l’homme surpris et ironisés dans son œuvre.
3. Que représente l’art d’écrire pour La Bruyère ?
Suggestion de sujet à développer
Travail sur un extrait des Caractères (approche thématique et stylistique)
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel (1998), Dictionnaire Grandes
Œuvres de la littérature française, Larousse
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker (1966), Manuel des études littéraires
françaises XVIIe siècle, Hachette
Histoire de la littérature française 1982), Editura Didactică şi Pedagogică,
Bucureşti
Stegmann, André (1972), Les Caractères de La Bruyère, bible de l’honnête
homme, Larousse

Unité 26
La lettre – La marquise de Sévigné (1626-1696)

L’art de la conversation constitue une façon de répondre au besoin de


communiquer. La lettre apparaît comme un instrument très élaboré. Elle
représente à l’époque la seule possibilité d’échanger des nouvelles avec un être

79
absent. Entretenir une correspondance, c’est communiquer avec celui auquel on
s’adresse, mais c’est aussi converser avec le milieu dont on fait partie. De cette
façon, une correspondance peut être considérée comme la chronique d’une
époque.
Les « Lettres » de Madame de Sévigné sont nourries d’une observation
minutieuse de son temps. C’est un vaste tableau de son époque qu’elle nous
présente. Elle brille dans la peinture des mœurs de ses contemporains. Elle sait
rendre la futilité du milieu de la cour qui se passionne pour le mariage du duc de
Lauzun et de la grande Mademoiselle. Elle décrit avec précision les réactions
que suscite la mort de Vatel. Elle traite souvent les événements de son époque
comme un véritable journaliste. Elle adopte déjà le ton du reportage, en
accumulant les détails.
Au cœur même de ses lettres, éclate la passion. C’est sa raison de vivre, le
moteur de son existence, la cause de toutes ses actions. Cette passion, elle
s’adresse en premier lieu à sa fille. Elle lui écrit plusieurs fois par semaine et
réserve pour elle ses réflexions les plus profondes. Ces réflexions mettent au
jour son attachement à ses joies, mais aussi sa peine. La douleur de la séparation
atteint parfois l’insupportable. Cette sensibilité, cette fidélité dans ses
attachements sont d’ailleurs des constantes du caractère de Madame de Sévigné.
Elle ne dissimule pas son admiration pour tous ceux qui sont des passionnés.
La passion a ses contradictions : elle apporte à la fois bonheur et malheur.
C’est que la destinée de l’homme est, dans son ensemble, contradictoire. Elle ne
cesse pas de montrer ce jeu de la vie et de la mort dans lequel l’être humain est
lancé. Madame de Sévigné aime la vie, la savoure. Elle est armée pour en
profiter, elle apprécie la variété du monde, elle vibre face aux beautés de la
nature. Mais tout mène à al mort qui s’abat brutalement. Elle est souvent
secondée par le hasard, provoquée par un concours de circonstances
imprévisibles.

80
Quant aux moyens d’expression, ils sont fort divers. Tout d’abord, elle
sait jouer sur les contrastes : le concret et l’abstrait se mêlent, le sublime te le
prosaïque se succèdent, le lyrisme et le constat objectif font bon ménage. Elle
multiplie les formes littéraires : portraits, récits, dialogues, peintures de
paysages, réflexions philosophiques, forment un véritable panorama stylistique.
Elle est souvent attirée par une certaine préciosité, visible dans son goût pour la
subtilité, pour l’inattendu, pour les effets de surprise. Mais elle a conscience de
l’exagération dans laquelle elle tombe, elle y introduit un certain sourire, un
humour corrosif au pouvoir démystifiant.
A retenir !
- les « Lettres » de Madame de Sévigné sont nourries d’une observation
minutieuse de son temps ;
- elle brille dans la peinture des mœurs de ses contemporains ;
- elle adopte déjà le ton du reportage, en accumulant les détails ;
- au cœur même de ses lettres, éclate la passion ;
- les moyens d’expression sont fort divers : elle joue sur les contrastes, multiplie
les formes littéraires.
Contrôle des connaissances
Qu’est-ce que la passion dans la vision de Madame de Sévigné ?
Quels sont les moyens d’expression utilisés dans ses lettres?
Suggestion de sujet à développer
Travail sur une lettre (analyse du contenu et des moyens d’expression)
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel (1998), Dictionnaire Grandes
Œuvres de la littérature française, Larousse
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker (1966), Manuel des études littéraires
françaises XVIIe siècle, Hachette
Histoire de la littérature française 1982), Editura Didactică şi Pedagogică,
Bucureşti

81
Lettres choisies. Madame de Sévigné (1971), Larousse, coll. Classiques
Larousse

Unité 27
La fable - La Fontaine (1621-1695)

Diversité thématique et structure des « Fables ».


Les « Fables » comportent douze livres. Le premier recueil (1668)
contient les six premiers livres qui offrent un bon nombre de fables les plus
connues, en puisant largement dans le fonds d’Esope et de Phèdre. Le deuxième
recueil (1678-1679) contient les livres VII-XI. L’inspiration se diversifie, en
puisant notamment dans la tradition orientale. Le livre XII (1693) apparaît
comme la synthèse de son art.
Œuvre de la maturité du plus grand poète du XVIIe siècle, les « Fables »
sont l’aboutissement d’un art et d’une culture ancrés en profondeur dans de
multiples traditions issues de l’humanisme. L’humilité apparente de leur titre,
qui signale une simple mise en forme métrique, est le premier hommage du
poète à la tradition qui nourrit le genre littéraire qu’il a choisi.
Les « Fables » sont aussi le fruit de ses méditations et de ses observations,
mais aussi sorte de condensé de la sagesse populaire. Beaucoup de ses vers sont
devenus de références et parfois de véritables proverbes.
Le thème du bonheur est au centre des « Fables ». Au fil de l’œuvre, se
développe toute une réflexion sur la place de l’homme dans l’univers, sur les
moyens qu’il utilise pour vivre au mieux sa vie. « Le Loup et le chien »
montre la difficulté de concilier confort et liberté. « La Besace » révèle comment
chacun essaie de trouver son équilibre en se fixant sur les défauts des autres pour
ne pas voir les siens. « La Mort et le bûcheron » souligne l’attrait de la vie et la
peur de la mort, malgré l’accablement de la misère. « Le Gland et la citrouille »

82
constate la cohérence de l’organisation du monde. « Le Songe d’un habitant du
Mogol » milite en faveur d’une existence harmonieuse guidée par la nature.
L’homme se livre à une quête individuelle du bonheur. Mais c’est aussi un être
social qui se trouve confronté au pouvoir. Ce thème s’affirme surtout dans la
seconde partie de l’œuvre. Le jugement qu’il porte sur le pouvoir est, en général,
sévère. Certes, dans « Les Membres de l’estomac », il montre les rapports
complexes qui s’établissent entre gouvernants et gouvernés et l’utilité des
premiers. Mais, la plupart du temps, il dénonce les effets pervers de l’autorité.
La fable « La Chauve-souris et les deux belettes » constate la soumission de
l’être humain aux idées dominantes, tandis que, dans « Les Grenouilles qui
demandent un roi », les gouvernés sont mis en garde contre leur dangereuse
revendication d’un pouvoir efficace. Dans « Les Animaux malades de la peste »,
la critique se fait plus vive, l’indignation éclate contre les puissants, toujours
prêts à fuir leur responsabilité et à trouver des victimes expiatoires. « Le Paysan
du Danube » élargit le débat, en posant le problème des peuples opprimés par
des puissances étrangères. Il dénonce les injustices qui pervertissent la société de
son temps. Ainsi dans « Le Chat, la belette et le petit lapin » il met en cause le
rôle du juge et le fondement de la propriété. Il peut, sans crainte de la censure,
énoncer ses critiques et proposer ses solutions, en mettant en scène des animaux
qui sont, en fait, des décalques fidèles de l’homme.
Les « Fables » lui fournissent l’occasion de développer de nombreux
thèmes lyriques. Parmi eux, le thème de la nature occupe une place importante.
Il est présent dans l’évocation de l’environnement où évoluent les personnages :
campagne endormie par l’hiver (« La Mort et le bûcheron »), milieu aquatique
(« Les Grenouilles qui demandent un roi »), nature riante et odorante (« Le Chat,
la belette et le petit lapin »). Mais il donne également lieu à la méditation, à une
aspiration au repos, loin des bruits de la ville (« Le Songe d’un habitant du
Mogol »).

83
Le thème de la souffrance humaine apparaît également à plusieurs
reprises. « La Mort et le bûcheron » ou « Le Paysan du Danube » sont des cris
de révolte contre le malheur des individus ou des peuples. Le thème de la mort
pose, lui aussi, le problème de la destinée de l’homme : attendue avec
résignation (« Le Paysan du Danube »), repoussée aussitôt que souhaitée (« La
Mort et le bûcheron »), la mort se présente comme une fin naturelle et
inéluctable.
Malgré le constat de la misère humaine, il se dégage des « Fables » une
philosophie sereine. L’univers n’est pas si mal construit. Dieu sait ce qu’il
fait et « Le Gland la citrouille » en apporte la démonstration amusante ; le
comportement des bêtes douées d’esprit le confirme (« Discours à Mme de
Sablière »). A l’homme lancé dans la quête du bonheur, il propose un art de
vivre et de volonté de maîtriser son destin. Il convient de vivre libre (« Le Loup
et le chien »), de jouir de l’existence en un bonheur simple et insouciant (« Le
Savetier et le financier »), de ne pas se replier sur soi-même (« La Besace »).
Mais il faut aussi savoir refuser l’aliénation de l’engagement, de dominer tout ce
qui perturbe l’équilibre, comme la douleur et la mort. C’est ainsi que la vie se
déroulera, calme et paisible. Et à son crépuscule, le sage pourra alors dire :
« Quand le moment viendra d’aller trouver les morts, / J’aurai vécu sans soins,
et mourrai sans remords. » (« Le Songe d’un habitant du Mogol »)
Les « Fables » de La Fontaine constituent tout un univers, un monde aux
mille facettes, plaisant, séduisant. Les hommes, les animaux, parfois même les
plantes et les objets, y évoluent, y parlent, y créent une atmosphère de fantaisie
sans cesse renouvelée. Le lecteur est frappé par le bonheur évident qu’éprouve
La Fontaine à écrire. Il est gagné par son entrain, séduit par la variété de
l’expression. Rien n’est figé dans la versification. Au contraire, c’est le vers
libre qui triomphe, c’est le mariage des mètres, des rimes et des rythmes qui
s’impose. La versification est toujours liée à la signification. Une grande variété
dans les tonalités s’ajoute à cette variété des vers. Le réalisme marque

84
l’évocation de la vie misérable du bûcheron (« La Mort et le bûcheron ») ou la
description de l’agitation du lion harcelé par le moucheron (« Le Lion et le
moucheron »). Le symbolisme s’impose, avec la besace, image du
comportement de l’homme sensible aux défauts des autres et aveugle aux siens
(« La Besace »).
Le lyrisme se développe, avec l’exaltation de la liberté (« Le Loup et le
chien ») ou la nostalgie du calme et de la solitude (« Le Songe d’un habitant du
Mogol »). Le pathétique domine dans « La Mort et le bûcheron » ou dans « Le
Paysan du Danube ». L’humour vient atténuer la tension dramatique (« La
Chauve-souris et les deux belettes »). A chaque fois il sait trouver le mot juste.
Attaché aux Anciens, il affirme son originalité dans l’expression. Ce bonheur de
l’expression s’accompagne d’une grande efficacité dans la construction. Les
fables s’organisent autour d’un récit. Il est généralement rapide, enlevé, mis en
scène à la manière d’une pièce de théâtre. « Le Loup et le chien » se présente
ainsi comme une comédie en deux actes avec les deux comportements successifs
et contradictoires du loup face à la condition du chien.
Les portraits incisifs abondent. En quelques mots, ils rendent compte de la
personnalité, de l’originalité des êtres. Les dialogues, tout en introduisant vie et
mouvement, précisent cette spécificité des caractères : le lion s’exprime avec
assurance et détermination, le renard avec habileté, l’âne avec une modestie
naïve. La morale est porteuse de didacticisme souvent atténué par l’humour. Elle
se trouve condensée généralement en un bref précepte, qui évite le lourdeur de la
démonstration : « Plutôt souffrir que mourir, / C’est la devise des hommes.»
(« La Mort et le bûcheron »)
A retenir !
- les « Fables » de La Fontaine constituent tout un univers, un monde aux mille
facettes, plaisant, séduisant ;
- les « Fables » sont le fruit de ses méditations et de ses observations, mais aussi
sorte de condensé de la sagesse populaire ;

85
- les « Fables » lui fournissent l’occasion de développer de nombreux thèmes
lyriques
- le thème du bonheur est au centre des « Fables » ;
- de ces « Fables », il se dégage une philosophie sereine.
Contrôle des connaissances
1. Faites un résumé des thèmes majeurs de ses fables.
2. Relevez les principales caractéristiques de son style.
Suggestion de sujet à développer
Travail sur la fable « Le Loup et l’Agneau » (structure de la fable, vocabulaire
juridique, figures de style)
Bibliographie
Beaumarchais, Jean-Pierre de, Couty, Daniel (1998), Dictionnaire Grandes
Œuvres de la littérature française, Larousse
P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker (1966), Manuel des études littéraires
françaises XVIIe siècle, Hachette
Histoire de la littérature française 1982), Editura Didactică şi Pedagogică,
Bucureşti

Unité 28

L’humour dans les fables de La Fontaine


Les Fables de La Fontaine étant avant toute chose un chef-d’ œuvre de
diversité, l’humour se devait d’en faire partie intégrante. Ce terme d’
« humour », né au XVIIIe siècle, est à expliciter le plus possible : car ce dont
parle La Fontaine, dans la préface du premier recueil il parle de « gaieté » : « On
veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n’appelle pas gaieté ce qui excite le rire ;
mais un certain charme, un air agréable, qu’on peut donner à toutes sortes de
sujets, même les plus sérieux[...] Ces badineries ne sont telles qu’en apparence ;
car dans le fond elles portent un sens très solide ».( Biard, J.D. 1970 : 44)Cette

86
gaieté, sur le principe de l’humour, a une triple finalité : amuser dans l’absolu,
amuser pour dédramatiser une réalité désagréable, ou, au contraire et surtout,
amuser pour dénoncer une réalité désagréable. Pourtant toute fable n’est pas
‘’gaie’’, et loin de là : certaines par exemple sont nimbées de nostalgie) ou de
tristesse, voire peuvent s’avérer pathétiques... Cette variété de tonalités peut se
retrouver à l’échelle d’une seule et même image : tout dépend donc du
traitement de la fable décidé par l’auteur. La diversité dont fait preuve La
Fontaine se situe au sein- même de la gaieté : des degrés différents nous font
passer du rire au sourire, du comique à l’ironie.
Comme le dit Biard : « Seul l’équilibre le plus rigoureux d’éléments en
apparence inconciliables, seule l’imprégnation de tout l’ouvrage par un ton
prédominant de légèreté et de fantaisie pouvaient permettre au poète de mêler
harmonieusement ses goûts, son talent et son style personnels aux exigences des
formes d’art et à celles du sujet choisis ». (Biard, J.D. 1970 : 44)
Il existe un comique propre à la Fable puisque le genre fabuleux doit à
l’apologue la caractéristique de la personnification, à la fois
anthropomorphisation et prosopopée. Il y a donc « interférence comique des
éléments humain et zoologique », des « effets amusants de l’intersection du plan
humain et du plan animal » (Bared, R. 1995 :74). En outre « peintre animalier,
La Fontaine a le don de la caricature et dessine prestement d’amusantes
silhouettes »13. La question de la désignation des personnages est traitée sous
l’angle de la diversité : prénoms , noms assimilables à des épithètes homériques
, ou encore périphrases désignant soit l’animal soit l’espèce de façon
personnifiante. « l’emploi des titres de noblesse ou de charges peut être
comique » rappelle JD BIARD, et il ajoute que cet emploi, s’il n’est pas
systématique, est « dans chaque cas approprié au sujet et souvent lié à
l’évocation d’implications humoristiques supplémentaires » (Biard, J.D. 1970 :
146).

87
Un chat est ‘’maître Mitis’’ (III,18); un rat est ‘’roi nommé Ratapon’’ et
entouré de ‘’Soldats, Capitaines, Princes, Seigneurs’’, (IV,6), un autre rat est
‘’Doyen’’ (II,2); ‘’Capitaine Renard’’ (III,5) est aussi ‘’Vizir’’ (XI,1), un
‘’Citoyen du Mans’’ est ‘’Chapon de son métier’’ (VIII,21); le Lion est ‘’Roi
des animaux’’ (II,19), ‘’un terrible Sire’’ (XI,5), ‘’Messer Lion’’ (II,19), ‘’ sa
Majesté Lionne’’ et le ‘’Monarque’’ (VII,6) ; le Cheval devient ‘’Dom
Coursier’’, ‘’ la Bête Chevaline’’ (V,8), le Cochon devient ‘’Dom Pourceau’’
(VIII,12) ; citons encore ‘’Messer Loup’’ (IV,1-6), ‘’Sultan Léopard’’ (XI,1), le
Singe ‘’Maître Gille’’ (XII,21 ; IX,3) ; ‘’Maître Corbeau’’ ( I,2) ; ‘’Dame
Mouche’’(VII,7), ‘’Dame Baleine et Dame Fourmi’’ (I,7), enfin ‘’Damoiselle
Belette , la Galande’’ (III,17), ou ‘’ Dame Belette au long corsage’’ (VIII,22)...
De même « l’emploi des noms propres produit souvent un effet humoristique ;
quelquefois le poète [...] change un nom générique en nom propre. [...] et parfois
invente pour ses personnages des noms amusants »Biard, JD : 150):
A la ‘’Nation des Chats’’ (IV,6) appartiennent ‘’Rodilardus’’ (II,2), ‘’un second
Rodilard’’ (III,18), ‘’Raton’’ (IX, 17, XII, 2), ‘’Grippe-Fromage’’ (VIII,22). A
la ‘’République’’ de ‘’Ratopolis’’ (VII,3),appartiennent ‘’Artarpax, Psicarpax,
Méridarpax’’ (IV,6), ‘’Ronge-maille’’ (VIII,22 ; XII,15) : il s’agit du ‘’Peuple
Souriquois’’ (IV,6 ; XII,8), de la ‘’Gent trotte-menu’’ (III,18) ; la ‘’République
des Oiseaux’’ (IV,12) , contenant ‘’la gent Aiglonne’’ (III,6) , ‘’le peuple Pigeon
et le Peuple Vautour’’ (VII,7) ,‘’la Dindonnière gent’’ (XII,18) et enfin ‘’la gent
qui porte crête’’ (VII,12) , comprend ‘’Triste-Oiseau le Hibou’’ (VIII,22) ,
‘’Cormoran’’ (X,3) , ‘’Pierrot le Moineau’’ ( XII,2) , ‘’Margot la Pie’’ (XII,11) ,
et ‘’Reveille-Matin’’ (V,6) .La Grenouille, ‘’notre bonne commère\la Galande\la
Perfide’’ (IV,11) appartient au ‘’Peuple Croassant’’ (sic) (II,4), à la ‘’Gent
Marécageuse’’ (III,4) ;aux ‘’Citoyennes des Etangs’’ (VI,12), au ‘’Peuple
Aquatique’’ (X,3 ; cf. ‘’ le gouvernement de la chose publique\Aquatique ‘’
(IV,11)).

88
Citons encore ‘’Janot Lapin ‘’ (VII,15) ;le singe ‘’Gille’’ (XII,21) , ‘’Cousin et
Gendre de Bertrand’’ ( IX,3) , et ‘’Bertrand’’ (IX,17) ; l’âne ‘’ Laquais à Barbe
Grise’’ ( III,1) , ‘’ le Grison\le Paillard’’ (VI,8) ; ‘’ Thibaut l’Agnelet’’ (X,5)
pour ‘’ le Peuple Bêlant’’ (XII,9) ; ‘’Mouflar jeune dogue’’ (X,8) , ‘’Laridon et
César’’ pour la ‘’gent Chienne’’ (VIII,24) ; la ‘’Gent Marcassine’’ (III,6) ;
la’’Nation des Belettes’’ (IV,6) ; et enfin les empires d’ ‘’Eléphantide et
Rhinocère’’ (XII,21).
Et n’appartenant pas au monde animal: ‘’ Que-si-que-non ‘’ et ‘’Tien-et-mien ‘’
(respectivement frère et père de la Discorde (VI,2)) ainsi que ‘’Tant-pis ‘’ et ‘’
son Confrère Tant-mieux ‘’ (les médecins, V,12 ).
La diversité même des personnifications, avec l’allégorie, est comique :
outre la présence dans les Fables d’hommes et d’animaux, donc, on note celles
d’éléments végétaux ( le buisson XII,7) ou autres (la montagne V,10 ; les eaux
IV,2) ; d’objets ( le cierge IX,12 ; les pots V,2 ; la lime V,16) ; enfin d’éléments
‘’ impalpables’’ (la discorde VI,20 ;la fortune V,2 et VII,13; les follets VII,5 ; la
goutte III,8) voire de parties d’éléments vivants (de l’homme : les membres et
l’estomac III,2 ; du serpent : la tête et le queue VII,16). Il en résulte un jeu de
LA FONTAINE sur l’absurdité - « distance d’incongruités obtenues par la
superposition du plan humain et animal »(Dandrey,P. 1991 : 250) -provenant de
certaines personnifications : le lion disant ‘’ si mes confrères savaient peindre’’
(III,10) ;la mouche ‘’je m’assieds à la table ‘’ (IV,3) ; le loup ‘’si je sais compter
...’’ (VIII,27) ; l’alouette sans oeufs dont l’auteur nous dit : ‘’ A toute force enfin
elle se résolut \D’imiter la nature ...’’ (IV,22) ; inversement la montagne s’avère
être ‘’en mal d’enfant ‘’ (V,10) ; ailleurs ‘’ le Cerf hors de danger \Broute sa
bienfaitrice, ingratitude extrême’’ (V,15). Le serpent ‘’cherchant à manger\N’[y]
rencontra pour tout potage \Qu’une lime d’acier qu’il se mit à ronger’’ (V,16) ;
enfin on peut lire ‘’ mais ce cerf n’avait pas accoutumé de lire.’’ (VIII,14).
Le caractère ludique de la Fable est indéniable (malgré la résonance
négative, on l’a dit, de certaines Fables) : on peut donc bien parler d’un comique

89
de situation - inhérent au genre - même s’il est particulièrement mis en valeur
par le narrateur, avec toujours une ‘’ gamme’’ allant du simple cocasse au franc
ridicule. Un choix d’exemples réellement exhaustif s’avère difficile du fait de
l’abondance des Fables ; au risque d’être arbitraire, voici deux exemples de
comique de situation où la cocasserie l’emporte :
Dans « le jardinier et son seigneur » (IV,4), la situation comique résulte
du sans-gêne du prince, contrastant avec la retenue de son hôte : l’intrusion se
fait totale , concrète dans l’espace et abstraite dans l’intimité ( cf. la profusion
d’impératifs et de questions oratoires ; la rime ‘’respect \ suspect ‘’ vers 29-30 et
le jeu des pronoms personnels, vers 37-38 ; enfin l’alexandrin (vers 53) auquel il
manque la suite de l’expression proverbiale.)
Dans « l’ivrogne et sa femme » (III,7), la situation comique résulte du
penchant pour l’alcool d’un homme, contrastant avec les vigoureux efforts de sa
femme pour le faire réagir : cf. l’ampleur de la nuisance alcoolique parallèle au
développement de la versification (vers 5-6 : passage après enjambement du
décasyllabe à l’alexandrin ,avec un rythme ternaire énumérant les ‘’ dégâts’’) et
cf. son manque d’émotion et de réflexion (dû à l’ébriété) qui contraste avec la
mise en scène effrayante de sa femme (rime vers 26-28 ‘’tombe noire\A boire’’).
Maintenant, plus succinctement encore, deux autres ‘’images’’ où le comique de
situation bascule cette fois nettement - toujours par l’habilité de la narration - du
côté du ridicule :
Dans « le mari, la femme et le voleur » (IX,15), le ridicule tient au
manque d’affection du mari et ses conséquences : la gratitude envers son voleur
: vers 20-21-22 et suivants (cf. l’apostrophe amicale du mari au voleur).
Dans « le berger et le roi » (X,9),le ridicule tient au manque de préparation du
berger à la fonction de juge : cf. le vers 18 : ‘’Voilà notre Berger la balance à la
main’’.( Cet alexandrin, suivant l’offre du roi, suggère la rapidité avec laquelle
la fonction lui est attribuée et rend le contraste entre son état ancien et les
instruments de sa nouvelle fonction. )

90
Il est nécessaire de souligner l’importance du ridicule, ce décalage qui
provoque le comique, car il est très souvent indispensable pour la transmission
d’une moralité : « le rire s ’épanouit dans l’écart spatial et temporel entre une
situation vécue par un autre - qui peut tout aussi bien être moi autrefois - et
l’appréciation soulageante et triomphante de ma supériorité présente sur cette
situation, sur cet être »; il s’agit d’un « rire de moquerie » (Dandrey, P., 1991 :
267)
C’est donc quand le ridicule va toucher directement le personnage, et non
plus la situation elle-même, qu’il sera le plus critique. En effet La Fontaine vise,
à travers l’’’incarnation’’ d’un défaut ou d’un vice, le défaut -ou le vice - lui-
même ; et le ridiculise (lui-même ou par l’intermédiaire d’un de ses
personnages). Les défauts des hommes étant multiples, son ‘’cheval de bataille’’
principal s’avère être la dénonciation de la prétention et de la bêtise: ’’Il [Le
Fabricateur Souverain] fit pour nos défauts la poche de derrière, \Et celle de
devant pour les défauts d’autrui’’, nous dit-il dans le chiasme final de « la
besace » (I,7).
Essentiellement, cette dénonciation se fait par le jeu de contraste entre
vanités / velléités d’une part et capacités réelles / résultats obtenus de l’autre.
Tout d’abord, la prétention :
« la grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf » (I,3) : vers 4-5 et 9-
10.
« l’homme et son image » (I,11) : vers 1-2 et 16
« le lion et le moucheron » (II,9) : vers 30-31 et 34
« l’astrologue qui se laisse tomber dans un puits » (II,13) : premier quatrain
« le loup devenu berger » (III,3) : vers 20-21 et 22-23
« l’âne portant des reliques » (V,14) : vers 2-3 et 6-7
« le héron\la fille » (VII,4) : les deux Fables, et leur mise en parallèle,
« association incongrue » (Dandrey, P., 1991 : 250)
« les poissons et le berger qui joue de la flûte » (X,10) : vers 24 à 27

91
« le lion, le singe, et les deux ânes » (XI,5) : vers 45 à 59 ; « un sourire moqueur
[...] accueille les réciproques louanges des deux ânes, satire de la vanité
chimérique » (Dandrey, P., 1991 :268)
Et la bêtise, sous les différents visages qu’elle peut prendre :
- manque de bon sens :
« l’âne chargé d’éponges et l’âne chargé de sel » (II,10) : vers 21-22 .
- imprévoyance:
« la belette entrée dans un grenier » (III,17) : vers 11-12 (N.B. la différence avec
l’imprévoyance traitée dans la Fable I,8 (l’humour n’étant pas le seul vecteur de
moralité)).
- confusion :
« le satyre et le passant » (V,7) : vers 27-28 ;
« l’âne vêtu de la peau du lion » (V,21) :vers 8-9-10
« le loup et le renard » (XI,6) : vers 10-11-12
- crédulité :
« les devineresses » (VII,14) : vers 19-21
- caractère influençable :
-« le meunier, son fils et l’âne » (III,1) :vers 38-39,48-49,56-57 et 66-67
-« le renard et les raisins » (III,11) : vers 6-7
-« le chameau et les bâtons flottants » (IV,10) : vers 12 à 16
- peur infondée/exagérée :
« le lièvre et les grenouilles » (II,14) : vers 4,9-10,17-18
« le lion et l’âne chassant » (II,18) : vers 12à 15
« l’ours et les deux compagnons » (V,20) : vers 14-18-19
- avidité, cupidité, avarice :
« les voleurs et l’âne » (I,13) : vers 1-2 , et « l’huître et les plaideurs » (IX,9)
:vers 4-5-6
« l’avare qui a perdu son trésor » (IV,20): vers 11 (chiasme) et vers 16-17
(énumération à effet totalisant).

92
« la poule aux œufs d’or »(V,13) : vers 5à8.
« le curé et le mort » (VII,10) : structure parallèle des vers 1-3; vers 17 à 24...
« l’homme qui court après la fortune , et l’homme qui l’attend dans son lit »
(VII,11): vers 6 (termes antithétiques débutant chaque hémistiche).
« le trésor et les deux hommes » (IX,16) : rejet brutal et rime vers 19-20 (« la
chute est mise en relief par la combinaison de termes incompatibles ’trouve /
absent’’ qui expriment admirablement l’intense cupidité et l’amère déception du
personnage ») et vers 25...
Notons aussi quelques exemples- beaucoup moins appuyés -du ridicule
touchant l’aspect physique des personnages visés :
« l’homme entre deux âges et ses deux maîtresses » (I,17) : vers 22-23
« le corbeau voulant imiter l’aigle » (II,16) : vers 2-3 et 14-15
« le lion et l’âne chassant » (II,19) : vers 10-11
« le renard et le bouc » (III,5) : contraste des vers 2 et 3 (répétition de ‘’plus’’)
« le loup, la chèvre et le chevreau » (IV,15) : 1er vers
« le renard ayant la queue coupée » (V,5) : vers 17 ( la périphrase ‘’ le pauvre
Ecourté’’)
« la vieille et les deux servantes » » (V,6) : vers 12-13 et 25
« la montagne qui accouche » (V,10) : vers 6
« la fille » (VII,4) : vers 65-70
« la souris métamorphosée en fille » (IX,7) : vers 2 ( le narrateur suggère son
dégoût, donc le triste état de la souris.)
« le paysan du Danube » (IX,7) ‘’...voici /Le personnage en raccourci’’ : vers 11
à 17.
Il est clair que si les éléments comiques que nous venons d’énumérer sont
inhérents au genre de la Fable, c’est l’art de conteur et de poète de LA
FONTAINE qui les met en valeur. Mais c’est surtout sa fantaisie propre qui
s’immisce dans le genre, et, pour reprendre un mot de l’auteur, le ‘’travaille’’ et
l’enrichit par une virtuosité de génie.

93
Il se trouve, comme l’explique J.D. Biard, que « le poète trouve dans la
Fable un champ libre pour ses expériences en matière de ton et de technique »,
et qu’il « se révèle comme un artiste exceptionnel dans l’harmonieux mélange
des tons et les éléments stylistiques les plus variés » (Biard, J.D., 1970 :52-53).
Tout d’abord, les tons, les tonalités sont rendus par les mots et par le style,
ou plutôt les styles, car La Fontaine manie allègrement le pastiche et, en général,
la parodie : parodie « non seulement [des] styles héroïque, précieux et burlesque
[...] mais encore [du] style galant, [du] style pastoral et [de] bien d’autres encore,
[qui] se mêlent librement dans son œuvre » (Biard, J.D., 1970 : 171). Pour
preuve dès « l’ouverture du texte de LA FONTAINE [c’est-à-dire la dédicace à
Monseigneur le Dauphin] : premier pastiche d’épopée, premier clin d’œil d’un
fabuliste charmeur ». (Collinet, J.P., 1970 : 83)
Quelques exemples de pastiches :
style de l’épopée dans les Fables « le fermier, le chien et le renard » (XI,3),
« le loup et le renard » (XII,9),
et « les animaux malades de la peste » (VII,1)
style de l’épître dans la Fable : « le chat et la souris » (XII,4)
style de la préciosité : « les poissons et le berger qui joue de la flûte » (X,10)
style de l’élégie : « Philomèle et Progné » (III,15)
« Parodie de la poésie pastorale et élégiaque, avec procédés traditionnels de
l’idylle » :
« le berger et son troupeau » (IX,19)
« le loup devenu berger » (III,3)
« contre ceux qui ont le goût difficile » (II,1)
« Daphnis et Alcimadure » (XII,24)
Pastorale « qui se présente comme un amusant pastiche » (Collinet, J.P., 1992 :
139) dans les vers 26 à 29 de « le lion amoureux » (IV,1) , « légère touche de
pastorale/confidence élégiaque » (Collinet, J.P., 1970 : 154) à la fin de « les

94
deux pigeons » (IX,2) ; et « ultime reflet de pastorale » (Collinet, J.P.,1970 :141)
dans les vers 79 à 83 de « les compagnons d’Ulysse » (XII,1).
Allusions parodiques aux poètes galants contemporains » :
« le geai paré des plumes du paon » (IV,9) : BOISROBERT.
« les compagnons d’Ulysse » (XII,1) : VOITURE, et la versification en
octosyllabes propre à son style : « le lion amoureux » (IV,1) et « le singe et le
dauphin » (IV,7)
« le cochet, le chat et souriceau » (VI,5) : SAINT-AMANT
« le renard, le singe et les animaux » (VI,6) et « les vautours et les pigeons »
(VII,7) : versification en décasyllabes propre à MAROT.

Genre parodique du burlesque... :


« Jupiter et le passager » (IX,13)
« l’aigle et l’escarbot » (II,8)
« le jardinier et son seigneur » (IV,4)
(d’autres Fables proches de ce genre sont évoquées dans la dernière partie du
devoir)

...et genre parodique de l’héroï-comique :


« le combat des rats et des belettes » (IV,6)
« les deux coqs » (VII,12)
ainsi que
« la chauve-souris et les deux belettes » (II,5)
« les grenouilles qui demandent un roi » (III,4)
« l’aigle, la laie et la chatte » (III,6)
« le renard et les poulets d’Inde » (XII,18)

« Ce ton parodique du style héroïque peut n’être utilisé que le temps de quelques
vers et prendre un effet de contraste » :

95
« la vieille et les deux servantes » (V,6)
« le chartier embourbé » (VI,18)
« le chat , la belette et le petit lapin » (VII,15)

A retenir !
- la personnification des animaux et des végétaux se trouve au cœur des Fables ;
- le caractère ludique de la Fable est indéniable ;
- le ridicule occupe une place de choix ;
- à travers ses fables, la Fontaine critique les tares de la société de son temps ;
c’est une critique virulente des vices, des mœurs et des défauts.
Contrôle des connaissances
Relevez les moyens d’expression du comique dans les fables de La Fontaine
Suggestion de sujet à développer
Travail sur la fable « La Cigale et la Fourmi (structure, thème, figures de style)

Bibliographie
Bared, R.,(1995) LA FONTAINE, coll. ‘’écrivains de toujours’’, Le Seuil,
Biard, Jean-Dominique,( 1970) Le Style des Fables de LA FONTAINE, Paris,
Nizet, 1970.
Collinet, J.P., (1970), Le monde littéraire de La LA FONTAINE, PUF,
Dandrey, Patrick, (1991), La Fabrique des Fables. Essai sur la poétique de LA
FONTAINE, Paris, Klincksieck

96

Vous aimerez peut-être aussi