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Semestre IV Département de langue et

Initiation à la linguistique littérature françaises



Prof : Med SABRI
La

langue, distincte de la parole, est un objet qu’on peut


étudier séparément. Nous ne parlons plus les langues
Texte 1 : Langue Vs parole mortes, mais nous pouvons fort bien nous assimiler leur
organisme linguistique. Non seulement la science do la
« Mais qu’est-ce que la langue ? Pour nous elle ne se
langue peut se passer des autres éléments du langage, mais
confond pas avec le langage ; elle n’en est qu’une partie
elle n’est possible que si ces autres éléments n’y sont pas
déterminée, essentielle, il est vrai. C’est à la fois un produit
mêlés.
social de la faculté du langage et un ensemble de
conventions nécessaires, adoptées par le corps social pour 3° Tandis que le langage est hétérogène, la langue ainsi
permettre l’exercice de cette faculté chez les individus. Pris délimitée est de nature homogène : c’est un système de
dans son tout, le langage est multiforme et hétéroclite ; à signes ou il n’y a d’essentiel que l’union du sens et de
cheval sur plusieurs domaines, à la fois physique, l’image acoustique, et ou les deux parties du signe sont
physiologique et psychique, il appartient encore au également psychiques.
domaine individuel et au domaine social ; il ne se laisse
classer dans aucune catégorie des faits humains, parce 4° La langue n’est pas moins que la parole un objet de
qu’on ne sait comment dégager son unité. La langue, au nature concrète, et c’est un grand avantage pour l’étude.
contraire, est un tout en soi et un principe de classification. Les signes linguistiques, pour être essentiellement
Dès que nous lui donnons la première place parmi les faits psychiques, ne sont pas des abstractions ; les associations
de langage, nous introduisons un ordre naturel dans un ratifiées par le consentement collectif, et dont l’ensemble
ensemble qui ne se prête à aucune autre classification. constitue la langue, sont des réalités qui ont leur siège dans
le cerveau. En outre, les signes de la langue sont pour ainsi
[…] En séparant la langue de la parole, on sépare du même dire tangibles ; l’écriture peut les fixer dans des images
coup : 1° ce qui est social de ce qui est individuel ; 2° ce qui conventionnelles, tandis qu’il serait impossible de
est essentiel de ce qui est accessoire et plus ou moins photographier dans tous leurs détails les actes de la parole ;
accidentel. […]

La langue n’est pas une fonction du sujet parlant, elle est le C’est cette possibilité de fixer les choses relatives à la
produit que l’individu enregistre passivement […] langue qui fait qu’un dictionnaire et une grammaire
peuvent en être une représentation fidèle. »
La parole est au contraire un acte individuel de volonté et
d’intelligence. […] Saussure, CLG, 25-32.

Récapitulons les caractères de la langue : Texte 2 : Qu’est-ce qu’une langue ?

1° Elle est un objet bien défini dans l’ensemble hétéroclite « Nous pouvons […] tenter de formuler ce que nous
des faits de langage. On peut la localiser dans la portion entendons par “langue”. Une langue est un instrument de
déterminée du circuit ou une image auditive vient s’associer communication selon lequel l’expérience humaine
à un concept. Elle est la partie sociale du langage, s’analyse, différemment dans chaque communauté, en
extérieure à l’individu, qui a lui seul ne peut ni la créer ni la unités douées d’un contenu sémantique et d’une
modifier ; elle n’existe qu’en vertu d’une sorte de contrat expression phonique, les monèmes ; cette expression
passe entre les membres de la communauté. D’autre part, phonique s’articule à son tour en unités distinctives et
l’individu a besoin d’un apprentissage pour en connaitre le successives, les phonèmes, en nombre déterminé dans
jeu ; l’enfant ne se l’assimile que peu à peu. Elle est si bien chaque langue, dont la nature et les rapports mutuels
une chose distincte qu’un homme prive de l’usage de la diffèrent eux aussi d’une langue à l’autre. Ceci implique 1°
parole conserve la langue, pourvu qu’il comprenne les que nous réservons le terme de langue pour désigner un
signes vocaux qu’il entend. instrument de communication doublement articulé et de

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manifestation vocale, 2° que, hors cette base commune, Martinet, ELG, 8-9
comme le marquent les termes “différemment” et
Texte 4 : Communication animale et langage humain
“diffèrent” dans la formulation ci-dessus, rien n’est
proprement linguistique qui ne puisse différer d’une langue Les différences sont considérables et elles aident à prendre
à l’autre ; c’est dans ce sens qu’il faut comprendre conscience de ce qui caractérise en propre le langage
l’affirmation que les faits de langue sont “arbitraires” ou humain. Celle-ci, d’abord essentielle, que le message des
“conventionnels”. » abeilles consiste entièrement dans la danse, sans
intervention d’un appareil «vocal», alors qu’il n’y a pas de
Martinet, ELG, 20-21
langage sans voix. D’où, une autre différence, qui est
Texte 3 : le langage, institution humaine d’ordre physique. N’étant pas vocale mais gestuelle, la
communication chez les abeilles s’effectue nécessairement
On parle souvent du langage comme d’une faculté de dans des conditions qui permettent une perception visuelle,
l’homme. Nous avons nous-même employé ce terme ci- sous l’éclairage de jour ; elle ne peut avoir lieu dans
dessus, mais sans lui accorder une valeur rigoureuse. II est l’obscurité. Le langage humain ne connaît pas cette
probable que les rapports de l'homme et de son langage limitation.
sont de nature trop particulière pour qu’on puisse
délibérément ranger celui-ci dans un type plus vaste de Une différence capitale apparaît aussi dans la situation où la
fonctions définies. Ce qu'on ne saurait affirmer, c'est que le communication a lieu. Le message des abeilles n’appelle
langage résulte de l’exercice naturel de quelque organe, aucune réponse de l’entourage, sinon une certaine
comme la respiration ou la marche qui sont, pour ainsi dire, conduite, qui n’est pas une réponse. Cela signifie que les
la raison d'être des poumons et des jambes. On parle, abeilles ne connaissent pas le dialogue, qui est la condition
certes, d'organes de la parole, mais on ajoute en général du langage humain. Nous parlons à d’autres qui parlent,
que la fonction première de chacun d’eux est tout autre telle est la réalité humaine. Cela révèle un nouveau
chose […] contraste. Parce qu’il n’y a pas de dialogue pour les abeilles,
la communication se réfère seulement à une certaine
On est tenté, dans ces conditions, de planer le langage donnée objective. Il ne peut y avoir de communication
parmi les institutions humaines, et cette façon de voir relative à une donnée « linguistique » ; déjà parce qu’il n’y a
présente des avantages incontestables : les institutions pas de réponse, la réponse étant une réaction linguistique à
humaines résultent de la vie en société ; c’est bien le cas du une manifestation linguistique ; mais aussi en ce sens que le
langage qui se conçoit essentiellement comme un message d’une abeille ne peut être reproduit par une autre
instrument de communication. Les institutions humaines qui n’aurait pas vu elle-même les choses que la première
supposent l'exercice des facultés les plus diverses ; elles annonce. On n’a pas constaté qu’une abeille aille par
peuvent Etre très répandues et même, comme le langage, exemple porter dans une autre ruche le message qu’elle a
universelles, sans être identiques d'une communauté la une reçu dans la sienne, ce qui serait une manière de
même : la famille, par exemple, caractérise peut-être tous transmission ou de relais. On voit la différence avec le
les groupements humains, mais elle se présente, ici et là, langage humain, où, dans le dialogue, la référence à
sous des formes diverses ; de même le langage, identique l’expérience objective et la réaction à la manifestation
dans ses fonctions, diffère d'une communauté à une autre linguistique s’entremêlent librement et à l’infini. L’abeille ne
de telle sorte qu’il ne saurait fonctionner qu’entre les sujets construit pas de message à partir d’un autre message.
d'un groupe donne. Les institutions, n'étant point des Chacune de celles qui, alertées par la danse de la butineuse,
données premières, mais des produits de la vie en société, sortent et vont se nourrir à l’endroit indiqué, reproduit
ne sont pas immuables ; elles sont susceptibles de changer quand elle rentre la même information, non d’après le
sous la pression de besoins divers et sous l'influence message premier, mais d’après la réalité qu’elle vient de
d`autres communautés. constater. Or le caractère du langage est de procurer un

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substitut de l’expérience apte à être transmis sans fin dans pareils constituants ; il ne se ramène pas à des éléments
le temps et l’espace, ce qui est le propre de notre identifiables et distinctifs.
symbolisme et le fondement de la tradition linguistique.
Benveniste, PLG, 60-62
Si nous considérons maintenant le contenu du message, il
Questions :
sera facile d’observer qu’il se rapporte toujours et
seulement à une donnée, la nourriture, et que les seules Lisez les extraits de textes ci-dessus, puis répondez aux
variantes qu’il comporte sont relatives à des données questions suivantes :
spatiales. Le contraste est évident avec l’illimité des
contenus du langage humain. De plus, la conduite qui 1. Expliquez les notions : langue, parole, chez
signifie le message des abeilles dénote un symbolisme Saussure ?
particulier qui consiste en un décalque de la situation
2. Définissez la notion du langage ?
objective, de la seule situation qui donne lieu à un message,
sans variation ni transposition possible. Or, dans le langage 3. Qu'est-ce qui distingue le langage humain des
humain, le symbole en général ne configure pas les données autres modes de communication ? En quoi le
de l’expérience, en ce sens qu’il n’y a pas de rapport langage humain est-il spécifique ?
nécessaire entre la référence objective et la forme
linguistique. Il aurait ici beaucoup de distinctions à faire au
point de vue du symbolisme humain dont la nature et le
fonctionnement ont été peu étudiés. Mais la différence
subsiste.

Un dernier caractère de la communication chez les abeilles


l’oppose fortement aux langues humaines. Le message des
abeilles ne se laisse pas analyser. Nous n’y pouvons voir
qu’un contenu global, la seule différence étant liée à la
position spatiale de l’objet relaté. Mais il et impossible de
décomposer ce contenu en ses éléments formateurs, en ses
« morphèmes », de manière à faire correspondre chacun de
ses morphèmes à un élément de l’énoncé. Le langage
humain se caractérise justement par là. Chaque énoncé se
ramène à des éléments qui se laissent combiner librement
selon des règles définies, de sorte qu’un nombre assez
réduit de morphèmes permet un nombre considérable de
combinaisons, d’où naît la variété du langage humain, qui
est capacité de tout dire. Une analyse plus approfondie du
langage montre que ces morphèmes, éléments de
signification, se résolvent à leur tour en phonèmes,
éléments d’articulation dénués de signification, moins
nombreux encore, dont l’assemblage sélectif et distinctif
fournit les unités signifiantes. Ces phonèmes « vides »,
organisés en systèmes, forment la base de toute langue. Il
est manifeste que le langage des abeilles ne laisse pas isoler

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