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Aux Origines de La Torah. Nouvelles Rencontres, Nouvelles Perspectives
Aux Origines de La Torah. Nouvelles Rencontres, Nouvelles Perspectives
D’Israël Finkelstein
Avec Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie, Paris,
Bayard, 2002.
Avec Neil Asher Silberman, Les rois sacrés de la Bible. À la recherche de David et Salomon, Paris,
Bayard, coll. « Folio histoire 159 », 2006.
Un archéologue au pays de la Bible, Paris, Bayard, 2008.
Le royaume biblique oublié (Collège de France), Paris, Odile Jacob, 2013.
De Thomas Römer
La première histoire d’Israël. L’école deutéronomiste à l’œuvre, Genève, Labor et Fides, coll. « Le
monde de la Bible », 2009.
La Bible, quelles histoires ! Entretien avec Estelle Villeneuve, Paris, Bayard / Genève, Labor et
Fides, 2014.
L’invention de Dieu (Les livres du nouveau monde), Paris, Seuil, 2014.
Moïse en version originale. Enquête sur le récit de la sortie d’Égypte (Exode 1–15), Paris :
Bayard / Genève, Labor et Fides, 2015.
© Bayard Éditions, 2019
18, rue Barbès, 92128 Montrouge Cedex (France)
EAN : 978-2-227-49335-3
celle de la
א alef ’
voyelle attenante
/h/ (allemand
ח ḥeth ḥ
Bach)
Israël Finkelstein
Thomas Römer
De quels faits disposons-nous ?
Si c’était dans sa forme massorétique actuelle que l’on se posait la
question de la date de la Bible hébraïque, la réponse serait relativement
simple. La Bible hébraïque telle que nous l’avons a été éditée au Moyen
Âge : le Codex de Saint-Pétersbourg au XIe siècle, le Codex d’Alep, mutilé,
un peu plus tôt et le textus receptus, quelques siècles plus tard. Cela, bien
sûr, ne répond pas à notre question, mais montre que lorsque nous
travaillons avec la BHS (Biblia Hebraica Stuttgartensia) ou la BHQ (Biblia
Hebraica Quinta) nous avons affaire à une forme très tardive du texte
biblique 1.
Grâce à la découverte des fragments de Qumrân, nous possédons la
preuve factuelle de l’existence de presque tous les livres bibliques aux
alentours du IIe ou du Ier siècle av. J.-C., même si la plupart d’entre eux ne
sont attestés que sous une forme très fragmentaire. Les divergences entre les
manuscrits d’un même livre, Samuel, Jérémie ou Isaïe par exemple,
montrent clairement que ces livres ne peuvent pas avoir été écrits pour la
première fois à cette époque et doivent être bien plus anciens. Mais de
combien plus anciens ? Pour la Torah/le Pentateuque, on peut essayer de
reculer d’un pas et se référer à la traduction en grec. D’après la lettre
d’Aristée, écrite aux alentours de 150-100 av. J.-C., la traduction en grec de
la Torah s’effectua sous Ptolémée II, à Alexandrie, au IIIe siècle av. J.-C 2.
Bien qu’il s’agisse d’une légende, il est assez plausible qu’il y ait eu des
traductions grecques du Pentateuque dès le IIIe siècle. Cela est confirmé par
le travail de Démétrius le Chronographe (221-204), auteur de commentaires
sur des passages difficiles de la Torah, qui utilisait vraisemblablement une
traduction en grec. Aristobule de Panéas (ca. 150 av. J.-C.) atteste lui aussi
l’idée que le Pentateuque a été traduit en grec sous Prolémée Philadelphe 3.
Par contraste, les fragments d’Aegyptiaca d’Hécatée d’Abdère
(communément datés ca. 320 av. J.-C.) montrent que l’auteur connaissait
des traditions sur Moïse, par exemple celles selon lesquelles ce dernier a
conduit les Hébreux hors d’Égypte et vers la terre, a construit Jérusalem et
promulgué des lois, dont certaines étaient assez différentes de celles que
l’on trouve dans le Pentateuque 4. Par conséquent, il semble raisonnable de
dater le début de la traduction grecque de la Torah, qui se poursuivit
pendant plusieurs décennies, aux alentours de 270 av. J.-C. 5. Cela
présuppose qu’un Pentateuque hébreu faisait autorité, au moins à la fin du
e
IV siècle. Après cette date, nous nous trouvons en terrain relativement sûr ;
Exode 32,4 : Ce sont tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter du
pays d’Égypte
1 Rois 12,28 : Voici tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter du
pays d’Égypte d’Égypte
La première version d’Exode 32 a-t-elle été écrite du temps du royaume
d’Israël, afin de critiquer les sanctuaires nordistes de Béthel et de Dan 28 ?
Exode 32 présuppose-t-il la chute du royaume du Nord et la réforme de
Josias (voir les parallèles entre la destruction du veau par Moïse en Exode
32 et la réforme de Josias en 2 Rois 23) 29 ? À moins qu’Exode 32 ait été
une allégorie de la chute de Juda 30 ? À eux seuls, les contextes allégoriques
historiques des récits du Pentateuque sont trop spéculatifs pour convaincre
une majorité de chercheurs. Cette approche ne peut être utilisée que pour
corroborer d’autres arguments.
Arguments ex silencio
Également utilisée dans d’autres domaines des études classiques, cette
méthode est fondée sur l’hypothèse que dès lors qu’une tradition n’est pas
mentionnée dans des textes plus anciens, elle doit être plus récente que
ceux-ci. La recherche de H. Vorländer sur la formation et l’âge des
documents yahwiste et élohiste était essentiellement fondée sur
l’affirmation que l’histoire « jéhowiste » (J/E) doit être datée de l’époque
exilique parce que les traditions qu’elle comporte ne sont pas attestées dans
les textes préexiliques des prophètes antérieurs et postérieurs 31. Cette
méthode est problématique, non seulement parce que nombre de textes
prophétiques sont difficiles à dater, mais également parce qu’elle repose sur
des citations ou des allusions à des traditions du Pentateuque hors de la
Torah. Cela étant dit, chercher la présence ou l’absence de traditions du
Pentateuque en-dehors du Pentateuque peut parfois être utile, comme c’est
le cas des références à Abraham comparées aux références bien plus
fréquentes à Jacob. Les textes datables mentionnant Abraham en-dehors de
la Torah, voire de l’Hexateuque, appartiennent probablement à la période
babylonienne ou au début de la période perse (Ez 33,24) 32. Ceci pourrait
accréditer la théorie, assez commune de nos jours dans la recherche
allemande, selon laquelle la formation littéraire de la tradition sur Abraham
ne débuta pas beaucoup plus tôt qu’au VIe siècle av. J.-C 33.
Un cas plus intriguant est le personnage de Joseph. Bien que le nom
‘Joseph’ apparaisse dans plusieurs livres prophétiques comme référence au
royaume du Nord, aucune allusion claire à l’histoire de Joseph (Genèse 37-
50) ne se trouve hors de l’Hexateuque, hormis le psaume 105, un texte
habituellement considéré comme présupposant toute la Torah 34. Si l’on tient
compte des observations de l’égyptologue Donald Redford, qui nota que les
allusions aux coutumes et aux noms égyptiens conviennent plus
particulièrement à la période saïte ou aux périodes postérieures 35, cela
étayerait une datation tardive du récit de Joseph. Associée à une
interprétation de type « allégorique », l’histoire de Joseph pourrait être
comprise comme un « roman de diaspora » écrit (probablement en Égypte)
à la période perse, voire au début de l’époque hellénistique 36.
Terminus a quo et terminus ad quem
Nous avons déjà mentionné que le terminus a quo n’était pas un critère
suffisant pour la datation du Pentateuque. Ce critère doit aussi être utilisé
avec circonspection quand on l’applique aux autres textes. Il est bien connu
que M. Noth utilisa le dernier passage des livres des Rois, 2 R 25,27-30,
pour dater ladite histoire deutéronomiste aux alentours de 520 av. J.-C. De
manière intéressante, Noth arriva à cette identification d’un terminus a quo
et d’un terminus ad quem en se fondant sur l’idée que le Deutéronomiste
(Dtr) était un « courtier honnête » qui transmit toutes les informations et
sources à sa disposition 37 : en d’autres termes, Noth supposa que si le
Deutéronomiste avait eu connaissance d’événements datant de la période
perse, il les aurait inclus. Mais comme l’a fait remarquer Graeme Auld avec
une pointe d’ironie : « Le fait que les livres des Rois s’achèvent sur le
destin du dernier roi de Juda ne nous en dit pas plus sur la date de leur
composition (généralement considérée comme exilique) que le fait que le
Pentateuque s’achève sur la mort de Moïse » 38. Malgré la perspective
exilique de Deutéronome — Rois, il est très plausible que l’histoire
deutéronomiste ait subi une ou plusieurs rédactions à la période perse (un
sujet que nous ne pouvons traiter ici 39).
Il y a pourtant des cas dans la Torah où un argument de type terminus a
quo peut être intéressant. L’expression « Our Casdim » en est un exemple.
Elle apparaît dans la Bible hébraïque en Gn 11,28.31 (P) ; Gn 15,7 et et Ne
9,7 (qui cite apparemment Gn 15,7). L’expression « Casdim » est, en
revanche, largement attestée, surtout dans les livres des Rois et de Jérémie,
où elle fait chaque fois référence aux Néo-Babyloniens. L’expression ne
peut donc être apparue avant la fin du VIIe siècle av. J.-C., et la date du
e
VI siècle (ou une date plus tardive) est plausible pour les textes de la
Genèse. Si Gn 11,28.31 appartient à la même strate littéraire que d’autres
textes P, cette observation a des conséquences pour le terminus a quo des
écrits sacerdotaux du Pentateuque.
Une approche analogue peut être effectuée pour le nom « Yawan », qui
apparaît dans le Pentateuque dans la table des nations (P) en Gn 10,2.4 et
qui pourrait être en relation avec le nom « Ionien ». Dans la Bible
hébraïque, il est employé en Is 66,19 ; Ez 27,13.19 ; Za 9,13 et Dn 10,20 et
11,2 pour désigner des populations grecques d’Asie mineure ou de Grèce.
Tous ces textes ne sont pas antérieurs à la période perse, ce qui situerait les
passages P en Genèse 10 dans le même contexte 40. Le nom Ionie (KURia-
man) apparaît dans une inscription d’Assarhaddon et peut-être aussi sous
Sennakérib (bien que, dans ce cas, le nom soit restauré) voire encore dans
d’autres textes de la période néo-assyrienne, ce qui suggère la possibilité
d’un terminus a quo antérieur 41. Néanmoins, dans le contexte de la Bible
hébraïque, un terminus a quo au VIe siècle av. J.-C. semble plus plausible.
Le terminus ad quem de tous les principaux textes du Pentateuque
devrait se situer autour de 350-300 av. J.-C., ce qui ne signifie pas que des
révisions ultérieures aient été impossibles, comme le montre la variété des
manuscrits de Qumran et les différences existant entre le texte massorétique
et la Septante dans les notices chronologiques (durées de vie, etc.),
notamment dans la Genèse
La datation par comparaisons externes
Plusieurs textes du Pentateuque sont en relation avec des textes ou des
noms de personnages extrabibliques. Les récits sacerdotaux et non-
sacerdotaux du déluge en sont l’exemple le plus patent. Ils ont de proches
parallèles avec les récits mésopotamiens de déluge et, tout particulièrement,
avec la tablette 11 de la version standard de l’épopée de Gilgamesh
appartenant à la Bibliothèque d’Assourbanipal. Cette version est considérée
comme une copie d’une version plus ancienne. La question est de savoir
quand les scribes judéens acquirent la connaissance de ce récit ou d’un récit
similaire. De tels récits étaient-ils accessibles à l’époque où Israël et Juda
étaient sous domination assyrienne ? Ou serait-il plus plausible de penser
que ces scribes conçurent une version yahwiste du déluge lors de leur exil à
Babylone 42 ?
L’histoire originelle de la naissance d’Ismaël pourrait aussi être datée à
partir de parallèles externes, si l’on accepte de suivre Knauf, selon lequel le
nom d’« Ismaël » reflète une fédération de tribus arabes attestée au
e 43
VII siècle, dans des documents assyriens . Le récit originel de Genèse 16
pourrait donc avoir vu le jour au VIIe siècle, en tant qu’étiologie de ces
tribus et comme une tentative de les relier à Abraham.
Le récit de la naissance de Moïse en Ex 2,1-10 possède un proche
parallèle dans la légende de la naissance de Sargon 44, dont des copies sont
attestées au VIIIe siècle 45. Il est donc plausible que le récit de la naissance de
Moïse ait été écrit au VIIe siècle (sous le roi Josias ?) 46 dans le but de
démontrer que Moïse fut aussi important que le fondateur de la dynastie
assyrienne.
Un autre cas intéressant est la bénédiction sacerdotale en Nb 6,22-26,
qui possède un parallèle extrabiblique dans les amulettes de Ketef Hinnom.
Ces amulettes ont été datées du VIIIe ou du VIIe siècle av. J.-C. 47, une date
utilisée par certains chercheurs pour revendiquer une date préexilique pour
le code sacerdotal, si Nombres 6 fait bien partie d’un « document P » 48. Cet
argument ne tient pas compte de la possibilité que la bénédiction ait été, à
l’origine, une pièce poétique indépendante, qui pourrait avoir été insérée
dans le livre des Nombres. Quoi qu’il en soit, il n’existe plus de consensus
sur la datation des amulettes 49.
La première version du livre du Deutéronome reste l’objet majeur des
efforts de datation à l’aide de comparaisons externes. Il a souvent été
remarqué que le livre reflète le style et l’idéologie des traités de vassalité
néo-assyriens ou plus encore des serments de loyauté. Il est intéressant de
noter que les documents néo-assyriens utilisent le Numeruswechsel (le
changement fréquent entre les deuxièmes personnes du singulier et du
pluriel), qui apparaît souvent dans le Deutéronome. H.-U. Steymans a
poussé ces comparaisons plus loin en affirmant que la plus ancienne édition
du Deutéronome avait un modèle spécifique : le serment de loyauté (adê)
d’Assarhaddon, écrit dans le but de garantir la succession de son fils,
Assourbanipal. Les parallèles entre les exhortations de loyauté et Dt 6,4-9*
ainsi que Dt 13*, de même que les parallèles entre les malédictions du adê
et Dt 28 sont trop proches pour être de pures coïncidences ; la meilleure
solution peut être, en effet, de conclure que l’auteur de Dt 6, 12-18* et 28*
a utilisé le texte néo-assyrien, que l’on peut dater de manière assez précise
en 672 50. Cela confirmerait la tendance de de Wette à situer la première
édition du Deutéronome à l’époque du roi Josias. Certains de mes collègues
allemands et finlandais peuvent considérer cela comme naïf et préférer une
date à la période babylonienne ou même perse pour la première édition du
livre du Deutéronome 51, mais il est difficile de comprendre pourquoi, à une
telle époque, quelqu’un construirait la partie centrale du Deutéronome selon
des normes littéraires néo-assyriennes. Cela ne signifie pas que toutes les
parties du Deutéronome peuvent être expliquées par des parallèles néo-
assyriens, étant donné que le Deutéronome a été à nouveau édité et révisé
au cours du VIe et du Ve siècle av. J.-C., mais les parallèles néo-assyriens
indiquent une date du VIIe siècle pour la partie originelle de ce livre 52.
La datation relative par comparaison
interne
Pour finir, les traditions parallèles à l’intérieur du Pentateuque
permettent, dans certains cas, une datation relative. L’exemple le plus
évident, sur lequel s’accorde la majorité des chercheurs, est la relation entre
le Code d’Alliance en Exode 20-23* et le Code deutéronomique (Dt 12-26).
Si ce dernier avait pour objectif une nouvelle édition du Code d’Alliance,
comme le soutient par exemple B.M. Levinson 53, il serait alors clair que le
Code d’Alliance devrait être antérieur d’au moins quarante
ou cinquante ans à la première édition du Code deutéronomique. Et si Lv 26
dépend de Dt 28, et probablement aussi d’autres textes sacerdotaux, il doit
donc être plus tardif 54. Il en serait de même pour le code appelé Code de
Sainteté (Lévitique 17-26), dont Lévitique 26 est la conclusion 55. Par
conséquent, cette méthode peut fournir d’importants arguments en faveur
d’une chronologie relative des textes du Pentateuque, que l’on peut ensuite
tenter d’ancrer dans une chronologie absolue. Une telle datation reste bien
sûr hypothétique, jusqu’à ce que l’on trouve des documents susceptibles
d’être analysés au radiocarbone.
Conclusion
La date la plus assurée pour l’existence des textes du Pentateuque est la
période perse, parce que ce contexte peut être déduit de données concrètes.
Plus on recule dans le temps, plus la datation devient hypothétique et
compliquée. On doit donc commencer toute analyse d’un texte en se
demandant s’il convient à la période perse, s’il est ou non composite et
quelles sont les possibilités d’identifier des strates plus anciennes. La
première édition du Deutéronome au VIIe siècle av. J.-C. est restée depuis
l’époque de de Wette un bon point de départ, apparemment, pour la datation
de textes plus anciens. En ce qui concerne P, il y a de fortes raisons de
penser qu’une datation de la période perse reste la meilleure option. Mais il
ne faut pas dramatiser les divergences. Même les chercheurs qui
soutiennent une date postexilique pour le document sacerdotal admettent
que les rituels et les prescriptions en Lévitique 1-15 peuvent très bien dater,
au moins partiellement, de l’époque du Premier Temple 56. D’un point de
vue méthodologique toutefois, il est plus sûr d’étudier les textes P de la
Torah en les situant avant tout dans le contexte du Second Temple.
3
Israël Finkelstein
QADESH-BARNÉA
ECIÔN-GUÈVÈR
ÉDOM
EIN HATSEVA
KUNTILLET-AJRUD
Thomas Römer
L’Exode, Yhwh et Moïse
Il ne fait guère de doute que la tradition de l’Exode se trouve au cœur
même de la « mémoire historique » de la Bible hébraïque. Elle introduit par
exemple le Décalogue, où Yhwh se présente comme le dieu qui a fait sortir
Israël d’Égypte :
C’est moi Yhwh ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, d’une
maison de servitude.
( אָנכִי י ְהוָה ֱא הֶי ֲאשֶׁר הוֹצֵאתִ י ֵמאֶרץ ִמצְרי ִם ִמבֵּית ֲעבָדִ יםEx 20,2 = Dt 5,6).
ֹ
ֶ
Il est intéressant de noter que Yhwh apparaît ici comme le seul
protagoniste de l’Exode, sans aucune mention de Moïse. Cela est également
le cas pour d’autres allusions au récit de l’Exode. Ledit « credo historique »,
en Dt 26,5-9, présente lui aussi Yhwh comme l’auteur de l’Exode. De
même, des textes comme Amos 2,10 et les Psaumes présentent, à ce propos,
un intérêt particulier.
À l’inverse des traditions sur les patriarches, la tradition de l’Exode est
au cœur même des « rétrospectives historiques » dans les Psaumes 1. On
peut ainsi observer que Moïse n’est mentionné que dans quelques psaumes
tardifs : Ps 77,21 et 105,26. En Ps 99,6, Moïse et Aaron apparaissent en tant
que prêtres ; en Ps 103,7, Moïse est le médiateur de la volonté de Yhwh et
en 106,16 et 23, il est mentionné dans le contexte de la révolte du peuple
dans le désert (au verset 16, avec Aaron). Les autres psaumes qui évoquent
l’Exode ne mentionnent pas Moïse, même ceux qui font allusion aux plaies,
comme Ps 78,43-51 ; 111,4 (?) ; 135,8-9 (notamment la destruction des
premiers-nés d’Égypte), et 136,10 (similaire à 135,8-9) ainsi qu’aux
miracles de la mer des Joncs (notamment l’annihilation de l’armée
d’Égypte : Ps 76,7 ; 78,13 ; et 136,15 ; le recul de la mer : Ps 114,3-6 ; le
partage de la mer : Ps 77,20 ; 78,12 ; 136,13-14). Moïse est également
absent des allusions générales à l’Exode que l’on trouve en Ps 80,9-10. Le
Psaume 135 lie la tradition de l’Exode à la conquête du territoire
transjordanien sans mentionner Moïse ou la conquête de Canaan. Dans
l’allégorie du Psaume 80, l’Exode est lié à l’implantation d’Israël sur la
terre (de même qu’à la perte de cette terre) ; de manière semblable, Ps
111,4-6 associe les miracles de Yhwh en Égypte à l’évocation de l’alliance
« éternelle » (avec les Patriarches ? au Sinaï ?) et la conquête de la terre.
Les très rares mentions de Moïse dans les allusions à l’Exode sont
confirmées par ses apparitions très sporadiques en dehors de l’Histoire
deutéronomiste (ainsi que dans les livres des Chroniques et d’Esdras-
Néhémie) : seuls Is 63,11-12 et Mi 6,4 le mentionnent en relation avec
l’Exode (les autres rares mentions en Jr 15,1 ; Ml 3,22 et Dn 9,11.13 sont
liées à la loi ou à sa fonction d’intercesseur). Cette observation semble
indiquer qu’il existait peut-être une tradition de l’Exode sans Moïse.
Le récit de 1 Rois 12 pourrait également soutenir cette idée. Selon cet
épisode, Jéroboam Ier construisit deux temples, à Béthel et Dan, où il fit
placer des statues de taureaux : « Après avoir délibéré, il fit deux veaux d’or
et dit au peuple : « Cela fait suffisamment de temps que vous êtes montés à
Jérusalem. Israël, voici tes dieux qui t’ont fait monter du pays d’Égypte. » Il
installa l’un à Béthel et il mit l’autre à Dan. » (1 R 12,28-29) :
ִהנֵּה ֱא הֶי יִשְׂראֵל ֲאשֶׁר ֶהעֱלוּ ֵמאֶרץ ִמצְרי ִם
Le pluriel, qui apparaît également dans l’épisode du veau d’or en Ex
32,4, interpelle. Même si le texte mentionne deux sanctuaires, il est clair
que les taureaux ou les veaux ne représentent pas différentes divinités, mais
le dieu national. Faut-il comprendre ce pluriel comme une allusion au dieu
national et à sa parèdre Ashéra, comme l’a suggéré E. A. Knauf 2 ? Pourtant,
on ne trouve pas ailleurs d’indications claires associant Ashéra à l’Exode ;
cette thèse reste donc très spéculative. À moins que ce pluriel ne fasse
allusion à Yhwh dans ses diverses manifestations : le Yhwh de Béthel et le
Yhwh de Dan ? La solution la plus simple serait de considérer ce pluriel
comme polémique, comme une transformation d’une formule cultuelle
originelle. Une comparaison de 1 R 12,8 avec le début du Décalogue
montre que les deux formules sont très similaires. S’il y avait un singulier
originel en 1 R 12,28, la similarité serait encore plus importante.
Les rédacteurs de 1 R 12,28 qui opéraient dans le royaume de Juda
voulaient apparemment convaincre leur auditoire que le culte nordiste à
Béthel et Dan (et ailleurs) était un culte « polythéiste ».
La mention de Dan en 1 Rois 12 intrigue également. Selon Eran Arie,
ce n’est qu’au VIIIe siècle que Dan fut intégré au territoire d’Israël 3. Dans ce
cas, il est possible que 1 Rois 12 soit une rétroprojection datant de l’époque
de Jéroboam II. On pourrait même se demander si la figure de Jéroboam Ier,
dans son intégralité, ne serait pas une création fondée sur la figure du roi
Jéroboam II au VIIIe siècle. Une telle spéculation, toutefois, dépasse le cadre
de cet article.
Pour en revenir à Yhwh et à l’Exode, il apparaît clairement que, au
moins à partir du VIIIe siècle, Yhwh était vénéré en Israël (mais
probablement pas encore en Juda) en tant que divinité ayant fait sortir son
peuple d’Égypte. Cependant, dans les textes bibliques qui peuvent être
datés avec certitude de l’époque monarchique, il n’est fait aucune mention
de Moïse ; nous laisserons pour l’instant de côté les textes du Pentateuque,
dont la datation est particulièrement complexe.
La construction de l’Exode comme « véritable » mémoire nationale peut
être observée au chapitre 12 du livre d’Osée. Il est possible que ce chapitre
révèle, si ce n’est la voix du prophète lui-même, du moins la situation du
royaume du Nord dans la deuxième moitié du VIIIe siècle, bien que des dates
bien plus tardives aient aussi été suggérées 4. Comme l’a montré A. de Pury,
ce texte oppose les traditions de Jacob à celles de l’Exode 5. Dans ce texte,
Jacob est décrit de manière très négative : il a supplanté son frère et est
devenu un « Cananéen », un marchand aux balances trompeuses qui aime
opprimer (Os 12,4.8). Même son combat avec Dieu est, contrairement à
Gn 32, rapporté de façon différente et négative (12,4-5). Dès le début de ce
poème, il devient évident que « Jacob » sera jugé par Yhwh (12,3). Alors
que Jacob est mis en relation avec une divinité nommée « Elohim » ou
« El » 6, Yhwh se présente comme le Dieu du pays d’Égypte : (Os 12,10)
ִמצְרי ִםø ֵמאֶרץø ֱא הֶיøøי ְהוָהøוְאָנכִי
Encore une fois cette déclaration rappelle le Décalogue, bien que
l’expression « qui t’ai fait sortir » soit absente ; Yhwh est décrit comme une
divinité dont l’origine est liée à l’Égypte. En 12,13-14, la fuite de Jacob en
Aram et sa « servitude » en échange d’une femme sont opposées au
prophète de Yhwh qui mène Israël hors d’Égypte et le protège :
שׁמָר
ָ øוּ ְב ִאשָּׁהø ְבּ ִאשָּׁהøיִשְׂראֵלø ַויַּעֲב ֹדøאֲרםøשְׂדהøיַעֲקבøַויִּבְרח
שׁמָר ְ ִיִשְׂראֵל ִמ ִמּצְרי ִם וּ ְבנָבִיא נ-וּ ְבנָבִיא ֶה ֱעלָה י ְהוָה אֶת
Exode 3 Jérémie 1
v. 3 øיִצְחקø-ø אלøאַבְרהםø-øאֶלøøָואֵרא
יַעֲקבø-øואֶל
Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à
Jacob
v. 6 ֲאנִי י ְהוָה
C’est moi Yhwh
ֲאנִי י ְהוָה
C’est moi Yhwh
v. 8 ֲאשֶׁרøָאָרץ
ֶ ה-אֶלøאֶתְ כֶםøְו ֵהבֵאתִ י
Je vous ferai entrer dans le pays que
ֲאנִי י ְהוָה
C’est moi Yhwh