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AV I S Bulletin anarchiste

pour la guerre sociale


DE TEMPETES # 42 – 15 juin 2021

| Politique des
grands nombres |
D epuis ses débuts, la gestion de l’épidé-
mie de covid-19 par le pouvoir a été lo-
giquement marquée sous nos latitudes par
dans une logique gestionnaire, où le calcul
productif prend vite la place de la vie et de
ses excès dispersifs. Pour briser le schéma
une prédominance des impératifs écono- même qui préside à toute réduction statis-
miques et d’une préservation de l’ordre so- tique de la complexité humaine, faire exister
cial, ce que même la raison médicale d’État de l’unicité au-delà des moyennes et recréer
tant invoquée ne parvient aujourd’hui plus de la diversité en défaisant les agrégats de
à masquer. données, il n’y a pas trente-six solutions.
Mais ce qui frappe aussi, est que les formes C’est le terrain même où chaque individu
infinies d’auto-organisation qui auraient pu est sommé de s’incliner face à un intérêt su-
surgir des singularités individuelles pour périeur collectif qu’il s’agit de refuser. C’est
faire face au virus et continuer d’agir malgré son propre rapport sensible à la vie, à la
lui, aient été d’emblée comme paralysées mort, à la maladie, aux risques à prendre, à
par des sables mouvants de recommanda- l’entr’aide, aux étoiles à cueillir, qu’il s’agit
tions contradictoires et de chiffres assom- de défendre face à l’exigence sociale de le
mants : taux de mortalité et de létalité, taux sacrifier sur l’autel de la quantité. Que cette
de positivité, taux d’incidence, taux de pas- dernière se nomme patrie, économie, bien
sage aux urgences et d’occupation en réa- commun... ou même immunité collective.
nimation, taux d’anticorps persistants, taux Si la méthode médicale d’appréhension
de réinfection... et ainsi de suite. Cela met à statistique est certes constitutive du rap-
nouveau en évidence qu’en se plaçant sur le port contemporain aux épidémies, comme
terrain de la politique des grands nombres le montre le vieux débat entre contagion-
plutôt qu’en partant de soi –avec ses doutes nistes et infectionnistes lors de celle de cho-
comme avec ses désirs enflammés–, la ré- léra en 1832 (les uns prônant que la maladie
flexion finit généralement par s’embourber se transmet par le contact avec les malades,
1|
MAI 2021 les autres par l’insalubrité du milieu, à partir des mêmes
statistiques parisiennes) ou encore la première modélisa-
Début mai, Paris (France). tion mathématique à partir de l’épidémie de peste en Inde
Un.e rat.e cracheur.euse de feu (1927), ce rapport autoritaire qui encage les singularités a
fait savoir le 23 mai qu’il a pourtant des racines bien plus lointaines encore. On pour-
incendié une voiture électrique
rait peut-être même le faire remonter aux origines de l’écri-
d’Enedis au début du mois,
précisant notamment que ture en Basse Mésopotamie, où cette invention ne fut pas
« des zones entières et leurs conçue comme un moyen de représenter le langage, mais di-
habitant.es sont ravagées et rectement à de basses fins de comptabilité administrative et
des populations exploitées commerciale, liant intrinsèquement les premiers nombres
pour trouver l’uranium des gravés sur tablettes à l’émergence de la domination étatique
centrales nucléaires et les terres (avec ses besoins de recenser, taxer, mesurer, classifier, uni-
et métaux rares des panneaux formiser, gérer et escompter). A tel point qu’on pourrait
solaires photovoltaïques ». même se demander si ce n’est pas avec la notion même de
calcul et la volonté de quantifier le monde qu’a commencé le
Début mai, Paris/Pantin
(France). processus de domestication de nos sens.
Des inconnus annoncent le
17 mai avoir rendu visite à Aujourd’hui, il n’étonnera plus personne qu’en matière
deux collaborateurs de la médicale comme dans beaucoup d’autres, cette politique
construction de nouvelles statistique des grands nombres soit devenue maître dans
prisons au début du mois : l’administration de nos vies par les puissants, comme l’a
Gaudin Architecture à Paris, encore révélée l’épidémie de covid-19. Concernant les au-
dont les câbles en fibre torisations publiques de vaccins (et de médicaments), le
optique ont été sectionnés
critère se nomme ainsi tranquillement ratio bénéfice/risque,
et les tags « Gaudin dessine
des prisons et des comicos », en basant les études sur de petits échantillons estimés re-
« Feu aux prisons, liberté pour présentatifs, à partir desquels seront ensuite projetées des
tou-te-s » laissés sur place. Et extrapolations sur l’ensemble de nos congénères, réduisant
Bérim à Pantin (SEine-Saint- le vivant à une collection de machineries plus ou moins
Denis), dont la façade a été standardisées et fonctionnelles. Quitte bien sûr à transfor-
taguée et le digicode défoncé mer la population mondiale en cobayes d’un laboratoire
à coup de marteau. expérimental géant avec des mixtures à base de chimères
génétiques, dont l’un des miracles scientifiques actuels est
15/5, Thessalonique (Grèce).
de n’empêcher les vaccinés ni d’être contaminés, ni d’être
Full Face Queer – Anarcho
Maria B revendique l’attaque contagieux, mais seulement de développer les formes
incendiaire contre l’Institut graves de la maladie.
Goethe de l’État allemand, en Dans la même logique, afin d’effectuer leur tri en matière
réponse à l’appel à actions de soins vitaux, lourds, onéreux, d’urgence ou de crise, entre
décentralisées contre la qui peut éventuellement survivre et qui n’en vaut de toute
menace d’expulsion du façon plus la peine, les statisticiens en blouse blanche attri-
Rigaer94 à Berlin. « Une buent par exemple quotidiennement des scores personnels
seule décision, tous ensemble, aux patients. Ces derniers ne sont bien entendu pas liés à la
aujourd’hui et toujours, jusqu’à
complexité de tout individu, sur laquelle l’usine inhospita-
danser sur le cadavre de la
civilisation patriarcale. » lière ne prend de toute façon pas le soin de s’attarder, mais
sur les probabilités moyennes de survie potentielle au mo-
15/5, Grèce. ment de ce tri décisif : il y a ainsi le score de fragilité (de 1 à 9,
Les Cellules d’Action Directe avec les derniers échelons attribués selon « l’espérance sta-
revendiquent vingt attaques tistique de vie à 6 mois »), le score OMS (de 1 à 4, par exemple
incendiaires contre des cibles basé sur le fait qu’on reste alité « plus ou moins de 50% de
policières et étatiques à la journée ») et le score GIR (de 1 à 6, déterminant le niveau
|2
de dépendance, lié au fait qu’un individu puisse effectuer un Athènes et à Thessalonique.
certain nombre de tâches « spontanément, totalement, cor- Leurs actions se sont
rectement ou habituellement »). C’est cette combinaison de déroulées ces derniers mois
scores, aussi performative qu’arbitrairement normative, qui et une bonne partie avaient
détermine officiellement qui peut vivre ou mourir, ici entre déjà été revendiquées,
un patient atteint du Covid et une personne victime d’un acci- mais la revendication
contient une proposition
dent de la route ou d’un infarctus, et là entre deux malades du
de créer un « réseau de
Covid. Un tri nommé pudiquement sélection ou priorisation, violence révolutionnaire » afin
et dont il vaut mieux connaître d’avance les grilles d’évalua- d’amplifier l’expérience des
tion en cas de souci. Cellules d’Action Directe.
Bien sûr, il est possible de faire remarquer que ces outils de
gestion à prétention scientifique et objective, sont avant tout Les cibles attaquées à
le reflet d’un monde qui a chassé la qualité et l’individu au Athènes : la Fondation pour
bénéfice de l’efficacité et de la masse, après avoir dépossédé la recherche économique
chacun de toute autonomie, au sein d’un environnement tou- et industrielle (IOBE), le
3ème centre des impôts,
jours plus dégradé qui appelle à son tour une multiplication
la résidence de Stratos
de situations de crises ou d’urgences. Et que lorsque plane la Mavroeidakos (coordinateur
peur et la mort, il est certainement plus rassurant pour beau- des projets gouvernementaux
coup de se retrancher derrière le connu de la froide rationa- de Nea Demokratia), un
lité d’État que d’affronter l’inconnu expérimental d’individus véhicule de police, le domicile
librement associés pour y face. A quoi on pourrait rétorquer du lieutenant-général
avec un petit sourire, que lorsqu’on a aucune prétention ni de la police grecque à la
volonté de gérer la merde existante à un niveau aussi global retraite, Christos Kontaridis,
que celui d’une société, y compris de façon alternative, on le domicile du général de
brigade de la police grecque,
peut par contre s’auto-organiser pour tenter d’y mettre fin.
Michalis Ladomenou,
le domicile de Giannis
* * * Katsiamakas (président de
la Fédération panhellénique

A présent, ce rapport autoritaire du quantitatif ne concerne


pas uniquement la gestion clinique immédiate de la si-
tuation instable en cours –qui passe aussi par la priorité ab-
des fonctionnaires d’Athènes
(POAXIA) et lieutenant-
général de la police grecque
solue donnée au covid-19 sur d’autres maladies graves avec à la retraite, le domicile et la
de lourdes conséquences reportées dans le temps–, mais voiture de Katerina Magga,
dirigeante de la police de
comporte également une autre dimension dont on entre-
Patissia.
voit à peine les prémisses : l’adaptation rapide de l’appareil Les cibles attaquées à
étatique à une épidémie qui n’est pas prête de s’arrêter, en Thessalonique : les bureaux de
créant un nouveau type d’ordre sanitaire et productif marqué l’Union hellénique-américaine,
depuis un peu plus d’un an par une accélération de l’artificia- un véhicule du ministère du
lisation technologique de nos vies. Travail, des résidences de
En laissant de côté la Chine qui fait trop facilement figure militaires, en face du siège
d’épouvantail commode, la très démocratique Corée du Sud de l’OTAN, le portail du
a par exemple établi dès mars 2020 un contact tracing total ministère de la Macédoine-
Thrace, le domicile du policier
de la population en exploitant lors de vastes enquêtes sani-
Hatzi Ilias, la maison du
taires, des données comme les relevés bancaires, les factures président du Syndicat des
téléphoniques détaillées, l’historique de géolocalisation, les policiers de Thessalonique,
images de vidéosurveillance publique ou les informations Dimitrios Padiotis, le domicile
transmises par les administrations et les employeurs. Des du magistrat à la retraite,
informations collectées puis intégrées au sein d’un registre ancien président de la Cour
national et librement accessible, indiquant la nationalité des d’appel, Antonios Tsalaportas,
3|
le domicile de la politicienne personnes, leur âge, leur sexe, le lieu de leur visite médi-
de Nea Demokratia Aphrodite cale, la date de leur contamination, et des informations
Latinopoulou, un véhicule du plus précises telles que leurs horaires de travail, le respect
corps diplomatique, la maison du port du masque dans le métro, les stations empruntées,
de la famille, de droite, du les bars et autres salons de massage fréquentés. Soit un
lieutenant-colonel Georgios bien bel exemple de couplage d’algorithmes informatiques
Paskonis, le domicile de la
pour alimenter la construction d’un modèle épidémiolo-
famille Nakos, de droite, le
domicile de la famille Kosmidis,
gique et permettre une gestion optimale par les autori-
de droite. tés, le tout complété par des quarantaines individuelles
obligatoires, mises en œuvre via une application de géo-
17/5, Rotterdam (Pays-Bas). localisation sonnant et alertant directement les forces de
Deux personnes aspergent l’ordre si les individus concernés se déplacent, ou si leur
seize véhicules de matons smartphone est éteint pendant plus de 15 minutes, afin
d’un liquide inflammable sur de former une « clôture électronique » autour des pestifé-
le parking de la prison de De rés, avec en sus des coups de fil policiers aléatoires et une
Schie, avant d’y mettre le feu.
signalisation au voisinage par SMS de la présence d’une
Malheureusement, seuls deux
d’entre eux prennent feu.
personne contagieuse.
Pour caricatural que soit cet exemple bien réel, ce n’est
21/5, Munich (Allemagne). En peut-être pas un hasard si un rapport sénatorial sorti dé-
Bavière, sabotage incendiaire but juin dans l’hexagone afin d’ébaucher quelques pros-
d’une cinquantaine de câbles pectives en vue de futures épidémies (ou de « catastrophe
de moyenne tension et de naturelle ou industrielle, et d’attaque terroriste ») néces-
fibre optique à l’est de la ville. sitant des réclusions de masse, vient également d’avan-
Plus de 150 petits postes de cer quelques propositions en ce sens. A l’heure de la
transformations tombent
connexion permanente, quand tout un chacun se promène
en panne, impactant 20 000
clients dans les quartiers de
déjà volontairement avec un mouchard électronique en
Haidhausen, Ramersdorf et poche, s’habitue peu à peu au télétravail, à la téléméde-
Berg am Laim. « Le principal cine et à l’enseignement à distance, quoi de mieux en effet
objectif de cette action était pour ce rêve totalitaire de tout démocrate numérique, que
la société d’armement Rohde de pouvoir enfin désactiver à distance les pass de trans-
& Schwarz située près de la port, transformer les smartphones en bracelets électro-
gare de l’Est, à qui nous avons niques (avec selfies aux forces de l’ordre pour prouver sa
heureusement pu couper le jus présence) ou délivrer/retirer des laisser-passer différen-
pour au moins 24 heures. […]
ciés en tout genre sous forme de QR codes grâce à un Crisis
Pas de paix avec l’industrie
d’armement. Pas de calme pour
Data Hub centralisé ?
les tueurs de climat.» Pour qui a par exemple commencé à se travestir en
voyant patrouiller des drones policiers pendant le Grand
22/5, Kochersberg (France). Confinement ; pour qui s’est figé en voyant s’ajouter aux
Au nord-ouest de Strasbourg, intrusives caméras de vidéosurveillance de nouveaux dis-
plusieurs câbles de fibre positifs de contrôle des corps dans l’espace public comme
optique sont volontairement les détecteurs thermiques, les attestations de déplacement
coupés dans la nuit à plusieurs et autres certificats de vaccination ; pour qui a conclu plus
endroits. Le sabotage concerne
souvent qu’à son tour que mieux valait être seuls et sau-
non seulement des armoires
de rue, mais également des
vages qu’accompagnés de filets algorithmiques... il est cer-
chambres de tirage situées sous tainement grand temps de lever les yeux vers ces grands
les trottoirs. Malgré le renfort câbles de cuivre tendus dans le ciel ou de se pencher vers
d’équipes de secours venues toutes ces rigoles où les chaînes du vingt-et-unième siècle
de tout le Grand Est, internet filent sous nos pieds à la vitesse de la lumière.
restera indisponible pendant

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| Dans l’ombre | plus de quatre jours pour des
milliers d’habitants du coin, et
notamment pour des élèves
enfin libérés de l’école, alors en
Activités clandestines d’anarchistes espagnols distanciel.
exilés à Lyon (1945-1955)
23/5, Saint-Denis (France).
En Seine-Saint-Denis, deux jours
après avoir inauguré le nouveau

L undi 18 janvier 1951. Il est 18h56. Le soleil s’est déjà


couché, et le gel s’empare impitoyablement des rues
de Lyon. Comme chaque soir, un fourgon postal blindé
Centre de supervision urbaine
(CSU) gérant les 93 caméras
de vidéosurveillance de la ville,
doté d’une escorte policière se présente devant le bureau l’adjointe au maire en charge de
des PTT sis 99, rue Duguesclin dans le sixième arrondis- la sécurité et de la tranquillité
sement. L’escorte, composée de deux agents du poste de publique retrouve le pare-brise
police de la Place Antonin-Poncet, présents aux côtés de sa voiture entièrement
enfoncé par un beau jet de pavé
du chauffeur, a pour charge de protéger l’opération qui
nocturne.
consiste à récupérer la recette de la journée remise par
un commis à travers une porte de triage. 23/5, Nochten (Allemagne).
En Saxe, une bande
L’agent Morin se poste entre cette porte et l’accès arrière transporteuse de la mine de
du fourgon, muni d’un pistolet-mitrailleur Mas 38. Alors charbon gérée par le géant de
que le commis est sur le point de se présenter avec un l’énergie LEAG est mise hors
sac renfermant près de six millions de francs, deux indi- d’usage. La revendication, qui
vidus coiffés de feutres sombres et armés de pistolets-mi- détaille la façon de procéder
pour saboter les bandes à l’aide
trailleurs surgissent d’une allée. Ils ordonnent à l’agent
de coupe-boulons, précise avoir
Morin de lâcher son arme, mais l’agent n’obtempère pas.
voulu « mettre un bâton dans les
Les braqueurs n’hésitent pas, l’un d’entre-eux ouvre le roues du capitalisme-extractiviste-
feu et le flic s’écroule par terre. Dans l’habitacle du four- de merde. […] Nous avons
gon, le chauffeur déclenche l’alarme. Une sirène perçante trouvé la liberté et la puissance
retentit, puis l’agent ouvre le feu. Une balle se loge dans dans l’attaque de cette nuit et
la jambe d’un braqueur, tandis que son complice riposte appelons tou-te-s les anarchistes,
avec longue rafale : quatorze impacts criblent le pare- autonomes et insurgé-e-s à être
brise. L’agent de police Arnaud est tué net ; le chauffeur dangereux-ses envers tout ce qui
fait la guerre à nos corps, à la terre
est grièvement blessé, mais il parvient à enclencher le
et à notre propre vie. »
verrouillage des portes du fourgon.
25/5, Berlin (Allemagne)
Le braqueur avance vers l’agent Morin à terre et lui ôte Le groupe Volcan incendie, à
son pistolet-mitrailleur. Même en le voulant encore mal- environ 250 mètres du site de
gré la réaction virulente des flics, il n’y a plus rien à faire la future usine Tesla de Berlin/
face au verrouillage du fourgon : la recette journalière Grünheide six câbles électriques
est insaisissable. Après s’être couverts par une dernière à haute tension (110 000
rafale en direction du tambour de l’entrée réservée à l’ac- volts) de la compagnie Edis
qui alimentaient le chantier de
cueil du public, blessant plusieurs clients, les braqueurs
la future usine. « Mettre fin à
se retirent par la rue de Sèze. Un témoin les voit monter
l’idéologie du progrès technologique
dans une Citroën traction avant, modèle 15 CV, au volant illimité et à la destruction mondiale
duquel se trouve un troisième complice. Ils partent à de la planète ne se fera pas
toute allure, mais le témoin réussit tout de même à rele- seulement avec de belles paroles.
ver le numéro d’immatriculation. A l’avancée de cette destruction –
nous opposons le sabotage. »
5|
D’importants barrages de police et de gendarmerie sont
25/5, Hambourg (Allemagne). immédiatement dressés sur tous les grands axes de l’ag-
Les agences Pôle Emploi de glomération lyonnaise, mais les braqueurs restent in-
Mümmelmannsberg et Eimsbüttel trouvables. Si l’agent Arnaud a été tué net, le deuxième
sont attaquées avec des pierres, serviteur de l’ordre, Morin, mourra à l’hôpital seize jours
de la peinture et des marteaux. plus tard. Malgré les importants moyens mobilisés par la
« On peut aller au boulot dans des
Sûreté et la Police Judiciaire, l’enquête stagne pendant
trains de banlieue bondés le matin,
mais il est interdit de boire une bière
des jours. Une semaine plus tard, le 25 janvier 1951, la
dans le parc le soir. Quelques vitres Citroën est finalement retrouvée dans le canal de Jonage,
brisées n’y changeront naturellement à la hauteur du pont de Croix-Luzet à Villeurbanne. Le
rien. Mais il pourrait y en avoir plus lendemain, un client blessé lors du hold-up, Auguste Jard,
! Et la rage latente pourrait bien décède à l’hôpital des suites de ses blessures.
chercher sa juste cible … Pour cela
nous sortons la nuit, sans trêve ». Le 28 janvier, la police judiciaire décide d’organiser
des rafles dans les milieux délinquants de Villeurbanne
28/5, Erfurt (Allemagne).
et Vaulx-en-Velin. Soumis à des traitements brutaux,
En Thuringe, le Commando Paul
Schäfer revendique l’attaque
quelques langues se délient et suggèrent que le coup
contre le néonazi Julian Nico raté pourrait bien venir du côté des milieux anarchistes
Moritz Franz, 25 ans, qui avait espagnols, dont le nombre et la présence sont assez si-
notamment participé à une gnificatifs à Lyon. Dès l’entre-deux-guerre, de nombreux
descente néonazie dans le quartier Espagnols immigrèrent dans la région lyonnaise où l’in-
plutôt antifasciste de Connewitz dustrie était en demande de main d’œuvre, et des noyaux
à Leipzig. Le groupe a brisé la anarchistes se formèrent alors parmi eux. Lors de révo-
porte avec un bélier, puis ligoté le lution de 1936, nombre de ces Espagnols rentrèrent en-
néonazi ainsi que sa copine. Il l’a
suite dans la péninsule pour se battre dans les milices
ensuite roué de coups et a brisé
sa jambe avant de quitter les
anarchistes, un combat qu’ils poursuivirent à partir de
lieux. « Si vous venez chez nous, on 1939 sur le sol français contre l’occupation nazie. Après
viendra chez vous. » Les médias la Deuxième Guerre mondiale, la communauté libertaire
feront le parallèle avec une action espagnole resta très active dans la région lyonnaise,
qui s’est déroulée mi-mars à surtout à Villeurbanne, mais aussi à Vénissieux, Oullins,
Ellenburg (lSaxe), où un groupe Saint-Priest et Givors. Plus loin encore, il y avait aussi
déguisé en policiers avait sonné à d’importants noyaux à Grenoble, Saint-Etienne, Roanne
la porte d’un fonctionnaire du parti et Villefranche-sur-Saône. A Villeurbanne, les anarchistes
néonazi NPD, Paul Rzehacze, 30
espagnols avaient ainsi un local, La Baraque, situé cours
ans, avant de rentrer chez lui et de
lui briser les jambes.
Zola, où furent organisées discussions, réunions, activi-
tés culturelles et excursions. Un nombre conséquent de
28/5, Berlin (Allemagne) compagnons de ces noyaux rhône-alpins s’engagèrent à
Le véhicule privé du nazi Sebastian la fois dans la guérilla en Espagne et dans les activités de
Thom, soupçonné de participation soutien à ce combat.1
à plusieurs attaques incendiaires
contre des voitures d’antifascistes Au soir du 29 janvier 1951, un premier suspect est arrê-
et de gauchistes dans le quartier té dans l’enquête sur le hold-up de la rue Duguesclin. Il
de Neukölln, est incendié pendant
s’agit de Juan Sánchez dit El Pelao, un anarchiste qui s’est
la nuit.
non seulement battu lors de la guerre d’Espagne, mais
28/5, Kloster Veßra (Allemagne). a aussi participé à la résistance au sein des FFL (Forces
En Thuringe, un lieu de rencontre Françaises Libres).2 La police est sur les dents. Il lui faut
néo-nazi, l’auberge Goldener Löwe, des aveux coûte que coûte. Juan Sánchez est passé à tabac,
est pris pour cible. Le feu aurait puis torturé. Il finit par céder et lâcher des noms. Dans

|6
la nuit du 31 janvier au 1er février, trois autres anar- été mis à partir de la cave. C’est
chistes sont arrêtés. Il y a d’abord Francisco Bailó Mata3, le troisième lieu de la sorte qui
un anarchiste espagnol qui s’est exilé en France après crame dans la région en à peine
la victoire de Franco, où il a rejoint la Résistance puis quelques semaines.
passé plus de quatre ans dans le camp de concentration
de Mauthausen (Autriche) après son arrestation par la 30/5, Charleville-Mézières
(France).
Gestapo. Quelques heures plus tard, la police lyonnaise
Dans les Ardennes, quatre
met aussi la main sur deux autres compagnons : Anto- des sept caméras de
nio Guardia-Socada4 et Juan Català-Balaña5 (blessé à la vidéosurveillance du quartier de
cuisse lors du braquage). Enfin, un cinquième suspect Manchester, et deux des neuf de
reste activement recherché, le jeune frère de Francisco : celui de la Ronde Couture sont
José Bailó Mata. Son corps sans vie sera découvert le 5 respectivement abattues à la
février dans un jardin de Vénissieux et sa mort présen- disqueuse au cours du week-end.
tée par la police comme « un suicide », tout en interdi-
sant à la famille de venir reconnaître le corps. Selon les 31/5, Berlin (Allemagne).
Un véhicule de l’entreprise
flics, il présentait une blessure par balle à la tête, tandis
de construction Strabag est
que selon des sources journalistiques, le corps présen- incendié.  « Chaque nouveau
tait à l’inverse une blessure par balle dans le dos…6 mètre d’autoroute signifie la
destruction du climat, coulé dans
* le béton. Attaquer l’IAA [salon
* * * international de l’automobile] à
Munich/Salutations à toutes les

L es jours suivants, le pouvoir lance d’immenses rafles occupations de forêts/ Le


conduisant à l’arrestation de centaines d’anarchistes Rigaer94 restera ! »
– français et espagnols – à travers tout le pays, inter-
JUIN 2021
rogés puis relâchés au bout de quelques jours. Le dé-
ploiement policier fut énorme : des postes de contrôle 3/6, Berlin (Allemagne).
et de barrages furent par exemple installés pour « cade- Dans le quartier de Kreuzberg,
nasser » la ville de Lyon, de nombreux domiciles furent deux véhicules de la société
perquisitionnés et les interrogatoires furent particuliè- immobilière Degewo sont
rement brutaux. Plusieurs anarchistes dénoncèrent des incendiés.
tortures. Parmi les centaines d’arrêtés, une vingtaine fut
incarcérée plusieurs mois afin de marquer la volonté de 5/6, Brême (Allemagne).
Dans le quartier de Neustadt,
« nettoyer » le milieu des exilés espagnols. Si une cer-
des containeurs à ordures
taine « tolérance » avait pu en effet pu faciliter jusque sont incendiés et les vitres de
là l’organisation de la lutte clandestine et les actions de deux agences immobilières
guérilla depuis la France vers l’Espagne, les renseigne- brisées. Pour couvrir leur
ments français n’avaient cependant jamais cessé d’in- fuite, les assaillants allument
former ni leurs collègues franquistes, ni d’alerter les au- une barricade dans la rue.
torités hexagonales sur le danger potentiel et réel que Revendiquée par des Groupes
représentaient les franges les plus activistes, aguerries Autonomes et Anarchistes contre
par plus d’une décennie de luttes en armes. les expulsions : « Pour une vie et
un habitat autodéterminés et auto-
Deux ans plus tôt, fin 1949, année riche en actions des
organisés partout ! »
groupes de guérilla anarchiste, mais malheureusement
aussi de morts et d’arrestations, les pontes du Mouve- 6/6, Brême (Allemagne).
ment Libertaire en Exil (MLE) avaient de leur côté éga- Vers 2h40, des engins
lement redoublé leurs manœuvres depuis Toulouse afin incendiaires sont lancés
de freiner et de paralyser la continuation de la lutte, de l’arrière de l’enceinte du

7|
commissariat sur plusieurs tout en conservant une rhétorique combative. Le secré-
véhicules anti-émeute. Trois taire-général de la CNT, José Peirats, qui fut arrêté dans
fourgons et un bus sont réduits la foulée de l’affaire de Lyon et torturé pendant deux
en cendres et quatre voitures de jours, n’eut ainsi aucune honte à préciser quelques dé-
patrouille endommagées. « Trois cennies plus tard, comment lui et de nombreux autres
mois après le meurtre, par la police, cadres toulousains considéraient la lutte clandestine de
de Qosay K., nous avons mis le
ces années-là : « Il ne s’agissait pas d’irriter le régime par
feu sur le parking de la police anti-
émeute. Le sabotage est une attaque
des attaques violentes inopportunes. L’action violente me-
digne contre un ennemi beaucoup née à l’intérieur par des individus et des groupes, plus ou
plus fort. » moins suicidaires, venus de l’exil, était, même à l’intérieur,
mal appréciée quand elle n’était pas condamnée à cause
10/6, Montreuil (France). des réactions sauvages qu’elle provoquait chez la police.
En Seine-Saint-Denis, le bureau de Cette action violente incontrôlée était menée par des indi-
la paysagiste Laurence Jouhaud, vidus qui n’étaient pas capables de faire autre chose et qui
qui s’est notamment occupée demain seraient sûrement un poids pour le syndicalisme
de reverdir la taule de Fleury-
réimplanté. »7
Mérogis, reçoit une visite nocturne
: plombs arrachés, interphone volé
Et ce qui valait pour les activités armées en Espagne,
et digicode fondu au chalumeau. l’était avec encore plus de force pour les activités sub-
Les tags « Crève la taule (A) » et versives et armées en France, terre d’accueil de l’exil
« laurence jouhaud paysagiste de confédéral. Le Mouvement Libertaire en Exil ne pou-
prisons » sont laissés sur place. vait en aucune façon être associé à de quelconques il-
légalismes, voire des actions, sur le sol français : ce fut
12/6, Grand Est (France). quelque part le credo immuable suivi pendant des dé-
En Meurthe-et-Moselle et en cennies par tous les dirigeants du MLE, au-delà de leurs
Meuse au cours de la même
variations rhétoriques.
nuit, et alors que venait de
se dérouler un procès pour
«association de malfaiteurs» Face à cette opération répressive d’une ampleur inouïe,
contre des opposants au projet qui précéda de peu la normalisation des relations di-
de centre d’enfouissement de plomatiques entre la République française et l’Espagne
déchets radioactifs, trois acteurs franquiste en février 1951, le Mouvement Libertaire
et infrastructures de cette en Exil fut donc pris de panique et se hâta de prendre
future poubelle nucléaire ont été ses distances avec les braqueurs arrêtés, en les présen-
attaqués : tant comme des « gens extérieurs à l’organisation » qui
A Nancy, une bonne dizaine de
avaient agi « pour leur propre compte », dénonçant au
vitres du bâtiment qui héberge la
chambre de l’agriculture, la SAFER
passage ces « anciens camarades qui étaient tombés dans
et des bureaux de l’assureur le gangstérisme  », tout en faisant fi d’oublier que ces
Groupama, partie civile au procès, expropriations alimentaient les caisses de résistance
sont parties en éclats, tandis qu’un du MLE plutôt que les comptes privés de ces quelques
tag disait sur la façade : « Nik le « anciens camarades ». Les organisations libertaires ne
Nuk ». firent même pas le minimum en dénonçant par exemple
A Bar-le-Duc, les vitres des locaux le fait que le jeune José Bailó Mata avait été « suicidé
de la SAFER ont été visées et un », et profitèrent même de l’occasion pour expulser des
tag inscrit : « Bure zone libre ».
compagnons « illégalistes » gênants, comme Laureano
Entre Ligny-en-Barrois et Tréveray,
les voies ferrées désaffectées
Cerrada Santos8. Pendant ce temps, d’autres anarchistes
que la SNCF veut réhabiliter pour peu commodes, comme Francisco Sabaté dit El Quico,
pouvoir raccorder CIGÉO au réseau étaient torturés et furent gardés pendant des mois dans
national ont été endommagées les geôles françaises.9
à plusieurs endroits à l’aide d’un
crick de voiture.
|8
Lors de ces rafles, la police fit aussi une importante trou- B.O.R.I.S. qui signe ces attaques
vaille, en découvrant un petit avion de tourisme, un No- coordonnées précise : « Pour
récrin, stationné sur l’aérodrome de Guyancourt, près que le projet ne voit jamais le jour,
de Versailles. Il s’avéra que cet avion, inscrit au nom de parce que nous ne voulons pas
Georges Fontenis (alors secrétaire-général de la Fédé- d’un système qui détruit toujours
ration Anarchiste) et piloté par le compagnon Primitivo plus, continuons notre harcèlement
envers les institutions, les
Gómez, avait servi à plusieurs raids sur Espagne au cours
entreprises et les infrastructures qui
des années précédentes, l’appareil se posant au retour
aident l’Andra à s’implanter à Bure.
soit à Angoulême, à Saint-Jean-d’Angély ou à Guyancourt. Il est encore temps ! »
Les fonds destinés à son achat avaient été rassemblés par
l’anarchiste Laureano Cerrada, qui fut d’ailleurs arrêté 12/6, Bruay-sur-l’Escaut
un mois avant le braquage de Lyon et incarcéré à Evreux, (France).
suite de la découverte d’une imprimerie clandestine à Dans le Nord, la voiture
Gaillon (Eure), où étaient fabriqués de faux marks alle- personnelle de la conseillère
mands. D’après les déclarations des accusés, l’appareil municipale déléguée aux fêtes
est volontairement incendiée
avait été utilisé en septembre 1948 dans le but d’assas-
vers 23h30 devant chez elle.
siner Franco, lors de la traditionnelle manifestation de
C’est la sixième fois qu’un élu de
Saint-Sébastien. Dans la partie inférieure du fuselage de cette commune voit son véhicule
l’avion, une trappe avait été aménagée pour permettre partir en fumée depuis 2019, au
de lancer, à la main, des bombes sur la tribune officielle. grand dam de la maire et de la
Le Norécrin fut cependant intercepté par quatre avions police.
de chasse de l’armée espagnole juste avant d’avoir pu ac-
complir l’attentat.10 S’il n’y avait pas de lien direct entre 14/6, Toulouse (France).
le hold-up de Lyon et l’avion Norécrin, comme essayèrent En Haute-Garonne, la vitre
d’un cabinet d’huissier et celle
d’argumenter les raflés, il restait pourtant indéniable
d’une agence immobilière
que des groupes d’action d’exilés étaient actifs, y com-
adjacente sont brisées dans la
pris sur le sol français... nuit. « Solidarité avec les expulsé.
es ! Vive le squat ! Vive la nuit !
* Vive le vandalisme ! » conclut le
* * * communiqué.

S uite à ces rafles et arrestations dans les milieux anar-


chistes espagnols, certains noyaux et petits réseaux
de militants confédéraux soutinrent donc presqu’en ca-
chette les accusés de l’affaire de Lyon, tandis les orga-
nisations se livraient à une surenchère de certificats de
bonne vie et mœurs afin de se distancier de toute activité
illégale. Il est vrai que l’État français était alors en pleine
recherche de prétexte pour mettre hors-la-loi les organi-
sations libertaires en exil11 afin de paralyser les activités
clandestines qui se développaient, malgré les pompiers
de sa direction, en leur sein et surtout à leur marges. Mais
ces prises de distance ne furent pas qu’un simple jeu for-
mel et tactique dont le but était de désorienter la répres-
sion. Les compagnons qui mettaient leur vie en jeu pour
l’anarchie, ne pouvaient réellement pas compter sur une
défense de la part des organisations libertaires au cas où
tomberaient pour des actions armées. Au cas où cela se

9|
produisait en Espagne, une certaine défense
à géométrie variable était encore peut-être
envisageable dans certains cas (et plus pour
A u fur et à mesure que l’enquête lyon-
naise avançait, les enquêteurs finirent
par établir des liens entre différents faits
souligner la brutalité répressive implacable et hold-ups, mais également avec celle pré-
du régime franquiste que pour défendre la cédente visant le réseau clandestin monté
lutte armée  ; et non sans taper au passage autour de Laureano Cerrada, qui fournissait
sur les doigts, y compris post mortem, des un soutien logistique primordial à la guéril-
incontrôlés qui ne se conformèrent pas la anti-franquiste avec de la fausse-monnaie,
aux directives des instances organiques du des braquages de fourgons, des entreprises
MLE, comme le fit Federica Montseny dans de transport pour couvrir les déplacements
un infâme communiqué après la mort de et les transferts de fonds, des achats d’armes
Sabaté12)  ; par contre, si cela se produisait etc. Cerrada avait bien entendu été désavoué
en France, cette grande terre d’accueil ré- par l’ensemble des instances dirigeantes du
publicaine, cela n’était pas seulement hors MLE, réussissant pour une fois à « rétablir
de question, mais il fallait aussi coûte que l’unité confédérale »14 contre lui. Mais les en-
coûte, infamie sur infamie, mobiliser l’en- quêteurs firent aussi le rapprochement avec
semble des organes de propagande pour dé- un autre tentative de hold-up de la région
samorcer tout imaginaire qui pourrait faire qui portait la signature d’anarchistes espa-
un lien ici entre « anarchistes espagnols » et gnols : celui qui avait visé l’usine chimique
« action violente ». Rhône-Poulenc à Péage-de-Roussillon, trois
Inutile de dire alors que si, en plus, les choses ans avant celui de la rue Duguesclin à Lyon,
tournent vinaigre comme lors du hold-up de établissant alors un lien entre le réseau de
Lyon où un simple client de la Poste y laissa Cerrada, les groupes de guérilla comme
la vie, il fallait non seulement dénoncer le celui de Sabaté, et les groupes d’expropria-
« gangstérisme », mais aussi crier au « mon- teurs gravitant autour de Lyon.
tage » fabriqué par les services franquistes !
Et peu importe le fait que ces compagnons A Péage-de-Roussillon, en Isère, une voiture
menaient ces expropriations afin de finan- s’arrêta la nuit du 6 au 7 mai 1948 près de
cer la lutte clandestine en Espagne, d’aider l’usine Rhône-Poulenc. Des hommes mas-
les prisonniers libertaires, de financer les qués et armés pénétrèrent ensuite dans le
journaux et les affiches, d’acheter des armes bâtiment, non sans avoir préalablement
et – pourquoi pas – de se soustraire aussi en coupé les fils téléphoniques extérieurs, avec
passant à un esclavage salarial qui ne laisse pour objectif de s’emparer de la paye du
que trop peu de temps à pouvoir dédier aux personnel. Deux vigiles, Poncet et Henne-
activités subversives13. Peu importe égale- baud, furent rapidement ligotés et bâillon-
ment que ces compagnons luttèrent dans nés. Mais le troisième, Maurice Monnot, qui
les milices anarchistes en Espagne, qu’ils était en train d’effectuer sa ronde, surgit à
s’évadèrent des geôles franquistes, qu’ils l’improviste et tenta de s’opposer aux intrus,
participèrent aux maquis contre les nazis, avant d’être abattu net d’une rafale de mi-
qu’ils passèrent pour certains des années traillette. La mort du gardien n’était évidem-
dans un camp de concentration nazi,… Peu ment pas prévue au programme, et le petit
importe tout cela : ce n’étaient rien moins groupe regagna l’automobile sans perdre un
que des « ex-camarades, tombés dans le instant. Leur fuite fut si précipitée qu’ils lais-
gangstérisme ». sèrent derrière eux bon nombre d’indices.
Les voleurs avaient bien songé à changer les
* plaques minéralogiques de la voiture ; mais
* * * ils avaient conservé les vraies, sans doute
dans l’intention de les remettre en place une

|10
fois le coup réussi. Arrivés sur place, parmi contre l’usine chimique de Rhône-Poulenc,
tout leur matériel, ils avaient déposé au sol, à Péage-de-Rousillon. Et en mars 1950, un
par mégarde ou volontairement, les vraies autre contre la bijouterie Aujoulat, avenue
plaques que, dans la panique du départ, ils Jean Jaurès à Lyon. Puis celui de la rue Du-
oublièrent de reprendre. guesclin contre le fourgon de La Poste en
La police n’eut donc aucun mal à identifier janvier 1951, qui avait lancé toute l’affaire.
le propriétaire du véhicule numéro 7263 FS
8 : Carlos Vidal Pasanau, un Espagnol rési- La Cour d’Assises rendit son verdict le 31
dant à Toulouse qui avait acheté l’auto en mars 1955 après quinze jours de procès. Au
novembre 1947 à un garagiste de Toulon. total, les compagnons furent reconnus cou-
Carlos n’attendit évidemment pas que les pables de 19 attaques à main armée entre
policiers viennent le chercher, et franchit fin 1945 et début 1951, pour une somme de
clandestinement la frontière. Il fut cepen- plus de 25 millions de francs dérobée lors
dant arrêté le 4 juin 1949 à Barcelone. Aus- de ces hold-ups. Juan Sánchez fut condamné
sitôt interrogé sur commission rogatoire, à mort, peine commuée en réclusion à per-
Carlos déclara que le véhicule immatriculé pétuité, et sortit après vingt ans de déten-
à son nom appartenait en réalité à un cer- tion. Juan Català-Balaña écopa de vingt ans
tain Francisco Sabaté Llopart, qui l’avait et sortit après quatorze années passées à la
chargé le 3 mai 1948 de le conduire jusqu’à centrale de Fresnes. Antonio Guardia-Soca-
Perpignan, ce qu’il avait fait, puis lui avait da et Francisco Bailó Mata écopèrent des
demandé de poursuivre sur Lyon, toujours travaux forcés à perpétuité, et sortirent au
avec la voiture, ce qu’il avait refusé. Ces bout de vingt années de prison. Dix autres
déclarations portées en Espagne contre un anarchistes furent condamnés à des peines
homme qui narguait les services de police de plusieurs années pour complicité. Les
depuis des années furent la cause de l’in- affaires concernant le faux monnayage et
culpation de Sabaté, même si un non-lieu quelques hold-ups commis ailleurs furent
fut finalement prononcé en sa faveur pour jugés par les Assises de l’Isère et de la
insuffisance de preuves. Cela n’empêcha pas Haute-Garonne. Là aussi, des dizaines de
l’enquête de rester ouverte jusqu’en 1955. compagnons furent condamnés à des peines
de prison allant jusqu’à plusieurs années.
Après quatre années d’investigations en tous
sens, le procès contre les accusés de la san- Pendant ce temps, alors que l’État réglait
glante tentative de braquage de Lyon s’ou- son compte aux intransigeants, le MLE dé-
vrit le 10 janvier 1955 devant les Assises du savouait les « individus suicidaires qui ne
Rhône, en constituant l’un des plus impor- savaient faire rien d’autre », dénonçait « des
tants dossiers criminel de l’après-guerre. méthodes inadmissibles » et condamnait
Si 222 arrestations avaient initialement été par-là ce qu’il y avait de plus vivant, de plus
effectuées dans les milieux anarchistes, 37 tenace, de plus audacieux dans la lutte anar-
individus restaient accusés d’avoir partici- chiste contre le franquisme. Si on ne devrait
pé de près ou de loin à des expropriations, pas s’étonner que les vies et les tourments,
non seulement dans la région lyonnaise, les efforts et les douleurs, les coups d’audace
mais également à Paris et dans le Midi. Le et les échecs terribles de celles et ceux qui
premier hold-up retenu contre « le gang agirent à l’ombre restent inconnus au-delà
des espagnols » s’était déroulé en octobre des cercles qui se dédièrent à la lutte sou-
1947 lorsqu’un groupe braqua l’Entreprise terraine, rien ne dit par contre qu’il faudrait
Industrielle à Séchilienne, emportant plu- se résigner encore aujourd’hui à ce que non
sieurs millions de francs destinés à la paye seulement l’ennemi autoritaire, mais aussi
des ouvriers. Puis, en mai 1948, il y eu celui les « camarades irréprochables »15 traînent

11|
cette lutte dans la boue, salissant non seule- José Bailò Mata, né en 1924, traversa la
ment la mémoire de la lutte anarchiste, mais frontière avec ses parents lors de la vic-
par-là aussi toute expérience actuelle et à toire fasciste. Malgré son jeune âge, il servit
venir. Hier comme aujourd’hui. d’agent de liaison pour le maquis en France.
 Puis, ensemble avec son frère, il se joignit au
groupe d’action anarchiste de Lyon.
4. Antonio Guardia-Socada (né en 1917),
Notes participa à guerre d’Espagne du côté anar-
1. Comme les jeunes lyonnais Francisco chiste, puis aurait servi de guide dans le
Conesa, Antonio Miracle Guitart et Manuel réseau d’évasion de Ponzán lors de la Deu-
Ruiz Montoya qui accompagnèrent Sabaté xième Guerre mondiale.
dans sa dernière excursion en Espagne en 5. Dès les premiers jours de la guerre d’Es-
1960 et furent tous abattus par la Guardia pagne, Juan Catalá Balanya (né en 1913)
Civil. Auparavant, à partir des années 1940, combattit avec la Colonne Durruti. Il parti-
on peut mentionner, parmi ceux et celles qui cipa également au groupe guérillero Liber-
marquèrent l’activité anarchiste espagnole tador organisé par Francisco Ponzán Vidal
à Lyon, les familles Padrós et Ruipérez, Juan et chargé de pénétrer en territoire ennemi
de la Flor, Vicente Galindo dit Fontaura, pour évacuer les militants bloqués dans
Cayetano Zaplanna, Eduardo Puncel, José Saragosse. Passé en France le 10 février
del Amo, Juan Figueras, Vida Figueras, En- 1939 avec les autres membres du groupe
rique Soler, José Ruiz, Agustín Longas, les Libertador, il fut interné à Bourg Madame
fères Hiraldo, les frères Bernabeu, la famille puis au camp du Vernet. Dès le 18 mai 1939
Hernández, Flores et Izquierdo. avec Pascual López Laguarta Sixto et Fran-
2. Juan Sánchez (né en 1914 à Lorca dans cisco Vidal Berdie, il franchit les portes du
la province de Murcie) arriva en France camp du Vernet comme s’il allait travailler
avec ses parents dans les années 1920, qui et ne revint jamais. Deux jours plus tard,
s’installèrent à Villeurbanne en banlieue après avoir récupéré des armes cachées
lyonnaise. Lors de guerre d’Espagne, il fit dans une ferme de Bourg-Madame, les
le voyage en sens inverse pour combattre trois hommes passèrent en Andorre où ils
dans les rangs anarchistes. Après la victoire établirent des bases pour les passages des
franquiste, il retraversa la frontière et fut premiers groupes de militants envoyés en
interné par les autorités françaises, puis Espagne. Il n’allait dès lors plus cesser de
déporté en Algérie dans le camp de Djelfa. participer aux multiples activités du ré-
Il s’en évada et finit par gagner Londres en seau organisé par Francisco Ponzán Vidal.
1943, où il s’enrôla dans l’armée pour par- Début mars 1940 après une entrevue avec
ticiper à la lutte contre le nazisme. Installé lui, il accepta de travailler avec les services
après-guerre à Lyon, il participa à un groupe de renseignement alliés et de participer à la
d’action anarchiste. lutte contre les activités allemandes en Es-
3. Francisco Bailò Mata, né en 1917 à Le- pagne. Il partit plusieurs fois en mission en
ciñena (province de Saragosse), participa Espagne, mais fut arrêté en mai 1940. Le 25
au mouvement anarchiste lors de la guerre novembre 1940, il parvint à s’évader puis à
d’Espagne. Exilé en France, il fut arrêté par gagner la région de Saragosse et à repasser
le Gestapo pour sa participation à la Ré- en Andorre avec un autre prisonnier grâce à
sistance, et déporté dans le camp de Mau- la complicité d’autres compagnons. Il repar-
thausen en avril 1941, d’où il fut libéré le tit immédiatement pour l’Espagne, où il fut
5 mai 1945. De retour en France, il souffrit à nouveau arrêté début 1941 à Barcelone.
de graves maladies et de crises d’angoisse, Quelques jours plus tard lors d’un interroga-
mais il décida tout de même de se joindre à toire dans le cabinet du juge, après s’être fait
un groupe d’action anarchiste. enlever les menottes, il bouscula les gardes
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qui l’accompagnaient et parvint à s’échap- pèrent, ils l’enfermèrent dans une chambre
per. Lors d’une nouvelle mission à Barcelone frigorifique. […] La compagne de Francisco,
en août 1941 il fut encore arrêté et interné une magnifique femme, fut humiliée, dénu-
à la prison Modelo. Le 23 décembre 1942, dée, torturée,… »
il s’évada avec deux autres prisonniers mais 7. José Peirats, Les anarchistes espagnols,
se blessa en sautant un mur avant de parve- Révolution de 1936 et luttes de toujours, éd.
nir à gagner une maison de Sants où, à demi Repères-Silena, 1989 p.319. Pourtant ces
paralysé, il fut arrêté quelques jours plus mêmes éditeurs publièrent, un an plus tard,
tard puis interné à la 5° galerie de la Mode- la traduction du livre d’Antonio Telléz Solá
lo. Après avoir récupéré de ses blessures, il sur Sabaté et la guérilla urbaine en Espagne
fut transféré à Lérida puis parvint à se faire (1945-1960). Ce dernier livre a été republié
remettre en liberté. Il fut à nouveau arrêté le en 2019 par les éditions Tumult.
25 juin 1944 à la Seu d’Urgell, et condamné 8. Né à Miedes (Guadelajara) en 1902 et
à une lourde peine de prison. En mars 1947, émigré à Barcelone en 1920, Laureano Cer-
il s’évada de la prison de Carrabanchel et rada Santos, animait les syndicats chemi-
passa en France le 1er avril, où il fut déte- nots de la CNT et était un membre très ac-
nu pour «passage clandestin de la frontière». tif des groupes de défense. En juillet 1936
Libéré de la prison de Toulouse suite à l’in- il avait participé à la prise de la caserne
tervention de Robert Terres, ancien des d’Atarazanas. Exilé en France, il monta un
services secrets de la France Libre qui avait atelier de faux papiers lors de l’occupation
étroitement collaboré avec le groupe de nazie, participa à la Résistance (sabotages,
Francisco Ponzán dans le cadre du réseau récupérations d’armes) et monta une vaste
Pat O’Leary chargé de l’évacuation de résis- infrastructure (hôtels, imprimeries, dépôts
tants ou d’aviateurs alliés pendant la guerre. d’armes..) qu’il mettra par la suite au ser-
Comme guide, Juan Catalá en avait en effet vice de la lutte antifranquiste. Secrétaire de
passé plusieurs dizaines en Espagne. coordination (1945) du Movimiento Liberta-
Installé à Toulouse, il participa finalement rio, il allait financer l’achat de diverses bases
comme il le pouvait aux activités clandes- pour les groupes d’action (le mas Tartas, un
tines des groupes d’action libertaires. Juan hôtel à Font Romeu, etc), être la cheville ou-
Catalá Balanya est mort le 14 octobre 2012. vrière des principales tentatives d’attentats
6. Elsa Osaba (cousine de José et Francis- contre Franco, et grâce à la fabrication de
co) dont la mère, Felisa Bailó Mata, vivait fausse monnaie et à la falsification de bons
à la maison de la famille Mata dans ces an- du Trésor, il monta en Espagne plusieurs
nées-là, raconte la violence des perquisi- entreprises d’import-export qui camou-
tions : « Francisco fut ramené [du camp de flaient les activités clandestines de la CNT.
concentration] par deux infirmières en juillet En février 1946, il aurait été l’organisateur
1945. Il ne tenait pas debout, être déporté à de l’attaque d’un fourgon du Crédit Lyonnais
Mauthausen pendant quatre ans et un mois à Paris, où 30 millions de l’époque avaient
l’avait brisé. La famille et les voisins ne se été récupérés et destinés à l’achat d’armes
lamentèrent jamais des cris de ses terreurs en Italie, qui furent ensuite transférées des
nocturnes, de sa soif insatiable, de son anxié- côtes italiennes aux côtes françaises avec
té, de ses extravagances traumatiques… […] des vedettes rapides. En mai 1947 il aurait
Ils arrêtèrent de nombreux Espagnols. Ils ont été contrôlé à Vintimille, à la frontière ita-
humilié mon père, ils l’ont giflé, ils l’ont don- lienne, où, se faisant passer pour un général,
né des coups de poing au visage qui a doublé il parvint à passer une centaine de faux pas-
en taille… […] Mon oncle Pascual [volontaire seports et de la fausse monnaie. En 1948 il
dans les Forces Françaises Libres, amputé des était membre du Comité de relations de la
pieds suite au gel lors de l’offensive des Ar- F.A.I. Il a grandement aidé financièrement la
dennes en 1944-1945] fut dénudé, ils le frap- presse de l’exil et en particulier Solidaridad
13|
Obrera, ainsi que de nombreux militants vaient présider des régates, l’appareil atter-
auxquels il a fourni des faux papiers. Arrêté rirait sur un terrain espagnol déjà repéré et
en 1951 suite à une dénonciation à Gaillon ses occupants le feraient sauter, avant d’être
(Eure) pour trafic de fausse monnaie, une pris en charge par l’Organisation clandes-
partie de son infrastructure fut  démante- tine de l’intérieur. Tel était le plan. Mais à
lée: imprimerie à Elbeuf, hôtel à Paris, ga- peine le « bombardier » artisanal était-il
rage de la rue de la Douane et son important arrivé en vue de l’objectif qu’il était inter-
parc de camions, fabrique de chaussures et cepté par quatre avions de chasse qui lui in-
agence de transports ; tous ces commerces timaient l’ordre d’atterrir. Primitivo ne fit ni
étaient légaux, mais il était impossible de une ni deux, il piqua vers la mer à trois cents
justifier leur origine. Parallèlement, plu- kilomètres à l’heure, redressa au ras des va-
sieurs comptes bancaires (représentant gues et remit le cap sur les côtes françaises.
plusieurs dizaines de millions de l’époque) L’incident donna lieu à un échange de com-
furent saisis. Incarcéré de 1951 à 1954, il muniqués diplomatiques entre Madrid et le
fut « exclu » du mouvement libertaire pour « Quai d’Orsay mais sans autre conséquence.
méthodes inadmissibles ». De nouveau arrêté 11. En 1953, l’État français interdit la pu-
le 27 mai 1970 pour trafic de faux papiers, blication Ruta, organe de la Fédération Ibé-
il fut emprisonné jusqu’en 1974. Le 18 oc- riques des Jeunesses Libertaires (FIJL), qui
tobre 1976, Laureano Cerrada est assassiné continua à défendre l’action clandestine
en sortant du Café de l’Europe à Belleville malgré le fait que les dirigeants du MLE dé-
(Paris). savouèrent toutes les actions armées en Es-
9. Sabaté fut arrêté le 2 février 1951. Sou- pagne et ailleurs. En 1965, il interdit la FIJL
mis à des tortures dont il refusa toujours de elle même, qui avait repris la lutte clandes-
parler, il tenta de se suicider en se jetant par tine en Espagne.
la fenêtre du commissariat et s’en tira avec 12. « Les tribunaux du franquisme ne pour-
plusieurs blessures au cou. Il « signa » une ront le [Sabaté] juger ni d’autres tout aussi
confession où il admettait avoir coupé les sévères  : ceux d’une conscience collective
fils téléphoniques lors du hold-up de l’usine qui ne lui pardonnera pas si facilement de
Rhône-Poulenc le 7 mai 1948. Sabaté sortit s’être insubordonné contre elle, d’être passé
de prison en novembre 1951, mais l’affaire au-dessus des règles et des accords. Dans son
le poursuivit jusqu’à la mort, les autorités obsession, dans cette volonté irraisonnée et
françaises disposant désormais d’un levier irraisonnable qui le porta en Espagne contre
bien précis pour compliquer ses activités de toute logique, contre tout intérêt individuel et
guérilla en Espagne. collectif, […] » Federica Montseny dans CNT,
10. Avec trois hommes à bord (le pilote, An- 17 janvier 1960.
tonio Ortiz Ramirez et José Pérez Ibánez dit 13. Notons, au passage, que les policiers
El Valencia), chargés de convoyer les vingt furent étonnés lors des perquisitions pour
bombes à fragmentation de cinq kilos et arrêter les braqueurs de la rue Duguesclin
les quatre bombes incendiaires de dix kilos de la simplicité et de la pauvreté de leurs
chacune – volées dans une poudrière d’Or- logements.
léans pendant l’Occupation – le Norécrin 14. Luis Andrés Edo, La CNT en la encruci-
décolla du terrain d’aviation de Dax (Hautes jada, 2006.
Pyrénées) le dimanche 12 septembre 1948, 15. Formule employée par les organisations
puis mit le cap sur Biarritz et la mer pour libertaires et des organisations de gauche
virer ensuite à gauche et atteindre Saint-Sé- pour défendre les militants et responsables
bastien par la baie de La Concha. Après avoir du MLE arrêtés dans la foulée des perquisi-
bombardé la tribune du Club nautique d’où tions après le hold-up de Lyon.
Franco et les hauts dignitaires du régime de-

|14
| Revues, livres
& journaux |
Pris dans la toile, Recueil de textes anar-
chistes contre l’informatisation du monde
(1987-2021), février 2021, A4, 144 p. peut que se réjouir du fait que la critique de
la technologie s’étende et s’approfondisse.

C omme le résume bien son titre, ce co-


pieux recueil de plus d’une centaine de
pages grand format est une collection de
Car l’approfondissement de cette critique
reste nécessaire, non seulement pour ai-
guiser l’agir, mais aussi parce qu’elle nous
textes et d’articles qui secrètent une hostili- oblige quelque part à nous confronter avec
té intransigeante envers la mise en cage nu- des errances héritées de la pensée anar-
mérique du monde. Si on y trouve quelques chiste, comme la croyance scientiste, la lo-
articles parus dès la fin des années 80 et gique productiviste, le discours quantitatif,
au début des années 90 dans des journaux l’apologie de la machine pour « libérer le
italiens prônant l’insurrection plutôt que travail », etc. Elle nous pousse aussi à nous
le reflux après les années de plomb, en questionner sur d’autres héritages, comme
identifiant déjà la technologie comme l’axe l’appréciation trop peu critique de la figure
principal de la restructuration capitaliste et de « l’ouvrier industriel », sur le mythe plus
étatique, la plupart des articles repris dans ou moins contemporain du « paysan » (alors
le recueil sont plus récents et furent rédigés que la plupart des champs sont travaillés
ces dernières années. La sélection com- par… des « agriculteurs » sous-traitants de
porte ainsi de nombreux textes rédigés en l’agro-industrie), et plus généralement sur
français, mais aussi plusieurs traductions tout sujet opprimé et exploité qui, quelque
de l’italien et de l’allemand parfois inédites. part, participe aussi, à travers son travail ou
son adhésion aux valeurs de la machine, à la
L’intérêt d’un tel recueil, en plus d’offrir un continuité de la domination.
point de départ pour des réflexions et des
discussions, est de mettre en évidence com- Bref, la critique de la technologie nous in-
ment la critique du numérique et celle de la vite au fond à nous débarrasser de toute so-
technologie tout court se sont affinées au fil ciologie bon marché, de tout déterminisme
de ces dernières années au sein de certains promu par les idéologies du progrès (du
cercles d’anarchistes. syndicalisme au marxisme), d’un certain
Pendant que d’autres compagnons et com- messianisme révolutionnaire aussi dont le
pagnonnes continuent de considérer la mouvement anarchiste n’a pas été exempt.
technologie « comme une simple couche de Pourquoi ? Parce que le développement
domination en plus », et non pas comme un technologique se déroule certes dans un
processus qui est en train de modifier les contexte de division entre exploiteurs et
bases mêmes de la domination – et de trans- exploités, entre oppresseurs et opprimés,
former ses sujets – ou pire, comme quelque mais son développement ne repose pas uni-
chose qui pourrait aider à libérer l’huma- quement sur la force et l’imposition exer-
nité si on en faisait un usage « intelligent » cées par les puissants, mais au moins autant
et à sauver la planète à l’instar des grands sur l’adhésion ou l’acceptation par des pans
prophètes des nouvelles technologies, on ne importants des exploités et des opprimés.
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Une telle conscience aiguisée ne peut pas Ceci dit, force est de constater que quoi
rester sans conséquences sur nos perspec- qu’en pense de la fameuse « reine des
tives, nos méthodes, nos angles d’attaques. preuves », le risque de laisser des traces
C’est bien ce que la succession de textes de d’ADN sur un objectif visé reste parfois pa-
ce recueil et l’évolution au fil des années de ralysant, et que cette brochure vient donc
la pensée critique qu’ils expriment, permet à point nommé pour expliquer de façon
de montrer clairement. extrêmement claire ce qu’est l’ADN et com-
 ment l’ennemi procède pour le repérer, l’ex-
Pour toute commande : traire, l’analyser, l’archiver et le faire valoir
prisdanslatoile@riseup.net pour ses enquêtes. Mais ce n’est pas tout,
puisqu’à l’aide d’un petit exemple concret
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intitulé « Ne pas se cramer en cramant une
blablADN. Tout cramer pour brûler plus Porsche », cette brochure détaille tout un
longtemps : un guide pour ne pas laisser de mode opératoire possible en la matière,
traces, juin 2021, A5, 26 p. du point de départ jusqu’au retour satisfait
d’avoir mené à bien ce qu’on avait projeté.

I l faut bien avouer que nous sommes en


général plutôt réticents à ouvrir tout ce
qui peut s’apparenter à un « guide » et foi-
Pour ne rien laisser au hasard, elle dis-
tingue par exemple la question de l’ADN
sonne dans le mouvement depuis une quin- qu’on laisse directement sur place de celui
zaine d’années. Car lorsqu’il ne s’agit pas de apporté à cause du matériel, avec des listes
traités juridiques alternatifs, on se retrouve de produits très précis (sur leur composi-
trop souvent face à des opuscules prescrip- tion, leur dosage, leurs effets, leur usage) à
tifs sur la manière dont chacun chacune utiliser pour éviter que cela ne se produise.
devrait se comporter, en tentant d’établir Enfin, elle développe également une inté-
malgré toute leur bonne volonté ce qu’il ressante proposition sous forme de « pro-
faut bien appeler des contre-normes. tocole », afin de bien « nettoyer son matériel
avant de partir en action », en évitant toute
Ici, avec blablADN, on est fort heureusement contamination d’ADN indésiré notamment
dans un tout autre monde, puisque non en cas de confection artisanale de ce der-
seulement les auteur.e.s précisent d’emblée nier (de la préparation du plan de travail
« ce qu’on veut pas, c’est être cru.e.s sur pa- au nettoyage et au confectionnement/stoc-
role », et surtout que leur perspective s’ins- kage).
crit dans un rapport directement offensif,
celui de renforcer les différents individus Bref, que ce soit pour comprendre « scienti-
qui passent à l’attaque, en essayant « de fiquement » de quoi on parle concrètement,
comprendre comment les flics identifient que ce soit pour connaître les dernières
une personne avec l’ADN, et de proposer des techniques de l’ennemi, que ce soit pour sa-
pistes pour s’en protéger ». Et ce non pas voir où se nichent leurs labos, ou tout sim-
dans un but informatif en général, mais en plement pour confronter son contenu avec
s’inscrivant clairement dans la perspective ses propres expériences, voilà en tout cas
de « voir disparaître les taules, les tribunaux un petit guide vraiment complet pour qui
et les comicos et toutes celles et ceux qui par- ne souhaite pas se payer de mots...
ticipent à la machine à réprimer. » 

avisdetempetes.noblogs.org
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