Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
#MeToo : le double visage du gouverneur
de l’État de New York
PAR PATRICIA NEVES
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 9 AOÛT 2021
Andrew Cuomo, gouverneur de l'État de New York, après la
publication de l'enquête judiciaire. © Timothy A. Clary / AFP
Alors qu’il s’était érigé en défenseur du mouvement
#MeToo, Andrew Cuomo est accusé d’avoir harcelé
sexuellement au moins onze femmes dans le cadre
de ses fonctions, à l’issue d’une longue enquête
judiciaire. Le président Joe Biden l’appelle à la
démission. L’affaire interroge une nouvelle fois
l’héritage du mouvement #MeToo. Les choses ont-
elles vraiment changé?
NEW YORK (États-Unis).– Lorsque le scandale
a éclaté cet hiver, le gouverneur de New York a
d’abord temporisé. Andrew Cuomo, 63ans, semblait
confiant. À ses électeurs, auxquels il s’était alors
adressé directement face caméra, il n’avait demandé
qu’une seule chose: de la patience. Les résultats de
l’enquête indépendante annoncée début mars allaient
bientôt le blanchir.
Mais voilà, les conclusions de l’enquête rendues
publiques cette semaine ne sont pas celles escomptées
par Cuomo. Après cinq mois de travaux, 179auditions
et 74000documents analysés, la procureure de l’État
de New York, Letitia James, chargée de superviser
les investigations, a accusé Andrew Cuomo d’avoir
«harcelé sexuellement plusieurs femmes».Onze au
total.
Leurs témoignages, pour certains inconnus du grand
public, ont été minutieusement compilés dans un
rapport de 168pages. Ils apparaissent accablants pour
le tout-puissant gouverneur démocrate de New York,
1/3
1
qui a notamment bâti son image dans la foulée du
mouvement #MeToo en militant en faveur de la
protection des droits des femmes.
Face aux accusations, qu’il rejette en bloc, Andrew
Cuomo a été contraint de changer de ton. Plus question
de soutenir une enquête et un «dossier» à charge,
«montés» contre lui. Cuomo serait devenu «une cible»
à abattre, a défendu l’une de ses avocates le 6août.
La procureure de New York, Letitia James, présentant les conclusions
de l'enquête accablante sur Andrew Cuomo, accusé de harcèlement
sexuel, le 4 août. © David Dee Delgado / Getty Images via AFP
Au même moment, l’une des victimes présumées
d’Andrew Cuomo décidait, elle, de saisir la justice
et de porter plainte. Le récit de cette jeune femme,
âgée d’une trentaine d’années et simplement désignée
comme «l’assistante» dans le rapport du bureau de la
procureure, a étayé les accusations les plus graves.
Car l’assistante a confié avoir subi plusieurs
attouchements sur des parties intimes de son corps,
l’un de ses seins en l’occurrence et ses fesses. Un délit
passible aux États-Unis d’une peine maximale d’un an
de prison.
Depuis la publication du rapport, tout s’est accéléré
sur le plan judiciaire pour Cuomo. Après des mois de
flottement, plusieurs procureurs, dont le procureur de
Manhattan, ont annoncé ouvrir leurs propres enquêtes.
Des soutiens d’Andrew Cuomo, y compris parmi ses
plus fidèles lieutenants, ont également démissionné.
L’Assemblée de New York, qui a diligenté en parallèle
sa propre investigation, a lancé des discussions quant
à la possibilité d’engager une procédure de destitution.
Un acte quasiment sans précédent à New York. Le
dernier impeachment ayant eu lieu il y a un peu
plus d’un siècle. Même l’opinion publique, encore
favorable à Andrew Cuomo début mars après les
premières accusations, semble désormais lui tourner le
dos.
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
Andrew Cuomo, l’ancien homme fort, à qui certains
prêtaient il n’y a pas si longtemps un destin national
aux côtés du président Joe Biden, se retrouve
dorénavant isolé. Plus largement, son cas interroge:
qu’est-ce qui a vraiment changé aux États-Unis depuis
#MeToo?
« Est-ce que tu n’es pas bien, là?»
Sa voix a longtemps été rassurante. Pendant les
premiers mois de la pandémie du Covid-19, Andrew
Cuomo a tenu des conférences de presse quotidiennes,
111 au total. Il s’est imposé rapidement outre-
Atlantique, grâce à ses statistiques et ses PowerPoint,
comme un guide face au président Donald Trump
et ses solutions miracles, comme des injections de
désinfectant censées permettre de mieux lutter
contre le Covid-19.
Andrew Cuomo, élu et réélu à trois reprises depuis
2010 au poste de gouverneur, comme son père Mario
avant lui, aurait réuni sur les premiers mois de l’année
2020 plus de 50millions de spectateurs. Son frère,
journaliste vedette de CNN n’a pas été étranger à ce
succès. Il a régulièrement invité son frangin sur son
émission, diffusée en prime time. Cuomo président
en 2024, Cuomo figure paternelle, Cuomo l’homme à
poigne, le leader, le frère, le fils qui s’inquiète pour sa
vieille mère âgée de 88ans… tout semblait lui réussir.
Andrew Cuomo a même signé un contrat millionaire
(plus de cinq millions de dollars) pour écrire un livre
sur le thème du leadership.
Andrew Cuomo, gouverneur de l'État de New York, après la
publication de l'enquête judiciaire. © Timothy A. Clary / AFP
L’année 2020, l’assistante s’en souvient bien, elle
aussi. Elle a décrit aux enquêteurs un climat toxique
au travail. D’abord, il y a eu ces commentaires sur
son apparence physique ou sa tenue vestimentaire. «Il
était temps que tu montres tes jambes», entendait-
elle lorsqu’elle portait des robes. Puis ont surgi des
2/3
2
questions sur sa vie sexuelle. «Tu as déjà couché
avec quelqu’un d’autre que ton mari?» «Si tu étais
célibataire, les choses que je te ferais…», s’est-elle
entendu dire un jour.
Les gestesont succédé aux paroles. Il y a eu ces
accolades très serrées, les mains sur son dos. «Est-
ce que tu n’es pas bien, là?» Ce baiser sur ses
lèvres ou ces mains qui se sont frottées à ses fesses
au cours d’un selfie. Hors caméra, Andrew Cuomo
aurait été cet homme-là, a raconté l’assistante: un
harceleur. «J’étais si fière de mon travail, a-t-elle
confié aux enquêteurs, en particulier pendant la
pandémie. C’était l’opportunité de toute une vie.»
Elle avait si peur de perdre son travail aussi,
l’assistante. Alors elle n’a rien dit, même quand
Andrew Cuomo a claqué la porte de son bureau en
novembre 2020 avant de se diriger vers elle, de glisser
ses mains sous son chemisier et d’attraper son sein.
«J’étais si choquée […] en aucun cas je n’ai voulu ça
ou l’ai encouragé. J’ai eu l’impression qu’il profitait
de moi…»
L’assistante s’est alors réfugiée dans sa voiture, a-
t-elle poursuivi devant les enquêteurs, le temps de
reprendre ses esprits. Quand elle est revenue travailler,
elle a fait comme si rien ne s’était passé, d’autant que
quelques jours plus tard, en décembre 2020, Andrew
Cuomo se serait fait plus menaçant. «Des gens parlent
par ici,lui aurait-il dit, ça peut leur causer beaucoup
de problèmes.» Une référence à peine voilée, selon
l’assistante, à la première des onze femmes ayant
publiquement accusé le gouverneur.
Là aussi, il aurait été question d’un baiser non consenti
sur la bouche, de remarques sexistes, de mains sur
le bas du dos ou les jambes. Rapidement, l’équipe
de Cuomo aurait cherché à démolir la réputation de
cette première femme, en essayant en sous-main de
remettre en cause sa crédibilité auprès de la presse en
particulier.
« Changer l’état d’esprit des gens»
« Rendons hommage aux femmes qui ont le courage
[…] de raconter leur histoire et changeons les
choses.» En 2019, le gouverneur Andrew Cuomo
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
signait devant les caméras un projet de loi visant
à lutter contre le harcèlement au travail dans l’État
de New York. Le harcèlement sexuel notamment,
pour lequel Cuomo a allongé le délai de prescription.
Sous la lumière des projecteurs, le gouverneur s’est
affiché auprès de féministes, allant jusqu’à en faire un
argument de campagne lors de levées de fonds.
Or, sur les onze femmes qui l’accusent, «au moins
huit d’entre elles» ont relaté des possibles abus ayant
eu lieu «après octobre 2017», soit après l’affaire
Weinstein, rappelle ce samedi 7août dans le New
York Times Jodi Kantor, l’une des journalistes
à l’origine des révélations sur le producteur de
cinéma. Preuve des limites du mouvement #MeToo.
Aujourd’hui encore, malgré une prise de conscience
sur le sujet, écrit Jodi Kantor, «les victimes n’ont
pas toujours les moyens de signaler efficacement, en
sécurité», les abus.
« Il ne s’agit pas seulement de durcir les lois»,
analyse la journaliste en reprenant des propos d’Anita
Hill, connue pour avoir introduit «le terme de
harcèlement sexuel à de nombreux Américains il y a
trois décennies» en accusant Clarence Thomas, alors
candidat à la Cour suprême. «Il faut aussi changer
l’état d’esprit des gens qui peuvent croire qu’ils sont
au-dessus de la loi.»
Directeur de la publication : Edwy Plenel
Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS).
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007.
Capital social : 24 864,88€.
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs
et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie-
Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des
Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart.
3/3
3
Le président Joe Biden en sait quelque chose. En
1991, alors qu’il était à la tête du Comité judiciaire du
Sénat, il n’a pas permis l’audition de trois femmes
souhaitant témoigner en faveur d’Anita Hill. La
nomination de Clarence Thomas, en poste aujourd’hui
encore, a ensuite été confirmée. L’épisode, vieux de
trente ans, plane comme une ombre sur le président
Biden.
Alors, bien qu’il ait été un proche allié d’Andrew
Cuomo, le président Biden a appelé cette semaine,
lui aussi, depuis la Maison Blanche, à la démission
du gouverneur. Mais ce dernier insiste. «Il n’a jamais
touché personne de manière inappropriée.»
Les accusations de harcèlement sexuel ne sont
cependant pas les seuls ennuis judiciaires du
gouverneur. La procureure de l’État de New York,
Letitia James, enquête aussi sur la possibilité que
Cuomo ait enfreint la loi en demandant à son personnel
de l’aider à rédiger et à faire la promotion de son livre.
Le FBI enquête par ailleurs sur un autre scandale
impliquant Cuomo – et son administration –, accusé
précisément pour son leadership durant la pandémie,
en décidant de sous-estimer sciemment le nombre de
décès liés au Covid-19 dans les maisons de retraite
new-yorkaises. Malgré la pression, Andrew Cuomo
a, lui, déjà commencé à lever des fonds en prévision
d’une potentielle campagne de réélection en 2022…
Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Courriel : contact@mediapart.fr
Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Paris.